MADAME GUYON Les Justifications
Titre de la clé 45 suivi d’un « chapeau » explicatif (en corps moyen) précédant deux extraits à justifier (en gros corps) tirés du Cantique (le premier extrait complet est séparé du second par « -- – »
J’utilise un corps italique pour le « chapeau », un corps droit pour les extraits.
Avant que d’écrire de la perte, il faut expliquer, que quoiqu’on parle de perte totale en Dieu, et de stabilité dans cette perte, je ne prétends pas que ce soit une cessation d’être, ni qu’il soit absolument impossible de sortir de là. Il y a une espèce d’impuissance morale, et non physique : cette impuissance vient de la forte habitude que l’âme a contractée. Un vase tombé dans la mer est entièrement perdu à notre égard, quoi qu’il ne le soit pas en effet, puisqu’il subsiste dans la même mer, et puis qu’on peut le retrouver par accident imprévu, soit en pêchant, soit par quelque voie indirecte : ainsi quoique le vase soit effectivement perdu, il ne l’est pas absolument : cependant on ne laisse pas de le regarder comme tel, parce qu’il est moralement impossible de le ravoir.
Je n’admets pas non plus un état permanent de lumière passive ; car cela ne peut être : quoiqu’il y ait une certaine permanence de mort d’esprit pour n’user plus de ses propres lumières ; et l’habitude de la nudité et du vide rend l’âme continuellement disposée à recevoir la lumière sans mélange, parce que tous les fantômes sont évacués et dissipés. Ou je mets la stabilité, c’est dans la volonté ; qui à force de se conformer à son divin Objet et de s’y unir, passe en lui et 131 s’écoule tellement dans la volonté de Dieu, que l’âme n’aperçoit plus cette volonté et la compte comme perdu. Elle l’est, non seulement comme le vase tombé dans la mer ; mais comme un fleuve qui après s’être écoulé se mélange avec elle : car cette eau est encore plus perdue que le vase ; néanmoins quoiqu’elle soit véritablement perdue, mélangée, et transformée en mer, elle n’est pas absolument perdue ; puisqu’un Ange pourrait séparer ces deux eaux. Cependant la difficulté de la chose la fait regarder comme moralement impossible.
La jouissance de Dieu est permanente et durable ; parce qu’elle est au-dedans de nous-mêmes, et que Dieu étant notre dernière fin, l’âme peut sans cesse s’écouler dans lui, comme dans son terme et son centre, et y être mêlée et transformée, sans en ressortir jamais : ainsi qu’un fleuve qui est une aux sorties de la mer, et très distincte de la mer, se trouvant hors de son origine, tâche par diverses agitations de se rapprocher de la mer ; jusqu’à ce qu’y étant enfin retombé, il se perde et se mélange avec elle, ainsi qu’il y était perdu et mêlé avant que d’en sortir ; et il ne peut plus en être distingué.
C’est comme une goutte d’eau, qui perd sa consistance sensible lorsqu’elle est mise 132 dans une cuve de vin, ou elle est changée sensiblement en vin, quoique son être et sa matière en soit toujours distincte, et qu’un Ange pût, si Dieu le voulait, en faire la division. De même cette âme peut toujours être séparée de son Dieu, quoique la chose soit très difficile. Chapitre un verset un.
La véritable droiture, qui porte l’âme à outrepasser tous les plaisirs de la terre, et toutes les douceurs du ciel, pour se perdre en son Dieu, est ce qui fait le pur et parfait amour. La même. Verset trois.
L’âme souhaite de se perdre en Dieu avec Jésus-Christ son Fils, d’y être cachée et de s’y reposer pour toujours. Verset six.
Par le recueillement la vie elle se possède ; mais par la sortie d’elle-même, elle meurt et se perd. Chapitre 2 verset 14.
Vous m’avez blessé, dit l’époux, par l’union de vos cheveux. Cela marque assez clairement que toutes les affections de l’amante ont été réunies en Dieu seul, et qu’elle a perdu toutes ses volontés en celle de son Dieu.
De sorte que l’abandon de toute elle-même à la volonté de Dieu, par la perte de toute volonté propre, et la droiture avec laquelle elle s’applique à Dieu, sans faire plus de retour sur soi-même, sont les deux flèches qui ont blessé le cœur de son époux. Chapitre quatre verset neuf.
J’ai levé la barrière qui empêchait et ma perte totale, et la consommation de mon mariage : car ce mariage divin ne peut être consommé que la perte totale ne soit arrivée. Chapitre cinq verset six.
Dès que l’âme commence de recouler en son Dieu comme un fleuve dans son origine, elle doit être toute perdue et abîmée en lui. Il faut même alors qu’elle perde la vue aperçue de Dieu, et toute connaissance distincte, pour petite qu’elle soit : (a) il n’y a pas plus de vue ni de discernement où il n’y a plus de division ni de distinction, mais un parfait mélange.
Par la consommation du mariage, elle est recoulée en Dieu, et se trouve perdue en lui, sans pouvoir se distinguer ni se retrouver. La vraie consommation du mariage fait le mélange de l’âme avec son Dieu si grand et si intime, qu’elle ne peut plus se distinguer ni se voir.
La consommation du mariage ne se fait que lorsque l’âme est tellement fondue, anéantie et désappropriée, qu’elle peut toute sans réserve s’écouler en son Dieu. Alors se
(a) Nous voyons ce qui est distincte de nous ; mais non ce qui est en nous.
134 fait cet admirable mélange de la créature avec son Créateur, qui les unit en unité, pour ainsi parler, quoiqu’avec une disproportion infinie, tel qu’est celle d’une goutte d’eau avec la mer, en ce que quoiqu’elle soit devenue mer, toutefois elle est toujours une petite gouttelette, bien qu’elle soit proportionnée en qualité d’eau avec toute la mer, et propre à être mélangée et ne faire plus qu’une mer avec elle. Chapitre six verset quatre.
L’épouse est l’unique de sa mère, en ce qu’ayant perdu toute la multiplicité de sa nature, elle se trouve seule et séparée de tout ce qui est naturel. Là même verset 8.
Depuis, dit-elle, que l’ardent amour de mon Bien-aimé m’a entièrement dévorée, j’ai été si fort perdue en lui, que je ne puis plus me retrouver. Chapitre sept versets 10.
Tout ce qui se dit de cette ineffable union, s’entend avec toutes les différences essentielles entre le Créateur et la créature, quoiqu’avec une parfaite unité d’amour et de recoulement mystique en Dieu seul.
Elle ne craint plus de le perdre, puisqu’elle est non seulement unie, mais changée en lui. Verset 11.
O avantage admirable de la perte des appuis créés ! On reçoit en échange Dieu seul pour appui. Chapitre huit verset cinq. 135.
Si l’homme a eu assez de courage pour abandonner tout ce qu’il possédait, et tout son soi-même, afin d’avoir cette pure charité, qui ne s’acquiert que par la perte de tout le reste ; il ne faut pas croire qu’après un effort si généreux pour acquérir un bien qu’il estime plus que toutes choses, et qui effectivement vaut mieux que tout l’Univers, il vienne ensuite à le mépriser, jusqu’à reprendre ce qu’il avait quitté. La même verset sept.
AUTORITÉS.
2. Voyez Foi nue. n.4.
4.Voyez Anéantissement n. 3.
5.Voyez Anéantissement n. 4.
6.Voyez Anéantissement n. 6.
7. Ici l’esprit se perdant lui-même, passe plus avant par le cercle de la Divinité éternelle, et s’élève à une riche perfection, qui consiste en ce que n’étant plus chargé du poids des vices, il monte par la vertu divine dans une intelligence lumineuse, où il reçoit un écoulement continuel des consolations célestes. Dialogue de la vérité, chapitre 21.
8. Voyez Opérations de Dieu n. 4.
9. Là il ne reste plus l’esprit aucune pente à l’activité et à l’effort ; parce que le principe et la 136 fin sont devenus une même chose, et que l’esprit en sortant de lui-même est devenu un avec Dieu. Chapitre 21.
10. Il y a 3 ruisseaux qui sortent de Dieu comme de leurs sources, dont le premier efface les images et les espèces de la mémoire, le second absorbe par sa splendeur les lumières de notre entendement, et l’élève au-dessus des révélations et des ravissements, le 3e perd etconsume la volonté par son ardeur. Livre II des Noces spirituelles. Chapitre 36. Etc.
11. Étendez mon cœur, afin qu’il vous aime, et que j’apprenne par un goût intérieur et spirituel, combien il est doux de vous aimer, et de nager et comme se perdre heureusement dans l’océan de votre amour. Livre 3 chapitre 5 paragraphe 6.
12. Voyez Propriété, n. 6.
13. La foi me semble toute perdue et l’espérance morte ; parce qu’il me semble que je tiens et possède ce que je croyais et espérais. Je ne vois plus d’union, etc. (Voyez Transformation. n.8.) Vie chapitre 22.
14. Voyez Volonté de Dieu. n.16.
15. Qui ne perd son entendement naturel, ne peut avoir cette lumière surnaturelle ; par ce que quand notre entendement naturel la cherche, notre imperfection l’accompagne. Dieu nous laisse chercher tant que nous pouvons, et enfin il nous conduit à connaître notre imperfection ; laquelle étant connue, Dieu nous donne cette lumière surnaturelle, qui jette l’entendement par terre ; lequel étant abattu ne cherche plus rien en lui-même ; mais il dit à Dieu : Vous êtes mon intelligence, 137 je ne saurai plus que ce qu’il vous plaira que je sache, et je ne me donnerai plus de peine à chercher aucune chose ; mais je demeurerai dans ma paix avec votre intelligence, de laquelle mon esprit est occupé. Vie chapitre 31.
16. Voyez Anéantissement. n.12.
17. Voyez Opérations propres. n.9.
18. Voyez là même. n.11.
19. Par cette goutte gracieuse l’âme demeure plongée en cette suavité d’amour, elle ne peut et ne fait opérer aucune chose : mais elle est perdue en elle-même, et aliénée de toute créature, et demeure contente au fond de son cœur. Dialogue livre 3 chapitre 3.
20. Voyez Opérations propres. n.12.
21. Je ne sais plus vous je suis ; j’ai perdu le vouloir, le savoir, la mémoire, l’amour, et toute faveur. Je ne puis donner raison de moi-même. Je suis demeurée perdue, et je ne puis voir où je suis : je ne puis chercher et encore moins trouver aucune chose.
O. si je pouvais trouver des termes propres pour exprimer cette amitié suave et divine, et cette union perdue ! Je dis perdue à l’égard de l’homme ; car il a perdu tous les termes d’amour, d’union, d’anéantissement, de transformation, de douceur, de suavité, de bénignité, et enfin toutes les paroles par lesquelles se peuvent comprendre et unir deux choses si séparées : il reste seulement un esprit nu et operatif sans mélange, qui même ne se peut comprendre. Dialogue livre 3 chapitres 11.
22. Je manquais à ne mettre pas toute ma confiance en Dieu, et en ce que je ne perdais pas entièrement celle que j’avais en moi. Je cherchais 138 des remèdes et faisait des diligences : mais je n’entendais pas que tout sert de peu, si nous ne perdons entièrement les appuis de notre propre confiance, pour la mettre toute en Dieu. Vie chapitre 8.
23. Quand cette purification vient saisir plus intimement l’âme, il ne faut pas s’étonner, s’il semble derechef à l’âme, qu’elle a perdu toutes sortes de biens. Obscure nuit. Livre 2. chapitre 10.
24. La raison pourquoi l’âme non seulement marche sûrement lorsqu’elle est en ces ténèbres, mais aussi avec plus de gain et plus de profit, c’est par ce que communément, quand l’âme reçoit de nouveau quelque mélioration et qu’elle va profitant, c’est par où elle entend et pense le moins : au contraire, par où elle voit fort ordinairement qu’elle se perd. Car n’ayant jamais expérimenté cette nouveauté qui l’éblouit, et la fait égarer de sa première façon de procéder, elle croit plutôt être perdue que profiter et être en bonne voie, comme elle voit qu’elle se perd touchant ce qu’elle savait et goûtait, et qu’on la mène par où elle ne sait et ne goûte : de même que le voyageur, lequel pour aller à des terres étrangères et inconnues, va par des chemins nouveaux et inconnus dont il n’a aucune expérience, sur la parole d’autrui et non sur ce qu’il en savait. Car il est évident qu’il ne pourrait jamais arriver à des terres inconnues que par des chemins nouveaux et inconnus, et laissant ceux qu’il savait. Aussi l’âme en cette façon, lorsqu’elle profite davantage, elle marche en obscurité et sans savoir. Dieu donc étant maître et conducteur de cette aveugle, de l’âme, elle peut 139 bien, maintenant qu’elle le connaît, se réjouir et dire : à l’obscur, mais hors de danger.
Il y a aussi une autre raison pourquoi l’âme marche sûrement en ces ténèbres, à savoir parce qu’elle marche en souffrant. Car le chemin de pâtir est plus obscur et plus profitable que celui de jouir et de faire ; tant parce que dans la souffrance Dieu lui ajoute des forces, et à faire et à jouir l’âme exerce ses faiblesses et ses imperfections ; qu’aussi parce qu’à pâtir on exerce et acquiert les vertus, on purifie l’âme, et on la rend plus sage et plus avisée. Mais il y a ici une autre cause principale, pourquoi l’âme marchant en obscurité, va sûrement, qui est de la part de ladite lumière ou sagesse obscure : car cette obscure nuit de contemplation l’absorbe et l’imbibe en soi de telle sorte, et la met si près de Dieu, qu’il la protège et délivre de tout ce qui n’est pas Dieu. Obscure nuit livre 2 chapitre 16.
25. Voyez Purification. n.46.
26. Le monde, le diable, ni la chair ne l’oseraient attaquer ; d’autant que l’âme étant libre et purgée de toutes ces choses, et unie à Dieu, pas une d’elle ne la peut inquiéter. De là vient qu’elle jouit déjà en cet état d’une suavité et tranquillité ordinaire ; laquelle presque jamais elle ne perd et qui jamais ne lui manque. Cantique entre l’épouse et l’époux. Couplet 16.
27. L’âme perd l’acte et la mémoire de toutes les choses en cet absorbement d’amour, et ceci pour 2 causes : l’une, parce que comme elle demeure actuellement absorbée et imbue de ce breuvage d’amour, elle ne peut être actuellement en une autre chose ; l’autre, parce que cette transformation Dieu la conforme de telle manière avec sa simplicité et pureté, qu’elle la 140 laisses nettes, pure et vide de toutes les formes et figures qu’elle avait auparavant. La même. Couplet 18.
28. L’âme parlant aux gens du siècle, leur dit, que si elle ne se trouve plus dans tels entretiens, qu’ils croient qu’elle a fait banqueroute et s’est perdue à toutes ces choses. Vous direz que vraiment je me suis perdue. Celui qui aime ne rougit pas devant le monde de ce qu’il fait pour Dieu, et ne cache pas ses œuvres par honte ou vergogne, encore que tout le monde les doive condamner : car celui qui aura honte de confesser le Fils de Dieu devant les hommes, laissant l’exercice des bonnes œuvres, le même Fils de Dieu, comme il le dit en saint Luc (a Luc 9 verset 26), aura honte de le confesser devant son Père. Et partant l’âme, avec un esprit et courage d’amour, se prise et se glorifie plutôt qu’on sache pour la gloire de son Bien-aimé, qu’elle fait une telle œuvre pour son amour, à savoir, qu’elle s’est perdue à toutes les choses du monde. Peu de spirituels parviennent à cette hardiesse et détermination si parfaite dans les œuvres : car bien que quelques-uns pratiquent cette façon de procéder, et même qu’il y en ait qui se tiennent pour fort avancés, si est-ce que jamais ils n’achèvent de se perdre en certain points, soit du monde, soit de la nature, pour faire les œuvres parfaites et pures pour Jésus-Christ, sans regarder à ce qu’on dira ou à ce qu’il semblera ; et ainsi cela ne pourront pas dire : vous direz que vraiment je me suis perdue, puisqu’ils ne sont pas perdus à eux-mêmes dans leurs œuvres. Ils ont encore honte de confesser Jésus-Christ devant les hommes par leurs actions ; ils ne vivent 141 pas véritablement en lui, puisqu’ils ont égard à d’autres choses. Cantique entre l’épouse et l’époux. Couplet 21.
29. Le véritable amoureux se perd incontinent à tout, pour se trouver en ce qu’il aime : et pour ce sujet l’âme dit ici, que d’elle-même elle se perdit, ce qui est se laisser perdre exprès. Et ceci arrive en 2 manières. Premièrement se perdant à soi-même, ne faisant aucun cas de soi en aucune chose, mais seulement de l’ami ; se livrant à lui gratuitement sans regarder à aucun intérêt ; se perdant volontairement et ne se voulant gagner en rien pour soi-même. Secondement se perdant à toute chose, le tenant compte d’aucune des siennes, mais seulement de celle qui touche son Ami. Et c’est là se perdre, qui est d’avoir envie d’être gagné.
(*) Telle est celui qui est vraiment épris de l’amour de Dieu, lequel ne prétend pas de profil ni de récompense, mais seulement de perdre (a) volontairement tout est soi-même pour l’amour de Dieu, ce qu’il tient pour son propre gain. Et il est ainsi selon le dire de saint Paul (b) ; je gagne à mourir, c’est-à-dire, mourir pour Jésus-Christ spirituellement à toute chose et à soi-même, c’est mon gain. C’est pourquoi l’âme dit : Je me gagnai. Car celui qui ne sait pas se perdre ne se gagne pas ; au contraire, il se perd, selon que notre Seigneur le dit dans l’Évangile : (c) qui voudra sauver son âme, la perdra ; et qui voudra perdre son âme pour l’amour de moi, la sauvera. Et si nous voulons entendre les Vers
(a) Perte volontaire. Voyez l’explication du Livre des Juges chapitre 5 verset 15.
(b) Phil. Un verset 21.
(c) Mathieu 16 verset 25.
(*) Justice de Dieu II, 4.
142 susdits plus spirituellement et plus à propos pour ce qui se traite ici, il faut savoir que dans la vie spirituelle, lorsqu’une âme est parvenue à tel point que de se perdre suivant tous les moyens et voies naturelles de procéder en la communication avec Dieu, et que déjà elle ne le cherche plus par les considérations, ni par les formes ou sentiments, ou autres moyens des créatures et du sens, mais qu’elle passe par-dessus tout cela, et par-dessus toutes ces façons et manières, traitant avec Dieu et jouissant de lui en foi et en amour ; alors on dit qu’elle s’est véritablement gagnée à Dieu, parce qu’elle s’est véritablement perdue à tout ce qui n’est pas Dieu. La même. Couplet 21.
30. Rusbroche. La 4e propriété, par laquelle la simplicité de notre esprit est possédée de Dieu éternellement, est son (a) existence essentielle au-dedans de nous ; laquelle propriété nous tire aussi au-dedans. Car elle nous attire au-dedans de soi et nous fait égarer de nous-mêmes dans une obscurité inconnue, et infinie et abyssale
(a) Ceci a rapport à la présence de Dieu en nous. Il est à remarquer une chose de conséquences, qui est, que toutes les propositions sont tellement mélangées l’une avec l’autre, et si fort dépendantes les unes des autres, que la vérité de l’une est une conséquence de l’autre. C’est comme une enchaînure de l’une à l’autre. Il faut ou nier tout à fait l’état intérieur, ou les admettre toutes ; par ce cas les unes sont le commencement, les autres le milieu, d’autres la fin et la consommation du même état ; les uns sont comme les principes ; et les autres comme la conséquence des mêmes principes. 143
où nous nous perdons dans une solitude déserte et très vaste. Or en nous perdant nous-mêmes nous trouvons la béatitude, et en trouvant nous élisons, et en élisant nous sommes élus ; et entre cet élire et être élu naît l’innocence, qui est la 4e propriété, dans laquelle toutes les vertus se commencent et se consomment. Car par l’innocence nous sommes tellement plongés en notre élection, et si fortement épris d’amour en Dieu, si serrés et si embrassés de lui, que nous ne pouvons, ni ne voulons, ni ne savons autre chose, sinon de demeurer en lui avec cet amour durant toute l’étendue de l’éternité, ce qui nous rend simples et libres en toute notre essence et en tous nos actes. (Tabernacle de l’alliance, chapitre 19.) Éclaircissements des phrases mystiques partie 2 chapitre 12 § 3.
31. Denis le Chartreux. En cette transformation de l’esprit en Dieu, l’esprit même s’écoule de soi et défaut, et se laissant avec toute la propriété de soi-même et des autres choses, il est plongé et enfoncé, fondu et liquéfié, absorbé et abîmer en cet abîme surineffable, très simple et interminable, et aussi en cette obscurité inscrutable et inaccessible ; et afin de comprendre tout ensemble, il est anéanti et perdu : mais il vit en Dieu ; et étant avec lui nu, pur et libre de toute propriété, mélange et affection, il est fait une chose, un esprit, une âme, un être, une félicité ; car il ne reçoit et n’admet autre chose. Parce qu’il a passé en la simplicité déiforme, l’influence de Dieu le tirant intérieurement, et le contact le surélevant aliène l’âme de soi, et la transporte comme dans un être nouveau : non pas qu’en tout ceci la nature ou l’existence de la créature soit changée ou cesse d’être, mais parce 144 que la façon est exaltée et la qualité déifiée. (De la vie solitaire, livre de chapitre 10) la même chapitre 16 paragraphe 4.
32. Ce mot écoulement contient 2 choses, à savoir la mort et la vie, ou bien la perte et le gain ; parce qu’en tant que la ferveur coule hors de l’âme, elle s’assoupit et meurt, s’évanouit et se perd : mais en tant qu’elle s’écoule en Dieu, elle s’augmente davantage, et vit plus que jamais. Règles de la perfection, livre 3, chapitre 5.
34. Voyez Opérations propres. n.27.
35. Voyez Abandon. n. 24.
36. Au reste tous ceux qui pensent être véritablement en leur degré, ne le sont pas. Il s’agit ici de mort et de mourir ; et plusieurs n’y veulent pas passer. Ils ne sont pleins que d’eux-mêmes, et de leurs réflexions, justifications et propres recherches. Ils disent que personne ne veut et même ne peut être fidèle, pensant avoir bien couvert par ce moyen leur infidélité et non vouloir. Si bien qu’il faut confesser qu’il n’y a rien en ces fonds-là, puisqu’ils ne veulent pas sortir d’eux-mêmes par la mort et perte sensible, pour pouvoir être perdus en Dieu. Que s’ils y étaient entrés par vérité de mort, ils n’en voudraient jamais sortir par la moindre relâche de leur fidélité active ou passive. Enfin il ne s’outrepasseront jamais ; et gisant dans leur sphère naturelle, ils demeureront affamés les mains à la bouche, vides de Dieu, toujours languissants, et défectueux dans leur sens et contentement actif : ils ignoreront toujours ce que c’est, que la jouissance 145 de tout bien qui est en Dieu infini. Car cette jouissance ne se communique qu’après la totale transfusion de la créature en tout Dieu : alors toutes les (a) vicissitudes de la vie humaine demeurent au-dehors ; je dis, en tant que contraire au bien-être humain, quoiqu’elle soit très conforme au bien-être divin de la créature perdue en tout Dieu. Esprit du Carmel, chapitre 13.
(a) il y a plus de vicissitudes dans le fond qui demeure immobile en Dieu au-dessus des sentiments.
37. Voyez Consistance. n. 38.
38. Leur vie est toute perdue quant à eux-mêmes, et si parfaitement et si entièrement à Dieu en tout événement de mort, tant grand que petit, qu’ils ne savent s’ils vivent à eux ou à Dieu ; qui est une vérité d’infinie étendue. La raison de cela est, que l’amour et l’humilité leur ôtent toute réflexion, les occupants et les perdants toujours de plus en plus en Dieu, où ils sont et vivent sans distinction de discernement de ce qu’ils font ou ne font pas, de ce qu’ils sont ou ne sont pas. Ainsi ils vaquent incessamment au devoir de l’amour réciproque, sans croire ni penser qu’ils y satisfassent. Esprit du Carmel, chapitre 14.
39. Il ne faut rien désirer de précieux, de beau, de bon, de meilleur, d’excellent, de haut, ni même de saint, en un bon sens : tout cela n’est que curiosité et gibier de nature. Il faut se perdre en vérité, et ne s’attacher qu’à Dieu seul, et non à aucun de ses dons, tel qu’il soit, ayant une continuelle horreur de soi-même. Car tout appétit et toute attache à quoi que ce soit, même à la pénitence et à la sainteté, affecte la nature d’elle-même, et la porte à se satisfaire, et non pas à 146 Dieu, quoiqu’il lui semble contraire. La même. Chapitre 19.
40. Voyez Abandon. n.26.
41. L’âme abonde la de tous les biens et richesses de très haut esprit, au total de l’amour a créé, ou étant perdu, elle ne réfléchit plus sur les choses humaines et basses, non pas même sur les effets qui précèdent celui-ci. Esprit du Carmel, chapitre 22.
42. Dieu y est goûté et savouré en lui-même, en l’ineffable sentiment et goût de sa propre éternité toute présente, qui n’admet ni le temps ni la sortie. C’est la que tout est fondu et perdu ; et cependant tout ce qui reste de l’homme à remplir, demeurent pleinement et totalement assujetti à l’esprit, qui le tire toujours secrètement à soi, et opère au-dehors amoureusement selon l’ordre et l’exigence son devoir. Mais, ô bon Dieu, de qui et de quoi parlons-nous ici ? Vu qu’à peine connaît-on personne qui veuille en se perdant incessamment, se laisser polir et façonner par les attouchements fréquents de sa divine Majesté. La même, chapitre 23.
43. L’âme étant perdue entièrement à ses sens et à leurs opérations, demeure très-esprit selon sa propre substance, laquelle étant très pénétrée de ce feu de gloire (s’il m’est permis de l’appeler ainsi,) n’a plus d’autre vie que la vie du même feu qui la dévore. Cabinet mystique, partie 1 chapitre 3.
44. Voilà ce que notre âme va suivant éternellement : c’est là qu’elle se perd sans ressource, et n’en sort jamais, ni n’en saurait sortir. La même, chapitre 4.
45. Il y a 6 degrés d’illumination, par lesquels on devient souverainement esprit par l’entière 147 pertes et abandonnement de tout soi, selon l’ordre de tous ces degrés. Il se trouve peu de personne qui se veuillent donner en proie et en abandonnement entier et parfait jusqu’à l’extrémité : c’est pourquoi on voit si peu de spirituels, d’autant qu’ils ne veulent pas surpasser le sens, ni l’excellence des dons sensibles de Dieu en eux-mêmes ; si bien que ce n’est que feintes, que désordres d’esprit, que toute recherche et misère. Les (a) filles pour l’ordinaire y ont bonne part, et beaucoup d’hommes aussi, qui n’habitent ailleurs qu’en eux-mêmes, en perpétuelles réflexions et recherches, n’ayant jamais ni paix ni repos dans leur cœur. Miroir de conscience, traité I. n. 39.
(a) il est certain que les hommes sont beaucoup plus droits que les filles, et qu’ils se cherchent moins.
46. Quant à ceux qui s’abandonnent vraiment à Dieu, il faut qu’ils se donnent bien gardes des subtiles attaches de la nature ; puisque cela les empêche de voler purement en Dieu, dans lequel ils se doivent perdre irrécupérablement, comme au lieu de leurs souverain et objectif centre et repos. Il faut donc être vraiment mort à tout le sensible, afin de sentir simplement et conformément au très simple fond. Là même n. 40.
47. Or la force divine doit être grande aux spirituels, qui en quelque état qu’ils se puissent trouver, ne veulent jamais plus savoir ce que c’est que réfléchir sur eux-mêmes ni sur les choses créées. Elle doit aussi être grande en ceux qui se surpassant toujours très fortement eux-mêmes, se placent et s’établissent, non tellement quellement en leur fond essentiel, mais en Dieu ; dans lequel ils se plongent et se perdent de plus en plus, et y 148 demeurent immobilement arrêtés : où ils sont faits et devenus lui-même en son tout. * C’est ici que sortent tout le lustre et tout le bien de ces épouses, dans la conversation de ceux qui sont capables de les connaître, et de les discerner telle qu’elles sont en leur excellence. Que si quelques petits manquements paraissent en elles, cela, quoique contraire à leur fond, et ces faiblesses sont le sujet de leur douleur, de leur renonciation, de leur mort, et de leur très profonde humilité. Miroir et flammes de l’amour divin. Chapitre un.
48. Ah, que cette vie si douce est inconnue aux hommes, à ceux mêmes qui s’exercent en de grandes choses, mais seulement pour leur propre vie ! Car cette vie propre est en plusieurs personnes qui s’exercent aux exercices de charité, lesquelles se délectent à faire de bonnes œuvres extérieures, pour aider le prochain dans ses nécessités : et quoique la vie active en sa perfection soit autant spirituelle que corporelle, et ne laisse pas d’être agréable à Dieu, et profitable à ceux qui la pratiquent ; néanmoins ces personnes-là fourmillent de propres attaches d’esprit au fait même de leur propre bien, qu’elle désire plus ou moins avec propriété, quoiqu’elles ne le connaissent pas. La même, chapitre 2.
49. Non, non ; je ne vois, ô ma vie, ni passé ni futur ; étant présentement vous-même, comme je suis, et devenue amoureuse de l’amour en l’amour que vous êtes en vous et en moi ; toute perdue en vous d’amour en amour, mais possédé de l’amour et possédant l’amour, je suis en vous sans connaissance essence science, et je n’en veux pas pour moi : par cela même que je suis
* Communications. Paragraphe II, n.11.
149 en ce que vous êtes ce que vous êtes, je suis totalement ignorante. Soliloque. 3.
50. Quel moyen y’a-t-il que ceux qui sont ainsi plongés et perdus dans ces abîmes, en veuillent sortir, et désirer de retourner aux choses créées ? Non, mon cher amour, cela ne sera pas. L’amour mutuel et réciproque de 2 si intimes amants, non seulement ne le permet jamais ; mais il abhorre infiniment ce retour, y alla-t-il de la vie et de tout le bien-être de votre épouse. Contemplation. 17.
51. Voyez Abandon. n. 32.
52. Le gain et l’abondance doivent céder à la perte et à l’abandon. Mais comme vous n’êtes pas entré mystiquement dans ce désert, quoiqu’il vous semble le contraire, vous ne savez pas par expérience ce que c’est. Comme donc vous ne voulez pas vous perdre ni vous employer à une meilleure poursuite, vous demeurez dans un état grandement imparfait, en comparaison de celui de l’homme entièrement déifié. Lettre 63.
53. Il me semble que notre Seigneur désire si fort, que notre intérieur soit perdu dans le sien, pour être en lui et avec lui tout ce qu’il est à Dieu, que je ne le puis exprimer. Et quoique depuis qu’il m’a engagé au vœu d’hostie vivante à Dieu son Père, il m’ait obligé de vivre toujours en cet esprit, et de me perdre universellement en ses dispositions intérieures envers toutes choses ; je me trouve maintenant si efficacement établi en lui par son amour et par sa puissance, et si porté à vivre en lui à Dieu, pour être, opérer, et souffrir en la manière qui lui plaît, qu’il me semble 150 que je ne puis être autrement en ses bonnes grâces. Lettre 148.
54. Autant que l’on quitte la terre et tous ses sentiments, autant Dieu prend plaisir d’élever l’âme à lui, et de la mettre en liberté, lui faisant respirer la sérénité de la foi, et lui montrant la beauté et la vaste étendue de ses perfections, où l’âme doit entrer au sortir d’elle-même et de tout ce qui l’appuyait en marchant sur la terre. Il y a bien longtemps que je vous ai dit, et que Dieu même vous a fait voir l’état des (a) âmes pures en l’Église, qui vous paraissaient élevées et séparées de tout l’humain, qui semblaient vivre en l’air, et n’être soutenues, environnées ni possédées que de l’être divin. C’est cet état de foi qui retire et dégage esprit de tout, qui va toujours purifiant et consommant en la vertu de la charité tout ce qui n’est pas Dieu dans l’âme, et qui la met dans une telle sainteté, que Dieu la trouve en état d’être tout abîmée en lui. Ce divin Tout (b) ne peut rien souffrir en soi qui ne soit 3 fois saint, c’est-à-dire parfaitement purifié de tout sentiment, soit vicieux, soit naturel, soit même de ce qui se mêle d’impur dans le divin. C’est pourquoi après s’être séparé de tout ce qui est de grossier, il reste encore à s’abstenir des recherches de soi-même en Dieu, et des sentiments qui accompagnent ses premières faveurs. Car ces recherches et ces sentiments tenant du grossier et du sensible, ils revêtent et environnent l’âme comme d’une robe et d’un vêtement, qui l’empêche d’être dans son fonds unie si intimement et si purement à Dieu, en quoi consiste uniquement la souveraine perfection. C’est pour cela
(a) Vrai esprit de l’Église.
(b) admirable.
151 que notre Seigneur disait : mon Père est esprit, et il veut des adorateurs qui soient esprit pour être unis à lui en vérité. Lettre 155.
55. Je souhaite toujours que vous soyez bien fortifiée en la vertu du Saint-Esprit : et je désire de tout mon cœur de vous voir animée et revêtue d’une foi vigoureuse et puissante, d’une foi vive et ardente de charité, qui vous dirige en tout. C’est proprement ce que vous aperçûte dernièrement par grâce spéciale, lorsque vous vîte avec tant de joie (a) 2 âmes vivantes divinement dans l’Église. La même.
(a) O. Seigneur, faites en beaucoup de cette sorte.
56. Heureuse une âme qui est intimement unie à Jésus-Christ, et qui est converti en cet époux du cœur ! Par lui on est en Dieu, et on est perdu dans le sein du Père, où l’on se noie et l’on s’abîme soi-même heureusement. Là on est en solitude, en pureté, en sainteté ; là on ne peut souffrir de créature, on n’a plus soif de rien, et on ne veut plus que ce divin Tout ; là on est rassasié de ce Tout adorable qui remplit (b) tout désir ; on cherche d’être au Tout et d’y être uniquement ; et on évite ce tout malheureux qui nous vide de Dieu, et nous empêche de le posséder paisiblement. Ce vrai Tout fait voir et ressentir intérieurement à l’âme la jalousie qu’il a pour la tenir à lui tout seul, pour ne la pas laisser sortir de lui, pour empêcher qu’elle ne s’épanche en d’autres choses, qui la tirerait hors de cette solitude intérieure, où elle doit être uniquement occupée de lui. Quand votre âme sera toute en Dieu, il faudra lui parler d’une manière que fait notre Seigneur ; mais il faut en attendant travailler à notre retour en Dieu, et à notre parfaite consommation. Lettre 245.
(b) Les désirs sont remplis, c’est pourquoi l’on ne désire plus.
57. Sœur Marie Rosette. Voyez Non-désir. n.47.
Le grand moyen de devenir parfait est de marcher en la présence de Dieu. Il nous le dit lui-même (a) : marchez en ma présence, et soyez parfaits. L’oraison peut seule vous donner cette présence, et vous la donner continuellement. -- —
Rien n’est plus aisé que d’avoir Dieu, et de le goûter. Il est plus en nous que nous-mêmes. Chapitre I.n.3.5.
(a) Gen. 17. v.1.
Après s’être mis en la présence de Dieu par un Acte de Foi vive, il faut lire quelque chose de substantiel. -- —
Il faut que la Foi vive de Dieu présent dans le fond de nos cœurs, nous porte à nous enfoncer fortement en nous-mêmes, recueillant tous les sens au-dedans, empêchant qu’ils ne se répandent au-dehors : ce 153 qui est un grand moyen dès l’abord de se défaire de quantité de distractions, et de s’éloigner des objets du dehors, pour s’approcher de Dieu, qui ne peut être trouvé que dans le fond de nous-mêmes, et dans notre centre. -- — Saint Augustin s’accuse lui-même du temps qu’il a perdu, pour n’avoir pas d’abord cherché Dieu de cette manière. Chapitre 2. n.2.
Mais comme j’ai dit que l’exercice direct et principal doit être la vue de la présence de Dieu ; ce qu’on doit faire le plus fidèlement, c’est de rappeler ses sens lorsqu’ils se dissipent.
C’est une manière courte et efficace de combattre les distractions : parce que ceux (a) qui veulent s’y opposer directement les irritent et les augmentent ; au lieu que s’enfonçant par la vue de foi de Dieu présent, et se recueillant simplement, on les combat indirectement et sans y penser ; mais d’une manière très efficace. Là même.n.4.
(a) Ceci a été prouvé aux Distractions.
Il faut commencer par un acte profond d’adoration et d’anéantissement devant Dieu ; et là tâchant de fermer les yeux du corps, ouvrir ceux de l’âme : puis la ramasser au-dedans, et s’occupant directement de la présence de Dieu par une foi vive que Dieu est en 154 nous, -- — les tenir le plus qu’il se peut captifs et assujettis. Chapitre 3.n.1.
Si en faisant son acte de foi, l’âme se sent un petit goût de la présence de Dieu, qu’elle en demeure là, sans se mettre en peine d’aucun sujet, ni de passer outre ; et qu’elle garde ce qui lui est donné tant qu’il dure. S’il s’en va, qu’elle excite sa volonté par quelque affection tendre. Chapitre 4. n.2.
L’âme par le moyen du recueillement se tourne toute au-dedans d’elle, pour s’occuper de Dieu qui y est présent.
Si elle tourne toute sa vigueur et sa force au-dedans d’elle, elle se sépare des sens par cette seule action. Chapitre 10. n.2.
Suivant seulement l’attrait intérieur, et s’occupant de la présence de Dieu, sans penser en particulier à la mortification (a) Dieu lui en fait faire de toutes sortes. La même. n.3.
(a) Ceci a été vu dans les Mortifications.
L’âme fidèle qui s’exerce, comme il a été dit, dans l’affection et dans l’amour de son Dieu, et tout étonné qu’elle sent peu à peu, qu’il s’empare entièrement d’elle.
Sa présence lui devient si aisée, qu’elle ne pourrait pas ne la pas avoir : elle lui est donnée par habitude. Chapitre 12.n.1.
C’est ici que la présence de Dieu durant le jour, qui est le grand fruit de l’oraison, 155 ou plutôt la continuation de l’oraison même, commence d’être infuse et presque continuelle. L’âme jouit dans son fond d’un bonheur inestimable. Elle trouve que Dieu est plus en elle qu’elle-même.
Elle n’a qu’une seule chose à faire pour le trouver, qui est de s’enfoncer en elle-même. Sitôt qu’elle ferme les yeux, elle se trouve prise et mise en oraison.
Elle est étonnée d’un si grand bien ; et il se fait au-dedans d’elle une conversation que l’extérieur n’interrompt pas. Chapitre 13. n.1.
La couche est le fond de l’âme. Lorsque Dieu est là, et qu’on sait demeurer auprès de lui, et se tenir en sa présence, cette présence de Dieu fait fondre et dissoudre peu à peu la dureté de cette âme ; et en se fondant, elle rend son odeur. Chapitre 20. n.2.
L’époux sacré est toujours dans le centre de l’âme qui lui est fidèle : mais il y demeure si caché, que celle qui possède ce bonheur l’ignore presque toujours ; excepté certains moments, où il lui plaît de se faire sentir à l’âme amoureuse, qui pour lors le découvre en soi d’une manière intime et profonde. Chapitre I. Verset II.
156 L’âme voyant que l’époux ne lui accorde pas une grâce à laquelle elle s’attendait, après la lui avoir accordée dans un temps où elle ne l’espérait pas, est étonnée de cette si dure absence. Elle cherche dans le fond d’elle-même, qui est son petit lit, et pendant la nuit de la foi : mais hélas, elle est bien surprise de ne l’y plus trouver ! Elle avait quelque raison de l’y chercher ; puisque c’est là qu’il s’était découvert à elle, et qu’il lui avait donné le plus vif sentiment de ce qu’il est, qu’elle ait encore éprouvé.
Mais, ô Amante, vous n’avez garde de trouver là votre époux ! Ne savez-vous pas, qu’il vous a conjurée de ne le plus chercher en vous, mais en lui-même ? Ce n’est plus hors de lui que vous le trouverez. (a) sortez
(a) [très longue note] Pour bien comprendre ceci, il faut expliquer de quelle manière se fait la sortie de soi ; parce que les personnes, qui n’ont pas l’expérience de ce qui est avancé ici, pourraient dire, que puisqu’il faut une fois cesser de chercher Dieu en soi pour le trouver en lui-même, il est bien plus à propos de l’y chercher tout d’un coup, que de commencer à le chercher en soi, et que c’est allonger le chemin, au lieu de le raccourcir, comme je l’ai dit ailleurs. Mais on se méprendrait beaucoup ; parce que celui qui n’est pas vraiment intérieur, cherchant Dieu en Dieu même, le cherche comme quelque chose fort distinct de soi et comme au-dehors ; il le cherche même au ciel : cela fait qu’au lieu de devenir intérieur 157 et de ramasser, comme faisait David (psaume 58, verset 10) toutes les forces de son âme, pour s’appliquer à Dieu, on dissipe ces mêmes forces : comme l’on voit des lignes fort petites et dispersées se rassembler, et se fortifier en se rassemblant au point central, et par un effet contraire s’affaiblir et se disperser d’autant plus qu’elles s’éloignent du centre. Il en est de même des forces de l’âme, soit de la force pour connaître, soit de la force pour aimer : plus elle est ramassée en elle-même et dans son centre, plus elle a de force et de vigueur pour connaître et aimer. Et comme ces mêmes lignes qui sont fort divisées deviennent indivises dans ce point central ; aussi toutes les fonctions de l’âme si diverses et distinctes hors du centre, se rassemblant toutes, ne sont plus qu’un seul point d’unité indivise, quoique non pas indivisible. Il en est de même de l’âme ; toutes ses forces étant dans cette unité, parce qu’elles y sont assemblées, elle a une vigueur admirable pour Dieu. Et il est de conséquence de prendre ce chemin ; car plus l’âme se recueille et demeure recueillie, plus elle approche de l’unité ; comme l’on voit peu à peu les lignes se rapprocher, et se joindre enfin insensiblement, plus elles approchent de leur point central, et être d’autant plus divisées et séparées qu’elles s’en éloignent davantage. Ceci supposé je dis qu’il faut donc, pour devenir intérieur et spirituel, commencer à chercher Dieu en soi par le recueillement, sans quoi on ne parvient pas à l’unité centrale. Mais lorsqu’on y est parvenu, c’est alors qu’il faut sortir de soi, non en se multipliant au-dehors et retournant d’où l’on est venu ; mais en 158 se surpassant soi-même, ou s’outrepassant pour entrer en Dieu. Car cette sortie de soi ne se fait pas par le même chemin par lequel on est arrivé au recueillement ; mais comme en se traversant soi-même, pour ainsi parler, passant au-delà de soi, du centre créé dans le centre incréé qui est Dieu. Comme une personne arrivée à un lieu borné où il doit arriver nécessairement, ne retournerait pas sur ses pas pour en sortir, mais passe outre par le chemin qu’il trouve ouvert : ainsi sortir de soi c’est s’outrepasser. Et comme en arrivant au centre, qui est nous-même, il nous a fallu faire d’autant plus de chemin que nous étions plus extérieurement dissipés et éloignés du centre ; aussi plus on s’outrepasse soi-même, plus s’éloigne-t-on de soi de vue et de sentiment ; comme celui qui ayant fait beaucoup de chemin pour arriver à une hôtellerie, en fait ensuite beaucoup d’autres par delà et s’en éloigne d’autant plus qu’il marche davantage. Sitôt que nous sommes arrivés à notre centre, nous trouvons Dieu, et nous sommes invités, comme je l’ai dit, à sortir de nous-mêmes en nous outrepassant ; et alors nous passons en Dieu même très réellement. Car c’est alors qu’il se trouve vraiment où nous ne sommes plus ; plus nous marchons, plus nous avançons en Dieu, et plus nous nous éloignons de nous-mêmes. Alors on doit mesurer l’avancement de l’âme en Dieu, sur l’éloignement où elle est de soi, c’est-à-dire quant aux vues, sentiments, souvenirs, propres intérêts, réflexions. Lorsque l’âme avance pour arriver à son centre, elle est toute réfléchie sur elle-même ; plus elle approche de son centre, plus elle se voit, quoique d’une manière moins multipliée ; mais lorsqu’elle est arrivée à son centre, elle 159 cesse de se voir elle-même : comme nous voyons tout ce qui est hors de nous et ne voyons pas ce qui est en nous. Mais plus elle s’outrepasse elle-même, moins elle se voit ; et en sortant de soi, comme elle se tourne le dos, pour ainsi parler, elle se voit toujours moins ; parce qu’elle n’est pas tournée pour se regarder. C’est ce qui fait que les propres réflexions, si utiles au commencement, lui deviennent si nuisibles dans la suite. Dans les commencements il faut des vues réfléchies et multipliées ; ensuite il faut des vues réfléchies, mais simples et non multipliées ; puis il est donné à l’âme un regard direct : comme celui qui s’approche de l’hôtellerie, ne se sert plus de réflexion, mais regarde le lieu qui est à la portée de sa vue ; puis étant entré dedans, il perd même cette vue directe. L’âme arrivée à son centre ne se voit plus, pour ainsi parler ; mais elle a une manière de se sentir et s’apercevoir propre à cet état ; mais lorsqu’elle s’est outrepassée soi-même, elle ne se sent plus, ne se discerne plus ; et plus elle avance en Dieu, moins elle se discerne, jusqu’à ce qu’enfin elle s’abîme totalement en Dieu et qu’elle ne sent, ne connaît, ne discerne que Dieu en lui et pour lui. Alors il est clair que toute réflexion est nuisible et mortelle ; puisque ce serait mettre l’âme en chemin de quitter Dieu, et retourner vers elle. Or cette outrepassement de soi se fait par la perte de la volonté, qui comme la souveraine des puissances entraîne avec soi l’entendement et la mémoire, lesquelles quoique puissances très distinctes et séparées, sont pourtant un et indivisibles dans leur centre. Or je dis, et il est clair, que cet état porte avec soi une sorte de stabilité ; et plus il avance, plus il devient stable. Car il est évident 160 que les fonctions de celui, qui passe outre de soi et qui se quitte, sont entièrement différentes de celles de celui, qui marche pour arriver à soi-même et à son centre ; et qui voudrait reprendre le premier chemin, trouverait la chose très difficile et presque impossible. Il faut donc que celui qui s’est outrepassé se quitte toujours plus ; et que celui qui veut se convertir s’approche toujours plus de soi. Car de vouloir faire revenir un homme déjà passé en Dieu, aux pratiques dont il s’est servi pour y arriver, c’est vouloir que la nourriture de celui qui a mangé (étant passé dans les intestins,) reviennent par la bouche, ce qui ne peut arriver que par une colique incurable et qui donne la mort : au lieu que la nourriture, qui est encore dans l’estomac se peut vomir ; aussi tant que nous sommes encore en nous, nous pouvons en sortir plus ou moins facilement, selon que nous sommes plus ou moins avancés : mais lorsque nous nous sommes outrepassés (ainsi que la nourriture qui est passée dans les intestins,) la chose est difficile et presque impossible, à moins d’un renversement général par quelque chute mortelle ; comme quand les excréments reviennent par la bouche. C’est donc de cette sorte que se doit entendre la stabilité et sortie de soi. [Fin de note]
157 hors de vous-même au plus vite, pour n’être plus qu’en lui ; et ce sera là qu’il se laissera trouver. O artifice admirable de l’époux ! 158 Lorsqu’il est plus passionné pour sa Bien-aimée, c’est alors qu’il fuit avec plus 159 de cruauté : mais c’est une cruauté amoureuse, sans laquelle l’âme ne sortirait jamais 160 d’elle-même, et conséquemment ne se perdrait jamais en Dieu. Chapitre 3. Verset 1.
AUTORITÉS.
1. Toutes choses l’appètent [cette Cause première] et la désirent, à savoir celles qui sont douées de raison et d’entendement par connaissance, celles qui sont au-dessous par sentiment ; 161 les autres par un mouvement de vie, ou bien par une certaine disposition, propre seulement à participer de l’être simple, accompagné de quelque qualité habituelle.
Ils la louent (a Présence de Dieu confuse générale indistincte) sans nom, comme quand ils disent, qu’en une certaine mystique vision, de la qualité de celles où elle manifeste sa Divinité sous quelques figures, elle reprit et tança celui qui lui demanda. (b juge 13. Verset 17,18.) Pourquoi me demandes-tu mon nom qui est admirable ? Car ce nom-là n’est-il pas véritablement admirable, qui est par-dessus tout nom innominable, et qui est assis et colloqué par-dessus tout nom qui est nommé, soit en ce siècle, ou en l’autre à venir ? Des noms Divins chapitre 1.
2. Voyez Union. n.8.
3. Les choses les plus divines et les plus hautes, de celles qui se peuvent comprendre par l’entendement, ne sont que certaines raisons et notices des choses, qui sont au-dessous de celui qui surpasse tout, par lesquelles sa présence, qui est par-dessus toute notion et pensée, est démontrée, laquelle marche et passe par-dessus les très hautes cimes des très saints lieux. Théologie mystique chapitre 1.
4. Le royaume (c Luc 17 verset 21) de Dieu est au-dedans de vous, dit le Seigneur. Car (d Romain 14 verset 17) le royaume de Dieu est la paix et la joie au Saint-Esprit, qui n’est point donné aux impies.
Jésus-Christ viendra à vous, et vous fera sentir 162 au-dedans de vous la douceur de ses consolations, si vous lui préparez une demeure digne de lui. Toute la gloire et la beauté qu’aime cet Epoux céleste, est (a psaume 44 verset 14) au-dedans de l’âme ; et c’est là qu’il prend ses délices.
Lorsqu’un homme est véritablement intérieur, il se plaît à le visiter souvent, il s’entretient doucement avec lui, il aime à le consoler dans toutes ses peines, il le comble de sa paix, il le traite avec une familiarité incompréhensible. Livre 2 chapitre 1 paragraphe 1.
5. Tout devient doux, ô mon Dieu, en votre présence ; tout est amer en votre absence : c’est vous qui rendez le cœur tranquille. Livre 3 chapitre 34 paragraphe 1.
6. Le paradis est partout où vous êtes, ô mon Seigneur, et l’enfer partout où vous n’êtes pas. Là même, chapitre 59 paragraphe 1.
7. Voyez Mariage spirituel. n.1.
8. Voyez Foi nue. n.7.
9. Voyez Oraison. Paragraphe 2. n.6.
10. Voyez Là-même. n.8.
11. Puisque l’âme est absente de son Bien, pourquoi est-ce qu’elle voudrait vivre ? Elle sent encore une solitude étrange, et telle que tous les habitants de la terre ne la peuvent consoler par leur compagnie. Château de l’âme demeure 6 chapitres 11.
12. Toutes les trois personnes divines se communiquent ici à l’âme, lui parlent, et lui font comprendre ces paroles de notre Seigneur dans l’Évangile (b Jean XIV verset 23), que lui, son Père, et le Saint-Esprit viendront faire leur demeure dans les âmes qui 163 l’aiment et qui gardent ses commandements. L’âme s’étonne tous les jours de plus en plus, parce qu’il lui semble de plus en plus que ces divines personnes ne se séparent pas d’elle ; mais qu’elle voit clairement, dans la manière que je l’ai dit, qu’elles sont dans le plus intérieur d’elle-même, comme dans un abîme très profond. Car elle sent en soi cette divine compagnie, et ne peut exprimer de quelle façon cela est, parce qu’elle n’a pas de lettres. Là même, demeure 17 chapitre1.
13. Montrez-vous présent à mes yeux.
Pour déclarer ceci, il faut savoir qu’il peut y avoir en l’âme trois manières de présence de Dieu. La première est essentielle, et en cette manière non seulement il est dans les âmes bonnes et saintes, mais même dans les pêcheurs et dans toutes les autres créatures, d’autant que par cette présence il leur donne la vie et l’être, et si elle manquait, elles s’anéantiraient toutes. La seconde présence est par grâce, par laquelle Dieu habite en l’âme qui lui est agréable, et de laquelle il est satisfait ; et cette présence n’est pas commune à toutes les âmes, d’autant que celles qui tombent en péché mortel en sont privées, et l’âme ne peut pas naturellement savoir si elle a ce bonheur.
La troisième présence est par affection spirituelle ; parce que Dieu en plusieurs âmes dévotes a coutume de faire quelques présences spirituelles de plusieurs manières, avec lesquels il les récrée, les délecte et les réjouit. Mais tant cette présence spirituelle que les autres sont couvertes et cachées, parce que Dieu ne se montre pas en elles comme il est, d’autant que l’état de cette vie ne 164 le permet pas, et ainsi de chacune d’elles se peut entendre ce vers :
Montrez-vous présent à mes yeux.
D’autant qu’il est certain que Dieu est toujours présent dans l’âme, au moins selon la première manière, elle ne dit pas qu’il se fasse présent à elle, mais que cette présence cachée qu’il fait en elle, soit spirituelle, soit naturelle, soit affective, qu’il la lui montre et découvre, de sorte qu’elle le puisse voir en son divin être et en sa beauté, afin que, comme par sa présence essentielle il donne l’être naturel à l’âme, et que par sa présence de grâce il la perfectionne, qu’il la glorifie aussi par la manifestation de sa gloire. Mais comme cette âme est poussée d’affection et de ferveur d’amour de Dieu, nous devons entendre que cette présence dont elle demande ici la vue à son Bien-aimé, est principalement une certaine présence affective que l’ami a faite de soi à l’âme, laquelle a été si haute, qu’il lui a semblé et qu’elle a senti y avoir là un bien immense, caché et couvert, duquel Dieu a communiqué à l’âme certains rayons clairs sombres de sa divine beauté, et avec un tel effet en l’âme, que cela lui cause des désirs ardents, et des défaillances, pour l’amour de ce qu’elle sent là caché en cette divine présence, ce qui est conforme à ce que David sentit, disant : (a) mon âme désire et défaut aux avenues du Seigneur ; parce qu’alors l’âme défaut avec désir de s’engolfer [sic] en ce souverain Bien, qu’elle sent présent et couvert ; parce, qu’encore qu’il soit caché, elle sent très notablement le bien et la délectation qu’il y a là. Et pour ce sujet elle est (b) attirée et emportée
(a) psaume 83 verset 3. (b) Voyez Moyen court, chapitre 21, n. 2,3.
[165] ou ravie de ce bien avec plus de force qu’aucune chose naturelle ne l’est de son centre, et avec cette avidité et appétit viscéral, l’âme ne ce pouvant plus contenir, elle dit : Montrez-vous présent à mes yeux.
Le même arriva à Moïse au mont Sinaï, parce qu’étant là en la présence de Dieu, il vit de si sublimes et de si profondes représentations et images de beauté et de hautesse, de la divinité de Dieu couverte et cachée, que ne le pouvant souffrir, il le pria par deux fois qu’il lui découvrît sa gloire, disant : (a) si j’ai trouvé grâce en votre présence, montrez-moi votre face, afin que je vous connaisse, et que je trouve grâce devant vos yeux, laquelle grâce est d’arriver au parfait amour de la gloire de Dieu : mais notre Seigneur lui répondit : (b) Tu ne pourras voir ma face : car l’homme ne me verra point et vivra. Cantique entre l’épouse et l’époux. Couplet II.
(a) Exode 33, verset 13. (b) verset 20.
14. Dedans mon sein tu te réveilles
Où est en secret ton séjour.
L’âme dit que Dieu demeure secrètement dans son sein, par ce que, comme nous avons dit, c’est au fond de la substance de l’âme et des puissances que ce doux embrassement se fait. Or il faut savoir que Dieu demeure dans toutes les âmes, caché et couvert dans leur substance ; autrement elles ne pourraient subsister : mais il y a bien de la diversité ou de la différence touchant cette habitation, d’autant qu’il demeure aux unes avec contentement et à son gré, et aux autres avec dégoût. En quelques-unes il demeure comme chez soi, commandant et gouvernant tout ; en d’autres il vit comme étranger et dans la maison d’autrui, où on ne laisse commander 166 ni faire aucune chose. Mais où il y a moins d’appétits et de propres goûts, c’est où il demeure plus seul, plus satisfait, et comme en sa propre maison, la dirigeant et gouvernant ; et il y demeure d’autant plus secret qu’il est plus seul. Et ainsi en cette âme où il ne demeure plus d’appétit, ni de forme d’autres images, ni de forme d’autres choses créées, il y habite très secrètement, avec un intérieur d’autant plus intime et plus secret embrassement, qu’elle est plus pure, plus seul, plus séparée de toute autre chose qui n’est pas Dieu. Partant il est secret, parce que le diable ne peut arriver jusqu’à ce lieu, ni à cet embrassement ; ni aucun entendement ne le peut pénétrer comme il est ; mais il n’est pas secret à l’âme qui est en cette perfection (car elle le sent toujours en soi) si ce n’est selon ces réveils, par ce que quand il les fait, il semble à l’âme que celui qui était auparavant endormi dans son sein se réveille ; d’autant que bien qu’elle ne le sentît et le goûtât, c’était néanmoins comme l’ami endormi dans son sein.
O Que cette âme est heureuse qui sent toujours Dieu, se reposant dans son sein ! O Qu’elle doit bien se retirer de toutes choses, fuir les affaires, et vivre avec une tranquillité immense, de peur que le moindre atome n’inquiète ou trouble le sein de l’ami ! --
Aux autres âmes qui n’ont pas atteint à cette union, encore qu’il n’y soit pas contre son gré, à cause qu’elles ne sont pas encore bien disposées pour cela, il demeure secret, parce qu’elles ne le sentent pas d’ordinaire, si ce n’est quand il leur fait quelques savoureux réveils ; bien qu’ils ne soient pas du genre de celui-ci, et qu’il n’y ait pas de comparaison ; mais il n’est pas si caché 167 au diable et à l’entendement que cet autre, parce qu’il en pourrait bien entendre quelque chose par le mouvement du sens, d’autant qu’il n’est pas bien anéanti, jusqu’à tant qu’on soit arrivé à l’union ; car il exerce encore quelques actions pour n’être entièrement spirituel. Mais en ce réveil que fait ici l’Époux en cette âme parfaite, tout est parfait ; car c’est lui qui fait tout, au sens qu’il a été dit : et alors en cette excitation et réveil, comme quand quelqu’un se réveille et respire, l’âme sent la respiration de Dieu. Vives flammes d’amour. Cantique 3. Verset 3.
15. En amour, dit St Thomas, est l’union de l’amant avec l’aimé ; car parce que l’amour transforme, il fait entrer l’amant dans l’intime de l’aimé, et réciproquement l’aimé dans l’amant, afin qu’il ne demeure rien de l’aimé qui ne soit uni à l’amant (3. dist. 27. qu.1.)
Par où est assez déclaré l’union réelle, à laquelle l’amour tend de sa nature : ce qui est signifié clairement en plusieurs lieux de l’Écriture, comme est celui de saint Jean (a) : Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure en lui : où par ce mot, nous viendrons, il promet sa présence réelle, conformément au dire de saint Paul : (b) La charité de Dieu est répandue en nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné. -- Et en saint Jean il est dit que (c) celui qui demeure en charité, demeure en Dieu et Dieu en lui. Et il est dit des justes (d) Vos membres sont le temple du Saint-Esprit qui est en vous. Et de la Sagesse divine (e) : Elle peut toute chose : et
(a) Jean 14. Verset 23. (b) Rom. 5. Verset 5. (c) I Jean 4. Verset 16. (d) I Cor. 6. Verset 19. (e) Sag. 7. Verset 27.
168 demeurant en soi, elle renouvelle tout, et parcourant les nations elle se transporte dans les âmes saintes, et en fait des amis de Dieu. De tout cela les théologiens infèrent que lorsque la grâce sanctifiante est donnée à l’âme, par laquelle Dieu habite en elle comme en son temple, non seulement il lui communique ses dons ; mais aussi (comme parle saint Thomas [a]) le Saint-Esprit même est donné et envoyé, et habite dans l’âme. Éclaircissements des Phrases mystiques, P. 2, chapitre 16, § 1.
(a) I P. Qu. 43. A.3.
Le même auteur rapporte
16. Suarez. Il me semble que c’est une opinion probable et pieuse de dire que les dons de la grâce justifiante sont tels, qu’ils demandent de soi ou comme par droit connaturel, l’intime, réelle et personnelle présence de Dieu en l’âme sanctifiée par ces dons, ce qui est très bien déclaré par cette conditionnelle, par ce que, si par impossible on feignait que le Saint-Esprit ne fut pas réellement présent dans l’âme, néanmoins d’autant que l’âme serait revêtue de tels dons, le même Saint-Esprit viendrait à elle par présence personnelle, et y serait et y demeurerait tant que la grâce demeurerait en elle ; et par cette raison, quoique d’autre côté elle ait cette présence à cause de son immensité et de sa puissance à bon droit on dit qu’elle a maintenant par un titre spécial, à cause de la grâce et de la charité ; et partant c’est avec raison qu’on dit qu’il vient ou qu’il est envoyé à l’âme moyennant ses dons.
De même aussi nous entendons la mission du Verbe divin à l’humanité, à laquelle il s’est uni : par ce que bien qu’on feignit que le verbe par son immensité ne fut pas présent à cette humanité, néanmoins parce qu’il lui serait uni hypostatiquement, 169 en vertu de cette union est pour la terminer, il faudrait qu’il lui fût intimement présent ; et partant à cause de l’union, il est dit maintenant être en cette humanité réellement et intimement, d’une façon spéciale. Donc en cette manière nous disons que le Saint-Esprit est donné à l’âme, et est d’une façon spéciale en elle intimement et réellement à raison de la grâce sanctifiante ; car par la grâce et la charité, s’établit une certaine amitié très parfaite entre Dieu et l’homme : or l’amitié requiert et demande de soi une union entre les amis, non seulement par conformité d’affection, mais aussi par une inséparable présence et conjonction. (De la Trinité, livre 12, chapitre 5.) Là même § 1.
17. Le Père Ruis de Montoya. À raison de l’amitié surnaturelle et de la participation de la nature divine, un bien plus fort et plus serré est ajouté à la réelle présence de Dieu en l’âme. Car ensuite de cela le Saint-Esprit vient derechef et réellement à l’âme, et chercherait derechef la présence réelle, encore que par impossible il n’y fût pas présent auparavant par essence, présence et puissance. -- Or en tant que par ces actes et habitudes Dieu contracte une amitié intime avec l’âme, comme avec sa fille et son épouse, par un certain résultat d’obligation, il s’ensuit nécessairement la présence réelle et la conjonction ; et cela ne suit pas de cette manière, de ce que Dieu cause les autres effets. (Disposition 109 de la Trinité. Section 3.) Là même.
18. Cornelius a Lapide. Toute la Sainte Trinité vient personnellement et substantiellement dans l’âme qui est justifiée et adoptée ; ce qui se prouve par ces paroles de saint Paul : (a) qui adhère
(a) I Cor. 6. Verset 17
170 au Seigneur, devient un même esprit avec lui ; et par celles de Jésus-Christ ; (a) afin qu’ils soient tous un, comme vous mon Père est en moi et moi en vous ; qu’ils soient de même un en nous.
Toute la Déité et toute la Sainte Trinité s’est comme attachée et renfermée en ces siens dons, afin de nous unir à soi substantiellement, de nous sanctifier, déifier et adopter -- De cette communication de la personne même du Saint-Esprit et de la Divinité, il s’ensuit en l’âme une très grande union avec Dieu, et comme une déification, et par conséquent une adoption très parfaite, à savoir non seulement par la grâce, mais par la substance divine. (Commentaire sur Osée, chapitre 1, verset 12.) Là même.
(a) Jean 17, verset 21.
19. C’est une imperfection de jeter un regard en Dieu autre que le simple souvenir de lui, comme s’il était ailleurs et non dans l’âme, et l’âme aussi en lui, ainsi que le poisson dans la mer, et l’oiseau dans l’air ; au respect duquel le regard de l’âme doit être comme le patient, qui demeure en son rien, c’est-à-dire que ce regard de l’âme doit être tiré hors d’elle par cette divine beauté, et non envoyé de l’âme. Car tout ainsi que le soleil qui frappe sur un corps transparent, comme l’eau et le cristal, attire une réciproque splendeur vers lui ; ainsi Dieu jetant les rayons de son regard sur l’âme, attire sur lui un réciproque regard. Mais comme cette réciproque splendeur de l’eau et du cristal ne vient pas d’eux seulement ni de leur vertu ; mais principalement du soleil : ainsi ce regard parfait ne vient pas principalement de l’âme, ni par quelques actes qui lui 171 soit propre, mais de Dieu. Et comme cette splendeur n’est pas la splendeur de l’eau, mais du soleil, laquelle pénétrante et clarifiant l’eau retourne vers le soleil, ainsi la lumière de ce regard ne vient pas de l’âme, mais de Dieu ; lequel étend esprit, vie et clarté, cette lumière pénètre et clarifie l’âme, et ainsi s’en retourna Dieu, et en même temps attire l’âme avec lui, laquelle ainsi est faite une même chose avec Dieu. Règle de la perfection, partie 3, chapitre 10, note 11.
20. Il arrive donc quelquefois que notre Seigneur répande imperceptiblement au fond du cœur une certaine douce suavité qui témoigne sa présence ; et alors les puissances, et même l’essence extérieure de l’âme, par un certain contentement secret, se retournent du côté de cette intime partie où est le très aimable et très cher époux.
Car tout ainsi qu’un ce nouvel essaim de mouches à miel, lorsqu’il veut fuir et changer de pays, est rappelé par le son que l’on fait sur quelques bassins ou par l’odeur du vin emmiellé, ou bien encore par la senteur de quelques herbes odorantes, en sorte qu’il s’arrête par l’amorce de ces douceurs et entre dans la ruche qu’on lui a préparée : de même Notre Seigneur, prononçant quelques paroles secrètes de son amour, ou répandant l’odeur du vin de sa dilection plus douce que le miel, ou bien évaporant le parfum de ses vêtements, c’est-à-dire, quelques sentiments de ses consolations célestes en nos cœurs, et par ce moyen leur faisant sentir sa très aimable présence, il retire à soi toutes les facultés de notre âme, lesquelles se ramassent autour de lui, et s’arrête en lui comme en leur objet très désirable. 172 et comme qui mettrait un morceau d’aimant entre plusieurs aiguilles, verrait que soudain toutes leurs pointes se retourneraient du côté de leur aimant bien-aimé, et se viendraient attacher à lui ; aussi (a) lorsque Notre Seigneur fait sentir au milieu de notre âme sa très délicieuse présence, toutes nos facultés retournent leur pointe de ce côté-là, pour se venir joindre à cette incomparable douceur.
O Dieu, dit l’âme alors à l’imitation de saint Augustin, où vous allais-je cherchant, Beauté très infinie ? Je vous cherchais dehors, et vous étiez au milieu de mon cœur. Toutes les affections de Madeleine et toutes ses pensées étaient épanchées autour du sépulcre de son Sauveur, qu’elle allait cherchant çà et là ; et bien qu’elle l’eût trouvé, et qu’il parlât à elle, elle ne laissa pas de les laisser éparses, parce qu’elle ne s’apercevait pas de sa présence ; mais soudain qu’il l’eût appelé par son nom, la voilà qu’elle se ramasse et s’attache toute à ses pieds : une seule parole la met en recueillement. De l’amour de Dieu. Livre 6. Chapitre 7.
(a) Recueillement causé par la présence de Dieu.
21. Tous ces esprits actifs et foisonnants en considération, sont ordinairement sujets à être troublés en la sainte oraison : car si Dieu leur donne le sacré repos de sa présence, ils le quittent volontairement, pour voir comme ils s’y comportent, et pour examiner s’ils y ont bien du contentement, et si leur tranquillité est bien tranquille, et leur quiétude bien quiète ; ainsi au lieu d’employer leur volonté à goûter la présence divine, ils emploient leur entendement à discourir sur les sentiments qu’ils ont ; comme une épouse qui s’amuserait à regarder la bague, avec laquelle 173 elle aurait été épousée, sans voir l’époux même qui la lui a donnée. Il y a bien de la différence entre s’occuper en Dieu, qui nous donne du contentement, et s’amuser au contentement qu’il nous donne. Là même chapitre 10.
22. Ce sentiment de la Bonté céleste, demeurant un peu longtemps dans un cœur amoureux, il se dilate, il s’étend et s’enfonce par une intime pénétration en l’esprit, et de plus en plus le détrempe tout de sa faveur, qui n’est autre chose qu’accroître l’union ; comme fait l’onguent précieux ou le baume, qui tombant sur le coton se mêle et s’unit tellement de plus en plus, petit à petit, avec le coton, qu’enfin on ne saurait plus distinguer si le coton et parfumé ou s’il est parfum ; ni si le parfum est coton ou le coton parfum. O Qu’heureuse est une âme qui en la tranquillité de son cœur, conserve amoureusement le sacré sentiment de la présence de Dieu ! Car son union avec la divine bonté croîtra perpétuellement, quoiqu’insensiblement, et détrempera tout l’esprit d’icelui de son infinie suavité. Or quand je parle du sacré sentiment de la présence de Dieu en cet endroit, je n’entends pas parler du sentiment sensible, mais de celui qui réside dans la cime et suprême pointe de l’esprit, où le divin amour règne et fait ses exercices principaux. De l’amour de Dieu, livre 7, chapitre 1.
23. Il faut noter que l’épouse n’est jamais sans son époux ni sans le voir ; mais pour la mieux exercer, et achever de purger son amour, il se retire d’elle, quant à son inondante manifestation, qui ravissait auparavant toutes ses puissances sensibles de sa douce et impétueuse impulsion : de sorte que ce bien lui manquant par la 174 retraite et l’absence de son époux (comme il lui semble, si elle n’est pas bien instruite en l’amoureux exercice,) ses douleurs et ses langueurs se renouvellent, et se font sentir pires que jamais : ainsi l’épouse est en danger, si elle ne demeure stable et constante en ses langueurs, à attendre en la patience et force d’esprit le retour de son époux. Mais enfin après avoir bien vu les pénibles combats et les engoisseuses détresses de son épouse sur son absence, il retourne plus délicieux et plus lumineux que jamais. C’est ainsi que le Paradis objectif s’augmente en l’épouse, à mesure des pénibles et mortelles absences qu’elle souffre de la part de son Époux. Cabinet mystique. Partie I. Chapitre 5.
24. O heureuses sont les âmes qui sont animées et possédées du saint amour ! Qu’heureusement elles jouissent de leur cher Tout, qui est toujours présent à leur cœur, et qui les renouvelle quand il lui plaît, dans les manières les plus douces et les plus suaves du Ciel ! Que malheureuses sont celles qui n’ont point trouvé ce trésor du saint et sur-céleste amour ! Lettre 140.
Qu’ils disent donc ainsi leur Pater en français, comprenant un peu ce qu’ils disent, et pensant que Dieu, qui est au-dedans 175 d’eux, veut bien être leur Père. En cet état qu’ils lui demandent leurs besoins : et après avoir prononcé ce mot de Père, qu’ils demeurent quelques moments en silence avec beaucoup de respect, attendant que ce Père céleste leur fasse connaître ses volontés. -- — Ensuite poursuivant le Pater, qu’ils prient ce Roi de gloire de régner en eux, s’abandonnant à lui-même afin qu’il le fasse, et lui cédant les droits qu’ils ont sur eux-mêmes.
Sentant une inclination à la paix et au silence, il ne faut pas poursuivre ; mais demeurer ainsi tant que cet état dure : après quoi on continuera la seconde demande : que votre volonté soit faite en la terre comme au ciel. Sur laquelle ces humbles suppliants désireront que Dieu accomplisse en eux et par eux toutes ses volontés ; ils donneront à Dieu leur cœur et leur liberté, afin qu’il en dispose à son gré. Puis voyant que l’occupation de la volonté doit être d’aimer, ils désireront d’aimer, et demanderont à Dieu son amour. Mais cela se fera doucement, paisiblement ; et ainsi du reste du Pater, dont Messieurs les Curés peuvent les instruire.
Ils ne doivent point se surcharger d’une quantité excessive de Pater et d’Ave, ni 176 d’autres prières vocales ; un seul Pater dit de la manière que je viens de dire sera d’un très grand fruit. Chapitre 3. n. 2.
La manière de lire en ce degré est que dès que l’on sent un petit recueillement, il faut cesser et demeurer en repos, lisant peu et ne continuant pas, sitôt qu’on se sent attiré au-dedans.
L’âme n’est pas plutôt appelée au silence intérieur, qu’elle ne doit pas se surcharger de prière vocale ; mais en dire peu : et lors qu’elle les dit, si elle y trouve quelque difficulté, et qu’elle se sent attirée au-dedans au silence, qu’elle y demeure et qu’elle ne se fasse point d’effort, à moins que les prières ne fussent d’obligation ; en ce cas il faut les poursuivre.
Mais si elles ne le sont pas, qu’elle les laisse sitôt qu’elle se sent attirée, et qu’elle a peine à les dire : qu’elle ne se gêne et ne se lie pas, mais qu’elle se laisse conduire à l’esprit de Dieu, et elle satisfera alors à toutes les dévotions d’une manière très éminente. Chapitre 16.
La louange de la seule bouche n’est pas une louange, ainsi que Dieu le dit par 177 son prophète : (a) Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est bien éloigné de moi. La louange qui vient purement du fond, étant une louange muette, et d’autant plus muette qu’elle est plus consommée, n’est pas une louange entièrement parfaite : puisque l’homme étant composé d’âme et le corps, il faut que l’un et l’autre y concourent. La perfection de la louange est, que le corps ait la sienne, qui soit de telle manière, que loin d’interrompre le silence profond et toujours éloquent du centre de l’âme, elle l’augmente plutôt : et que le silence de l’âme n’empêche pas la parole du corps, qui fait donner à son Dieu une louange conforme à ce qu’il est. En sorte que la consommation de la prière, et dans le temps et dans l’éternité, se fait par rapport à cette résurrection de la parole extérieure unie à l’intérieur. Chapitre 8. Verset 13.
AUTORITÉS
Le saint livre des Psaumes -- forme en ceux qui le récitent saintement et avec un divin ravissement, une disposition fort propre, tant pour conférer, que pour recevoir tous les sacrements de l’Église. De l’Hiérarchie Ecclésiastique. Chapitre 3. 178
2. Celui qui est dans une Communauté ne peut pas tirer autant de profit du chant des Psaumes que de la prière (a) ; parce que le bruit confus de plusieurs voix confond et disciple l’attention et l’intelligence. Échelle sainte. Degré 4. Article 91.
(a) cette prière n’est pas une prière sainte en courant, mais une prière d’application intérieure.
3. Ceux qui prient Dieu en esprit lui parlent face à face dans l’oraison, comme les favoris parlent au Roi à l’oreille. Ceux qui prient de la bouche ressemblent à ceux qui se jettent au pied du Prince en présence de tout son Conseil. Et ceux qui prient étant engagés dans le siècle, ressemblent aux personnes qui présentent au Roi des requêtes au milieu du tumulte de tout un peuple. Si vous êtes savant dans l’art divin de la prière, vous n’ignorerez pas ce que je dis. Degré 27. Article 21.
4. Durant la nuit, donnez beaucoup de temps à la prière, et peu au chant des Psaumes. Et lorsque le jour est venu, préparez-vous de toutes vos forces pour accomplir de nouveau tous vos devoirs. Là même. Article 78.
5. Que vos prières soient simples, sans fard et sans affectation ; puisque le Publicain et l’enfant prodigue fléchirent la justice et la miséricorde de Dieu par une seule parole. Degré 28. Article 9.
6. Ne recherchez point dans vos prières des paroles élégantes ; puisqu’on voit souvent les enfants obtenir de leur Père, qui est dans le ciel, ce qu’ils lui demandent avec des paroles simples et bégayantes. Là même. Article 13.
7. Ne faites pas de longs discours en parlant 179 à Dieu, de peur que cette vaine recherche de paroles étudiées et inutiles ne dissipe l’attention de votre esprit, qui ne doit être attaché qu’à la vue de ce grand et divin Objet. Une seule parole du Publicain attira sur lui la miséricorde de Dieu : et une seule parole pleine de foi sauva le larron. Les longs discours remplissent d’ordinaire de vaines images l’esprit de celui qui prie, et confondent son attention, au lieu que peu de mots sont capables de la recueillir. Là même. Article 14.
8. Quand nous n’avons pas encore reçu la grâce d’une raison tout intérieure et toute recueillie en Dieu, nous ressemblons à ceux qui apprennent aux petits-enfants à marcher. Là même. Article 20.
9. J’aime mieux dire, dit le grand Apôtre (a), cinq paroles avec un recueillement d’esprit tout entier, que dix mille de la langue. Là même. Article 25.
(a) I Corinthiens 14, verset 19.
10. L’âme étant en Dieu, ne peut aussi prier pour aucune personne, si Dieu ne lui pousse l’esprit intérieurement à le faire. En sa Vie. Chapitre 32.
11. Je ne parle que des prières, que nous sommes obligés de dire, puisque nous sommes chrétiennes, à savoir le Pater et l’Ave Maria, afin que l’on ne dise pas de nous, que nous parlons sans entendre ce que nous disons ; si ce n’est que l’on croit que ce soit assez de prononcer les paroles seulement de bouche et qu’il suffit d’aller ainsi par routine. Si cela est suffisant, ou non, je ne m’ingère pas à le décider : les doctes le résoudront. Car ce que je désire c’est, que nous ne 180 nous contentions pas d’un tel procédé. Car quand je dis le Credo, il me semble qu’il est à propos que j’entende et que je sache ce que je crois ; et quand je dis le Pater, l’amour requiert que je connaisse qui est se Père, et qui est se mettre qui nous a enseigné cette oraison. -- Que sa divine Majesté ne permette jamais que récitant cette oraison, nous ne nous souvenions pas très souvent d’un tel Maître, comme est celui qui nous l’a enseigné avec tant d’amour, et avec tant des désirs qu’elle nous profitât.
Ainsi je désire que vous sachiez que pour bien réciter le Pater, il ne faut pas vous tenir loin du maître qui vous l’a enseigné. Vous me direz que c’est là une considération, et que vous ne pouvez ni ne voulez prier que vocalement : parce qu’il y a des personnes impatientes, qui désirent être exemptes de peine, lesquelles ont de la difficulté à recueillir leur esprit au commencement, parce qu’elles n’y sont pas accoutumées ; et pour ne pas endurer un peu travail, elles disent qu’elles ne peuvent faire davantage, et qu’elles ne savent que prier vocalement. Vous avez raison de dire que c’est déjà oraison mentale : mais je vous dis certainement, que je ne sais comment on peut le séparer en priant vocalement, si on pense à qui on parle. Et même il y a obligation de prier avec attention ; et Dieu veuille qu’avec tous ces remèdes le Pater soit bien dit, et que nous l’achevions sans que notre esprit se laisse aller à quelque pensée extravagante. Je trouve que le meilleur est d’avoir toujours la pensée en celui à qui j’adresse les paroles. Chemin de la perfection. Chapitre 24.
12. Afin que vous ne pensiez pas que l’on 181 tire peu de profit de la prière vocale fait avec perfection, je dis qu’il se peut bien faire que (a) récitant vocalement le Pater, ou disant quelques autres prières vocales, Notre Seigneur vous mette dans la contemplation parfaite. Car par cette voie il nous fait connaître qu’il écoute celui qui lui parle, et abaisse sa grandeur jusqu’à daigner lui parler aussi, en suspendant son entendement, lui liant la pensée, et comme on dit, lui ôtant les paroles de la bouche, de sorte qu’encore qu’il veuille parler il ne le puisse néanmoins, sinon avec une grande difficulté. Il voit que ce maître céleste l’enseigne sans bruit de paroles, suspendant ses puissances, parce que si elles opéraient alors, elles nuiraient davantage qu’elles ne serviraient ; elles jouissent, mais sans savoir comment : l’âme est embrasée d’amour, et elle n’entend pas comment elle aime ; elle connaît qu’elle jouit de ce qu’elle aime, et qu’elle ne sait comment elle en jouit ; elle voit bien cependant que ce n’est pas une jouissance, où arrivent les efforts de l’entendement : la volonté l’embrasse sans en pénétrer la manière. --
Pensez à ce que nous disons et entendre avec qui nous parlons, et qui nous sommes, -- c’est oraison mentale. Ne pensez point que ce soit quelque autre langage inconnu, et que le nom ne vous épouvante point. Réciter le Pater et l’Ave Maria ou quelque autre prière que vous voudrez, c’est oraison vocale : considérez donc combien cette musique sera mauvaise sans cette première pièce ; et même les paroles seront quelquefois sans ordre et sans accord. Là même. Chapitre 25.
(a) ceci se rapporte à ce qui est dit pour ceux qui ne savent pas lire, Moyen court. Chapitre 3. n.2.
182
Remarquez s’il vous plaît que l’âme en ce vers ne fait autre chose que de (a) représenter sa nécessité et sa peine à son ami ; parce que celui qui aime discrètement ne se met pas en peine de demander ce qui lui manque, et ce qu’il désire, mais de représenter seulement sa nécessité, afin que l’Ami fasse ce qu’il trouvera bon ; comme quand la Vierge dite à Notre Seigneur aux noces de Cana. (b) Ils n’ont point de vin ; et les sœurs du Lazare lui envoyèrent dire (c) n’ont pas qu’il rendit la santé à leurs frères, mais que celui qu’il aimait était malade. Et ceci pour trois raisons ; la première parce que Notre Seigneur sait mieux que nous-mêmes ce qui nous est convenable ; la seconde parce que l’Ami a plus de compassion voyant la nécessité de celui qu’il aime et sa résignation ; la troisième, parce que l’âme est plus à couvert de l’amour-propre et de la propriété, en représentant ce qui lui manque, qu’à demander ce dont il lui semble avoir besoin. L’âme fait ici le semblable, représentant ces trois nécessités ; et c’est comme si elle disait : dites à mon Bien-aimé, que puisque je suis malade, et que lui seul est ma guérison, qu’il me donne la santé ; et puisque je suis dans la peine, et que lui seul est mon repos, qu’il me fasse jouir de mon bien et de ma quiétude ; et puisque je meurs, et que lui seul est ma vie, qu’il me donne ma vie. Cantique entre l’épouse et l’époux. Couplet 2.
(a) c’est proprement l’oraison de simple exposition, ou ce qui s’appelle oraison de simplicité.
(b) Jean 2. Verset 3.
(c) Jean 11. Verset 3.
183
14. Cette aimable fille (voyez Abandon. n. 22.) ne regarda point son bras piqué ni le sang qui en sortait de sa veine ; mais tenant ses yeux arrêtés sur le visage de son père, elle ne disait autre chose sinon parfois tout doucement : Mon père m’aime bien, et moi je suis toute sienne : et quand tout fut fait, elle ne le remercia pas, mais seulement répéta encore une fois, la même parole de son affection et confiance filiale.
* Or dites-moi maintenant, mon ami Théotime, cette fille ne témoigna-t-elle pas un amour plus affectif et plus solide envers son père, que si elle eût eu beaucoup de soin de lui demander des remèdes à son mal, de regarder comme on lui ouvrait la veine, ou comme le sang coulait, et de lui dire beaucoup de paroles de remerciement ? Il n’y a certes aucun doute en cela. Car si elle eût pensé à soi qu’eût-elle gagné, sinon d’avoir des soucis inutiles, puisque son père en avait assez pour elle ? Regardant son bras qu’eût-elle fait, sinon recevoir de la frayeur ? Et remerciant son père, quelle vertu eût-elle pratiqué, sinon celle de la gratitude ? N’a-t-elle donc pas mieux fait de s’occuper toute aux démonstrations de son amour filial, infiniment plus agréable au père que toute autre vertu. De l’amour de Dieu, livre 9. Chapitre 15.
15. Si parfois vous vous trouvez occupé de l’espèce de quelqu’un qui se présente à vous, sachez que cela est ordonné de l’Epoux pour le besoin qu’à cette personne de votre secours. C’est pourquoi vous la présenterez à sa divine Majesté 184 par un simple et amoureux regard, sans plus y penser. Esprit du Carmel. Chapitre 18.
16. Cette sorte d’oraison, ainsi qu’on l’a décrit, a quelquefois tant d’attrait pour quelques âmes, qu’elles semblent en perdre (a) la dévotion aux saints, aux oraisons vocales, et cesser de demander à Dieu ce qui est nécessaire à l’Église et aux particuliers. Je réponds que c’est tout le contraire ; et qu’on estime davantage toutes ces choses, comme des moyens par lesquels on est arrivé à ce dont on jouit : et que comme les saints sont plus propres aux oraisons vocales, qu’aux exercices intérieurs, on leur conseille d’en user ; aux autres au contraire qui ont plus d’attrait à l’intérieur, de faire moins d’oraisons vocales, qui est comme un moyen pour allumer la dévotion intérieure. Saint-Thomas dit (b) que quand l’oraison vocale n’est pas de précepte, elle doit cesser lors que l’esprit se sent enflammé ; parce qu’ayant atteint la fin, c’est bien fait d’en jouir, sans s’arrêter par trop aux moyens. Il est porté dans la vie de saint Ignace (c), qu’il ne pouvait avancer à dire son Office à cause de la grande communication qu’il avait avec Notre Seigneur, et que ses compagnons demandèrent pour lui au Pape la permission de le quitter, d’autant qu’il l’occupait tout le jour, s’arrêtant presque à chaque parole pour recevoir la visite de Dieu. Car étant obligé à le dire, il s’en devait acquitter.
Je dis de plus qu’en cette sorte d’oraison on ne laisse pas les demandes : qu’au contraire par un moyen secret, on demande mieux sans dire
Dévotion aux saints qui paraît perdue.
2.2. Question 83 article 12.
Livre 2. Chapitre 1.
185 mot, afin de s’occuper davantage en ce qui plaît pour lors davantage à Dieu ; et l’on obtient plutôt, parce que l’on gagne mieux la volonté du Seigneur, qui le doit donner : lequel sachant toutes nos nécessités, et connaissant l’attention et les désirs de ses serviteurs, qui omettent de demander, pour s’occuper entièrement à faire sa volonté, se confiant en sa douce providence ; il ne manque pas de leur donner et de les contenter, comme en chose dont il s’est chargé. Il dit par son prophète (a) qu’il fera la volonté de ceux qui le craignent ; et ce même Prophète (b) donne pour moyen d’obtenir tous les désirs du cœur, de se réjouir au Seigneur. Livre I. Traité I. Chapitre 5. Section 7.
(a) Psaume 144. Verset 19.
(b) Psaume 36. Verset 4.
17. Il semble que cette sorte d’oraison empêche la commune institution de prier, que saint Ignace a enseignée et qui est ordinairement recommandée par les Docteurs.
Je réponds qu’au contraire elle la favorise : car quand Notre Seigneur ne prévient pas d’une spéciale inspiration, il faut commencer par là ; et c’est d’elle que procède cette autre forme d’oraison ; puisque par le moyen de la méditation, l’âme parvient à la quiétude de la contemplation ; et l’Auteur des exercices par une grâce spéciale a monté de l’une à l’autre, étant dit de lui qu’il se portait à l’oraison plus passivement, jouissant de ce qu’on lui donnait ; qu’activement, travaillant avec le discours : parce qu’il se reposait déjà comme celui qui était arrivé au terme du chemin. Et bien que la commune façon de prier se doive ordinairement proposer à tous, si toutefois Notre Seigneur admet dès le 186 commencement quelqu’un à l’oraison de quiétude, il doit y être aidé. On la peut aussi conseiller à ceux qui se sont exercés quelques années aux méditations, et qui sont déjà bien avancés, et disposés à cette manière de prier avec quiétude intérieure, en la présence de Dieu ; leur donnant avis (a) de ne pas quitter tout à coup les actes, mais peu à peu. Et cela ne cause pas de division dans les Communautés, d’autant que la forme de prier par affection avec peu de discours, est commune à plusieurs, et c’est ce qui est plus parfait, et aussi plus rare en l’oraison. Car la perfection ne se trouve toujours qu’en bien peu. Plût à Dieu qu’il y en eût davantage ! Ils réveilleraient les tièdes : et ce n’est point mal fait de marcher ainsi par une voie particulière ; car Dieu ne fait pas des faveurs singulières à ceux qui se contentent de marcher par le grand chemin ordinaire.
Enfin on peut objecter que ceux qui vont par ce chemin sont susceptibles d’orgueil, de propriété et d’autres défauts, et qu’ils oublient les choses nécessaires.
Je réponds que tous les défauts qu’on verra en ceux qui usent de cette oraison, ne viennent pas de sa pratique ; mais plutôt de ce qu’on ne la pratique pas bien, et de la faiblesse, de la disposition et de la perfection du sujet, il faut corriger et amender. Les mêmes défauts, et souvent de plus grand, arrive à ceux qui usent de discours ; parce que la vanité se mêle davantage dans les choses qui sont avantageuses de la part de l’entendement ; et puis une chose n’est 187 pas mauvaises, quoi qu’on en puisse faire mauvais usage. Là même.
(a) Comme fait le Moyen court. Voyez chapitre trois n. 2, 3,4. Chapitre 21. n. 6. Chapitre 24. n. 8. Etc.
18. Sœur Marie Rosette, qui avait eu le bonheur de la conduite de saint François de Sales, et puis de la Révérende mère de Chantal, dit ces mots sur cet article de la prière vocale : Notre très digne mère de Chantal m’a dit par le passé de prier Dieu à la fin de l’oraison, et après la Communion, pour tout le monde, pour notre institut, et pour la charité ; c’est-à-dire que je regardasse Dieu avec cette affection de vouloir prier pour cela ; et que je dise un Pater et un Ave à cette intention, et que je le dise aussi le matin à mon exercice : de sorte que voilà seulement ce que je tâche de faire pour faire l’obéissance. Car je le fais comme en me tirant de mon attrait, n’y ayant facilité quelconque à mon avis ; mais je n’ai jamais osé m’en dispenser.
L’âme peut donc se tirer de son attrait quand il y a quelque obligation d’obéissance : mais si l’âme, aussitôt qu’elle pense à prier Dieu pour quelqu’un, à ce nom de Dieu est attirée et abîmée dans le simple regard, qu’y a-t-il à faire ? Comme nous lisons de Frère Gilles, religieux convers de l’ordre de saint François, qui aux seuls mots de Dieu, ou de Paradis, était enlevé et élevé. Sœur Marie de l’Incarnation ne pouvait faire aucune oraison vocale, non pas même dire un Ave sans grande peine ; et si elle commençait son chapelet avec sa fille, après le premier Ave elle n’était plus à elle, à cause du recueillement intérieur qui la saisissait, et qui l’empêchait de continuer. -- Ses confesseurs avaient peine à lui donner des pénitences dans ses confessions 188, quelques-uns sachant combien la prière vocale lui était pénible, ne lui enjoignait que ces deux mots, Jésus, Maria, ou quelque aumône. C’était une des causes qui la détournaient de faire profession, pour les oraisons vocales auquel les sœurs converses sont obligées. Conférence mystique 8.
19. Sœur Anne Marie Rosset de la Visitation dit, que Saint François de Sales l’avait assurée, que cette présence de Dieu comprend tout : et que sur ce qu’elle ne pensait pas aux grands mystères, que l’Église représente dans les diverses fêtes de l’année, il lui dit de faire seulement quelques oraisons jaculatoires vocalement parmi la journée en ces jours-là, sur le sujet de ces mystères ; et qui lui commanda de faire une fois toutes les semaines un acte d’adoration et un acte d’humilité devant le très Saint-Sacrement. Elle croit qu’il lui ordonna cela sur ce qu’elle pouvait lui avoir dit, qu’elle ne savait pas adorer Notre Seigneur en ce Sacrement ni faire des actes d’humilité n’ayant pas de sentiment de sa misère et de son néant. (Lettre circulaire sur sa mort) Conférence mystique 9.
Je ne parle point de l’état passif : tout ce que j’ai dit le suppose.
Il faut voir ce que c’est que Propriété avant que de parler de Purification, cela étant nécessaire pour être mieux entendu.
Tout ce qui est de propres efforts et de propriété (a) doit être détruit : parce que rien n’est opposé à Dieu que la propriété
(a) pour entendre ceci, il faut savoir qu’il y a une propriété mortelle ou de pure malice, et qui est un péché mortel. Il y a une propriété spirituelle, d’autant plus dangereuse qu’elle est plus délicate. Il y a la propriété naturelle : j’appelle propriété naturelle, celle qui est sans la volonté, quoiqu’elle soit dans la volonté. C’est une certaine répugnance naturelle à sa propre destruction ; c’est une certaine qualité fixe en soi-même, dure, arrêtée, rétrécie, qui tenant l’âme en soi, l’empêche de s’écouler, et se perdre en Dieu ; ce qui est nécessaire, comme on l’a vu. Lorsqu’elle laissant la volonté, Dieu l’a détruit dans l’terrible purgatoire (dont nous parlerons) soit en cette vie, soit en l’autre. Lorsqu’à cette résistance naturelle la volonté se joint pour ne se laisser pas détruire, alors Dieu ne fait pas son œuvre dans l’âme ; et après une infinité d’essai et de grâces envoyées pour cela, voyant sa résistance, qui n’est pas toujours positive, car elle est le plus souvent indirecte, il réserve avec regret à la purifier en dans l’autre vie ; parce qu’il ne violente pas notre liberté.
190 et que toute la malignité de l’homme est dans cette propriété, comme dans la source de sa malice : en sorte que plus une âme perd sa propriété, plus elle devient pure : et ce qui serait un défaut à une âme vivante à elle-même, ne l’est plus (à cause de la pureté et de l’innocence qu’elle a contractée) dès qu’elle a perdu les propriétés (a) qui causait la dissemblance entre Dieu et l’âme. Chapitre 24. n.1.
(a) Car il faut remarquer que la propriété fait la vie, et la désappropriation la mort. C’est une enchaînure d’états, dont il faut tirer une conséquence réciproque ; par ce que quoiqu’ils soient détachés et multipliés dans les expressions, ils sont un dans l’âme, parce qu’ils sont toujours son propre état d’unité par leur union ou par leur contradiction.
Pour expliquer ceci, il faut savoir qu’il y a deux manières d’impuretés qui se contractent après l’union, toutes deux superficielles, l’une réelle néanmoins et l’autre apparente. La réelle c’est, lorsque le dehors n’est pas encore transformé comme le dedans, certain premier mouvement ou sentiments ; lorsqu’une forte contradiction nous presse, il échappe au-dehors quelques vivacités et promptitudes, quoique dedans ne soit nullement altéré.
Il y a des défauts apparents et non réels, qui ne viennent que de liberté, d’innocence et de simplicité : on fait sans peine ni scrupule des choses innocentes d’elle-même, dont on aurait fait scrupule autrefois, lorsque la nécessité de purifier les sens les tenait dans une extrême contrainte. Par exemple, se récréer avec une fleur, un oiseau ; ne plus gêner la vue parce que les objets ne sont ne font plus d’impressions, 191 quoiqu’on l’ait fort contrainte dans les commencements ; s’amuser avec des enfants ; manger indifféremment de tout, parce qu’on ne trouve de goût à rien. On aurait fait autrefois scrupule de toutes ces choses. Les personnes gênées se scandalisent souvent de cette innocente liberté.
Afin que l’homme soit uni à Dieu, il faut que sa Sagesse, accompagnée de la divine Justice, comme un feu impitoyable et dévorant, ôte à l’âme tout ce qu’elle a de propriété, de terrestre, de charnel et de propre activité : et qu’ayant ôté à l’âme tout cela, il se l’unisse. Ce qui ne se fait jamais par l’industrie de la créature : au contraire elle le souffre (a) même à le regret ; par ce que
(a) il faut faire attention que j’ai dit qu’il y a deux propriétés et deux résistances, l’une volontaire ; et l’autre purement naturelle. La résistance dont il est ici question, est dans la nature, et nullement volontaire ; au contraire la volonté est soumise à Dieu malgré les résistances de la nature : c’est pourquoi Dieu ayant le consentement de l’homme, renfermé dans son abandon entier général à toutes les volontés de Dieu, illustre son autorité malgré les répugnances et résistances de la nature. Mais si la résistance était volontaire, pour petite qu’elle fût, elle arrêterait l’opération de Dieu. Il faut aussi remarquer que j’ai dit et prouvé ci-dessus (voyez l’article du Franc arbitre) que Dieu accepte le franc arbitre lorsqu’on le lui donne sincèrement, et qu’ensuite il use de ses droits.
Il est encore nécessaire de comprendre que sous le nom de propriété est compris les propres opérations, propre amour, propre recherche, tout ce 192 qui a rapport à nous, aussi bien que tous les entre-deux entre Dieu et l’âme, toutes les résistances, même toutes les répugnances, tout rapport à soi, spirituel et temporel : l’amour-propre est en tout cela et la propriété.
192 Comme j’ai dit, l’homme aime si fort sa propriété, et il craint tant sa destruction, que si Dieu ne le faisait lui-même et d’autorité, l’homme n’y consentirait jamais.
On me répondra à cela, que Dieu n’ôte jamais à l’homme sa liberté, et qu’ainsi il peut toujours résister à Dieu : d’où il s’ensuit, que je ne dois pas dire, que Dieu agit absolument et sans le consentement de l’homme. Je m’explique, et je dis qu’il suffit alors qu’il donne un consentement passif, afin qu’il ait une entière et pleine liberté ; parce que s’étant donné à Dieu dès le commencement de sa voie, afin qu’il fît en lui et de lui tout ce qu’il voudrait, il donna dès lors un consentement actif et général pour tout ce que Dieu ferait. Mais lors que Dieu détruit, brûle et purifie, l’âme ne voit pas que cela lui soit avantageux : elle croit plutôt le contraire. Là même. n. 6,7.
La sortie de soi-même, par le renoncement continuel à tout propre intérêt, 193 est l’exercice intérieur que l’Amant céleste conseille aux âmes, qui soupirent après le baiser de la bouche, comme il le donne à entendre à son Amante par ce seul mot, sortez, qu’il lui suffit pour régler son intérieur. Chapitre I. Verset 7.
L’Époux par ces paroles donne à connaître l’avancement de son Amante, laquelle est comme un lys très pur, très agréable, et de bonne odeur devant lui ; lorsque les autres filles, au lieu d’être souples et pliables, et de se laisser conduire par son esprit, sont comme des buissons d’épines, qui se hérissent et piquent ceux qui veulent les approcher. Telles sont les âmes propriétaires et attachées à leur volonté, qui ne veulent pas se laisser conduire à Dieu. Et c’est là ce qu’une âme bien abandonnée à son Dieu souffre avec celles qui ne le sont pas : car les autres font tout ce qu’elles peuvent pour la retirer de sa voie. Mais de même que le lys conserve et sa pureté et son odeur au milieu des épines, sans en être nullement endommagé ; aussi ces âmes sont conservées par leur Époux au milieu des contrariétés, qu’il faut qu’elles essuient de la part de ceux qui n’aiment qu’à se conduire eux-mêmes, et à se multiplier dans leurs propres pratiques, n’ayant pas de docilité pour suivre 194 le mouvement de la grâce. Chapitre 2. Verset 2.
Quel est cet ordre [ce règlement] que Dieu met dans la charité ? O Amour, Dieu-charité, vous seul le pouvez révéler ! C’est qu’il fait que cette âme, laquelle par un mouvement de charité se voulait tout le bien possible par rapport à Dieu (a) s’oublie entièrement de toute elle-même, pour ne plus penser qu’à son Bien-aimé. Elle s’oublie de tout intérêt de salut, de perfection, de joie, de consolation ; pour ne penser qu’à l’intérêt de son Dieu. Elle ne pense plus à jouir de ses embrassements ; mais à souffrir pour lui. Elle ne demande plus rien pour elle ; mais seulement que Dieu soit glorifié. Elle entre dans les intérêts de la divine justice, consentant de tout son cœur à tout ce qu’elle fera d’elle et en elle, soit pour le temps, soit pour l’éternité. Là même. Verset 4.
(a) L’amour-propre est fils de la propriété, et l’amour pur ne naît dans l’âme que par son entière désappropriation.
Cette vapeur est composée des odeurs les plus choisies de toutes les vertus. Mais il faut remarquer que les odeurs, dont cette vapeur est composée, sont des gommes propres à être fondues, et des poudres qui ne sont pas de corps solide : la solidité et la consistance en elles-mêmes ne sont plus de son état. Et d’où monte cette vapeur si 195 droite et si odoriférante ? Elle monte du désert de la foi. Et où va-t-elle ? Elle veut aller se reposer en son Dieu. Chapitre 3. Verset 6.
Notre Amante se sentant déjà beaucoup dégagée d’elle-même, crois qu’il n’y a plus qu’une seule chose à faire ; et il est vrai : mais hélas ! Qu’il y a d’obstacles à vaincre avant que d’y réussir ! C’est d’aller en Dieu, qui est le lit de repos du véritable Salomon. Mais pour y arriver, il faut passer au travers de soixante des plus forts d’Israël. Ces vaillants guerriers sont les Attributs divins, qui environnent ce lit royal ; et qui en empêche l’accès à ceux qui ne sont pas entièrement anéantis. Ils sont les plus vaillants d’Israël, parce que c’est en ces Attributs, qu’Israël, qui désigne le contemplatif, trouve sa force, et que c’est aussi par eux que la force de Dieu est manifestée aux hommes. Verset 7.
Tous sont armés de leur épée, pour combattre avec force contre cette âme, qui par une secrète présomption veut (a) s’attribuer ce qui n’appartient qu’à Dieu : c’est ce qui leur fait dire d’une commune voix : qui (b) est comme Dieu ? La justice divine
(a) en tant que l’âme s’attribue la force et la justice, c’est une propriété dont il faut qu’elle soit purifiée, ainsi qu’on le verra dans l’article de la purification.
(b) Parole attribuée à Saint-Michel.
196 est la première qui vient, pour combattre et détruire (a) la propre justice de la créature : et la Force vient ensuite pour terrasser la force propre de l’homme, et le faisant entrer (b) par l’expérience de son extrême faiblesse dans la puissance du Seigneur, elle lui apprend à ne se plus souvenir que de la seule justice de Dieu. La Providence se déclare contre la prévoyance humaine ; et ainsi de tous les Attributs. Ils sont tous armés ; parce qu’il faut que l’âme soit détruite en toutes ces choses, pour être admise dans le lit du vrai Salomon pour être épouse, et afin que le mariage s’achève et se consomme. Ces vaillants guerriers ont toujours l’épée au côté. Cette épée n’est autre que la parole de Dieu, la plus intime et la plus pénétrante ; mais parole efficace, qui en découvrant à l’âme la plus secrète présomption, la lui arrache en même temps.
Cette parole est la parole incréée, qui ne se manifeste dans le fond de l’âme, que pour y opérer ce qu’elle y exprime. Elle ne se déclare pas plutôt, que comme un
(a) Toutes ces choses, en tant qu’appropriées à l’homme, doivent être détruites, afin qu’il entre dans la véritable justice et sainteté, qui est celle de Dieu. Tout cela s’opère dans la purification que le bienheureux Jean de la Croix appelle Nuit de l’esprit.
(b) Psaume 70. Verset 16.
197 coup de tonnerre elle réduit en poudre ce qui s’oppose à son passage. Cette divine Parole en s’incarnant, en usa tout de même : (a) elle dit, et il fut fait, et elle imprima en son Humanité les caractères de sa Toute-puissance. Elle vint dans la bassesse de la créature, pour détruire son élévation ; et dans sa faiblesse, pour en abattre la force : et elle prit la forme du pécheur, pour terrasser la propre justice. Elle fait de même dans l’âme ; elle abaisse, elle affaiblit, elle la couvre de misères.
Mais pourquoi l’Écriture dit-elle qu’ils sont tous armés de la sorte, à cause des craintes de la nuit ? Cela veut dire que comme la (b) propriété est celle qui tient l’âme dans l’obscurité, et qui lui cause toutes ses nuits funestes ; les attributs divins s’arment ainsi contre elle, afin qu’elle n’usurpe point ce qui n’appartient qu’à Dieu. Chapitre 3. Verset 8.
(a) Psaume 32. Verset 9.
(b) Il y a un tel rapport entre la purification et la propriété, qu’on a peine à les détacher ; la propriété étant la matière de la purification.
Quoique l’époux ne puisse encore admettre l’Amante dans son lit nuptial, qui est le sein de son Père ; il ne laisse pas pourtant de la trouver très belle, et plus belle que jamais : car ses fautes ne sont plus des 198 péchés notables ni presque des offenses ; mais des défauts qui sont dans sa nature, encore dure et rétrécie, laquelle a une peine incroyable à être étendue pour se perdre en Dieu. Elle est donc très belle et dans l’intérieur et dans l’extérieur. Chapitre 4. Verset 1.
Jusqu’à ce que l’âme se fût toute fondue en amertumes et en croix, quoiqu’elle fût belle, elle n’était pas néanmoins toute belle : mais depuis qu’elle s’est fondue sous le poids des traverses et des afflictions, elle est toute belle, et il ne reste en elle aucune tache ni difformité.
Elle serait par là disposée à l’union permanente, si la qualité encore dure et rétrécie, bornée et limitée n’empêchait ce bonheur. Cette qualité n’est pas une tache qui soit en elle (a), ni rien qui offense Dieu : c’est seulement un défaut de sa nature prise en Adam, que son Époux détruira insensiblement. Mais pour elle, depuis que la croix l’a toute défigurée aux yeux des hommes, elle est toute belle aux yeux de son Époux ; et depuis qu’elle n’a plus de beauté, elle a trouvé la véritable beauté. Là même verset 7.
(a) C’est-à-dire, qui soit dans sa volonté, ou plutôt qui soit volontaire.
L’âme qui veille à son Dieu, et prouve que quoique son extérieur paraisse mort, et 199 comme interdit et éteint, ainsi qu’un corps endormi, néanmoins son cœur a toujours une vigueur secrète et inconnue (a) qui le tient uni à Dieu. De plus, les âmes fort avancées éprouvent souvent une chose surprenante, qui est, qu’elles n’ont la nuit qu’un demi-sommeil, et que Dieu opère plus, ce semble, en elles durant la nuit, et dans le sommeil que pendant le jour.
L’âme pendant ce sommeil entend bien la voix de son Bien-aimé, qui vient frapper à la porte. Il veut se faire entendre : il lui dit : Ouvrez-moi, ma sœur, je viens à vous, ma Bien-aimée, que j’ai choisie par-dessus toutes pour en faire mon épouse. Considérez que ma tête est pleine, et encore dégoûtante de ce que j’ai souffert pour vous durant la nuit de ma vie mortelle, et que j’ai essuyé pour votre amour les gouttes de la nuit de la plus cruelle persécution. Je viens donc à vous de la sorte, afin de vous faire part (b) de mes opprobres, de mes ignominies
(a) Il faut remarquer que cette âme tend toujours à Dieu, ou lui est unie d’un lien d’unité : ainsi elle est bien éloignée de demeurer oisive. Je rapporte tous ces versets afin de les éclaircir tous.
(b) il faut remarquer qu’il est toujours parlé de croix, d’ignominies et de confusions. Il y a bien des personnes qui se livrent pour certaines croix et non pour toutes ; qui ne veulent jamais perdre leur réputation devant les hommes, et c’est ce que Dieu 200 veut faire perdre ici. D’ailleurs comme Dieu veut faire sortir cette âme d’elle-même, pour l’appliquer au-dehors, elle sent en cela une extrême répugnance, n’aimant que sa retraite. Néanmoins il est très certain que si on ne sortait point de la solitude, ces sortes de croix n’arriveraient pas. Lorsque Dieu veut bien faire mourir, il permet quelquefois certaines imprudences apparentes, qui ne le sont pas en effet, qui semble donner lieu à cela. J’ai connu une personne qui dans une vue, qui lui fut donnée des plus terribles croix, et surtout de la perte de sa réputation, à laquelle elle était fort attachée, ne s’y put jamais résoudre, et dit à Dieu : Plutôt toutes autres croix ; lui refusant formellement son consentement : elle demeura là sans passer outre. Cette réserve fut si désagréable à Notre Seigneur, qu’il ne la favorisa jamais depuis d’aucune humiliation ni d’aucune grâce. C’est elle qui me l’a raconté.
et de mes confusions. Jusqu’à présent vous aviez eu part à l’amertume de ma croix ; mais vous n’avez pas eu de part à l’ignominie et à la confusion de ma croix. L’un est bien différent de l’autre ; vous en allez faire une expérience terrible. Chapitre 5. Verset 2.
L’Epouse voyant que l’Epoux parle de lui faire part de ses ignominies, craint beaucoup, et autant qu’elle a été courageuse et intrépide à accepter la croix, autant a-t-elle peur de l’abjection dont elle est menacée. Plusieurs veulent bien porter la Croix ; mais il n’y a presque personne qui veuille porter 201 l’infamie (a) de la croix. Lorsque l’ignominie est proposée à cette âme, elle appréhende deux choses : l’une d’être revêtue de ce dont elle a été dépouillée, savoir d’elle-même et de ses défauts (b) naturels : l’autre 202 de se salir dans les affections des créatures. Je me suis, dit-elle, dépouillée de moi-même,
(a) C’est qu’il y a des croix douloureuses, mais honorables ; et des croix très douloureuses et très humiliantes [tout ensemble.]
(b) Notez naturels : ce ne sont donc pas des péchés.
Pour comprendre ceci, il faut faire attention que Dieu pour purifier l’esprit (ce que le bienheureux Jean de la Croix appelle Nuit obscure de l’esprit,) permet que les défauts qui paraissent essuyés et comme éteints paraissent fort au-dehors ; je veux dire les défauts naturels d’humeur, de promptitude, des inégalités, des sentiments tous révoltés. Dieu dépouillant alors l’âme de l’usage des divines vertus et de la facile pratique du bien, tous les défauts reparaissent : l’âme étant alors abandonnée à elle-même, elle souffre de toutes parts ; de la part de Dieu, qui appesantit sa main ; de la part des créatures, qui la calomnient et lui font les plus étranges persécutions ; de la part d’elle-même, tous ses sentiments étant révoltés ; et de la part des démons. Et c’est ce terrible assemblage de tant de si étranges croix, qui cause la mort de l’âme : car si quelqu’une lui manquait, celui serait un refuge et un soutien, qui la ferait vivre en elle-même. Ces défauts ne sont point volontaires, non plus que l’expérience de mille misères et faiblesses qui sont la douleur de l’âme, quoiqu’elle ne le connaisse pas toujours ; car l’abandonnement de Dieu lui fait croire que c’est sa faute. Si elle se tourne vers Dieu, elle s’en sent rejetée, et n’éprouve que son indignation ; si elle s’envisage elle-même, 202 elle ne voit que tentations, misère pauvreté et défauts ; si elle veut se tourner vers les créatures, elles sont pour elle comme des épines qui l’a piqué la repoussent. Elle est comme pendue, comme bannie de tous les êtres, ainsi qu’on le verra dans la purification. Ce qui est plus terrible pour l’âme, c’est qu’ordinairement Dieu pousse ces pauvres affligés au-dehors dans ces temps-là, c’est-à-dire qu’il les met, par la nécessité de leur état, hors de leur solitude et dans le commerce du monde. Ce qui les tourmente le plus, c’est que plus elles désirent le détachement, plus elles sentent malgré elles que leur cœur prend à tout : elles souffrent beaucoup de cela. Mais lors que Dieu s’est servi de toutes les créatures et de leurs propres défauts, de la pesanteur de son bras, de la malice des hommes et des démons, de l’expérience de leurs faiblesses, il les en délivre tout d’un coup, pour les recevoir en lui toutes pures. Celles qui ne se laissent pas détruire de la sorte restent toute leur vie en elles-mêmes dans leurs défauts et propriétés. Voilà ce que j’ai voulu dire.
Ce que l’épouse veut encore dire c’est que dans les commencements on souffre les persécutions et les calomnies avec force, parce qu’on sait très bien de les avoir pas méritées, et qu’on est fort soutenu intérieurement : mais ici il n’en est plus de même. Comme l’âme est remplie de sentiments de penchants vers la créature, elle croit avoir en réalité ce qu’elle n’a qu’en sentiments. Alors elle se croit la plus misérable du monde ; elle croit mériter tout ce qu’on lui fait souffrir, et porte une telle confusion et humiliation au-dedans qu’elle est inexplicable. Elle se croit la plus mauvaise de toutes les créatures. Et 203 plus elle s’est sentie détachée de tout, et de goûts pour Dieu, et une certaine légèreté ; plus elle sent sa misère, son attache et sa pesanteur : mais d’une manière si douloureuse qu’elle agonise mille fois le jour. Il lui semble avoir le goût de tous les plaisirs et l’envie d’en jouir quoiqu’elle les fuie plus que jamais.
203 de mes défauts, et de ce qu’il y avait en moi d’Adam pécheur ; comment ne pourrai-je jamais m’en revêtir ? Et cependant il me semble, qu’il n’y a que cela qui me puisse causer de l’abjection et de la confusion : car pour les mépris qui m’arriveraient de la part des créatures, sans que je les eusse causées par ma faute, je m’en ferais un plaisir et une gloire, espérant que cela glorifierait mon Dieu, et me rendrait encore plus agréable à ses yeux. J’ai lavé et purifié mes affections de telle sorte, qu’il n’y a rien en moi qui ne sois à mon Bien-aimé ; comment les souillerai-je encore par le commerce (a) des créatures ?
(a) Notez que j’ai dit (dans la note précédente) qu’elle est alors nécessitée de reprendre la vie active, c’est-à-dire, que sa condition, ou des affaires imprévues, la jettent au-dehors : et comme elle s’était retirée dans la solitude, se détachant avec peine des créatures, elle a bien de la peine d’y retourner. Cependant si Dieu ne la jetait pas au-dehors par la nécessité de son état, elle ne serait pas calomniée, parce qu’elle serait inconnue ; et elle ne sentirait pas de nouvelles affections envers les 204 créatures, parce qu’elle ne les verrait point : elle ne connaîtrait pas assez sa faiblesse ni la dépendance où elle doit être de la grâce, reconnaissant qu’elle ne doit rien se promettre de soi-même, mais bien attendre tout de Dieu, se confier en lui, se défier de soi, se haïr, se quitter. Enfin ces peines et ces douleurs ne sont pas senties des personnes qui ne connaissent point Dieu ni de celles qui se livrent à leurs dérèglements. Elles n’ont garde de ressentir de la douleur d’un mal auquel elles se livrent volontairement, éteignant en elle l’esprit du Seigneur, et se livrant à toutes sortes de désordres, oubliant Dieu, et devenant la même malice : plus elles vivent, plus elles sont mauvaises. Au lieu que ces âmes ici après avoir été tentées, purifiées, et éprouvées, sont trouvées dignes par leur fidélité inconnue, et par leur extrême humiliation, d’être reçues en Dieu.
204 O. pauvre aveugle, de quoi vous défendez-vous ? L’Époux ne voulait qu’éprouver votre fidélité, et voir si vous étiez à toutes ses volontés. Il (a) a passé pour coupable, il a été couvert de confusion, rassasié d’opprobres, et mis au nombre de scélérats, lui qui était l’innocence même ; et vous
(a) Il est aisé de voir que tout cela suit et se rapporte à l’humiliation.
Tout ceci quoique mal expliqué et embarrassé, parce que cela suppose un plus grand éclaircissement dans les Écrits (ou les Explications sur le Vieux Testament) où ce livre doit être naturellement renfermé, ne laissent pas de faire voir qu’il n’est parlé que de défauts naturels, de calomnies de la part des créatures, et de toutes les croix ordinaires aux âmes que Dieu veut purifier et désapproprier.
205 qui est criminelle, vous ne sauriez supporter de passer pour telle ! Ah que vous serez bien punie de votre résistance ! Verset 3.
Le Bien-aimé malgré les résistances de son Épouse (a) porte sa main par un petit passage qui lui est encore ouvert, qui est, un reste d’abandon malgré la répugnance que l’âme sent à s’abandonner avec tant d’excès. Une âme de ce degré porte un fond de soumission à toutes les volontés de Dieu
(a) il faut faire attention ici, parce que cela est de conséquence, que nous avons dit au commencement, qu’il y avait une résistance volontaire, et que cela empêchait absolument l’opération purifiante de Dieu, parce qu’il ne violente point la liberté de l’homme : et qu’il y avait aussi une résistance naturelle, qui est bien dans la volonté, mais sans être volontaire : que celle-ci est une répugnance extrême à sa destruction. Dieu ne laisse pas de le faire d’autorité, en vertu de la donation qu’elle lui a faite d’elle-même, et de l’abandon total qu’elle n’a point rétracté, et ne rétracte pas non plus alors, sa volonté demeurant soumise et assujettie à Dieu, malgré la révolte des sentiments. C’est cet abandon, cette soumission de la volonté, qui ne réside que dans le plus profond d’elle-même, et qui est quelquefois fort inconnue à l’âme, que j’ai appelée le passage de la main de Dieu ; parce que c’est ce qui donne lieu à son action en nous, à cause de notre liberté qu’il ne violente pas. Il faut nécessairement suivre ce passage ici, et l’établir sur ce fondement.
206 Dieu ; de manière qu’elle ne voudrait rien lui refuser : mais lorsque Dieu (a) explique
(a) lorsque je dis que Dieu explique ses desseins, il ne faut pas croire que ce soit que Dieu lui montre en détail beaucoup de choses à renoncer et à sacrifier : non, ce n’est pas cela. Il faut remarquer que nous avons dit diverses fois, qu’en Dieu le dire est faire. Dieu n’explique ses desseins qu’en mettant l’âme dans le creuset des plus extrêmes épreuves, comme on le verra ; il la réduit au point de lui sacrifier non seulement ce qu’elle a, mais tout ce qu’elle est, non seulement pour le temps, mais pour l’éternité. Et de quelle manière se fait ce sacrifice ? Par un désespoir absolu de toute elle-même, que le P. Jacques de Jésus, que j’ai cité plus haut (voyez Entendre note 34.) appelle un saint désespoir, parce qu’en faisant perdre tout appui à la créature en soi-même, il la fait entrer dans l’abandon entier entre les mains de Dieu. Car il faut savoir que plus nous désespérons de nous-mêmes, plus nous espérons en Dieu, quoique non pas toujours d’une manière sensible ; plus nous perdons toute certitude en nous et toute foi appuyée, plus nous entrons dans la foi en Dieu, dénuée de tout appui ; plus nous nous haïssons, plus nous aimons Dieu. Tout ce que Dieu ôte à l’âme est la matière de son sacrifice. Mais le dernier sacrifice de tous, que j’appelle dans mes écrits, sacrifice pur, est celui que l’âme fait, lorsque se sentant comme abandonnée de Dieu, d’elle-même et des créatures, elle dit à Dieu : Mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné (Matthieu 27. Verset 46.) ; et ensuite elle ajoute avec Jésus-Christ (Luc 23. Verset 46.) : Mon Dieu, je remets mon esprit entre vos mains. C’était proprement le sacrifice de tout lui-même. Et c’est cette remise de tout soi-même pour le temps et l’éternité, que j’appelle dernier sacrifice ; après lequel Jésus-Christ dit (Jean XX. Verset 30.) : Tout est consommé : aussi tout se consomme par là dans l’âme.
207 ses desseins particuliers, et qu’usant des droits qu’il a acquis sur elle, il lui demande les derniers renoncements et les plus extrêmes sacrifices ; ah, c’est pour lors que toutes ses entrailles sont émues, et qu’elle trouve bien de la peine où elle ne croyait plus en avoir : et cette peine (a) vient de ce qu’elle était attachée à quelque chose, sans le connaître.
À ce toucher, toute la nature frémit ; car c’est un toucher douloureux, et qui est la plus sensible douleur de l’âme, comme l’éprouvait le plus patient des hommes, lorsqu’ayant souffert des maux inconcevables sans se plaindre, il ne put s’empêcher de s’écrier à ce toucher de la main de Dieu (b) ; ah, de grâce, mes amis oubliés tous mes autres
(a) Toutes nos peines ne viennent que de nos résistances, et nos résistances de nos attaches : plus on se tourmente dans les peines ; plus on les aigrit ; on les adoucit en s’y livrant toujours de plus et en se laissant dévorer intérieurement ; l’âme ne connaît ses liens qu’à mesure qu’on les lui rompt.
(b) Job 19. Verset 21. Pour bien comprendre ceci, il faut savoir que la main de Dieu est sa justice et sa toute-puissance. Lors que l’Écriture dit, il appesantit sa main sur nous ; c’est comme si elle disait, il nous fait sentir le poids de sa justice. Ce toucher de la main de Dieu, (car ce n’est qu’un toucher ; si c’était l’application de sa main, l’âme serait réduite en poudre. Il n’y a que Jésus-Christ qui ait porté le poids de la Justice. Aussi lorsqu’il est écrit de lui, il est dit que Dieu a appesanti sur lui la force son bras : c’est la Sainte Vierge qui le dit, fecit potentiam [Luc I verset 15]. Pour les créatures, il n’en est pas de même : celles qui souffrent le plus, comme Job, éprouvent et ressentent seulement le toucher de cette main toute divine.) Ce toucher, dis-je, est douloureux pour l’homme qui n’est pas encore purifié, et d’autant plus dur, que Dieu a plus de desseins sur lui : mais quelle est douce, cette divine main, pour celui qui n’est plus propriétaire ! C’est ce que le B. Jean de la Croix exprime admirablement lorsqu’il dit ; (voyez Mort entière n. 9. Purification, numéro 47.) Mignarde main, toucher flatteur, à présent qui ne m’êtes plus dure, et qui m’êtes d’autant plus douce que vous m’avez été cruelle. L’application de la main de Dieu est donc l’application de sa justice.
208 maux, qui vous font tant d’horreur ! Ayez seulement pitié de moi pour une chose ; c’est que la main de Dieu m’a touché. De même l’épouse se sent toute frémir à se toucher.
Combien êtes-vous jaloux, ô divin Époux, que votre Amante fasse toutes vos volontés ; puisqu’une simple excuse qui paraît si juste vous offense si fort ! Ne pouviez-vous pas empêcher une épouse si chère et si fidèle à vous faire cette (a) résistance ? 209, mais elle était nécessaire pour sa consommation. L’époux permet cette faute dans
(a) la résistance que l’âme fait ici à Dieu est de deux natures, qui ont rapport aux demandes que 209 Dieu lui a faites dans les versets précédents. Nous avons vu dans le Cantique que l’époux lui dit : ouvrez-moi, ma sœur, mon épouse ; parce que je suis chargé des gouttes de ma passion. Il faut comprendre que l’âme voit fort bien alors, que Dieu vient à elle chargée des douleurs pour l’accabler de douleur : car ses discours sont des impressions douloureuses, que Dieu fait en elle de toutes les douleurs possibles, et en même temps de toutes les faiblesses ; car si elle pouvait souffrir avec force, elle serait trop heureuse. Dieu lui donne des vues d’infamie et de décris : ces vues sont suivies de l’effet. Dieu joint à cela l’expérience de mille faiblesses et misères, une perte apparente des vertus, ou plutôt de la force dans les vertus ; en sorte qu’elle se trouve couverte d’une telle confusion, et d’une si extrême douleur qu’il n’y a rien qui soit égal : car lorsque Dieu appesantit sa main sur le dedans, il livre l’extérieur à la calomnie, à la malice des hommes, et souvent au diable, auquel il donne un plein pouvoir sur les corps, qui est une chose si terrible, qu’on ne peut y penser sans frayeur. Dieu pour l’ordinaire, avant que de livrer l’extérieur entre les mains de l’ennemi, donne un goût si extraordinaire de sa justice, et un désir si véhément de la satisfaire, non seulement pour ses propres péchés, mais aussi pour ceux des autres, que ce désir rend tout languissant. Alors l’âme, sans rien spécifier, se livre aux rigueurs de la Justice en général, sans qu’il lui soit donné aucune vue distincte ; ensuite de quoi Dieu la prend au mot. Lorsque l’épreuve dure, elle sent une révolte extrême contre la souffrance ; elle ne voit en elle nul abandon ; elle crie de toutes ses forces pour être délivrée. Lorsqu’elle est dans le calme pour des 210 moments, son goût et son amour de la justice lui est rendu tout de nouveau, pour se sacrifier ; et elle s’immole de nouveau à cette même justice, sans pouvoir faire autrement, jusqu’à ce que la tempête revienne. Elle oublie alors son sacrifice, et son goût pour la justice, et livrée qu’elle est à toutes ses répugnances, elle n’éprouve que les douleurs de la mort. D’autres fois Dieu, avant que d’éprouver l’âme, lui fait voir en gros les plus extrêmes souffrances, et il lui demande son consentement. Il y a des âmes qui résistent à Dieu, ne pouvant se sacrifier à sa justice ; quelques-unes résistent tout à fait, d’autres résistent peu de jour : et ces résistances leur font de terribles tourments, surtout à l’âme qui avait été fort fidèle jusqu’alors, et qui avait un certain appui secret dans sa fidélité à souffrir, et à n’avoir jamais rien refuser à Dieu, quelques dures qu’aient été ses volontés.
Dieu donc permet ces résistances à s’immoler à la croix et à la peine, à le recevoir couvert de sang comme un époux de sang et de douleur. Les âmes de cette trempe ne résistent pas longtemps. Cependant ces résistances sont nécessaires, pour leur faire sentir à elles-mêmes leur faiblesse, et leur faire connaître combien elles sont éloignées du courage qu’elles croyaient avoir. Il y a telles âmes, qui après une exquise pureté d’amour senti, se trouve bien faible contre l’amour rigoureux, et si elles ont été fidèles jusqu’alors, la peine de l’impureté spirituelle, qu’elles ont contractée par cette résistance, leur est un grand tourment.
210 son époux afin de la punir, et en même temps (a) de la purifier de la tâche qu’elle 211 avait à sa pureté et à son innocence, et que la répugnance qu’elle sentait au dépouillement
(a) j’oubliais de faire remarquer que ce que je dis, pour la punir et purifier de l’attache à la pureté et innocence, ne peut jamais être appliqué autrement 211 qu’à une impureté spirituelle, et non comme des gens charnels l’ont expliqué ; puisque je fais voir, que la résistance qu’elle a faite à se sacrifier à Dieu, est l’impureté dont je parle, ainsi qu’on le peut remarquer en lisant attentivement la proposition. Ne pouviez-vous pas empêcher une épouse si chère et si fidèle de vous faire cette résistance ? (Sa fidélité faisait sa pureté, et sa docilité son innocence.) Mais elle était nécessaire pour sa consommation. (Remarquez s’il vous plaît que je parle de résistance, et de résistance à l’abandon pour souffrir les épreuves). L’époux permet cette faute dans son épouse (cette faute de résistance) afin de la punir en même temps de la purifier de l’attache qu’elle avait à sa pureté et à son innocence. Cette faute étant une résistance, l’impureté qu’elle contracte est donc une impureté spirituelle, causée par la résistance. Si j’avais voulu parler d’une impureté corporelle, et que j’eusse voulu dire ce qu’on me veut faire dire, comme Dieu m’a fait la grâce de savoir ma langue, j’aurais mis tout le contraire, et j’aurais dit : elle s’est livrée à l’impureté pour se purifier de l’attache à cette pureté ; ce qui est absurde : car cela ne peut jamais être. On dit, que ce que j’ai voulu faire dire à notre épouse, J’ai lavé mes pieds, comment les salirai-je, c’est pour qu’elle commet des crimes. Si c’est pour commettre des crimes, et si c’est pour se salir de la sorte, la résistance qu’elle fait à cela l’empêche de perdre sa pureté en cette sorte ; ainsi Dieu n’a pas permis cette faute pour lui faire perdre la pureté et l’innocence, comme ces personnes le disent : puisque ce serait une contradiction manifeste, d’autant que la résistance à ces choses la rendrait plus pure et plus attachée à sa pureté corporelle, loin de la lui ôter : et je dis au contraire 212 que Dieu a permis cette résistance dans son épouse pour la purifier de l’attache à sa pureté spirituelle, qui est une fidélité trop poursuivie et sans relâche.
Dieu veut qu’elle se livre à souffrir toute la rigueur de sa justice, qu’elle soit livrée comme Job au démon pour la tourmenter : et ce sont ces sortes de tourments qui la purifient de l’attache propriétaire à sa pureté corporelle ; ce qui est très involontaire en ces âmes et des tourments comparés à l’enfer, comme on le verra. Mais cette résistance est tout le contraire : elle fait contracter à l’âme une impureté spirituelle, qui est une résistance à l’abandon à Dieu, et une infidélité par faiblesse à l’approche des croix. Je ne sais si je me suis suffisamment expliqué sur cela. Je suis prête de sceller ma foi de mon sang. Comme je n’avais jamais imaginé qu’on pût donner une pareille explication, et que lorsque j’écrivis cela, je n’avais jamais ouï parler de toutes ces créatures ni de rien d’approchant ; je ne songeais pas à m’expliquer, et d’autant plus, que ce livre-là était incorporé, et non détaché de ceux qui expriment plus au long mes sentiments. Si quelque chose fait difficulté, je m’offre toujours de l’expliquer le plus nettement que je le pourrai.
212 de sa propre justice : car quoiqu’elle fût bien, que sa justice est à son époux, néanmoins elle y avait de l’attache, et elle s’en appropriait quelque chose. Verset 4.
C’est comme si cette âme disait : j’ai levé la barrière qui empêchait et ma (a) perte totale, et la consommation de mon mariage ; car ce mariage divin ne peut être
(a) On peut voir (dans l’article de Perte, etc.) ce que c’est que cette perte totale.
213 consommé que la perte totale ne soit arrivée. J’ai donc ôté cette barrière par (a) l’abandon le plus courageux, et le sacrifice le plus pur qui fut jamais. J’ai (b) ouvert à mon Bien-aimé, croyant qu’il entrerait, et qu’il guérirait la douleur qu’il m’avait causée par son attouchement ; mais hélas, le coup serait trop doux s’il y apportait si promptement le remède ! Il se cache, il fuit, il passe outre, il ne laisse à cette Amante affligée que (c) la plaie qui lui a faite, la peine de sa faute, et la (d) saleté qu’elle croit avoir contractée en se levant.
Cependant la bonté de l’Époux est si grande, que quoiqu’il se cache, il ne laisse pas de faire de grandes grâces à ses amis ; et d’autant plus grandes, que les privations sont plus longues et plus dures ; comme il
(a) Cet abandon a rapport toujours à ce sacrifice des épreuves et des souffrances.
(b) Cette ouverture est un abandon renouvelé : parce que la résistance l’ayant en quelque manière interrompu, il faut un renouvellement actif d’abandon ; et Dieu l’exige ainsi de l’âme : ce qui marque qu’elle avait été infidèle, puisqu’elle a besoin d’un retour actuel et d’un renouvellement d’actes aperçus.
(c) La plaie que Dieu lui a faite est une plaie d’amour douloureux, qui la fait courir après lui avec plus d’empressement : et sa faute est la résistance.
(d) Saleté apparente, et non réelle, qu’elle contracte en sortant de sa solitude.
214 fit à son épouse, qui se trouva dans une nouvelle disposition, laquelle lui fut bien avantageuse, quoiqu’elle ne la reconnût pas pour telle. C’est que son âme se fondit et se liquéfia dès que son Bien-aimé eut parlé, et que par cette liquéfaction elle perdit ses qualités dures et rétrécies, qui empêchaient la consommation du mariage spirituel. Verset 6.
Épouse infortunée ! Jamais il ne vous était arrivé rien de pareil. Parce que jusqu’ici votre Époux vous gardait, vous vous être reposée sûrement sous son ombre ; vous étiez en assurance entre ses bras : mais depuis qu’il s’est éloigné par votre faute, ah, que vous est-il arrivé ! Vous croyez avoir beaucoup (a) souffert par tant d’épreuves, qu’il avait déjà faites de votre fidélité ; cependant elles étaient peu de choses, au prix de ce qui vous reste à souffrir. Ce que vous avez souffert avec lui n’était que des ombres de souffrance ; et il ne vous fallait pas attendre à moins. Croyez-vous épouser un Dieu déchiré de plaies, percé de clous et dépouillé de tout, sans être traité de même ?
Cette âme se trouve battue et blessée de tous ceux qui gardent la ville. Ceux qui jusqu’à présent n’avait osé l’attaquer, et qui
(a) Remarquez que ceci se soutient toujours, et qu’il y est toujours parlé d’épreuves et de souffrances.
215 cependant la veillaient incessamment, prenant leur temps pour la frapper. Qui sont ces gardes ? Ce sont les (a) ministres de la Justice de Dieu. Ils la blessent, et ils lui ôtent le manteau si cher de sa propre justice. O Epouse infortunée ; que ferez-vous dans un état si pitoyable ? L’Époux ne voudra plus de vous après un si triste accident, qui porte avec soi l’abjection d’avoir était maltraitée des (b) soldats, et couverte de blessures
(a) Ces ministres de la Justice de Dieu sont les diables, auxquels Dieu livre quelquefois ces âmes d’une manière autant douloureuse qu’affligeante. Cet état arrive quelquefois, surtout à celles qui ont varié dans leur abandon, et qui ont résisté à Dieu comme celle-ci. Cela joint avec l’expérience de leur misère leur ôte l’appui qu’elles avaient en leur propre justice. Remarquez que j’ai toujours dit propre justice, c’est-à-dire, l’appropriation qu’elle se faisait de leur justice, et de la fidélité qui forme un appui en soi. Il faut perdre ces choses pour être désappropriées et n’avoir d’appui qu’en la justice de Dieu. Elles perdent donc cet appui par l’incertitude où elles sont mises de leur salut ; ce qui les fait entrer dans la justice de Dieu, connaissant son tout et leur rien, sa toute-puissance et leurs faiblesses ; ce qui les établit dans un abandon qui ne varie plus.
(b) Il est aisé de voir que ces soldats sont une comparaison, dont je me sers parce que le texte le dit de la sorte ; mais non pas que j’aie jamais pensé ni voulu dire que cette épouse s’était abandonnée à des soldats d’une manière infâme. Cela me paraît si grossier, que je m’étonne comment on a pu le penser. Ces ministres, gardes, ou soldats sont donc 216 les diables ; ce manteau qu’ils ôtent est l’assurance du salut, et l’appui en nos propres œuvres et notre propre justice. Les blessures qu’ils font sont souvent bien réelles. J’ai connu une sainte fille examinée exactement par un saint évêque, à qui le diable avait fait à la mamelle droite une plaie large de trois doigts, qu’il lui fallait panser avec d’extrêmes douleurs. J’en ai connu plusieurs de cette sorte. Il y en avait une dans le diocèse de Sens, conduite par monseigneur Octave de Bellegarde, pour lors Archevêque de Sens : le Diable lui cassa le bras. Monseigneur l’archevêque lui défendit de lui toucher davantage ; i lne lui fit plus rien depuis. La vie de cette religieuse est imprimée, et je l’ai su plus particulièrement d’une religieuse fort âgée qui était alors la Supérieure. Le Père Raveno Jésuite rapporte la même chose, et de beaucoup plus étonnantes, dans la vie de la Mère de St Augustin religieuse en Canada.
216 jusqu’à avoir laissé votre manteau entre leurs mains, quoiqu’il fût votre principal ornement. Si vous continuez encore de chercher votre Bien-aimé, on dira que vous êtes follede vous présenter à lui de la sorte : et d’ailleurs, si vous cessez de le chercher, vous pourrez de langueur : votre (a) état est assurément déplorable. Verset 7.
Sitôt que l’âme est entièrement désappropriée, elle est toute disposée pour être reçue 217 dans le lit nuptial de l’Époux. -- —
Il se nourrit (dit cette incomparable épouse) entre les lys de ma pureté : ceux de l’âme, qui lui plaisent beaucoup plus que ceux de la chair, sont la désappropriation générale ; une âme sans propriété, est une âme vierge : ceux du corps sont l’intégrité des sens. Chap. 6. Vs. 2.
L’intérieur de cette âme, c’est un vin, parce que tout y est liqueur, tout recoule en Dieu, sans être arrêté par aucune propre consistance. Ch. 7 vs 9.
(a) L’état de cette Épouse n’est déplorable, que parce qu’elle ne se peut empêcher de chercher son Dieu, et qu’elle l’aime si passionnément, que plus il fuit, plus elle le cherche, au lieu que les autres ne le cherchent point, et cherchent au contraire leurs plaisirs hors de lui.
[après les amples extraits du Cantique:]
La différence et l’inégalité des vues intellectuelles est cause que la lumière qui procède de la bonté paternelle, et que Dieu infond et répand abondamment sur ses créatures, ou ne se communique point du tout, n’ayant point de prise sur elles, à cause de leur dureté (a) et de leurs résistances ; ou bien, fait qu’un même rayon originaire et primitif, un, simple, immuable et toujours de même sorte, bien que répandu largement sur elles, opère diverses participations différentes les unes des autres : les unes petites, les autres grandes ; les unes obscures et les autres plus claires, selon la capacité des sujets qui le reçoivent. De la Hiérarchie Céleste chap.9.
C’est là la propriété véritable.
2. O combien est puissant l’amour de Jésus-Christ lorsqu’il est pur et sans aucun mélange de propre intérêt. Ne devons-nous pas mettre au rang des mercenaires ceux qui ne cherchent sans cesse que leur propre satisfaction -- . Où trouverez-vous présentement un homme qui veuille servir Dieu gratuitement ? Livre 2. Chap. 11. n. 3.
3. Mon fils, vous ne pouvez être entièrement libre, si vous ne renoncez entièrement à vous-même. Tous ceux qui se rendent propriétaires de leur âme et qui sont possédés de leur propre amour sont comme liés et enchaînés. Là même, Ch. 32 § 1.
4. Mon fils, quittez-vous vous-même, et vous me trouverez. N’ayez point de volonté ni de choix, et vous croîtrez toujours en vertu ; parce qu’aussitôt que vous vous serez entièrement abandonné à moi, sans reprendre encore le soin de vous-même, je répandrai avec plus d’abondance ma grâce dans vous. Ch. 37. §1.
5. Car comment pourrez-vous être à moi, et moi à vous, si vous n’êtes dépouillé entièrement, et au-dedans et au dehors, de toute volonté propre. §3.
6. Donnez tout pour tout ; ne cherchez plus rien de vous-même, après vous être donné. §5.
7. Comme l’amour propre ne peut connaître ce que c’est que l’amour nu ; aussi l’amour nu ne connaît point ce que c’est que la propriété : d’autant qu’il ne voudrait pas avoir connu aucune chose comme sienne ; parce que l’amour nu ne voit que la vérité, laquelle étant de sa nature communicable à tous, ne peut être propre à aucun ; et parce que l’amour propre est un attachement à lui-même, portant avec soi les ténèbres et le péché, qui lui bandent les yeux, il ne la peut ni croire, ni voi. —
Mais l’amour propre spirituel est bien plus dangereux, et plus difficile à connaître que le charnel ; parce qu’il est un poison très subtil et pénétrant, duquel peu de personnes se garantissent, étant bien plus couvert sous beaucoup de subtilités -- . Ainsi je conclus que cet amour propre est la racine de tous les malheurs qui nous puissent arriver en ce monde et en l’autre. Je vois en l’exemple de Lucifer comme il lui en prend, d’avoir eu pour objet ce pernicieux amour : mais je le vois encore mieux en nous, comme notre père Adam nous y a conduits avec cette semence. En sa Vie Chap.25.
8. Voyez Purification. n. 18
9. Voyez Là-même.
10. Dieu consume l’entendre et le comprendre ; et ainsi il jette dehors toutes les opérations avec lesquelles elle se pourrait approprier quelque chose spirituelle, ou pour soi, ou pour autrui : autrement elle ne serait pas nette en sa présence. Chapitre 32.
11. Voyez Confession. n.5.
12. Je voyais l’amour si jaloux, en ce qu’il subtilisait et examinait ainsi toutes choses par le menu, avec un si grand soin et une si grande force, pour parvenir à son but, qui est d’anéantir toutes ses propriétés, dont (a) un seul brin ne peut demeurer en la présence divine ; qu’encore que je vis cet partie propre et sensuelle plus que diabolique et d’une malignité terrible, toutefois je la voyais à la fin demeurer presque anéantie par l’amour, et par la puissance dont lil usait contre elle. Étant ainsi occupé à considérer l’amour en son opération, ma parti propre avec toute sa malignité ne pouvait plus me donner de crainte, et le Purgatoire et l’Enfer ne m’ussent pas épouvantée ; mais si j’eusse vu seulement une petite contrariété, et la moindre résistance à cet amour pur, ce m’eût été un enfer. Vie chapitre 41.
(a) noter seul brin.
13. L’amour anéantissait non seulement cette partie maligne par le dehors, mais même l’intérieure et spirituelle qui goûtait et comprenait les choses divines, et semblait vouloir se transformer tout en Dieu, et anéantir cette partie sensuelle.
Quand cette partie supérieure et spirituelle avait assez bien fait, et qu’elle pensait avoir vaincu et humilié cette partie inférieure et sensuelle, lui ôtant tous les moyens de se nourrir, et qu’il semblait qu’elle eût réduit tout le bien pour elle-même, et en pouvoir jouir en paix ; alors cet amour véhément et insatiable survenait en fureur et lui disait : que penses-tu faire ? Je veux tout pour moi ; (a) (a, que ceci a d’étendue, et qu’il est terrible !) ne pense pas que je te laisse le moindre petit bien ni à l’âme ni au corps. Je veux que l’un et l’autre demeurent nus et désarmés de tout ce qui est au-dessous de moi ; et je ne veux rien souffrir au-dessus de moi ; sache que deux sous moi sont toutes ces vues, ces sentiments et ces perfections, que je n’approuve pas ; et quand je viens à cribler l’âme, je suis si subtil, que toute sa perfection devant mes yeux est un défaut ; c’est pourquoi je ne veux pas qu’au-dessous de moi il y ait aucune chose qui puisse demeurer en être, sinon celle que j’approuverais comme bonnes. On ne peut aussi être par-dessus moi : c’est pourquoi plus tu monteras en haut par quelque perfection que tu puisses avoir, plus je serais toujours par-dessus toi pour ruiner toutes les imperfections, qui arriverait dans les vues unitives que tu pourrais avoir. Là même.
14. Voyez Pur amour. n.13.
15. O. Amour pur, vous faites par votre violence que la moindre tache d’imperfection est un enfer, plus grand et plus rigoureux que celui des damnés ! C’est ce que personne ne comprendra et ne croira, hormis celui qui sera exercé et expérimenté en vous. Là même chapitre six.
16. Tout appétit, encore qu’il soit de la moindre imperfection, fouille et obscurcit l’âme en sa manière, et empêche sa parfaite union avec Dieu. Montée du mont Carmel livre 1 chapitre 9.
17. O. qui pourrait donner à entendre jusqu’où Dieu veut porter cette abnégation ! Sans doute elle doit être comme une mort et un anéantissement temporel, naturel et spirituel en tout (quant à l’estime de la volonté ;) dans laquelle mort se trouve tout le gain et le profit. C’est ce que Notre Seigneur a voulu dire : (a. Marc 8, 35) celui qui voudra sauver son âme la perdra (c’est à savoir, que celui qui voudra posséder quelque chose ou la chercher pour soi, la perdra) et celui qui perdra son âme pour moi la gagnera ; c’est-à-dire que celui qui renoncera pour l’amour de Jésus-Christ à tout ce que sa volonté peut désirer, vouloir et goûter, faisant choix de ce qui ressemble plus à la croix (ce que Notre Seigneur appelle en saint Jean [b : Jean 12, 25] abhorrer son âme) celui-là la gagnera.
Le même Seigneur dit, (a. Mathieu 11, 30) mon joug est doux et mon fardeau léger, qui est la croix, parce que si l’homme se détermine à s’assujettir, et à porter cette croix (qui est une vraie résolution et détermination à vouloir trouver et supporter des travaux en toutes choses pour l’amour de Dieu,) il trouvera en elle un grand allégement et beaucoup de suavité, pour marcher par ce sentier ainsi dénué de tout sans rien vouloir. Mais s’il prétend d’avoir quelque chose avec propriété, soit de Dieu, soit d’autre chose, il n’est pas dénué ni désapproprié (b : notez : désapproprié en tout.) En tout, et ainsi il ne pourra tenir ce chemin ni monter par ce sentier étroit. Je voudrais bien pouvoir persuader aux spirituels, comme ce chemin de Dieu ne consiste pas en multiplicité de considérations, ni de moyens, ni de goûts, encore que cela soit nécessaire aux commençants, mais en une seule chose nécessaire, qui est de savoir se renoncer à bon escient, selon l’extérieur et l’intérieur, s’exerçant à pâtir pour Jésus-Christ et à s’anéantir en tout : car en pratiquant (c : par cette voie qui comprend tout, on pratique tout) ceci, tout ce qui a été dit et plusieurs choses encore, se font et se trouvent ici. Montée du mont Carmel livre 2 chapitre 7.
18. Il faut savoir que jusqu’à ce que l’âme soit en cet état de perfection, dont nous parlons, tant spirituelle soit-elle, il lui demeure toujours quelque inclination et attachement d’appétits et de petits goûts, et autres imperfections, soit naturelles, soit spirituelles, lesquelles elle va suivant, et ainsi tâche de se repaître : car pour l’entendement, il lui demeure pour l’ordinaire quelques imperfections d’appétits de savoir les choses ; touchant la volonté, elle se laisse emporter à de petits goûts et appétits propres. Cantique entre l’épouse et l’époux. Couplet 18.
19. C’est une propriété de l’amour parfait, de ne vouloir admettre ni prendre aucune chose pour soi, ni se rien attribuer, mais tout entièrement
à l’Ami : car si même aux amours bas et terrestres cela se pratique, combien plus en l’amour divin, où la raison nous y oblige tant. Là même couplet 24.
20. L’âme se sentant déjà toute enflammée en l’union divine, et transformée par amour en Dieu, et sentant courir de son ventre les fleuves d’eau vive, que notre seigneur Jésus-Christ disait (a. Jean 7, 38) devoir sortir de semblables âmes, il lui semble que puisqu’elle est transformée en Dieu avec une si grande force, et si hautement désappropriée, et ornée de si grandes richesses, de dons et de vertu, qu’elle est si près de la béatitude, qu’il n’y a qu’une toile légère et déliée entre-deux. Vive flamme d’amour Cantique 1. Prologue.
21. Voyez Mort entière. n.9.
22. L’âme va chantant à Dieu : -- vous (b : psaume 29 versets 12,13) avez échangé des pleurs en joie, vous avez rompu mon sac, (C : ce sac et la propriété qui renferme toute corruption) et m’avez environné d’allégresse, afin que ma gloire vous chante, et que je n’aie plus de remords, (vu qu’aucune peine ne l’approche là.) (d) Là même, cantique 2 verset 6.
(d) L’âme exempte de propriété n’a plus de remords, quoiqu’elle ne se croit pas justifiée pour cela, mais une sincère innocence et simplicité la tient 224 hors d’elle, de sorte que le Maître ne lui reproche plus rien : elle n’entend plus cette voie de l’exacteur, dont parle Job (chapitre 3 verset 18) qui lui a été un si grand tourment dans le temps de la propriété. Pour donner quelques jours à ceci, qui est entièrement pour l’état de purification (mais cela est tellement lié qu’on ne le peut séparer,) il faut faire attention à l’état des âmes de purgatoire. Elles ont deux peines : peut-être l’ai-je écrit dans le traité que j’ai fait du Purgatoire. [Voyez ce traité parti II n. 33 dans les Opuscules de l’auteur.] La première est l’application de la justice de Dieu, ou de cette divine main qui leur est un tourment intolérable ; la seconde c’est leur propre impureté, qui est une plaie infiniment douloureuse : mais cette douleur ne dure qu’autant de temps qu’il en faut pour les purifier. Elles ne sont pas plutôt purifiées, qu’elles ne sentent plus de douleur, quand même elle resterait dans le purgatoire. Elles n’ont plus la douleur de la propriété, puisqu’elle n’est plus ; ni la douleur de l’application de la main de Dieu, parce que cette main ne leur est douloureuse qu’à cause de leur impureté ; de sorte que dès qu’elles sont pures, cette main ou cette justice qui leur était si douloureuse, leur devient une béatitude. Il en est de même de l’âme en cette vie. Sitôt que sa propriété détruite, elle n’a plus de peine de la propriété, ni point de remords comme le dit sainte Catherine de Gênes, qu’elle n’en avait plus (voyez Confession n.3 et 6) : et cette main divine ne lui est plus dure comme nous venons de voir, mais très douce et béatifique. Durant toute la voie, l’âme a au-dedans d’elle un exacteur rigoureux, qui condamne incessamment ce qui lui paraît à elle-même très peu condamnable : mais après la mort et désappropriation, ce n’est plus la même chose ; l’âme se trouve dans une paix infiniment profonde. Je ne doute pas que si elle faisait de nouvelles fautes, il ne lui lui reprochât ; mais comme ces fautes sont légères, ils les consument en un moment au feu de son amour.
23. Rusbroche (parlant des Illuminés) : quelques-uns de cette classe usent d’un grand choix, et choisissent beaucoup de choses ; et de plus prient et désirent que Dieu leur octroie plusieurs rares et singulières faveurs : c’est pourquoi souvent ils sont trompés ; Dieu le permettant ainsi si bien que par l’entremise du diable ils obtiennent ce qu’ils désirent, ce que néanmoins ils attribuent à leur sainteté, s’estimant entièrement dignes de tout : ce qui n’est pas merveille, vu qu’ils sont malades de superbe, et ne sont point touchés ni illuminés divinement. Ils s’arrêtent donc et se reposent en eux-mêmes (a. Ceux-là sont bien éloignés de marcher par le sentier de la foi et du renoncement, qui se cherchent en tout. Il faudrait mettre en parallèle ces différentes voies pour voir combien les écrits que Dieu m’a fait faire sont opposés à ces illuminés, qui se cherche en tout, se réfléchissant sans cesse sur soi, n’aiment qu’eux-mêmes, et n’aiment pas Dieu.), et sont entièrement enclins, suivant leur désir et appétit, a chercher et prendre la saveur et le goût intérieur et les commodités spirituelles de la nature : ce qu’on peut nommer à bon droit luxure spirituelle ; parce que c’est une inclination déréglée de l’amour naturel, qui est toujours réfléchi sur soi-même, et qui recherche et désire sa commodité en toutes choses. Ils sont toujours malades de l’orgueil spirituel, et adonnés à leur propre volonté ; d’où vient qu’ils sont parfois tellement portés d’affection, de désir et d’appétit aux choses qu’ils souhaitent, et s’efforcent tellement à les obtenir de Dieu par importunité, qu’ils sont ordinairement trompés, et quelques-uns même, saisi du malin esprit. Sans doute, tant qu’il y a de cette pâte, ils mènent tous une vie contraire à la charité, et à cette introversion amoureuse, où l’on souffre tout entier, avec tout ce que l’on peut faire et avoir, à l’honneur et à l’amour de Dieu. (De l’ornement des Noces spirituelles livre 2 chapitres 77.) Éclaircissement des phrases mystiques de Jean de la Croix partie I chapitre 8 paragraphe 3.
24. Dom Barthélémy des Martyrs (parlant des hommes parfaits :) Leur (a. la différence des uns et des autres [à savoir des faux illuminés et des vrais parfaits] est bien exprimée : et l’on peut voir la vérité de la voie intérieure par l’opposition des deux manières d’agir.) intention et leur mémoire ne se porte qu’à Dieu ; ils sont toujours occupés en lui intérieurement ; ils sont tellement attachés à Dieu, que voyant ils sont comme aveugles, écoutant il demeure comme des sourds, parlant ils sont comme des muets : ces gens mènent en terre une vie céleste et angélique, et peuvent être appelés à bon droit anges terrestres. --
Donc soldats de Jésus-Christ, si vous voulez arriver à ce port, tâchez de toutes vos forces d’observer les choses suivantes. * Ne possédez aucune chose avec engagement de cœur ; ne vous attachez de volonté à aucune créature ; ne désirez pas humainement l’amitié et la familiarité d’aucun homme, quelque sainteté qu’il ait : car non seulement les choses mauvaises, mais encore les bonnes, nuiront à cette sagesse, si elles sont aimées ou recherchées désordonnement ; d’autant qu’une lame d’or posée devant nos yeux n’empêche pas moins la vue qu’une lame de fer. Chassez l’amour-propre et le déracinez de toutes vos forces ; et quittant la propre volonté, donnez-vous totalement à Dieu et vous plongez ou transformez parfaitement en lui. Ne dites jamais, soit de bouche, soit de cœur, ayant égard à vous-même et à votre propre commodité ; je veux cela ; je ne le veux pas ; je choisis cela ; je le rebute ; et pour lors, ne cherchez jamais rien ; mais vous dénuement de toutes sortes de propriétés, dépouillée vous vous-même, et vous aurez tellement à vous et à toutes choses du monde, de même que si vous ne deviez jamais vivre, ou si vous étiez entièrement mort en tout ; cherchez l’honneur de Dieu, et faites votre possible, que sa volonté s’accomplisse en toutes choses. (Abrégé spirituel partie II chapitre 10.) Là même partie II chapitre 1 paragraphe 3.
25. Taulère. Il n’est pas permis à celui qui aime véritablement, de chercher pour soi, ou pour l’amour de soi, du plaisir et de la délectation en cette douceur spirituelle intérieure, encore que cela semble licite aux serviteurs de Jésus-Christ imparfaits et commençants, mais nullement aux parfaits. (Sermon du 15e dimanche après la Sainte Trinité.) Là-même chapitre 7 paragraphe 2.
26. -- Il y en a que les exercices extérieurs délectent merveilleusement, qui s’y adonnent avec une grande allégresse, et ils prennent tant de plaisir et de gloire, qu’ils sont pour cela beaucoup moins agréables à Dieu ; et cette délectation pourrait bien être telle, qu’ils seraient du tout désagréables à Dieu, et qu’ils en détourneraient sa vue et son cœur, lorsqu’ils s’y chercheraient plutôt eux-mêmes que non pas Dieu. -- C’est ce qui nous fait connaître, qu’il faut brûler par le feu d’amour, et sacrifier derechef à Dieu tout le plaisir que l’on peut avoir dans les actes et dans l’exercice des vertus. (Sermon I pour la fête de saint Matthieu.) Là même.
27. -- Cet amour nuisible recherche toujours quelque chose du sien, et pour cette cause, il se trouve aux Sermons, et reçoit le très saint-Sacrement, afin de recevoir quelque chose du sien. Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende. (Sermon du 16e dimanche après la Sainte Trinité.) Là même.
28. Rosignolius. Le plaisir qui provient de la douceur de l’esprit, par laquelle nous avons coutume de nous plaire beaucoup en nous-mêmes, nourrit plus l’amour de nous-mêmes, que les allèchements des choses mondaines. (De la perfection de disciplines chrétiennes livre 6 chapitre 6.) Là même chapitre 10. Paragraphe 2.
29. Albert le Grand. Ces fantômes ou images, quoiqu’ils ne paraissent pas être des péchés, même des plus légers, et semblent comme tout exempt de coulpe, si est-ce que ce sont de grands empêchements de ce saint exercice et de cette œuvre ; et partant quoiqu’ils aient semblé utiles et nécessaires, soit grands, soit petits, ils doivent être aussitôt rejetés comme nuisibles et pernicieux. (De l’attachement à Dieu chapitre 4.) Et encore : il faut que ton esprit soit épuré de tous fantômes et enveloppes et obscurcissements comme un Ange lié à un corps. (Chapitre 8.) Là même chapitre 20.
30. Saint Bonaventure, (Expliquant ces paroles du Cantique 5 verset 3. J’ai lavé mes pieds, comment les salirai-je ?
Comment est-ce que je les gâterai derechef des ombres et des images des choses temporelles, vu qu’aussi les opérations intellectuelles, et les images dans l’exercice intellectuel, sont réputées et tenues pour des taches et des pierres d’achoppement. (Opuscules I des Sept chemins de l’éternité). Lui-même.
31. L’abbé Gilbert. Hélas, comment est-ce que ce mauvais jour éclaire autour de moi ! Comment est-ce qu’il a ravi à soi mon affection ? Tout ce qui peut troubler ou souiller l’esprit vient fondre de tous côtés et se jeter dans ma pensée ; car encore que l’esprit le repousse par un propos sévère, il est néanmoins sali par le seul attouchement de ces pensées, qui l’assaillent avec fureur et impétuosité ; elles ne sont pas imputées à péché en venant fondre avec violence ; néanmoins elles font tort à la netteté tant désirée. (Sermon 1 sur le Cantique). Là même.
32. Le Père Jacques de Jésus. Tache [ou propriété] signifie toute chose imparfaite et sensible, qui a besoin de purification, à cause qu’elle distrait la volonté de la conversation spirituelle avec Dieu, encore que cela arrive dans les premiers mouvements, et sans liberté. Note sur Jean de la Croix. Discours I. Phrase I.
33. Les choses humides et liquides reçoivent aisément les figures et limites qu’on leur veut donner, d’autant qu’elles n’ont nulle fermeté (a. le vrai caractère de la propriété est d’être fixé en soi-même : pour détruire cette fixation, il faut que l’âme perde toutes formes et figures propres, toute propre consistance, par la purification la plus forte.) ni solidité, qui les arrête ou borne en elles-mêmes. Mettez (a. admirable comparaison de l’entière désappropriation) de la liqueur dans un vaisseau, et vous verrez qu’il demeurera borné dans les limites du vaisseau ; lequel s’il est rond ou carré la liqueur fera de même, n’ayant aucune limite ni figure, sinon celle du vaisseau qui la contient.
L’âme n’en est pas de même par nature : car elle a ses figures et ses bornes propres ; elle a sa figure par ses habitudes et inclinations, ses bornes par sa propre volonté : et quand elle est arrêtée (B : Vraie propriété) à ses inclinations et volonté propre, nous disons qu’elle est dure, c’est-à-dire, opiniâtre, obstinée. Je vous ôterai, dit Dieu (C : Ézékiel 11,19), votre cœur de pierre, c’est-à-dire, je vous ôterai votre obstination. Pour faire (d : manière de purifier la propriété) changer de figure au bois, au fer, au caillou, il faut la cognée, le marteau, le feu. On appelle cœur de bois, de fer, ou de pierre, celui qui ne reçoit pas aisément les impressions divines, mais demeure en sa propre volonté parmi les inclinations qui accompagnent notre nature dépravée : au contraire un cœur doux, maniable ou traitable, est appelé un cœur fondu et liquéfié. De l’Amour de Dieu. Livre 6. Chapitre 12.
34. Qu’ils prennent bien garde (e : il parle aux commençants) de ne se rendent propriétaires d’aucun exercice d’esprit, lorsque Dieu les tire ailleurs : et quoiqu’ils doivent grandement chérir la solitude, ils se doivent bien garder de s’en rendre propriétaire. Esprit du Carmel chapitre 10.
35. L’âme attachée à ses propres exercices n’est pas encore disposée pour passer entièrement en Dieu ; d’autant qu’elle ne se quitte pas assez, pour le suivre purement et nuement, là où il la veut tirer en esprit. Ce n’est pas une chose de petite importance de vaquer à Dieu en esprit : il le faut faire à bon escient, sans relâche et sans réserve. Car la créature doit passer d’elle-même en Dieu ; et celle qui a un désir infini de Dieu ne serait pas rassasiée, si elle n’était pleine de lui. Partant elle se doit vider entièrement d’elle-même ici-bas, ce qui est une chose merveilleuse. Quand cela est, alors la terre est esprit, même dans un corps humain, qui participe à ses qualités spirituelles. Mais peut-être n’est-il pas nécessaire de nous perdre si profondément et si loin de nous, puisque nous sommes autant éloignés de cet excellent état, que nous sommes gisants subtilement en nous-mêmes. Là même chapitre 12.
36. Depuis que la nature est une fois spiritualisée, elle est très fine à se rechercher. Elle ne réfléchit que sur soi et sur son propre bien dans les dons de Dieu, et se recherche en Dieu même. Elle est extrêmement encliné à sa propre excellence ; et plus sa connaissance et grande noble, plus aussi elle la rapporte à soi-même, spécialement si ce qu’elle connaît est digne d’être aimé, comme sont les dons de Dieu, lesquels elle n’aime qu’à cause du goût, et de la saveur qu’elle y trouve, et non en Dieu [notre note : souligner « en »] qui est infiniment autre que ses dons. Or ce qui rend ceci plus étrange, c’est que plus l’avancement et grand, plus ce désordre et ce malheur est à craindre ; d’autant que la nature étant éprise de son propre amour, et engluée d’elle-même dans les dons de Dieu, les ordonne et les détermine pour soi d’une manière qui lui est inconnue : ce qui peut être si subtil, qu’à peine aucun s’en peut-il apercevoir. Là même chapitre 19.
37. Il y a autant de degrés de propre vie dans les hommes qu’ils craignent en diverses manières de se perdre ; les uns selon l’esprit et selon la voie d’amour nu ; les autres selon la raison ; les autres selon le sens ; les autres selon le moral. C’est pourquoi l’étendue de tout ceci et tous les mauvais effets leur doivent être expliqués le plus largement qu’il est possible ; comme l’ont fait plusieurs mystiques, et moi aussi autant que j’ai pu, tant pour moi que pour les autres.
Quiconque ne sait pas par expérience les voies de la nature, soit qu’elles lui soit agréables ou désagréables, ne sait ce que nous disons ; il ne sait rien en matière de discrétion des esprits, et il n’est pas perdu dans la région des vrais esprits, qui sont morts à tous sentiments. Je ne veux pas dire qu’ils n’aient plus de sentiment ; mais c’est qu’ils les renvoient incontinent à leur source, qui est Dieu, sans en faire autre estime pour eux-mêmes. Aucun ne doit être dit vraiment mystique, qui ne soit très bien expérimenté en cette science des voies de la nature, tant en soi qu’en autrui. Mais il semble que plus on recherche cette science, plus on s’en éloigne, d’autant qu’on n’expérimente pas au-dedans ce que Dieu a accoutumé de départir aux bonnes âmes, soit peu à peu, soit quelquefois à l’extraordinaire et tout d’un coup, qui sont les habitudes infuses, dont les actes sont intérieurs.
Ceux qui demeurent au-dehors et qui néanmoins vaquent à l’oraison, sont lents, pesants et démesurément longs en leurs procédures, d’autant qu’ils s’y reposent directement ou indirectement. Les vrais spirituels ne s’affectent de rien que de Dieu seul, et n’ont rien de propre, ni dans les choses sensibles ni en eux-mêmes. Ils demeurent tranquilles et ordonnés en Dieu, et le possèdent par-dessus tous ses dons d’une manière ineffable, faisant tout l’extérieur purement, saintement, vitement et sans affection sensible. Là même.
38. Dieu convie l’âme tant qu’il peut à se perdre à elle-même et à toutes les créatures, et de vivre ainsi perdue en lui, principalement au temps de son plus grand délaissement intérieur, et de celui qui est extérieur de la part des créatures. En cette pratique et fidélité consiste la sainteté de la fidèle épouse.
Il est vrai que cette sorte d’aigle est très rare, attendu qu’aujourd’hui les hommes ne cherchent Dieu que pour eux-mêmes et nullement pour lui. Ils ne sont amis de sa Majesté qu’à la table et aux noces. Partout ailleurs, ils sont idolâtres d’eux-mêmes dans la jouissance (a. j’ajoute ici, que comme une personne serait propriétaire de son argent, qui le conserverait et n’en ferait aucune part à son prochain dans sa nécessité ; une personne éclairée se croirait propriétaire des dons de Dieu, si elle n’en faisait pas part aux autres dans le besoin ; et la même libéralité qu’elle a eue pour ses biens temporels lui est donnée pour ses biens spirituels) des excellents dons de Dieu. Esprit du Carmel chapitre 23.
39. Voyez Abandon. n.31.
40. Il est à craindre que vous ne mettiez un grand fondement de sainteté en tous vos exercices ; c’est pourquoi je dis que s’ils ne sont incessamment accompagnés d’un amour très pur, très simple, très nu et éternellement mourant, sans aucun relâche et sans la moindre détention de vous-même, vous n’êtes pas véritablement comme il faut. Lettre 63.
Soyez content de tout ce que Dieu vous sera souffrir. Si vous l’aimez purement, vous ne le chercherez pas moins en cette vie sur le Calvaire que sur le Tabor.
Il faut l’aimer autant sur le Calvaire que sur le Tabor, puisque c’est le lieu où il fait paraître le plus d’Amour.
Il est impossible d’aimer Dieu sans aimer la croix ; et un cœur qui a le goût de la croix, trouve douces, plaisantes et agréables les choses mêmes les plus amères : (a. Proverbes 27,7) une âme affamée trouve douces tous les choses qui sont amères ; parce qu’elle se trouve autant affamée de son Dieu, qu’elle se trouve affamée de la croix. La Croix donne Dieu, et Dieu donne la croix. Chapitre 7 n.1, 2.
L’intérieur n’est pas une place forte qui se prenne par le canon et par la violence : c’est un royaume de paix qui se possède par l’amour. Chapitre 12 n.5.
La prière n’est autre chose qu’une chaleur d’amour, qui fond et dissout l’âme, la subtilise et la fait monter jusqu’à Dieu. À mesure qu’elle se fond, elle rend son odeur ; et cette odeur vient de la charité qui la brûle. Chapitre 20 n.2.
L’âme étant toute tournée de la sorte, est dans la charité et elle y demeure : et (a. I Jean 4, 16) qui demeure dans la charité, demeure en Dieu. L’âme suivant l’attrait de Dieu, et demeurant dans son amour et dans sa charité, s’enfonce toujours plus dans ce même amour. Chapitre 22 n.5.
Un père aime mieux un discours que l’amour et le respect mettent en désordre, parce qu’il voit que cela part du cœur ; qu’une harangue sèche, vaine et stérile, quoique bien étudiée. O Que de certaines œillades d’amour le charme et le ravissent ! Elles expriment infiniment plus que tout langage et tout raisonnement.
Pour avoir voulu apprendre à aimer avec méthode l’Amour même, on a beaucoup perdu de ce même amour. O. qu’il n’est pas nécessaire d’apprendre un art d’aimer ! Le langage d’amour est barbare à celui qui n’aime pas ; mais il est très naturel à celui qui aime ; et on n’apprend jamais mieux à aimer Dieu quand l’aimant. En ce métier souvent les plus grossiers deviennent les plus habiles ; parce qu’ils y vont plus simplement et plus cordialement. Chapitre 23 n.7, 8.
Il faut que la créature qui aspire à l’union divine, étant bien persuadée du tout de Dieu et de son néant, sorte d’elle-même, n’ayant que du mépris de la haine pour soi, afin de garder toute son estime et son amour pour son Dieu. Chapitre un verset sept.
Son cou représente sa charité pure qui est le plus grand soutien qui lui reste. Verset neuf.
Quoique vous soyez déjà très belle dans votre dénuement, qui marque un cœur pur et une charité non feinte ; nous vous donnerons encore de quoi rehausser l’éclat de votre beauté, en y ajoutant de précieux ornements. Les ornements seront des chaînes, en signe de votre parfaite soumission à toutes les volontés du roi de gloire. Mais elles seront d’or pour représenter que n’agissant que par un amour très épuré, vous n’avez que la simple et pure vue du bon plaisir et de la gloire de Dieu dans tout ce que vous faites ou souffrez pour lui. Verset 10.
Mon ivresse m’est tout à fait pardonnable puisque mon Roi m’a fait entrer dans ses divins celliers. C’est là qu’il a réglé dans moi la charité. -- –
Quelle est cet ordre [ce règlement] que Dieu met dans la charité. O Amour, Dieu charité ! Vous seul le prouvez révéler. C’est qu’il fait que cette âme, laquelle par un mouvement de charité se voulait tout le bien possible par rapport à Dieu, s’oublie entièrement de toute elle-même, pour ne plus penser qu’à son bien-aimé. Elle s’oublie de tout intérêt de salut, de perfection, de joie, de consolation, pour ne penser qu’à l’intérêt de son Dieu. Elle ne pense plus à jouir de ses embrassements ; mais à souffrir pour lui. Elle ne demande plus rien pour elle, mais seulement que Dieu soit glorifié. Elle entre dans les intérêts de l’divine justice, consentant de tout son cœur à tout ce qu’elle fera d’elle et en elle, soit pour le temps, ou pour l’éternité. Elle ne peut aimer ni en soi, ni en aucune créature, que ce qui est à Dieu et pour Dieu ; et non ce qui est en elle et pour elle, quelques grand et nécessaire qui paraissent.
Voilà l’ordre [et le règlement] de la charité que Dieu met en cette âme ; son amour est devenu parfaitement chaste. Toutes les créatures ne lui sont rien : elle les veut toutes pour son Dieu, et n’en veut aucune pour soi. O. que cet ordre de la charité donne de force pour les états terribles, qu’il faudra passer dans la suite ! Mais il ne peut être connu ni goûté de ceux qui n’y sont pas ; pour n’avoir pas encore bu de ce vin de l’époux. Chapitre deux verset quatre.
Le milieu et tout le dedans de ce lieu de triomphe est garni d’ornements de très grand prix, qui sont bien compris sous le nom de charité, comme étant ce qu’il y a de plus grand et de plus précieux. Et n’est-ce pas en Jésus-Christ que (a. colossiens verset trois et neuf) sont tous les trésors et la plénitude de la divinité ? C’est à lui (B : Jean 3verset 34) que le Saint-Esprit a été donné au-delà de toute mesure. Le Saint-Esprit donc remplit le milieu et tout le dedans de ce trône majestueux, puisqu’il est l’amour du Père et du Fils ; et aussi l’amour par lequel Dieu aime les hommes : et que comme il est l’union des Personnes Divines, il est aussi le nœud qui lie les âmes pures avec Jésus-Christ. -- —
Il est incroyable combien il faut que ces âmes choisies dévorent de croix, d’opprobres et de renversements.
Enfin tout le dedans est rempli de charité puisque ce trône vivant du Très-Haut (a. c’est le sentiment du bienheureux Jean de la Croix en son Énigme) étant plein d’amour, ils sont aussi parés de tous les fruits et ornements de l’amour, qui sont les bonnes œuvres, les mérites, les fruits du Saint-Esprit, et la pratique des plus pures et des plus solides vertus. Chapitre trois verset 10.
L’époux compare la volonté de cette Amante à un ruban teint en écarlate, qui signifie les affections réunies en une seule volonté, laquelle est toute charité et tout amour : toutes les forces cette volonté étant réunies dans leur divin Objet. -- —
La grenade a plusieurs grains qui sont tous renfermés dans une écorce : de même vos pensées sont comme réunies en moi seul par votre amour pur et parfait. Chapitre quatre verset trois.
J’ai bu mon vin et mon lait. Quel est ce vin que vous avez bu, ô divin Sauveur, et dont vous fûtes si fort enivré que vous vous oubliâtes vous-même ? Ce vin fut l’amour excessif qu’il portait aux hommes, qui lui fit oublier qu’il était Dieu, pour penser seulement à leur salut. Il en fut si enivré, qu’il est dit de lui par un prophète (B : Lamentations trois verset 30) qu’il sera rassasié d’opprobres ; tant sa charité était forte. Chapitre cinq verset un.
Le véritable amour n’a point Dieu pour se regarder soi-même. Cette Amante affligée oublie ses blessures, quoiqu’elle saigne encore : elle ne se souvient plus de sa perte : elle n’en parle pas même ; elle pense seulement à celui qu’elle aime, et elle le cherche avec d’autant plus de force, qu’elle trouve plus d’obstacles à sa possession. Elle s’adresse aux âmes intérieures, et leur dit : O vous, à qui mon bien-aimé se découvrira sans doute, je vous conjure par lui-même de lui dire que je languis d’amour pour lui. Quoi, O la plus belle des femmes, ne voulez-vous pas qu’on lui parle plutôt de vos blessures, et qu’on lui raconte ce que vous avez souffert en le cherchant ? Non, non, répond cette âme généreuse, je suis trop récompensé de mes maux, puisque je les ai soufferts pour lui ; et je les préfère aux plus grands biens. Ne dites qu’une chose à mon bien-aimé, c’est que je languis d’amour pour lui. La plaie que son amour a faite dans le fond de mon cœur est si vive, que je suis insensible à toutes les douleurs extérieures ; j’ose dire même, qu’au prix de celle-là, elles me sont des rafraîchissements. Là même verset huit.
Si les plus grandes eaux des afflictions, des contradictions, des misères, pauvretés et traverses n’ont pu éteindre la charité dans une telle âme ; il ne faut pas croire que les fleuves de l’abandon à la providence le puissent faire ; puisque ce sont eux qui la conservent. Si l’homme a eu assez de courage pour abandonner tout ce qu’il possédait, et tout soi-même, afin d’avoir cette pure charité, qui ne s’acquiert que par la perte de tout le reste ; il ne faut pas croire qu’après un effort si généreux pour acquérir un bien qu’il estime plus que toutes choses, et qui effectivement vaut mieux que tout l’univers, ils viennent ensuite à mépriser, jusqu’à reprendre ce qu’il avait quitté. Chapitre huit verset sept.
La parfaite charité ne sait ce que c’est que de penser à ses intérêts. Là même verset 12.
L’âme qui est arrivée à ce degré, entre dans les intérêts de la divine Justice, et à son égard, et à celui des autres, d’une telle sorte, qu’elle ne pourrait vouloir autre sort pour elle, ni pour autre quelconque, que celui que cette divine Justice lui voudrait donner pour le temps et pour l’éternité. L’épouse a aussi la charité la plus sincère qui ne fut jamais envers le prochain, ne le servant plus que pour Dieu, et dans la volonté de Dieu. Mais quoiqu’elle fut prête d’être anathème pour ses frères, comme saint Paul (a. Romain neuf verset trois), et qu’elle ne travaille à autre chose qu’à leur salut, elle est néanmoins indifférente pour le succès ; et elle ne pourrait être affligée ni de sa propre perte ni de celle d’aucune créature, regardée du côté de la justice de Dieu. Ce qu’elle ne peut souffrir, c’est que Dieu soit déshonoré ; parce que Dieu a ordonné en elle la charité : depuis ce temps elle est entrée dans les dispositions de la charité parfaite. Là même verset 14.
AUTORITÉS.
2. Voyez Motion divine. n.1.
4. Certes l’amour est une grande chose ; l’amour est un admirable bien, puisque lui seul rend léger ce qui est pesant, et qu’il souffre avec égale tranquillité les divers accidents de la vie. Il porte sans peine ce qui est pénible, et rend doux et agréable ce qui est amer. L’amour de Jésus est généreux, il pousse les âmes à de grandes actions, et les excite à désirer toujours ce qui est de plus parfait. L’amour tend toujours en haut, et il ne souffre pas d’être retenu par les choses basses. L’amour veut être libre et dégagé de toutes les affections de la terre, de peur que sa lumière intérieure ne soit offusquée, et qu’il ne se trouve embarrassé dans les biens, ou abattu par les maux du monde. Il n’y a rien dans le ciel ni dans la terre, qui soit ou plus doux, ou plus fort, ou plus élevé, plus étendu, ou plus agréable, ou plus plein, ou meilleur que l’amour ; parce que l’amour est né de Dieu, (a. I Jean 4 verset 7 et 16) et que s’élevant au-dessus de toutes les créatures, il ne peut se reposer qu’en Dieu. Livre trois chapitre cinq paragraphe trois.
5. Celui qui aime est toujours dans la joie ; il court, il vole ; il est libre et rien ne le retient. Il donne tout pour le tout, et possède tout en tout, parce qu’il se repose dans ce bien unique et souverain, qui est au-dessus de tout, et d’où découlent et procèdent tous les biens. Il ne s’arrête jamais aux dons qu’on lui fait, mais il s’élève de tout son cœur vers celui qui les lui donne. L’amour souvent ne se peut borner, son ardeur l’emporte au-delà de toute borne. L’amour ne sent pas la peine ni n’estime le travail ; il entreprend au-delà de ses forces ; il ne s’excuse jamais sur l’impossibilité ; parce qu’il croit que rien ne lui est impossible, et que tout lui est permis. L’amour trouve des forces pour venir à bout de toutes choses. --
L’amour est vigilant ; il ne dort pas dans le sommeil lui-même. Il ne se resserre pas dans l’affliction, il ne se lasse pas dans les grands travaux, il ne se trouble pas dans les frayeurs qu’on lui donne, il s’élève toujours en haut comme une flamme vive et ardente, et redouble sa vigueur par tout ce qu’on lui oppose pour l’arrêter. Il y a que celui qui aime (B : Admirable) qui puisse comprendre les cris de l’amour, et les paroles de feu d’une âme vivement touchée, lorsqu’elle lui dit : vous êtes mon Dieu, vous êtes mon amour ; vous êtes tout à moi, je suis tout à vous. --
Que votre amour me possède tout, et qu’étant tout brûlant et comme ravi hors de moi, je m’élève au-dessus de moi. Livre trois chapitre cinq paragraphe quatre, 5,6.
6. Celui qui aime sagement, ne considère pas tant le don de celui qui l’aime, que l’amour de celui qui le lui donne. Cet amour lui est beaucoup plus précieux que tous les avantages qu’il en reçoit ; il met son bien-aimé sans comparaison au-dessus de tous ses dons. Celui qui m’aime généreusement, m’aime plus que tout ce que je lui donne ; et c’est en moi qu’il met sa joie, et non dans mes dons. Chapitre six paragraphe quatre.
7. Quand ma grâce entre une fois dans un cœur et l’établit dans une vraie charité, les impressions de l’envie de le touche plus, il ne se trouve plus dans le serrement, il n’est plus possédé de son amour-propre. La charité se rend victorieuse de tout, elle agrandit l’âme et redouble ses forces. Livre trois chapitre neuf paragraphe trois.
8. Elle disait à son amour : est-il possible, ô doux Amour, que vous ne puissiez être aimé sans consolation, et sans espérance de bien au ciel ou en la terre ? Il lui fut répondu, qu’une telle union ne pouvait être sans une grande paix, et sans un extrême contentement d’esprit et de corps. Enfin elle disait : ô amour, je ne puis comprendre que l’on doive aimer autre chose que vous, et si je le comprenais, j’en aurais une grande peine. --
Elle disait que l’amour divin est proprement et vraiment notre propre amour, parce que nous avons été créés pour cet amour : mais l’amour de toute autre chose se devrait appeler haine ; parce qu’il nous prive de notre vrai et propre amour, qui est Dieu. Aime donc celui qui t’aime, à savoir Dieu ; et laisse celui qui ne t’aimes pas, à savoir l’amour de toutes les autres choses qui sont au-dessous de Dieu ; parce qu’il est ennemi de ce vrai amour, en ce qui lui donne empêchement. O Si je pouvais faire voir, toucher et sentir par quelque goût cette vérité, comme je la sens, je suis assurée qu’il n’y aurait aucune créature en terre qui n’aimât ce pur amour : de sorte que si la mer était l’abîme de l’amour divin, il n’y aurait homme ni femme qui ne s’y noyât ; et qui serait éloigné de la mer, ne ferait autre chose que marcher pour aller se jeter dedans, parce que cet amour est si doux et si agréable, que tout autre en comparaison n’est que tristesse et affliction. Il fait l’homme si riche, que toute autre chose hors de lui seul lui semble une pure misère. Il le fait si léger, qu’il ne lui semble pas qu’il sente la terre sous ses pieds ; et parce qu’il a toute son affection en haut, il ne peut sentir aucune peine en la terre : et il est si libre, que sans aucun empêchement il demeure toujours avec Dieu. Si on me demandait, que sens-tu ? Je répondrais : ce que l’œil ne peut voir, ni l’oreille entendre, et je rends ce témoignage à la vérité, par le sentiment que j’en ai selon ma capacité, sans me tromper : mais de ce que je sens, il me semble que c’est une honte d’en dire des paroles si défectueuses ; étant assurée que tout ce qui se peut dire de Dieu, n’est pas Dieu, ni égal à Dieu ; mais ce sont seulement de certains petits morceaux qui tombent de sa table. En sa vie chapitre 29.
Neuf. Voyez Propriété. n.12.
10. Voyez Communications. Paragraphe II n.3.
11. Voyez Non-désir. n.10.
12. Ce vrai amour dont tu cherches la connaissance, n’est pas encore celui-ci : mais quand j’ai consumé les imperfections de l’homme, et en l’extérieur et en l’intérieur, je descends avec un fil d’or très subtil, qui est mon amour occulte et secret, et à ce fil est lié un hameçon qui prend le cœur de l’homme, et ce cœur en demeure blessé et lié, en sorte qu’il ne peut se mouvoir, ni vouloir se mouvoir ; parce que je tire ce cœur, moi qui suis son objet et sa fin ; et il ne le comprend pas. Mais moi qui suis celui qui tient le fil, je tire toujours à moi avec un si subtil et si pénétrant amour, que l’homme demeure surmonté, vaincu et du tout hors de soi : et comme un pendu ne touche pas la terre de ses pieds, et demeure en l’air attaché à la corde qui lui (a. c’est l’amour qui est l’auteur [quoique caché] de la mort de l’âme) cause la mort ; ainsi cet esprit demeure attaché au fil de ce subtil amour, lequel dissipe toutes les imperfections de l’homme, même les plus cachées et les plus subtiles et inconnues ; et tout ce qu’il aime après cela, il l’aime avec ce fil de l’amour dont il a le cœur lié. Dialogue livre trois chapitres un.
[Ma note : admirable à souligner]
13. O amour, le cœur qui te goûte a le commencement de la vie éternelle, même dès ce monde. Mais, ô Seigneur, vous tenez cette opération secrète et cachée à son possesseur, de peur qu’avec sa propriété il ne mette empêchement à votre œuvre.
O Amour qui te ressent, ne t’entend pas ; et qui te veut entendre ne te peut connaître ! O Amour, notre vie, notre béatitude, notre repos ! Tu portes avec soi tout bien, et tu éloignes de toi tout mal. O cœur blessé du divin amour, tu demeures incurable ; et étant conduit par cette douce plaie jusqu’à la mort, tu recommences à vivre d’une vie qui n’a pas de fin. O Feu d’amour que fais-tu en cet homme ? Tu le purifies tout ainsi que le feu purifie l’or : puis tu le conduis au ciel avec toi, pour jouir de la fin (a. il y a bien de la différence entre être dans sa fin, et jouir de cette même fin : mais l’âme ne jouit parfaitement de cette même vie qu’en l’autre vie) pour laquelle tu l’as créé.
L’amour est un feu divin : et tout ainsi que le feu matériel échauffe toujours, et opère selon sa nature, ainsi l’amour de Dieu par sa nature opère toujours en l’homme, et monte vers sa fin, et de sa part ne cesse jamais d’opérer pour le bien et l’utilité de l’homme, dont il est toujours amoureux ; et si quelqu’un n’en sent pas l’opération, c’est par sa propre faute : parce que Dieu ne cesse de faire du bien à l’homme tant qu’il est en cette vie, et il est toujours épris de son amour. Là même chapitre quatre.
14. O Amour, je ne me saurais plus taire, et je ne puis parler comme je voudrais de tes douces et gracieuses opérations ! Ton amour dont je suis rempli de toutes parts, me donne un désir de parler et je ne le puis. Je m’entretiens moi-même dans mon cœur : mais quand je veux prononcer la parole, et dire ce que je sens, je demeure courte, et je me trouve trompée par cette faible langue. --
Je désire parler une fois de cet amour avant que de sortir de cette vie, et dire comment je le sens en moi, comment il y opère, et ce qu’il veut de cet homme dans lequel il se répand, dont il ne laisse aucune partie, qu’il ne remplisse entièrement d’une douceur qui surpasse toute douceur, et d’un contentement qui ne se peut exprimer ; de sorte que l’homme se laisserait brûler tout vif par cet amour ; parce que Dieu mêle à cet amour un certain zèle, qui fait que l’homme ne se soucie d’aucune contrariété, quelque grande qu’elle soit. --
Cet amour est si efficace et si illuminatif, qu’il tire toutes nos imperfections hors de nos obscures et secrètes cavernes, et les met devant nos yeux, afin que nous y donnions remède, et que nous les purgions. Cet amour régit et gouverne notre volonté afin qu’elle soit forte et constante en combattant contre les tentations. Dialogue livre trois chapitres quatre.
15. Dieu remplit l’homme d’amour, il le tire à soi par amour, il le fait opérer par amour avec grande force et vertu contre tout le monde, contre l’enfer et contre lui-même ; et cet amour n’est pas connu, de sorte qu’on n’en peut parler. Là même chapitre 13.
16. Cet amour ne se peut aucunement comprendre, ni par des signes extérieurs, ni par tous les martyres qu’on pourrait endurer pour l’amour de Dieu : il n’y a que celui qui le sent qui en puisse comprendre quelque chose. Tout ce qui se peut dire de l’amour n’est rien ; parce que plus on va en avant, et moins on en sait : mais le cœur demeure rempli et content, il ne cherche autre chose, et ne voudrait trouver autre chose que ce qu’il sent. Là même chapitre 14.
17. Je pense que ceci arrive de la sorte, parce que l’âme éprise fortement de l’amour de Jésus-Christ son époux, a toutes ces caresses, toutes ces défaillances, ces morts, ces afflictions, ces délices et ces joies avec lui, après qu’elle a quitté tous les contentements du monde pour son amour, et qu’elle s’est entièrement livrée et abandonnée entre ses mains ; et ceci non pas de paroles comme il arrive à quelques-uns, mais avec un amour très véritable et consommé par œuvres. --
Je vous prie de ne vous point étonner des paroles caressantes et amoureuses entre Dieu et l’âme que vous remarquerez dans la Sainte Écriture. L’amour qu’il nous a porté, et qu’il nous porte, étant tels que nous sommes, m’étonne davantage. Conception de l’amour de Dieu. Chapitre 1.
18. Voyez Abandon. n.17.
19. Dieu peut bien verser l’amour et l’augmenter, sans communiquer ni augmenter aucune intelligence distincte. Cantique entre l’épouse et l’époux couplet 18 verset 2.
20. L’âme, ou pour mieux dire, l’épouse, a déjà dit qu’elle s’était entièrement livrée à son époux sans réserver quoi que ce soit : à présent elle déduit le moyen qu’elle tient à l’accomplir ; son corps, son âme, ses puissances et toute son habilité étend employées, non plus aux choses qui la concernent, mais en celles qui sont du service de son époux ; et dit que, pour ce sujet elle ne recherche plus son propre intérêt, ni ses goûts, et ne s’occupe plus en autres choses et communications qui soient hors de Dieu : et de plus qu’avec le même Dieu elle ne tient plus d’autre style ni façon de traiter que l’exercice d’amour, parce qu’elle a changé toute sa première façon de procéder en amour. --
Toutes les puissances et habilités de mon âme et de mon corps, qu’auparavant j’employais quelque peu en des choses inutiles, je les ai mises en exercice d’amour, c’est-à-dire que toute l’habilité de mon âme et de mon corps ce meut par amour, faisant tout ce que je fais par amour. Or il faut remarquer ici que quand l’âme arrive à cet état, tout l’exercice de la partie spirituelle, qui est l’âme, et celui de la partie sensitive, qui est le corps, soit à agir, soit à pâtir, de quelque manière que ce soit, lui cause toujours un plus grand amour et délectation en l’Ami ; voire même l’exercice d’oraison et de communication avec Dieu, qui auparavant avait accoutumé d’être en d’autres considérations et moyens, est maintenant tout exercice d’amour ; de manière que, soit qu’elle s’occupe au temporel, soit qu’elle s’occupe au spirituel et dans la communication avec Dieu, cette âme peut toujours dire :
Aimer c’est ma vocation ;
Je n’ai plus d’autre passion.
Là même couplet 20.
21. Voyez Perte n. 29.
22. Voyez Propriété. n.19.
23. Comme Dieu n’aime rien hors de soi, si ce n’est pour soi, aussi il n’y a chose aucune qu’il aime d’un moindre amour, que celui dont il s’aime soi-même ; parce qu’il aime tout pour soi, et l’amour tient lieu de fin : et ainsi il n’aime pas les choses pour ce qu’elles sont en soi. D’où vient qu’à Dieu aimer l’âme, c’est la mettre en certaine manière en soi-même, l’égalant à soi ; et ainsi il aime l’âme en soi, et avec soi, avec le même amour qu’il s’aime, et pour ce sujet l’âme en chaque œuvre vertueuse mérite l’amour de Dieu ; parce que mise en cette grâce et en cette éminence elle mérite le même Dieu en chaque œuvre. Cantique entre l’épouse et l’époux. Couplet 24.
24. Voyez Mariage spirituel. n. 9.
25. Voyez Union. n. 56.
26. Taulère. II n’est pas permis à celui qui aime véritablement des cherchés du plaisir ou de la délectation dans la douceur spirituelle intérieure, encore que cela semble licite aux serviteurs de Dieu imparfaits et commençants ; mais aux parfaits nullement. Car il n’est permis en aucune manière au pur amour de chercher pour l’amour de soi-même de la consolation, de la douceur, du goût de la dévotion sensible, et un succès favorable en tous les exercices de dévotion : car cela serait se confier davantage aux dons de Dieu qu’à Dieu même. -- (Sermon sur le 25e dimanche après la Trinité.) Éclaircissement des phrases mystiques de Jean de la Croix. Partie deux chapitre un paragraphe trois.
27. Voyez Non-désir. n.22.
28. Saint-Thomas. Voyez Non-désir. n.23.
29. Albert le Grand. Notre charité sera parfaite quand tout notre amour, tout notre désir, toute notre étude, tout notre effort, enfin toute notre pensée, tout ce que nous voyons, parlons, et espérons, sera Dieu. -- Nous aussi soyons lui unis d’une dilection perpétuelle et inséparable, c’est à savoir tellement uni, que tout ce que nous espérons, ce que nous entendons, ce que nous parlons et prions soit Dieu. (De l’attachement à Dieu chapitre 13.) Là-même chapitre 14 paragraphe quatre.
30. Saint Augustin. Expliquant ces paroles de Saint Mathieu (chapitre 22 verset 37.) Vous aimerez le seigneur votre Dieu de tout votre cœur, et de toute votre âme et de tout votre esprit.
Aimer Dieu de tout votre cœur, c’est commander que vous donniez toutes vos pensées, de toute votre âme, que vous donniez toute votre vie ; de tout votre esprit, que vous donniez tout votre entendement à celui duquel vous avez reçu ce que vous donnez. Il n’a donc laissé aucune partie de notre vie qui doive demeurer vide, et donner lieu afin qu’elle veuille jouir de quelque autre chose ; mais que tout le reste qui se présente à l’esprit pour être aimé, soit ravi et emporté là où se porte toute l’impétuosité de la dilection : car l’homme n’est véritablement bon que lorsque toute sa vie tend au bien immuable. (De la doctrine chrétienne livre un chapitre 22.) Là-même chapitre un paragraphe trois.
31. O belle statue (a. cette comparaison est admirable pour exprimer l’amour pur et sans intérêt) dis-moi, pourquoi es-tu là dans cette niche ? Par ce que, répondrait-elle, que mon maître m’y a colloqué. Mais pourquoi y demeures-tu sans rien faire ? Par ce que mon maître ne m’y a pas placé afin que j’y fisse chose quelconque, mais seulement afin que j’y fusse immobile. Mais pauvre statue, de quoi te sert-il d’être là de la sorte ? Eh Dieu, répondrait-elle (* : Volonté de Dieu, n. 34) je ne suis pas ici pour mon intérêt et service, mais pour obéir à la volonté de mon Seigneur et sculpteur, et cela me suffit. Or dis-moi statue, je te prie, tu ne vois pas ton maître, comment prends-tu du contentement à le contenter ? Non certes, je ne le vois pas ; car j’ai des yeux non pas pour voir, comme j’ai des oreilles non pas pour entendre, et des pieds non pas pour marcher : mais je suis trop contente de savoir que mon cher maître me voit ici, et prend plaisir de m’y voir. Mais ne voudrais-tu pas bien avoir du mouvement pour t’approcher de l’ouvrier qui t’a fait, et lui faire quelque meilleur service ? Sans doute elle le nierait, et protesterait qu’elle ne voudrait faire autre chose, sinon que son maître le voulût. Et quoi donc ! ne désires-tu rien autre chose, sinon que d’être une immobile statue là-dedans cette creuse niche ? Non certes, dirait enfin cette sage statue, non je ne veux rien être sinon une statue, et toujours de dans cette niche, tant que mon sculpteur le voudra, me contentant d’être ici, et ainsi, puisque c’est le contentement de celui à qui je suis, et par qui je suis ce que je suis. De l’amour de Dieu. Livre six chapitre 11.
32. Jusqu’à maintenant, dit saint Paul (a. I Corinthiens quatre versets 11,13), nous avons faim et soif, sommes nus et sommes souffletés, et sommes vagabonds : nous sommes rendus comme les balayures de ce monde et comme la raclure ou pelure de tous ; comme s’il disait : nous sommes tellement abjects que si le monde est un palais, nous en sommes estimés comme les balayures ; si le monde est une pomme, nous en sommes la raclure. Qui les avait réduits à cet état sinon l’amour ? Ce fut l’amour qui jeta saint François nu devant son évêque, et le fit mourir nu sur la terre : ce fut l’amour qui le fit mendiant toute sa vie. Ce fut l’amour qui envoya le grand François Xavier pauvre, indigent, déchiré çà et là parmi les Indes et entre les Japonais. --
Ne prenez pas garde à mon teint, dit la sainte Sulamite, car je suis brune, il est vrai, d’autant que mon bien-aimé qui est mon soleil, a dardé les rayons de son amour sur moi, rayons qui éclairent par leur lumière, mais qui par leur ardeur m’ont rendu hâlée et noirâtre, et me touchant de leur splendeur, ils m’ont ôté ma couleur. Là même chapitre 15.
33. L’amour fit passer les tourments intérieurs de ce grand amant saint François jusqu’à l’extérieur, et blessa le corps du même dard de douleur, dont il avait blessé le cœur. Mais de faire les ouvertures en la chair par dehors, l’amour qui était dedans ne le pouvait bonnement faire ; c’est pourquoi l’ardent Séraphin venant au secours darda des rayons d’une clarté si pénétrante, qu’elle fit réellement au-dehors les plaies du crucifix en la chair. -- Pour faire paraître tout à fait l’incomparable abondance de l’amour de saint François, le Séraphin le vînt inciser et blesser, afin que l’on sût que ses plaies étaient plaies de l’amour du ciel. O. vrai Dieu, que de douleurs amoureuses et que d’amour douloureux ! Car non seulement alors, mais tout le reste de sa vie, ce pauvre saint alla toujours traînant et languissant comme bien malade d’amour.
Saint Philippe de Néri âgé de quatre-vingts ans eut une telle inflammation de cœur pour le divin amour, que la chaleur se faisant faire place aux côtes, les élargit bien fort, et rompit la quatrième et cinquième. Là même.
34. Voyez Indifférence. n. 4.
35. O que bienheureux est le cœur qui aime Dieu sans aucun plaisir, que celui qu’il prend de plaire à Dieu ! Car quel plaisir peut-on jamais avoir plus pur et parfait, que celui que l’on prend dans le plaisir de la Divinité ? Néanmoins ce plaisir de plaire à Dieu, n’est pas proprement l’amour divin, mais seulement un fruit de cet amour, qui en peut être séparé ainsi qu’un citron de son citronnier. Car, comme j’ai dit, notre musicien (a. Voyez Indifférence n.3) chantait toujours sans tirer aucun plaisir de son chant, puisque la surdité l’en empêchait ; et souvent aussi il chantait sans avoir le plaisir de plaire à son Prince. --
Tandis, au Dieu, que je vois votre douce face, qui témoigne d’agréer le chant de mon amour, hélas, que je suis consolé ! Car y a-t-il aucun plaisir qui égale le plaisir de bien plaire à son Dieu ? Mais quand vous retirez vos yeux de moi, et que je ne perçois plus la complaisance que vous preniez en mon cantique ; vrai Dieu, que mon âme est en grande peine ! Mais sans cesser pourtant de vous aimer fidèlement, et sans cesser de chanter continuellement l’hymne de sa dilection, non pour aucun plaisir qu’elle y trouve, car elle n’en a pas, mais chante pour le pur amour de votre volonté. De l’amour de Dieu livre neuf chapitres 11.
36. Voyez Purification. n. 68.
37. Voyez Prière vocale. n. 14.
38. C’est en cela que la volonté, qui est tout le trésor de l’homme, sacrifie amoureusement tout son empire à son infinie Majesté par-dessus tout sentiment ; et cet amour renoncé faisant toujours son possible, est souvent plus agréable à Dieu qu’un amour entièrement liquéfié et hautement élevé. Esprit du Carmel chapitre neuf paragraphe 16.
39. L’amour où il y a de la raison pour aimer, n’est pas amour ; d’autant que l’amour est suffisant de soi-même, pour tirer et ravir tout le sujet qu’il anime et agit en unité d’esprit, sans l’aide et le concours des raisons et réflexions. Là même chapitre 16.
40. Quelques mystiques très saints et très pleins de cet amour infini, dont nous avons parlé en tout ce Traité, en ont dit des merveilles ; -- de sorte qu’il semble devoir embraser et faire fondre tous les esprits qui l’église, dans le feu immense cet amour infini. Ils disent, et il est vrai, qu’une seule goutte (a. voyez Communication paragraphe deux sainte Catherine de Gênes Vie chapitre 36) de cet amour répandue en enfer, l’anéantirait et le changerait en un paradis. Cabinet mystique P. I. Chapitre 10 paragraphe 21.
41. De sorte que comme cet amour n’est pas un demi-amour, et qu’il est tout et totalement en foi, c’est une grande merveille entre tant de personnes, qui sont sollicitées d’aimer un tel amoureux et un tel amour, qu’il s’en trouve si peu, qui soient tout et totalement perdus en tout ce même amour, afin de demeurer tellement uni à son fond et à son esprit infini, qu’il ne soit qu’une même chose avec lui et en lui. Car, ô mon amour, quiconque a une volonté et une entière volonté d’être amoureux de vous, l’amour même le secondera de votre part, et le fera si parfaitement et si constamment, qu’il demeurera inébranlable dans les actes de son propos. --
Ce qui m’étonne beaucoup, mon amour et ma vie, c’est de voir que les pauvres hommes aient besoin de tant de raisonnements et de persuasions pour aimer. -- Ils ne vous aiment pas, parce qu’ils ne vous connaissent pas ; et ils ne vous aiment ni ne vous connaissent, parce qu’ils ne s’arrêtent pas à chercher le vrai bien que vous êtes, particulièrement aux âmes touchées et ravies de votre amour. Contemplation huit.
42. O mon amour et ma vie, que l’infinie fécondité de votre amour est industrieuse, qui a su inventer des moyens si propres pour ravir à soi tout esprit qui s’en trouverait capable ! Et, quelles extrémités peut-on concevoir plus distantes que Dieu et l’homme ? Néanmoins les voilà unis ensemble par la force de votre divin amour. C’est lui qui a fait ce ravissant exploit pour soi-même et pour sa créature, ne cessant d’agir en elle, afin de la changer en vous, et que ne vivant plus en elle-même, vous y viviez seul, ô mon amour et ma chère vie. --
Cependant quoique notre banquet soit si délicieux dès cette vie, il est néanmoins souvent mélangé d’amertumes et d’afflictions, et votre amour le requiert ainsi de sa part et de la nôtre. --
L’âme, ô mon amour, qui vous est fidèle, ne vit que pour aimer, et même que pour glorifier infiniment éternellement l’amour. Son humilité et héroïque, sans néanmoins savoir qu’elle est humble. Elle ne fait qu’aimer ardemment et sans relâche, d’une manière très nue et très essentielle. L’amour ne pense qu’à ce qu’il aime, il ne parle que de ce qu’il aime. --
Aimer donc, ô hommes, celui qui vous a éternellement aimé. -- L’amour d’un Dieu demande un amour réciproque : et les œuvres extérieures ne donnent quasi pas de gloire et de plaisir à Dieu, si elles ne sont animées d’un amour pur et libre de tout empêchement. Contemplation 17.
43. Je dis encore, ô mon amour et ma vie, que ces vérités, que vous me faites connaître, supposant un amour nu et essentiel, quiconque n’est que dans l’action amoureuse, celui-là ignore le vrai amour passif. Il se trouve à la vérité comme tout ravi en vous par son action amoureuse ; mais quand il est question de pâtir en esprit nuement, simplement, en amour nu et essentiel, cela l’abat et le jette hors de vous ; parce qu’alors il n’a ni cœur ni force pour produire ses affections ni aussi pour mourir et pour souffrir cette épreuve si contraire à son goût. --
Les vertus à la vérité sont le corps de cet exercice ; mais son âme et l’amour nu, toujours renoncé et toujours mourant, lors même qu’il y a plus de facilité à son union, et son esprit très simple et très nu séparé du sensible en sa très simple force. De sorte que celui qui est élevé à cet état d’amour contemple toujours votre divinité en amour (a. c’est-à-dire, au-dessus de tout amour aperçu) par-dessus l’amour, en pureté d’esprit au-delà de toute espèce sensible.
Tant plus l’amour et essentiel, tant plus l’esprit ; plus il est esprit, plus il est abstrait ; et plus il est véritablement abstrait, plus aussi se plaît-il dans la souffrance et la désirent davantage. Il laisse le goût sensible aux enfants, et retient pour soi la vraie force, l’esprit et ses œuvres éternelles, à la vive imitation de son cher époux que vous êtes. Une telle âme a plus de bonheur en la souffrance amoureuse qu’on ne saurait penser, et tant plus les souffrances se présentent à elle, plus aussi sa félicité est grande. Je suis assurée que ceux qui sont de moindre vol que ceci, quoiqu’assez saints et spirituels, ne savent ce que je dis. Contemplation 22.
Pour (a. Je suis obligé de reprendre tout ce chapitre à cause de sa conséquence) unir de choses aussi opposées que le sont la pureté de Dieu et l’impureté de la créature ; la simplicité de Dieu et la multiplicité de l’homme ; il faut que Dieu opère singulièrement. Car cela ne se peut jamais faire par l’effort de la créature, puisque deux choses ne peuvent être unies, qu’elle n’aient du rapport et de la ressemblance entre elles : ainsi qu’un métal impur ne s’alliera jamais avec un or très pur et affiné. Chapitre 24 n.2.
Que fait donc Dieu ? Il envoie devant lui sa propre Sagesse, comme le feu sera envoyé sur la terre, pour consumer par son activité tout ce qu’il y a d’impur. Le feu consume toutes choses, et rien ne résiste à son activité. Il en est de même de la Sagesse ; elle consume toute impureté dans la créature pour la disposer à l’union divine.
Cette impureté si opposée à l’union est (a. on a vu l’une et l’autre dans les Actes et La propriété) la propriété et l’activité. La propriété ; parce qu’elle est la source de la réelle impureté, qui ne peut jamais être alliée à la pureté essentielle ; de même que les rayons peuvent bien toucher la boue, mais non pas se l’unir. L’activité ; parce que Dieu étant dans un repos infini, il faut, afin que l’âme puisse être unie à lui, qu’elle participe à son repos ; sans quoi il ne peut y avoir d’union, à cause de la dissemblance ; puisque pour unir deux choses il faut qu’elles soient dans un repos proportionné.
C’est pour cette raison que l’âme n’arrive à l’union divine que par le repos de sa volonté : et elle ne peut être unie à Dieu, qu’elle ne soit dans un repos central et dans la pureté (b : Ceci a été aussi vu dans les articles Actes, Centre de l’âme, Création, etc.) de la création. Chapitre 24 n. 3.
Pour purifier l’âme, Dieu se sert de la sagesse, comme on se sert du feu pour purifier l’or. Il est certain que l’or ne peut être purifié que par le feu, qui consume peu à peu tout ce qu’il y a de terrestre et d’étranger, et le sépare de l’or. Il ne suffit pas à l’or pour être mis en œuvre, que la terre soit changée en or : il faut de plus que le feu le fonde et le dissolve, pour tirer de sa substance tout ce qui lui reste d’étranger et de terrestre ; et cet or est mis tant et tant de fois au feu, qu’il perd toute impureté et toute disposition à pouvoir être purifié.
L’orfèvre ne pouvant plus y trouver de mélange, à cause qu’il est venu à sa parfaite pureté et simplicité, le feu ne peut plus agir sur cet or (a) ;
(a. Cela veut dire pour le purifier de ses anciennes taches, comme on a vu, que la même justice qui purifie l’âme, la béatifie. (Voyez dans l’article Propriété ci-dessus page 207 la note d et dans le même article page 223 la note c), car il faut raisonner de la purification de cette vie comme du Purgatoire. La différence est, que lorsque l’âme de purgatoire est parfaitement purifiée, comme elle entre dans le ciel, elle ne peut plus contracter de nouvelle impureté ni se salir extérieurement par le commerce des créatures. Il n’en est pas de même de l’âme ici, qui commet encore de nouvelles imperfections, lesquels quoiqu’extérieures et sans nulle correspondance du fond, ne laissent pas de la salir extérieurement. C’est une petite crasse superficielle causée par quelque vivacité intérieure, ou même par les défauts purement naturels, qui n’ayant pas été corrigés dans le temps que la lumière était donnée pour cela, comme ils ne sont ni volontaires, ni considérables, Dieu ne laisse pas d’avancer l’âme, et l’âme n’ayant pas employé la lumière, qui lui était donnée pour se corriger dans le temps qu’elle pouvait en faire usage, Dieu la lui ôte, parce qu’elle la retarderait dans la suite, et ainsi elle conserve donc ses défauts naturels avec une fort grande grâce. Et ces défauts 262 causent toujours quelques petits nuages extérieurs : comme l’on voit un or très fin et très pur qui ne peut se purifier davantage en sa substance dans le feu, parce qu’il a acquis le degré de 23 de carats qu’on dit être son degré de pureté, qui ne laisse pas de se salir au-dehors, et avoir besoin d’être mis au feu pour reprendre son premier éclat. Mais vous remarquerez, s’il vous plaît, qu’on ne fait que l’y jeter un instant, et qu’on l’en retire [si] brillant qu’il éblouit : il n’a plus besoin de ces feux longs et ardents qu’il fallait pour purifier sa substance. Il en est de même de cette âme : elle contracte des impuretés, qui sont si fort superficielles, qu’un seul instant les purifie, sans même souvent que l’âme s’aperçoive de sa purification. Je ne doute pas que si l’âme venait à se relâcher, peut-être ses défauts s’enfonçant en elle, et gagnant les puissances, lui causerait beaucoup de dommages : c’est pourquoi il n’y a aucun temps ou l’âme doive sortir de cette douce dépendance de Dieu, son amour, où demeurant incessamment exposée à ses yeux divins il la tient toujours pure, la purifiant de nouveau, s’il est nécessaire. Il y a une figure de ce que j’ai avancé dans la Sainte Écriture au livre des Juges, (voyez l’Explication sur Juges chapitre 1 versets 17, 27, etc.) où le peuple d’Israël n’ayant pas détruit dans le temps qu’il avait les armes à la main, tous les ennemis du Seigneur, et les ayant laissé vivre avec eux, quoique d’une manière assujettie, dans la suite ces mêmes ennemis leur furent toujours de nouvelles pierres d’achoppement, et de nouveaux sujets de chutes. Il y eut quelques-uns de ces peuples qui furent entièrement exterminés. Heureux ceux qui ne sont pas épargnés dans le temps de la mort et de la purification, car ils reposent en assurance !
Et il y serait un siècle qu’il n’en serait pas plus pur, et qu’il ne diminuerait pas. Alors il est propre affaires les plus excellents ouvrages.
Et si cet or et impur dans la suite, je dis que ce sont des saletés contractées nouvellement par le commerce des corps étrangers. Mais il y a cette différence, que cette impureté (a. Ces personne agissent si simplement et si librement, que quoique leur extérieur n’ait rien d’indigne de la Majesté de celui qui habite en eux, néanmoins ils sont bien éloignés de cette composition extérieure, qui vient d’une continuelle attention sur soi-même) n’est que superficielle, et n’empêche pas de le mettre en œuvre : au lieu que l’autre impureté était cachée dans le fond, et comme identifiée avec sa nature. Cependant les personnes qui ne s’y connaissent pas, voyant un or épuré couvert de crasse au-dehors, en feront moins de cas que d’un or grossier très impur, dont le dehors sera poli. Là même n.4.
De plus, vous remarquerez que l’or d’un degré de pureté inférieure ne peut s’allier avec celui d’un degré de pureté supérieur. Il faut que l’un contracte de l’impureté de l’autre ; ou que celui-ci participe à la pureté de celui-là. Mettre un or épuré avec un grossier, c’est ce que l’orfèvre ne fera jamais. Que fera-t-il donc ? Il fera perdre par le feu tout le mélange terrestre à cet or, afin de le pouvoir allier à la pureté du premier. Et c’est ce qui est dit en saint Paul : (I Corinthiens 3 versets 13, 15) que nos œuvres seront éprouvées comme par le feu, afin que ce qui est combustible soit brûlé. Il est ajouté que la personne dont les œuvres se trouveront propres à être brûlées sera sauvée ; mais comme par le feu. Cela veut dire qu’il y a des œuvres reçues, et qui sont de mise ; mais afin que celui qui les a faites soit si pur, il faut qu’elles passent par le feu, afin que la propriété en soit ôtée ; et c’est en ce même sens que Dieu examinera et (Psaume 24 verset 3) jugera nos justices : parce que (Romains 3 versets 20, 22) l’homme ne sera jamais sanctifié par les œuvres de la loi ; mais par la justice de la foi qui vient de Dieu.
Cela posé je dis, qu’afin que l’homme soit uni à son Dieu, il faut que la Sagesse accompagnée de la divine Justice, comme un feu impitoyable et dévorant, ôte à l’âme tout ce qu’elle a de propriété, de terrestre, de charnel, et de propre activité : et qu’ayant ôté à l’âme tout cela, il se l’unisse.
Ce qui ne se fait jamais par l’industrie de la créature ; au contraire elle souffre même à regret : parce que comme j’ai dit, l’homme aime si fort sa propriété, et il craint tant sa destruction, que si Dieu ne le faisait lui-même et d’autorité, l’homme n’y consentirait jamais. Chapitre 24 n.5, 6.
On me répondra cela, que Dieu n’ôte jamais à l’homme sa liberté, et qu’ainsi il peut toujours résister à Dieu : d’où il s’ensuit que je ne dois pas dire que Dieu agit absolument et sans le consentement de l’homme.
Je m’explique, et je dis qu’il suffit alors qu’il donne un contentement passif, afin qu’il ait une entière et pleine liberté ; parce que s’étant donné à Dieu dès le commencement de sa voie, afin qu’il fît de lui et en lui tout ce qu’il voudrait, il donna dès lors un consentement actif et général pour tout ce que Dieu ferait. Mais lors que Dieu détruit, brûle et (a) purifie,
a. Pour comprendre ceci, il est bon de faire attention que lorsque l’onction de la grâce est fort goûtée et aperçue de l’âme, ses défauts paraissent comme essuyés ; mais lorsque Dieu purifie, qu’il enfonce les vertus dans l’âme, les mêmes vertus semblent éteintes au-dehors et l’on voit les défauts naturels.
Il me semble que l’impression de l’hiver sur les plantes est une belle et véritable figure de cela. Lorsque l’hiver approche, les arbres perdent peu à peu les feuilles ; et cet habit d’un vert éclatant change peu à peu sa couleur, jaunit, et enfin meurt et tombe, en sorte que les arbres paraissent tout dépouillés. La perte même de leurs feuilles laisse à découvert tous les défauts de leurs écorces, qu’on ne remarquait pas auparavant : ce ne sont pas des défauts nouveaux que ces arbres contractent, ce sont les mêmes ; mais cette robe de verdure les dérobait aux yeux des hommes. Ils sont donc dépouillés de leurs feuilles, comme l’homme le paraît des vertus dans le temps de sa purification. Mais de même que l’arbre en conservant sa sève, conserve le principe de ses feuilles ; aussi l’âme n’est pas dépouillée de l’essence de la vertu ni de ce qu’elle a de réel, mais bien d’un certain facile usage et de son éclat ; en sorte que l’homme ainsi nu et dépouillé, paraît aux yeux des autres hommes, et à ses propres yeux, avec tous les défauts naturels, couverts auparavant des habits d’une grâce sensible. Tout le temps de l’hiver, tous les arbres paraissent morts, et ne le sont nullement ; au contraire l’hiver est ce qui les conservent. Car que fait l’hiver ? Il les resserre afin que la sève ne s’étende pas au-dehors, et qu’ils emploient leur force à pousser de nouvelles racines, à étendre et nourrir celles qui sont déjà poussées, et enfin à les enfoncer toujours plus avant dans la terre. On peut dire qu’alors plus l’arbre paraît mort dans ses accidents, qui sont ses feuilles (je ne sais si ce terme sera propre, mais j’espère de la charité de ceux qui veulent bien m’examiner, qu’ils suppléeront au défaut de mes expressions :) cet arbre dit-je, qui paraît mort dans ses accidents, ne fut jamais plus vivant dans son principe ; et c’est durant l’hiver que la source et le principe de sa vie s’établit : au lieu que dans les autres saisons il emploie toute sa sève a orner et embellir, et ses racines ne font pendant tout ce temps que 267 s’affaiblir. Il en est tout de même de l’économie de la grâce sur les âmes. Dieu ôte ce qui est d’accidentel dans la vertu, afin d’en nourrir le principe par l’essence de ses vertus, qui se pratiquent alors, quoique d’une manière cachée, comme l’humilité, le pur amour, l’abandon entier, le mépris de soi-même et le reste. C’est donc en cette sorte que l’opération de Dieu semble salir les dehors, non qu’elle les salisse véritablement, mais elle ôte ce qui couvrait la saleté, afin de la mieux guérir en l’exposant aux yeux de tous.
Il me vient encore une autre comparaison : je ne sais si je ne m’en suis pas servie en quelque endroit. C’est celle du bois (voyez ci-dessus n.45) lorsqu’on le met au feu. Il faut qu’avant que le feu le change en soi, il en chasse tout ce qui lui est contraire. Remarquez, s’il vous plaît, que ce ne sont pas différents feux qui purifient et transforment : le feu ne change pas son opération, soit qu’il purifie le bois, soit qu’il le transforme en soi. L’opération du feu est toujours la même, qui est échauffer, brûler, éclairer ; et si nous lui voyons faire tant de différentes opérations, ce n’est que par rapport au sujet qui lui est présenté : car pour lui, il est toujours le même, toujours un en lui, quoiqu’avec une infinie variété d’opérations, qui ne font rien à sa constitution, laquelle ne peut jamais être altérée ni changée : ce qui paraît changement dans le feu, n’est qu’un accident qui ne vient pas de la cause, mais des sujets qui lui sont présentés. Car le feu agit dans tous les sujets, et par rapport à ce qu’ils sont en eux-mêmes, et par rapport à ce qu’il est en soi : par rapport à ce qu’ils sont, il agit pour leur ôter les dissemblances et contrariétés ; et par 268 rapport à ce qu’il est, il leur communique, à mesure qu’il les purifie de leurs contrariétés selon ce qu’ils sont, sa chaleur et sa lumière. Il en est de même des opérations de Dieu. Il est toujours lui-même, toujours égal à soi en toutes choses. Il n’a qu’une seule et unique opération sur tous les sujets, qui est de se les conformer ; et s’il agit si différent en chacun de nous, cela vient de nous-mêmes.
La fin des opérations de Dieu est donc de se conformer tous les sujets propres à cela, et de les changer en soi. Il faut donc qu’il commence par leur ôter, et pousser au-dehors, tout ce qu’ils ont de contraire à la fin pour laquelle il les destine, qui est, de les changer en soi ; comme l’on voit que le feu commence par pousser au-dehors du bois la première contrariété, qui est son humidité : ensuite il ôte peu à peu tous les autres qui sont les qualités du bois, sa couleur, sa pesanteur. Et lorsque cela s’opère par l’activité du feu, comme la purification se fait en l’âme par l’activité de la Sagesse, cette opération poussant au-dehors toutes les contrariétés dont elle purifie le dedans, le dehors paraît plus défectueux qu’il n’était auparavant. Il faut néanmoins remarquer que comme le bois renfermait en soi ces contrariétés, et que ce ne sont pas de nouvelles saletés, quoique cela parût tel à ceux qui, ignorant les propriétés du feu, ne verraient que cette seule opération au bois : aussi les défauts et misères dont l’âme se trouve alors remplie, et qui lui font tant de peines, ne sont pas de nouvelles impuretés qu’elle contracte, mais les mêmes qu’elle avait, mais qu’elle n’apercevait pas : parce que n’étant pas si proche de Dieu, ni 269 si exposée à ses yeux purifiants, cela ne paraissait pas : comme on ne distingue les contrariétés qui sont dans le bois, que lorsque le feu commence d’agir sur lui et de l’échauffer. Et comme il est manifeste, qu’on ne s’avise pas de mettre de nouvelles humidités sur le bois, afin qu’il devienne plus pur par le feu, et qu’il est évident qu’on n’ajoute rien à son humidité, qu’au contraire on le prépare pour le mettre au feu en le laissant sécher après qu’il est coupé ; aussi est-ce une folie et une impertinence malicieuse de dire qu’il faille salir l’extérieur pour purifier le dedans. Ceux qui disent ces choses ou ne veulent pas voir la vérité, ou le disent malicieusement : et c’est une invention du diable pour éloigner de l’oraison. Car n’est-il pas vrai que si vous mettez de nouvelles impuretés et humidités sur ce bois, non seulement le feu ne le changera pas en soi, de même peu à peu, si vous mettez une humidité plus forte que la chaleur du feu, elle l’éteindra tout à fait ; et si l’humidité que vous ajoutez n’accepte pas la force du feu, le même feu sera toujours employé à détruire des nouvelles contrariétés, et ne changera jamais en soi le bois. Il faut donc, bien loin d’ajouter de nouvelles contrariétés, pour être purifié, laisser peu à peu détruire les obstacles, qui sont en nous, à la grâce, afin que la grâce après les avoir surmontés peu à peu, selon la force du sujet, Dieu trouvant le sujet disposé, le change enfin en soi-même.
C’est toute l’économie de la grâce de la purification, et toute personne qui y aura passé verra que je dis vrai. Je prie Dieu d’éclairer les yeux, pour faire voir cette extrême différence ; et que la malice de l’ennemi, qui a semé beaucoup d’ivraie avec le bon 270 grain, ne soit pas cause qu’on confond l’un et l’autre, et qu’on arrache la vérité pour détruire le mensonge. Si je cherche en cela mon propre intérêt, je prie celui sous les yeux duquel j’écris, de confondre mon erreur et malice, et de relever sa vérité quand ce serait aux dépens de ma vie.
[fin de la longue note de Mme G.]
l’âme p.266 ne voit pas que cela lui soit avantageux : elle croit plutôt le contraire : et de même que le feu au commencement semble salir l’or ; aussi cette opération semble dépouiller l’âme de sa pureté. De sorte que s’il fallait alors un consentement actif et explicite, l’âme aurait peine à le donner, et bien souvent, elle ne le donnerait pas. Tout ce p.270 qu’elle fait, est de se tenir dans un consentement passif, souffrant de son mieux cette opération, qu’elle ne peut, ni ne veut empêcher.
Dieu donc purifie tellement cette âme de toutes ses opérations propres, distinctes, aperçues et multipliées, qui sont une dissemblance très grande, qu’enfin il se la rend peu à peu conforme, et puis uniforme ; relevant la capacité passive de la créature, élargissant et l’ennoblissant, quoique d’une manière cachée et inconnue ; c’est pourquoi on l’appelle mystique. Mais il faut qu’à toutes ces opérations l’âme concoure passivement.
Il est vrai qu’avant que d’en venir là, il faut qu’elle agisse plus au commencement ; puis à mesure que l’opération de Dieu devient plus forte, il faut que peu à peu et successivement l’âme lui cède (aa)
(a. Ce qui arrive à mesure que le sujet est plus disposé. Comme l’humidité du bois cède peu à peu à la chaleur du feu, et que plus le feu surmonte l’humidité dans ce bois, sa chaleur s’augmente dans le même bois, et toutes les contrariétés en sortent jusqu’à ce que le feu, à force de surmonter ces contrariétés, convertit le bois en soi.) Jusqu’à ce qu’il l’absorbe tout à fait. Mais cela dure longtemps
(aa. Ce mot « longtemps » fait voir de que quoi qu’on est dit que ce chemin soit court, on ne prétend pas dire qu’on soit d’abord parfait) n. 7, 8.
C’est une chose étrange, que n’ignorant pas qu’on n’est créé que pour cela, et que toute âme qui ne parviendra pas dès cette vie à l’union divine, et à la pureté de sa création, doit brûler longtemps dans le Purgatoire pour acquérir cette (b) pureté, on ne puisse néanmoins souffrir que Dieu y conduise dès cette vie. Commesi ce qui doit faire la perfection de la gloire, devait causer du mal et de l’imperfection dans cette vie mortelle. Ch. 24. n. 8, 10.
(b : Je presse si fort pour la pureté et la purification : comment peut-on trouver que je dise le contraire ? J’avoue que ce livre mérite d’être expliqué, et que ceux qui les ont fait imprimer le devaient exiger : mais comme il n’était pas de mention alors de tous ces dérèglements, ils n’eurent pas la pensée, non plus que moi, du mauvais tour qu’on leur donnerait. Si ces Messieurs voulaient bien se donner la peine de lire le Traité du purgatoire [imprimé dans les opuscules de l’auteur], ils verraient comment la purification se fait, et quelles sont les opérations de Dieu dans l’âme.
Comme les plus grandes grâces de Dieu tendent toujours à la connaissance plus profonde de ce que nous sommes ; et qu’elles ne seraient pas de lui si elles ne donnaient, selon leur degré, une certaine expérience de la misère de la créature ; cette âme ne sort qu’à peine des celliers de son époux qu’elle se trouve noire. Quelle est votre noirceur, ô incomparable Amante ? Dites-le-nous ? Je suis noire dit-elle ; parce que j’aperçois à la faveur de mon divin Soleil, quantité de défauts que j’avais ignorés jusqu’à présent. Je suis noire parce que je ne suis pas purifiée de ma propriété.
Mais cependant je ne laisse pas d’être belle, et belle comme les tentes de Cedar ; parce que cette connaissance expérimentale de ce que je suis, extrêmement à mon époux. -- —
Ma noirceur apparente cache la grandeur des opérations de Dieu dans mon âme.
Je suis encore noire par les croix et les persécutions qui me viennent du dehors : mais je suis belle comme les pavillons de Salomon ; puisque ces croix et cette noirceur me rendent semblable à lui.
Je suis noire parce qu’il paraît des (a. Notez faiblesse et non péché) faiblesses dans mon extérieur ; mais je suis belle, parce que je suis au-dedans exempte de malice. Chapitre un verset quatre.
Pourquoi l’épouse demande-t-elle qu’on ne la regarde pas dans sa noirceur ? C’est (b : Notez qu’il est expliqué ici, qu’elle est la noirceur et l’impureté dont j’ai voulu parler) que l’âme commençant à entrer dans l’état de la foi et du dépouillement des grâces sensibles, elle perd peu à peu cette douce vigueur, qui lui faisait pratiquer le bien avec facilité, et qui la rendait au-dehors toute belle. Et ne pouvant plus s’acquitter de ses premières pratiques, parce que Dieu veut autre chose d’elle, il semble qu’elle soit retombée dans son état naturel.
Cela paraît de cette sorte à ceux qui ne sont pas éclairés. C’est pourquoi elle dit : je vous conjure, vous autres mes compagnes, qui (c : Notez, on précautionne ici les commençants) n’êtes pas encore arrivées si avant dans l’intérieur, vous qui n’êtes que dans les premiers pas de la vie spirituelle, ne jugez pas de moi par la couleur brune que je porte au-dehors, ni par tous mes (d : défauts, et non péchés) défauts extérieurs, soit réels, soit apparents : car cela ne vient pas, comme aux âmes commençantes, faute d’amour et de courage : mais c’est que mon divin Soleil par ses regards continuels, ardents et brûlants, m’a décolorée. Il m’a ôté ma couleur naturelle, pour ne me laisser que celle que son ardeur me veut donner. C’est la force de l’amour qui me sèche la peau et la (a)
(a. Comme le feu noircit le bois avant de l’enflammer. Notez : c’est l’approche du feu qui noircit ici le bois et non l’éloignement du feu. Le bois peut se noircir par l’humilité, mais cette noirceur le met dans une plus grande opposition pour être brûlé ; et même il le devient à tel point qu’il ne brûle jamais. Telle est la noirceur de ceux qui s’éloignent de mon Dieu, de ces âmes adultères qui s’éloignent de vous (psaume 72 versets 27) ; elles périssent aussi ; mais non pas mon épouse, que l’excès de l’amour qui la veut consommer en foi, rend brune, parce qu’il chasse d’elle toute contrariété.
brunit ; et non pas l’éloignement de l’amour. Cette noirceur est un avancement, et non pas un défaut ; mais c’est un avancement que vous ne devez pas considérer, vous qui êtes encore jeunes et trop tendres pour l’imiter ; parce que la noirceur que vous vous donneriez, serait un défaut : elle ne doit venir, pour être bonne, que du Soleil de Justice, qui pour sa gloire, et pour le plus grand bien de l’âme, mange et dévore cette couleur éclatante du dehors, laquelle l’aveuglait elle-même, quoiqu’elle la rendit admirable aux autres, au préjudice de la gloire de l’époux.
Mes frères me voyant noire de la sorte, m’ont voulu obliger à reprendre la vie active, et à garder le dehors, sans m’appliquer à faire mourir les passions au-dedans : j’ai longtemps combattu avec eux : mais enfin ne pouvant leur résister, j’ai fait ce qu’ils ont voulu : et (a)
(a. tort qu’on fait aux âmes de cet état de leur faire reprendre la vie active. Le bienheureux Jean de la Croix l’a prouvé en dans tant d’endroits que j’ai déjà rapportés de lui. [Voyez Actes n7, 8,10, Motion divine n. 12,14. Oraison § I n.19, etc.])
en m’appliquant au-dehors, à des choses qui me sont étrangères, je n’ai pas gardé ma vigne, qui est mon fond, où Dieu habite. C’est là ma seule affaire, et la seule vigne que je dois garder : et lorsque je n’ai pas gardé la mienne, lors que je ne me suis pas rendue attentive à mon Dieu, j’ai encore moins gardé les autres. C’est le tourment qu’on fait d’ordinaire aux âmes, lorsqu’on voit que la grande occupation du dedans fait négliger en quelque sorte le dehors ; et qu’à cause de cela l’âme toute renfermée au-dedans ne peut plus s’appliquer à certains petits défauts que l’époux corrigera en un autre temps. Chapitre un verset cinq.
Voilà l’ordre de la charité que Dieu met dans cette âme ; son amour est devenu (a)
(a. Notez, s’il vous plaît, en quel état est mon épouse, entrant dans les épreuves ; et combien elle est éloignée de ce qu’on lui impute)
parfaitement chaste. Toutes les créatures ne lui sont rien ; elle les veut toutes pour son Dieu, et n’en veut aucune pour soi. O. que cet ordre de la charité donne de force pour les états terribles qu’il faudra passer dans la suite ! Mais il ne peut être connu ni goûté de ceux qui n’y sont pas ; pour n’avoir encore bû de ce vin de l’époux. Chapitre deux verset quatre.
À peine (b)
(b. pour entendre ceci, il faut faire attention qu’avant les dernières épreuves, que le bienheureux Jean de la Croix appelle nuit de l’esprit, Dieu ensuite de la nuit du sens ou de la première purification, se communique à l’âme d’une manière beaucoup plus parfaite qu’il n’avait jamais fait ; ainsi qu’il est marqué dans le Cantique. Mais plus cette faveur est pure et sublime, plus l’absence de l’époux e tla purification qui suit, devient terrible. Car il ne se montre que pour fuir avec plus de rigueur. Il faut aussi faire attention que nous avons dit, que ce qui rend les épreuves plus terribles, c’est cette absence de l’époux jointe à l’expérience de ses misères, aux effroyables peines intérieures, aux persécutions extérieures des hommes et des démons : tout cela joint ensemble, est quelque chose de si terrible, que qui ne l’a pas éprouvé ne l’imaginera jamais. L’absence de l’époux est bien appelée nuit est mort, parce qu’il est la lumière et la vie de l’âme : et comme la nuit dans la nature rend les objets effrayants d’eux-mêmes, beaucoup plus terribles et pleins d’horreur ; aussi dans la nuit de l’esprit tout p.277 paraît d’autant plus horrible, que la nuit est plus sombre, et qu’on n’espère plus de revoir le divin Soleil, qui doit ramener le jour dans notre âme.
Cette amante a-t-elle goûté la douceur de cette union, que l’époux disparaît tout à fait. Voyant donc une fuite si prompte, elle le compare à un chevreuil et à un fan de biche, à cause de la légèreté et de la vitesse de sa course ; et se plaignant amoureusement de lui ensuite d’un abandonnement si étrange, lorsqu’elle le croit bien loin, elle l’aperçoit tout proche. Il s’était seulement caché pour éprouver sa foi et sa confiance ; cependant il n’ôte pas ses regards de dessus elle ; parce qu’il la protège plus particulièrement que jamais, étant plus uni à elle par la nouvelle alliance qu’il vient de faire, qu’il ne l’avait été jusqu’alors. Mais quoiqu’il la regarde incessamment, elle ne le voit pas toujours. Elle ne l’aperçoit que pour quelques moments ; afin qu’elle ne puisse ignorer ce regard et qu’elle l’apprenne un jour aux autres.
Il faut remarquer que l’époux est debout, parce qu’il n’est plus temps de se reposer ni de demeurer assis ; mais de courir. Il est debout, comme prêt à marcher. Chapitre deux verset neuf.
Il faut savoir qu’il y a deux hivers : celui du dehors, et celui du dedans ; et que tous deux sont réciproquement contraires. Lorsque l’hiver et au dehors, l’été est au-dedans, qui porte l’âme à s’enfoncer davantage en foi, par un effet de la grâce qui opère un profond recueillement : et lorsque l’hiver est au-dedans, il se fait un été au-dehors, qui oblige l’âme de sortir d’elle-même, par l’élargissement que cause une grâce d’abandon plus étendu. L’hiver dont l’époux parle ici, disant qu’il est déjà passé, est l’hiver extérieur, durant lequel l’âme pouvait être glacée par la rigueur du froid, sali par les pluies, et accablée sous les orages et sous la neige des péchés et imperfections, qu’on contracte facilement par le commerce des créatures. L’âme qui a trouvé le centre a été si fortifié qu’il n’y a plus rien à craindre pour elle au-dehors : toutes les pluies sont essuyées ; et il lui serait impossible à moins d’une infidélité la plus noire qui fut jamais, de prendre (a) aucun plaisir dans les choses du dehors.
(a. Notez que cette âme est donc bien éloignée d’aller chercher des plaisirs illicites, puisqu’elle ne peut même se plaire dans les innocents. Ce qu’elle a, est une certaine candeur et innocence qu’on ne peut exprimer et dont j’ai parlé. [Voyez la Note sur Moyen court. Chapitre 24 n. 1. dans l’article Propriété ci-dessus]).
De plus cette manière de parler, l’hiver est déjà passé, veut dire que comme l’hiver amortit toutes les choses extérieures, de même pour cette âme, la mort a passé sur toutes les choses extérieures, en sorte qu’il n’y a plus rien qui la puisse satisfaire. S’il y paraît encore quelque chose, c’est un renouvellement d’innocence, qui n’a plus rien de la malignité d’autrefois.
Les pluies de l’hiver sont aussi passées. Elle peut sortir sans plus craindre l’hiver, et avec cet avantage, que l’hiver a détruit et fait mourir ce qui était autrefois vivant pour elle, et qui l’aurait fait mourir elle-même : ainsi que la rigueur de l’hiver purge la terre des insectes. Là même verset 11.
Dans le sanctuaire que Dieu se dresse en son Amante, il y a de même des colonnes d’argent, qui sont les dons du Saint-Esprit, établis sur la grâce divine, qui est comme l’argent pur et éclatant, qui leur tient lieu de matière et de fond. Le reposoir en est d’or ; car une âme qui mérite de servir de trôner et de lit royal à Jésus-Christ, ne doit plus avoir d’autre appui et soutient que Dieu seul ; et il faut qu’elle soit entièrement dépouillée de tout soutien créé. La montée en est toute de pourpre ; car si (a. Actes 14 verset 21 II Timothée deux verset 12) on ne peut entrer dans le Royaume du ciel que par beaucoup d’afflictions ; et si on ne peut régner avec Jésus-Christ qu’après avoir souffert avec lui, cela (a)
(a. Les épreuves et souffrances sont bien plus terribles dans les personnes bien intérieures réunies à Dieu que dans les autres ; les autres hommes ne comprennent pas même ces terribles épreuves)
va encore plus avant pour ceux qui sont appelés aux premières places du Royaume intérieur, et pour les âmes qui dès cette vie doivent être honorées de la noce de l’époux céleste ; que pour le commun des chrétiens, qui sortent bien de ce monde en voie de salut, mais chargé de beaucoup de dettes et d’imperfections. Il est incroyable combien il faut que ces âmes choisies dévorent de croix, d’opprobres et les renversements.
Enfin tout le dedans est rempli de charité, puisque ces trônes vivants du Très-Haut étant pleins d’amour, ils sont aussi parés de tous les fruits et ornements de l’amour, qui sont les (b)
(b. Notez que mon époux est orné des vertus et bonnes œuvres, qui sont les fruits du Saint-Esprit ; cela se rapporte à l’énigme du bienheureux Jean de la Croix, mis devant ses œuvres)
bonnes œuvres, les mérites, les fruits du Saint-Esprit, et la pratique des plus pures et des plus solides vertus.
C’est à quoi vous êtes appelées, ô filles de Jérusalem, épouses intérieures, âmes d’oraison. Chapitre 3 verset 10.
Jusqu’à ce que le jour de la vie nouvelle, que vous devez recevoir en mon Père, commence à paraître ; et que les ombres qui vous tiennent dans l’obscurité de la foi la plus nue, s’abaissent et se dissipent, je m’en irai sur la montagne de la myrrhe ; parce que vous ne me trouverez plus que dans l’amertume et dans la croix. Ce sera néanmoins pour moi une montagne d’une odeur très agréable ; puisque l’odeur de vos souffrances montera vers moi comme un encens ; et ce sera par elles que je prendrai mon repos vous. Chapitre quatre verset six.
L’épouse n’a presque plus de chemin à faire pour être unie à vous d’un nœud immortel ; et lorsqu’elle paraît approcher de votre vie, elle en est repoussée par soixante hommes forts. N’y a-t-il pas de la cruauté à l’attirer si fortement, quoiqu’avec tant de douceur, pour posséder un bien qu’elle estime plus que mille vies ; et lorsqu’elle est près de sa possession, la rebuter si rudement ? O Dieu, vous conviez, vous appelez, vous donnez la disposition de l’état, avant de donner l’état ; comme l’on donne à goûter d’une liqueur exquise, afin de la faire plus désirer. O que ne faites-vous pas souffrir à cette âme par le retardement de ce que vous lui promettez. --
Venez aussi des repaires des lions et des montagnes des léopards : car ce ne sera qu’à travers des plus cruelles (a. Notez, qu’il est toujours parlé de souffrances et de persécutions) persécutions des hommes et des démons, comme d’autant de bêtes féroces, que vous pourrez arriver à un état si divin. Il est temps de vous élever plus que jamais au-dessus tout cela, puisque vous êtes prête d’être couronnée en qualité de mon épouse. Là même verset huit.
Ce qui m’a blessé et charmé en vous, c’est que tous vos malheurs, toutes vos disgrâces, et vos déplaisirs les plus extrêmes, tout cela ne vous a pas portée à retirer votre œil de dessus moi, pour vous envisager vous-même. Vous n’avez pas seulement regardé les (a)
(a. Ces blessures sont, comme j’ai dit : au-dedans l’abandonnement apparent de l’époux, qui est la plus terrible douleur de l’âme ; et d’être livré extérieurement à la malice des hommes et des diables. Le verset précédent fait voir qu’il n’est parlé ici que de la persécution des hommes et des démons)
blessures que je vous faisais faire, ni celle que je vous faisais moi-même, non plus que si elles ne vous eussent pas touchées : parce que votre amour pur et droit, qui vous tenait appliquée uniquement à moi, ne vous permettait pas de vous regarder vous-même, ni vos propres intérêts ; mais seulement de m’envisager avec amour, ainsi que votre souverain Objet.
Mais hélas ! Dira cette Amante affligée, comment vous aurais-je regardé, puisque je ne sais où vous êtes ? Elle ne sait pas que son regard est devenu si épuré, qu’étant toujours direct et sans réflexion, elle ne connaît pas son regard, et ne s’aperçoit pas qu’elle ne cesse pas de voir. De plus, dès qu’on ne peut plus se voir et qu’on s’oublie (a)
(a. Il faut remarquer, que dans tout le temps que l’époux paraît absent, mon épouse n’est pas pour cela occupée d’elle-même, ni des créatures : au contraire, elle en est plus éloignée que jamais : elle croit avoir perdu la présence de son bien-aimé ; et la douleur continuelle de cette perte apparente n’est-elle pas une présence continuelle ?)
soi-même, aussi bien que toutes les créatures, il est nécessaire au regard de Dieu : et c’est sur lui que s’arrête le (b) regard intérieur.
(b. Il est nécessaire de conserver toujours ce regard intérieur en Dieu, quoique d’une manière insensible : aussi mon épouse n’oublie-t-elle jamais son époux. Notez s’il vous plaît, qu’il est toujours dit, que l’irréflexion de mon épouse sur elle-même ne vient que de l’application continuelle qu’elle a à son Dieu ; ainsi elle est bien éloignée de l’erreur de celles qui l’oublient pour l’offenser impunément)
L’autre plaie que vous m’avez faite, c’est, dit encore l’époux, par l’union de vos cheveux bien tressés. Cela marque assez clairement que toutes les affections de l’Amante ont été réunies en Dieu seul, et qu’elle a perdu toutes ses volontés en celle de son Dieu.
De sorte que l’abandon de toute elle-même à la volonté de Dieu, par la perte de toute volonté propre, et la droiture avec laquelle elle s’applique à Dieu, sans faire plus de retour sur soi-même, sont les deux flèches qui ont blessé le cœur de son époux. Là même verset neuf.
J’ai (a) lavé mes pieds comment les salir ai-je ? Chapitre cinq verset trois.
(a. Je ne répète point ce verset, l’ayant expliqué amplement sur la Propriété. J’ai aussi expliqué [dans le même article] les gardes de la ville qui l’ont battue et blessée [verset 7]. Quoique je ne répète pas ici tous ces versets ; je ne laisserai pas dans les autorités décrire ce qui a quelque rapport avec eux, si je trouve quelque chose sur cela.)
Le véritable amour n’a pas d’yeux pour se regarder soi-même. Cette Amante affligée oublie ses blessures, quoiqu’elle saigne encore : elle ne se souvient plus de sa perte ; elle n’en parle pas même ; elle pense seulement (b)
(b. Il faut remarquer que plus l’âme s’oublie elle-même, plus elle s’occupe de Dieu. Ce n’est pas un oubli causé par l’indolence, mais par la force de l’amour. Cette âme cherche Dieu continuellement, comme je l’ai fait remarquer en cet endroit de l’Explication du Cantique chapitre un verset trois. Cherchez le seigneur, chercher sans cesse son visage. [Psaume 104 verset quatre]. L’amour pur dérobe à l’âme toute autre vue que celle de son divin Objet. Cette âme ne désiste jamais, pas même pour un instant, de sa recherche ; au lieu que ces créatures qui s’adonnent à tout mal l’oublient avec soin, afin qu’il ne leur reproche pas leurs désordres. Mon épouse s’oublie elle-même et toutes les créatures, pour ne penser qu’à Dieu : et ces misérables oublient Dieu pour ne penser qu’à se satisfaire.)
à celui qu’elle aime, et elle le cherche avec d’autant plus de force, qu’elle trouve plus d’obstacle à sa possession. Elle s’adresse aux hommes intérieurs et leur dit : O vous, à qui mon Bien-aimé se découvrira sans doute, je vous conjure par lui-même de lui dire que je languis d’amour pour lui. Quoi ! ô la plus belle des femmes, ne voulez-vous pas qu’on lui parle plutôt de vos blessures, qu’on lui raconte ce que vous avez souffert en le cherchant ? Non, non, répond cette âme généreuse, je suis trop récompensée de mes maux, puisque je les ai soufferts pour lui ; et je les préfère aux plus grands biens. Ne dites qu’une chose à mon bien-aimé ; c’est que je languis d’amour pour lui. La plaie que son amour a faite dans le fond de mon cœur est si vive, que je suis insensible à toutes les douleurs extérieures ; j’ose dire même (a. Toutes les douleurs ne sont rien au prix de la plaie d’amour) qu’au prix de celle-là, elles me sont des rafraîchissements. Chapitre cinq verset huit.
AUTORITÉS
On ne peut pas s’empêcher de rapporter quelquefois les passages déjà cités, parce qu’ils renferment plusieurs propositions.
1. On peut dire de même que l’Ange, par qui la purification du prophète (Isaïe 6. versets 6, 7) était opérée, rapportait sa science et la vertu qu’il avait de purifier, à Dieu (b)
(b. Ordre de purification de la cause première par les causes secondes ; et comme tout se rapporte enfin à ce premier principe, ainsi il est principe et fin de toute purification, quoiqu’il se serve des moyens.)
premièrement, comme au premier auteur, et puis au Séraphin comme à son supérieur en l’ordre hiérarchique, et qui est le plus haut et le Premier ministre de cette sainte fonction. Comme si cet Ange lui eût dit avec un grand respect et avec une singulière modestie, pour l’instruction de celui qu’il purifiait : Ne pense pas qu’il y ait un autre auteur de la purification que j’opère en ta personne, que celui qui est le principe même, la cause et le Créateur de toutes choses. Hiérarchie céleste chapitre 13.
2. Voyez Conversion. n. 2.
3. Voyez Anéantissement. n. 1.
4. Voyez Habitude. n. 1.
5. Celui qui est net comme dit la parole sainte (Jean 13 verset 10) n’a plus besoin que de laver seulement le bout de ses pieds, c’est-à-dire qu’il n’a plus besoin que de laver ses dernières extrémités. De façon que par ce lavement, qui le rend parfaitement pur et net en l’état très chaste de la divine ressemblance, il arrivera que sortant par bonté pour s’entremettre des choses qui sont au-dessous de lui, il ne sera nullement empêché par elles ni retenue par aucune attache, parce qu’il est parfaitement uniforme (a. C’est cette uniformité qui fait sa pureté. Vous voyez comme cette pure uniformité se conserve dans le commerce extérieur des créatures, et fait qu’on n’y contracte aucune tache) ; et lorsque de ces choses autour desquelles il sera employé, il retournera vers l’Un, son retour sera très pur, et sans avoir contracté aucune tâche ni souillure par l’attouchement de telles choses, comme celui qui sait très bien conserver son divin état, sans rien perdre ni diminuer de son intégrité. Là même. Chapitre 3.
6. Voyez Opérations propres. n. 4.
8. Il est aisé de mépriser les consolations des hommes, lors que Dieu même nous console. Mais c’est l’effet d’une grande et d’une rare vertu, de se passer aussi bien des consolations divines que des humaines, et de souffrir en paix et pour l’amour de Dieu et abandonnement et cet (b) exil du cœur, sans se rechercher soi-même en rien, et sans avoir la moindre pensée si on mérite d’être traité de la sorte. Livre 2. Chapitre 9 § 1.
(b. Que cela est bien dit ! Parce que l’homme, qui a accoutumé de rentrer dans son cœur et d’y trouver Dieu, souffre étrangement lors qu’il se voit banni et exilé de son propre cœur, qui était son unique refuge dans ses désolations. Ce mot est d’autant plus vrai et expressif, qu’il est certain que Dieu n’abandonne pas notre cœur, lorsque nous sommes privés de sa douce présence : au contraire, il n’y fut jamais davantage, quoique caché : c’est nous-mêmes qui sommes exilés et bannis de notre propre cœur, où nous ne trouvons plus de refuge.)
9. Lorsque cette douceur céleste vous sera ôtée, ne vous laissez pas aller à la défiance et à l’abattement ; mais attendez avec patience et humilité le retour de la joie céleste. -- Cette conduite divine n’est ni étrange ni nouvelle à ceux qui ont de l’expérience dans la voie de Dieu. Les anciens prophètes et les plus grands saints ont éprouvé en eux-mêmes cette vicissitude de trouble et de paix.
Ainsi le Roi-prophète sentait la présence de la grâce lorsqu’il était en l’état qu’il décrit en ces termes : (Psaume 29 versets 7, 8) J’ai dit dans mon abondance : je ne serai jamais ébranlé. Mais aussitôt que la grâce se fut retirée de lui, après avoir éprouvé ce qu’il était par lui-même, il ajoute : vous avez détourné votre visage de moi, et en même temps je suis tombé dans le trouble. -- C’est pourquoi Job dit : (Job 7 verset 18) Vous visitez l’homme dès le matin et aussitôt vous l’éprouvez. --
Soit que j’aie près de moi des hommes de Dieu, ou des fidèles amis, ou des âmes ferventes et religieuses, ou des livres saints et d’excellents écrits de piété, ou que j’entende les hymnes et les doux cantiques de l’Église, je trouve peu d’aide et de goût en toutes ces choses, lors que je me vois destitué de la grâce, et abandonné à ma pauvreté. Il ne me reste pas alors de meilleure (c. vrai remède) remède, que la patience et l’entier renoncement à moi-même, pour ne vouloir que ce que Dieu veut. La même paragraphe 4, 5,6.
10. Assurez-vous que votre vie doit être accompagnée d’une continuelle mort. Plus un homme meurt à soi-même, plus il apprend à ne vivre que pour Dieu seul. Nul ne sera propre à comprendre les choses du ciel, s’il ne se plaît à souffrir pour Jésus-Christ les maux de ce monde. Livre 2. Chapitre 12. § 14.
11. Celui qui aime généreusement demeure ferme dans les tentations ; il ne se laisse pas surprendre aux persuasions artificieuses de son ennemi. Comme il trouve en moi un plaisir céleste, lorsque je le favorise de ma grâce, il ne trouve non plus rien en moi qui lui déplaise, lorsque je l’éprouve par les sécheresses et les souffrances. Livre 3. Chapitre 6. § 3.
12. Dieu ne pouvant plus affliger ces âmes par les adversités et les tribulations ordinaires, parce qu’elles sont prêtes à tout ; il permet qu’elle soit tourmentée de blasphèmes, d’endurcissement, de haine contre Dieu, d’assurance, à ce qui leur paraît, de leurs propres réprobations : et leur tourment est si grand que saint Augustin et saint Bernard le comparent avec raison à une peine infernale.
Dieu ajoutant encore douleur sur douleur, permets qu’elles soient persécutées, méprisées, moquées ; et que ceux qui passent dans le monde pour honnêtes gens, pour gens de probité, de science et de sainteté, ne les regardent que comme des personnes folles ou obsédées : c’est par l’instigation du diable qu’ils les persécutent ainsi, souvent même sans le savoir, et avec de bonnes intentions. C’est ainsi que Job fut traité. Tout ce tourne en poison et désolation pour ces pauvres âmes : leurs parents, leurs domestiques, leurs amis, tout ce qu’elles ont de plus cher les abandonnent ou les persécutent : leurs anxiétés, leurs douleurs extrêmes sont mal interprétées, blâmées, décriées ; au lieu que la droite raison et la charité devraient excuser, admirer, ou même respecter en elles ce qu’on ne connaît pas, et expliquer favorablement des choses douteuses et inconnues au monde. Par tout cela elles parviennent à cette heureuse mort, et disent avec David, à l’exemple de Jésus-Christ : (Psaume 68 verset 21) Mon cœur n’attend plus que l’opprobre et la misère, etc. Théologie mystique. Livre 3. Chapitre 25.
13. De cette sorte toutes les inclinations naturelles, tant de l’âme que du corps, sont consumées les unes après les autres : et ainsi je connais qu’il faut que ce qu’il y a de propre en nous, soit consumé de telle sorte qu’il ne reste aucune chose, à cause de la malignité de cette partie propre, qui est telle et si grande, qu’il n’y a rien qui la puisse vaincre, sinon l’infinie bonté de Dieu. Si lui-même ne la consumait, cachait et engloutissait en lui, il nous serait impossible d’ôter de dessus nos épaules ce mal pire que l’enfer. En sa vie. Chapitre 13.
14. Cette pureté et netteté d’amour était ineffable et surpassait les capacités humaines : et cette âme sainte avait cet amour en si grande abondance qu’elle ne pouvait comprendre (b) qu’il eût pu croître davantage ; parce qu’elle en était tellement pleine, qu’elle n’en pouvait désirer davantage, que ce qui la tenait pleinement rassasiée.
(b. Il semble à l’âme de ce degré que son amour ne se peut accroître, quoiqu’il s’accroisse chaque jour : c’est parce qu’elle ne sent pas de vide ; à cause que Dieu remplit sa capacité passive à mesure qu’il l’étend, et il étend à mesure qu’il l’emplit, de sorte que l’âme ne s’entant pas son vide, ne comprend pas qu’elle puisse contenir plus d’amour.)
Toutefois l’amour ne laissait pas d’être soigneux de purger et de nettoyer ce vaisseau précieux et élu, d’augmenter sa capacité, et de le remplir de plus en plus. De sorte qu’elle disait : Je sens toujours que l’on ôte de petits brins d’imperfections, que ce pur amour tire dehors, travaillant beaucoup avec ses yeux pénétrants et clairvoyants, qui découvrent les moindres et les plus secrètes imperfections, lesquelles auprès d’un moindre amour sembleraient des perfections. Dieu fait cette œuvre, et l’on ne s’en aperçoit pas ; parce que s’il voyait les imperfections, il ne les pourrait supporter. Dieu lui montre la perfection qui est alors en l’œuvre, sans lui faire voir les imperfections qui nuisent encore à l’œuvre : mais cependant il ne cesse de lui ôter, bien qu’elle soit inconnues à l’entendement. Et si on dit (Job 15 verset 15) que les cieux ne sont pas nets devant Dieu, il faut entendre que le défaut de netteté n’est pas reconnu que par une lumière surnaturelle ; laquelle sans que l’homme s’en entremette, opère en sa manière divine, et purifie sans cesse le vaisseau, lequel semble être déjà parfaitement purifié. Dieu fait cette œuvre secrètement ; parce que si cet homme, qui s’est du tout remis entre les mains de Dieu, et qui ne veut que (b. Notez : vertu et perfection de Dieu) vertu et perfection de Dieu, voyait de quelle importance est la plus petite imperfection devant Dieu, il lui serait impossible (a. Elle parle de l’état parfait), s’il en voyait plusieurs, ou même une seule, que par désespoir il ne fut réduit en poudre. Pour ce sujet Dieu les ôte peu à peu à l’homme sans qu’il s’en aperçoive ; et tandis que nous sommes en cette vie, sa douce bonté ne fait autre chose que de nous les ôter. Chapitre 18.
15. Pour cette cause, je conclus que l’amour pur ne peut endurer la moindre contrariété, et ne peut demeurer avec aucune personne, s’il ne lui ôte tous les obstacles et les empêchements, pour y demeurer dans un parfait repos. Chapitre 20.
16. Si une telle rectitude n’y était pas, il ne serait pas vrai et pur amour ; mais il serait souillé d’amour-propre, qui est si éloigné du pur amour que rien ne lui peut être plus contraire, et l’âme ne peut avoir de repos, jusqu’à ce que les eaux qui sortent d’elle soient aussi claires que celles qui viennent de la source divine. Chapitre 21.
17. L’amour pur ne peut ni endurer (b. C’est ce qui a été dit plus haut [Explication du Cantique. Chapitre 5. Verset 8] que l’Amante oublie toutes ses blessures pour ne penser qu’à la plaie de son amour) ni comprendre, quelque chose c’est que peine ou tourment, ni du monde, ni de l’enfer : et bien qu’il pût sentir toutes les peines des démons et des damnés, il ne pourrait jamais dire ce que ce fussent des peines ; parce que quand la peine serait sentie, se serait hors de cet amour. Le vrai et pur amour est de si grande force, qu’il tient toujours son objet attaché et immobile en l’Amant, et ne lui donne (c. notez jamais) jamais la puissance de voir ou de sentir autre chose que pur amour.
C’est donc en vain que se travaille celui qui lui veut faire sentir les choses du monde ; parce qu’il demeure en son objet immobile comme un mort. Chapitre 23.
18. Je vois trois moyens, disait-elle, que Dieu tient quand il veut purger la créature.
Premièrement il lui donne un amour nu, de sorte qu’elle ne peut vouloir ni voir autre chose que cet amour, qui étant si nu (a. La nudité de l’amour fait sa pureté) et si net, lui fait voir les moindres atomes, et les plus subtils traits de l’amour-propre : et voyant cette vérité, elle ne peut plus être trompée de sa partie propre ; mais elle la réduit dans un si grand désespoir, qu’elle ne lui veut (b. C’est où consiste toute la fidélité de l’âme, de ne donner aucun soulagement à la nature durant les épreuves) donner aucun rafraîchissement, soit corporel, soit spirituel. Ainsi son amour-propre se consume peu à peu, étant nécessaire que celui qui ne mange pas meurt : et toutefois la quantité et la malignité de cet amour-propre est si grande qui accompagne l’homme presque jusqu’à la fin de sa vie. Je sens consumer en moi plusieurs instincts, qui auparavant me semblaient bons et parfaits ; mais après qu’ils sont consumés, je connais et comprends qu’ils étaient dépravés selon mon infirmité spirituelle et corporelle, que je ne vois pas, et que je ne pensais plus avoir. Il faut venir à une si grande subtilité de vue, que toutes les choses qui semblaient être des perfections se découvrent, et à la fin se reconnaissent être des imperfections, larcins et malheur : ce qui se reconnaît clairement au miroir de la vérité, à savoir de l’amour pur, dans lequel tout ce qui semblait être droit, se voit tortu et imparfait.
Le second moyen, qui me plaît plus que celui-là, est quand Dieu donne à l’homme un esprit occupé dans une grande peine et affliction ; parce que cela lui fait voir combien il est vil et abject : et par cette vue il se tient dans une très grande pauvreté de tout ce qui peut recevoir quelques goût ou saveur de bien ; de telle manière que la parti propre ne se peut repaître par aucun moyen, et ne pouvant le faire, il est nécessaire qu’elle se consume, et qu’elle reconnaisse enfin, que si Dieu ne mettait la main, en lui donnant son être, avec lequel il lui ôte cette vue si affligeante, jamais elle ne sortirait de cet enfer. Mais après qu’elle a reconnu qu’elle ne peut rien en tout espérer d’elle-même, Dieu lui fait la grâce de lui ôter cette vue, et alors elle demeure en grande paix et consolation.
Le troisième moyen (a. Dieu joint en certaines âmes tous les trois moyens de purification, ou les leur fait passer les uns après les autres) est encore plus excellent, qui est, quand Dieu donne à la créature un esprit si occupé en lui, que ni dedans ni dehors il ne peut penser qu’à Dieu même ; ne pouvant estimer ni s’arrêter en aucune chose de ce qui est en lui, ni même à ses exercices et à ses occupations, sinon autant qu’il est nécessaire pour l’amour de Dieu. Ainsi cet esprit semble être mort au monde ; parce qu’il ne se peut délecter en aucune chose, et ne fait ce qu’il veut ni au ciel ni en la terre. Avec cela il lui a donné une telle pauvreté d’esprit, qu’il ne sait ce qu’il fait ni ce qu’il a fait, et il ne pourvoit à rien de tout ce qu’il doit faire, ni pour Dieu, ni pour le monde, ni pour soi-même, ni pour le prochain ; parce que Dieu ne lui laisse voir aucune chose dont il se puisse repaître, mais le retient toujours en union avec lui et dans une douce et agréable confusion. (* Propriété n. ?). Ainsi cet esprit demeure riche et pauvre, ne pouvant se rien approprier, ni se satisfaire d’aucune chose ; de sorte qu’il est nécessaire qu’il se consume, et qu’il demeure enfin perdu en lui-même. Puis il se retrouve en Dieu, ouù il était déjà auparavant, quoiqu’il ne fût pas comme il y était. Chapitre 26.
19. L’âme qui aime Dieu, a plus d’horreur d’une imperfection que de toutes les peines du purgatoire, bien qu’elles soient extrêmes. C’est pourquoi elle se lance avec ardeur dans le purgatoire étant sorti du corps, voyant que c’est le lieu ordonné pour la purger ; et il lui semble qu’elle trouve une grande miséricorde. Chapitre 30.
20. Elle était tellement attachée à la volonté de Dieu, qu’elle prenait de sa main tout ce qui lui arrivait de moment en moment ; et cette union à la divine volonté lui donnait un tel goût et saveur, qu’elle participait à la félicité des Bienheureux, qui n’ont autre vouloir que celui de la souveraine Bonté. Ce divin vouloir (a)
(a. Ce divin vouloir nous purifie. Comme toutes nos imperfections viennent de ce qui est opposé à Dieu ; (car il est impossible que Dieu puisse vouloir une imperfection, toute imperfection nous rendant dissemblable à lui et opposée à sa volonté ;) il est clair que la conformité à sa volonté, nous faisant devenir uniforme, et cette uniformité étant la manière dont nous pouvons ressembler à Dieu, il faut nécessairement que la divine volonté conformant notre volonté à la sienne, la purifie de tout ce qui lui est contraire : plus elle la purifie, plus elle cela conforme, jusqu’à ce qu’elle la rende uniforme, et qu’enfin elle la change et transforme en soi : c’est l’économie de la grâce.
Est-ce qui ôte de notre volonté toute imperfection. Et pour cela elle disait : Dieu veut tout ce que nous pouvons désirer de mieux et de plus haut ; et il ne regarde à autre chose qu’à notre utilité spirituelle. Mais l’homme, à cause de son imperfection, ne voit pas ces choses ; et plus il se conforme au vouloir divin, plus il laisse son imperfection, et s’approche plus près de la perfection ; de sorte que (a. Notez, quand il ne peut plus s’éloigner) quand il ne peut plus s’éloigner de la divine volonté ; il devient tout parfait, uni et transformé en Dieu : ainsi l’âme demeurant dans sa volonté dépravée, est et demeure imparfaite ; et s’approchant de celle de Dieu, elle devient parfaite. O bien heureuse l’âme, etc. (Voyez Abandon, n. 10). Chapitre 31.
21. Voyez Anéantissement. n. 14 et 15.
22. Depuis que l’amour eut pris le soin et le gouvernement de toutes choses en moi, jamais il ne me laisse ; de sorte que depuis ce temps (b. Elle dit qu’elle n’a jamais repris le soin de soi-même, et qu’elle n’a pu rien opérer) je n’en ai pris aucun soin, et n’ai pu faire aucune opération de l’entendement, de la mémoire et de la volonté, non plus que si je n’eusse jamais eu aucune de ces facultés. Chaque jour je me sentais plus occupée en lui, et avec un plus grand feu. Cela arrivait parce que l’amour me délivrait peu à peu de toutes les imperfections intérieures et extérieures, et les consumait ; et quand il en avait consumé quelqu’une, il la montrait à l’âme : et l’âme voyant cela, s’embrasait encore davantage d’amour, et était tenu en tel degré qu’elle ne pouvait voir en soi aucune chose qui fit empêchement à l’amour, parce qu’elle se fût désespérée : mais il lui fallait toujours vivre avec la pureté qu’il demandait. S’il y avait quelque imperfection à ôter, elle n’était pas montrée à l’âme, ni même mise aucunement en la pensée, pour y pourvoir et pour en prendre le soin, non plus que si elle ne lui eût pas touché. J’avais donné à l’amour les clés de la maison avec une ample et entière puissance, afin qu’il fît tout ce qu’il voudrait, sans avoir aucun égard à l’âme, ni au corps. Chapitre 41.
23. Je demeurai si attentive et si occupée à voir son œuvre que s’il m’eût jeté avec l’âme et le corps en enfer, il me semble que je n’y eusse trouvé que tout amour et consolation. Je voyais que cet amour avait l’œil si ouvert, etc. (Voyez Confession n. 4.) Là même.
24. Elle fut encore plus étroitement assiégée ; et se trouvant de jour en jour plus à l’étroit, elle disait : je me trouve chaque jour plus resserrée, et comme une personne qui ayant été confinée dans une ville sans en pouvoir sortir, serait ensuite renfermée dans une belle maison, accompagnée d’un beau jardin ; puis en la maison seule, sans pouvoir entrer dans le jardin ; puis dans une salle, puis dans un cabinet avec un peu de lumière, puis dans une prison sans lumière ; puis avec des menottes, puis les pieds liés ; puis on les banderait les yeux ; puis on ne lui donnerait plus rien à manger ; puis personne ne parlerait plus à elle ; puis toute espérance lui serait ôtée d’en sortir que par la mort ; et ne lui resterait autre consolation, que de connaître que Dieu est celui qui fait tout cela par amour, et par une grande miséricorde, en sorte que cette connaissance lui donne un grand contentement et une grande paix ; qui ne diminue pas néanmoins la peine ni l’assiègement où elle est ; et de plus on ne lui pourrait donner de si grandes peines que pour en être délivrée elle voulût sortir de cette divine ordonnance et dispositions, qu’elle voit être juste et accompagnée de miséricorde.
Aussi à cause de la pureté de son amour, elle disait : Si Dieu me donnait toutes les grâces et les mérites des saints, et avec cela toutes les peines des damnés, l’amour pur estimerait ces peines comme des joies de la vie éternelle. Et sur ce qu’on lui repartit qu’elle dirait peut-être autrement, s’il en fallait venir à l’épreuve, elle répondit : Si l’amour considérait la peine, ce ne serait pas amour de Dieu, mais amour-propre. Si on pouvait ôter à une âme damnée la cause de ses peines, à savoir le péché, elle estimerait le reste de ses peines comme un rien, en comparaison du péché qui lui serait ôté ; et si elle disait autrement, elle ne serait pas en parfaite charité. Chapitre 42.
25. Voyez Justice de Dieu. n. 2.
26. Elle vit que Dieu tenait l’esprit tellement fixe en lui, qu’il ne le laissait pas divertir pendant un seul moment ; et tant plus il était en cette occupation, tant plus il lui était difficile de retourner en arrière ; à cause de l’opposition et de la contrariété inexprimable qui s’y rencontrait à l’égard de l’esprit, lequel étant ainsi caché et englouti en Dieu, trouvait toujours cette mer, dans laquelle il était plongé, plus grande et plus profonde, par ce que Dieu l’y tirait et l’y plongeait de plus en plus, si bien qu’il s’anéantissait continuellement et se transformait en Dieu, qui dit alors à l’âme :
(* Mort entière n. 6) Je ne veux plus que tu réfléchisses sur mes opérations pour les regarder et les sentir, car tu en déroberais (a. L’appropriation est un larcin) toujours quelque chose, en t’appropriant ce qui ne t’appartient pas. Je veux faire le reste de l’œuvre sans que tu en saches rien ; je te veux séparer de ton esprit et que lui-même soit noyé dans mon abîme.
L’humanité toute découragée par ces discours, dit :
Je suis celle qui demeure ici dans les tourments ; je ne vis pas, et je ne puis mourir ; et je me vois de jour en jour plus opprimée et presque anéantie. Quand on me montra quelle était cette opération si attachée en Dieu, qu’il m’était impossible de respirer un moment, je vis tous les efforts de cet assiégement ralliés contre moi misérable, et que cette opération était si terrible pour moi, que toutes les parties de mon corps en étaient affligées ; parce que de demeurer ainsi fixe et arrêtée sans se mouvoir un seul moment, c’est une chose qui convient aux saints bienheureux en paradis, qui vivent en Dieu perdus à eux-mêmes. Mais pour moi, que je vive en terre, et que l’esprit soit au ciel ; c’est le plus grand et le plus merveilleux ouvrage dont j’ai jamais ouï parler, et le plus terrible martyre que je puisse avoir en ce monde. Dialogue livre 2. Chapitres 11.
27. Voyez Pur amour. n. 13.
28. Les conditions de cette âme sont celles-ci. Elle demeure fort délicate, tellement qu’elle ne peut endurer en soi le soupçon du moindre défaut ; par ce que l’amour pur et net ne peut demeurer avec la plus petite imperfection, et que l’âme amoureuse n’en pouvant souffrir aucune en elle-même, elle ressentirait une peine semblable à celle de l’enfer. Et comme en cette vie l’homme ne peut être sans défaut, Dieu laisse l’âme pour quelque temps dans l’ignorance (a. Défauts que l’époux corrige en son temps. [Voyez Explication du Cantique. Chapitre 1. Verset 5] de ceux qui sont en elle, parce qu’elle ne les pourrait supporter : puis dans un autre temps il lui donne la connaissance de tous ces défauts, et par ce moyen il la purifie. Livre 3 Chapitre 8.
29. Bien qu’il semble quelquefois que telles âmes aient affection à quelque chose extérieure, on ne doit [b] pas le croire ; étant impossible qu’en tels esprits il puisse entrer autre amour que celui de Dieu, si ce n’est que Dieu le permette ainsi pour quelque nécessité de l’âme ou du corps ; et en ce cas l’amour de Dieu ne souffrirait aucun empêchement par un tel amour, ou un tel soin permis pour une telle occasion, parce qu’il ne pénétrerait pas jusqu’au fond du cœur, et ne serait ordonné de Dieu que pour une telle nécessité, et qu’il soit libre de toute sujétion intérieure et extérieure : car [II corinthiens trois versets 17] où est l’esprit de Dieu, là est la liberté. Là même.
b. C’est ce que j’ai dit, qu’il paraît des défauts et crasses après la purification et qui ne le sont pas. [Voyez Moyen court. Chapitre 24 n. 1 rapporté dans l’article Propriété et la note page 190]
30. O que peu de créatures sont conduites par cette voie d’un si subtil et si pénétrant amour, qui met de telle sorte l’âme et le corps en presse, qu’il ne leur laisse aucune imperfection ! Par ce que pour petite qu’elle soit, l’amour pur ne la peut endurer ; et sa douce opération persévère en l’âme tant qu’elle l’ait toute purifiée, pour la conduire à sa propre fin sans purgatoire. Là même chapitre 11.
31. Il est dit dans l’Explication de son Énigme, que l’âme doit être purifiée dans les choses plus spirituelles, qu’il y a une purification active et une passive.
Outre les chapitres de la Montée du mont Carmel et de la Nuit Obscure, qui ne parle que de purification, je me restreins à ce que je vais écrire.
32. C’est le propre de celui qui a des appétits, d’être toujours mécontent et ennuyé, comme celui qui endure la faim : mais quel rapport et quelle convenance entre la faim que causent des créatures et cette réplétion qu’opère l’Esprit de Dieu ? Partant cette satiété de Dieu ne peut entrer en l’âme, si on n’en bannit premièrement cette faim de l’appétit, vu que, comme il a été dit, deux contraires ne peuvent demeurer en un même sujet, à savoir, la faim et la réplétion. On voit par là, combien ce que Dieu fait, en purgeant et nettoyant l’âme de ces contrariétés, est en certaine manière plus [a. bien vrai] que de la créer de rien ; parce que ces contrariétés d’appétits et d’affectations contraires semblent plus s’opposer à Dieu que le néant, qui ne résiste pas à sa Majesté, comme fait l’appétit des créatures. Montée du mont Carmel livre un chapitre six.
33. Parce que l’âme se purge ici des affections et appétit sensitif, elle [b. Tout ceci appartient à la première purification] acquiert la liberté d’esprit, ou elle cueille les douze fruits du Saint-Esprit. Et aussi elle se délivre ici admirablement des trois ennemis, du diable, du monde, et de la chair : car éteignant la saveur et le goût sensitif à l’égard de toutes choses, le diable, le monde, ni la sensualité n’ont pas d’armes ni de forces contre l’esprit. Ces aridités donc font marcher l’âme avec pureté en l’amour de Dieu ; puisqu’elle ne se meut plus à opérer pour le goût et saveur de l’œuvre, comme elle faisait peut-être quand elle avait des douceurs, mais seulement pour plaire à Dieu. Elle devient, non présomptueuse, ni satisfaite, comme peut-être elle était auparavant au temps de sa prospérité, mais craintive et défiante de ses œuvres, n’ayant aucune satisfaction de soi ; en quoi consiste la sainte crainte, qui conserve et augmente les vertus. Cette aridité éteint aussi la concupiscence et les mouvements vifs de la nature, comme il a été dit ; parce qu’ici très rarement, et comme par miracle [si ce n’est que Dieu de soi que lui verse ou donne quelque goût] elle ne trouvera du goût ni de la consolation sensible par sa diligence en aucune œuvre ni exercice spirituel, comme nous avons déjà dit. En cette nuit sèche, le soin de Dieu croît et le désir angoisseux de le servir s’augmente ; parce que, comme les mamelles de la sensualité lui tarissent, dont elle nourrissait ses appétits, il ne lui reste plus que ce désir tout sec et pur de servir Dieu : choses très agréables à sa divine Majesté. Obscure nuit de l’âme. Livre1. Chapitre13.
34. La maison de la sensualité étant déjà accoisée, c’est-à-dire, ses passions étant mortifiées, ses convoitises éteintes, les appétits apaisés et endormis par cette heureuse nuit de la purgation sensitive, l’âme sortit pour commencer le chemin de l’esprit, qui est proprement celui des avancées, qu’on appelle autrement la voie illuminative, de contemplation infuse, par laquelle contemplation Dieu de soi-même repaît et sustente l’âme sans discours ni aide ni [a. Elle commence déjà d’entrer dans la correspondance passive] coopération active d’elle. Telle est, comme nous avons dit, la nuit et purification du sens, laquelle en ceux qui doivent après entrer en l’autre plus fâcheuse et plus pesante de l’esprit, pour passer à la divine union d’amour de Dieu, [car tous n’y passent pas, mais peu pour l’ordinaire,] a coutume d’être accompagnée de grands travaux et tentations sensitifs qui durent longtemps, encore qu’aux uns plus qu’aux autres. Car quelques-uns ont l’Ange de Satan, qui est l’esprit de fornication, pour tourmenter leur sens de fortes et abominables tentations, et travailler leur esprit de sales pensées, et l’imagination de représentations fort visibles : ce qui leur est parfois un plus grand tourment que la mort même. D’autres fois à cette nuit il est joint l’esprit de blasphème, qui traverse toutes leurs conceptions et pensées de blasphèmes intolérables, lesquels parfois il suggère dans l’imagination avec tant d’efforts, qu’il les fait quasi prononcer ; ce qui leur est un grand tourment. Tantôt ils sont tourmentés d’un autre esprit abominable qu’on appelle esprit de vertige, qui leur est donné pour les exercer ; lequel leur obscurcit tellement le sens qu’il les remplit de mille scrupules et perplexités si embrouillées en leur jugement, qu’ils ne peuvent jamais se satisfaire en rien, ni appuyer le jugement à conseil ni à conception aucune : ce qui est un des plus rudes aiguillons et horreurs de cette nuit, fort approchant de ce qui se passe dans la nuit spirituelle.
Dieu envoie ordinairement cette peine et ces travaux en cette nuit sensitive à ceux qu’il veut mettre après dans l’autre [quoique tous n’y entrent pas,] afin qu’étant ainsi châtiés et souffletés de la sorte, ils aillent exerçant et disposant et accommodant les sens et les puissances pour l’union de la Sagesse [a],
a. C’est que c’est la divine Sagesse elle-même, qui doit faire la seconde purgation. Elle est envoyée ainsi que le dit le Moyen court [chapitre 24 n. 3, 6], comme un feu dévorant devant la face de Dieu)
qu’on leur doit donner là ; par ce que si l’âme n’est tentée, exercée, éprouvée par des tentations et travaux, son sens ne peut arriver à la Sagesse. C’est pourquoi l’Ecclésiastique dit : (Ecclésiastique 34 verset 9, 10) Celui qui n’est pas tenté, que sait-il ? Et celui qui n’a pas expérimenté reconnaîtra peu de choses. De quoi Jérémie est bon témoin qui dit : (Jérémie 31 verset 18) vous m’avez châtié, et j’ai été instruit. Et la plus propre manière de ce châtiment pour entrer en la Sagesse, sont les travaux intérieurs que nous disons ici ; parce qu’il sont de ceux qui purgent plus efficacement le sens de tous les goûts et consolations auxquels par faiblesse naturelle il était affectionné ; et où l’âme aussi est véritablement humiliée pour l’élévation et l’éminence où elle doit monter.
Or quant au temps que l’âme demeure dans ce jeûne et pénitence du sens, on ne peut pas le dire certainement ; parce que cela ne se passe pas en tous de la même manière ni tous n’endurent pas les mêmes tentations. Car cela n’a pas d’autres règle ou mesure que la volonté de Dieu, selon le plus ou le moins que chacun a d’imperfections à purger ; et aussi conformément au degré d’union d’amour ou Dieu le veut élever, il l’humiliera plus ou moins, soit par la peine soit par le temps.
Quant à ceux qui sont les meilleurs sujets et plus forts à souffrir, il les purge plus vivement et plus promptement. Car pour les faibles, il les conduit par cette nuit fort lentement et avec des tentations légères, et les laisse longtemps en cet état, donnant à leur sens des réfections ordinaires, afin qu’ils ne retournent en arrière ; et ainsi ils arrivent tard à la pureté de perfection en cette vie ; et quelques-uns d’entre eux n’y parviennent jamais, n’étant tout à fait dans cette nuit, ni tout à fait dehors ; car quoiqu’ils ne passent outre, néanmoins pour les conserver en humilité et en la connaissance d’eux-mêmes, Dieu les exerce quelque espace de temps et quelques jours en ces aridité et tentations, et les aide aussi de temps en temps avec des consolations, afin que ne manquant de courage, ils ne retournent chercher les goûts du monde (a).
a. C’est ici l’écueil de bien des personnes spirituelles, qui ne trouvant plus de consolation en Dieu, en cherchent dans les créatures, et peu à peu deviennent sensuelles. J’ai tâché dans tous mes écrits dans beaucoup précautionner.
Pour d’autres âmes, qui sont encore plus faibles, Dieu se comporte en leur endroit comme disparaissant et s’absentant, pour les exercer en son amour. Car sans cet éloignement elles n’apprendraient jamais à s’approcher de Dieu. Mais pour les âmes qui doivent passer à un si heureux et si sublime état, comme est l’union d’amour, avec quelque vitesse que Dieu les conduise, pour l’ordinaire elles en coutume de demeurer longtemps dans ces aridités, comme on l’a vu par expérience. Mais finissant ce Livre commençons à traiter de la seconde nuit. Obscure nuit de l’âme. Livre 1. Chapitre 14.
35. L’âme que Dieu veut conduire plus avant n’est pas mise par sa Majesté dans l’union d’amour, aussitôt qu’elle sort des sécheresses et des travaux de la première purgation et nuit du sens ; au contraire il se passe bien du temps et des années depuis l’heure qu’étant sortie de l’état des commençants, elle s’exerce en celui des avancés ; dans lequel, comme celui qui est sorti d’une étroite prison, elle marche aux choses de Dieu bien plus au large, avec beaucoup plus de satisfaction, et avec une plus abondante et plus intérieure délectation, que celle qu’elle avait dans les commencements, avant qu’elle entrât dans ladite nuit. --
Bien que, comme la purification de l’âme n’est pas entièrement faite (d’autant que la principale manque, qui est celle de l’esprit, sans laquelle pour la communication qu’il y a d’une partie à l’autre ni ayant qu’un seul suppôt, la purgation sensitive demeure pas achevée ni parfaite, quoiqu’elle ait été très forte et très véhémente,) elle ne manque jamais de quelques sécheresses, ténèbres et pressures, et parfois bien plus fortes que les précédentes, qui sont comme des présages et des messagers de la nuit future de l’esprit, combien qu’elles ne soient de si longue durée, comme sera la nuit qu’elle attend ; parce qu’ayant passé une heure, ou plusieurs, ou quelque journée de cette nuit où tempête, elle retourne aussitôt à son calme accoutumé : et Dieu purge en cette manière certaines âmes, qui ne doivent pas monter à un si haut degré d’amour que les autres, les mettant par intervalles dans cette nuit de contemplation ou purgation spirituelle, faisant souvent venir la lumière et l’obscurité, conformément aux dires de David : (Psaume 147 verset 17) Il envoie son cristal, c’est-à-dire, sa contemplation, comme de petites bouchées ; encore que ces bouchées de contemplation obscure ne soient jamais si intenses, comme celles de cette horrible nuit de contemplation (b. J’ai écrit par tout de cette première et dernière purification et de leurs différences) dont nous devons parler, où Dieu met l’âme exprès pour l’élever à l’union divine. Cette faveur donc et ce goût intérieur que nous disons que les profitants goûtent, etc. (Voyez Extase n. 11.) Obscure nuit. Livre2. Chapitre 1.
36. Ces profitants ont deux sortes d’imperfections ; les unes habituelles, et les autres actuelles. Les habituelles sont les affections et habitudes imparfaites, lesquelles encore sont comme des racines demeurées dans l’esprit, où la purgation du sens ne peut atteindre. La différence qu’il y a entre les deux purgations, c’est comme de couper les branches et d’arracher la racine, ou bien effacer une tache toute fraîche, ou en ôter une vieille et bien enracinée ; car comme nous avons dit, la purgation du sens est seulement la porte et le principe de contemplation pour l’esprit, et sert plus pour accommoder le sens à l’esprit que pour unir l’esprit avec Dieu : mais nonobstant, les tâches (c. À savoir la propriété) du vieil homme demeurent dans l’esprit, encore qu’il ne les voit et qu’elle ne lui soit apparentes ; lesquelles si elles ne s’effacent avec le savon et la forte lessive de la purgation de cette nuit, l’esprit ne pourra parvenir à la pureté de l’union divine. Là même chapitre 2.
37. Les affections de mon âme, avec lesquelles je sentais et goûtais de Dieu bassement, achevant de s’anéantir et de s’apaiser, je sortis et passai de la communication et resserrée opération susdite, à l’opération et conversation divine, c’est-à-dire que mon entendement sortit hors de soi, se changeant d’humain en divin ; parce que par le moyen de cette purification, s’unissant avec Dieu, il n’entend plus avec sa façon raccourcie et limitée, comme auparavant, mais par la Sagesse divine avec laquelle il est uni ; et ma volonté sortie de soi, se faisant divine ; parce qu’étant unie avec l’amour divin, elle n’aime plus avec la force et la vigueur limitée qu’elle aimait auparavant, mais avec la force et la pureté du divin Esprit. Et ainsi la volonté n’opère plus humainement envers Dieu ; et tout de même la mémoire s’est maintenant changée en des appréhensions éternelles de gloire. Et enfin toutes les forces et affections de l’âme par le moyen de cette nuit et purgation du vieil homme se renouvellent et se changent en tempérament et délices divines. Obscure nuit. Livre 2 Chapitre 4.
38. Voyez Foi nue. n.17.
39. Quant au premier, à savoir que cette contemplation obscure cause à l’âme des ténèbres, cela est manifeste ; parce que la lumière et la sagesse de cette contemplation est très claire et très pure, et l’âme qu’elle investit est obscure et impure : de là vient qu’elle pâtit beaucoup à la recevoir, comme les yeux malades et impurs sont travaillés des rayons d’une claire lumière. Et cette peine en l’âme, à cause de son impureté, est indicible lorsqu’elle est vraiment investie de cette lumière divine ; parce que cette pure lumière investissant l’âme pour en chasser l’impureté, elle se sent si impure et si misérable, qu’il lui semble que Dieu soit contre elle, et qu’elle est contraire à Dieu. Ce qui est d’un si grand sentiment et peine pour l’âme (parce qu’il lui semble ici que Dieu l’ait rebutée et rejetée) que l’un des travaux qui pesaient le plus à Job, lorsque Dieu le tenait dans cet exercice, était celui-là, disant : (a. Job 7 verset 20) pourquoi m’avez-vous mis contraire à vous, et j’ai été fait pesant à moi-même ? D’autant que l’âme voyant ici clairement par le moyen de cette claire et pure lumière, quoiqu’obscurément,
(b. Il dit qu’elle voit obscurément son impureté : cela est si vrai, que quoiqu’elle se sente si sale qu’elle se fait horreur, elle ne voit en elle aucune coulpe particulière.)
son impureté, elle connaît manifestement qu’elle n’est digne de Dieu, ni d’aucune créature : et ce qui la travaille le plus est la crainte qu’elle ne le sera jamais, et que déjà tous ses biens ont finis : ce qui vient de ce qu’elle tient l’esprit profondément plongé dans la connaissance et le sentiment de ses maux et de ses misères. Car cette divine et obscure lumière lui fait ici toucher au doigt et à l’œil, et lui fait clairement connaître, comme de soi elle ne pourra avoir autre chose. Nous pouvons prendre en ce sens cette autorité de David : (Psaume 38 verset 12) vous avez corrigé l’homme à cause de son iniquité, et vous avez fait dessécher son âme comme l’araignée.
(* Mort entière, n.7) La seconde manière d’affliction et tourment de l’âme vient de sa faiblesse naturelle et spirituelle ; parce que comme cette contemplation divine investit l’âme avec quelque force et impétuosité, pour la fortifier et dompter, elle peine tellement en sa faiblesse, qu’elle défaut quasi, particulièrement quelquefois lorsqu’elle est investie avec une plus grande force : car le sens et l’esprit, de même que s’ils étaient sous quelque fardeau obscur et immense, sont tellement souffrants et agonisants, qu’ils trouveraient du soulagement à mourir. Le saint homme Job ayant expérimenté cela, ne voulait (Job 23 verset 6) pas que Dieu vint aux prises avec lui en la force son bras, et usant de sa puissance, de peur d’être accablé sous le faix de sa grandeur : car en la force de cette oppression l’âme se sent tellement éloignée de sa faveur, qui lui semble (et il est ainsi,) que les choses où elle avait coutume de trouver de l’appui, se sont retirées avec le reste, et qu’il n’y a personne qui ait compassion d’elle. Job aussi dit à ce propos : (Job 19 verset 21) Ayez pitié de moi, ayez pitié de moi, au moins vous mes amis, parce que la main du Seigneur m’a touché. Chose merveilleuse et ensemble pitoyable, que la faiblesse et impureté de l’âme en cet état soit si grande, que la main de Dieu (c), étant de soi si douce et si suave, l’âme la sente ici si pesante et si contraire, quoique sa Majesté ne fasse qu’en toucher seulement sans la poser ni l’appesantir, et ceci encore miséricordieusement, puisque c’est pour faire des grâces à l’âme, et non pour la châtier. Obscure nuit. Livre 2 Chapitre 5.
(c. c’est ce que j’ai dit (voyez Propriété n. 22) que cette même main, qui fait ici tous les supplices de l’âme, fait ensuite toute sa béatitude sans changer son attouchement.
On peut expliquer en cet endroit, d’où vient que Jésus-Christ, pureté essentielle, a souffert de l’appesantissement de la main de Dieu de si étranges supplices, si cette divine main est toujours béatifique aux sujets purs, et qu’elle n’est douloureuse qu’à cause de notre impureté ? C’est que Jésus-Christ était alors chargé des péchés de tout le monde, étant couvert de la forme du pêcheur ; et c’est sur cette forme de pécheur qu’elle s’appesantit. Car cette main est la Justice toute-puissante ; et comme Jésus-Christ couvert de tous les péchés du monde portait lui seul toutes nos iniquités assemblées, aussi cette divine main s’appuya-t-elle sur lui avec toute la force de son bras.
40. La troisième manière de passion et de peine, que l’âme endure ici, procède de deux autres extrémités, à savoir divine et humaine, qui s’unissent ici. La divine est cette contemplation purgative ; l’humaine est le sujet de l’âme ; parce que comme la divine investit l’âme afin de l’appareiller et de la renouveler pour la faire divine, la dépouillant des affections habituelles et propriétés du vieil homme, auxquelles elle est fort unie, collée, conjointe, et conformée, elle la brise et défait de telle façon, l’absorbant en une profonde obscurité, que l’âme se sent consumer et fondre à la vue de ses misères par une cruelle mort d’esprit, de même que si une bête l’ayant dévorée et avalée toute vive, elle se sentait digérée dans son ventre ténébreux, souffrant les mêmes angoisses que Jonas (Jonas 2 verset 1) dans le ventre de la baleine ; d’autant qu’il faut qu’elle soit dans ce tombeau de mort obscure pour la résurrection spirituelle qu’elle attend. David décrit cette peine quoiqu’inexplicable, disant : (Psaume 17 versets 5, 6,7) les abois de la mort m’ont environné, les douleurs de l’enfer m’ont assiégé. J’ai crié en ma tribulation. Mais ce que cette âme dolente ressent le plus ici, c’est qu’il lui semble que Dieu l’a rejetée, et que l’ayant en horreur, il l’ait précipitée dans les ténèbres ; ce qui est pour elle un grand tourment et une peine lamentable, de croire que Dieu l’a abandonnée. David sentant beaucoup cette peine (b)
(b. Cette peine de l’abandonnement de Dieu est la plus terrible peine de l’âme. C’est une espèce de peines du dam et d’enfer spirituel. De tous ces états, il y en a bien de plus terribles et plus étendus les uns que les autres. Si l’âme pouvait comprendre que c’est un état, elle ne mourrait jamais à elle-même : c’est pourquoi il ne faut pas trop la soutenir, et il faut que le confesseur la sacrifie comme Dieu, ne lui témoignant nulle compassion et ne l’éclairant pas trop.)
dit à ce propos : (Psaume 87 versets 6, 7, 8) Comme les blessés, dormant dans les sépulcres, desquels vous n’avez pas de souvenance, sont repoussés de votre main, ils m’ont mis dans le lac inférieur, dans des lieux ténébreux et l’ombre de la mort ; votre fureur a été confirmée sur moi, et vous avez attiré tous vos flots sur moi : parce que véritablement, quand cette contemplation obscure serre et étreint, l’âme sent fort au vif l’ombre de la mort, des gémissements et douleurs de l’enfer ; qui consistent à se sentir sans Dieu, (d)
(d. Ceux qui n’ont jamais éprouvé la douce présence de Dieu dans leurs armes, et ses caresses ineffables, ne comprenant pas les insupportables rigueurs de cette absence et de ce rejet de Dieu, n’auraient guère de compassion des douleurs de cette âme.)
punie et rejetée, et que sa Majesté est indignée et courroucée contre elle : car tout cela se sent ici, et qui plus est, c’est qu’il lui semble dans une appréhension craintive, que c’est pour toujours. Et elle sent aussi le même délaissement de la part de toutes les créatures, et se sent méprisée d’elles, particulièrement de ses amis : c’est pourquoi David poursuit aussitôt : (Psaume 87 verset 9) Vous avez éloigné ceux de ma connaissance ; ils m’ont mis comme une abomination à leur égard. Et le prophète Jonas, comme celui qu’il avait expérimenté extérieurement : (Jonas 2 verset 4) Vous m’avez jeté au profond dans le cœur de la mère, et un fleuve ma environnée, tous vos gouffres et tous vos flots ont passé dessus moi, etc. Obscure nuit. Livre 2. Chapitre 6.
41. La quatrième peine est causée en l’âme par une autre excellence de cette obscure contemplation, connaissant la grandeur et Majesté de Dieu, de laquelle naît en l’âme le sentiment d’une autre extrémité qu’il y a en elle, à savoir une extrême misère et pauvreté, qui est l’une des principales peines de cette purgation ; parce qu’elle sent en soi un vide profond, et une disette de trois sortes de biens ordonnés pour le contentement de l’âme, qui sont les temporels, les naturels et les spirituels, se voyant réduite aux maux contraires, c’est à savoir, aux misères d’imperfections, aux aridités et aux vides des appréhensions des puissances et à l’abandonnement de l’esprit en ténèbres. Car d’autant que Dieu purge ici l’âme selon la substance sensitive et spirituelle, et selon les puissances intérieures et extérieures, il faut qu’elle soit mise dans le vide, dans la pauvreté dans l’abandon de toutes ses parties, la laissant sèche, vide et en ténèbres ; par ce que la partie sensitive se purifie en la sécheresse, les puissances dans le vide de leurs appréhensions, et l’esprit en ténèbres obscures. --
C’est ici une souffrance très angoisseuse, comme si on pendait et retenait une personne en l’air afin qu’elle ne respirât. Elle va aussi purgeant l’âme, anéantissant ou évacuant ou consommant en elle (comme le feu fait la rouille du métal,) toutes les affections et toutes les habitudes imparfaites qu’elle a contractées en toute sa vie ; lesquelles étant bien avant enracinées dans l’âme, elle souffre d’ordinaire une grande destruction et tourment intérieur, -- se vérifiant ici la parole d’Ézékiel : (Ézékiel 24 versets 10,11) assemble les os, que je brûlerai au feu : les chairs seront consumées, et toute la composition se cuira, et les os se dessécheront. En quoi est signifiée la peine qu’on endure dans le vide et la pauvreté de l’âme. -- Il ajoute : mets là aussi vide sur la braise, afin que son airain s’échauffe et se fonde ; et que son immondice soit défaite au milieu d’elle, et que sa rouille soit consumée. --
Notre Seigneur humilie ici beaucoup l’âme, pour l’exalter grandement après ; et s’il n’ordonnait par sa providence que ces sentiments, lorsqu’ils deviennent plus vifs en l’âme, ne fussent promptement endormis, elle abandonnerait le corps en fort peu de jours ; mais elle ne sent que par intervalles leur vivacité intime, qui est quelquefois si poignante, qu’il semble à l’âme (a) qu’elle voit l’enfer tout ouvert et la perdition. Car ceux-là sont de ceux qui descendent véritablement tout vif en enfer, et se purgent ici comme dans le purgatoire ; parce que cette purgation est celle qu’il fallait faire là des fautes, quoique vénielles. Et ainsi l’âme qui passe par ces détroits et demeure bien purgée, ou n’entre pas en ce lieu, ou ne s’y arrête guère, d’autant qu’ici une heure de souffrance sert davantage que plusieurs en cet autre lieu. Obscure nuit. Livre 2. Chapitre 6.
(a. Tous ces états sont expliqués au long dans ce que j’ai écrit sur Job. [Voyez les Explications sur le vieux testament. Tome 7.])
42. Je rapporterai sur cela le sentiment de Jérémie : Je suis (Lamentations 3 versets 1, 2) l’homme qui voit ma pauvreté en la verge de son indignation. Il m’a menacé et mené aux ténèbres, et non à la lumière ; et le reste. -- Quoique ce soit un grand bonheur pour l’âme, à cause des biens signalés qui lui en proviendront, lorsque Dieu fera en son âme les merveilles dont parle Job, (Job 12 verset 22) tirant des ténèbres les biens profonds et mettant au jour les ombres de la mort, en manière que comme le dit David (Psaume 138 verset 12), Sa lumière soit aussi grande qu’étaient ses ténèbres ; néanmoins pour la peine excessive qu’elle souffre, et pour la grande incertitude qu’elle a de son remède (car il lui est avis que son mal ne prendra jamais fin, et que Dieu selon le dire de David, [Psaume 142 verset 3] l’a mise dans les obscurités comme les morts du siècle,) son esprit étant en angoisses sur ce sujet, et son cœur en grand trouble, cela dis-je mérite qu’on en ait grande compassion ; parce qu’à cette solitude et abandon que cette nuit lui cause, se joint encore un autre tourment, qui est, qu’elle ne trouve ni consolation ni appui en aucune doctrine, ni en aucun maître spirituel, par ce que quelque raison qu’il lui allègue pour la consoler, en lui montrant les biens qui se trouvent en cette peine, elle ne le peut croire (a)
(a. Elle croit que c’est qu’il ne l’entend pas. Je me souviens qu’étant allée pour une affaire dans une ville où je restai bien du temps, ayant trouvé un homme fort intérieur, qui me voulait assurer que mon état était bon et de Dieu, je ne retournai plus le trouver, le croyant ignorant ou flatteur. J’ai su depuis que ce religieux Carme était révéré parmi eux depuis sa mort comme un saint et très éclairé, qui avait confessé plus de dix ans Monsieur de Renti ; et cependant je le fuyais, parce qu’il me consolait et me voulait assurer. La confusion que je portais alors était telle qu’elle me rendait au-dehors toute bête.
Car comme elle est si imbue et si plongée dans ce sentiment de maux, où elle voit si clairement ses misères, il lui semble, que comme ils ne voient pas ce qu’elle voit et ce qu’elle sent, ils disent cela ne l’entendant pas ; et au lieu de recevoir de la consolation, au contraire elle reçoit nouvelle douleur, lui semblant que ce n’est pas là le remède de son mal. Et véritablement il est ainsi ; d’autant que jusqu’à ce que notre Seigneur ait achevé de la purger en la façon qu’il veut, il n’y a moyen ni secours qui lui serve et profite pour sa douleur ; et ce d’autant plus que l’âme en cet état peut aussi peu de chose, comme celui qui est dans un cachot obscur les fers aux pieds et aux mains, sans se pouvoir remuer, ni voir ni sentir aucun aide d’en haut ni d’en bas (* Union n. 46), jusqu’à ce que, dis-je, l’esprit s’adoucisse, s’humilie et se purifie, et deviennent si (a)
(a. C’est le sentiment de sainte Catherine de Gênes. Voyez Création n.5 comme aussi de saint François de Sales voyez ci-dessous n.69)
subtil, si simple et si délicat, qu’il se puisse faire un avec l’Esprit de Dieu, selon le degré d’union d’amour, auquel la miséricorde de Dieu le voudra élever ; car conformément à cela, la purgation est plus ou moins forte, plus ou moins longue.
Mais si cette purgation doit être quelque chose, tant forte qu’elle soit, elle dure quelques années, présupposé néanmoins qu’en ces moyens il y a des intervalles et soulagements, auxquels par dispensation divine cette contemplation obscure, cessant d’investir en forme et façon purgative, investit en façon illuminative et amoureuse, où l’âme comme sortie de cette prison est mise en récréation de latitude et de liberté, sent et goûte une grande suavité de paix et une amoureuse familiarité de Dieu, avec une facile et abondante communication spirituelle.
Ce qui est un indice à l’âme du salut que ladite purgation opère en elle, et un présage de l’abondance qu’elle attend. Et cela est parfois si excellent, qu’il semble à l’âme être déjà au bout de ses travaux ; parce que les choses spirituelles sont de cette qualité en l’âme (quand elles sont purement spirituelles,) que lorsque les tourments reviennent, il semble à l’âme qu’elle n’en sortira jamais et qu’elle n’aura plus de biens, comme nous avons vu par les autorités alléguées ; et au contraire, quand elle se trouve favorisée des biens spirituels, il lui semble qu’elle n’aura plus de mal, et que les biens lui manqueront plus à l’avenir, comme David le confesse se voyant en cette jouissance (Psaume 29 verset 7) : J’ai dit dans mon abondance ; je ne me troublerai plus. -- Comme nous voyons que David changea après de sentiment, sentant plusieurs travaux, encore qu’il eût pensé et dit au temps de son abondance, qu’il ne s’ébranlerait jamais ; ainsi l’âme qui se voit comblée de ces biens spirituels, ne pénétrant pas jusqu’à la racine de l’imperfection et de l’impureté qui lui reste encore, croit que ses travaux sont finis. Mais cette pensée n’arrive pas souvent ; car jusqu’à ce que la purification soit achevée, rarement il arrive que la douce communication soit si abondante qu’elle lui couvre la racine qui reste, de sorte que l’âme ne vienne pas à sentir en intérieur un je-ne-sais-quoi qui lui manque, ou qui est à faire, qui ne la laisse pas entièrement jouir de ce soulagement, sentant au-dedans comme un sien ennemi dont elle craint le retour, et qu’il ne vienne à faire encore des siennes, bien qu’il soit comme apaisé et endormi ; comme de fait, lorsqu’elle est le plus assurée, cet ennemi retournant absorbe et engloutit l’âme en un autre degré plus dur, plus obscur et plus déplorable que le précédent. -- L’expérience qu’elle a eue du bien passé, -- ne l’empêche pas de penser en ce second degré, que tout est perdu pour elle, et que ce ne sera plus comme par le passé : cette croyance si bien établie et confirmée est causée en l’âme par l’actuelle appréhension de l’esprit, qui anéantit en elle tout ce qui peut lui donner de la joie. Ainsi encore qu’il semble à l’âme en cette purgation qu’elle aime Dieu, et qu’elle donnerait mille vies pour lui ; (comme il est vrai : car l’âme en ces travaux aime Dieu avec vérité et grande efficace ;) néanmoins cela ne lui est pas allégement : au contraire cela lui cause plus de peine ; parce que l’aimant tant qu’elle n’a souci d’aucune autre chose, comme elle se voit si misérable, et doutant si Dieu l’aime (car pour lors elle n’a pas d’assurance qu’il y ait rien en elle qui la rende digne d’être aimée, mais qu’elle mérite plutôt d’être abhorrée non seulement de Dieu, mais aussi de toutes créatures pour jamais,) elle se lamente et s’afflige de voir en soi des causes, pour lesquelles elle mérite d’être délaissée et rebutée de celui qu’elle aime si passionnément. Obscure nuit livre deux chapitres sept.
Le saint Auteur continue d’une manière admirable jusqu’à la fin de son Livre de la Nuit obscure, et il dit en grand détail ce que je vais dire sommairement ; que l’âme ne peut prier, qu’elle est repoussée de son oraison, qu’il y a un mur entre Dieu et elle, que rien ne la soulage dehors ni dedans, qu’elle est repoussée de la paix, qu’au lieu de la paix qu’elle goûtait auparavant, elle n’a qu’une fâcheuse et continuelle inquiétude. Ensuite il ajoute :
43. Or ce trouble ou obstacle de la paix, est une fâcheuse inquiétude de plusieurs craintes imaginations et combats que l’âme souffre dans soi-même, où avec l’appréhension et le sentiment de ses misères, elle soupçonne d’être perdue, et que ses biens sont taris pour jamais. De là provient en l’esprit (a)
(a. L’âme ne trouve des remèdes en cela qu’en s’abandonnant par un saint désespoir à la Justice vengeresse de celui qu’elle voulait aimer et qui rejette son amour)
une certaine douleur et gémissement si profond, qu’il lui fait jeter des cris et des rugissements spirituels, parfois les prononçant de bouche, et elle se fond et résout toute en larmes, quand il y a des forces pour le faire, bien que peu souvent elle reçoive ce soulagement. Le prophète Royal le déclare : (Psaume 37 verset 9) J’ai été extrêmement affligé et humilié ; je rugissais du gémissement de mon cœur : lequel rugissement est une chose de grande douleur. Car quelquefois l’âme, par l’aiguë et prompte mémoire des misères où elle se trouve, sent tant de peine et de douleur, que je ne sais comment on la pourrait donner à entendre, si ce n’est par la similitude qu’a dit Job étant en pareil travail (Job 3 verset 24) Mon rugissement est semblable aux eaux qui se débordent. Car les rivières font quelquefois de tels débordements qu’elles noient et couvrent tout : ainsi ce rugissement et sentiment de l’âme croît quelquefois si fort, que la noyant et transperçant, il lui remplit toutes ses forces et profondes affections d’angoisses et de douleurs spirituelles, au-delà de tout ce qu’on en peut exprimer, et même exagérer. -- Cette guerre est d’autant plus profonde, que la paix qu’elle attend sera très profonde : et sa douleur spirituelle est intime, délicate et épurée, parce que l’amour qu’elle doit posséder, sera aussi très intime et très épuré. Car tant plus l’ouvrage doit être poli, le travail doit suivre et marcher à proportion, et être d’autant plus fort que l’édifice sera solide et assuré. Obscure nuit. Livre 2. Chapitre 9.
44. Mais voyons maintenant pourquoi cette lumière de contemplation, étant si suave et si aimable à l’âme qu’elle n’a plus rien à désirer, puisque, comme il a été dit, c’est la même avec laquelle elle se doit unir, et en laquelle en l’état de perfection elle doit trouver tous les biens qu’elle a désirés ; néanmoins lorsqu’elle l’investit, elle lui cause ces commencements pénibles et ces étranges effets que nous avons dit. On répond facilement à ce doute, disant, ce que nous avons déjà dit en partie, à savoir que du côté de la contemplation et de l’infusion divine il n’y a rien qui de soi puisse donner de la peine ; au contraire beaucoup de suavité et de contentement, comme elle fera après. Mais la cause est la faiblesse et l’imperfection que l’âme a pour lors, et les dispositions contraires pour recevoir cette suavité. Et ainsi la lumière divine venant à investir l’âme, elle la fait pâtir en la manière susdite. Là même.
45. Pour un plus grand éclaircissement de ce que nous avons dit et de ce que nous dirons, il faut remarquer ici, que cette purgative et amoureuse notice ou lumière divine, dont nous traitons, se comporte envers l’âme, la purgeant et la disposant pour l’unir parfaitement avec soi, de même (a. Voyez ci-dessus la note sur Moyen court chapitre 24 numéro 7, 8.) que le feu dans le bois pour se transformer en soi. Car le feu matériel appliqué au bois commence premièrement à le dessécher, chassant l’humidité dehors et faisant rendre l’eau ou la sève qui est encore dedans. Après il le noircit, l’obscurcit et enlaidit, et le séchant peu à peu il l’éclaircit et jette dehors tous les accidents difformes et obscurs qui sont contraires au feu. Et finalement, commençant à l’enflammer par dehors et à l’échauffer, il vient à le transformer en soi, et à le rendre aussi beau que le même feu.
Ce qui étant fait, il n’y a plus de la part du bois aucune action ni passion propre au bois (excepté que la quantité et la pesanteur est moins subtile et moins légère que celle du feu,) vu qu’il a en soi les propriétés et les actions du feu. Car il est sec, et étant sec, il est chaud, et étant chaud, il échauffe ; il est clair aussi et éclaircit, et est beaucoup plus léger qu’auparavant, le feu opérant en lui tous ses propriétés et effets. Or il nous faut philosopher de même touchant ce divin feu d’amour de contemplation, lequel avant que d’unir et transformer l’âme en soi, la purge premièrement de tous ses accidents contraires, l’étreint et fait sortir ses difformités dehors, et la fait devenir noire et obscure, tellement qu’elle paraît pire qu’auparavant. Car comme cette divine purgation va éloignant tous les maux et toutes les humeurs vicieuses, lesquelles elle ne découvrait pas, pour être enracinées bien avant dans l’âme, et ainsi elle ne connaissait pas qu’il y eut tant de mal en elle, et maintenant que pour les mettre dehors et les anéantir, on les lui montre clairement par cette obscure lumière de la contemplation divine (encore qu’elle ne soit pire qu’auparavant ni à son égard, ni quant à Dieu ;) comme dis-je elle voit en soi ce qu’elle n’apercevait pas auparavant, il lui semble être telle, que non seulement elle est indigne que Dieu la regarde ; mais plutôt qu’il l’abhorre, et même que déjà il l’a en horreur. De cette comparaison nous pouvons maintenant entendre plusieurs choses touchants ce que nous disons et ce que nous devons dire.
Nous connaîtrons comme l’âme ne sent pas cette peine de la part de la Sagesse divine, puisque comme dit le Sage : (Sagesse sept verset 11) tous les biens me sont venus ensemble avec elle ; mais du côté de la faiblesse et imperfection qu’a l’âme, pour ne pouvoir recevoir sans cette purgation la lumière, la suavité et la délectation ; (ainsi que le bois, lequel aussitôt qu’il est dans le feu, ne peut être transformé jusqu’à ce qu’il soit disposé :) [ma note : noter la dualité feu bois devenu identité le feu créé par la transformation du bois, mais évidemment ce n’est qu’un report au-delà] et c’est ce qui la fait tant pâtir : ce que l’Ecclésiastique confirme, disant ce qu’il a souffert pour s’unir avec elle et en jouir : (Ecclésiastique 51 verset 29) mon ventre a été troublé en la cherchant, et pour cela je possède une bonne possession. --
D’ici nous pouvons tirer en passant la manière de souffrir des âmes du Purgatoire. Car le feu n’aurait pas de pouvoir sur elles, si elles étaient entièrement disposées pour régner et s’unir avec Dieu par gloire, et si elles n’avaient des coulpes pour lesquelles elles doivent pâtir, qui sont la matière où le feu se prend, laquelle étant consumées, il n’y a plus rien à brûler ; comme ici les imperfections étant consumées, la peine de l’âme finit, et la jouissance demeure telle qu’elle peut être en cette vie. --
Nous tirerons aussi de cette comparaison ce qui a été dit ci-dessus, à savoir comme il est véritable, qu’après ces allégements l’âme retourne à souffrir avec plus de véhémence et plus subtilement qu’auparavant. La raison est, parce qu’après cette montre, qui se fait lorsque les imperfections ont été plus extérieurement purifiées, le feu d’amour retourne à toucher ce qui reste à purifier et à consumer plus intérieurement ; en quoi la souffrance de l’âme est d’autant plus intime, subtile et spirituelle, qu’il va lui amenuisant les imperfections les plus intimes, les plus délicates, et les plus spirituelles, et plus enracinées au-dedans : et cela se fait comme il arrive au bois ; car tant plus le feu le pénètre, il dispose aussi le plus intérieur avec plus de force et plus de fureur pour le posséder. Obscure nuit. Livre 2 Chapitre 10.
46. Ce sentiment si vif et si grand arrive de la sorte parce qu’en cette plaie d’amour que Dieu fait en l’âme, la volonté s’élève très promptement à la possession de l’Ami dont elle a senti le divin attouchement, et avec la même promptitude elle sent l’absence, et ensemble le gémissement à cause de la privation de ce bien. Car ces visites ne sont pas comme d’autres, dont Dieu récrée et satisfait l’âme, la remplissant d’une paisible suavité : mais il les fait seulement pour blesser, non pour guérir, et plus pour tourmenter que pour satisfaire ; vu qu’elles ne servent que pour vivifier la connaissance, et augmenter l’appétit, et par conséquent la douleur. (* Perte. n. 29). Elles se nomment plaies d’amour, qui sont très savoureuses à l’âme, de sorte qu’elle voudrait mourir toujours de mille morts à ses coups-là parce qu’ils la font sortir hors de soi et entrer en Dieu. Cantique entre l’épouse et l’époux. Couplet 1.
47. Voulant dire, ô amour embrasé, qui me glorifies tendrement avec tes mouvements amoureux en la plus grande force et capacité de mon âme ! C’est à savoir, me donnant intelligence divine selon toute l’habilité de mon entendement, et me communiquant l’amour selon la plus grande étendue de ma volonté, c’est-à-dire, élevant très hautement, avec intelligence divine, la capacité de mon entendement en une ferveur très intense ma volonté et en l’union substantielle ci-dessus déclarée. Ce qui arrive de la sorte, et plus qu’on ne le peut exprimer, lorsque cette flamme s’élève en l’âme. Car d’autant que l’âme est toute purgée et très pure, la Sagesse l’absorbe en soi avec sa flamme très profondément, très subtilement, très hautement, laquelle Sagesse pénètre par sa pureté d’un bout à l’autre, et en cette absorbement de Sagesse, le Saint-Esprit exerce les glorieux élancements de sa flamme que nous avons dit, laquelle flamme est si suave que l’âme aussitôt ajoute :
Maintenant ne m’étant plus dure,
c’est-à-dire, puisque vous n’affligez, ne pressez et ne tourmentez plus comme vous faisiez auparavant. Car cette flamme, quand l’âme était en état de purgation spirituelle, qui est lorsqu’elle entrait en la contemplation, ne lui était pas si suave et si paisible, comme elle est à présent en cet état d’union. C’est pourquoi il faut savoir qu’auparavant que ce feu d’amour divin s’introduise et s’unisse dans le plus intime de l’âme par une purgation et pureté parfaite, cette flamme frappe dans l’âme, détruisant et consumant les imperfections de ses mauvaises habitudes ; et c’est là l’opération du Saint-Esprit, en laquelle il la dispose pour l’union divine et transformation en Dieu par amour. Car le même feu d’amour, qui s’unit depuis avec elle en cette voir d’amour, c’est ce qui l’a investie auparavant, la purgeant ; comme le même feu qui prend au bois, c’est celui qui le saisit et le bat de sa flamme, le séchant et dénuant de ses froids accidents, jusqu’à le disposer par sa chaleur à pouvoir être pénétré de lui, et transformé en sa nature. Dans lequel exercice l’âme souffre beaucoup, et sent de grandes peines dans l’esprit, lesquelles parfois redondent aussi au sens, cette flamme lui étant très âpre et très fâcheuse ; comme nous en avons amplement discouru au traité de la Nuit obscure, et de la montée du mont Carmel ; ce qui m’empêche d’en dire davantage. Il suffit maintenant de savoir que le même Dieu, qui veut entrer en l’âme par union et transformation d’amour, c’est celui qu’il investissait auparavant, et l’a purgé avec la lumière et chaleur de sa flamme divine ; de sorte que celle-là même qui lui est à présent suave, lui était si devant pénible. Et partant c’est comme si elle disait : puisque non seulement vous ne m’êtes plus obscure comme auparavant, mais que vous êtes la lumière divine de mon entendement, avec laquelle je vous puis regarder ; et que non seulement vous ne faites plus défaillir ma faiblesse, mais qu’au contraire vous êtes la force de ma volonté, par le moyen de laquelle je vous puis aimer et jouir de vous, étant toute convertie en amour divin : et que vous n’êtes plus fardeau ni pressure à mon âme, mais au contraire que vous en êtes la gloire, les délices et la liberté ; puisqu’on peut dire de moi ce qui est au Cantique : (Cantique 8 verset 5) Qui est celle-là qui monte du désert, abondante en délices, appuyée sur son Bien-aimé, de çà et de là répandant de l’amour. Vive flamme d’amour Cantique 1 versets 3 et 4.
48. Il nous faut expliquer ici, quelles dettes ce font dont l’âme ici se sent payée et satisfaite ; et partant vous devez savoir que les âmes qui parviennent à ce Royaume, ordinairement ont passé par plusieurs travaux et tribulations, (Actes 14 verset 21) parce qu’il faut entrer au Royaume des cieux par plusieurs tribulations, qui sont déjà écoulées en cet état.
Ce qu’endurent ceux qui doivent parvenir à l’union de Dieu, sont des travaux et tentations de diverses sortes et manières dans le sens ; et des peines, tribulations, tentations, ténèbres et angoisses dans l’esprit ; afin que la purgation de ces deux parties se fasse, comme nous avons dit en la Montée du mont Carmel et en la Nuit obscure. La cause de cela est parce que les délices et la connaissance de Dieu ne se peuvent bien mettre ou asseoir dans l’âme, si le sens et l’esprit ne sont bien purgés et subtilisés ; et d’autant que les travaux et pénitences purifient et subtilisent les sens ; et les tribulations, tentations, ténèbres et angoisses subtilisent et disposent l’esprit ; il faut passer par là, pour se transformer en Dieu, (comme il arrive à ceux qui le doivent avoir dans l’autre vie après les peines du purgatoire,) les uns plus rudement, les autres moins, selon les degrés d’union où Dieu les veut élever, et selon ce qu’ils auront à purger. Par ces travaux où Dieu met l’esprit et le sens, l’âme acquiert par l’amertume, des vertus, de la force, et de la perfection, parce que la vertu (2 Corinthiens 12 verset 9) se perfectionne en l’infirmité, et se polit par l’exercice des passions. Car le fer ne peut servir au dessein de l’artisan, si ce n’est par le feu et le marteau, en quoi le fer souffre du dommage à l’égard de ce qu’il était auparavant. Jérémie dit que Dieu (Lamentations 1 verset 13) envoya d’en haut le feu dans ses os, et l’enseigna. et du marteau, il dit aussi : (Jérémie 31 verset 18) Seigneur vous m’avez châtié, et j’ai été savant : c’est pourquoi l’Ecclésiastique dit : (Ecclésiastique 34 verset 9) Celui qui n’a pas été tenté que sait-il ?
Il faut noter ici, pourquoi il y en a si peu qui parviennent à ce haut état. La raison est, parce qu’en cette sublime et excellente œuvre que Dieu commence, il y en a plusieurs faibles qui fuient aussitôt le labeur, sans se vouloir assujettir à la moindre désolation ni mortification, ni travailler avec une solide patience. De là vient que ne les trouvant forts en la faveur qu’il leur faisait, commençant à les polir, ils ne passent plus avant à les purifier et élever de la poussière de la terre, à quoi était requis plus de force et plus de constance. De sorte qu’on peut dire avec Jérémie (Jérémie 12 verset 5) à ceux-là, qui veulent passer outre sans endurer les moindres choses, ni s’assujettir à ces souffrances : Si vous avez eu le de la peine à suivre les piétons, comment pourrez-vous attraper les gens de cheval ? Et ayant été assuré en la terre de paix que ferez-vous dans l’orgueil du Jourdain ? Comme s’il disait : Si aux travaux qui arrivent ordinairement et humainement à tous les vivants, vous avez si peu de vigueur, qu’il vous fallait courir, et que vous estimiez souffrir beaucoup, comment pourriez-vous aller le train des chevaux, qui est, de sortir des peines communes et ordinaires, et d’essuyer d’autres travaux plus vifs et plus véhéments ? Et si vous n’avez voulu faire la guerre contre la paix et le goût de votre terre, qui est votre sensualité, mais que vous voulez être paisibles et consolés, que ferez-vous dans l’orgueil du Jourdain, c’est-à-dire, comment supporterez-vous les flots impétueux des travaux et tribulations d’esprit qui sont plus intérieur ? Vive flamme d’amour. Cantique 2 verset 5.
49. O âmes qui voulez vivre assurées et consolées, si vous saviez combien il vous est expédient de souffrir des tribulations pour parvenir à cet état, et de quel profit est la souffrance et la mortification pour obtenir de si grands biens, vous ne chercheriez aucunement de la consolation en quoi que ce soit ; mais plutôt vous porteriez la croix avec le fiel et le vinaigre tout pur, et le tiendriez à grand bonheur, voyant que mourant ainsi au monde et à vous-même, vous vivriez à Dieu en délices d’esprit, et souffrant patiemment l’extérieur, vous mériteriez que Dieu jetât les yeux sur vous, pour vous nettoyer et purger au-dedans par des travaux spirituels. Car il faut que ceux à qui Dieu veut faire une pareille faveur lui aient rendu plusieurs services, qu’ils aient été grandement patients et constants, et qu’en leur vie ils aient été très agréables à ses yeux. Ainsi l’ange dit à Tobie, (Tobie 12 verset 13) à cause qu’il était agréable à Dieu, qu’il avait été nécessaire, qu’il endurât la tentation, pour l’éprouver davantage et lui faire de plus grandes grâces. De fait l’Écriture dit (chapitre 14 verset trois), qu’il passa le reste de ses jours en joie. Nous voyons de même en Job, (Job I verset 6, etc.) que Dieu l’ayant reçu pour son serviteur en présence des bons et des mauvais esprits, il lui fit la grâce de lui envoyer aussi incontinent de rudes travaux, pour l’exalter par après beaucoup davantage qu’auparavant, tant au spirituel, qu’au temporel. Dieu se comporte de la sorte envers ceux qu’il veut favoriser, etc. (voyez Union n. 55.) Là même.
50. Saint Thomas. Il est requis de purger l’entendement de deux difformités ; la première est, celle qui est de la diversité des choses extérieures ; la seconde celle qui est par le discours de la raison ; ce qui arrive selon que toutes les opérations de l’âme sont réduites à la simple contemplation de la vérité intelligible : d’où vient que (a. notez, s’il vous plaît, toutes choses délaissées, on persiste : ce mot persister marque un état qui ne varie plus : mais il faut que tout soit fort délaissé) toutes choses délaissées on persiste dans la seule contemplation de Dieu. (2. 2. Question 180 article 6.) Notes sur Jean de la Croix. Discours 2 paragraphe 6.
51. Saint Bernard. Il y en a quelques-uns dans lesquels Jésus-Christ n’est pas encore ressuscité, qui dans l’anxiété des travaux et affliction de la pénitence, meurent tout le jour, n’ayant pas encore reçu la consolation spirituelle. Que si ces jours n’étaient pas accourcis, qui est-ce qui pourrait le souffrir ? (Sermon trois de la résurrection.) Éclaircissement des paroles mystiques des phrases mystiques de Jean de la Croix. Partie 2 chapitre 11 paragraphe 1.
52. Saint Grégoire. Le prophète a bien dit : (Psaume 40 verset 4) Vous avez renversé son lit dans son infirmité ; comme s’il disait, tout ce que l’homme s’est préparé pour le repos, vous lui avez changé cela en trouble par un secret jugement. -- D’où vient que le Seigneur fait ce chemin âpre et difficile à ses élus, qui s’achemine à lui. (Livre trois des Morales chapitres 15.) Là même.
53. Voyez Distractions. n. 16.
54. Saint Bonaventure. La première tentation est la suspension et le manquement de dévotion. Donc un refuge si spécial et singulier étant ôté, l’homme en quelque façon désarmé, demeure exposé aux ennemis des tentations, et pour cette cause devient craintif et pusillanime.
De la suit une autre tentation, à savoir, d’ennui et de dégoût ; parce que l’homme se dégoûte de tout bien : il s’ennuie de prier, de lire, de méditer ; il s’ennuie d’entendre de bonnes choses, d’en parler ou d’en faire ; et d’assister aux choses divines : ce qu’il ne pourrait faire sans un grand travail. (De l’avancement des Religieux c. 2)
Dans cette tentation d’ennui lorsque l’âme n’a pas de contentement dans les choses spirituelles, et qu’il rejette la consolation des charnelles, ne trouvant ainsi jamais de refuge, elle est consumée d’une mauvaise tristesse.
Il s’ensuit une autre tentation fâcheuse et dangereuse (a. Celle-ci ne vient que faute de soumission de volonté, pour souffrir les autres peines tant qu’il plaira à Dieu) d’impatience contre Dieu : pourquoi il est si dur et impitoyable à l’affligé, si chiche à donner sa grâce aux pauvres souffrants, et à celui qui la demande avec tant d’anxiété, et qui heurte à la porte avec tant d’importunité. Et cette tentation est parfois si violente, que l’homme est presque hors de soi, et par la véhémence de la tristesse est comme palpitant ; parce qu’il ne trouve pas de soulagement en l’oraison, qui devrait être son unique refuge dans cette oppression -- sentant le ciel comme d’airain.
Les plus âpres tentations sont celles d’hésiter en la foi catholique, de désespérer de la miséricorde de Dieu, blasphémer contre lui et les saints ; et la tentation de se couper les mains, de se tuer soi-même : et une certaine perplexité d’une conscience plaintive, de n’admettre pas de conseil salutaire. (Chapitre 7) Là même.
55. L’évêque de Tarassonne (parlant de Sainte Thérèse.) Dans ces ténèbres le diable aussi se cachait, et ajoutait à cette peine d’autres, plus grandes, lui représentait en mille rêveries, par lesquels elle était réprouvée et séparée de Dieu ; et cela avec une angoisse et pressure de cœur si terrible et si intolérable, qu’on ne peut la comparer mieux avec aucune chose, qu’avec ce que souffrent les âmes damnées dans l’enfer. Elle ne trouvait aucune consolation en cette horrible tempête ; parce que la grâce était si cachée, qu’elle n’en voyait pas la moindre étincelle, et il ne lui semblait pas de l’avoir jamais eue, d’autant que les biens qu’elle avait faits jusqu’alors, et les grâces qu’elle avait reçues de notre Seigneur, tout cela lui paraissait un songe et une imagination. Elle voyait seulement la multitude de ses péchés et offenses. Pour augmenter davantage sa mort, Dieu mettait quelquefois son âme dans un si grand délaissement, qu’elle n’avait que des rebuts, des contrariétés, et des plaies du ciel, comme si Dieu lui eût tourné le dos, ou qu’elle eut été son ennemie.
56. Sainte Thérèse. Étant donc seule, sans avoir aucune personne avec qui je me pus reposer, je ne pouvais ni lire ni prier : mais j’étais comme une personne épouvantée d’une si grande tribulation, et tourmentée d’une étrange crainte que le diable ne m’eût trompée, ou qu’il ne me trompât ; j’étais toute troublée et affligée sans savoir où donner de la tête. Je me suis vue plusieurs fois en cette affliction, quoiqu’il me semble qu’il n’y en eût aucune si extrême que celle-ci. Je demeurai (a) en cet état quatre ou cinq heures, sans recevoir aucune consolation ni de la terre ni du ciel ; notre Seigneur me laissant souffrir plonger dans l’appréhension de mille périls. (Vie chapitre 25.) Là même § 2.
(a. Elle ne parle encore ici que des premières épreuves, de quelques jours seulement, qui sont les moindres de cette voie, comme on l’a pu voir par ce qu’on a déclaré le bienheureux Jean de la Croix [ci-dessus.] Si cet état eût duré quatre ou cinq années, c’eût été bien autre chose.)
57. -- Dieu donne licence au diable (b) de tourmenter l’âme pour l’éprouver, et de lui mettre en l’esprit qu’elle est réprouvée de Dieu ; car il y a quantité de choses qui la combattent, avec une pressure intérieur si sensible et si insupportable, que je ne sais à quoi la comparer, si ce n’est aux peines qu’on souffre en enfer, d’autant que pendant cette tempête, on ne reçoit aucune consolation. -- Que si on veut rendre un livre en langage vulgaire, on n’y entend pas davantage que si on n’en connaissait aucune lettre ; à cause que l’entendement n’en est pas capable. -- Que fera donc cette pauvre âme, s’il arrive qu’elle soit agitée plusieurs jours de ces orages ? Si elle prie, c’est comme si elle ne disait rien, j’entends, pour sa consolation ; parce qu’elle n’en reçoit aucune en son intérieur, et même elle n’entend pas ce qu’elle dit, quoiqu’elle prie alors vocalement : car pour la mentale ce n’est pas le temps, d’autant que les puissances en sont incapables. -- Il est vrai qu’elle ne peut exprimer ni dire ce qui se passe en elle ; parce que ce sont des angoisses et des peines spirituelles, qui ne se peuvent nommer. (Château de l’âme demeure six chapitres un.) Là même.
(b. Elle parle ici d’un état plus avancé de peines plus longues et plus fortes. Comme sainte Thérèse a cessé d’écrire vingt ans avant sa mort, il ne faut pas s’étonner si elle ne parle pas des peines plus considérables ni plus longues. Mais son confesseur écrit apparemment ce qui lui est arrivé depuis. Comme elle n’eut que des peines passagères, elle ne parle non plus que d’une union passagère ; parce que l’un suit l’autre.)
58. L’évêque de Tarassone, (parlant encore de Sainte Thérèse.) Ces travaux et agonies lui durèrent deux années, bien que non pas toujours en un même état, ni d’une même manière. Ce chemin d’aridité et de ténèbres est ordinaire aux grands saints, et c’est le plus pénible et le plus terrible pour ceux qui traitent avec Dieu ; car comme il se cache au-dedans de leurs âmes, et qu’il y est comme dans une nuée et en des ténèbres obscures, et que d’autre part il leur ôte le discours de l’entendement, et le goût et la délectation de la volonté, il leur semble qu’ils sont en un désert et très grande solitude, et dans l’obscurité sans Dieu, quoiqu’il soit vrai néanmoins qu’il y soit pour alors plus présent, bien que plus caché, cultivant l’âme par ces ténèbres où elle est, et la purgeant des imperfections pour la rendre digne de soi. Le bienheureux saint François fut en cet état l’espace de deux années, suivant le rapport de son histoire ; et quelquefois il se trouvait si ennuyeux et si déplaisant, qu’il ne voulait pas qu’aucun religieux lui parlât. Il est certain que la plus grande croix que les saints aient, c’est (a) cette solitude, ces ténèbres et cet abandonnement de Dieu. (Vie de sainte Thérèse livre un chapitre 12.) Là même.
(a. les pécheurs et les gens qui ne sont pas intérieurs, ne sentent pas cette terrible peine. Et comment la sentirait-il, puisqu’ils cherchent leur satisfaction dans les choses de la terre ; dont une telle âme est si fort éloignée, qu’elles lui sont des tourments, et non des rafraîchissements. Que s’il arrive que par infidélité on cherche quelque soulagement, ce soulagement se change en l’amertume ; et il ne reste à l’âme que cette double douleur, d’avoir voulu prendre des plaisirs hors de Dieu, et de n’en avoir pas trouvé, mais au contraire un tourment intolérable.)
59. Taulere. On parvient par deux voies au vrai amour de Dieu ; la première est une délectation de la grâce abondante de Dieu. -- L’autre est un chemin de résignation, de croix ou d’afflictions : ici l’homme est privé de toute consolation spirituelle, et cette voie est une voie d’aridité et de sécheresse en la dévotion. -- Ces martyrs spirituels ont beaucoup de soins et d’angoisses en cette vie, tellement qu’ils ne savent souvent de quel côté ils se doivent tourner, à cause de ces tristesses, s’appuyant seulement sur la foi, l’espérance et la charité nues, en une certaine obscurité. -- Et quand ils apportent plus de diligence et font plus d’efforts, ils sont encore beaucoup plus secs au-dedans, et deviennent plus durs que des pierres ; si bien qu’à grand-peine souffrent-ils quelquefois patiemment, et sont de plus en plus tourmentés et abattus de courage. -- Or il leur semble qu’il est impossible qu’ils n’offensent Dieu ou par la patience, ou par désespoir, ou par ennui et tristesse de cœur ; ce qui leur cause une grande douleur, vu qu’il (a. c’est la cause de la douleur que la haine de toute sorte d’offenses : car si on ne craignait pas d’offenser Dieu, on ne souffrirait pas de si terribles tourments) haïssent toutes sortes d’offenses. -- Ils voudraient aussi et désireraient de tout leur cœur d’extirper et vaincre leurs vices et d’acquérir les vertus : mais ils ne peuvent, à cause que cela, et les choses semblables, leur causent parfois de si grands douleurs, chagrins et angoisses, qu’il leur semble endurer les peines de l’enfer ; ce qui leur provient du grand amour qu’ils ont pour Dieu, et de leur fidélité à son service, encore qu’ils ne sachent pas cela eux-mêmes : d’où vient qu’ils s’estiment les plus grands pécheurs du monde, bien que devant Dieu ils soient très purs. (Sermon de plusieurs martyrs.) Là même.
60. Rusbroche. Cet homme donc sortant (a) se voit misérable et désolé. Ici toute l’ardeur, l’impétuosité et l’impatience de l’amour s’adoucit et se refroidit, et l’été brûlant se change en automne, et toutes les richesses en une fort grande disette. Et pour lors, par une certaine compassion de soi-même, il jette des plaintes, demandant où se sont retirées la ferveur de la charité, la componction, la louange et l’agréable action de grâces ; comment il est destitué de consolation intérieure, de joie intime, et de goût sensible ; et comment cette ardeur véhémente d’amour, et tous les dons qu’il a jamais reçus sont de la sorte entièrement éteints. Et on n’agit plus avec lui que comme avec un homme savant, mais qui a perdu sa science et toute sa peine. Cependant souvent la nature se trouble et s’afflige pour cette perte. Quelquefois aussi, par la permission de Dieu, l’homme ainsi désolé est de plus dépouillé des choses terrestres, ou des amis et des parents, et délaissé de toutes les créatures ; et tout ce qu’il y a de sainteté s’en va en oubliance et n’est rien estimée, et les hommes interprètent ses actions et toute sa vie en la plus mauvaise part. Il est aussi méprisé de tous ceux avec lesquels il vit. Quelquefois aussi il est affligé de diverses maladies, ou travaillé de tentations corporelles, ou ce qui excède le reste, de tentations spirituelles. Étant donc réduit à une si grande misère et pauvreté, il commence d’appréhender la chute, et est combattu d’une espèce de défiance, qui est l’extrémité et le dernier terme où une personne puisse demeurer en grâce sans tomber dans le désespoir. (De l’Ornement des Noces spirituelles. Livre deux. Chapitre 29.) Là même.
(a. notez sortant : c’est que la plus grande douleur c’est d’être obligé d’agir et de converser dans ces peines : et qu’on n’y est presque toujours contraint, comme on l’a vu dans ce que j’ai écrit sur le Cantique. (Voyez ci-dessus la note b du chapitre 5 verset 3 dans l’article Propriété et la note a.)
61. Denis le chartreux. Le diable voyant qu’il y en a quelques-uns, qu’il ne peut pas vaincre par des tentations et des péchés charnels, ni par les choses qui sont contre la raison, il a accoutumé de les assaillir par des tentations de certaines infidélités ou doute touchant la vérité de la foi chrétienne ; il en incite quelques-uns à des imaginations déshonnêtes de Jésus-Christ et de la Sainte Vierge, ou à penser indécemment et indignement de Dieu, ou bien à blasphémer ; il en tente d’autres à se défaire soi-même de la vie par tristesse, désespoir ou ennui ; d’autres enfin sont tentés d’une étrange aridité d’esprit, tellement que le ciel leur paraît être d’airain et la terre de fer, et il leur semble qu’ils sont réprouvés. (a) (Remède contre les tentations. Article 35. Et Dialogue de l’instruction des novices.) Là même.
(a. Le remède à tous ces maux c’est la résignation pour porter cet état, et l’abandon de tout soi-même entre les mains de Dieu : parce que cet abandon adoucit l’âpreté de cette peine, qui devient quelquefois telle qu’elle aboutit nécessairement à un saint désespoir ou à un désespoir de damné. Le mauvais désespoir fait qu’une personne se tue soi-même ; ou quittant le bien, elle se plonge par désespoir dans le mal, disant, que puisqu’elle est déjà damnée, elle ne peut que l’être un peu plus : et c’est le plus grand malheur du monde, qui n’arrive jamais à celui qui est résigné, et qui par un saint désespoir de soi-même se laisse entièrement à Dieu, qui le préserve de tout mal, le garde et le chérit ainsi que le dit l’Écriture [Deutéronome 32 verset 10] comme la prunelle de l’œil. À quelque excès que la peine puisse aller, si l’âme est abandonnée, elle la souffre en paix, et les rages des peines ne viennent que d’infidélité, ou de ne nous pas abandonner à Dieu.)
62. Le père Ildefonse d’Orozco. Les travaux du corps sont comme des coups assénés à la muraille de la ville, qui battent comme par dehors : mais les tentations de l’esprit frappent et blessent dans l’intérieur et se sentent plus vivement. (Livre deux de ses Confessions.) Là même.
63. Le père Jean de Jésus Maria. Touchant les tentations de blasphème, ou dois remarquer la furieuse opération du diable, avec de grande instigation, pour précipiter les serviteurs de Dieu en de grande impatience. Cette tentation, autant que j’ai pu entendre, n’a pas coutume de venir seule, mais accompagnée d’une grande tristesse intérieure, ou de tentation de désespoir, ou de haine de Dieu, ou de tentations violentes contre la chasteté : et la raison de ceci est, parce que la partie inférieure de l’homme, se sentant grandement affligée et privée de toute sorte de consolation et de goût, elle se tourne contre la raison comme un chien enragé. -- Alors il s’élève des pensées horribles, et quelquefois elle se laisse aller à des paroles qui sonnent mal, lesquelles néanmoins sont dites sans advertance et délibération par la véhémence et l’impétuosité de la tentation. (École de l’oraison. Traité 4 note 10.) Là même.
64. Saint Thomas. Voyez Consistance. n. 33.
65. -- Toute la rébellion de l’esprit de l’appétit irascible, et du concupiscible contre la raison, ne peut s’ôter par la vertu ; vu que suivant la nature de l’irascible et du concupiscible, ce qui est bon selon le sens, répugne quelquefois à la raison ; quoique cela se puisse faire par la vertu divine, qui est puissante aussi de changer les natures : néanmoins cette rébellion est diminuée par la vertu, en tant que les puissances susdites sont accoutumées à être soumises à la raison. -- Les passions qui s’inclinent au mal ne sont pas toujours (a) ôtées, ni par la vertu acquise ni par la vertu infuse ; mais elles sont mortifiées tant par la vertu acquise que par la vertu infuse, afin que l’homme n’en soit pas ému outre mesure. (Question 1 des vertus articles 4 et 10.) Là-même chapitre 12 paragraphe 2.
(a. ordinairement parlant, parce que l’homme peut toujours déchoir.
Il est d’une grande conséquence de ne pas confondre [avec ceux-ci] l’état fixe d’oraison, qui ne doit plus retourner à l’activité première, comme l’enfant ne rentre plus dans le ventre de sa mère. Car celui-là y est véritablement établi, qui ayant quitté toutes opérations propres, se laisse mouvoir au gré de Dieu : et l’état passif est son vrai et propre degré : soit qu’il agisse, soit qu’il souffre, il est également passif, se laissant mouvoir au gré de Dieu ; soit pour être passivement agissant, ou passivement pâtissant. Mais quoique la stabilité de cet état soit réelle, et que l’âme ne doive jamais en aucun temps retourner à ses propres opérations, puisque ce serait déchoir, et même cela serait difficile ; il n’est pas dit pour cela, que l’âme ne doit plus jamais agir, puisqu’elle agit étant mue et agie de Dieu, non seulement en unité d’action, mais même en multiplicité d’action, sans se multiplier néanmoins, ni sans sortir de son unité et passiveté. Car comme elle est passive pour souffrir l’opération de Dieu, elle est passive pour agir par l’opération de Dieu ; et cette passiveté est très agissante : elle peut faire cent actes sans actions propres, c’est-à-dire, sans action dont elle soit le principe agissant ; mais action par correspondance à celui qui la meut, qui lui donne le vouloir et le faire. La passiveté pour l’intérieur et l’oraison doit donc être fixe. Je veux dire que l’âme ne peut jamais reprendre la méditation, et ne le doit jamais ; son oraison est toujours contemplation pure : et son oraison devient son action, et son action son oraison. Ce qui n’empêche pas qu’il n’y ait des temps où la Contemplation changeant de nature est plus ou moins aperçue, plus ou moins lumineuse, plus ou moins intime et goûtée.
Mais pour la vertu, quoique l’âme ne soit plus incommodée des rébellions du corps, il est certain qu’on peut toujours déchoir, et qu’il n’y a pas d’état d’impeccabilité en cette vie, quoiqu’il y ait un état stable très réel. Dieu cependant purifie l’âme de telle sorte, que quoiqu’elle puisse déchoir et tomber, son corps la laisse en paix.
66. Le père Barthélémy des Martyrs. Hélas qu’il y en a peu, auxquels il arrive de parvenir jusqu’ici ! Car un amour léger, une petite affection avec laquelle on s’attache à une créature mortelle, une parole oiseuse, ou une bouchée de pain prise autrement qu’il ne faut, et d’autres choses semblables, quoiqu’elles ne soient que des pailles fort menues, font que Dieu, qui est la pureté souveraine, ne se puisse unir intimement (a. il ne parle que de l’union passagère) à l’âme, jusqu’à ce que cela soit expié : voire même au temps de l’union entre Dieu et l’âme, on doit chasser toutes sortes d’images quoique bonnes, parce que ce sont des milieux [ou entre-deux] entre l’un et l’autre. (Abrégé partie 2 chapitre 11.) Là même. Chapitre 20.
67. Ce dénuement par son premier effet de purification purge l’âme particulièrement, sur toute autre impureté, d’une secrète image de la volonté de Dieu qu’elle retenait toujours, qui est la seconde faute de la contemplation, dont il est parlé au quatrième chapitre : laquelle image était si subtile, déliée et spirituelle, qu’en la volonté intérieure jamais l’âme ne s’en apercevait, mais se persuadait que purement, et sans espèce ou image, elle contemplait cette volonté en son essence ; et même elle ne se pouvait jamais apercevoir de cette image, jusqu’à ce qu’elle en eût été purgée ; d’autant qu’une chose imparfaite n’est pas connue pour imparfaite à celui qui ne sait rien de plus parfait. Mais l’âme ne connaissait rien de plus parfait ; parce que cette image est la chose la plus haute et la plus pure, qu’elle eut jamais contemplée : et par conséquent elle ne la pouvait connaître pour imparfaite, bien que quand elle a été purgée, elle ait connu l’avoir été. Si on demande comment elle se défait de cette image, puisqu’elle ne la connaît pas ; je réponds que c’est par le feu d’amour, qui toutefois est une opération divine et non pas sienne, et en laquelle elle est plus passive qu’active. Règle de la perfection. Livre trois. Chapitre six.
68. Il arrive quelquefois que nous n’avons nulle consolation aux exercices de l’amour sacré, d’autant que comme chantres sourds nous n’entendons pas notre propre voix, ni ne pouvons jouir de la suavité de notre chant ; mais au contraire, outre cela nous sommes pressés de mille craintes, troublés de mille tintamarres que l’ennemi fait autour de notre cœur, nous suggérant que peut-être nous ne sommes pas agréables à notre maître, et que notre amour est inutile : -- alors nous travaillons non seulement sans plaisir, mais avec un extrême ennui, ne voyant ni le bien de notre travail ni le contentement de celui pour qui nous travaillons. Mais ce qui accroît le mal en cette occurrence, c’est que l’esprit et suprême pointe de la raison ne nous peut donner aucun allégement : car cette pauvre portion supérieure de la raison, étant toute environnée des suggestions que l’ennemi lui fait, elle est même toute alarmée et se trouve assez embesognée d’être surprise d’aucun consentement au mal, de sorte qu’elle ne peut faire aucune sortie (a. C’est ce que j’ai appelé [au Moyen court. Chapitre 19] ne combattre pas directement les tentations en sortant de son fond pour voir ce qui se passe au-dehors ; car cela est très dangereux) pour désengager la portion inférieure de l’esprit. Et bien qu’elle n’ait pas perdu le courage, elle est pourtant si furieusement attaquée, que si elle est sans coulpe, elle n’est pas sans peine. Car pour comble de son ennui, elle est privée de la consolation générale, que l’on a presque toujours en tous les autres maux de ce monde, qui est l’espérance qu’ils ne seront pas perdurables, et qu’on en verra la fin ; si que le cœur en ses ennuis spirituels tombe en une certaine impuissance de penser à leur fin, et par conséquent d’être allégé par l’espérance. La foi résidante dans la pointe de l’esprit, nous assure bien que ce trouble finira, et que nous jouirons un jour du repos ; mais la grandeur du bruit et des cris que l’ennemi fait dans le reste de l’âme, empêche que les avis et remontrances de la foi ne soient presque pas entendus : et il ne nous demeure dans l’imagination que ce triste présage : hélas, je ne serai jamais heureux !
(Pur amour n. 36) O Dieu, mon cher Théotime, mais c’est alors qu’il faut témoigner une invincible fidélité envers le Sauveur, le servant purement pour l’amour de sa volonté, non seulement sans plaisir, mais parmi ce déluge de tristesse, d’horreurs, de frayeurs et d’attaques ; comme fit sa glorieuse mère et saint Jean au jour de sa passion, entre tant de blasphèmes, de douleurs et de tristesses mortelles demeurèrent fermes en l’amour, lors même que le Sauveur ayant retiré toute sa sainte joie dans la cime de son esprit, ne répandait ni allégresse, ni consolation quelconque en son divin visage, et que ses yeux languissants et couverts des ténèbres de la mort, ne jetaient plus que des regards de douleur, comme aussi le soleil des rayons d’horreur et d’affreuses ténèbres. De l’amour de Dieu. Livre 9. Chapitre 11.
Il raconte ce qui se passa en la délivrance de saint Pierre de la prison ; puis il ajoute :
69. Il en est de même d’une âme grandement chargée d’ennuis intérieurs : car bien qu’elle ait le pouvoir de croire, d’espérer et d’aimer Dieu, et qu’en vérité elle le fasse ; toutefois elle n’a pas la force de bien discerner si elle croit, espère et chérit son Dieu, d’autant que la détresse l’occupe et l’accable si fort, qu’elle ne peut faire aucun retour sur soi-même pour voir ce qu’elle fait : c’est pourquoi il lui est avis qu’elle n’a ni foi, ni espérance, ni charité, mais seulement des fantômes et inutiles impressions de ces vertus-là, qu’elle sent presque sans les sentir et comme étrangers, non comme domestiques de son âme. Que si vous y prenez garde, vous trouverez que nos esprits sont toujours en pareil état, quand ils sont puissamment occupés de quelque violente passion ; car ils font plusieurs actions comme en songe, et desquelles ils ont si peu le sentiment, qu’il ne leur est presque pas avis que ce soit en vérité que les choses se passent. --
Tels donc sont les sentiments de l’âme, laquelle est entre les angoisses spirituelles, qui rendent l’amour extrêmement pur et net : car étant privé de tout plaisir, par lequel il puisse être attaché à son Dieu, il nous joint et unit à Dieu immédiatement, volonté à volonté, cœur à cœur, sans aucune entremise de contentement ou prétention. Hélas, Théotime, que le pauvre cœur est affligé, quand comme abandonné de l’amour il regarde partout, et ne le trouve pas ce lui semble. Il ne le trouve pas au sens extérieur, car ils n’en sont pas capables ; ni en l’imagination qui est cruellement tourmentée de diverses impressions ; ni en la raison troublée de mille obscurités de discours et appréhensions étranges ; et bien qu’enfin elle le trouve en la cime et suprême région de l’esprit, où cette divine dilection réside, si est ce néanmoins qu’elle le méconnaît, et lui est avis que ce n’est pas lui, parce que la grandeur des ennuis et des ténèbres l’empêche de sentir sa douceur. Elle le (Voyez l’Explication du Cantique chapitre 2 verset 9) voit sans le voir, et le rencontre sans le connaître, comme si c’était en songe et en image. Ainsi Madeleine ayant rencontré son cher Maître, n’en reçoit aucun allégement, d’autant qu’elle ne pensait pas que ce fut lui, mais seulement le jardinier.
Mais que peut donc faire l’âme qui est en cet état ? Elle ne sait plus comme se maintenir entre tant d’ennuis, et n’a plus de force que pour laisser mourir sa volonté entre les mains de la volonté de Dieu, à l’imitation du doux Jésus, qui étant arrivé au comble des peines de la croix, que le Père lui avait préfigées, et ne pouvant plus résister à l’extrémité de ses douleurs, fit comme le cerf, qui hors d’haleine et accablé de la meute, se rendant à l’homme, jette les derniers abois, la larme à l’œil ; car ainsi ce divin Sauveur proche de sa mort, et jetant les derniers soupirs, avec un grand cri et force larmes : Hélas, dit-il, (Luc 23 verset 46) mon Père, je recommande mon esprit entre vos mains : parole qui fut la dernière de toutes, et par laquelle le Fils bien-aimé donna le souverain témoignage de son amour envers son Père. Quand donc tous nos défauts, quand nos ennuis sont en leur extrémité, cette parole, ce sentiment, ce renoncement de notre âme entre les mains de notre Sauveur, ne nous peut manquer. Le Fils recommanda son esprit au Père en cette dernière et incomparable détresse ; et nous, lorsque les convulsions des peines spirituelles nous ôtent toute autre sorte d’allégements et de moyens de résister (a. Abandon total et sans retour ; c’est la fin pour laquelle Dieu nous fait souffrir tant de peines) recommandons notre esprit [entre] les mains de ce Fils éternel, qui est notre vrai Père, et baissant la tête de notre acquiescement à son bon plaisir, consignons-lui notre volonté. De l’amour de Dieu. Livre 9. Chapitre 12.
70. Enfin, après plusieurs petites épreuves, Dieu voyant l’âme forte et courageuse, entièrement dénuée de l’affection de la terre, et résolue de le suivre partout, quoiqu’il lui en puisse coûter de peines et de fatigues, et de ne l’abandonner jamais, quelque dure et austère qu’il se montre envers elle ; surtout Dieu sachant qu’elle est assez forte pour soutenir l’opération qu’il veut faire en elle ; il lui donne une inclination secrète de se remettre et abandonner à lui, et de se jeter entièrement en sa divine disposition, pour faire d’elle selon son bon plaisir pour le temps et l’éternité, ne désirant que de lui complaire à quelque prix que ce soit. Et après lui avoir arraché (voyez Moyen court. Chapitre 24. n. 6 & 7) son contentement total, il commence à la mettre en un état auquel il faudra qu’elle souffre extrêmement.
Mais, d’autant que cet état de privation est un des plus fâcheux et des plus pénibles passages de toute la vie spirituelle, auquel Dieu ayant accoutumé de charger l’âme jusqu’au bout de ses forces, et de lui en donner autant qu’elle peut porter, et à cause de la peine indicible qu’il y a à poursuivre ce chemin, sans se laisser emporter aux choses du dehors ; j’en traiterai ici un peu plus amplement que des autres états.
Lorsque vous entendez parler de cet état de privation et de délaissement, il ne faut pas penser que Dieu afflige l’âme directement, ou bien qu’il la mette en un état de pure souffrance, où elle n’ait qu’à souffrir et à attendre mieux sans autre chose, comme elle faisait autrefois ; car si la chose ne consistait qu’en cela, il n’y aurait pas grand mystère. Mais c’est que Dieu la prive premièrement de toutes les opérations supérieures de l’esprit, et de toutes les occupations de son divin un amour qu’elle avait ordinairement, la remettant au plus bas des puissances inférieures, où elle se trouve si remplie de soi-même, si éloignée de la région divine, qu’elle ne sent l’opération de Dieu que très peu ou pas du tout. Et au lieu qu’au précédent état son exercice était de se tenir tout recueilli au-dedans en paix, en repos et en tranquillité d’esprit, ne s’occupant de rien sinon de suivre, d’attendre et de remarquer l’attrait intérieur de la grâce actuelle pour y coopérer ; ici étant extrêmement éloignée de toute paix et tranquillité, ses anciennes misères retournent, les passions se font sentir de nouveau et aussi vivement que jamais, et il lui semble qu’elle n’aura pas moins de peine à les surmonter que le premier jour qu’elle se mit au chemin de la perfection.
Il semble que le Roi-prophète ait ressenti un pareil éloignement de la jouissance divine et les mauvais états qui ensuivent, quand il disait (Psaume 10 verset 1) : Seigneur, vous êtes-vous donc ainsi éloignés de moi ? Pourquoi, mon Dieu, m’avez-vous ainsi privé du bonheur de votre jouissance, comme une pauvre veuve privée de la douce compagnie de son époux, laquelle étant attaquée et affligée de tous côtés, ne trouve personne qui la protège. Tout de même le diable, le monde, la chair semble s’élever de concert contre cette âme, ainsi éloignée de la présence et de la compagnie de son époux céleste, sous les ailes secourables duquel elle semblait auparavant pouvoir toute chose, et même braver tous ceux qui s’élevaient contre elle. Elle disait alors (Psaume 22 verset 4) : Je ne craindrai aucun mal, parce que vous êtes avec moi.
[ je fais suivre de ma réédition moderne le très long extrait 70 :]
Je me moque des menaces des ennemis, je dédaigne leur insolence, et, qui plus est, renforcée de constance et de grandeur de courage, je me présente de moi-même au combat et ne crains rien, Car Dieu ayant pris ma vie en protection et me couvrant de tous côtés des ailes de sa puissance, qui est-ce qui osera m’aborder ? qui craindrai-je, si celui me défend que tout le monde craint et redoute ? Rien ne la pouvait alors ébranler ; par la seule raison que son Seigneur et son Dieu était près d’elle, la victoire lui était dans ses mains.
Mais ici étant ainsi abandonnée, elle peut bien dire avec le Prophète : Hélas, Seigneur ! ceux qui ne cherchent que ma mort, qui conspirent contre ma vie, ont fait un complot ensemble, où ils ont résolu ma ruine disant d’une voix audacieuse :
[La suite sans note conséquente de Mme G. est tirée de notre édition :]
Deus dereliquit cum, persequimini et comprehendite eum (Ps. LXX, 11) ; il court, vagabond, privé de l’assistance et de la douce protection de son Dieu ; poursuivez-le, attaquez-le hardiment, parce qu’il ne se trouvera personne qui prenne sa cause en main, ou qui le vous puisse arracher : Et non est qui eripiat. Et de fait dit-il : Nisi quia Dominus adjuvit me, paulo minus habitasset in inferno anima mea (Ps. CXLII, 17). Ces desseins eussent eu leur effet si Dieu pitoyable ne fût promptement retourné à me secourir. C’est pourquoi il priait si souvent : Ne avertas faciem tuam a me (Ps. CXLII, 7). Ne projicias me a facie tua. (Ps. L, 13). Ne me privez plus, ô Seigneur, de votre agréable présence, de 279 peur que mes ennemis ne conjurent derechef ma ruine.
Quel martyre spirituel pensez-vous que ce soit à une telle âme, après avoir si clairement vu les choses de l’Esprit de Dieu, la vérité d’icelles et la vanité des [m222] choses du monde, la misère des désirs et inclinations de la nature corrompue ; connut encore le grand malheur du péché ; après avoir tant de fois désiré de s’étranger de toutes ces choses, et, qui plus est, après qu’elle s’en pensait aussi éloignée que le ciel de la terre : se voir maintenant néanmoins autant plongée, harassée et tourmentée de pensées, désirs, inclinations, imaginations, mouvements et passions, et enfin toutes sortes de dérèglements que jamais elle ait encore été ? Que si encore cela ne durait que pour quelque espace, deux, trois ou quatre mois, et puis retourner à la jouissance comme devant, la chose serait passable ; mais d’y demeurer les demi-ans et les années entières, ou peut-être davantage, sans se voir plus retourner aux grâces précédentes, cela fait quasi perdre toute l’espérance, emporte, peu s’en faut toute la patience [m223] de cette âme.
Car si elle se veut élever à Dieu pour refuge en ses misères, il n’y a que 280 ténèbres et obscurité dans son esprit et voit que la porte lui est fermée de cette part. Si elle se refuge à ses actes propres pour exercer les vertus contraires, c’est avec si peu d’efficace contre le mal, que nul ou certes petit soulagement lui peut revenir de ce côté aussi. Où donc aura son recours cette créature en ses angoisses ? (256)
Car si faut-il qu’elle fasse quelque chose : de demeurer en soi-même, en sa nature inférieure avec tous ces malheureux désirs, inclinations et désordres, ce lui est un petit enfer, ayant par avant si bien appris à s’en éloigner par l’aide de l’opération qu’elle ressentait en l’esprit, où elle avait si clairement vu que c’était de la misère de ces désordres. C’est pourquoi [m224] de s’y plus arrêter, ou pouvoir y trouver aucun repos, soulas ou assurance, la conscience ne le peut aucunement permettre ; car elle la ronge toujours au-dedans, par une crainte qui la tient de perdre son Dieu, se laissant emporter dehors. Et de fait c’est bien ici entre les autres une de ses plus grandes peines, qu’il lui semblera à tout moment qu’elle soit pour s’échapper et abandonner son Dieu.
Mais, me direz-vous, qu’est-ce donc enfin que prétend et 281 demandes Notre-Seigneur par tout ceci ? Pourquoi un tel état ? Je réponds que c’est une opération autant nécessaire que pas une que Dieu ait pu auparavant opérer, pour faire avancer l’âme en son divin amour. Nécessaire, dis-je, non seulement pour la purger de tout reste de péché, de toute adhésion à ses grâces sensibles, de toute estimation de soi-même ; mais encore pour la mettre et la disposer peu à peu pour l’état de fruition [~m225], jouissance et parfaite union, qui doit suivre après cestuy-ci, : comme à la fin de tout ce discours nous le pourrons décrire plus amplement, afin de n’empêcher ici la déduction de ce qui se passe.
[omis : Car si faut-il qu’elle fasse quelque chose : de demeurer en soi-même, en sa nature inférieure avec tous ces malheureux désirs, inclinations et désordres, ce lui est un petit enfer, ayant par avant si bien appris à s’en éloigner par l’aide de l’opération qu’elle ressentait en l’esprit, où elle avait si clairement vu que c’était de la misère de ces désordres. C’est pourquoi [m224] de s’y plus arrêter, ou pouvoir y trouver aucun repos, soulas ou assurance, la conscience ne le peut aucunement permettre ; car elle la ronge toujours au-dedans, par une crainte qui la tient de perdre son Dieu, se laissant emporter dehors. Et de fait c’est bien ici entre les autres une de ses plus grandes peines, qu’il lui semblera à tout moment qu’elle soit pour s’échapper et abandonner son Dieu.
Mais, me direz-vous, qu’est-ce donc enfin que prétend et 281 demande Notre-Seigneur par tout ceci ? Pourquoi un tel état ? Je réponds que c’est une opération autant nécessaire que pas une que Dieu ait pu auparavant opérer, pour faire avancer l’âme en son divin amour. Nécessaire, dis-je, non seulement pour la purger de tout restat de péché, de toute adhésion à ses grâces sensibles, de toute estimation de soi-même ; mais encore pour la mettre et la disposer peu à peu pour l’état de fruition [~m225], jouissance et parfaite union, qui doit suivre après cestuy-ci, : comme à la fin de tout ce discours nous le pourrons décrire plus amplement, afin de n’empêcher ici la déduction de ce qui se passe. Fin de l’omission.]
L’âme donc ayant été quelque temps en cet état de pauvreté spirituelle, en ces combats, en ces ressentiments de toutes sortes de misères, jusques à maintenant encore il a passé l’espoir de trouver mieux l’ayant accompagnée jusques ici. Mais de voir enfin la continuation ou plutôt augmentation de jour en jour, il lui prend fantaisie de croire assurément que c’est tout perdu, que cela est venu de quelque sienne grande faute, qui a fait que Dieu s’est retiré et l’a laissée en si 282 pauvre état. Et plus va avant, plus est-ce compassion de voir le travail qu’elle a en l’oraison pour la difficulté de trouver entrée en son intérieur, de s’y pouvoir maintenir, ou pouvoir tant soit peu s’adresser à Dieu qui soit d’efficace ; de voir encore comme [m230] le temps se passe d’un bout à l’autre en diverses pensées, représentations et allèchements de la sensualité.
Et qui plus est, l’impatience souvent veut se faire ressentir. Car cette nature inférieure, se voyant ainsi agitée de toutes parts, privée de toute influence, de toute aide, et toute chose conspirer à sa ruine, voudrait jeter là tout par impatience. Et au lieu de toutes les douces inclinations que jadis elle ressentait vers Dieu pour l’aimer, chérir et caresser ; ici il est quasi inexplicable combien (et irrémédiablement) elle se sent tout au contraire pleine de dégoût, d’aversion et d’irrésignation, ce qui est toujours de mal en pis. Car tandis qu’il y avait moyen d’espérer, patienter ou se résigner, bien qu’il fût difficile, si avait-il [m231] moyen toutefois de passer ; mais que d’ici en avant cette nature inférieure soit pleine d’impatience, de rage, d’irrésignation, (258) dépit et indignation, cela 283 est un désordre et une confusion inexplicable. C’est chose horrible à ressentir que la rage, l’impatience et l’insupportabilité de la nature à soi-même, comme elle se bande, s’élève et se rebelle contre l’esprit, voire et contre Dieu même, pour se voir toute laissée en soi-même, privée de tout soulas, appui ou réconfort. Avez-vous jamais vu un chien enragé, qui ne pouvant arriver à celui qui le frappe, s’en prend au bâton dont il est touché ? Ainsi cette nature humiliée jusques au bout, délaissée toute à soi-même, remplie de sa malice, agitée de colère, de rage et d’impatience, se voudrait bander et contre Dieu et contre tout indifféremment, sa malice [m232] ne respectant personne ; mais n’y pouvant aborder, se ronge, se passionne et se dépite toute en soi-même contre la pressure et l’angoisse qui l’afflige.
Et notez que cette âme est tellement toute nature pour lors, c’est-à-dire toute vivante en icelle, que son intérieur est tout dépeint de cette forme et façon d’être, n’apparaissant rien autre en elle que cela ; tout le reste des autres facultés supérieures étant pour lors évanouies, cachées et sans aucune leur opération ; ne lui restant que si petit 284 coin de soi qui ne soit toute cette nature ainsi désordonnée qu’elle ne peut quasi distinguer, ni empêcher qu’il ne lui semble que ce soit elle-même et la volonté qui fasse, qui veuille et qui opère tout ce qu’elle ressent. D’où lui viennent par après, tant de doutes, scrupules et anxiétés, pensant d’être tous purs [m233] consentements et volontés que toutes ces choses qui lui viennent. Mais il y a bien à dire.
Car la vraie volonté supérieure en est autant éloignée que lorsqu’elle était au milieu des infusions divines ; seulement y ayant qu’elle n’a pas son opération si à son commandement, ni sa liberté si en usage comme elle soulait.
Au reste sentant ainsi sa nature insupportable à soi — même, pleine de rage et de colère contre Dieu même, il faut que la personne se distingue d’arrière cette nature, et ne pas s’immerger du tout dans ce que l’on ressent en icelle ; mais la voir comme un tiers, endurer le tout, s’unissant à l’opération divine et disant par ensemble : « Meure, meure, cette maligne, avec toute sa rage » ; et quelquefois de grand courage parlant à elle, dire : « En dépit de toi, de ta volonté et de tout ce que tu pourrais contredire, il se fera ainsi : [~m234] 285 tu mourras et seras anéantie ». Et quelquefois, se sentant ainsi distinguée, qu’on la laisse faire selon toute son inclination, perversité ou malice, non pas pour y consentir, mais pour la considérer seulement et voir à quoi terminera la tragédie de sa malice.
Enfin la chose passe si avant et cette âme se trouve de telle sorte accablée que, se voyant en tant d’angoisses et en tant de périls d’offenser Notre-Seigneur, en si grand danger, ce lui semble, de laisser là tout et retourner en arrière, elle se sent poussée à vouloir implorer la miséricorde divine, à ce qu’elle puisse être délivrée de cet état. Mais d’autant que cet instinct, quoique si beau en apparence et fondé sur si prégnante raison, n’est néanmoins qu’un trait de nature (laquelle volontiers déclinerait cette sienne mort spirituelle et cette opération si amère du divin [260] amour), je dirai volontiers pour son encouragement contre telle [m235] infirmité ce qui peut-être lui servira de consolation.
Dites-moi donc, âme dévote, quiconque vous soyez, qui êtes réduite à ce pauvre état et en ce grand détroit intérieur : Avez-vous pas souvenance combien méritoire, combien agréable à Dieu et combien divine 286 est la méditation de la mort et passion de Notre-Seigneur ? Oui, me direz-vous. — Eh bien, si la seule méditation qui se passe en la seule pensée est telle, combien plus le sera la ressemblance et conformité à icelle ? Lorsque vous alliez méditant sur ces sacrés mystères, vous ne faisiez état que de l’extériorité, des choses corporelles et visibles qui s’y étaient passées, vous occupant sur iceux (et fort louablement) à exagérer les tourments et les douleurs de votre bénin Sauveur. Mais maintenant voici qu’il vous apprend bien autre chose ; voici que vous commencerez [m236] à connaître, par l’expérience de ce que ressentirez, que beaucoup plus pénible, douloureuse et pénétrante lui fut sa souffrance intérieure en son âme, par la déréliction totale à soi-même qu’endura son humanité sacrée, que non pas tout le reste qui parut au dehors. Et ainsi apprendrez ici une bien plus sublime façon de méditer sur les sacrés mystères, que vous ne fîtes jamais, considérant plus d’ici en avant les angoisses intérieures de son âme, que les plaies extérieures de son corps. Mais ce qui est bien davantage, vous lui ferez compagnie à ces siens travaux intérieurs en endurant 287 ceux-ci à son imitation ; et ainsi lui serez bien plus agréable que si vous fussiez toujours demeurée en la simple méditation et considération d’iceux par images extérieures. Et partant quant à ce que vous vous sentez merveilleusement incitée à demander [m237] à Notre-Seigneur qu’il vous délivre de cette peine et de cet état si angoisseux, c’est ici l’endroit où vous pouvez être semblable en quelque chose à Notre-Seigneur au Jardin d’Olivet ; lequel commençant à entrer en sa passion douloureuse, son humanité sacrée se trouva en si grand détroit que selon son inclination elle se mit à prier : Pater, si possibile est, transeat a me calix iste (Matth., XXVI, 39). Autant en dit votre nature ici au commencement de cet état, désirant décliner un travail si difficile, comme elle prévoit bien lui courir sus.
Mais gardez-vous bien, je vous prie, de vouloir tout à fait, ou de prier tout résolument que Dieu vous délivre de cet état, vous en mettant dehors ; car je vous puis assurer que si jamais vous voulez être du nombre des vrais amis de Notre-Seigneur, il faut que cette opération ici ait son cours, qu’elle s’achève en vous et qu’elle accomplisse [m238] son effet prétendu, et quoiqu’il coûte cher à la nature. 288 Courage, c’est ici le purgatoire d’amour où vous paierez tout le résidu de vos dettes ; c’est ici la vraie épreuve de votre constance, courage et magnanimité au service de notre — Seigneur. C’est ici venir aux effets des offres, des oblations, abandons de vous-même, et des désirs d’endurer quelque chose pour lui, que vous lui avez dressés lorsque vous lui demandiez son divin amour. Où sont maintenant ces offres (262) si libérales d’amour que souliez faire de tout vous-même, au temps de la jouissance de son Esprit ? Où sont ces propos, ces promesses et ces résolutions si généreuses que faisiez lors de ne l’abandonner pour fâcheux et austère qu’il se montrât ? C’est ici que devez faire paraître que vous n’êtes pas amie de paroles seulement, mais beaucoup plus d’œuvre et d’effet. Et par ainsi comme Notre-Seigneur, pour votre [m239] utilité, n’a pas décliné sa mort et sa passion tant amère, ainsi, vous maintenant, en ce rencontre où il y va tant de sa gloire et de sa divine volonté, quoique selon votre naturel appétit vous désiriez décliner le travail de cet état, ne vous laissez néanmoins emporter au désir de cette nature. Ains sachant qu’il 289 est expédient que votre être, votre opérer et tout ce qu’il y a en vous de corrompu ou imparfait meure, pour donner place à l’être divin, à son opérer superessentiel et à tout ce qui est de son pur amour ; meure, meure le tout, et spécialement cette nature inférieure avec toute sa malice, en dépit de sa rage, de son impatience et de tout ce qu’elle saurait vouloir au contraire ; et dites à Dieu : Fiat voluntas tua, que son opération divine s’accomplisse, tout le reste s’accommodant à icelle, et non pas au contraire l’opération divine au naturel désir.
Je sais bien que même souvent vous ne [m240] pourrez faire cette résignation par action toute formée ; car cela même vous sera encore ôté, ainsi que tout autre acte de vertu que penserez quelquefois exercer au besoin, n’étant pas possible d’en former telle action ni pratique si entière qui puisse apporter aucun contentement, satisfaction ou assurance à soi-même de s’être vu faire tel acte contre le mal. Mais paix, quiétude et silence, et cela vous sera au lieu [] de former ladite résignation grossièrement. Car ici Dieu ne se contente pas de paroles seulement ou d’actes légèrement proférés, mais tout 290 ensemble il le faut être aussi [en fait], demeurant en son fond, en état pacifique et content ; et cela lui est assez, encore que ne recevions pas ce contentement que de nous voir former ces actes comme le désirerions bien. Soyez donc réellement résignée, pacifique et contente, le louant en votre cœur en toutes ses œuvres. Et ainsi, encore que ce serait sans mot dire, il vous entendra assez ; et pour maintenant, apprenez à vivre ainsi avec Dieu : car ce sera d’ici en avant la façon dont vous le servirez. [m241]
Si vous demandez quel moyen de se conserver en état pacifique et content, en si grande guerre, inquiétude et irrésignation que l’on ressente ; je réponds qu’il faut tellement laisser passer le tout, quoi qu’il arrive, que l’on apprenne même la patience au milieu de son impatience, résignation en l’irrésignation, voire et patience en l’impatience de son impatience, résignation en l’irrésignation de son irrésignation. Et lorsque vous viendrez à vous ressentir en si pauvre état, que vous compassionnant vous-même en si calamiteux détroit intérieur qu’aurez à passer, vous vous plaindrez à Notre-Seigneur de vous laisser ainsi sans sa divine aide et concours de sa grâce au 291 milieu de si grande (264) nécessité ; ce sera lors, que vous serez en quelque chose conforme à Notre-Seigneur, quand il se deuillait à Dieu son Père de ce qu’il l’avait délaissé. Car soyez assurée que vous passerez toutes ces choses [m242] au point de la lettre, que vous vous verrez vous-même sans feintise la plus pauvre, malheureuse et désolée créature qui se puisse retrouver au monde, comme il vous semblera ; d’autant qu’il n’y a si chétif ou infortuné qui ne trouve vers Dieu ou vers les créatures quelque petit soulas, support ou consolation, là où ici vous vous verrez et sentirez d’assurance en être si éloignée que, quand bien créature, quelle qu’elle soit, voire Dieu même (ce vous semblera), voudrait vous consoler, ne verrez point comme cela se pourrait faire, ni avec quoi il serait possible de vous pouvoir relever d’un si désastreux état.
Mais ce qui est merveilleux en cet endroit est que, bien que l’âme connaîtrait à pur et à plein l’état auquel elle est, et que d’assurance elle saurait cet état de pauvreté et déréliction être l’état si sublime de préparation à la vie superéminente, cela néanmoins ne pourra pas facilement diminuer le 292 ressentiment de son [m243] angoisse, ni soulager sa difficulté au fait de la coopération à cette œuvre divine. Car ce détroit est un trait de la main de Dieu, et tellement de sa main que nul autre que lui y peut rien apporter. Mais comme cette âme peut, elle seule qui le ressent, savoir quelle et combien grande soit cette peine qu’elle endure en cet état ; elle seule aussi ci-après expérimentera la grandeur de la jouissance que Dieu lui communiquera : Quia secundum multitudinem dolorum, consolationes laetificabunt animam suam (PS. XCIII., 19).
Une peine de cette âme qui l’afflige entre mille autres, est celle-ci encore : si je mourais donc en ce pauvre état — ici où je sens si peu d’amour de Dieu, que serait-il de moi ? Car c’est grand cas de voir comme tout le monde (et à bon droit) s’emploie à louer Dieu, à le servir et glorifier, et, pour ceux qui le cherchent plus particulièrement [m244], c’est merveille de les voir si portés à son divin amour, si ardents et si zélés à le chérir et caresser en leur âme ; et que moi, plus éloignée de tout cela que du ciel à la terre, je ressens plutôt tout le contraire ? Car si je parlais selon mon instinct naturel, je me sens plutôt pour le blasphémer, murmurer 293 et gronder contre sa divine opération, que non pas ni d’humblement me soumettre à son divin vouloir, ni d’amoureusement m’incliner à le bénir, glorifier et aimer. Car bien que je fasse quelque chose de semblable, que je me résigne, m’humilie, m’anéantisse et me terrasse en dessous sa divine opération, ce n’est pas néanmoins de volonté entière ou parfaite ni de ma partie inférieure, mais par force, en dépit de moi, contrainte quasi par le divin vouloir. Quel lieu donc me serait propre ? que deviendrais-je, mourant en cet état ? Comment oserais-je me trouver en la présence de Notre-Seigneur, avec une telle disposition en mon âme ? Là où que si je serais morte en l’état précédent, état plein de désir et d’amour, quel (266) plus grand contentement ou quelle [m245] plus grande assurance, que mourir en aimant, ou aimer en mourant ?
Oui, très chère âme, il est bien vrai, rien de plus heureux que de mourir en aimant. Mais celui-là néanmoins n’était pas encore l’aimer plus parfait. Je crois bien, et, d’assurance vous eussiez pu mourir avec plus de confiance en Dieu alors que maintenant. Mais au reste vous auriez aussi été bien 294 étonnée après la mort de voir que cet amour qui vous semblait si sincère, si net et si gracieux, était encore tant souillé et mélangé de l’imperfection humaine, la divine opération n’étant pas reçue en telle pureté qu’il était nécessaire ; là où que mourant en cet état ici, vous mourriez appuyée, non pas sur aucun mérite vôtre, puisque vous ne vous en attribuez guère ; non pas en votre propre industrie ou diligence, puisque n’en savez ici apporter aucune ; non pas en votre fidèle coopération, puisqu’il vous semble qu’on vous ôte ici tout votre opérer ; mais appuyée seulement sur l’assurance de l’héritage des enfants de Dieu (Rom., v, 2), et sur les mérites du sang du Sauveur [m246] et mourant ainsi avec si peu de confiance en vous-même, seriez bien étonnée après la mort, de vous trouver si copieuse en mérites, si abondante en grâces et si remplie de dons et richesses spirituelles.
Et puis sachez que si bien en l’état précédent vous viviez en si grande assurance de l’amour divin que vous ressentiez, néanmoins vous étiez la même que vous êtes maintenant, et aussi imparfaite que pour l’heure vous vous ressentez. Que si la malignité, rage et misère de votre 295 nature n’apparaissait point pour être ensevelie et cachée sous la réception de tant de faveurs divines, Dieu néanmoins la voyait bien et vous sondait jusques au fond plus intime, n’ignorant point jusques à quel degré de force, courage et mort de vous-même vous étiez parvenue. Et maintenant, pour le vous faire aussi connaître et vous ôter cette vaine assurance et estimation propre, il sépare en vous sensiblement [m247] l’aide de sa divine opération, afin que voyiez tout à découvert ce qu’en vérité vous êtes. Mourez donc hardiment en cet état, puisque vous connaissant si bien, vous mourez toute méfiante et désappuyée de vous-même.
[ici dictée fidèle sans reprise d’édition, car comporte des notes de G.]
71. Tout le bien de cette âme consiste à endurer fortement les pénibles efforts de sa soustraction, attendant patiemment le désiré retour de l’époux, quand il lui plaira de le faire : et jamais il ne faut chercher sa consolation au créé en quoi que ce soit. Que si on sort au-dehors pour se divertir à quelque chose, il faut que ce soit absolument absolue nécessité. Enfin il faut mourir en l’éternelle agonie (si Dieu l’ordonne ainsi) plutôt que de se rendre infidèle à sa Majesté divine de si loin que ce soit. Cette perte véritable n’est dure qu’au commencement, c’est à savoir pour les jeunes apprentifs ; car elle est facile au milieu, et très douce à la fin. Esprit du Carmel chapitre 11.
72. Quant aux morts que Dieu fait souffrir par lui-même, dans la totale suspension des puissances, qui, comme étroitement liés, sont sans pouvoir et sans mouvement, et cela souventes fois si angoisseusement qu’il n’y a pas de douleur pareille : elles sont pour l’ordinaire les morts et les angoisses du dernier degré et état de l’appétit actif, dont les mystiques ont amplement écrit, et moi aussi. Sur quoi je dis que l’excellente sainteté dans les hommes est inconnue, d’autant qu’il n’y a moment dans la vie, par manière de dire, qu’il ne faille expirer en Dieu. — Tels furent les morts et les douleurs de Job, et les tristes et douloureuses plaintes qu’elles produisirent, les font assez voir telles qu’elles ont été ; à savoir les plus cruelles et les plus horribles qui se puissent penser. Sur quoi on a sujet de s’étonner de ce qu’on voit même plusieurs doctes ignorer ceci, et de ce qu’on explique ces mortels excès très ignoramment contre toute raison et vrai sentiment d’esprit. Que si Dieu ne l’eût justifié lui-même là-dessus, les hommes l’eussent condamné de forcenerie [sic] et de blasphème. Voilà ce que c’est que d’ignorer la science des Saints, et de n’avoir pas d’expérience là-dessus ; ne sachant pas que Job (a) était en même temps profondément tourmenté, en l’esprit
(a. Je crois n’avoir rien laisser expliquer de ces états, dans ce que j’ai écrit sur Job. (Voyez le tome VII des Explications sur le vieux testament.)
aussi bien qu’en son corps. Toutes ses plaintes n’ont été autre chose qu’un continuel excès de douleur amoureuse ; et tant plus il semble avoir perdu et excédé la raison envers Dieu, tant plus et tant mieux il exprime par ces plaintes, l’amour qui le tourmentait plus cruellement, qu’on ne peut concevoir. Car dans son abandonnement universel, il ne savait ou asseoir son pied, c’est-à-dire son appétit, pour pouvoir prendre repos en soi, ni aux créatures ; tant il était de toutes parts étroitement affligé en l’âme et au corps de très de fortes douleurs et angoisses. À quoi ses amis se joignirent, spécialement sa femme, par leurs opprobres et moqueries, pour achever de combler sa misère : car leurs paroles ne servaient qu’à le tourmenter davantage.
Le même arrive tous les jours aux plus intimes amis de Dieu : les uns sont tourmentés en l’esprit au corps, d’autres sont délaissés sans sentiment, sans consolation et sans connaissance en l’esprit ; de sorte que dans leurs infernales langueurs, ils sortent quelquefois par paroles à des excès étranges : ce qu’étant ignorés des hommes, ils les jugent forcenés. Mais les hommes divins, qui ont eux-mêmes passés par cet horrible et affreux désert, en jugent bien autrement. Ils les estiment autant saints en cela même, qu’ils sont violentés au propre exercice de Dieu, qui leur est très mortel excès, exprimant par leurs plaintes la violence des tourments d’amour, qui leur supprime radicalement la vie d’une manière inconcevable. Aussi leurs expressions sont-elles autant éloignées de leur vrai état, qu’ils sont alors perdus inconnuement en Dieu. Les hommes mêmes bien saints ignorent les exercices de Dieu sur les esprits de ses plus intimes 363 amis : c’est pourquoi ils réprouvent ces pauvres affligés, comme chose qui n’a jamais rien été à Dieu. Ce sont ces personnes qui en leurs tourments ne peuvent être consolées, et la consolation des spirituels même augmente de plus en plus leurs tourments. Que si leur corps (a) étaient affligés, ce serait la chose la plus pitoyable qui se puisse penser : mais pour l’ordinaire sa Majesté laisse le corps libre ; et s’il lui plaît d’affliger le corps excessivement, il les laisse libres d’esprit, pour s’occuper en lui, recevant ses caresses amoureuses par ses fréquentes visites, qui les remplit de joie et de lumière ineffable, pendant que le corps est retenu sous la presse des douleurs. Dieu a soin d’eux, et même il semble s’affliger avec eux, leur donnant courage, ou devant l’affliction, ou en l’affliction même pour la soutenir fortement. C’est en ce genre d’excellence (b) que Dieu prend ses souverains délices sur la terre.
(a) quelquefois cela est de la sorte, comme je l’ai éprouvé. (Voyez la vie de l’Auteur partie I chapitre 25 note 3. Etc.
(b) Qui accusera les élus de Dieu ? C’est lui-même qui les justifie (Romain huit verset 13) il y a des serviteurs de Dieu qu’on approuve jusqu’à un certain point ; parce que leur état ne passe pas la portée d’une certaine compréhension humaine, docte, raisonnable, pieuse et droite : mais dès qu’on entre dans des états qui surpassent cette raison éclairée, on entre en défiance. On devrait juger de ces personnes, non par la raison, mais au-dessus de la raison, et penser qu’un état qui a des commencements si bons et incontestables, une fin toute divine, ne doit pas être condamné dans des choses particulières, qui d’elle-même peuvent être pris en bonne part, et qui 364 en Dieu ont un sens divin, comme ce qui est rapporté de sainte Thérèse (en sa vie écrite par l’évêque de Tarassone chapitre 19.) Que Dieu lui dit : ma fille, si je n’avais pas créé le ciel, je le créerais pour toi seule ; ce qui marquerait une extrême ostentation, pris du côté de la raison. Dieu se sert quelquefois des choses les plus profondes et les plus divines en lui, pour exprimer à ses épouses, et l’amour qu’il leur porte, et les desseins qu’il a sur elles. Ces choses prises à la lettre feront toujours de la difficulté ; mais prises dans le véritable sens qu’elles ont été dites, et dans l’usage que Dieu en fait, cela est tout différent. Si on savait les profondes et intimes communications qui se passent entre Dieu et l’âme, on serait étonné de la bonté de Dieu pour ses pauvres créatures ; et je m’étonne moi-même comment elles ne meurent pas d’amour. Dieu remet ses intérêts entre leurs mains, comme elles lui ont remis tout le leur, et semble quelquefois les obliger à disposer de sa justice et de sa miséricorde. Mais mon amour ! N’en dis-je pas trop pour une personne qu’on examine comme coupable ? Mais qu’importe, pourvu que tous vos droits soient conservés, et que votre vérité ne soit ni trahie ni affaiblie. Si la crainte, ô mon amour, pouvait faire entrer en ce cœur un intérêt propre, il faudrait arracher ce cœur ingrat et le punir éternellement.
Fort souvent il faut savoir que tant plus on devient esprit, tant moins on est puissant contre soi-même ; de sorte qu’on ne peut plus faire que très difficilement, par dedans et par dehors, tout ce qu’on faisait auparavant très volontiers et très facilement. La partie inférieure se révolte contre la supérieure : ce ne sont que mauvais sentiments, et mouvement d’appétits et passions révoltées contre Dieu et la vertu, ce qui est si 365 étrange à sentir et à voir qu’on croit être perdu. Alors un petit fétu à remuer semble une grosse poutre ; et enfin on ne se peut imaginer les horribles bourrasques d’un si étrange accident, Dieu tenant ce terrible moyen pour achever d’épurer et de purger l’âme de ses plus subtiles propriétés. Que si l’homme n’est courageux, etc. (Voyez Mortification note 9.) Esprit du Carmel. Chapitre 13.
73. Voyez Foi nue. n. 44.
74. Au reste il se peut trouver des personnes attirées de Dieu, dès leur commencement, assez fortement dans le brouillard mystique, qui dans leur suspension et obscurité sont plutôt contemplants la divinité, par une opération mystique, que faisant purement oraison. Mais comme il se fait qu’en cette suspension ils se trouvent angoissés, et plus ou moins mourants au dedans, à peine leur peut-on persuader ce qu’ils font, ni où ils sont. La raison est que la nature veut toujours sentir et savoir ; et ce n’est le propre que des saints consommés, s’il faut ainsi dire, de se perdre entièrement, par une totale indifférence (a. Indifférence entière : perfection) d’avoir ou de n’avoir pas, d’être ou de n’être pas. Si bien que, quand les directeurs rencontrent de semblables sujets, ce ne leur est pas une petite peine ; parce qu’encore qu’ils les voient et les jugent très bien, il semble toujours à ces âmes, qu’ils ne leur disent jamais ce qu’elles sont ; et s’ils ne se donnent de garde, ils les affligent plus qu’ils ne les consolent. À cette conduite de Dieu si immédiate succède l’exercice des créatures, qui frappant incessamment à tort et à travers, tiennent ces pauvres personnes dans des mortelles et infernales langueurs : si bien que c’est merveille comme une pauvre créature (a) peut longtemps résister à tant et tant de mauvais effets. Aussi est-ce là que ceux qui sont amers, se dépitent, et quittent tout, abhorrant pour jamais la vie de l’esprit : et qui leur commanderait de la pratiquer toute leur vie, les mettrait en un enfer tout vivant. Cabinet mystique. Partie I. Chapitre 2.
(a. Plusieurs quittent faute de courage : et souvent les directeurs se rebutent et abandonnent ces âmes.)
75. Avant que d’arriver à la consommation, qui est le dernier suprême état de cette voie, et qui, comme les autres, contient plusieurs degrés de suréminence, il faut que l’âme passe une infinité de détroits, tantôt de douleurs intérieures et indicibles, tantôt de pauvretés et misères, par les retraites que l’époux fait du sens, et (notez) non jamais de l’esprit, tantôt d’abstractions d’elle-même et des choses créées. Là même. Chapitre 5.
76. Présupposant qu’on soit bien fondé aux règles et maximes de la voie très divine, très éminente et très abstraite, qui consiste en une entière mort et annihilation de toutes choses, aussi bien que de soi-même, et supposé qu’on soit très éloigné, et abstrait éminemment de tout ce qui est et de tout ce qui pourrait être ; je dirai seulement qu’au temps des très grandes désolations et langueurs intérieures, que Dieu fait ressentir à l’âme, exerçant en elle et avec elle l’œuvre divine de son amour, elle doit bien se garder de se plaindre à personne, ou de chercher de la consolation au-dehors parmi les créatures sous prétexte d’indifférence, ou autre que ce soit. Il ne lui sera pas permis non plus de faire aucune lecture tout ce temps-là ; ce serait secrètement se délivrer du gibet amoureux : si ce n’est que l’obéissante charité ou nécessité expresse le demandassent autrement. Toutefois quand elle ne sera pas ainsi attachée ni détenue au gibet d’amour, et dans la très douloureuse et langoureuse mort de l’esprit en Dieu, elle pourra lire. Cabinet mystique. Partie I. Chapitre 6.
77. Le gibet amoureux est de deux sortes ; le premier (a. Premières épreuves fortes) où l’âme se trouve comme pendue et étranglée, après les attraits et manifestations très nues, très simples, très divines et très efficaces de l’essence divine ; touchant, tirant et mouvant l’âme au dedans, l’étendant et la dilatant dans son immense étendue et spatiosité, comme entièrement perdue à soi-même : après, dis-je, le progrès de telles caresses, ce même esprit souverain a coutume d’exercer le divin ouvrage de son amour en l’âme, lui soustrayant et ôtant la satisfaction de sa divine présence et de ses délices divines au-dehors, et quant au sens. Cela lui fait souffrir de très grandes et angoisseuses douleurs, et mêmes impatiences d’esprit, mais en amour. Elle demeure comme suspendue en son pouvoir d’agir, et si profondément tirée et absorbée, qu’il ne lui est quasi pas possible de parler à l’extérieur ni désirer de le faire. Ainsi elle est contrainte d’endurer sans remède des angoisses et douleurs d’amour très intérieures, d’autant que ce qui pourrait venir de sa propre industrie, ou de quelque autre créature, ne peut rien pour sa consolation. Aussi ne peut-elle (b. L’âme sent si vivement l’inutilité des consolations humaines, qu’elle les fuit même) désirer d’être consolée, ni recevoir consolation, ni d’elle-même, ni de tout ce qu’on puisse faire ou dire de plus haut et de plus divin. Voilà le sujet de son angoisseuse et pénible mort.
L’autre (a. Seconde épreuve) gibet de l’âme amoureuse est tout d’une autre sorte. Elle s’y trouve attachée et étranglée beaucoup plus langoureusement et angoisseusement sans comparaison. Car après tous les degrés de manifestations, de vues (b. Il appelle vue, communication, car l’essence de se voit pas.) très lumineuses et très délicieuses de l’essence divine, et après la fidèle pratique de toutes leurs familières, douce et délicieuse caresses essentielles et personnelles (c. C’est la raison pourquoi ne désire plus par elle-même : car il faut nécessairement raisonner du désir comme des autres actes) le désir de l’âme est surcomblé en sa capacité appétitive et active, qui fait que l’âme est très profondément et insensiblement unie et transformée en l’essence divine du suressentiel et suréminent Esprit, qui par son activité l’unit à soi-même, infiniment au-delà de tout être et non-être.
De là vient qu’après que l’âme se sent destituée du désir semblable d’action et d’affection, elle tombe peu à peu dans des tristesses, angoisses, douleurs et impatiences d’esprit ; et il lui semble, si elle n’est bien fondée et instruite, qu’elle n’a plus rien de Dieu, ni de sa divine connaissance, s’étonnant de ce que si à coups, et sans s’en apercevoir, elle se voit tomber en telle extrémité de misères, de langueurs et de morts, pour avoir perdu, comme elle craint, son Objet infini et ses infinies délices et caresses. Elle se voit si ignorante de Dieu et des choses qui lui appartiennent, qu’elle croit qu’il n’y a aucun, si misérable puisse-il être, qui le soit autant qu’elle. D’où vient que ses douleurs, angoisses et impatiences augmentant de plus en plus, sa pauvreté et désolation viennent à tel point, qu’elle voudrait pouvoir mourir mille fois. Néanmoins elle voudrait bien s’en délivrer, non pour son intérêt, ce lui semble, mais pour recouvrer sa perte (a. Nul ne connaît une pareille perte, que celui qui a senti ses ineffables délices) infinie, et par conséquent sa connaissance, sa vie, ses amours et ses délices objectifs. Toutefois si elle voit que les moyens, tant de la part de Dieu que de la créature, lui manque, (b. Seul remède : résignation, abandon) elle se résigne entièrement, pour être à jamais affligée et désolée de toutes parts, voir même étranglée en ce gibet. Ce que nous avons dit servira ici de règle infaillible. --
Il faut noter que les offenses commises contre Dieu, spécialement de ceux qui doivent être parfaits, font extrêmement augmenter leurs croix et langueurs, s’impatientant de plus en plus là-dedans : et ils aimeraient beaucoup mieux pour lors mourir, que vivre ainsi détenus en telles détresses et mortelles angoisses ; et sur ce sujet ils meurent et expirent entièrement en Dieu, leur divin Objet.
Que s’il arrive encore, que les créatures imputent quelque chose à quelqu’une de ces âmes, ou lui donnent quelque mortification contre toute raison ; comme son désir et sa fin sont infiniment éloignés du moindre vice ou imperfection, c’est merveilles si telle âme ne sort pas pour lors à sa justification, et à montrer aux créatures qui l’afflige si mal à propos, combien elle est épurée de toute fin créée, et par conséquent de tous objets, désirs et affections sinistres. Voilà les causes du gibet amoureux de l’âme, vivante seulement à Dieu et en Dieu, destituée d’elle-même, de ses sens, de leurs propres opérations, et transformée au-delà de tout le créé en l’unité suréminente essentielle de Dieu. Là même.
78. En ceux qui commencent et avancent, les tentations procèdent particulièrement des habitudes corrompues de la nature, tant supérieure qu’inférieure : mais dans les parfaits, les tentations s’émeuvent et s’excitent en la partie inférieure non corrompue ; leur partie supérieure étant suspendue en ses actes, par expresse ordonnance de Dieu. Ceux-ci n’ont rien à craindre en semblables efforts, puisque le consentement est autant éloigné d’eux, que les efforts, pressures, et douleurs (a. La douleur qu’on ressent est la sûre marque que la volonté est éloignée de la tentation) sont grandes en ces occasions-là. Néanmoins ils doivent s’anéantir et s’humilier très profondément là-dessus, et s’en rapporter entièrement à leurs directeurs.
Ceux qui ne sont que commençants (b. Voyez Moyen court. Chapitre 2 n. 4. Chapitre 19 n. 1, 2) ne doivent nullement disputer ni escrimer contre leurs tentations, car disputer, débattre, ou réfléchir sur soi-même, pensant par ce moyen repousser la tentation, ou voir s’ils n’y ont pas donné consentement, ce ne serait faire autre chose que harasser les chiens aboyant après soi, et se mettre en danger de se faire mordre. On ne doit non plus se soucier de ces violentes bourrasques, que si on entendait autour de soi une meute de matins aboyant, sans pouvoir mordre ; ou si on voyait passer et repasser devant ses yeux une grande abondance de mouches bourdonnantes. Cabinet mystique. Partie 2. Chapitre 2 n. 2.
79. Quant à la différence de ceux qui sont temporellement (a. Enfer spirituel) damnés, et de ceux qui le sont éternellement, il est à supposer que l’âme immortelle ne peut pleinement jouir de Dieu, ni des droits de sa vie vivante, que par la suppression et l’extinction de sa vie mortelle mourante : ce que je n’entends pas dire de l’âme, qui est vivante ici-bas de la vraie vie divine. Mais je dis qu’en ce corps mortel la purgation des âmes, qui se convertissent à bon escient à Dieu, est faite non tellement quellement, mais par infinie agitation de tentations, comme par autant de tonnerres impétueux, d’efforts très violents, et de mortelles et irréconciliables guerres ; en sorte que tout ce temps-là elles ne savent si elles sont en la grâce de Dieu ou non : il leur semble plutôt d’être en un enfer, que sur la terre en un corps mortel.
Elles combattent (b)
(b. D’où vient qu’ayant dit qu’il ne fallait pas combattre directement les tentations, mais les souffrir et les mépriser, il dit ici que les âmes combattent ? C’est que le plus grand combat que l’âme puisse donner à ses ennemis, est la souffrance et la résignation)
contre tant et de si forts ennemis, dont elles sont pressées et environnées tant au-dehors qu’au dedans, qu’il semble qu’elles aient perdu entièrement cœur et courage en leur bon propos : et toutes leurs puissances sont agitées et occupées de si épaisses ténèbres, misères, confusions et désordres, qu’elles pensent au milieu de toutes ces impétuosités, avoir oublié et du tout délaissé Dieu. Dans cette langueur elles se jugent être la proie des diables, ne pouvant discerner si elles résistent ou non pour la grande véhémence de leurs efforts ; ce qui arrive souvent à ce terme de désolation, qu’elles viennent au dernier degré de l’espérance en la miséricorde de Dieu. Cela se fait ainsi, tant pour l’horreur qu’elles ont conçue de toute leur vie misérablement passée, que pour ne consentir pas aux sujétions et sentiment du plus petit péché qui se puisse imaginer. Car ces âmes en sont autant éloignées que les tristesses, morts et angoisses qui les agitent, sont grandes. Or si ces tristesses et funestes événements, si ces continuelles et comme infernales langueurs, font toute un grand temps et l’expérience de ces âmes ; quelles seront les douleurs, guerres, langueurs, agitations et oppressions de l’enfer temporel, qui environnent et assaillent une âme de toutes parts comme des flots très impétueux, produits et élancés d’une mer pleine d’orages, de tourmentes, et de tempêtes infernales ? Sans doute on ne peut exprimer la moindre des peines mortelles de ces âmes si misérablement damnées temporellement. Je dis damnées ; (a. État terrible) d’autant qu’il leur semble vraiment l’être, et elles ne savent plus de distinction, ce leur semble, entre l’enfer temporel et l’enfer éternel ; entre la damnation et la purgation. Car comme nous avons dit, elles sont si fort remplies de ténèbres, et outrées de toutes sortes de douleurs dans le sens, qu’elles ont oublié Dieu, ce leur semble, en elle-même.
Néanmoins quoique cela se passe ainsi pour leur purgation, elles n’oublient pas néanmoins Dieu : elles espèrent insensiblement en lui ; par la force de son esprit, au plus fort même de leur damnation. Moins encore doit-on penser qu’elles en viennent jusqu’à blasphémer son saint nom ; quoiqu’en vérité elles croient tout ce temps-là être véritablement damnées ; et qu’en cet état les diables fassent contre elles ce qu’ils font en enfer pour tourmenter leurs complices, entassant sur elles monceau sur monceau de tourments intolérables. Mais elles différeront de celles qui sont éternellement damnées, en ce qu’elles ne perdent pas le souvenir de Dieu, ni l’espérance de le voir un jour ; quoique ce sentiment soit très simple et bien éloigné pour lors de leur vue, à cause de leurs incomparables souffrances.
Mais il faut savoir qui (a)
(a. Ce sont les grands pêcheurs qui sont punis si rigoureusement par le diable, selon ce passage de l’Apocalypse [Chapitre 16 verset 19. Chapitre 18 verset 6] : Faites-lui boire la lie de la coupe, ; rendez-lui le double de sa prostitution. Les grands pécheurs sont punis par tous les endroits qui ont servi à leurs crimes ; cela est très certain. Dieu oblige aussi quelquefois des âmes bien pures de se livrer pour certains pécheurs, ou pour des âmes faibles ; et elles souffrent les mêmes choses que si elles avaient été criminelles elles-mêmes.)
sont les âmes qui souffrent cette infernale purgation ? Je dis que ce sont celles qui ont commis un très grand nombre de péchés mortels : c’est pourquoi on ne se doit pas étonner de les voir souffrir de la sorte ; attendu que cela est du droit de la Justice de Dieu, et que c’est ainsi qu’il doit être satisfait de ces âmes jusqu’au dernier point. Tous les tourments de ces pauvres misérables sont spirituels, comme le sont les diables qui les exercent, en esprit de vengeance et de fureur ; et personne ne les saurait concevoir, sinon celles qui les souffrent, et les diables qui les leur font souffrir.
Au reste supposé que telles âmes en viennent, ce semble, jusqu’à s’impatienter en la véhémence de leur peine, ce qui n’est pas ; je dis que cela même serait sans leur su et à leur grand regret ; attendu que leur résignation et leur amour intense sont grandement éloignés de la grâce justifiante et gratifiante, et opèrent cela secrètement au profond de leur appétit raisonnable, avec la force secrète que le Saint-Esprit leur communique à cet effet.
Nous pourrions donner pour exemple de cela, ceux qui sont grandement vexés de maladies violentes et très aiguës, qui pénètrent et agitent en même temps toutes les parties du corps ; en sorte que pour la grande véhémence de leurs douleurs insupportables, ils crient désordonnément, et semblent s’impatienter, et même se désespérer. Néanmoins on ne doit pas penser qu’ils s’impatientent ou se désespèrent pour cela, vu que la volonté et l’appétit raisonnable ne rejettent point ces tourments, mais les acceptent volontiers, quoique secrètement et sans leur sû, par une vive et secrète résignation à la volonté de Dieu, le laissant faire de tout ce qu’il voudra, tant et si longtemps qu’il lui plaira. On voit que cela est vraisemblable, en ce qu’après telles douleurs, et même pendant qu’elles durent, si on leur demande, si elles ne veulent pas prendre patience dans leurs maux pour l’amour de Dieu, afin de satisfaire à sa volonté, se résignant à souffrir amoureusement et patiemment autant qu’il leur sera possible, elles répondent franchement qu’oui. À bien plus forte raison doit-on croire le semblable des âmes, qui sont grièvement damnées selon leurs sens dans un enfer temporel : car comme nous avons dit, elles sont parfaitement résignées au bon plaisir de Dieu, à quelque prix que ce soit, et ne le peuvent jamais oublier.
Au contraire les blasphèmes, les exécrations et le désespoir de ceux qui sont damnés éternellement, sont volontaires ; et aussitôt qu’ils se sont vus jugés à la damnation éternelle, leur volonté pervertie est malheureusement portée à haïr Dieu mortellement, et à le blasphémer sciemment durant l’éternité, avec une rage qui est l’effet de la justice divine. —
Il n’en est pas ainsi de ceux qui ne sont damnés que temporellement ; car quoiqu’ils soient violemment agités et tourmentés en leur sens par les diables, dans leur enfer temporel, ils ne souffrent pas (a. Pour l’ordinaire) à même temps la peine du dam ; et la grâce de Dieu, qui opère secrètement en eux le désir de satisfaire à la Justice, fait qu’ils n’appréhendent nullement cette peine, à cause de leur amour et de leur charité envers Dieu. Néanmoins après cette violente purgation ils commencent à souffrir la peine du dam, mais temporellement ; et cela en la force d’un amour très parfait, lequel ils se sont acquis par cette purgation, avec la connaissance très parfaite de soi-même, et de toutes les vertus requises au parfait amour de Dieu. Cette damnation temporelle consiste pour lors en une peine, que je puis à bon droit nommer la peine du dam, laquelle leur cause tout ce temps-là des langueurs, des soupirs, des gémissements et des douleurs intolérables. Mais tout cela est d’amour en amour et pour l’amour, à cause qu’ils se voient encore si éloignés de la pleine et unitive jouissance de la claire et béatifique vision de Dieu. Il y a donc une infinie différence entre les damnés pour l’éternité et les damnés pour un temps.
Dans ce même enfer temporel, il y a diverses douleurs de peines afflictives et purgatives, et chacun y est différemment purgé selon ses démérites. Ceux qui sont purgés et affligés en moindre degré, ont plus d’amour, de connaissance, de sentiment de Dieu, et de désir de lui satisfaire que les autres, qui le sont pour leurs énormes péchés ; ce qui se fait aussi à mesure et proportion de la charité, de la grâce de Dieu, et de la perfection d’esprit acquis en cette vie.
Il faut encore savoir qu’autre est le bien de la purgation de l’âme en ce sens, et autres celui de la purgation par la peine du dam. Au premier les diables font l’office de bourreaux et de ministres de la Justice de Dieu. En l’autre il n’y ont nul accès ; mais les âmes qui y détenues, ont de grandes arrhes de la gloire future, qu’elles désirent très ardemment ; étant là consolées et visitées (a. Ces consolations finissent leurs tourments) plus abondamment qu’on ne peut exprimer. —
De tout ceci on voit en quoi le dam de ceux qui sont temporellement damnés, diffère du dam de ceux qui le sont éternellement. Celui des premiers a pour sujet Dieu et son amour jouissant ; l’autre a pour sujet en ces maudits et malheureux, l’amour d’eux-mêmes, qui pour se voir privés du souverain bien, qu’ils désirent naturellement et l’eussent bien pu obtenir, les fait enrager pour jamais ; de sorte que se haïssant eux-mêmes, ils enragent une rage diabolique de ce qu’ils ne peuvent se détruire ni supprimer leur vie par la mort.
Ajoutez à ceci que le dam des bons se fait par la souffrance des passions divines en eux en toutes les manières, excepté celle que nous avons exprimée en notre gibet d’amour. C’est ainsi, et non autrement, que plusieurs bonnes âmes sont damnées temporellement, après avoir obtenu la connaissance d’elle-même par la purgation du sens, pour arriver même avant la pleine jouissance de leur objet béatifique, à la contemplation suressentielle de Dieu même. Elles sont, dis-je, damnées de Dieu en Dieu, par des douleurs et des souffrances inexplicables que lui-même leur fait souffrir. Cabinet mystique. Partie 2. Chapitre 2. n. 3.
80. Il faut agoniser (a)
(a. Endroit admirable. Qu’est-ce qui cause tant de tourments que Dieu fait souffrir à l’âme ? C’est pour elle-même, afin de la rendre toute pure ; et c’est pour la divine Justice, qui ne veut rien perdre de ses droits ; si bien que la pureté de la divine Justice, (qui veut tout pour Dieu, et ne voit que Dieu : car la Justice de Dieu est un attribut de Dieu pour Dieu lui-même, qui n’a relation qu’à lui seul ; la miséricorde au contraire est pour les hommes) la justice, dis-je, devant être satisfaite, c’est une des causes du tourment de l’âme. Elle ne peut être satisfaite que l’âme ne soit toute purifiée ; car elle demande sans cesse et ne dit jamais, c’est assez : et d’un autre côté l’âme impure et affaiblie ne saurait porter une telle opération sans souffrir des tourments inexplicables.
vous êtes nés pour choses grandes, je veux dire, pour posséder Dieu en la créature. Sur l’ordre et la vérité de ce fondement vous vous devez délecter de mourir ; et comme mourir est l’extrémité de toute perte, c’est en cela que votre vie doit être trouvée véritable, afin que vous puissiez dire (Galates 2 verset 20) je vis, non plus moi, mais Jésus-Christ vit en moi : ce qui ne sera pas entièrement vrai, si vous avez un seul respir et un seul point sur quoi vous appuyer. C’est ainsi que la créature passe en Dieu d’une manière merveilleuse, et personne ne le fait s’il ne l’expérimente comme vous. Cela vous est désigné dans vos propres exercices. Mais tandis que vous les pourrez suivre, vous ne ferez pas grand-chose ; au contraire, quand il n’y aura rien de cela en vous, vous serez alors par-dessus tout exercice, et tant plus votre suspension sera grande et terrible, tant mieux vous vous trouverez. C’est là qu’est la région des bienheureux esprits, dont les corps ne vivent plus sur la terre, que pour les suivre de tous leurs efforts. Telles sont les plaisirs et la vie ici-bas des amis de Dieu — Mais sans vous perdre si avant, pensez à ce que vous voyez, conformément à ce que vous avez goûté en l’infinie nature de Dieu ; puisque vous l’avez vu et savouré selon votre présente capacité. Si votre vue et votre pensée vous sont un même acte (Notez la vue et la pensée un même acte), dès là votre état est merveilleusement divin, hors de vous, en souveraine mysticité. Ce qui vous reste à faire, est d’endurer fortement la suspension du concours sensible de Dieu pour vos puissances. Il n’y est pas moins que ci-devant, mais c’est d’une toute autre manière ; car on peut dire que maintenant vos 379 puissances sont esprit, comme votre même esprit, et dès là votre simple union est suprême et excellente. Que si à force de mourir vous pouviez être réduit à votre fond, vous auriez traversé une grande région, et vous y êtes déjà entré assez avant. Il s’agit maintenant de l’éternité en la même éternité. Or l’éternité (qui est simple, unique et savoureux amour,) est au-dessus du temps, et ignore toute vicissitude — et ses fleuves étant retournés en leur mer, sont elle-même. Mais je crains fort qu’il n’y ait bien de la distance entre votre reflux et cette mer. —
Au reste, disposez-vous à être persécuté pour Jésus-Christ, et de souffrir les calomnies, jalousies, envies, flatteries et mortelles détractions des faux frères ; c’est votre part, votre sort et votre héritage. Si vous avez d’autre désir que cela, vous n’êtes que simulé, hypocrite, et serviteur délicat. Et à prendre votre âme comme il faut, en qualité d’épouse promise à Jésus-Christ, tant s’en faut qu’étant infidèle en ce point, elle méritât l’étroit et véritable mariage, et l’union très intime avec lui, qu’au contraire, elle ne mériterait que sa disgrâce et sa juste indignation. Mourez donc éternellement en Dieu, afin qu’il vive éternellement en vous. Lettre 45.
[Fin du second tome].
n° [uméros] 62 à 65 des Autorités. Le n° 64 qui couvre une seule ligne renvoie à la clé [n ° X, voir l’annexe donnant correspondance de titre à n°] « Consistence n° 33 : « S.Tomas distingue les vertus… ». La note « (a) » attachée à la dernière ligne du n° 65 ne figure ici que par son début (elle se poursuit à la page 340).
Justifications de la doctrine de madame de La Motte-Guyon, pleinement éclaircie, démontrée et autorisée par les saints Pères grecs, latins et auteurs canonisés ou approuvés ; écrites par elle-même.
Avec un examen de la neuvième et dixième conférence de Cassien sur l’état de l’oraison continuelle, par M. de Fénelon, archevêque de Cambray.
Nouvelle édition, exactement corrigée.
TOME III.
À Paris, chez les Libraires associés. 1790.
Justification du Moyen court, et de l’Explication sur le Cantique
Troisième partie
Il faut que la vive foi de Dieu présent dans le fond de nos cœurs nous porte à nous enfoncer fortement en nous-mêmes, recueillant tous les sens au-dedans, empêchant qu’ils ne se répandent au dehors, chap. 2, no 2.
Après avoir prononcé ce mot de Père, qu’ils demeurent quelques moments en silence avec beaucoup de respect, chap. 3, no 2.
On le regarde comme un médecin ; et on lui présente ses plaies, afin qu’il les guérisse : mais toujours sans effort, et avec (2) un petit silence de temps en temps, afin que le silence soit mêlé d’action, augmentant peu à peu le silence et diminuant le discours, jusqu’à ce qu’enfin, à force de céder peu à peu à l’opération de Dieu, il gagne le dessus.
Lorsque la présence de Dieu est donnée et que l’âme commence à goûter peu à peu le silence et le repos, ce goût expérimental de la présence de Dieu l’introduit dans le second degré d’oraison, chap. 3 nos3 et 4.
Je demande surtout qu’on ne finisse jamais l’oraison sans qu’on demeure quelque temps sur la fin dans un silence respectueux, chap. 4, no 3.
L’âme, par le moyen du recueillement, se tourne tout au-dedans d’elle, pour s’occuper de Dieu qui y est présent, chap. 10, no 2.
Qu’arrive-t-il à cet enfant qui avale doucement le lait en paix sans se mouvoir ? Qui pourrait croire qu’il se nourrit de la sorte ? Cependant, plus il tète en paix, plus le lait lui profite. Que lui arrive-t-il, dis-je, à cet enfant ? C’est qu’il s’endort sur le sein de sa mère : cette âme paisible à l’oraison s’endort souvent du sommeil mystique, où les puissances se taisent, chap. 12, no 5.
Le Seigneur est dans son saint Temple (3), que toute la terre demeure en silence devant lui (a). La raison pour laquelle le silence intérieur est si nécessaire, c’est que le Verbe étant la Parole éternelle et essentielle, il faut, afin qu’il soit reçu dans l’âme, une disposition qui ait quelque rapport à ce qu’il est, chap. 1, no1.
Le silence extérieur est très nécessaire pour cultiver le silence intérieur, et il est impossible de devenir intérieur sans aimer le silence et la retraite.
Ce serait peu de faire oraison et de se recueillir durant demi-heure ou une heure, si on ne conservait pas l’onction et l’esprit d’oraison durant le jour. Là même, no 3.
C’est donc une action, mais une action si noble, si paisible, si tranquille, qu’il semble à l’âme qu’elle n’agit pas, parce qu’elle agit comme naturellement, chap. 21 no 2.
Qu’a-t-elle choisi, Madeleine ? La paix, la tranquillité et le repos. Là même, no 7.
Il faut (b) que toute chair se taise en la présence du Seigneur. Là même, no 11.
Saint Jean rapporte que (c) dans le ciel il se fit un grand silence, chap. 24, no 1.
Tirez-moi, dis-je, ô mon divin Amant, et nous courrons à vous par le recueillement.
Cet excellent parfum opère l’oraison du recueillement, parce que les sens aussi bien que les puissances courent à son odeur, chap. 1, v. 3.
L’âme, dans ce doux embrassement de fiançailles, s’endort du sommeil mystique, où elle goûte un repos sacré qu’elle n’avait jamais goûté. Dans les autres repos, elle s’était bien assise à l’ombre de son Bien-Aimé par la confiance, mais elle ne s’était jamais endormie sur son sein ni entre ses bras. C’est une chose étrange comme les créatures, même spirituelles, s’empressent de retirer l’âme de ce doux sommeil, quoique sous les plus beaux prétextes ; mais elle est si endormie qu’elle ne peut sortir de son sommeil, chap. 2, v. 7.
La douceur qu’elle goûte au-dedans par le recueillement savoureux l’y invite assez, mais quitter cette douceur au-dedans pour ne trouver que des amertumes au-dehors, c’est ce qui est très difficile ; outre que par le recueillement elle vit et se possède, mais (5) par la sortie d’elle-même elle meurt et se perd. La même, v. 14.
L’Amante est si enivrée de la paix et de la tranquillité qu’elle goûtait, qu’elle n’en pouvait sortir, chap. 3, v. 2.
Les pas du dedans sont très beaux, puisque l’Épouse peut toujours avancer en Dieu sans cesser de se reposer. C’est la beauté ravissante de cet avancement que d’être un vrai repos, sans que le repos empêche l’avancement, ni l’avancement le repos : au contraire, plus on se repose, plus on avance, et plus on fait de progrès, plus le repos est tranquille, chap. 7, v. 1.
Comme Dieu est toujours agissant au-dehors et toujours reposant au-dedans, de même cette âme qui au-dedans est confirmée dans un parfait repos est aussi toujours agissante au-dehors, chap. 7, v. 12.
AUTORITÉS
2. Honorons à présent et louons avec hymnes pacifiques la paix divine, dame et maîtresse de toute société et d’assemblée. Car c’est elle qui unit toutes choses, qui est la mère et l’ouvrière 6 de la concorde et de la liaison naturelle qui est en toutes choses. Ce qui fait que toutes choses l’appètent et la désirent, d’autant que c’est elle qui rassemble leur multiplicité divisée à une parfaite unité, et qui maintient en union toutes les parties de l’Univers, qui seraient autrement en une continuelle guerre civile, faisant que toutes demeurent en bon accord ensemble comme dans une même maison.
Donc par la participation de la paix divine, les premières puissances et vertus conciliatrices sont premièrement unies à elles-mêmes, et puis les unes aux autres, et après à l’unique et premier principe de la paix de tout l’Univers, et de suite elles unissent les choses qui sont au-dessous d’elles, premièrement avec elles-mêmes, puis avec les autres, et finalement à la cause et au principe unique et universel de la paix de toutes choses. Et cette paix cheminant sans se diviser par-dessus toutes les créatures, elle borne, renferme et assure toutes choses comme dans de certains cerceaux qui relient et rassemblent les choses divisées, et ne permet pas qu’elles s’en aillent par pièces et par morceaux, séparés les unes des autres, et qu’elles se répandent à l’infini, sortant hors de leurs bornes, sans ordre, sans fermeté ni solidité, abandonnées de Dieu, sortant hors de leur union, brouillées pêle-mêle ensemble avec tout désordre et toute confusion.
Or de ce calme et de cette divine paix que le saint personnage Justus appelle silence et un repos immobile en toute émanation qui se connaît, il n’est pas possible à aucune créature de dire ni de penser ce que c’est, ni comme elle est tranquille 7 et demeure en repos, et comme quoi elle est en elle-même et dedans elle-même, et comment par une éminente raison elle est unie toute entière en elle-même, et comme quoi, soit qu’elle rentre à elle-même ou qu’elle sorte pour se multiplier, elle ne quitte jamais l’union qui lui est propre, mais elle sort au-dehors et elle passe en toutes choses, sans bouger de dedans soi toute entière, par la suréminence de l’union qui surpasse toutes choses. Mais lui attribuant cela même qui est ineffable et inconnu, à elle, dis-je, qui est au-delà de toutes choses, nous nous contenterons de considérer seulement ses participations qui peuvent être entendues par la pensée et exprimées par la parole. Ce que nous ferons autant qu’il est possible aux hommes, et autant que nous-mêmes le pourrons, qui sommes de beaucoup inférieurs à plusieurs bons et saints personnages.
Il faut donc dire en premier lieu que la part divine est la cause productrice de la paix même considérée en soi, tant de l’universelle que de la particulière, et que c’est elle qui tempère toutes choses les unes avec les autres, par le moyen de leur union qui n’est point confuse, par le moyen de laquelle étant unies et conjointes ensemble sans division et sans qu’il y ait du vide en ces deux, elles demeurent néanmoins en l’intégrité de leur espèce, pures, et sans être troublées par le mélange de leurs contraires, et sans rien perdre de leur extrême pureté ni de leur union très exquise. Il faut donc, etc. (Voyez Union no, 1). Des noms divins, chap. 9.
3. Voyez Foi nue, no 3.
4. Voyez Foi nue, no 4.
5. Voyez Foi nue, no 5.
6. Que si (a) votre œil intérieur s’éblouit, lorsqu’il veut s’appliquer aux choses qui sont si fort au-dessus des sens, tâchez au moins de calmer votre esprit (b) ne contestez plus contre la vérité comme vous faites et ne vous défendez plus que contre les illusions (c) de ces idées grossières, que vous avez tirées du commerce perpétuel que nous avons avec les choses corporelles. Mettez-vous au-dessus de cela seulement, et vous serez au-dessus de tout. (*) Nous cherchons l’Unité souveraine, qui est d’une parfaite simplicité de nature, cherchons-la donc dans une parfaite (d) simplicité de cœur.
(a) Ce passage ne se peut entendre que de la contemplation. Voici le titre ou sommaire du Chapitre : simplicité de cœur ; condition nécessaire pour atteindre Dieu. Ce que font en nous les impressions des choses sensibles. Quel sont ce repos et ce silence du cœur, où l’Écriture veut que nous nous tenions pour arriver à la connaissance de Dieu ? Combien l’agitation que produit en nous l’amour des choses du monde nous éloigne de ce bienheureux repos.
(b) Le Traducteur ajoute qu’on ne conteste la plupart du temps que parce qu’on n’entend pas ce que l’on conteste, et la contestation toute seule empêcherait de l’entendre, quand on aurait d’ailleurs assez de lumière pour y entrer.
J’ajoute que si on pouvait apporter un cœur docile, neutre et nu, ce qui paraît des montagnes, en s’expliquant paraîtraient de plain-pied.
(c) Le Traducteur ajoute à côté : on ne trouve Dieu que dans le silence du cœur qui suppose celui des passions, de l’imagination et des sens. Ceux qui se sont accoutumés à ne faire agir que leur imagination sont bien peu capables de connaître Dieu.
(*) Simplicité. n. 6. Union. n. 16
(d) Le Traducteur ajoute, parlant de la simplicité du cœur, qu’elle consiste à ne goûter que Dieu seul, à n’être point touché des choses extérieures et sensibles, dont la multiplicité partage le cœur, et le met en pièces ; c’est-à-dire, de tout ce qui n’est point Dieu, puisqu’il n’y a que Dieu qui n’est ni contenu dans l’espace, ni sujet aux vicissitudes.
Tenez (b) vous en repos, nous dit-elle dans l’Écriture, et vous connaîtrez que je suis le Seigneur. Ce n’est pas dans un repos d’inaction et de paresse qu’elle veut que nous nous tenions, mais dans un repos qui nous (c) mette le calme au-dedans de nous-mêmes en chassant de notre cœur toutes les choses contenues dans toute sorte d’espaces et de lieux, et sujettes aux vicissitudes du temps ; car c’est de là que viennent toutes nos agitations, et ce sont les fantômes dont ces sortes de choses nous ont remplis qui nous empêchent de voir l’unité immuable et toujours égale à elle-même. De la véritable religion, chap. 35.
(b) Ps. 45. v. 11
(c) Ceci est divin.
7. Lorsque Dieu se repose le septième jour, il le sanctifie. Il ne faut pas entendre cela puérilement comme s’il était lassé à force de travailler. Le repos de Dieu signifie le repos de ceux qui se reposent en lui, comme la joie d’une maison signifie la joie de ceux qui se réjouissent dans cette maison. Ainsi lorsque le Prophète dit que Dieu s’est reposé, il marque fort bien le repos de ceux qui se reposent en lui et dont il est lui-même le repos.
8. Cette unité nue est un silence ténébreux et un repos tranquille, que celui-là seul peut avoir à qui la vraie liberté se découvre sans mélange d’aucune malice. Dialogue de la vérité, chap. 20.
9. Jamais le superbe et l’avare ne sont en repos. Le pauvre et l’humble d’esprit conserve dans son cœur une paix profonde. --
C’est donc en résistant aux passions qu’on trouve la vraie paix du cœur et non pas en les contenant. Ainsi la paix du cœur ne se trouve ni dans l’homme charnel, ni dans celui qui est extérieur et sensuel, mais dans les fervents et spirituels. Livre I, chap. 6, § 1 et 2.
10. Si votre conscience est pure, vous serez toujours dans la joie. L’âme qui est ainsi pure dans le fond du cœur peut souffrir beaucoup et sa joie se redouble dans les plus grands maux. Vous jouirez d’un repos très doux si votre cœur ne vous accuse de rien. Les méchants n’ont point de vraie paix, ni de joie intérieure parce que c’est un oracle que Dieu même a prononcé : (a) qu’il n’y a point de paix pour les impies.
Celui qui ne se soucie ni du blâme ni des louanges n’aura rien qui trouble la paix de son cœur. L’âme pure demeure aisément contente et paisible. Livre 2, chap. 6, § 1, 2, 3.
(a) Isaïe 57.v.21.
11. Ô mon âme ! repose-toi, en toutes choses et au-dessus de toutes choses, en ton Seigneur, parce qu’il est le repos éternel des saints. Livre 3, chap. 21, § 1.
12. L’homme sage et spirituel ne considère pas ce qui se passe en lui-même, ni de quel côté souffle le vent de l’inconstance et de l’instabilité humaine, mais ne pensant qu’à s’avancer dans sa voie, il recueille et réunit tous les mouvements de son cœur pour se porter tout à moi comme à son unique et à sa véritable fin. Là-même, chap. 33, § 1.
13. C’est vous qui rendez le cœur tranquille et qui le comblez de paix et de joie. Livre 3, chap. 34, § 1.
15. Alors l’âme, voyant que le corps, pour la moindre opération divine qu’il sente, se voudrait jeter par terre comme mort, parce qu’il ne la peut souffrir, n’étant pas de sa portée, elle désire être en un lieu où elle ne soit point sujette. Elle connaît (a) sa prison lorsqu’elle sent quelque excès du divin amour, mais non pas lorsqu’elle n’y connaît rien autre chose, sinon qu’elle est unie à Dieu. Toutefois l’âme et le corps sont et demeurent ensemble avec si grande paix et obéissance, et avec un si grand silence, qu’il ne se trouve pas un seul désir discordant en aucun d’eux, parce que le corps obéit à l’âme et l’âme à Dieu, de sorte que chacun d’eux a ce qu’il lui faut par l’ordonnance et disposition divine avec une grande paix. En sa Vie, chap. 30.
(a) Notez que ce sont les violences de l’amour qui donnent les désirs de la mort, ou les violences de la nature et non l’union paisible.
16. Voyez Mortification, no 3.
17. Ceci est un recueillement des puissances au-dedans de soi pour jouir de ce contentement avec plus de goût, mais néanmoins, elles ne se perdent et ne s’endorment pas ; la volonté seule est occupée de manière que sans savoir comment, elle demeure captive, seulement elle donne son consentement afin que Dieu la mette dans la captivité, sachant bien qu’elle est captive de celui qu’elle aime. Vie, chap. 14.
18. J’ai déjà dit qu’en ce premier recueillement les puissances de l’âme ne sont point privées de leurs opérations, mais l’âme est si contente avec Dieu que pendant que cela dure, quoique les deux autres puissances, à savoir l’entendement et la mémoire, soient distraites et vagabondes, néanmoins la volonté étant unie avec Dieu, la quiétude et la tranquillité ne se perd point ; au contraire la volonté rappelle peu à peu l’entendement et la mémoire au recueillement. Car quoiqu’elle ne soit pas encore toute absorbée en Dieu, si est-ce toutefois qu’elle est si bien occupée, sans savoir comment, que quelque effort qu’elles fassent, elles ne lui peuvent ravir son contentement. La même, chap. 15.
19. Quand la quiétude est grande et dure longtemps, il me semble que si la volonté n’était liée à quelque chose, elle ne pourrait durer si longtemps en cette paix. Chemin de perfection, chap. 31.
20. Ô fort et puissant amour de Dieu ! Ah ! qu’il lui semble qu’il n’y a rien d’impossible à celui qui aime ! Heureuse l’âme qui a obtenu cette paix de son Dieu, laquelle Notre Seigneur donne pour triompher de tous les travaux et de tous les dangers du monde, car elle n’en redoute aucun pour faire service à un si bon Époux ! Concep. de l’amour de Dieu, chap. 3.
21. Que le spirituel apprenne à se tenir avec un regard amoureux en Dieu, en tranquillité d’esprit, quand il ne peut méditer. Et s’il a scrupule qu’il ne fait rien, qu’il croie que ce n’est pas peu de calmer l’âme et de la tenir en quiétude sans aucune œuvre ni appétit, car c’est ce que Notre Seigneur nous demande par le Prophète : (a) apprenez à vous évacuer de toutes choses et vous connaîtrez savoureusement que je suis Dieu. Montée du mont Carmel, Livre II, chap. 15.
(a) Ps. 45. V. 11.
22. C’est pourquoi il vaut mieux apprendre à mettre les puissances en silence et les accoutumer à se taire afin que Dieu parle. Car (comme nous avons dit) pour arriver à cet état, il faut perdre de vue les opérations naturelles, ce qui se fait, selon le dire du Prophète, quand l’âme selon les puissances (b) vient en solitude et que Dieu parle à son cœur. La même, chap. 39.
(b) Osée 2. V. 14.
23. Que si l’âme commence à se laisser aller à la faveur de la dévotion sensible, elle n’arrivera jamais à la force des délices spirituelles, qui se trouvent en la nudité de l’esprit, moyennant le recueillement intérieur. La même, chap. 39.
24. Voyez Opérations propres, no 15.
25. Il est bien vrai que souvent quand il y a en l’âme de ces communications spirituelles très intérieures et très secrètes, encore que le diable ne puisse découvrir quelles ni comment elles sont, néanmoins pour la grande pause et grand silence que quelques-unes causent dans les sens et les puissances de la partie sensitive, conjecture de là qu’elle les a et que l’âme reçoit quelque grand bien. Nuit de l’âme. Livre II, chap. 23
26. Or il faut entendre, pour savoir trouver cet Époux, que le Verbe, ensemble avec le Père et le Saint-Esprit, est essentiellement caché dans le centre intime de l’âme ; et partant l’âme qui le doit trouver doit se retirer de toutes les choses créées selon la volonté, et entrer dans un très grand recueillement au-dedans de soi-même, ne faisant non plus cas de tout ce qui est au monde que s’il n’était point. C’est pourquoi saint Augustin s’écrie en ses Soliloques : « Seigneur, je ne vous trouvais point dehors, parce que je vous cherchais mal dehors, vous qui étiez dedans. » Dieu donc est (a) caché en l’âme, où le bon contemplatif doit le chercher. Cantique entre l’Épouse et l’Époux, couplet I.
(a) Dieu est caché en l’âme, c’est où il le fait chercher.
27. En ce sommeil spirituel que l’âme a dans le sein de son Bien-Aimé, elle possède et goûte tout le repos, quiétude et tranquillité de la nuit paisible, et reçoit conjointement en Dieu une abyssale et obscure intelligence divine. C’est pourquoi elle dit que son ami est pour elle une paisible nuit,
pareille à l’aube gracieuse.
Elle dit que cette calme et tranquille nuit n’est pas une nuit toute sombre et obscure, mais comme la nuit quand elle approche du point du jour : car ce repos et cette quiétude en Dieu n’est pas à l’âme du tout obscure comme une sombre nuit, mais un repos et quiétude en lumière divine et une nouvelle connaissance de Dieu en laquelle l’esprit, très suavement calme, est élevé à la lumière divine.
En ce repos et silence de la nuit susdite, et en cette notice de la lumière divine, l’âme aperçoit une admirable convenance et disposition de la Sagesse de Dieu. Elle appelle cette musique « silencieuse » ou « sans bruit » parce que, comme nous avons dit, c’est une intelligence calme et tranquille sans aucun bruit de voix, et ainsi on jouit en elle de la douceur de la musique et de la quiétude du silence. Et elle dit que son Ami est cette musique sans bruit parce qu’en lui se connaît et se goûte cette harmonie de musique spirituelle. Là même, couplet 15.
28. Le diable, au temps que Dieu donne à l’âme du recueillement et de la suavité en foi, envie tellement cette paix de l’âme qu’il tâche de jeter de l’horreur et de la frayeur dans l’esprit pour empêcher ce bien, parfois comme la menaçant intérieurement en l’esprit. Et quand il voit qu’il ne peut arriver à l’intérieur de l’âme, à cause qu’elle est fort recueillie et unie à Dieu, au moins par dehors il met en la partie sensitive de la distraction, pour voir s’il pourra tirer l’Épouse de la quiétude de son lit.
Ces peurs s’appellent « veillantes » à cause que de soi elles font veiller l’âme, la réveillant de son doux sommeil intérieur. Cantique entre l’Épouse et l’Époux, couplet 30.
29. Mon âme est si seule, si aliénée et détachée de toutes choses créées supérieures et inférieures, et est entrée si avant avec vous dans le recueillement, que pas une d’elles ne l’atteint point de vue.
Aminadab n’osait paraître.
* Cet Aminadab en l’Écriture sainte, signifie le diable, ennemi de l’âme, qui la combattait toujours et la troublait par son indicible appareil de tentations, afin qu’elle n’entrât en cette forteresse et cachette du recueillement dans l’union de l’Ami, dans lequel lieu l’âme est si favorisée, victorieuse et forte en vertus que le diable n’ose paraître devant elle. D’où vient qu’étant favorisée de l’appui d’un tel bras, et le diable étant tellement mis en fuite, et même l’âme qui est arrivée à cet état l’ayant tellement vaincu, il ne paraît plus devant elle.
* Tromperie. n. 8.
Par une certaine redondance d’esprit, la partie sensitive et ses puissances reçoivent la récréation et délectation par laquelle ces puissances sont attirées au recueillement, dans lequel l’âme boit déjà les biens spirituels. Ce qui est plutôt descendre à leur vue que les goûter essentiellement. L’âme n’use point d’autre terme que de celui de descendre, pour donner à entendre que ces puissances descendent de leurs opérations au recueillement de l’âme, (a) dans lequel Jésus-Christ Notre Seigneur et très doux Époux veuille mettre tous ceux qui invoquent son nom. Ainsi soit-il. Là même, couplet 40.
(a) Je fais la même prière à Notre Seigneur. Plût à Dieu que tous ceux qui combattent ces voies et les décrient en eussent fait expérience. Leur zèle changerait comme celui de Saint Paul ; ils deviendraient les prédicateurs des mêmes choses qu’ils combattent avec tant d’ardeur.
30. Si l’âme veut opérer alors du sien, se comportant d’autre manière que d’une attention amoureuse, fort passivement et tranquillement, sans discourir comme auparavant, elle empêchera les biens que Dieu lui communique en la notice amoureuse, lesquels lui sont communiqués au commencement dans l’exercice de purgation et depuis en une plus grande suavité d’amour, laquelle, comme je dis — et il est ainsi —, si on la reçoit passivement dans l’âme et à la manière de Dieu, non pas à la façon de l’âme, il s’ensuit que pour la recevoir l’âme doit être fort débrouillée, de loisir paisible et calme à la manière de Dieu ; comme l’air, tant plus il est net, pur et tranquille, tant mieux il est éclairé et échauffé du soleil. Partant elle ne doit être attachée à rien, ni à chose de méditation, ni à goût aucun, soit sensible, soit spirituel, parce qu’il requiert un esprit si libre et si anéanti que quelque chose que l’âme voudrait alors faire, soit discourant ou pensant à quelque chose de particulier, ou s’appuyant à quelque goût, cela l’empêcherait et inquiéterait et ferait du bruit dans le profond silence que doit avoir l’âme tant au sens qu’en l’esprit, afin qu’elle puisse entendre cette profonde et délicate parole de Dieu, qu’il parle au cœur en cette solitude, comme il le dit par Osée (a), et qu’elle écoute en une très grande paix et tranquillité, comme dit David (b), ce que parle le Seigneur, parce qu’il parle cette paix en elle.
* Quand donc il arrivera que l’âme se sentira mettre en silence et aux écoutes, le regard amoureux dont j’ai parlé doit être très simple, sans souci ni réflexion aucune, en sorte qu’elle l’oublie presque, pour être tout occupée à entendre, afin que l’âme demeure ainsi libre pour ce qu’on voudra lors d’elle. Vive flamme d’amour, cant. 3, v. 3, § 6.
a. Osée 2 v.14.
b. Ps. 84. V. 9
* Réflexions. n. 3.
31. Cette manière de calme et d’oubli vient toujours avec quelque absorbement intérieur ; partant, lorsque l’âme a commencé d’entrer en ce simple et tranquille état de contemplation (a), en nul temps ni saison elle ne doit vouloir s’employer aux méditations, ni s’appuyer sur des sucs, des goûts et saveurs spirituelles.
a. Notez en nul temps ni saison.
Tâchez d’extirper de l’âme toutes les convoitises de sucs, de goûts et de méditations, et ne l’inquiétez avec aucun soin ni sollicitude des choses d’en haut et encore moins de celles d’en bas, la mettant en toute l’aliénation et solitude possible : car tant plus elle obtiendra cela et tant plutôt elle parviendra à ce calme et tranquillité, avec tant plus d’abondance on lui verse l’esprit de la sagesse divine, amoureux, tranquille, solitaire, paisible, suave, ravisseur de l’esprit, se sentant parfois ravi et doucement navré sans savoir de qui, ni d’où, ni comment, parce que cet esprit lui a été communiqué sans opération propre dans le sens qui a été expliqué. Et une parcelle de ce que Dieu opère en l’âme en ce saint loisir et solitude est un bien inestimable, et plus que l’âme ne saurait penser, ni celui qui la gouverne, et on ne peut voir pour lors combien il éclairera en son temps. Au moins, ce que l’on pourra alors obtenir de sentir, c’est une aliénation et une certaine abstraction de toutes choses, tant plus, tant moins, avec un doux respir de l’amour et vie de l’esprit, avec une inclination à la solitude et un ennui des créatures et du siècle. Car quand on trouve du goût dans l’esprit, tout ce qui est de la chair est dégoûtant.
Mais les biens intérieurs que cette tranquille contemplation laisse imprimer en l’âme, sans qu’elle le sente, sont inestimables, etc. (Voyez Opérations propres, no 20). Là même, § 7.
32. Combien Dieu estime cette tranquillité, ou cet endormissement ou anéantissement du sens, on le peut bien voir en cette conjuration si remarquable et tant efficace qu’il fait au Cantique, disant (a) : Je vous en conjure, ô filles de Jérusalem, par les cerfs et par les chèvres des campagnes, de ne point éveiller ma bien-aimée jusqu’à ce qu’elle le veuille. En quoi il donne à entendre combien il aime l’endormissement et l’oubli solitaire, puisqu’il interpose ces animaux solitaires et retirés. Mais ces maîtres spirituels ne veulent pas que l’âme repose et demeure dans le calme, mais qu’elle travaille et opère toujours, en sorte qu’elle ne donne point lieu à l’opération divine ; et ils font que ce que Dieu va opérant se détruise et s’efface par l’opération de l’âme, etc. Là même, § 11.
a. Cant. 2. V.7.
33. Saint Augustin parlant de la plus haute contemplation : Là on voit la vérité claire sans aucune semblance de corps, elle n’est offusquée d’aucun nuage de fausses opinions. Là, les facultés de l’âme ne sont point opprimées ni laborieuses ; là toute vertu — et qui est seule —, c’est d’aimer ce que vous voyez, et la plus grande félicité, c’est d’avoir ce que vous aimez (Livre 12 Sur la Genèse, chap. 12). Alors le spirituel aura commencé de (b) juger toutes choses, et lui, de n’être jugé de personne, bien qu’en cette vie, il regarde encore comme par un miroir (Traité 102 Sur saint Jean). Éclaircissement des phrases Myst. de Jean de la Croix. P. II, chap. 3, § 3.
b. 1 Cor.2. 15.
34. -- Si le tumulte de la chair ne faisait plus aucun bruit dans une âme, si les fantômes et espèces de la terre, des eaux, de l’air et du ciel même la laissaient en repos, ne lui disant plus rien ; si l’âme ne se disait plus rien elle-même et qu’elle passa au-delà de soi sans rien penser de soi et que dans cet état la vérité même lui parla, non par ces sortes de songes ou de révélations qui se passent dans l’imagination, ni par des voix extraordinaires, ni par aucun autre de ces signes par où il a plu quelquefois à Dieu de se faire entendre, ni par la voix d’aucun homme, ni même par celle d’un ange, ni par le bruit du tonnerre, ni par les énigmes des figures et des paraboles, parce que toutes ces choses disent à qui a des oreilles pour entendre : « Nous ne sommes que l’ouvrage de celui qui subsiste éternellement » ; supposé donc qu’aucune de ces choses ne parlât à cette âme ou qu’elles ne lui disent que ce seul mot et qu’après cela elles se tussent pour lui donner moyen de porter toute son attention vers celui qui les a faites et que nous aimons en elles, et qu’elle l’entendît lui-même, comme nous avons fait en ce moment où, nous étant élevés au-dessus de nous-mêmes, nous avons atteint cette Sagesse suprême qui est au-dessus de tout et qui subsiste éternellement ; que ce qui n’a fait que passer comme un éclair à notre égard fût continu à l’égard de cette âme dont nous parlons et que, sans être partagée par aucune autre vision, elle fût abîmée et absorbée tout entière dans la joie tout intérieure et toute céleste de celle-ci et se trouvât fixée pour jamais dans l’état où nous ne nous sommes vus dans ce moment de pure intelligence qui nous a fait soupirer d’amour et de douleur de n’y pouvoir subsister : ne serait-ce pas là cette joie du Seigneur dont il est parlé dans l’Évangile ? (Confessions, livre 9, chap. 10.) Là même.
35. Hugues de Saint-Victor. Voyez Oraison, § 3, no 14.
36. Le Père Barthélemy des Martyrs. Voyez Opérations propres, no 24.
37. Saint Bernard (ou plutôt l’Abbé Guillaume). C’est ici la fin, c’est la consommation, la perfection, la paix, la joie divine, c’est la joie du Saint-Esprit, c’est le silence au ciel. Car pendant que nous sommes en cette vie, l’amour jouit quelquefois du silence de cette très heureuse paix dans le ciel, c’est-à-dire dans l’âme du juste, qui est le siège de la Sagesse, mais c’est une demi-heure ou presque ce temps-là, et pour ce qui reste des pensées, l’intention en fait une fête perpétuelle au Seigneur. (De l’amour et contemplation de Dieu, chap. 4.) Là même, § 8.
38. Richard (expliquant ces paroles du psaume 23, v. 3 : Qui montera en la montagne du Seigneur, ou qui demeurera en son saint lieu ?). C’est une chose rare de monter en cette montagne, mais beaucoup plus rare d’y demeurer au sommet et de s’y arrêter, mais très rare d’y habiter et de se reposer en la montagne. (Préparation à la contemplation, chap. 76.) Là même.
39. D. Barthélemy des Martyrs. Voyez Opérations de Dieu, no 10.
40. Suarez. La pensée de Dieu même s’unit mieux avec son amour que la pensée ou la connaissance de son amour. Car c’est là la pensée d’une chose créée qui ne conduit pas par elle-même à un tel amour, et même il arrive que lorsque l’âme est portée vers Dieu par amour, si elle est occupée autour de soi ou de ses actes, comme faisant réflexion sur ces actes, pensant ce qu’elle fait, elle est distraite et s’attiédit en l’amour de Dieu. (De l’oraison, chap. 4, etc.) La même, chap. 4, § 2.
41. Blosius. Ici à cause de la connaissance, étant faite sans connaissance, l’âme se repose en Dieu seul aimable, nu, simple et non connu. Car la lumière divine est inaccessible à cause de sa trop grande clarté, d’où vient qu’elle est appelée obscurité. (Institution spirituelle, chap. 12.) Là même, § 2.
42. Le Père Louis du Pont. Ce repos semble être le sommeil que, dans le Cantique, Dieu commande aux âmes de garder. (a) Je vous en conjure, ô filles de Jérusalem, de n’éveiller ni faire éveiller ma bien-aimée jusqu’à ce qu’elle le veuille. L’Épouse répond : « Cette voix est de mon Bien-aimé, ce morceau si doux et avec sûreté ne peut venir que de sa main. » (Vie d’Alvarez, chap. 13.) Là même, § 7.
a. Cant. 2. V.7.
43. Laquelle explication (ajoute le Père Nicolas de Jésus-Maria) saint Bernard avait donnée auparavant, comme aussi saint Anselme, Rupert et saint Thomas, lesquels se sont tous servis à ce sujet du mot de sommeil. Il est dit en l’Écriture (b) : Dieu envoya un sommeil à Adam, auquel lieu d’autres lisent : Dieu envoya une extase à Adam, entendant par cet assoupissement ou sommeil quelque contemplation sublime ; car ainsi l’interprètent saint Ambroise, saint Grégoire, saint Jean Chrysostome, saint Isidore et d’autres commentateurs avec lesquels s’accordent, touchant ladite manière de parler, le bienheureux Thomas de Villeneuve (sur le Cantique) et Suarez au livre II de L’Oraison. La-même, avec beaucoup de citations.
b. Gen. 2. V. 21.
Le même Père rapporte encore :
44. Richard de Saint Victor. Être esprit en l’esprit, c’est entrer en soi-même et se recueillir tout au-dedans de soi, et cependant ignorer entièrement ce qui se passe en la chair et autour de la chair. Là-même, chap. 12, § 2.
45. St Denys appelle (a) cette contemplation la très claire nue du silence qui enseigne secrètement et remplit les entendements aveugles : tout y sonne nuit, silence, ténèbres, ne pas voir, ne pas opérer, abandon des puissances, et comme une réduction de l’âme à son essence, laquelle se tenant vaincue et ainsi recueillie et comme mystiquement essentialisée en soi, se livre toute en union amoureuse et affective à Dieu qui assiste intimement, réellement et présentiellement selon son essence divine en l’essence de cette âme amie, non seulement par titre d’immensité, mais encore par titre d’amitié. Notes sur Jean de la Croix, discours I, phrase 4, § 3.
a. Théol. Myst. Ch. 1.
46. Je ne parle pas ici du recueillement par lequel ceux qui veulent prier se mettent en la présence de Dieu, rentrant en eux-mêmes et retirant, par manière de dire, leur âme dans leur cœur pour parler à Dieu. Car ce recueillement se fait par le commandement de l’amour, qui, nous provoquant à l’oraison, nous fait prendre ce moyen de la bien faire, de sorte que nous faisons nous-mêmes ce retirement de notre esprit. Mais le recueillement dont j’entends parler ne se fait pas par le commandement de l’amour, mais par l’amour même. C’est-à-dire : nous ne le faisons pas nous-mêmes par élection, d’autant qu’il n’est pas en notre pouvoir de l’avoir quand nous voulons et ne dépend pas de notre soin. Mais Dieu le fait en nous par sa très sainte grâce. « Celui, dit la bienheureuse Mère Thérèse de Jésus, qui a laissé par écrit que l’oraison de recueillement se fait comme quand un hérisson ou une tortue, se retire au-dedans de soi, l’entendait bien. Hormis que ces bêtes se retirent au-dedans d’elles-mêmes quand elles veulent, mais le recueillement ne gît pas en notre volonté, mais il nous vient quand il plaît à Dieu de nous faire cette grâce. Or il le fait ainsi. » Rien n’est si naturel au bien que d’unir et attirer à soi les choses qui le peuvent sentir, comme font nos âmes, lesquels les tirent toujours et se rendent à leur trésor, c’est-à-dire à ce qu’elles aiment ; il arrive donc quelquefois, etc. (Voyez Présence de Dieu, no 20.) De l’Amour de Dieu, livre VI, chap. 7.
47. Ainsi arrive-t-il à plusieurs saints et dévots fidèles qu’ayant reçu le divin Sacrement qui contient la rosée de toutes bénédictions célestes, leur âme se resserre et toutes leurs facultés se recueillent non seulement pour adorer ce Roi souverain nouvellement présent d’une présence admirable en leurs entrailles, mais pour l’incroyable consolation et rafraîchissement spirituel qu’ils reçoivent de sentir par la foi le germe divin de l’immortalité en leur intérieur. Où vous remarquerez que tout ce recueillement se fait par l’amour qui, sentant la présence du Bien-Aimé par les attraits qu’il répand au fond du cœur, rapporte et ramasse toute l’âme vers lui par une très aimable inclination, par un très doux contournement et par un délicieux repli de toutes les facultés du côté du Bien-Aimé, qui les attire à soi par la force de sa suavité avec laquelle il lie et tire les cœurs, comme on tire les corps par les cordes et liens matériels.
Mais ce doux recueillement de notre âme en soi-même ne se fait pas seulement par le sentiment de la présence divine au milieu de notre cœur, mais en quelle manière que ce soit que nous nous mettions en cette sacrée présence, il arrive quelquefois que toutes nos puissances intérieures se resserrent et ramassent en elles-mêmes, par l’extrême révérence et douce crainte qui nous saisit, en considération de la souveraine majesté de celui qui nous est présent. Là même.
48. L’âme donc à qui Notre Seigneur donne la sainte quiétude amoureuse en l’oraison se doit abstenir, tant qu’elle peut, de se regarder soi-même ni son repos, lequel, pour être gardé, ne doit point être regardé curieusement, car qui l’affectionne trop le perd. Et comme l’enfant qui, pour voir où il a ses pieds, a ôté sa tête du sein de sa mère, y retourne tout incontinent parce qu’il est fort mignard, ainsi faut-il que si nous nous apercevons d’être distraits par la curiosité de savoir ce que nous faisons à l’oraison, soudain nous remettions notre cœur en la douce et paisible attention de la présence de Dieu, de laquelle nous nous étions divertis. Néanmoins il ne faut pas croire qu’il y ait aucun péril de perdre cette sacrée quiétude par les actions du corps ou de l’esprit, qui ne se font ni par légèreté, ni par indiscrétion, car comme dit la bienheureuse Mère Thérèse, *c’est une superstition d’être si jaloux de ce repos que de ne vouloir ni tousser, ni cracher, ni respirer de peur de le perdre. D’autant que Dieu qui donne cette paix ne l’ôte pas pour de tels mouvements nécessaires ni pour les distractions et divagations d’esprit quand elles sont involontaires. + Et la volonté étant une fois bien amorcée à la présence divine (a) ne laisse pas d’en savourer les douceurs, quoique l’entendement et la mémoire se soient débandés et échappés. Il est vrai qu’alors la quiétude de l’âme n’est pas aussi grande que si l’entendement et la mémoire conspiraient avec la volonté, mais toutefois elle ne laisse pas d’être une vraie tranquillité spirituelle, puisqu’elle règne en la volonté qui est (b) la maîtresse de toutes les autres facultés. Mais pourtant la paix de l’âme serait bien plus grande et bien plus douce si on ne faisait point de bruit autour d’elle et qu’elle n’eût aucun sujet de se mouvoir, ni quant au cœur, ni quant au corps, car elle voudrait bien être tout occupée en la suavité de cette présence divine, mais ne pouvant quelquefois s’empêcher d’être divertie aux autres facultés, elle conserve au moins la quiétude en la volonté, qui est la faculté par laquelle elle reçoit la jouissance du bien. Et notez qu’alors la volonté retenue en quiétude par le plaisir qu’elle prend en la présence divine, elle ne se remue point pour ramener les autres puissances qui s’égarent, d’autant que si elle voulait entreprendre cela, elle perdrait son repos, s’éloignant de son cher Bien-Aimé, et perdrait sa peine de courir çà et là pour attraper ces puissances volages, lesquelles aussi bien ne peuvent être aussi utilement appelées à leur devoir que par la persévérance de la volonté en la sainte quiétude, car petit à petit, toutes les facultés sont attirées par le plaisir que la volonté reçoit et duquel elle leur donne certains ressentiments, comme des parfums qui les excitent à venir auprès d’elle pour participer au bien dont elle jouit. De l’Amour de Dieu, livre VI, chap. 10.
* Distractions. N. 18.
+ Volonté de Dieu. N. 33.
a. C’est le sentiment de Ste Thérèse (Voyez ci-dessus n. 18. Volonté de Dieu. N. 17. 18.)
b. J’ai écrit en quelque endroit que comme la volonté est la souveraine des puissances, elle attire les autres après elle. (Voyez dans l’article Présence de Dieu, la note sur l’explication du Cant. 3. V. 1 tome II. p. 156.)
49. Qui ne vous aimera, mon amour et ma vie, n’aura jamais en soi ni paix ni repos, car il n’y a point de paix ni de repos qu’en vous, et hors de vous, tout n’est que vanité et affliction d’esprit sur la terre. On ne peut dire que repos des méchants, s’ils en ont, soit un vrai repos : il n’est que bestial et encore moindre que celui des bêtes. Mais l’homme malheureux n’a de repos ici-bas que pour le moment, trouvant toujours qui contrarie son appétit. Et ainsi pauvre et misérable qu’il est, il va consumant sa triste vie à la recherche d’un repos feint et simulé que vos amoureux estiment pire que l’enfer. Contemplation 4.
50. L’oraison de repos mystique savoureux est une plaisante et agréable tranquillité ou repos d’esprit, avec une allégresse de tout l’intérieur qui est accompagnée d’une inclination et mouvement au bien. Livre I, traité I, chap. 6, sect. 1.
51. Cette oraison, dit saint Bonaventure (a), est une admirable et suave tranquillité, procédante en l’âme d’une douceur infuse qui lui est accordée en faveur de ses oraisons fréquentes. L’expérience de ce repos ne se donne qu’à ceux qui sont grands spirituels.
Harphius (b) dépeint ce même repos avec d’autres couleurs. Alors, dit-il, le Père céleste élance de sa face une certaine lumière brillante et simple en la plus haute pointe de la plus simple et nue pensée, etc. Là même, sect. 3.
Le Jour mystique ne parle d’autre chose que de l’Oraison de repos dans le livre I, traité I. depuis le chapitre 3 jusqu’au 13 ou dernier, le tout soutenu d’autorités.
a. Des Sept degrés de Contemplation.
b. Théol. Mystique. L.2 P.4. ch. 61.
1. Le silence est le langage des anges, l’éloquence du ciel et l’art de persuader Dieu.
2. Voyez Prière vocale, no 12.
3. Il dit dans son Énigme, ou dans la figure mise devant ses œuvres, que l’âme qui est au haut de la montagne est dans un silence divin et dans un banquet perpétuel.
4. Tauler. Ici il se fait un certain silence intérieur et muet, et il n’y est pas permis de proférer aucune parole, ni même de rien opérer, ni dedans ni dehors. Mais l’esprit souffre une certaine passion douce, insensible et ineffable dans le miracle surprenant de la Déité abyssale très clairement surluisante (Institutions, chap. 12). Éclaircissement des phrases myst. de Jean de la Croix, IIe partie, chap. 4, § 3.
5. Il y a trois façons de se taire dans le recueillement. La première, quand tous les fantômes, toutes les imaginations et toutes les espèces des choses visibles cessent dans l’âme, en sorte qu’elle se tait à tout ce qui est créé et demeure endormi pour toutes les choses temporelles, et qu’ainsi nous taisant au-dedans de nous, comme le dit saint Grégoire, nous nous recueillons au-dedans de notre âme, pour contempler notre Créateur, ne désirant aucune chose de ce monde. Au contraire, tachant de chasser de notre cœur tout mouvement des choses illicites et même des licites autant qu’on peut, comme l’enseigne le Docteur angélique, des viandes, des vêtements, des pensées licites, et ainsi on jouit d’une grande tranquillité.
La seconde façon de se taire dans le recueillement, c’est quand l’âme, étant mise en silence, a une espèce d’oisiveté spirituelle, demeurant couchée avec Madeleine aux pieds de Notre Seigneur, disant ces paroles : (a) J’écouterai ce que le Seigneur parle en moi, et que Dieu dit à cette âme : (b) écoutez, ma fille, oubliez la maison de votre père, et le roi concevra de l’amour pour votre beauté. Or cette seconde sorte de silence se compare à bon droit à une attention, car celui qui écoute, non seulement il se tait à l’égard des autres choses, mais encore, il veut que tout se taise à son égard, afin qu’il se convertisse plus parfaitement à celui qui lui parle.
Saint Grégoire déclare cette manière d’enseigner dont Dieu se sert, disant (c) que les paroles de Dieu sont sans paroles, qu’il enseigne celui qui se dispose pour entrer en son école à être son disciple, sans syllabes, sans bruit et sans voix.
Le troisième silence de l’entendement se fait en Dieu, quand l’âme se transforme tout en lui et que la volonté savoure la douceur de Dieu et s’endort en lui comme dans la cave des vins et se tait (d) ne désirant rien davantage puisqu’elle se trouve satisfaite. Au contraire, elle dort à soi-même, s’oubliant de la faiblesse de sa condition, parce qu’elle se voit toute divinisée. --
Dans cette troisième sorte de silence, il arrive que l’entendement est si tranquillisé et si occupé qu’il n’entend rien de tout ce qu’on lui dit, comme on rapporte d’un saint vieillard qui s’exerçait en ce silence depuis cinquante ans. Vie de l’Esprit, 1re partie, chap. 18.
a. Ps. 84.v.9.
b. Ps. 44. V. 11, 12.
c. Livr. 28. Des Moral. Ch. 2.
d. Notez ne désirant rien davantage, parce qu’elle est satisfaite : ses délices sont rassasiées et remplies.
6. Toute sorte de connaissances, dit saint Grégoire (a), étant disproportionnée pour connaître Dieu, il faut fermer les yeux si on le veut parfaitement contempler, à la façon de cette bonne vieille qui, entrant dans l’Église, disait à Dieu avec beaucoup de dévotion : « Seigneur, que ce que je vous souhaite m’arrive, et que ce que vous me souhaitez m’arrive. » Et aussitôt avec la foi de ce qu’elle était avec Dieu, et s’abandonnant entre ses mains, elle se taisait intérieurement et extérieurement, demeurant dans cette connaissance négative dont nous avons parlé. Là même, dans les Avis après le chap. 20.
a. Homel. 13. Sur Ezech.
7. Saint Augustin disait à Dieu : « Ô mon très doux Seigneur, faisons un accord, à savoir que je mourrai à moi-même, à condition que vous vivrez en moi, dedans et dehors de moi. Je garderai le silence, mais à condition que vous parlerez en moi et qu’étant assis en la chaise de mon cœur, vous m’enseignerez comme celui qui est le Maître universel et de moi et de tout le monde. Je demeurerai ferme et immobile comme une borne, sans remuer ni pied ni main, me contentant de la vérité de la foi et de la résignation entre vos mains. » Avec cela le saint demeurait comme un mort à l’égard de toutes les choses sensibles et de tout le créé avec un grand silence et beaucoup de quiétude. La même, IIe partie, chap. 20.
Le même auteur rapporte :
8. Saint Bernard. Le silence continuel et le détachement ou l’abstraction de tout ce qui n’est pas Dieu — autant que le permet l’obligation de l’état de chacun — disposent l’âme pour l’union avec Dieu et obligent Sa divine Majesté à nous favoriser de la contemplation. (Sur le Cantique.) Vie de l’Esprit, 1re partie, chap. 1.
9. Saint Thomas. Deux choses sont nécessaires : la première est de recueillir l’âme au-dedans de soi-même, la retirant de la diversité des choses extérieures, la seconde est qu’elle laisse le discours de la raison. (Ult. 2. Quest. 80. Art. 6.) La même, chap. 19.
10. Le Prophète dit que la grandeur, la beauté et la sainteté de Jésus-Christ doivent être honorées par le silence. En effet, il n’y a point de parole qui ne soit indigne de lui. Toutes les expressions et les louanges sont au-dessous de ce qu’il est ; il est ineffable et l’on ne peut parler dignement de lui en sa présence. Sainte Magdeleine n’est pas accusée d’oisiveté pour ne dire mot en la présence de Jésus. Elle le regarde, elle l’entend, elle est pleine de lui et ne peut rien vouloir que lui. Elle est contente en tout, et rien ne peut entrer en elle que son Tout-Aimé. Cette âme recevait sans rien dire. Elle était occupée sans parler. Elle était en tendance universelle de toute elle-même vers lui. Son amour était vivant, et quoiqu’il fût renfermé en elle, il était très bien connu de son Époux, qui l’opérait dans le fond de son âme.
Soyez donc en paix dans votre silence, lorsque le Bien-Aimé par sa présence vous réduira en cet état et vous obligera à vous taire pour vous obliger à le voir, à le considérer, à l’entendre et à porter en paix ses opérations. Il n’est jamais présent à l’âme sans la vivifier et sans opérer en elle quelque renouvellement imperceptible. Lettre 123.
rapporte :
11. Saint Augustin. Voyez Abandon, no 34.
Comme tous sont appelés à la béatitude, tous sont aussi appelés à jouir de Dieu, et en cette vie et en l’autre, puisque la jouissance de Dieu fait notre béatitude.
Je dis de Dieu lui-même et non de ses dons, qui ne pourraient faire la béatitude essentielle, ne pouvant pas contenter pleinement l’âme. Car elle est si noble et si grande que tous les dons de Dieu les plus relevés ne pourraient la rendre heureuse si Dieu ne se donnait lui-même à elle.
On dira que l’on feint d’y être. Je dis que cela ne se peut feindre, puisque celui qui meurt de faim ne peut feindre, surtout pour longtemps, d’être dans un rassasiement parfait. Il lui échappera toujours quelque désir ou envie et il fera bientôt connaître qu’il est bien loin de sa fin. Chap. 24, nos 12 et 13.
Autorités
3. Ô pauvre langue qui ne trouve point de mots ! Ô pauvre entendement, tu es vaincu ! Ô volonté, combien es-tu en repos ! Tu ne veux plus autre chose, parce que tu es noyée de ton rassasiement. Vie, chap. 21.
4. Voyez Perte, no 19.
5. L’âme est si contente de se voir près de la fontaine que même sans boire, elle est toute rassasiée. Il lui semble qu’il n’y a rien à désirer. Chemin de perfection, chap. 31.
6. voyez Quiétude, § II, no 3.
7. Il faut savoir que l’âme se voit tellement investie du torrent de l’Esprit de Dieu et être maîtrisée de lui avec tant de force, qu’il lui semble être inondé de toutes les rivières du monde qu’investissent et noient toutes ses actions et passions dans lesquelles elle était auparavant. Et bien que cela se fasse avec tant de force, c’est sans tourment, parce que ces fleuves sont fleuves de paix, comme l’Époux dit par Isaïe : (a) je ferai descendre sur elle comme un fleuve de paix et comme un torrent qui dégorge la gloire. Et ainsi il la remplit toute de paix et de gloire.
La féconde propriété que l’âme sent, c’est que cette eau divine remplit les vides de son humilité et comble le creux de ses appétits, selon que le dit saint Luc : (b) Il a rempli de biens les affamés. Cantique entre l’Épouse et l’Époux, couplet 14.
a. Isa. 66. V. 22.
b. Luc 1. V. 53.
8. Car en répandant ses odeurs,
lesquelles sont parfois en si grande abondance qu’il semble à l’âme être revêtue de délices et baignée dans une gloire inestimable, en sorte qu’elle sent cela non seulement au-dedans, mais encore il a coutume d’en rejaillir tant à l’extérieur, que ceux qui y prennent garde de près le reconnaissent bien et il leur semble que cette âme est comme un jardin plein de délices et de richesses de Dieu. Et non seulement on aperçoit cela quand ces fleurs sont ouvertes, en ces saintes âmes, mais (c) ordinairement elles portent en soi un je ne sais quoi de grandeur et de dignité qui cause du respect et de la retenue aux autres par l’effet surnaturel qui se répand dans le sujet, provenant de la prochaine et familière communication avec Dieu, comme il est dit de Moïse. La même, couplet 27.
c. Admirable et vrai selon l’expérience.
9. Toute la fin et tout le désir de l’âme et de Dieu en toutes ses œuvres, c’est la consommation de cet état, et jamais l’âme ne se repose jusqu’à tant qu’elle y arrive, parce qu’en cet état, il y a bien plus grande abondance et réplétion de Dieu, une paix plus assurée et plus fiable, et une suavité plus parfaite sans comparaison qu’aux fiançailles. Là même, couplet 28.
10. Encore qu’il soit vrai que cette communication est lumière et feu de ces lampes de Dieu, ce feu est si suave, qu’encore que ce soit une flamme immense, c’est comme des eaux de vie qui rassasient et qui étanchent la soif. Vive Flamme d’amour. Cantique I, v. 1.
11. Ce grand sentiment arrive d’ordinaire vers la fin de l’illumination et purification de l’âme, avant qu’elle parvienne à l’union parfaite où les puissances se rassasient et satisfont pour lors. Là même, v. 3, § 1.
12. Là, le vide est tout plein, mais par différence du plein et sans différence du plein. Là, le vide ou indigent, qui n’est cependant ni vide ni indigent est surcomblé du plein, du plus plein, du très plein et même de la plénitude. Cabinet mystique, Part. I, chap. 8.
13. L’union amoureuse, dit Gerson (a), en laquelle consiste la théologie mystique, tranquillise l’âme, rassasie sa faim et l’affermit. Car comme chaque chose se tient en repos, lors qu’elle a acquis sa perfection et que notre esprit par amour est conjoint au souverain Bien perfectionnant, il faut ensuite par nécessité qu’il y trouve son repos, son rassasiement et sa sûreté. Livre I, traité I, chap. 10, sect. 4.
14. Cette opération, dit Harphius (b), s’accomplit en la savoureuse volupté des délices spirituelles, dont la suavité étant goûtée, en même temps le cœur et toutes les puissances sensitives sont abreuvées d’un torrent d’une volupté divine, en sorte que l’âme aimante embrasée par le divin Époux et regorgeante de plaisirs célestes, et comme pénétrés d’une ivresse spirituelle d’un vin délicieux, n’en peut contenir la force ni l’abondance sans qu’elle éclate au-dehors. Livre 3, traité 6, chap. 8, sect. 4.
a. Théol. Myst. Cons. 42.
b. Théol. Myst. Liv. 2. Chap. 41.
Je crois avoir fait assez voir dans les articles Abandon, Mort, Perte, Propriété, Purification, etc. l’importance de ne point réfléchir sur soi. C’est pourquoi j’en dirai peu.
L’âme ne s’aperçoit point de son acte parce qu’il est direct et non réfléchi. Chap. 22, no 6.
Cette Amante ne sait pas que son regard est devenu si épuré, qu’étant toujours directe et sans réflexion, elle ne connaît point son regard. Chap. 4, v. 9.
Le véritable amour n’a point d’yeux pour se regarder soi-même. Chap. 5, v. 8.
Si cette Épouse avait pensé à elle-même, elle aurait dit : (a) ne m’appelez pas belle, elle aurait usé de quelque parole d’humilité. Mais elle est incapable de tout cela, elle n’a qu’une seule affaire, c’est la recherche de son Bien-Aimé. Elle ne peut penser qu’à lui et quand elle se verrait précipitée dans l’abîme, elle n’y ferait point de réflexion. Là même.
a. Ruth 1. v. 20.
Il faudrait écrire tout Jean de la Croix pour dire tous les endroits où il fait voir le dommage des réflexions. Et il y a tant de rapport aux propres opérations que je ne répète point ce qui en a été dit sous cet article-là.
1. Voyez Anéantissement, no 5.
2. Parlant des Illuminés, il dit entre plusieurs autres choses que ce sont des gens remplis d’une certaine inclination déréglée de l’amour (b) naturel, qui est toujours réfléchis sur soi-même. Voyez Propriété, no 23.
b. L’amour-propre réfléchit toujours sur soi, et le pur amour ne regarde que Dieu sans retour sur soi-même.
3. Voyez Quiétude, § I, no 30.
4. Le Père Thomas de Jésus. Dans cette union de l’âme avec Dieu, la force de l’âme est tellement absorbée et retirée de ses autres opérations, qu’elle ne peut en aucune manière réfléchir sur elle-même, ou sur les actes de ses puissances (De la contemplation, livre 5, chap. 13). Éclaircissement des phrases de Jean de la Croix, IIe partie, chap. 4.
5. Il y a des esprits actifs, fertiles et abondants en considérations ; il y en a qui sont souples, repliants et qui aiment grandement à sentir ce qu’ils font, qui veulent tout voir et éplucher ce qui se passe en eux, retournant perpétuellement la vue sur eux-mêmes pour reconnaître leur avancement. Tous ces esprits sont ordinairement sujets d’être troublés en la sainte oraison. De l’Amour de Dieu, livre 6, chap. 10.
6. Voyez Abandon, no 22.
8. L’amour excessivement réfléchi sur soi ne rend que trop souvent et facilement son sujet imaginaire, si bien qu’il demeure pris dans l’effort de son imagination, quoique plus ou moins spiritualisée. Et vivant d’elle plus que de la foi nue, il la croit et la suit au grand préjudice de Dieu, et à son dommage propre. Diverses lumières appartenantes à la vie contemplative, no 71.
C’est pourquoi il est si nécessaire de renoncer à soi-même et à ses opérations propres pour suivre Jésus-Christ, car nous ne pouvons point suivre Jésus-Christ si nous ne sommes animés de son Esprit. Or afin que l’Esprit de Jésus-Christ vienne en nous, il faut que le nôtre lui cède la place. Chap. 21, no 7.
Les directeurs que Jésus-Christ a véritablement rendus ses compagnons, se les associant pour le gouvernement des âmes, n’étant pas morts eux-mêmes, ni crucifiés au monde avec Jésus-Christ, n’apprennent pas à leurs dirigés à se renoncer et crucifier et mourir en toutes choses, afin de ne vivre qu’en Dieu seul et que Jésus-Christ vivent en eux. D’où il arrive que les uns et les autres étant dans une vie fort naturelle et immortifiée, leur conduite est aussi fort humaine. Chap. I, v.6.
Comment sortir de soi ? Par le renoncement et par la fidélité à se poursuivre en toutes choses, sans se permettre aucune satisfaction naturelle et sans prendre vie en soi ni en rien de créé.
Cette sortie de soi-même par le renoncement continuel de tout propre intérêt est l’exercice intérieur que l’Amant céleste conseille aux âmes qui soupirent après le baiser de la bouche. Là même, v. 7.
AUTORITÉS
1. Lorsque je me vois destitué de la grâce et abandonné à ma pauvreté, il ne me reste point alors de meilleur remède que la patience et l’entier renoncement à moi-même, pour ne rien vouloir que ce que Dieu veut. Livre 2, chap. 9, § 6.
2. Quittez tout et vous trouverez tout. Renoncez à tous les vains désirs et vous trouverez le vrai repos. Livre 3, chap. 32, § I.
3. Voyez Propriété, nos 4 et 5.
4. Voyez Sortie de soi, no 10.
5. Ceux qui sont enclins à ces goûts ont une autre grande imperfection, à savoir qu’ils sont fort lâches à marcher par le rude chemin de la Croix, d’autant que l’âme qui aime la saveur, naturellement a du dégoût de l’abnégation. Ils ont plusieurs autres imperfections qui leur naissent de là et que Notre Seigneur guérit avec le temps, par des tentations, dégoûts, aridités et travaux qui font partie de la nuit obscure. La sobriété et la tempérance spirituelle a une trempe et propriété bien différente, vu qu’elle incline l’âme en tout à la mortification, crainte et subjection, faisant voir que la valeur et perfection des choses ne consiste pas en la multitude, mais à savoir renoncer à soi-même, ce qu’ils doivent essayer de faire autant qu’il sera en eux, jusqu’à ce que Dieu les veuille entièrement purifier, les mettant dans la nuit obscure. Obscure nuit, livre I, chap. 6.
6. D. Barthélemi des Martyrs. Voyez Propriété, no 24.
Le Frère Jean de saint-Samson
7. L’amour renoncé, ou la renonciation et abnégation évangélique, est un abandon entier de tout soi à Dieu en toutes choses, sans aucune exception ni d’œuvres ni de temps. En vertu duquel abandon, la créature n’agit, ne pâtit, ne veut, n’ordonne et n’accepte rien pour soi ni pour son propre contentement, mais pour le seul bon plaisir de Dieu infini. Autant de fois qu’il se présente occasion de vraie perte et abandon de tout soi-même à Dieu, pour son infini amour, l’âme vraiment amoureuse le fait toujours, sans exception.
En effet, l’homme qui veut vivre à Dieu et l’aimer comme il faut doit par nécessité mener une vie renoncée, et Dieu désire cela de nous tous, parce que cette sorte de vie est une disposition nécessaire à son amour et qu’elle nous est plus conforme, quoique plus fâcheuse au sens et à la nature. Or ce qui rend une telle vie si difficile à aborder, et même si inconnue, c’est que l’homme n’est presque jamais que dans les sens. S’il monte plus haut que les sens, il ne veut concevoir les choses divines que par voie d’entendement et croit que toute la sainteté doit consister en la forte élévation et dans le lustre de son entendement illuminé de Dieu pour le connaître et le goûter. De là vient que l’homme ne veut point de cette vie renoncée, etc. (Voyez Opérations propres, no 27.) Esprit du Carmel, chap. 2.
8. Il faut encore savoir que les sujets de renonciation ne sont que peu de chose, tandis qu’on a inclination selon Dieu de se porter ou non à quelque acte de mortification, quoique cela soit de grand mérite si on s’y porte par le seul motif du pur amour. Mais la vraie vie renoncée en totale conformité et uniformité est lorsque Dieu, ou les hommes, ou l’un est l’autre ensemble, exigent de nous que nous allions et vivions à sens tout contraire de nous-mêmes, sans considération de temps, de lieu ni de personnes.
Quant à la soustraction des satisfactions momentanées que nous ôtons à nos sens, cela est mieux appelé mortification que renonciation. Car la renonciation regarde les choses qui sont de durée et qui nous sont si dures et contraires qu’il semble que nous n’ayons point de liberté pour nous en délivrer ou pour faire autrement que ce qui se présente à souffrir, quoique nous soyons très libres, même à vouloir cela en notre amoureux désir et en notre amoureuse souffrance. Que si les croix, tant d’esprit que du corps, nous sont si douloureuses, pesantes et ennuyeuses, et de si grande durée que cela passe encore au-delà de ce que je viens de dire, alors nous passons de l’état de renonciation à celui de résignation. Là même.
9. Cette vie renoncée est si surnaturelle qu’elle est par-dessus tous les miracles que les saints ont opérés et opèrent en Dieu. Aussi se trouve-t-il très peu d’hommes qui l’exercent fidèlement. Car il y a beaucoup à pâtir et même, ce me semble, parfois tout — ce qu’il ne faut pourtant pas croire, mais il semble que cela est ainsi, à cause de la grande nudité, destitution et faiblesse dont on est aggravé, avec une totale ignorance de soi et de Dieu, et une entière effusion de ses puissances inférieures. Ce qui fait qu’on ne sait si on est mort ou vif, si on perd ou si on gagne, si on consent ou si on résiste. C’est là que l’âme agonisante, rendant la vie à Dieu, meurt et expire plus de douleur et d’angoisse que d’amour, ce lui semble. Mais cette amoureuse douleur et angoisse qu’elle souffre entre ses bras divins, demeurant là pour jamais entièrement soumise, renoncée et résignée à tout ce qui est de son bon plaisir. Or cette perfection est totalement accomplie et consommée quand on est devenu simple et fort en habitude passive, soit pour contempler Dieu éternellement en très simple et très nue adhésion, ou pour lui adhérer simplement et uniquement en moindre état et constitution. Ou bien pour être totalement perdu et submergé en cette mer infiniment large, vaste et profonde, en laquelle on est totalement refus, simple et éternel, comme elle-même par-dessus toute distinction. Là même.
10. Voyez Opérations propres, no 29.
11. Mais comme il n’est pas tant ici question de cet amour actif comme du passif, vraiment et entièrement renoncé pour toujours, tant à sentir qu’à ne sentir pas les grâces et dons de Dieu et autres choses semblables, ce dernier nous est bien plus sortable parce que nous y pouvons donner plus de satisfaction à Dieu qu’en l’état précédent. C’est donc à quoi il faut nous résoudre, ne laissant rien à faire ou à endurer qui soit en notre pouvoir, afin d’effectuer selon le bon plaisir de Dieu notre Amour.
Or c’est un profond secret, qu’amour hautement exercé en soi-même, par tout le sujet, en tout son objet qui est Dieu, est infiniment autre en état et en constitution, que d’agir et de vivre seulement selon la volonté de Dieu. Quand vous serez perdu entièrement au vaste infini du total océan du même amour, vous verrez si je dis vrai et pourquoi. J’ai bien voulu le dire, afin que vous laissiez le moins noble pour le plus noble, et ce qui est moins, quoique beaucoup, pour avoir le tout. Miroir et flammes d’amour, chap. 3.
12. Voyez Abandon, no 32.
Ce commandement de Jésus-Christ : (a) Renoncez-vous vous-même, est plus que suffisant pour justifier cette proposition.
a. Matth. 16. V. 24, etc.
Pour cette âme, la mort est passée sur toutes choses extérieures, en sorte qu’il n’y a rien qui la puisse satisfaire. S’il y paraît encore quelque chose, c’est un renouvellement d’innocence. Chap. 2, v. 11.
Jusqu’à ce, dit l’Époux, que le jour de la vie nouvelle, que vous devez recevoir en mon Père, commence à paraître et que les ombres qui vous tiennent dans l’obscurité de la foi la plus nue, s’abaissent et se dissipent, je m’en irai sur la montagne de la myrrhe. Chap. 4, v. 6.
L’Épouse invite l’Esprit saint, l’Esprit de vie, de venir souffler en elle, afin que ce jardin si rempli de fleurs et de fruits répande son odeur pour l’utilité de plusieurs âmes.
C’est aussi l’Époux qui demande que la résurrection de cette Épouse se fasse bientôt et qu’elle reprenne une nouvelle vie par le souffle de cet Esprit vivifiant, qui est celui qui doit ranimer et faire revivre cette âme anéantie, afin que le mariage soit parfaitement consommé. Là même, v. 16.
L’Époux ne veut pas non plus que sa Bien-Aimée soit éveillée jusqu’à ce qu’elle s’éveille par l’effet de la voix toute-puissante de Dieu qui l’appelle du tombeau de la mort à la résurrection spirituelle. Chap. 8, v. 4.
Il leur en reste une qualité maligne et opposée à Dieu, jusqu’à ce que Dieu, par de longues, fortes et fréquentes opérations, ait ôté cette qualité maligne, tirant l’âme d’elle-même, lui ôtant toute son infection, lui redonnant une grâce d’innocence et la perdant en lui. C’est ce qu’il appelle la ressusciter innocente du même lieu où sa mère, qui est la nature humaine, fut corrompue. Là même, v. 5.
AUTORITÉS
1. Pour avoir l’être divin, il faut divinement renaître. De la hiérarchie ecclésiastique, chap. 2.
2. Le Bien donc qui est par-dessus toute lumière est appelé lumière spirituelle, comme étant un rayon fontal et originaire, une effusion de lumière qui regorge de toutes parts et qui de sa plénitude illumine tout l’esprit, soit par-dessus le monde, soit autour du monde, soit aussi dans le monde, qui renouvelle toutes leurs puissances et facultés intellectuelles, qui les embrasse et les contient tous. Des noms divins, chap. 4.
4. D’autres disent que cette tranquillité est une résurrection de l’âme qui précède celle du corps. Échelle sainte, degré 29, art. 4.
5. L’homme, pour avancer et pour être spirituellement ressuscité et régénéré en Dieu, doit être mort à la nature déréglée et toujours réfléchie sur elle-même. Dialogue de la vérité, chap. 10.
6. Dieu fait ainsi défaillir l’âme à tout ce qui n’est point Dieu, pour la revêtir de nouveau, étant dénuée et dépouillée déjà de sa vieille peau. Ainsi sa jeunesse se renouvelle comme celle de l’aigle, demeurant revêtue du nouvel homme, lequel, comme dit l’Apôtre (a), est créé selon Dieu. Ce qui n’est autre chose qu’illuminer l’entendement d’une lumière surnaturelle, en sorte que l’entendement humain se fasse divin étant uni avec le divin. Obscure nuit, livre II, chap. 13.
a. Ephes. 4. v. 24.
7. Voyez Mort entière, no 9.
8. Voyez Mort entière, no 10.
9. Notre docteur mystique dit (Vive Flamme, cant. 1, v. 6.) qu’aux âmes parfaites, en cet état tout se convertit en amour et en louanges, n’y ayant déjà plus de levain qui corrompe la pâte, laquelle façon de parler est très véritable et tirée de saint Paul, qui dit : (b) purifiez-vous du vieux levain, afin que vous soyez une pâte toute nouvelle. Éclaircissement des phrases Myst. de Jean de la Croix, IIe partie, chap. 14, § 3.
(b) I Cor. 5. v.7.
Le même rapporte :
10. Saint Bernard. Voyez Purification, no 51.
11. Saint Ambroise. Voyez Création, no 12.
13. Or certains de ceux-ci se sont exercés à cela si heureusement, qu’ils jouissent à présent très abondamment, même pleinement, des fruits éternels de leur amoureux labeur, en la pleine possession desquels on les pourrait dire bienheureux, autant qu’on peut être en cette vie. Certes on ne peut rien dire de cette excellente perception, non pas même ceux qui jouissent de ce bien et quoique leurs écrits en expriment des choses grandes, cela néanmoins n’est rien au respect de ce qui en est : toutes les démonstrations possibles ne sont rien et n’en expriment rien. Là il n’y a que silence et sérénité en amour ineffable. Esprit du Carmel, chap. 14.
14. Tout ainsi que le soleil fait diversement ses effets sur la terre, à proportion qu’il en est proche ou éloigné, afin de la rendre féconde pour le bien des hommes, ainsi le divin soleil de justice ne manque point de produire les effets de son amour dans les hommes, aux uns plutôt, aux autres plus tard, et en différent degré, selon qu’il trouve la terre de leur cœur diversement disposée à cela par la grâce. La saveur et l’expérience que nous avons de cette vérité nous est si délicieuse que nous ne le pouvons assez exprimer. Et c’est de cette manière que nous pénétrons tous les effets de cet amour, lesquels il ne produit dans les âmes que les enrichir de plus en plus de ses grâces, les élevant en lui et leur découvrant sa beauté et vives splendeur, afin de les rendre parfaitement amoureux de lui-même, dont la vue et le goût éternel leur cause tout bien.
Par ces fréquents effets et ces divins succès, ils se dépouillent du vieil homme et se revêtent du nouveau qui est divin en eux et qui les rend divins en lui. Et cela se fait selon les divers degrés de grâce et selon la profonde lumière qu’ils ont reçue par le merveilleux écoulement de la divine sapience.
Ceux qui gisent au-dehors, dans la vie active, et qui y veulent reposer, n’arriveront point aux splendeurs, manifestations et délices de la vie intérieure. Au reste, celui qui est simple selon ces vérités se donne bien de garde de s’empêcher au-dehors ni au-dedans, qui est beaucoup dire, faisant plus de cas infiniment de son simple fond, auquel il est totalement réduit et transfus, que de tout ce que son fond même lui peut produire pour l’occuper et le tirer tant au-dehors qu’au-dedans.
C’est là que l’âme se délecte de Dieu lui-même en simplicité d’esprit et de repos par-dessus la compréhension. Là même, chap. 15.
La prière doit être et oraison et sacrifice.
Il faut que l’âme se laisse détruire et anéantir par la force de l’amour. C’est un état de sacrifice essentiel à la religion chrétienne. Par là, l’âme se laisse détruire et anéantir pour rendre hommage à la souveraineté de Dieu. Chap. 20, no 1 et 3.
Une âme de ce degré porte un fond de soumission à toutes les volontés de Dieu, de manière qu’elle ne voudrait rien lui refuser. Mais lorsque Dieu explique ses desseins particuliers et qu’usant des droits qu’il s’est acquis sur elle, il lui demande les derniers renoncements et les plus extrêmes sacrifices, ah, c’est pour lors que toutes ses entrailles sont émues et qu’elle trouve bien de la peine où elle croyait ne plus en avoir. Et cette peine vient de ce qu’elle était attachée à quelque chose sans le connaître. Chap. 5, v. 4.
L’âme n’a pas plutôt reconnu sa faute qu’elle s’en repent et se relève par un renouvellement d’abandon et une étendue du sacrifice. Ce n’est pas toutefois sans douleur et amertume : la partie inférieure et toute la nature sont saisies de tristesse et de frayeur. Toutes ses actions même en sont rendues plus pénibles et plus amères, mais de l’amertume la plus forte qu’elle eût encore éprouvée. Là même, v. 5.
AUTORITÉS
3. Lorsque la peste attaqua le diocèse de saint Charles, il s’immola en esprit au bon plaisir de Dieu, et en baisant tendrement cette croix, il s’écria du fond de son cœur avec saint André : « Je te salue, ô croix précieuse ! Je te salue, ô tribulation bienheureuse, ô affliction sainte, que tu es aimable ! » De l’Amour de Dieu, livre 12, chap. 9.
4. J’ajoute au sacrifice de saint Charles, celui du grand patriarche Abraham, comme une vive image du plus fort amour qu’on puisse imaginer en créature quelconque. Il sacrifia certes toutes les plus fortes affections naturelles qu’il pouvait avoir, lorsqu’entendant la voix de Dieu qui lui disait : (a) sors de ton pays et de ta parenté et de la maison de ton père, et viens au pays que je te montrerai, il sortit soudain et se mit promptement en chemin sans savoir où il irait.
a. Gen. 12. V. 1 ;
Mais tout ceci n’est rien en comparaison de ce qu’il fit après (a), quand Dieu l’appelant par deux fois et ayant vu sa promptitude à répondre, il lui dit : Prends Isaac ton enfant unique, lequel tu aimes, et va en la terre de vision où tu l’offriras en holocauste sur l’un des monts que je te montrerai. Car voilà ce grand homme qui part soudain avec ce tant aimé et tant aimable fils, fait trois journées de chemin, arrive au pied de la montagne, laisse là ses valets et l’âne, charge son fils Isaac du bois requis à l’holocauste, se réservant de porter lui-même le glaive et le feu. En montant, l’enfant lui dit : Mon Père, voici le bois et le feu, mais où est la victime de l’holocauste ? À quoi il répondit : mon enfant, Dieu se pourvoira de la victime de l’holocauste.
a. Gen. 22. V. 1-10.
Qu’il lie son fils pour l’immoler, il l’a déjà sacrifié dans son cœur. Ah ! de grâce, voyez donc quel holocauste ce saint homme fit en son cœur. Là même, chap. 10.
5. Voyez Franc-arbitre, no 4.
6. Le malin esprit a demandé de vous cribler, dit Jésus-Christ à ses disciples (b). Par là il les disposait à la grande tentation qu’ils souffrirent en sa mort, qui était l’heure de la puissance des ténèbres, en laquelle Dieu avait lâché la bride à la malignité des démons. Pendant tout ce temps-là, tous les disciples, hormis saint Jean, quittèrent le Fils de Dieu. Mais la Sainte Vierge demeura inébranlable dans la foi de son Fils et dans l’estime de sa grandeur. Tenez-vous (c) avec elle recueillie en silence et en paix au pied de la croix de Jésus-Christ. Tenez-vous intimement unie à la vertu et à la force de cette divine Mère, laquelle l’Écriture sainte nous marque avoir été debout sur le Calvaire, pour exprimer la force de son cœur et la constance dans la tribulation de la croix qui était inexplicable. Lettre 153.
b. Luc 22. V. 31.
c. Disposition admirable dans le temps du sacrifice.
7. Mourez donc, je vous prie, à cette partie inférieure et délicate de vous-même, et par là vous ferez un sacrifice qui méritera votre résurrection spirituelle, étant toute revêtue de Dieu et de sa vie par la mort de tout vous-même. Que si vous êtes ainsi morte à tout vous-même et vivante à Dieu seul, votre vie, qui est maintenant cachée au fond de vous avec Jésus-Christ, éclatera en vous et rejaillira hors de vous-même. Ce sera là le fruit de votre mort et de la sépulture entière de vous-même et ce que vous devez espérer, après que vous aurez enseveli votre vieil homme et toutes vos propres facultés dans l’Esprit de Dieu et dans sa propre vie. Pour cela, accoutumez-vous surtout, comme je l’ai dit, à la mort de l’esprit, le soumettant aux jugements et aux pensées d’autrui. Cela vous acquerra facilité pour cette mort que mille fois je veux vous répéter et sans laquelle vous n’aurez jamais en vous la vie divine. Car elle ne se donne à l’âme qu’après qu’elle est morte à sa propre vie, puisque c’est de la mort à elle-même qu’elle doit ressusciter à la vie de Jésus-Christ. Lettre 169.
Ces saints sont inconnus et même persécutés.
C’est là ce qu’une âme bien abandonnée à son Dieu souffre parmi celles qui ne le sont pas. Car les autres font tout ce qu’elles peuvent pour la retirer de sa voie. Mais de même que le lis conserve et sa pureté et son odeur au milieu des épines, sans en être endommagé, aussi ces âmes sont conservées par leur Époux au milieu des contrariétés qu’il faut qu’elles essuient de la part de ceux qui n’aiment qu’à se conduire eux-mêmes et à se multiplier dans leurs propres pratiques, n’ayant point de docilité pour suivre le mouvement de la grâce. Chap. 2, v. 2.
C’est une chose étrange comme les créatures, même (a) spirituelles, s’empressent de retirer l’âme de ce doux sommeil. Là même, v. 7.
a. Toutes les personnes qui commencent à servir Dieu sont ordinairement persécutées des gens du monde parce que la retraite de celles-là est une condamnation publique du désordre de ceux-ci. Mais d’autant plus qu’elles sont persécutées de ces sortes de personnes, d’autant plus sont-elles estimées des honnêtes gens. Il n’en est pas de même des personnes intérieures. Elles sont non seulement persécutées des gens du monde libertins, non seulement des honnêtes gens, mais beaucoup plus des dévots et spirituels qui ne sont pas intérieurs. Ceux-ci le font par zèle, ne connaissant point d’autres voies que celle qu’ils pratiquent. Mais ils reçoivent les derniers outrages des faux dévots et faux spirituels, parce que comme Dieu les éclaire de sa vérité, ils connaissent leurs désordres, leur malice et leur hypocrisie. Et il y a une pareille opposition entre ces gens-là et les vrais spirituels, qu’entre les Anges et les diables.
Mais venez aussi des repaires des lions et des montagnes des léopards, car ce ne sera qu’à travers des plus cruelles persécutions des hommes et des démons comme d’autant de bêtes féroces que vous pourrez arriver à un état si divin. Chap. 4, v. 8.
Comme l’écorce est la moindre partie de la grenade, et qui renferme en soi toute sa bonté, aussi ce qui paraît extérieurement de l’âme de ce degré est très peu de chose au prix de ce qui est caché. Le dedans est plein de la plus pure charité et des grâces les plus réservées, couvertes cependant d’un extérieur très commun, car Dieu prend plaisir de cacher les âmes qu’il veut pour lui-même. En sorte que ceux qui en jugeraient selon l’apparence, les croiraient des plus communes, quoiqu’elles soient les délices de Dieu.
Ce ne sont point de celles-là qui éclatent dans le monde, ni par les miracles, ni par les dons extraordinaires : tout cela est trop peu pour elles. Dieu se les réserve et il en est si fort (a) jaloux qu’il ne les expose pas aux yeux d’hommes, au contraire il les scelle de son sceau, comme il dit lui-même que son Épouse est (b) la fontaine scellée, dont il est lui-même le sceau. Mais pourquoi la tient-il scellée ? C’est que (c) l’amour est fort comme la mort et la jalousie dure comme l’Enfer. Oh, que ceci exprime bien ce que j’avance ! Car comme la mort enlève tout à celui qu’elle tient, aussi l’amour arrache tout à l’âme et la cache dans le secret d’un sépulcre vivant. La jalousie de Dieu est dure comme l’enfer, en ce qu’il n’y a rien qu’il ne fasse pour posséder pleinement ses épouses. Chap. 6, v. 6.
a. Vraiment, ô, mon Dieu, vous êtes un Dieu jaloux ! Il se nomme de ce nom dans l’Exode (Ch. 34. V. 14). La raison de la jalousie de Dieu est le peu qu’il y a d’âmes qui se donnent à lui sans réserve : il ne saurait souffrir de partage. C’est pourquoi il n’a que très peu ou point de goût pour les âmes partagées. Mais pour celles qui se sont données à lui sans partage, il les aime et les regarde comme son propre bien. Il use sur elles de tous ses droits, sans que le franc arbitre l’en empêche, parce que la donation est franche, entière et très libre. Mais aussi, il a pour elles une jalousie proportionnée à l’amour qu’il leur porte. Il ne peut leur souffrir aucune tache : ce sont de ces pièces rares qu’on renferme avec soin dans les cabinets et qu’on n’expose point aux yeux des hommes.
b. Cant. 4. V . 12.
c. Cant. 8. V. 6.
Le raisin a cela de propre que quoiqu’il soit plein de liqueur, ce n’est point pour lui, mais il donne ce qu’il renferme à celui qui le presse. Cette âme est de la sorte : plus elle est pressée et opprimée par la persécution, plus elle se communique et est bienfaisante à ceux mêmes qui lui font du mal. Chap. 7.v.7.
AUTORITÉS
1. Voyez Opérations de Dieu, no 6.
2. Voyez Communications, § II, no 4.
3. Voyez à ce propos comment les saints se réjouissaient au milieu des injures et des persécutions, parce qu’ils avaient quelque chose à offrir à Notre Seigneur. Chemin de perfection, chap. 36.
4. Voyez Souffrance, no 2.
5. Voyez Opérations de Dieu, no 17.
6. Ces saints hommes ne savent ce que c’est du nom de saint ni de sainteté, en eux ni pour eux, quoiqu’ils le sachent bien pour les autres, croyant qu’il ne leur est dû que perpétuelle confusion et ignominie pour leurs péchés. Ils savent seulement ce que c’est que de parfaitement aimer. C’est ce qui fait qu’ils ne se soucient pas comment ni quand mourir, ne craignant non plus la justice divine à la mort qu’en la vie ; et il ne leur importe de mourir seuls ou en public, confessés ou non, quoiqu’ils ne négligent pas de recourir aux sacrements de l’Église. Ils meurent assurément et avec une renonciation de tout soi et par cela même ils sont inconnus aux hommes. C’est pourquoi les diables ont fort peu d’avantages sur eux à ce point de la mort, et ainsi ils meurent plus d’amour que de douleur. Cabinet mystique, IIe partie, chap. 4, no 5.
7. Ces âmes, ô mon amour, sont autant de petites divinités sur la terre, inconnues aux médiocrement spirituels qui ne sont point fondu, réduit et tout perdu en votre immensité, comme elles. C’est pourquoi n’étant pas de même esprit et de même vie, ils les ont à dégoût et souvent à dédain, jusqu’à les calomnier et diffamer, même devant les plus saints. Mais tout cela ne leur sert que pour se mieux enfoncer et se perdre irrécupérablement en vous, ô mon Amour, où elles sont entièrement libres et exemptes des atteintes des langues envenimées et serpentines de ces misérables. Le dernier et le plus haut terme de la sagesse de ces calomniateurs et faux spirituels ne consiste qu’en eux-mêmes. Ils sont enlacés et conduits partout comme indignes esclaves de leurs plus secrètes et occultes propriétés intérieures qui les remplissent d’eux-mêmes et de leurs propres inventions subtiles et diverses, et qui les tiennent ainsi misérablement captifs et serfs d’eux-mêmes. Peut-être qu’en plusieurs d’entre eux, ce mal continuera jusqu’au point de la mort, où leurs yeux seront ouverts.
Mais, mon Amour, quelles sont ces secrètes propriétés ? Ce sont les effets de l’amour-propre et de la superbe spirituelle et très déliée. C’est de là que naît le propre jugement, propre bon-sembler, propre complaisance, propre sagesse, propre recherche en toute occasion. Tout cela n’a de source ni de fin que l’amour de soi-même, et ce sont des vices couverts du manteau de sainteté et des prétextes de vous plaire et de vous aimer. Cependant ces personnes ne sont devant vous qu’ordure et qu’esprit renversé, qui se plaît dans son propre malheur, mais d’une manière subtile et spirituelle. Ils ont une grande estime de leurs voies, de leurs œuvres, de leurs mérites, de leurs sentiments, en un mot d’eux-mêmes. Et pour se couvrir, ils s’humilient par des humiliations feintes et hypocrites devant ceux qu’ils savent éloignés de les croire tels, et desquels au contraire ils attendent des louanges pour s’en chatouiller et s’en délecter à plaisir. Contemplation 3.
8. Voyez Opérations de Dieu, no 20.
9. Ces vrais sages sont bien éloignés (a) de l’esprit d’exagération et de toute indignation, abhorrant les extrêmes comme l’enfer. Aussi savent-ils qu’il ne peut rien arriver à aucun pécheur, tant selon les misères de l’esprit que du corps, qui ne leur puisse arriver par la divine permission. Il est vrai qu’aux pécheurs cela arrive par châtiment, et aux justes, c’est pour leur exercice et leur lustre, pour l’épreuve de leur amour, et pour faire en cela leur purgatoire en cette vie. C’est pourquoi il importe infiniment que ces personnes adhèrent aux jugements secrets de Dieu comme elles font, sachant bien leur infinie profondeur, et qu’ils sont redoutables et adorables comme lui-même en tout ce qu’il permet arriver aux hommes. De la simplicité, traité V, no 25.
a. Ce qu’il veut dire, c’est que quoiqu’ils expriment des grâces de Dieu, ils n’exagèrent point en parlant simplement de leurs expériences. Ils n’ont point non plus d’indignation contre leurs persécuteurs, sachant de quoi ils sont capables.
10. Or c’est la vérité que Dieu prend si grand plaisir au suprême lustre et sainteté des saints, que pour en exercer certains, il permet assez souvent que toute son Église souffre très grande perte et dommage. Témoin saint Bernard en l’exercice qui lui fut donné touchant la prédication de la croisade ; et le roi saint Louis, l’exercice et la fidélité duquel ne se peut voir sans pleurer de compassion et d’étonnement.
Il pourrait sembler aux personnes trop basses, sensibles et faibles, que Dieu ne devait pas se comporter ainsi au préjudice de toute l’Église et pour le bien et le lustre d’une seule âme. Mais c’est un sentiment puéril et une très grande faiblesse et ignorance, attendu que Dieu a aussi peu à faire de tout le créé que de ce qui n’est point. Et comment dira l’argile au potier qui la met en œuvre, pourquoi il lui donne plutôt une forme qu’une autre et pourquoi il la détruit selon son bon plaisir ? Qui est-ce qui pourra reprocher à Dieu ce qu’il fait ou ne fait pas ? Et qui pourra lui imputer à tort, si en un moment il veut anéantir tout le créé ? Il importe infiniment à tout chrétien et à plus forte raison, aux fidèles serviteurs de Sa Majesté, de savoir que sa raison souveraine n’est pas conforme au sens et jugement des hommes qui sont tout répandus en la chair et au sang, et qui tels qu’ils soient, ne sont que terre au respect de la vue et des sentiments que les anges, esprits très purs, ont des raisons et des ordonnances de Dieu lui-même.
C’est une nécessité de nous dépouiller ici du vieil homme et par conséquent de recevoir temporellement le châtiment dû à la justice divine, en la corruption de notre vieil homme à cause duquel nous sommes répandus et totalement plongés dedans les ordures d’innombrables péchés qui accompagnent notre langoureuse vie. C’est pourquoi Sa Majesté, autant juste que miséricordieuse, fait un très grand bien et un avantage incomparable à ses créatures quand il se résout de les châtier, ce semble, à toute rigueur ici-bas, leur ôtant même la vie comme chose qui lui appartient et dont il peut faire ce qui lui plaît et comme il lui plaît, avec bonté, justice et équité. Car en son ordre et prescience éternelle, plusieurs ne seront jamais justes ni sauvés que par le moyen de ses très justes châtiments. Et les autres ne seraient pas sauvés si excellemment ni avec tant de gloire qu’ils le seraient pour s’être donnés en proie à la vie et à la mort à Sa divine Majesté.
Il faut (a) même aller jusque-là que, sans aucune considération de notre propre intérêt, nous désirions que le bon plaisir de Dieu soit fait éternellement à tout événement, vu qu’il en est infiniment digne. De la simplicité, traité V, nos 25 et 26.
a. Sentiments qui ne peuvent venir que d’un amour exquis.
11. Ces personnes sont déjà si parfaitement renouvelées et changées en leur chair mortelle, pleinement assujettie à l’esprit, que ce sont autant d’excellentes déités en terre, séparées et cachées du monde, totalement mortes et crucifiées au monde et à qui le monde est crucifié. Elles connaissent très bien le monde, quel il est, et le monde ne les connaît point. Que si d’aventure il leur est nécessaire de traiter avec lui pour la gloire de Dieu, il les persécute et les outrage cruellement par médisance et calomnie, comme ne les pouvant supporter, à cause de leur vie totalement contraire à la sienne. De la refusion de l’homme en Dieu, traité II, no 27.
12. Voyez Opérations de Dieu, no 23.
On se scandalise de cet état.
On m’objectera que cette âme n’est pas si cachée puisqu’elle aide au prochain. Mais je réponds que c’est ce qui la couvre d’abjection, Dieu se servant de cela pour la rendre plus méprisable à cause des contradictions qu’il faut qu’elle essuie. Pour l’ordinaire, Dieu permet que l’extérieur commun de ces âmes choisies scandalise même ceux qui ont part à leurs grâces, jusque-là qu’ils s’en séparent souvent après que Dieu en a tiré l’effet qu’il prétendait.
L’Époux traite en cela son Épouse comme lui-même. Tous ceux qu’il avait gagnés à son Père (a) ne furent-ils pas scandalisés en lui ? Que l’on examine un peu la vie de Jésus-Christ : rien de plus commun quant à l’extérieur. Ceux qui font des choses plus extraordinaires sont les copies des saints, desquels Jésus-Christ a dit (b) qu’ils feraient de plus grandes œuvres que lui. Ces âmes sont d’autres Jésus-Christ en terre, c’est pourquoi on y remarque moins (c) les traits des saints, mais pour les caractères de Jésus-Christ, si on les examine de près, on les y verra très clairement. Cependant Jésus-Christ (d) est un sujet de scandale aux Juifs et semble une folie aux Gentils. Ces personnes scandalisent souvent dans leur simplicité ceux qui, attachés aux cérémonies légales plutôt qu’à la simplicité de l’Évangile, ne regardent que l’écorce de la grenade sans pénétrer le dedans. Chap. 6, v. 6.
a. Marc 14. V. 27.
b. Jean 14. V. 12.
c. Je veux dire les traits extraordinaires des Saints qui ont paru davantage : car il est certain que leur sainteté consiste à imiter Jésus-Christ.
d. 1 Cor. 1. V. 23.
AUTORITÉS
1. Il y a plusieurs personnes qui s’en étonnent et s’en scandalisent, parce qu’ils n’en savent pas la cause. Et si ce n’était que Dieu me soutient, je serais estimée du monde comme une folle. En sa Vie, chap. 22.
2. Qui voit ces créatures-là et n’entend pas quelles elles sont, les admire plutôt qu’il ne s’en édifie. Nul n’en doit porter jugement, s’il ne veut se tromper. Dialogue, livre III, chap. 10.
4. Il faut vivre inconnu entre les meilleurs hommes et n’être connu que Dieu seul et de ceux qui sont vraiment humbles, dont fort souvent le nombre est si petit qu’à peine en peut-on trouver un seul. Il vaut mieux passer pour indiscret et imprudent que de se justifier là-dessus, si ce n’était au respect des esprits grandement faibles ; mais à l’égard de ceux qui sont grandement sages à leurs propres yeux et qui pour cela sont curieux et subtils examinateurs et scrutateurs des esprits, il ne faut pas le faire. Esprit du Carmel, chap. 9, § 9.
5. Voyez Humilité, no 16.
6. Voyez Humilité, no 17.
7. Disons que ceux qui sont vraiment anéantis selon le dernier et suprême état demeurent dès là même ignorés et inconnus et qu’ils sont différents de beaucoup d’assez saints et excellents mystiques. On ne voit et on ne comprend point comment cela peut être vrai en eux, d’autant qu’on les voit très libres à l’action, dont même les bons et les saints font conscience. Mais il faut savoir que plus on est devenu esprit et divin, à force d’agir, de (a) fluer, de pâtir et de mourir en Dieu, et à force d’aimer, soit dans l’amour, soit par-dessus l’amour, moins (b) doit-on être compris et jugé en ces voies, si ce n’est par un esprit tout semblable. Je ne les dis ni ne les crois pas impeccables, mais leurs fautes sont fort légères et fort petites devant Dieu. Esprit du Carmel, chap. 9, § 21.
a. Fluer veut dire se perdre ne Dieu
b. Je crois que c’est ce que St Paul a voulu dire que le spirituel juge de tout et n’est jugé de personne (1 Cor. 2. V. 15)
8. Je dirai seulement que la vraie liberté des saints et vrais spirituels, dans son action sortie, est prise de ceux qui ne le sont pas pour la même superbe. Aussi est-il vrai qu’à cause des défauts qui s’y peuvent rencontrer, il n’est rien de plus difficile à connaître que la vraie humilité en telles personnes, d’autant que la vraie liberté n’en fait rien paraître en ses actions et paroles sorties. Car cette même liberté outrepasse tout propre intérêt, tant en soi-même qu’en autrui. Elle franchit librement toute crainte et respect humain, n’envisageant que la pure gloire de Dieu, que ces personnes-là désirent ardemment sur toutes choses, mourant à tout ce qui est du dehors et même à cette pratique.
Aussi est-il impossible que ce qui n’a rien de l’esprit voie et goûte l’esprit dans les actions et paroles sorties du vrai spirituel, d’autant que les vues de l’esprit sont simples et uniques en leur élévation, pénétration et étendue, et qu’elles pénètrent d’un clin d’œil des vérités infinies. Là où ceux qui leur sont contraires ne font état que des actions de vertus et de perfection acquise et conservée à force de bras. C’est pourquoi ils jugent les parfaits par leur propre imperfection et défaut et sont souvent blessés d’amertumes dans leur cœur et d’autres immortifications intérieures, par exemple de défiance et d’aversion de ces personnes spirituelles, ne pouvant plus croire de bien d’elles qu’à force de persuasion et à très grande peine.
Cependant ces personnes de si bas aloi ne sont en comparaison des spirituels totalement perdus, que terre, que sens, que tout désordre, qu’immortification de leurs mouvements et passions au-dedans, spécialement sur le fait des actions d’autrui ; ce qui serait encore bien plus véritable si elles étaient en autorité (a) parce que cela leur donnerait toute licence de faire ainsi. Cabinet mystique, I, chap. 7.
a. On rapporte à ce propos du B. Jean de la Croix dans sa vie que dans l’extrémité des peines qu’ils souffrit dans sa dernière maladie, le Prieur du Couvent le traita et le persécuta avec une dureté incroyable, lui refusant tout ce qui pouvait lui donner quelque soulagement, soit dans le corps, soit dans l’esprit et lui procurant tous les ennuis qu’il pouvait. Voyez la Vie du B.J. de la Croix, écrite par l e R.P. Joseph de Jésus-Maria. Livr ; 3. Ch. 17. Voyez aussi dans le Ch. 15 et 19, une autre persécution que le Définiteur de l’Ordre lui suscita environ le même temps.
9. Voyez Opérations de Dieu, no 24.
Dieu est au-dessus des sentiments.
Quand le cœur de l’homme est assez fidèle pour vouloir outrepasser tous les dons de Dieu, afin de ne s’arrêter qu’à Dieu même, Dieu prend plaisir de le combler de ces mêmes dons qu’il ne recherche pas.
Ici l’Épouse préfère son Dieu à ses consolations spirituelles et aux douceurs de la grâce qu’elle éprouvait en suçant le lait de ses mamelles. Chap. 1, v. 3.
Les affections qui naissent de votre cœur sont si éloignées des choses de la terre qu’elles s’élèvent au-dessus des dons les plus excellents pour ne s’arrêter qu’à moi seul. Chap. 4, v. 1.
Autorités
1. Après avoir parlé admirablement de cette première cause de toutes choses, il conclut : Bref, elle n’est ni n’a en soi chose quelconque qui puisse tomber sous les sens. Théologie mystique, chap. 4.
2. Tous les sentiments de l’âme sont tellement saisis et liés en cet amour qu’ils ne savent où ils sont ni ce qu’ils sont. Ils ne connaissent ni ce qu’ils ont fait ni ce qu’ils doivent faire. Dialogue, livre III, chap. 7.
3. J’ai dit autrefois, et je le répète encore, que celui qui commence ne se souvienne point qu’il y ait des caresses et consolations en ceci, parce que c’est une façon fort basse de commencer un édifice si noble et si précieux. Château de l’âme, dem. II, chap.1.
4. Voyez Communication, § I, no 1.
5. Celui qui se veut beaucoup appuyer sur le sens corporel ne sera guère spirituel. Je dis ceci pour ceux qui pensent que par leur seule force et opération de leur sens vil et abject, ils parviendront à la hauteur et aux forces de l’esprit. Non, non, personne n’arrive ici, sinon que le sens corporel demeure dehors. C’est toutefois autre chose (a) quand il dérive de l’esprit quelque affection de sentiment aux sens, parce qu’il peut y avoir en cela beaucoup de spirituel, comme en saint Paul, dont (b) le grand sentiment qu’il avait des douleurs de Jésus-Christ redondait en son corps, ainsi qu’il écrit aux Galates : (c) Je porte en mon corps les stigmates de Notre Seigneur Jésus-Christ. Vive flamme d’amour, cant. II, v. 2.
a. Différence entre être remué par le sentiment, ou qu’il rejaillisse du fond sur les sens.
b. C’est ce que j’ai appelé porter les états de Jésus-Christ. Moyen court. Ch. 8. n. 1, etc.
c. Gal. 6. V. 17.
6. L’âme goûte ici par une admirable manière et participation de toutes les choses de Dieu, Sa Majesté lui communiquant la force, la sagesse, l’amour, la beauté, la grâce et la bonté. Parce que comme Dieu est tout cela, l’âme les goûte toutes par un seul attouchement de Dieu par une certaine éminence ; et parfois, de ce bien de l’âme, il découle sur le corps quelque peu de l’onction de l’esprit, qui semble pénétrer jusqu’aux os, conformément à ce que dit David : (a) Tous mes os diront : Seigneur, qui est semblable à vous ! Et d’autant que tout ce qu’on en peut dire est au-dessous de la chose, il suffit de dire que cela sent la vie éternelle. Là même, V, 4.
a. Ps. 34. V. 10.
7. Saint Bonaventure. Il y a aussi des douceurs sensibles et suavités d’expérience qui sont quelquefois octroyées et infuses aux âmes dévotes, lesquelles étant véritables et venant de Dieu, nous pouvons croire qu’elles sont données à certains apprentis qui n’entendent pas encore clairement les choses spirituelles, afin qu’au moins ils soient consolés du Seigneur par des choses sensibles, puisqu’ils ne connaissent pas encore la vérité des choses purement spirituelles, dans lesquelles il y a une plus grande force, une vérité plus certaine, un avancement plus profitable et une perfection plus pure. Il faut savoir que plusieurs y sont trompés, qui croient que ceci, qui n’a en soi aucun mérite, soit chose. Éclaircissement des phrases de Jean de la Croix, IIe partie, chap. 7, § 2.
grandLe second degré est appelé de quelques-uns oraison de simplicité. Chap. 4, no 1.
Que l’âme se donne bien de garde de chercher d’autre disposition, quelle qu’elle soit, que son simple repos. Chap. 13, no 3.
Il faut quitter la multiplicité de nos actions pour entrer dans la simplicité et unité de Dieu. (a) L’Esprit de Dieu est unique et multiplié, et son unité n’empêche point sa multiplicité. Nous entrons dans son unité lorsque nous sommes unis à son Esprit, comme ayant par là même un même esprit avec lui. Et nous sommes multipliés au-dehors, en ce qui regarde ses volontés, sans sortir de l’unité. Chap. 21, no 4.
a. Sag. 7. V. 22.
Pour unir deux choses aussi opposées que le sont la pureté de Dieu et l’impureté de la créature, la simplicité de Dieu et la multiplicité de l’homme, il faut que Dieu opère singulièrement. Chap. 24, no 2.
On ne peut être uni à Dieu sans la passiveté et la simplicité. Chap. 24, no 11.
Mais pourquoi dit-il à son Amante qu’elle sera dans peu belle de cette double beauté ? C’est que ces yeux et ses regards sont déjà comme ceux des colombes, en ce qu’elle est simple au-dedans, ne se détournant point de la vue de son Dieu ; et au-dehors, dans toutes ses paroles et actions, qui sont sans déguisement.
Cette simplicité colombine est la plus sûre marque de l’avancement d’une âme ; car n’usant plus de détours ni d’artifices, elle est conduite par l’Esprit de Dieu. L’Épouse conçut dès le commencement la nécessité de la simplicité et la perfection de la droiture, lorsqu’elle dit : (a) Ceux qui sont droits vous aiment, mettant la perfection de l’amour dans la simplicité et la droiture de ce même amour. Chap. 1, v. 14.
a. Ci-dessus, v. 3.
Vos yeux, par votre fidélité, droiture et simplicité sont comme ceux des colombes. Cette droiture est pour le dehors et pour le dedans. La vertu de simplicité tant recommandée dans les Écritures nous fait agir à l’égard de Dieu incessamment, sans hésitation, directement, sans réflexion et souverainement, sans multiplicité de desseins, de motifs ou de pratiques, mais uniquement pour plaire à Dieu. Et même quand la simplicité est consommée, on le fait d’ordinaire sans y penser. Agir simplement avec le prochain, c’est agir avec naïveté, sans affectation, avec sincérité sans déguisement et avec liberté sans contrainte. Ce sont là les yeux et le cœur de la colombe qui charment le cœur de Jésus-Christ. Chap. 4, v. 1.
L’Époux, par ces paroles, demande à son Épouse deux choses également admirables : l’une, qu’elle sorte à son égard de ce profond silence dans lequel elle a été jusqu’alors, car comme dans tout le temps de la foi et de la perte en Dieu elle a été dans un grand silence, à cause qu’il fallait réduire son fond dans la simplicité et unité de Dieu seul, à présent qu’elle est entièrement consommée dans cette unité, il veut lui donner cet admirable accord qui est un fruit de l’état consommé de l’âme, savoir l’accord de la multiplicité et de l’unité, sans que la multiplicité empêche l’unité, ni l’unité la multiplicité. Chap. 8, v. 13.
Autorités
1. Ceux qui furent les premiers chefs et les maîtres de notre hiérarchie, ayant été remplis du don du Saint-Esprit, que Dieu même, qui est par-dessus tout être, leur communiqua, et étant envoyés exprès par la même divine bonté afin de publier cette grâce par le monde et de la provigner consécutivement sur les autres, comme ils étaient tous divins, aussi furent-ils très désireux d’attirer les autres après eux et de leur procurer le bien de divine ressemblance. Mais pour le faire (a), ils se sentirent obligés, selon les lois et selon les saintes ordonnances, de nous donner et délaisser par leurs doctrines, écrites et non écrites, les choses plus que célestes en images sensibles, en variété et en multiplicité ce qui est un, simple et ramassé, en formes humaines ce qui est tout divin, sous des enveloppes de corps et de matière ce qui est purement spirituel, et de nous faire entendre les choses qui sont par-dessus tout être par le moyen de celles qui nous sont familières et communes. Ce qu’ils ont fait non seulement à l’occasion des profanes, auxquels même il n’est pas permis de manier les signes et les sacrés symboles, mais pour autant que, comme j’ai dit, notre hiérarchie est toute symbolique, c’est-à-dire qu’elle se sert de signes matériels pour s’accommoder à notre capacité, ayant besoin de choses sensibles pour nous élever par leur moyen plus divinement aux intelligibles. De la hiérarchie ecclésiastique, chap. 1.
a. Raisons pour lesquelles on a été obligé de multiplier, par les paroles et par les figures et symboles, ce qui est simple en soi. L’un simple multiplié par la nécessité de l’expression pour s’accommoder à notre capacité.
2. Cette très heureuse nature qui est Dieu (a), bien que par sa bonté divine elle sort et saille en avant pour se communiquer à tous ceux qui participent en quelque façon des choses saintes et sacrées qui sont en elle, néanmoins elle ne sort jamais hors de l’état immobile et de la ferme assiette qui lui est propre et naturelle. Et elle verse et envoie ses rayons par proportion sur tous ceux qui lui sont faits semblables, sans bouger toutefois de soi-même et sans être tant soit peu démise ni ébranlée en façon que ce soit de son état qui est toujours un et de même sorte. Il en est de même du divin Sacrement de la synaxe. Car bien qu’il ait un principe qui est simple, unique, serré et replié en soi-même, et qu’il se multiplie pour l’amour des hommes en la sainte variété des signes extérieurs, et qu’il passe jusqu’à toute autre représentation de la Divinité qui se fait par images, si est ce néanmoins que de cette multiplicité de signes il se restreint et resserre derechef uniformément à l’unité qui lui est propre et rassemble en un tous ceux qui sont attirés et conduits à lui. De la hiérarchie ecclésiastique, chap. III.
a. Je rapporte ces passages qui semblent ne point convenir à l’homme parce que le même saint a dit plus haut (voyez Consistance n. 1) qu’il fallait que nous fussions conformes à Dieu pour lui être unis. Dieu est simple et un, il faut donc être simple et un.
3. Il l’auteur, le principe, la cause, l’essence et la vie de toutes choses. C’est lui qui renouvelle et qui réforme ceux qui sont glissés et coulés au vice, par lequel est gâtées et corrompues en eux l’image et la ressemblance de Dieu. C’est lui qui affermit saintement ceux qui flottent en quelque sale et impure agitation (*). Il est l’assurance de ceux qui tiennent ferme, la guide qui conduit par la main et qui tire à soi ceux qui tendent et aspirent à lui. Il est la lumière de ceux qui sont illuminés, le principe d’initiation à ceux qui sont initiés la Déité de ceux qui sont divinisés, la simplicité de ceux qui sont unifiés, le principe plus que suressentiellement premier de tout autre principe, le bénin distributeur de celui qui est occulte, autant qu’il est licite de le distribuer. Et pour le dire en un mot, il est la vie des vivants, l’être des êtres, cause et principe de vie et d’être qui produit et conserve l’être aux êtres par sa bonté. C’est pourquoi il n’y a presque pas un traité ni livre de la sainte Écriture où nous ne voyons que la Divinité est louée comme une monade et unité, à cause de la simplicité et de l’unité de son essence qui n’a point de parties, d’une façon surnaturelle par laquelle, comme par une force et vertu unitive, nous sommes faits un, et toutes nos diversités et multiplicités étant rassemblées, nous venons à être recueillis à une monade déiforme et à une unité semblable à Dieu, etc. Des noms divins, chap. 1.
* Union. n. 4.
4. Les puissances intelligibles des esprits angéliques étant épurées de toute matière et multiplicité, entendent ce qui est intelligible en la Divinité spirituellement, immatériellement et uniformément, et leur puissance et leur action intellectuelle est éclairée d’une pureté simple et sans mélange. Là même, chap. 7.
5. Voyez Foi nue, no 1.
7. J’en ai vu d’autres parmi ces hommes dignes d’une éternelle mémoire, qui, étant tout blancs de vieillesse et ayant des visages d’anges, avaient acquis par la ferveur de leurs travaux et par le secours de Dieu, une très parfaite innocence et une très sage simplicité qui n’avait rien de cet affaiblissement de la raison et de cette légèreté puérile qui fait qu’on méprise les vieillards du monde. On ne voyait en eux au-dehors qu’une extrême douceur, une bonté merveilleuse et une agréable gaieté, sans qu’il y eût rien de feint, ni d’étudié, ni de fardé, soit dans leurs paroles, soit dans leurs mœurs, ce qui ne se trouve pas en beaucoup d’autres. Et pour ce qui concernait le dedans de l’âme, ils ne soupiraient d’une part qu’après Dieu et après leur supérieur, comme de petits enfants simples et innocents qui regardent amoureusement leur père. Et d’autre part ils tournaient l’œil de leur âme avec un regard rude et audacieux sur les démons et sur les vices. Échelle sainte, degré 4, art. 20.
8. Sachez, mon Père, que si quelqu’un s’abandonne soi-même volontairement à la simplicité et à l’innocence, le démon ne trouve plus d’entrée dans son âme. Là même, art. 25.
9. Ces sortes de choses sont utiles et nécessaires à ceux qui ont besoin de lumière et de connaissance pour pratiquer les vertus, quoiqu’elles soient entièrement inutiles à ceux qui agissent dans la simplicité et la rectitude du cœur ; car tous n’ont pas la lumière et la connaissance et tous aussi n’ont pas le don de cette bienheureuse simplicité qui est un bouclier contre tous les artifices des démons. Degré 15, art. 64.
10. L’âme qui est douce et paisible est le siège de la simplicité. Degré 24, art. 9.
11. L’âme qui est droite et sincère est la fidèle compagne de l’humilité, au lieu que celle qui est malicieuse et corrompue est la servante et l’esclave de l’orgueil. Là même, art. 11.
12. La simplicité est une habitude de l’âme qui la rend incapable de toute duplicité, et immobile à tous les mouvements de la corruption de l’esprit et à la dépravation du cœur. Art. 14.
13. L’innocence est l’état d’une âme tranquille qui est pleine d’une joie sainte et exempte de tout déguisement et artifice. Art. 17.
14. La rectitude du cœur est une intention droite qui ne recherche point des subtilités et des détours pour s’écarter de la vérité. Elle est aussi sincère dans ses actions que simple et sans fard dans ses paroles. Art. 18.
15. L’innocent est celui qui est dans ma pureté (a) naturelle, où son âme a été créée de Dieu et qui agit et parle avec tout le monde selon cette même pureté. Art. 19.
a. Notez l’innocence dans laquelle il a été créé.
16. L’une des premières qualités des petits enfants est une simplicité tout innocente, et tandis qu’Adam a possédé cette heureuse simplicité, il n’a eu aucune vue de la nudité de son âme, ni aucune honte de la nudité de son corps. Art. 24.
17. La simplicité que quelques-uns ont reçue de la nature est une qualité avantageuse et un bonheur inestimable, mais cette simplicité naturelle est beaucoup inférieure à la simplicité surnaturelle que nous avons comme entée sur la racine malheureuse de notre corruption et de notre malice, par le mérite de nos travaux et de nos sueurs. Car au lieu que la première, qui est celle de la nature, nous donne seulement une aversion de tous les déguisements et de tous les artifices, la seconde, comme étant au-dessus de la nature, nous procure l’humilité la plus sublime et la douceur d’esprit la plus parfaite. Et ainsi, au lieu que la récompense de l’une ne sera pas grande, celle de l’autre sera infinie. Art. 25.
18. Les passions sont bannies de l’âme par une parfaite simplicité et une innocence spirituelle et louable, comme venant de la grâce et non pas de la nature. Car selon David, (a) Dieu, qui est juste, assiste ces âmes simples. Le Seigneur sauve ceux qui ont le cœur droit, et les délices de péchés, sans qu’ils le sentent ou reconnaissent, comme les enfants étant dépouillés de leurs habits, n’ont presque aucun sentiment de leur nudité. Degré 26, art. 65.
a. Ps. 7. V. 11. 12.
19. Un cœur droit se conserve pur dans la multiplicité des opérations et des affaires, et sa multiplicité innocente est comme un vaisseau dans lequel il navigue sûrement. Là même, art. 120.
20. Plus un homme sera recueilli en lui-même et sera devenu simple au fond de son cœur, plus il avancera sans peine dans la connaissance des choses et en comprendra de plus élevées, parce qu’il recevra d’en haut le don de l’intelligence. L’âme pure, simple et constante ne se dissipe point en la multiplicité des actions parce qu’elle fait tout pour honorer Dieu et que, possédant la paix au-dedans de soi, elle tâche au-dehors de ne se rechercher jamais soi-même. Livre 1, chap. 3, § 3.
21. Heureux sont les simples, parce qu’ils jouiront d’une grande paix ! La-même, chap. 2, § 1.
22. Voyez Oraison, § III, no 6.
23. Toutes les grandeurs qui sont ici déclarées sont éminemment en Dieu d’une façon infinie, ou pour mieux dire, chacune de ces grandeurs qui se rapportent ici est Dieu, et toutes ensemble sont Dieu, car autant que l’âme s’unit avec Dieu, elle sent que toutes les choses sont Dieu en un simple être, comme saint Jean le sentit lorsqu’il dit : (a) Ce qui a été fait en lui était vie. Cantique entre l’Épouse et l’Époux, couplet 14.
a. Jean I. v. 3.
25. La raison pourquoi cette opération doit être simple et pure est afin qu’elle n’éloigne pas trop l’âme de l’union et de l’amour fruitif et ne l’approche trop près de la nature, et ne l’abatte pas trop en elle-même, mais qu’au contraire, elle l’approche et la remette immédiatement dans l’union et nous jettes-en l’essence de Dieu, en nous éloignant de nous-mêmes et nous élevant par-dessus la nature. Règle de Perfection, IIIe partie, chap. 15.
26. L’esprit, ou pour mieux dire, tout l’homme rendu déiforme d’une ineffable manière, est si unique et si simple en sa perception qu’il ignore toutes les formes, images et figures scientifiques. Que si on ne les ignore pas parce qu’on les a apprises autrefois, elles sont si éloignées de l’appétit qui ne veut jamais savourer que l’éminente sapience dont il est pénétré, que ce qui ne lui était auparavant que science lui est désormais un vrai goût de sapience divine. Esprit du Carmel, chap. 8.
27. L’âme qui est parvenue à Dieu par la secrète et sensible onction du Saint-Esprit et qui se sent être par-dessus toutes choses créées, dont l’impression lui est si insipide que l’esprit se bouche à cela comme à ce qui est sous ses pieds, ou pour mieux dire, comme à ce qui n’est rien du tout, cette âme est élevée et tirée en Dieu d’une si simple et si vive manière qu’elle est déjà en quelque façon au-dessus des discours qui expriment les grandeurs et les perfections divines. Son présent état est d’élévation en une simple unité d’esprit. Ce qui fait en elle un repos et une quiétude en simple et nue contemplation de Dieu, lequel l’entendement regarde de son œil simple, vivement pénétré par ses fréquentes lumières et par ses divins attouchements. Cabinet mystique, 1re partie, chap. I.
28. Supposé que vous soyez passé et transfus en simplicité d’essence, en l’abîme de la charité, qui est l’Essence divine même, vous vous trouverez comme sans sentiment, tant de vous que de Dieu même, et sans pouvoir ni vouloir agir par simples aspirations qui supposent actions formées, ni même par regards simples et subtils qui supposent quelque pouvoir d’agir et par conséquent quelque désunion et entre-deux de simple et subtil moyen, dont on se sert pour se transformer davantage et plus parfaitement dans l’Essence même de l’Époux.
On commence déjà ici à voir Dieu simplement, sans formes et sans images, par-dessus le sens et les formes actives. Tout cela est anéanti avec la propre vie de l’âme, en ce fond vigoureux et suressentiel dans lequel elle est transfuse, et son appétit actif étant entièrement supprimé par la force de son simple amour, elle commence à jouir de l’Époux à pur et à plein en simple essence, par le moyen même de ses simples attouchements qui la dilatent et l’étendent tout autrement en simplicité que jamais elle n’avait senti. Là les simples délices sont si profondes, et simplifient tellement l’âme qui les ressent, qu’il lui semble être passé en l’étendue de l’essence de Dieu, qui est le fleuve d’où découlent ces mêmes délices. Là même, chap. 5.
29. Cela étant ainsi, l’âme jouit de son suprême Bien dans un très simple et tranquille regard et repos, qui ne sait plus ce que c’est que les profondeurs abyssales faites de Dieu en elle-même en très simple et très profonde nudité et étendue d’elle-même en Dieu. Là même.
30. Ces âmes ne sont touchées des choses que par dehors et non jamais dans leur fond. Et étant simples, comme elles sont toutes perdues et abîmées en Dieu, rien ne les peut atteindre ni toucher. De plus, telles âmes ne désirent point paraître ni sortir en évidence à elles-mêmes, si elles n’y sont mises et tirées sans elles et sans leur su, ou si ce n’est qu’elles jugeassent que cela fût pour leur très grande utilité ou nécessité. Comme par exemple il s’est passé un certain temps auquel le premier acte du simple fécond, je dis de la Très Sainte Trinité, se communiquant à elles en temps ordonné, leur versait ses vérités en l’entendement, auquel temps et durant lesquelles infusions, simplement divinement spéculées en contemplation simple, sous très simples formes, ces âmes pouvaient se sentir obligées de les tirer de ce simple fond pour leur future nécessité. Néanmoins ayant fait perte de tout cela, parce qu’elles se sont écoulées dans ce fond originaire, d’où elles avaient très fécondement flué, elles ne peuvent douter que cela n’ait été fait pour leur entière et totale consommation en ce même simple et vigoureux fond. Il y a une différence presque infinie entre le simplifié au-dehors et le simplifié au-dedans. La simplification du dehors procède toujours d’objets qui sont au-dehors. Au contraire, la vraie simplification du dedans procède toujours des objets intérieurs qui montrent évidemment son simple et intime objet en l’éminence de soi-même, conformément à ce que l’on est.
C’est là que le simple fond du simple créé est reçu par le simple unique incréé, aux embrassements et à la jouissance de l’unité simple et unique par-dessus toute fécondité, dedans laquelle toute l’âme vraiment flue fécondement de la simple unité et reflue en la même simple unité par-dessus toute fécondité, où elle est tout étendue, perdue, entièrement consommée au repos ineffable de son unique jouissance. Cabinet mystique, 1re partie, chap. 9.
31. L’Esprit de Dieu dominant une âme l’éloigne autant de toutes multiplicités qu’il est simple et unique en lui-même. C’est assez que lorsque l’âme est totalement consommée en Dieu et de Dieu, par la force de ses divins attouchements, elle soit alors et non plus tôt propre pour les choses extérieures et capables d’aller, comme on dit, par le ciel et par la terre. De sorte que ceux-là se trompent beaucoup qui disent que c’est une marque certaine qu’on est bien intérieur quand on est suffisamment attentif à bien faire ses actions extérieures. Règles de conversation pour les personnes spirituelles, no 77.
32. Quant à l’amour simple et perdu, il est tout réduit, fondu, transfus en une simple force et nudité très abstraite et très pure de l’esprit, non seulement au plus haut de son essence, mais infiniment au-delà en Dieu même.
Cela se fait et se pratique ainsi fort diversement, sous diverses notions et manifestations, accompagnées pour l’ordinaire de très pénibles morts, qui suppriment jusqu’aux moelles du même esprit. Et dans ces agonies extrêmes, plus il fuit de soi-même, se perdant en Dieu, tant plus sa mort se trouve pénible, angoisseuse et insupportable. Mais c’est en ceci que l’amour se trouve fort (a) comme la mort. Heureux (b) sont ceux qui meurent de ce genre de mort en Dieu, car dès là même ils cessent et se reposent de toutes leurs propres œuvres et Dieu désormais agit et pâtit en eux comme il lui plaît. Lettre 19.
a. Cant. 8. v. 6. b. Apoc. 14. V. 13.
33. La simplicité est une haute et excellente vertu, et plus elle est véritablement en un sujet, tant plus est-il abstrait et perdu à tout ce qui est visible, sensible et réfléchi. Lettre 20.
34. Quand je lis vos écrits et les miens et que je vois ce qu’il faut que nous soyons pour ne contrarier aucunement Dieu, je suis totalement confus. Pour faire cela comme il faut, notre pureté devrait être angélique tant au-dedans qu’au-dehors : au-dedans, en demeurant simples, uniques, également tendus, sans la moindre effusion d’esprit que ce soit. Lettre 21.
35. À peine personne ne peut-il savoir quelle est la simplicité de l’esprit, sinon celui qui est totalement converti à Dieu en esprit et sans réflexion sur soi. C’est à lui seul que convient l’éminente simplicité en suprême abstraction plus morte que mourante. Le vrai simple n’a rien qui l’arrête au-dehors, et il est divinement prudent, plein de l’éminente science des saints. Lettre 27.
36. Ordonnez tout l’extérieur par des voies moins multipliées que vous pourrez, car le trop de préceptes et de maximes montre qu’on est empêché au-dehors, ignorant la douce, savoureuse et simple unité au-dedans. Réduisez-vous donc à peu de ces choses qui sont uniques, simples et essentielles, afin que vous puissiez goûter expérimentalement l’excellence des vrais exercices intérieurs en vraie simplicité d’intention. Tant de multiplicités au-dehors sont plutôt cherchées, spéculées et apprises des livres que simples et uniques, et nuisent au vrai recueillement des puissances en l’unité du cœur. Lettre 50.
37. Puisque nous sommes tous deux simples et petits, il faut que nous nous aimions et consolions l’un l’autre, tant de nos prières devant Dieu, que par lettres quelquefois. Lettre 60.
38 Disons encore en peu de mots que la simplicité est une inclination amoureuse en l’âme, élevée plus ou moins hautement et excellemment en Dieu, laquelle inclination l’appelle et l’attire efficacement en son fond qui la produit et tire en même temps toutes ses puissances, tant hautes que basses, pour être toutes recueillies et fondues en lui, en unité et uniformité d’esprit. De la simplicité, traité I, no 3.
39. Le second état de simplicité est encore plus tiré et perdu que le précédent. Car il ne veut pas même réfléchir sur les objets plus simples de l’esprit, pour y raisonner de propos délibéré, si la chose ne nous touche d’office, et l’âme n’en est non plus touchée que de ce qui n’est point.
Le troisième et dernier état de simplicité répond du tout à l’esprit. Il a et fait non seulement tout ce que je viens de dire, mais encore il tient son sujet mort par-dessus toute appréhension et connaissance, et il est stable et arrêté à tout endurer d’une très haute et très forte manière, ne sortant jamais de là, pour quoi que ce soit. Sur quoi j’avertis que tout amour simplifie en haut ou en bas degré, selon que l’attrait et l’amour ont été forts à tout unir, tout fondre et tout perdre en Dieu. Là même, no 4.
40. Les qualités donc essentielles de la simplicité sont 1. amour et charité en un temps ; 2. charité simple en un autre ; 3. lumière et science suffisante à leur état ; 4. et prudence pour tout juger et ordonner au-dedans et au-dehors, tant pour eux que pour autrui. Quiconque en est là fait toujours reluire sa charité à tout le monde, au plaisir et contentement de tous.
Les effets de cette charité divine en ses sujets sont voir, sentir et agir simplement, uniquement, essentiellement et d’un seul regard. Elle croit tout, elle espère tout, elle supporte tout, et à tout le reste des divins effets portés au texte de l’Apôtre (I Co 13). Là même, no 8.
On aura la bonté de faire attention à ce que j’ai dit plus haut de la Sortie de soi. Voyez la note sur Explication du Cantique, chap. 3, v. 1. Dans l’article de la Présence de Dieu, tome II, p. 156.
Il faut s’oublier soi-même et tout propre intérêt. Chap. 14 no 2.
Comment passer en Dieu ? Cela ne se peut faire qu’en sortant de nous-mêmes pour nous perdre en lui.
Il lui ordonne (a) de sortir. Et d’où ? D’elle-même. Comment ? Par le renoncement et par la fidélité à se poursuivre en toutes choses, sans se permettre aucune satisfaction naturelle, et sans prendre vie ni en soi ni en rien de créé. Et pour aller où ? Afin d’entrer en Dieu par un parfait abandon (b) d’elle-même.
a. C’est là toute l’économie de l’intérieur. Remarquez s’il vous plaît que dans cette sortie de soi-même, qui ne s’opère que par la mortification et la purification qui cause la mort et la défaillance entière à soi pour passer en Dieu, je fais toujours voir l’importance dont il est de ne se permettre aucun soulagement naturel, ni de ne point prendre de vie dans les choses créées. Je ne parle d’autre chose dans mes Écrits, parce que je sais combien il est de conséquences de ne point prendre le change, et combien il est rare de trouver des âmes qui se livrent entièrement à l’amour rigoureux pour s’en laisser dévorer et consumer sans se soulager en se jetant dans les récréations qu’elles croient innocentes, pour soulager leur peine. Car c’est en cet endroit où l’on quitte tout à fait, ou du moins on passe sa vie à toujours agoniser, sans jamais mourir ni vivre. On ne se perd point en Dieu parce qu’on ne saurait se quitter soi-même, ainsi on demeure, comme dit Débora parlant de la Tribu de Ruben, (Voyez les Explications sur Juges 5. V. 16.) entre deux termes à écouter le sifflement des troupeaux, c’est-à-dire la propre réflexion et les cris de la nature et des sentiments qui ne veulent point mourir.. L’instance que je fais dans tous mes Écrits et aux Directeurs et aux dirigés : aux uns pour ne point épargner la victime et n’en avoir point de compassion, parce que c’est une compassion cruelle, que c’est faire respirer un pendu pour l’étrangler de nouveau ; et aux autres, pour se laisser égorger par ce grand Sacrificateur, qui ne veut que des victimes pures et innocentes. Cette instance, dis-je, marque que je suis bien éloignée de dire qu’il faut commettre des crimes, puisque je veux qu’on se refuse les satisfactions les plus innocentes. O Si on savait combien il est de conséquences de ne point se soustraire à l’amour exact, juste et rigoureux, il n’y aurait point de tourments qu’on ne trouva doux.
b. C’est à dire abandonnement, qui signifie se quitter soi-même.
Cette sortie de soi-même, par le renoncement continuel de tout propre intérêt et l’exercice intérieur que l’Amant céleste conseille aux âmes qui soupirent après le baiser de la bouche. Chap. I, v. 7.
Cette âme s’oublie de tout intérêt de salut, de perfection, de joie, de consolation, pour ne penser qu’à l’intérêt de son Dieu. Chap. 2, v. 4.
Il la fait sortir d’elle-même par le trépas mystique.
Ma colombe simple et fidèle, levez-vous, sortez, puisque vous avez toutes les qualités nécessaires pour sortir de vous-même.
Cette sortie est bien différente de celle dont il a été parlé ci-dessus (b), et beaucoup plus avancée, car la première était sortie des satisfactions naturelles, pour ne vouloir plaire qu’à son Bien-Aimé, mais celle-ci est une sortie de la possession de soi-même, afin de n’être plus possédée que de Dieu, et que ne s’apercevant plus en elle, elle ne se trouve plus (a) qu’en lui. C’est un transport de la créature dans son origine. Là même, v. 10.
b. Chap. I. v. 7.
Ô terre fortunée ! Que ceux qui ont le bonheur de vous posséder sont heureux ! Nous sommes tous conjurés avec l’Épouse de sortir de nous-mêmes pour y entrer. Là même, v. 13.
La suprême partie de votre âme est déjà belle et elle a tous les avantages de la beauté : il ne vous manque plus qu’une chose, qui est de sortir de vous-même.
Si l’Époux n’attirait son Amante au-dehors avec tant de force et de douceur, elle ne sortirait jamais d’elle-même. Il semble qu’autant qu’elle se soit trouvée autrefois recueillie et (b) enfoncée au-dedans, autant elle se sent maintenant tirée au-dehors et même avec plus de force, car il faut bien d’autres forces pour titrer l’âme d’elle-même que pour l’y enfoncer. La douceur qu’elle goûte au-dedans par le recueillement savoureux l’y invite assez. Mais quitter cette douceur du dedans pour ne trouver que des amertumes au-dehors, c’est ce qui est très difficile. Outre que par le recueillement, elle vit et se possède, mais par la sortie d’elle-même, elle meurt et se perd. Là même, v. 14.
a. En tant que Dieu est son principe et sa dernière fin.
b. Il est à noter qu’afin que l’âme sorte d’elle-même, il faut qu’elle soit réduite déjà dans son centre, c’est pourquoi comme elle a goûté son propre centre, elle a peine à le quitter. Mais elle verra bien, si elle est fidèle, la différence du repos du centre créé à celui du centre incréé !
Ce n’est plus hors de lui que vous le trouverez. Sortez hors de vous-même au plus vite pour n’être plus qu’en lui, et ce sera là qu’il se laissera trouver. Ô artifice admirable de l’Époux ! Lorsqu’il est le plus passionné pour sa Bien-Aimée, c’est alors qu’il fuit avec plus de cruauté, mais c’est une cruauté amoureuse, sans laquelle l’âme ne sortirait jamais d’elle-même, et conséquemment ne se perdrait jamais en Dieu. Chap. 3 v. 1.
L’âme s’étant quittée soi-même et ayant outrepassé toutes les créatures, rencontre son Bien-Aimé qui se montre à elle avec de nouveaux charmes. Là même, v. 4.
Jésus-Christ invite toutes les âmes intérieures qui sont les filles de Sion à sortir hors d’elles-mêmes et de leur imperfection. Là même, v. 11.
L’âme étant passée en Dieu par l’heureuse sortie d’elle-même, c’est un repos dont elle ne sera jamais divertie. Chap. 8, v. 4.
L’âme monte peu à peu du désert, car son soi-même est un désert, depuis qu’elle l’a abandonné. Ce n’est plus seulement le désert de la foi, mais c’est le désert d’elle-même. Là même, v. 5.
Autorités
1. Quant à nous, après que par des ascensions (a) saintes et spirituelles nous aurons élevé nos yeux vers les archétypes et les originaux de ces mystères, et que nous aurons été saintement instruits de leurs connaissances, alors nous entendrons de quels caractères sont ces impressions. De la hiérarchie ecclésiastique, chap. 2.
a. Ces ascensions, c’est sortir dehors de soi et de sa manière de concevoir, pour avoir les impressions sûres des choses divines.
2. Voyez Union, no 10.
3. Voyez Dieu enseigne l’âme, no 2.
4. Voyez Foi nue, no 3.
5. Voyez Anéantissement, no 6.
7. Celui qui aime sincèrement Notre Seigneur Jésus-Christ et sa vérité et qui est vraiment intérieur et dégagé des affections déréglées n’a point de peine à se donner tout entier à Dieu, et à s’élever en esprit au-dessus de soi-même, pour jouir d’un repos céleste dans la jouissance de son Bien-aimé. Livre II, chap. 1, § 6.
8. on ne peut arriver à cet état sans une grande grâce qui élève l’âme et qui la transporte au-dessus d’elle. Livre III, chap. 31, § 2.
9. Mon fils, vous entrerez et vous demeurerez en moi, à proportion (a) que vous pourrez sortir de vous-même. Livre III, chap. 56, § 1.
a. La mesure de notre avancement en Dieu est la mesure de notre éloignement de nous-mêmes.
10. L’âme rapporte en ce Cantique le moyen et la manière dont elle sortit d’elle-même et de toutes choses, quant à l’affection, mourant par ne vraie mortification à elles toutes et à soi-même, pour avoir le bien de vivre une vie d’amour, douce et savoureuse en Dieu, et dit que cette sortie hors de soi et de toutes choses se fit en une nuit obscure, qu’elle entend ici par la contemplation purgative, comme nous dirons après, laquelle fait renoncer l’âme à soi-même et à toutes choses. Et elle dit ici qu’elle eut pouvoir de faire cette sortie par la force et chaleur que l’amour de son Époux lui donna pour ce sujet en ladite contemplation obscure, en quoi elle exalte le bonheur qu’elle eut de s’acheminer à Dieu par cette nuit, avec si bon succès, que pas un des trois ennemis, qui sont le Diable, le monde et la chair, lesquels y mettent toujours de l’obstacle, ne l’en purent empêcher, d’autant que ladite nuit de contemplation purifiée fit endormir et mortifier en la maison de sa sensualité, toutes les passions et appétits quant à leurs mouvements contraires. Obscure nuit, livre I, Introduction.
11. Cette nuit va tirant l’esprit de son ordinaire et commun sentiment des choses, pour l’élever au sens divin qui est étrange et éloigné de toute manière humaine, de sorte qu’il semble à l’âme quelle marche hors de soi. Là même, livre II, chap. 9.
12. Voyez Purification, no 46.
13. Dans les plaies d’amour, il ne peut y avoir de remède sinon de la part de celui qui les a faites. C’est pourquoi l’Épouse sortit, cirant après celui qui l’avait blessée avec la force du feu que cause la palie. Et il faut savoir que cette sortie s’entend de deux façons : l’une est sortant de toutes choses, ce qui se fait les abhorrant et les méprisant ; l’autre est sortant de soi-même par un oubli de soi, ce qui se fait par l’amour de Dieu, lequel élève l’âme de telle manière qu’il al fait sortir de soi et des ses gonds et de sa façon naturelle, criant après Dieu. C’est ce qu’elle entend ici lorsqu’elle dit :
Je sortis après vous, criant.
Comme si elle disait : mon Époux en ce votre toucher (a) et blessure d’amour, vous avez tiré mon âme non seulement de toutes choses, mais aussi vous l’avez faite sortir de soi (car à la vérité, il semble qu’il la tire même du corps), et vous l’avez élevée à vous criant et soupirant pour vous, déjà dégagée de tout pour s’attacher toute à vous.
Mais vous alliez toujours fuyant.
a. C’est ici un toucher douloureux, quoique ce soit aussi une plaie d’amour.
Comme s’elle disait : lorsque je voulais comprendre votre présence, je ne vous ai point trouvé et je me suis vue déprise et dégagée de toutes choses (a) sans être attachée à vous, travaillant et peinant dans l’air d’amour sans l’appui de vous ni de moi. Ce que l’âme appelle ici sortir pour aller à son Bien-aimé, l’Épouse dans le Cantique l’appelle se lever, disant : (b) je me lèverai et j’irai rodant la cité, par les rues et les places, je chercherai celui qu’aime mon âme. Je l’ai cherché et ne l’ai point trouvé. Ici se lever s’entend spirituellement de bas en haut qui est le même que sortir de soi, c’est-à-dire de sa façon et de l’amour bas au haut et sublime amour de Dieu. Mais elle dit qu’elle demeura blessée, parce qu’elle ne le trouva point. C’est pourquoi celui qui est épris d’amour, souffre toujours pendant l’absence, parce que s’étant déjà livré, il attend de l’ami le paiement du don et de la délivrance qu’il a faite, et néanmoins, on ne le lui donne point. Et s’étant déjà perdu pour lui, il n’a point trouvé le gain désiré de sa perte, puisqu’il est privé de sa possession. Cantique de l’Épouse et l’Époux, couplet 1.
a. C’est la plus terrible peine de l’âme, car alors, elle n’est ni toute en soi, ni toute en Dieu. Elle est comme pendue entre le Ciel et la terre.
b. Cant. 3.v. 2.
14. J’oubliais ce que je savais.
Parce que non seulement l’âme demeure aliénée de tout le monde, mais encore de soi-même, et anéantie et comme fondue en amour, qui consiste à passer de soi en l’Ami. Là même, couplet 18.
15. En outre l’âme dit avoir reçu de grandes communications et beaucoup de visites de son Ami, où elle s’est allée perfectionnant et établissant en son amour, de manière que sortant de toutes choses et de soi-même, elle s’est livrée à lui par union d’amour en fiançailles spirituelles où elle a reçu de l’Époux de grands dons et de riches joyaux. Là même, couplet 28.
16. Saint Bonaventure. La perfection de la mémoire est que l’homme soit tellement absorbé en Dieu, qu’il oublie toutes choses et soi-même et qu’il repose suavement en Dieu seul. De l’avancement des religieux, livre I. Notes sur Jean de la Croix, discours 2, § 7.
17. Voyez Fonte de l’âme, no 5.
18. Il est bon de savoir que la nature, même dans les plus avancés, est tellement encline à se rechercher et à se délecter de soi qui si on lui ôte une chose, elle a aussitôt recours à une autre pour s’y reposer et délecter. Que si on lui ôte un objet sensible, elle a aussitôt recours à un objet de l’esprit. Si on lui ôte ceux de l’esprit, elle se servira de Dieu même pour s’y reposer pour elle-même et pour sa satisfaction. On doit prudemment et diligemment examiner ceci pour ne point laisser attacher les personnes spirituelles à elles-mêmes par semblables réflexions, donnant ordre de les tirer de cela et d’elles-mêmes, pour les unir et attacher à Dieu. Esprit du Carmel, chap. II.
19. Les vrais Contemplatifs sont hors d’eux-mêmes nuement, simplement et totalement fondus en Dieu. Diverses lumière et règles pour les supérieurs, § « De diverses sortes d’abstractions ».
20. Je vous dis outre cela, qu’encore par-dessus cette adhésion qui vous est perceptible, mais comme hors de vous, il faut que vous viviez là d’une foi très nue. Lettre 45.
21. Quel montre que l’amour de soi-même, qui veut se voir en tout et qui ne peut souffrir qu’avec grande peine les exercices et les conduites du pur amour, qui tend toujours à Dieu et nous dérobe à nous-mêmes, pour nous porter, nous perdre et nous abîmer dans ce divin Tout ! Lettre 129.
22. Vous dirais-je un mot qui m’est venu dans l’esprit et qui vous paraîtra peut-être un peu sévère ? C’est que Dieu veut porter les âmes de ses fidèles jusqu’à ce point de dénuement, que de les arracher à elles-mêmes, et les tenir suspendues au-dessus de toute propre satisfaction. Il veut qu’elle vivent toujours à lui, et qu’elles le cherchent en pureté, en sainteté et en droiture, sans avoir égard à elles et sans se retourner sur elles-mêmes. Il ne veut point qu’on se voie et qu’on se regarde que pour lui, et il désire qu’on agisse dans cette vue unique de lui plaire en tout. Lettre 143.
Soyez content de tout ce que Dieu vous fera souffrir. Si vous l’aimez purement, vous ne le rechercherez pas moins en cette vie sur le Calvaire que sur le Thabor. Il faut l’aimer autant sur le Calvaire que sur le Thabor, puisque c’est le lieu où il fait paraître le plus d’amour. Ne faites pas comme ces personnes qui se donnent dans un temps et se reprennent en un autre. Ils se donnent pour être caressés et ils se reprennent lorsqu’ils sont crucifiés, ou bien ils vont chercher dans les créatures leur consolation.
Non, vous ne trouverez point, chères âmes, de consolation que dans l’amour de la croix et dans l’abandon entier. Ô qui n’a pas le goût de la Croix (a) n’a pas le goût de Dieu ! Il est impossible d’aimer Dieu sans aimer la croix, et un cœur qui a le goût de la Croix trouve douces, plaisantes et agréables les choses mêmes les plus amères. (b) Une âme affamée trouve douces les choses qui sont amères, parce qu’elle se trouve autant affamée de la Croix qu’elle est affamée de son Dieu. La Croix donne Dieu et Dieu donne la Croix. La marque de l’avancement intérieur est si on avance dans la Croix
a. Voyez Matth. 16. V. 23. b. Prov. 27. V. 7.
L’abandon et la Croix vont de compagnie.
Sitôt que vous sentez quelque chose qui vous répugne et qui vous est proposé (a) comme souffrance, abandonnez-vous à dieu d’abord pour cette même chose et donnez-vous à lui en sacrifice. Vous verrez que lorsque la Croix viendra, elle ne sera plus si pesante, parce que vous l’aurez bien voulue. Ce qui n’empêche pas qu’on n’en sente le poids. Quelques-uns s’imaginent que ce n’est pas souffrir que de sentir la Croix. Sentir la souffrance est une des principales parties de la souffrance même. Jésus-Christ en a voulu souffrir toute la rigueur. Souvent on porte la Croix avec faiblesse, d’autrefois avec force : tout doit être égal dans la volonté de Dieu. Chap. 7.
a. C’est qu’il est quelquefois proposé aux âmes au commencement de la voie en général (même cela est assez ordinaire) ce qui fut proposé à Jésus-Christ selon l’Apôtre (Hebr. 12. V. 2.) : proposito sibi gaudio sustinuit crucem. (Au lieu de la joie dont il pouvait jouir, il a choisi de souffrir la croix), et aussi dans le particulier en quelques occasions de terribles souffrances. Mais le cœur amoureux de son Dieu non seulement les accepte, mais s’y immole et dans la douleur ne dit jamais : c’est assez.
Il est à moi, dit l’Amante je ne puis douter qu’il ne se donne à moi dans ce moment puisque je le sens. Mais il est à moi comme un bouquet de myrrhe. Il ne l’est pas encore comme un Époux, que je doive embrasser dans son lit nuptial, mais seulement comme un bouquet de croix, de peines et de mortifications, comme un (a) Époux de sang et un Amant crucifié, qui veut éprouver ma fidélité en donnant part à ses souffrances, car c’est ce qu’il donne alors à cette âme-là.
a. Exode 4. V. 25.
Pour marquer néanmoins l’avancement de cette âme déjà héroïque, elle ne dit pas : Mon Bien-aimé me donnera le bouquet de la Croix, mais il fera lui-même ce bouquet, car toutes mes croix seront celles de mon Bien-aimé. Le bouquet sera entre mes mamelles, pour marque qu’il me doit être un Époux d’amertumes, aussi bien pour le dehors que pour le dedans. Les croix extérieures sont peu de chose, quand elles ne sont pas accompagnées des intérieures. Et les intérieures sont rendues beaucoup plus douloureuses par l’union des extérieures. Mais quoique l’âme n’aperçoive que la croix de toutes parts, c’est pourtant son Bien-aimé qui est lui-même cette croix, et il ne lui fut jamais plus présent que dans ces amertumes, pendant lesquelles il demeure au milieu de son cœur. Chap. 1, v. 12.
Ô Dieu, vous reprenez agréablement votre Épouse de ce qu’elle voulait sitôt se reposer dans un lit bien fleuri, avant que de s’être reposé comme sur le lit douloureux de la Croix. Je suis moi-même, dites-vous, la fleur du champ. Une fleur que vous ne cueillerez pas dans le repos du lit, mais dans le champ de combat, de travail et de souffrance. Il faut que vous entriez dans le combat et dans la souffrance. Chap. 2, v. 1.
Son fruit, qui est la Croix, la douleur et l’abjection, est doux à ma bouche. Il n’est pas doux à la bouche de la chair, car la partie inférieure le trouve âpre et bien rude, mais il est doux à la bouche du coeur après que je l’ai avalé et pour moi qui a le goût de mon Bien-Aimé, il est préférable à tous les autres goûts. Là même, v. 3.
Cette âme ne pense plus à jouir de ses embrassements, mais à souffrir pour lui. V. 4.
Il est incroyable combien il faut que ces âmes dévorent de croix, d’opprobres et de renversements. Chap. 3, v. 10.
Je m’en irai sur la montagne de la myrrhe, parce que vous ne me trouverez plus que dans l’amertume et dans la croix. Ce sera néanmoins pour moi une montagne d’une odeur très agréable, puisque l’odeur de vos souffrances montera vers moi comme un encens, et ce sera par elles que je prendrai mon repos en vous. Chap. 4, v. 6.
J’ai recueilli ma myrrhe, dit l’Époux, mais c’est pour vous, ô mon Épouse, car c’est votre mets qui n’est que d’amertume, parce qu’il y a toujours à souffrir dans cette vie mortelle. Cette myrrhe pourtant n’est jamais seule, elle est toujours accompagnée de senteurs très agréables. L’odeur est pour l’Époux et la myrrhe amère est pour l’Épouse.
Ce divin Sauveur y invite tous ses Élus qui ont envie de se nourrir comme lui de souffrances, d’opprobres et d’ignominies, de l’amour de ses exemples et de sa pure doctrine qui sera pour eux un vin et un lait délicieux. Chap. 5, v. 1.
Je viens à vous de la sorte, afin de vous faire part de mes opprobres, de mes ignominies et de mes confusions. Jusqu’à présent vous avez eu part à l’amertume de ma croix, mais vous n’avez pas eu part à l’ignominie et à la confusion de ma croix. L’un est bien différent de l’autre, vous allez faire une expérience terrible. Là même, v. 2.
L’Épouse voyant que l’Époux parle de lui faire part de ses ignominies, craint beaucoup et autant qu’elle a été courageuse et intrépide à accepter la croix, autant a-t-elle de peur de l’abjection dont elle est menacée. Plusieurs veulent bien porter la Croix, mais il n’y a presque personne qui veuille porter l’infamie de la croix. Là même, v. 3.
Plus cette âme est pressée et opprimée par la persécution, plus elle se communique et est bienfaisante à ceux mêmes qui lui font du mal. Chap. 7, v. 7.
Autorités
On a vu dans ce que j’ai écrit sur la Purification tant de souffrances intérieures, et même extérieures, qu’il en reste peu de choses à dire.
1. Nul ne sera propre à comprendre les choses du ciel s’il ne se soumet à souffrir pour Jésus-Christ les maux de ce monde. Rien ne nous sera plus salutaire et plus agréable à Dieu (104) que de souffrir de la sorte, vous devriez plutôt souhaiter d’être affligés pour Jésus-Christ, que d’être comblé de consolations, parce que vous deviendriez ainsi plus semblable au Sauveur et à tous les Saints. Livre II, chap. 12, § 14.
2. De là procède la force pour souffrir les persécutions et ce sont là les pommes dont parle aussitôt l’Épouse : (a) fortifiez-moi avec des pommes, comme si elle disait : donnez-moi, Seigneur, des travaux et des persécutions. Et véritablement, elle les désire, et la chose effectivement lui succède, car n’ayant point d’autre pensée que de contenter Dieu, sans avoir aucun égard à son propre contentement, son goût est d’imiter en quelque chose la très pénible vie de Jésus-Christ. Or le pommier, j’entends ici, l’arbre de la croix, parce qu’il est dit dans un autre lieu des Cantiques : Dessous l’arbre du pommier, je t’ai ressuscitée. (b) Et l’âme qui est environnée de croix et de travaux est dans l’attente d’un grand remède. Elle n’est pas si ordinairement jouissante du contentement de la contemplation, elle a une singulière délectation à souffrir sans que l’exercice de la vertu consume et détruise ses forces, comme le fait la suspension des puissances dans la contemplation, si elle est bien ordinaire. Conception de l’âme de Dieu, chap. 7.
a. Ct 2. V. 5. b. Chap. 8. V. 5.
3. Qui m’avez en ce deuil laissée.
Il faut remarquer que l’absence du Bien-aimé cause un gémissement continuel en l’amant, car n’aimant rien que lui, il ne trouve e rien du repos et du soulagement : c’est où l’on connaîtra celui qui aime véritablement Dieu, s’il se contente de quelque chose qui soit moins que Dieu. (a) Saint Paul donna bien à entendre ce gémissement, disant : (b) nous pleurons en nous-mêmes, attendant l’adoption des enfants de Dieu. C’est là le gémissement que l’âme a en ressentant l’absence de l’Ami, principalement lorsqu’ayant goûté quelque douce et savoureuse communication, elle demeure aride et seule.
Vous fuyez m’ayant bien blessée.
Comme si elle disait : je n’avais donc pas assez de la douleur et de la peine, que je souffre ordinairement en votre absence, sans que vous me perçassiez du trait de votre amour, augmentant le désir de votre vue (c) et fuyant avec la vitesse d’un cerf, sans vous laisser tant soit peu comprendre. Cantique entre l’Épouse et l’Époux, couplet 1.
a. C’est à dire, il n’aime pas se contente de ce qui n’est pas Dieu.
b. Rom. 8.V. 23.
c. Voyez L’Explication du Cantique. Ch. 2. V. 9.
4. Voyez Sortie de soi, no 13.
5. Il semble à celui qui se donne à Dieu que le monde se représente à lui en l’imagination, comme les bêtes sauvages lui faisant de rudes menaces, et principalement en trois manières : la première que la saveur du monde lui manquera, les amis, le crédit, et même les biens. La seconde est une autre non moins cruelle, à savoir comment il pourra souffrir de n’avoir jamais de plaisir ni de contentement du monde et d’être privé de toutes ses caresses, attraits, et douceurs. La troisième est encore pire, savoir que les langues s’élèveront contre lui, et en doivent faire un objet et sujet de risée. Bref, que chacun le montrera au doigt et l’aura en mépris. Lesquelles choses sont tellement représentées à quelques âmes qu’il leur est difficile, non seulement de résister à ces bêtes, mais même de commencer et d’avancer d’un pas. Or il y a d’autres âmes plus généreuses, auxquelles se présentent d’autres bêtes qui sont plus intérieures et spirituelles, savoir des difficultés et des tentations, des tribulations et des travaux de plusieurs sortes, que Dieu envoie et permet que souffrent ceux q’il veut éprouver comme l’or en al fournaise, selon le dire de David (a) : Les tribulations des justes sont en grand nombre.
L’âme appelle les diables, qui sont le second ennemi, des forts, d’autant qu’ils tâchent avec beaucoup de force de lui couper le passage de ce chemin et parce qu’aussi leurs tentations et leurs artifices et embûches sont plus difficiles à vaincre et à découvrir que celles du monde et de la chair, joints aussi qu’ils prennent escorte et renfort des deux autres ennemis, le monde et la chair, pour faire une cruelle et forte guerre à l’âme. D’où vient que David dit (b) : Et les forts ont cherché mon âme, de la force desquels Job aussi parle en ces termes (c) : il n’y a point de puissance sur la terre qui lui soit comparable, lui qui a été fait de telle sorte qu’il ne craignit personne. Cela s’entend qu’il n’y a point de pouvoir humain approchant du sien, et ainsi le seul pouvoir divin est capable de le vaincre et la seule lumière divine capable de connaître et de découvrir ses menées. C’est pourquoi l’âme qui aura à vaincre sa force ne le pourra sans oraison et ne pourra aussi éventer ses ruses et ses tromperies sans humilité et mortification. Car pour ce sujet, St Paul dit ces mots d’avis aux fidèles : (d) revêtez-vous des armes de Dieu, afin que vous puissiez résister aux aguets du Diable, parce que nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, entendant par le sang le monde, et par les armes de Dieu, l’oraison et la croix de Jésus-Christ, en quoi gît l’humilité et la mortification que nous avons dit. La-même, couplet 3.
a. Ps. 33. V. 20 b. Ps. 53. V. 5.
c. Job 41. V. 24. d. Ephes. 6. V. 11, 12.
6. Denis le Chartreux. Que l’homme spirituel n’ait point d’affection désordonnée ou immodérée à aucune chose créée, qu’il n’ait nulle délectation déréglée aux choses caduques, ni une crainte superflue de les perdre, ni une douleur excessive de leur perte, ni un désir démesuré pour les avoir. Que même il ne soit point affectionné à la renommée, ou à la gloire et à l’honneur vain et temporel, et ne se soucie ou s’attriste avec excès de son infamie et de son mépris, mais plutôt qu’il s’en réjouisse. De la vie des recluses, art. 14. Éclaircissement des phrases mystiques de Jean de la Croix, IIe partie, chap. 12, § 3.
7. S’il se trouvait quelqu’un si fidèle à son devoir qu’il eut entièrement passé la région des mourants, en sorte que les profondes et continuelles morts lui eussent admirablement supprimé toute sa propre vie dans le feu de l’amour et dans la cuisante et consommante tribulation, tant d’esprit que de corps, ô Dieu qu’il serait excellent. Mais c’est chose si rare à trouver en ce siècle qu’à peine en connaît-on un seul. Il n’y personne qui se veuille cacher. Tout homme veut paraître, non ce qu’il est, mais ce qu’il n’est pas, et être estimé et réputé saint. Et ce que les hommes ont reçu de Dieu pour le pouvoir aimer tourne à leur confusion et à leur dommage éternel.
Sans doute le sentiment amoureux et même le goût éternel, si ravissant qu’il puisse être, n’est point le vrai amour. Les pécheurs (a) mêmes, que Dieu veut tirer à lui, en sont quelquefois si pleins qu’ils semblent en regorger, encore qu’ils soient en péché mortel. C’est en la souffrance, c’est en la croix volontaire, c’est en la pratique des vertus aux occasions, c’est en profonde humilité et dans le mépris et abjection de soi-même, c’est en l’éternelle pauvreté d’esprit en suprême degré, c’est enfin en l’amour nu que consiste le pur, parfait et essentiel amour et la vraie sainteté, telle qu’elle doit être exercée en cette vie à l’éternelle suite de Notre Seigneur mourant tout nu sur la croix pour notre amour.
a. Il parle de l’amour sensible qui émeut les sentiments, et non cet amour spirituel qui redonde du fond de l’âme sur les sens. Car cet amour est si pur qu’il est incompatible avec le péché. Il est d’un si grand prix que Dieu même est obligé de l’aimer. Il est si uniforme ; qu’il consumerait en un moment toutes les dissemblances et contrariétés entre l’âme et Dieu. C’est cet amour qui produirait en un instant la contrition parfaite. C’est cet amour qui purge et consume toutes les imperfections de son sujet, afin de le transformer en soi. C’est cet amour qui est vie éternelle. Comment compatirait-il avec l’impureté et la mort ? Cela est impossible. C’est donc de l’amour sensible qu’il parle, ou plutôt de la sensibilité qui produit l’amour. Car partout où est l’amour, le péché n’y peut être, parce qu’il ne peut venir dans un cœur qu’en bannissant le contraire. Cet amour sensible des pécheurs est d’abord purement naturel, mais lorsque cette sensibilité vient à remuer le cœur, et à produire un mouvement spirituel, alors il prépare le cœur à l’amour, qui n’est pas un instant disposé de la sorte, que Dieu qui, comme une rosée céleste, répand sans cesse sa charité sur tous les hommes, les trouvant disposés et préparés, fait entrer dans leur cœur un commencement de charité et de vrai amour.
Pour mieux expliquer, il faut dire que Dieu n’est pas un moment sans verser cet amour sur tous les hommes, car il est impossible que Dieu étant un être communicable de sa nature, il ne se communique pas incessamment à tous les sujets disposés à recevoir ses communications, comme la rosée tombe sur tous les sujets qui lui sont exposés. Mais comme l’homme est né libre, il se ferme, il se retire de cette divine rosée, il lui tourne le dos, il ajoute obstacle sur obstacle pour empêcher qu’elle ne le pénètre. Que fait le sentiment qui naît de quelque bonne chose ? Il remue cet homme peu à peu, et lui ôtant ce qui l’empêche de se tourner, il les tourne ensuite du côté de celui qui répand et infuse sans cesse sa charité dans tous les cœurs. Sitôt que ce cœur est tourné et, comme la conque marine, il s’ouvre à la rosée, elle tombe d’abord sur l’âme. Et c’est les gouttes de cette rosée céleste plus ou moins abondante qui font le plus ou moins de charité. Plus le cœur est ouvert à Dieu, plus il reçoit de l’abondante plénitude de cette charité divine. Mais il faut savoir que cette même charité qui fait son propre chemin, nul ne le peut faire qu’elle-même : elle prépare notre cœur par sa plénitude à une plus grande plénitude, parce que le propre de l’amour est de dilater. Plus il dilate, plus il emplit, car il abhorre le vide. Quoiqu’il semble mettre l’âme en vide et en nudité, ce n’est que selon les sentiments. Il est vrai qu’il vide de tout ce qui n’est point Dieu, car comme la charité est Dieu, elle ne veut que lui seul, elle n’est compatible qu’avec lui seul, tout le reste lui fait ombrage. C’est pourquoi il met tout en œuvre pour purifier son sujet, pour le dilater, l’étendre, l’agrandir, afin de s’y répandre plus abondamment. Mais ô divine Charité, où trouvez-vous de ces cœurs qui se laissent purifier, étendre et dilater par votre opération ? Qui étant infiniment aimable et bienfaisante, n’est dure qu’à cause de notre impureté. C’est encore beaucoup que vous trouviez quelques cœurs qui vous donnent entrée. Hélas, que vous êtes à l’étroit dans ces cœurs, que vous y êtes contrainte, que vous y êtes souvent contristée ! O Amour ! N’avez-vous pas la puissance d’un Dieu pour agir ? faut-il que nous employions notre liberté qu’à vous résister ? Que cette liberté nous est funeste, et qu’elle nous serait avantageuse si nous la sacrifions toute entière !
Je le dis encore une fois, s’il se trouvait quelqu’un qui ne fût autre chose en pratique que l’amour mourant, ce serait un Phénix entre les hommes. Peut-être y en a t-il, mais croyez-moi qu’on ne les connaît plus. Tandis qu’un homme (b) ne s’excédera point, il s’affranchira toujours de la Croix, pour vivre à la satisfaction de ses sens. Plusieurs même que l’on croit excellents sont vaincus à ce point et se couvrent en cela de la volonté de Dieu. Chose qui ne se peut assez déplorer. N’être véritable que jusqu’à un certain terme, c’est ne rien faire. Il faut tout donner et toujours rendre la vie en cette agonie, sans espoir d’aucune allégeance et consolation. Et si les saints n’eussent ainsi éternellement agonisé, Dieu ne serait pas si glorieux en eux ni eux en lui. Celui qui ne se rassasie jamais des souffrances et des angoisses, dans leur abondance et dans leur durée, est très saint et partant est très merveilleux entre les hommes, c’est ce que je n’ai encore guère connu entre les vivants. Il est vrai que c’est assez à un corps faible d’endurer ce qu’il peut, et le peu en ce sens, même le désir dans les saints, est réputé pour le tout. Mais il faut de nécessité que l’esprit soit infiniment fort pour n’être jamais ébranlé, ni touché des désordres et des calomnies dont les vrais Saints sont souvent persécutés à tort et sans cause, quoique ceux qui les traitent ainsi le fassent ignoramment et avec la meilleure intention, ce leur semble. Esprit du Carmel, chap. 6.
8. Ils ont encore assez à faire et à souffrir, tant de la part d’eux-mêmes que des créatures, et ils reçoivent et soutiennent en toute humilité, patience, force et joie d’esprit, autant qu’il leur est possible, tout ce qu’il leur arrive de fâcheux, non comme venant de la main des créatures, mais purement de la libérale main de Dieu et comme les effets de son amour infini. Là-même, chap. 9, § 18.
9. C’est pourquoi la fidélité de l’Épouse est parfaitement éprouvée, car se montrant généreuse et constante à souffrir l’absence de son Bien-aimé, elle pâtit extrêmement, ne cherchant, comme j’ai dit, consolation ni au-dehors ni au-dedans ni directement ni indirectement. elle ne se console que de ses propres désolations, de ses et de ses gémissements plus amoureux, par lesquels elle exprime à son Époux comme elle peut ses regrets tristes, lamentables et angoisseux, si toutefois il lui reste quelque respir actif pour cela. Sinon elle se plaint encore plus douloureusement dans sa totale suspension dans ses souffrances, angoisses et langueurs mortelles, par le continuel regard de son esprit vers son Époux. L’Épouse, dis-je, souffre plus ainsi qu’on ne peut exprimer, étant en cette manière attentive et arrêtée au regard de son Époux, sans qu’elle y pense, pendant que l’action de ses puissances est totalement suspendue. Car encore qu’elle ait souvent expérimenté les rigueurs de l’absence de son Époux dans les précédents moyens et de grâce et d’amour, celui-ci toutefois est beaucoup plus pénible. Il lui semble ici qu’elle est toute nouvelle et sans expérience en matière de souffrance, à cause des effets rigoureux qu’elle ressent, tout autres que les précédents. Et elle ne sait, par manière de dire, si elle est morte ou vive, ni si elle est à elle ou à son Époux. L’unique consolation qu’elle a, c’est qu’aucune créature ne la peut consoler dans la perte qu’elle pense avoir faite. Esprit du Carmel, chap. 15.
10. C’est à cette perfection qu’il faut parvenir avec un ardent désir et y étant parvenu, il faut y demeurer pour conformer pleinement notre vie à celle de Notre Sauveur. Or pour faire cela comme il faut, rien n’est tant à désirer que la tranquille souffrance. Car en cela consiste la pleine félicité des amoureux esprits en cette présente vie, de souffrir cette amoureuse guerre, et la soutenir en pleine paix de cœur et d’esprit, et en très grandes délices. Ce qui toutefois ne sera pas plutôt, qu’on ne soit mort à toutes choses par dedans. Car pendant qu’on sent de la répugnance à quelque chose, c’est une marque que le cœur n’est pas entièrement plein de Dieu, ni l’esprit entièrement assujetti à sa Majesté. Il faut donc toujours mourir à ses répugnances, et si elles durent toute la vie, il faut les supporter allégrement et arrêter là. Cabinet mystique, 1re partie, chap. 1.
Dieu étant notre dernière fin, l’âme peut sans cesse s’écouler dans lui comme dans son terme et son centre et y être mêlée et transformée sans en ressortir jamais. Ainsi qu’un fleuve, qui est une eau sortie de la mer, et très distincte de la mer, se trouvant hors de son origine, tâche par diverses agitations de se rapprocher de la mer, jusqu’à ce qu’y étant enfin retombé, il se perde et se mélange avec elle, ainsi qu’il y était perdu et mêlé avant que d’en sortir. C’est ce mélange que saint Paul appelle (a) transformation, et Jésus-Christ (b) unité, mêmeté et consommation.
Or cela se fait lorsque l’âme perd sa propre consistance pour ne subsister qu’en Dieu. Chap. 1, v. 1.
a. 2 Cor 3, 18 b. Jn 17 — 11, 21, 23
Il faut savoir que l’âme quoiqu’arrivée en Dieu, s’élève peu à peu et se perfectionne dans cette vie divine, jusqu’à ce qu’elle arrive au séjour éternel. Elle s’élève en Dieu insensiblement, comme l’aurore, jusqu’à ce qu’elle vienne à son jour parfait et son midi consommé qui est la gloire du Ciel. Chap. 6, v. 9.
L’Épouse ne craint plus de perdre Dieu, puisqu’elle est non seulement unie, mais changée en lui. Chap. 7, v. 11.
L’Amante demande que son union s’enfonce davantage. Quoique l’âme transformée soit dans une union permanente et durable, elle est néanmoins comme une Épouse qui s’applique aux besoins de sa maison et qui a beau aller et venir sans qu’elle cesse d’être Épouse.
Elle demande de plus une autre grâce qui ne s’accorde que plus tard, et c’est que le dehors soit transformé et changé comme le dedans : car le dedans est longtemps transformé avant que tout le dehors soit changé. En sorte qu’il reste durant quelque temps certaines faiblesses légères qui servent à couvrir la grandeur de la grâce et qui ne déplaisent pas à l’Époux. Cependant elles sont une espèce de faiblesse qui attire en quelque sorte le mépris des créatures. Qu’il me transforme donc, dit-elle, par dehors, afin que personne ne me méprise plus. Chap. 8, v. 14.
Autorités
2. Que si l’homme pendant qu’il est encore dans la carrière de cette vie (a) travaille à combattre ses passions et ses désirs déréglés à qui il a donné des armes contre lui-même en se laissant aller au plaisir de jouir des choses passagères, et que mettant sa confiance dans le secours de la grâce de son Dieu, il vienne à bout de les vaincre, étant d’ailleurs fidèle à le servir avec un esprit pur et droit, il sera indubitablement renouvelé et réformé par cette Sagesse incréée dont toutes choses tiennent leurs formes et leur perfection aussi bien que le premier degré de l’être, et passant de la multiplicité des biens (a) périssables et sujets à changer à la simplicité du seul bien immuable, il arrivera à la jouissance (b) de Dieu même par le Saint-Esprit qui est le don de Dieu.
a. Tous biens qui ne sont point Dieu-même, sont biens périssables.
b. Notez de Dieu même et non de ses dons. Le St Esprit est le don des dons.
Voilà de quelle manière l’homme de charnel qu’il était devient spirituel et se trouve en état (c) de juger de tout, sans pouvoir être jugé de personne, aimant son Seigneur et son Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit et son prochain comme lui-même, c’est-à-dire d’un amour pur et qui ne tient rien de la chair et du sang, comme nous devons nous aimer nous-mêmes. De la véritable religion, chap. 12.
c. 1Cor. 2. V. 15.
3. les anges et les bienheureux, toutes les substances intellectuelles, ne peuvent avoir de bonheur et de perfection que de Dieu, de sorte qu’elles (d) ne sont heureuses qu’autant qu’elles le connaissent, ni parfaites qu’autant qu’elles se portent par leur amour vers ce premier principe de toutes choses.
d. Le vrai bonheur consiste à chercher ce bonheur en Dieu seul par véritable amour. Et tout le malheur vient de chercher, désirer et faire son bonheur en soi-même.
(*) Il faut donc que la religion (e) nous lie et nous unisse au seul Dieu tout-puissant et qu’elle nous y unisse (f) immédiatement et sans l’entremise d’aucune créature, que cette lumière intérieure qui nous fait connaître le Père se communique à nos âmes et comme cette lumière n’est autre chose que la vérité éternelle, adorons aussi dans le Père et avec le Père cette vérité qui l’exprimait parfaitement et sans aucune différence, est la forme et le modèle de toutes les créatures, puisqu’il n’y en a aucune qui ne vienne de l’unité. Ce qui fait voir clairement à ceux qui ont les yeux de l’esprit ouverts que toutes choses ont été faites par cette forme primitive qui seule exprime parfaitement ce que toutes les autres choses cherchent et imitent en quelque manière.
*Union. N. 18.
e. Effets de la Religion en nous : tout ceci est conforme aux Manuscrits (aux Explications sur la Ste Écriture imprimées depuis.)
f. St Augustin prouve que la Religion chrétienne doit avoir pour fin l’union immédiate et sans moyen. Il est certain que l’esprit intérieur de la Religion chrétienne et catholique nous conduit à cela.
Adorons donc cette Sainte Trinité d’une seule et même substance : c’est l’unique Dieu en qui se trouve le principe qui nous a fait, et le don ineffable par lequel il nous conserve et nous fait subsister. Ce Dieu que nous avions abandonné et de qui nous avions perdu la ressemblance et qui n’a pas voulu nous laisser périr. Ce principe vers lequel nous retournons, ce modèle que nous suivons et auquel notre renouvellement nous rend conformes, et cette bonté, source de toute grâce qui opère notre réconciliation, ce Dieu souverainement bon, qui est l’auteur de notre être, cette (b) ressemblance substantielle du Père, par laquelle l’image (a) de cette souveraine unité se retrace en nous, et cette (b) paix éternelle qui nous tient unis à Dieu, qui n’a eu qu’à parler pour faire tout ce qu’il y a de natures et de substances. Cette Parole éternelle par laquelle il les a faites, ce don ineffable de sa bonté qui a fait que les créatures qu’il a tirées du néant par sa parole ont trouvé grâce devant ses yeux et qu’il a bien voulu ne les pas laisser périr entièrement, cet unique Dieu qui comme Créateur nous a donné l’être et la vie, qui comme Réparateur nous a fait entrer par le renouvellement qu’il fait en nous, dans une vie conforme aux règles de la véritable (c) Sagesse, qui comme Sanctificateur nous fait arriver à la vie bienheureuse (d) en nous communiquant son amour et en nous faisant jouir de lui, enfin cet unique Dieu de qui, par qui et en qui sont toutes choses : à lui soit honneur et gloire dans tous les siècles des siècles (e). Ainsi soit-il. Là même, chap. 55.
b. Comme un, il nous appelle à l’unité. Comme ressemblance du Père, il nous appelle à la conformité.
a. Le Traducteur : cette image se retrace à mesure que notre cœur se simplifie, se retirant de toute la multiplicité des objets qui le dissipent. (Comment l’image du Verbe se retrace en nous, voyez Moyen court. Chap. 21. N.5)
b. Notez paix éternelle qui nous tient unis à Dieu
c. Cette véritable Sagesse n’est autre que la Sagesse de Jésus-Christ, et non la fausse sagesse que le monde estime, et que Jésus-Christ a condamnée.
d. Aimer et jouir de Dieu, c’est l’unique félicité de toutes substances spirituelles. N’est-ce donc pas in étrange malheur de se priver par soi-même de cette unique et essentielle félicité ?
e. Ainsi soit-il, même à mes dépens.
4. Vouloir être heureux, c’est chercher Dieu, et l’être effectivement, c’est l’avoir trouvé et le posséder. Or le chercher, c’est (a) l’aimer, et le posséder, ce n’est pas être transformé et comme fondu en sa substance, en sorte qu’on ne soit plus qu’une même chose avec lui ; c’est être près de lui jusqu’à le toucher, mais d’une manière ineffable que la seule intelligence peut concevoir, en sorte qu’on soit non seulement éclairé, mais environné et pénétré de sa vérité et de sa sainteté infinie, car il est la lumière par essence et toute l’excellence de notre nature ne consiste qu’en ce que nous sommes capables d’en être éclairés.
a. cette recherche ou ce désir n’est pas la transformation, car la transformation, qui consiste à être transformé et comme fondu, non en sa substance, en sorte qu’on ne soit plus qu’une même chose avec Dieu, mais en réalité de volonté et de vérité, au sens que je vais dire, est incompatible avec la recherche et le désir sensible, mais non pas avec le désir propre de cet état qui est le poids de l’amour, ainsi qu’il est écrit (aux Confess. De St Augustin. Livr. 13. Chap. 9.) : mon amour est mon poids. C’est donc parler improprement que de dire que l’âme ne désire pas, puisqu’il est certain qu’elle désire toujours, mais c’est qu’il y a un temps où l’âme sent son désir, alors elle connaît qu’elle désire et elle dit : je désire. Mais il en vient un autre où ne connaissant et ne distinguant point son désir, son ignorance lui fait dire qu’elle ne désire point, et elle ne peut dire autre chose, à moins qu’une lumière surnaturelle ne lui fasse voir autrement. Cette lumière surnaturelle lui fait donc comprendre que le désir sensible est la recherche de Dieu, que le désir qui n’est point aperçu dans la jouissance du bien qu’on cherchait est le poids de l’amour. La recherche se fait de l’amour et c’est un désir pour l’amour. Mais la jouissance est la possession de l’amour même. Et ce désir qui se fait dans l’amour n’est autre que le poids de l’amour qui ne peut se distinguer de ce même amour, comme le poids qui nous enfonce dans la mer ne nous laisse rien distinguer que la même mer, au lieu que le désir d’arriver à la mer nous laisse distinguer toutes nos démarches et le désir d’y arriver est très sensible. Mais lorsqu’on y est plongé, on ne distingue plus rien en elle qu’elle-même, sans cesser néanmoins de s’y enfoncer toujours plus. Car si la mer était infinie, n’est-il pas vrai qu’on s’y enfoncerait à l’infini, sans autre action ni distinction que la mer ? Et c’est cet enfoncement indistinct en Dieu qui est le désir de l’âme à ce degré.
Ceci fait voir la différence de la transformation des Mystiques d’avec l’erreur des manichéens, qui croyaient que nos âmes étaient des portions de la substance de Dieu, ce qui ne peut jamais être, dieu étant une substance indivisible, mais aussi communicative. En tant que communicative, c’est donc une émanation de Dieu et non une portion de sa substance. Nous sommes transformés en Dieu par l’amour qui faisant passer notre volonté dans la volonté de Dieu, elle n’a plus certaines fonctions propres qui la rendaient imparfaite et dissemblable à Dieu.
La transformation de notre esprit se fait lorsque perdant ses lumières propres, il se laisse remplir et éclairer d’une vérité nue, simple et générale qui chasse si fort tout ce qui lui est contraire, soit erreurs, soit opinions, soit confusions d’espèces, multiplicité de raisons, qu’elle semble tout convertir en elle. Il est vrai que cette lumière de vérité et cette volonté de Dieu changent la nature des opérations de l’esprit et de la volonté en se les conformant, en sorte que l’entendement, qui par son opération grossière ne comprend les choses que successivement, et montant des unes aux autres, ou comparant les unes avec les autres, est surpassé par la lumière pure et nue de la vérité. Il est donné à cet entendement une lumière conforme à cette vérité, qui est une foi nue, confuse, générale, qui embrasse son objet tout d’un coup, sans succession ni comparaison, sans raisonnement. Or cette simple disposition de foi nue dans l’esprit étant conforme à la vérité, attire la vérité. Et cette vérité ne trouvant plus dans l’esprit de contrariétés qui lui sont opposées, parce que la foi l’en a purifié, elle illustre tellement l’entendement que l’esprit paraît transformé en cette même vérité, comme l’air pénétré des rayons du Soleil éblouit les yeux tout ainsi que le Soleil même, quoique l’air ne soit point le Soleil, ni le Soleil l’air. Il est certain que l’esprit conserve toujours sa substance et même sa forme créée, mais il est tellement changé quant à son opération, qu’il reçoit sans mélange la vérité nue, parce qu’il a été disposé pour cela par la foi nue. Et cette vérité claire et nue surmonte tellement toutes les lumières de notre esprit qu’elles paraissent comme éteintes. Elles ne le sont pas néanmoins, mais elles sont informées d’une autre lumière de vérité nue, propre à l’esprit purifié. Si je dis quelque chose qui ne soit pas bien, je le soumets, car comme je l’ai dit, ce que j’écris me paraît toujours nouveau et il passe par moi sans être de moi.
Pour la transformation de la volonté, elle se fait aussi fort. La volonté de Dieu purifiant peu à peu les contrariétés et les oppositions de notre volonté, elle attire à elle par conformité de telle sorte la volonté de l’homme, l’imprimant des caractères propres à cette conformation, en sorte qu’ôtant à l’homme l’usage propre de sa volonté, en ce qu’elle a de contraire à la volonté de Dieu, l’âme ne trouve plus en elle que la volonté de Dieu, quant à l’acte de cette volonté qui ne veut que ce que Dieu veut. Dieu la change si fort en la sienne, ne lui laissant que les impressions de ses divins vouloirs que l’âme ne distingue plus sa volonté. Ce qui n’empêche pas que sa volonté comme portion essentielle d’une âme indivisible, aussi bien que son esprit, ne subsiste toujours, mais l’usage de la volonté, en ce qu’elle avait de contraire à Dieu, est changé en une telle uniformité des vouloirs divins qu’elle est dite être faite volonté de Dieu. Mais cela ne peut jamais être pris substantiellement, ainsi que je l’ai fait voir dans l’Explication du Cantique (Ch. 1v. 1), où je dis que l’être de l’homme subsiste dans son entier et n’est point transformé autrement que comme je le viens d’expliquer. Je voudrais pouvoir l’exprimer aussi nettement que je le conçois, mais votre science suppléera au défaut de mes expressions.
Il faut savoir que toute transformation d’esprit et de volonté se fait par l’amour, car la vérité est la lumière de l’amour, et l’amour en est la chaleur. Ils sont distincts et indivisibles, comme dans la gloire, l’amour et la lumière béatifique quoique très distincts de l’amour se trouve conjoints et inséparables dans jouissance de Dieu.
Or si la souveraine félicité n’est autre chose que la possession de Dieu, il s’ensuit que le plus important des commandements, et qui nous conduits le plus sûrement à cette félicité, c’est sans doute celui qui nous ordonne d’aimer (a) le Seigneur notre Dieu (b) de tout notre cœur, de toute note âme et de tout notre esprit (a). Et c’est ce qui résulte de ce que dit saint Paul, (a) que tout tourne en bien à ceux qui l’aiment, et il ajoute un peu plus bas, que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les vertus, ni les maux présents, ni les biens à venir, ni ce qu’il y a de plus élevé ou de plus profond, ni aucune créature ne sauraient nous séparer de l’amour de Dieu qui nous est communiqué par Jésus-Christ Notre Seigneur.
a. Tout est compris dans le commandement d’aimer.
b. Matth. 22. V. 37.
a. Comment aimer Dieu de tout notre esprit ? C’est lorsque la vérité et l’amour unis nous ont rendus uniformes et transformés en Dieu. Alors on aime de tout l’esprit, puisque cette vérité, qui est la clarté de l’amour, pénètre notre esprit à proportion et à mesure que sa chaleur pénètre notre cœur ou notre volonté, car la volonté est le cœur de l’âme, comme l’entendement en est l’esprit. Notre esprit étant transformé dans la lumière de vérité, et notre volonté en chaleur d’amour efficace, nous aimons Dieu de tout notre cœur et de tout notre esprit. Nous l’aimons de toute notre âme, puisque ce sont nos puissances indistinctes qui composent son tout indivisible. Nous l’aimons de toutes nos forces, parce qu’en aimant de la sorte, nos forces multipliées et divisées dans tous les objets du dehors se trouvent recueillies et ramassées dans cet amour unique et uniforme.
L’amour pur ne souffre ni division ni partage, parce qu’il est unique et souverain : comme unique, il abhorre la division ; comme souverain, il ne peut souffrir de partage.
Tout autre amour est partagé : il n’y a que le pur amour dégagé de toute multiplicité, tel que le requiert l’état intérieur dans toutes ses parties et dans sa totalité, selon qu’il est expliqué en cet éclaircissement, qui soit le seul amour sans partage, puisqu’on marche par le dénuement et la séparation de tout objet créé, on se ramasse et on se recueille en un seul et unique objet qui est Dieu. Il est véritablement notre objet béatifique, lorsqu’il nous a purgés de toutes les contrariétés qui l’empêchent de régner souverainement en nous. De sorte que, comme je pense l’avoir déjà dit, (voyez ci-dessous n° 27 la note. Voyez aussi Perte, n° 30, la note), la voie intérieure est un tout indivisible, composé de parties auxquelles on ne peut toucher sans la détruire. En sorte que si vous en admettez une partie et ôtez l’autre, vous la détruisez. Il faut tout ou rien. Si vous admettez ses principes et son commencement, aussi bien que son progrès, il faut admettre sa consommation et sa fin. Sans quoi, c’est une ébauche de la vérité de l’intérieur, mais ce n’est point l’intérieur parfait.
Que si on dit que l’on remet sa consommation dans l’autre vie, je dis que dans l’autre vie sera la consommation de la grâce et de la gloire, la consommation de tout accroissement et de tout mérite, le fruit, la récompense et la jouissance claire de la vérité de l’intérieur. Mais pour l’intérieur en lui-même, il doit avoir sa totalité composée de ses parties perfectionnées et consommées dans cette même totalité dès cette vie. Il a son commencement, qui n’est autre que la parfaite conversion en tous les sens que le parfait recueillement l’exige. Son progrès qui est cette faim et cette recherche continuelle de Dieu par l’éloignement, la fuite et la purification de tout ce qui lui est contraire, la fin de cet état est le repos dans le Souverain bien qu’on a cherché et désiré. Mais il faut remarquer que ce repos est dans la jouissance de Dieu, autant qu’on la peut avoir en cette vie. Ce qui n’empêche pas qu’on n’avance toujours en lui, ainsi l’état est consommé quant à l’activité de la créature, mais il n’est pas consommé ni achevé quant à l’opération perfectionnante de Dieu. Je crois qu’on peut se servir de la comparaison du corps humain qui est dit être parfait, lorsqu’il est composé de toutes ses parties Et quoiqu’il se trouve des aveugles, boiteux, manchots, on ne dit pas pour cela qu’il faille être de cette sorte, ni que le corps doive manquer de ces parties, mais on dépeint un corps parfait, lorsqu’il ne lui manque rien. Et outre cette perfection, il y a la beauté et l’éclat de la perfection, lorsque toutes ses parties sont non seulement entières, mais qu’elles ont toutes les justes proportions qu’elles doivent avoir, que le coloris y est ajouté. Lorsqu’on peint un corps parfait, on le peint de cette sorte, et tout le monde convient que la beauté de ce corps est une beauté parfaite, quoiqu’il soit certain que sa perfection ne soit rien au prix de celle qu’il aura dans la gloire. Or pour nous faire voir que le corps n’a pas la perfection de la gloire, quelque beau qu’il nous paraisse, on ne lui ôte pas pour cela les parties essentielles qui composent son tout. Il en est de même de l’intérieur. Disons que sa perfection sera toute autre dans l’autre vie, mais ne lui ôtons aucune de ses parties qui composent ce tout admirable, qui est le chef-d’œuvre de l’amour et de la puissance de Dieu, puisque selon le témoignage du B. Jean de la Croix, que j’ai déjà rapporté (V. Purification, n. 32) Dieu a plus fait en purifiant et réformant l’homme qu’en le créant. On peut voir dans l’ordre général du monde ce que j’avance, pour l’ordre particulier de l’âme. Un fiat a tiré toutes les créatures du néant, et il a fallu la mort d’un Dieu pour les réparer, purifier, renouveler et rétablir dans l’ordre de Dieu.
Le traducteur du Livre de St Augustin, ensuite de cette apostille ; qui aime Dieu le cherche et qui le cherche le trouve, ajoute que puisque, comme l’on a vu, aimer Dieu c’est le chercher, et quiconque le cherche, le trouve, il arrive infailliblement à le posséder, c’est-à-dire, comme on l’a vu au Chap. 10, qu’il est heureux et qu’il l’est quoiqu’il lui arrive, puisque les biens et les maux contribuent également à le porter à ce qui fait son bonheur : tout le bonheur de la vie consiste à marcher incessamment vers Dieu, sans s’arrêter pour toutes les prospérités ou adversités qui nous arrivent et de s’y reposer au-dessus de tous les maux et de tous les biens.
a. Rom. 8. V. 28, 38, 39.
Il ne faut donc qu’avoir compris ce que nous venons d’établir, et en être bien persuadé, pour voir clairement que s’il est vrai, comme nous n’en saurions douter, que tout tourne en bien à ceux qui aiment Dieu, il est donc ce qu’il y a de meilleur pour nous, c’est-à-dire qu’il est le Souverain Bien, à l’acquisition duquel nous devons travailler avec un empressement qui nous fasse mépriser tous les autres, et à qui tout le monde convient que tout notre amour est dû. Aussi nous ordonne-t-il non seulement de l’aimer, mais de l’aimer de telle sorte que nous n’aimions nulle autre chose.
Car c’est ce que l’Écriture nous veut faire entendre quand elle nous ordonne de l’aimer de tout notre cœur, de toute notre âme et de tout notre esprit. Et s’il est vrai d’ailleurs, comme nous n’en saurions douter non plus, qu’il n’y a rien qui nous puisse séparer de l’amour de Dieu, ni par conséquent nous le (a) faire perdre, n’est-il pas plus clair que le jour qu’il est le plus solide et le lus assuré, aussi bien le plus grand et le plus excellent de tous les biens ? (b) Comment pourrait-on nous séparer de l’amour de ce Bien ineffable, en nous menaçant de la mort, puisque la partie de nous-mêmes par où nous l’aimons ne saurait mourir qu’en cessant de l’aimer ? Car la mort de l’âme n’est autre chose que l’extinction de l’amour de Dieu en elle, et (a) cet amour s’éteint dès qu’elle aime quelque chose plus que Dieu, c’est-à-dire, dès qu’elle cherche quelque autre bien préférablement à celui-là.
Comment pourrait-on nous en séparer par la promesse de la vie, puisque ce serait comme sien nous promettant de l’eau, no nous séparait de la source ? Comment les anges pourraient-ils nous en séparer, puisque (b) la force d’une âme qui est unie à Dieu n’est point inférieure à celle des anges (c) ?
a. Si la charité se perd sitôt qu’on aime quelque chose plus que Dieu, il est constant qu’elle s’affaiblit dès qu’on aime quelque chose avec Dieu, quoiqu’on l’aime moins que lui. Car comme ce que nous aimons frappe les sentiments, il est à craindre que d’un amour dépendant nous n’en faisions un amour égal. Ce qui affaiblit si fort la charité qu’elle n’a presque plus de vie. Lorsque l’inclination est parvenue jusque-là, elle éteint bientôt la charité, faisant un amour souverain d’une charité subordonnée.
b. Force d’une âme unie à Dieu égale à celle des Anges.
c. Le traducteur : les Anges n’en ayant eux-mêmes que par leur union avec Dieu.
Comment les vertus le pourraient-elles, puisque si on entend par ce mot-là quoique ce puisse être, de ce qui peut quelque chose dans l’Univers, l’union d’une âme avec Dieu l’élève au-dessus de l’Univers ? Ou si on entend par le mot de vertus les dispositions de l’âme qui en font la rectitude et la perfection, tant s’en faut que les vertus nous puissent séparer de Dieu, que si elles sont dans les autres, elles nous sont un secours pour nous unir à lui ; que si elles sont en nous, c’est par elles que nous sommes (a) unis à Dieu.
Comment les maux pourraient-ils nous en séparer, puisqu’ils nous sont d’autant moins sensibles (b) que nous sommes plus unis à celui dont ils semblent nous vouloir séparer ?
Comment les promesses de quelque bien à venir pourraient-elles nous séparer de Dieu ? Puisqu’il n’y a de promesses solides et sûres que les siennes, ni de biens véritables que ceux qu’il nous promet, qu’il est lui-même le plus grand de tous les biens et qu’il est même déjà (c) présent à ceux qui lui sont unis de la manière dont on doit l’être ?
a. Le traducteur : St Augustin fait voir au Chap. 13 qu’il n’y a que la charité qui puisse nous unir à Dieu. Cela s’accorde bien avec ce qu’il dit ici : que c’est par la vertu que nous lui sommes unis, puisque comme on verra au chap. 15, toute vertu est charité.
b. Apostille du même. L’union avec Dieu est le seul véritable adoucissement des maux de la vie. Mais l’on y cherche toujours plutôt tout autre adoucissement que celui-là.
c. Dieu est présent à ceux qui lui sont unis, ou parce qu’ils ont une expérience réelle de sa présence, ou comme bien Souverain qu’ils possèdent déjà en quelque manière par leur union qui est une béatitude commencée.
Comment ce qu’il y a de plus élevé et de plus profond pourrait-il nous séparer de Dieu, puisque si on entend par ces mots, la sublimité ou la profondeur de la science, je sais que la curiosité est une des choses que je dois éviter pour ne me point séparer de Dieu ; qu’en vain les plus savants hommes s’efforcent de m’en séparer, sous prétexte de me tirer de l’erreur, puisque je sais que (a) personne n’est dans l’erreur que pour être séparé de lui ? Que si on entend par ces mots-là le ciel et l’enfer, comment la promesse du ciel ou la crainte de l’enfer pourraient-elles me séparer de Dieu, puisque je sais que le ciel est son ouvrage, et que si je n’étais point séparé de lui, je n’aurais rien à craindre de l’enfer ?
a. Apostille. Quelle est la source de l’erreur où les hommes sont plongés ?
Enfin en quelque lieu qu’on me mette, comment pourrait-on me séparer de Dieu puisqu’il est partout ? Ce qui ne pourrait être, si quelque sorte d’espace ou de lieu pouvait le renfermer ou le contenir. Des mœurs de l’Église, chap. 2.
5. Nous passons de clarté en clarté, et par la lumière créée de la grâce divine, nous sommes élevés dans la lumière incréée qui est Dieu même. Nous sommes introduits et transformés en notre éternelle image qui est la Sainte Trinité. Là le Père nous trouve et nous aime en son Fils. Le Fils nous trouve et nous aime du même amour en son Père. Le Père et le Fils nous embrasse dans l’unité (130) du Saint-Esprit. Des sept gardes, chap. 17.
6. Voyez Opérations propres, no 6.
7. Cette déification est au-dessus de toute raison, et n’est connue que de l’expérience. La raison se peut tromper aisément dans ces choses qui sont au-dessus d’elle, mais celui qui est pleinement éclairé de Dieu trouve et possède la vérité sans fausseté et sans erreur. Théologie mystique, livre III, chap. 24.
8. Je ne vois plus d’union, parce que je ne puis plus voir autre chose que Dieu seul sans moi. Je ne sais où je suis, ni ne cherche pas à le savoir, ni n’en veux avoir de nouvelles. Je suis aussi noyée dans la source de l’amour et dans ce doux feu qui surpasse toute mesure, comme si j’étais abîmée (a) dans la mer sans pouvoir ni voir ni sentir que l’eau. En sorte que je ne puis plus comprendre autre chose que tout amour, qui me fait fondre toutes les moelles de l’âme et du corps. En sa Vie, chap. 22.
a. Ceci est une expérience de la doctrine précédente. Il me semble qu’on peut aussi se servir de la comparaison du feu et du bois pour prouver de quelle nature est la transformation : car comme véritablement le feu communique ses qualités au bois, sans le faire changer de nature, quoiqu’il le change néanmoins de telle sorte en ses qualités qu’il a toutes celles du feu, cependant son être reste différent de celui du feu. (Il en est de même de la Transformation.) Voyez Purification. n. 45.
9. Voyez Anéantissement, no&nb