MADAME GUYON Les Justifications
En juin 1694, Madame Guyon demanda à être examinée sur ses mœurs pour pouvoir se justifier : « L’on veut corrompre mes mœurs pour corrompre ma foi1 ». Cette demande fut acceptée par Mme de Maintenon, qui la limita à la doctrine. Commencèrent les célèbres « entretiens d’Issy » qui se succédèrent depuis l’été jusqu’à janvier 1695. Madame Guyon ainsi que le duc de Chevreuse, son confident, furent écartés des premières discussions. Ces entretiens confirmèrent l’affrontement entre Bossuet et Fénelon. Y participèrent M. de Noailles, évêque de Châlons, assez faible de caractère, et l’honnête, mais prudent M. Tronson, supérieur de Saint-Sulpice2, malheureusement malade. Mme Guyon ne comparut devant ses juges qu’en décembre et janvier. Elle expose les circonstances de l’examen dans sa Vie, Chapitre 3.16 « Les Justifications » : [...]
[3.] Quoique je prisse la résolution de me retirer de tout commerce, je ne laissai point de faire savoir que toutes les fois qu’il s’agirait de répondre de ma foi, ce qu’on pourrait me faire savoir par la voie de mon temporel, je serais prête de me rendre partout où l’on voudrait. Peu de jours après, j’appris que Mme de Maintenon, de concert avec quelques personnes de la cour qui étaient déjà entrées dans cette affaire, qui avaient de la bonté pour moi et qui s’y intéressaient de bonne foi, avait pris le parti de faire faire un nouvel examen de mes écrits et d’employer pour cela des gens d’un savoir et d’une probité reconnue. M. le Duc de Chevreuse se chargea de me le faire savoir. Il me manda qu’il croyait, aussi bien que les autres en qui j’avais le plus de confiance, que c’était la voie la plus sûre de faire revenir les esprits et de faire tomber la prévention. Ce l’aurait été en effet si chacun y eût procédé avec les mêmes vues et la même intention. Mais c’était une condamnation que l’on voulait assurer, et la rendre si authentique, que ceux qui jusque-là étaient restés persuadés de ma bonne foi et de la droiture de mes intentions, ne pussent tenir contre un témoignage d’autant moins suspect qu’ils semblaient l’avoir recherché eux-mêmes et que tout, pour ainsi dire, eût passé par leurs mains. Je fis ce qu’on voulut, et je mandai que j’étais toujours prête de rendre [43] raison de ma foi et que je ne demandais pas mieux que d’être redressée si, contre mon intention, il m’était échappé quelque chose qui ne fût pas conforme à la saine doctrine.
[4.] On ne songea donc plus qu’à chercher sur qui on jetterait les yeux pour faire cet examen. Il fallait des personnes également agréables aux uns et aux autres, qui eussent la science, la piété et quelque connaissance des auteurs mystiques, parce que c’était cela principalement dont il s’agissait, de juger mes écrits par le rapport qu’ils pourraient avoir avec les leurs, soit pour le fond des sentiments, soit pour la conformité des termes et des expressions. Cette discussion paraissait difficile à faire dans Paris à cause de Monseigneur l’archevêque, à qui toutes les parties convinrent qu’il lui en fallait ôter la connaissance. Il ne l’aurait pas souffert, parce que naturellement elle le regardait seul au milieu de son diocèse, et s’il eût voulu le faire lui-même, aucun de ceux qui entraient dans cette affaire n’avait assez de confiance en lui pour s’en reposer sur sa décision.
Je dirai pourtant ici que dans le cours de cet examen, Monseigneur l’archevêque ayant reçu quantité de mémoires faux qu’on lui avait donnés contre moi, fit dire à une dame de mes amies par une parente de lui et de cette dame, que je le vinsse voir et qu’il me tirerait de toutes mes peines. Il voulait en avoir la gloire et qu’un autre ne s’en mêlât pas. Il m’aurait pleinement justifiée, ainsi que je l’ai appris de bonne part depuis ce temps-là. Je dois cette justice à la fidélité de mon Dieu qu’il ne me manqua pas dans cette occasion et qu’il me fut mis au cœur d’y aller. Je me croyais même obligée d’obéir à la voix de mon pasteur, mais mes amis, qui craignaient que M. de Paris ne tirât mon secret sur M. de Meaux, ignorants qu’il ne l’avait pas gardé lui-même, ne me permirent pas d’y aller, ni de suivre le penchant que j’y avais. Je n’y fus donc point, agissant en cette occasion contre mon propre cœur et voyant en gros tous les malheurs que ce refus entraînait avec lui. M. de Paris, indigné avec raison de ce que j’avais refusé de l’aller trouver, censura mes livres, ce qu’il n’avait pas fait jusqu’alors, ayant été content des explications que je lui avais données six ou sept ans auparavant. Après cette censure, on ne mit plus de bornes à la calomnie et M. de Meaux se trouva encore plus autorisé dans la condamnation qu’il avait promise à Mme de Maintenon. Je reviens à l’examen proposé.
[5.] Le premier sur qui on jeta les yeux fut M. de Meaux. Il en avait déjà fait un particulier du su de Mme de Maintenon quelques mois auparavant. Elle le voulut voir pour sonder ses sentiments, et jusqu’où elle pouvait compter sur lui dans la vue qu’elle avait. Il ne fut pas difficile à ce prélat de pénétrer dans son intention et [de remarquer] la part qu’elle prenait à cette affaire, ou plutôt son inquiétude sur ses amis. Il y a lieu de croire qu’il lui promit tout ce qu’elle souhaitait, et l’on peut dire que l’événement ne l’a que trop justifié. D’un autre côté ceux qui s’intéressaient pour moi dans cette affaire, et moi-même je fus bien aise de l’y voir entrer. J’avais eu lieu de lui expliquer une infinité de choses sur lesquelles il m’avait paru content, quoique sur quelques autres il eût persisté dans une opinion contraire. Je ne doutai point que dans une discussion paisible, en présence de gens de considération et de savoir, qui seraient tous également au fait, je ne le fisse au moins revenir assez pour ne pas condamner en moi ce qu’il n’oserait pas condamner dans tant de saints canonisés par l’Église, aussi bien que leurs œuvres. Il m’avait de plus administré les sacrements dans le premier examen si rigoureux, et avait offert de m’en donner un certificat à telle fin que de raison3 pour ma consolation ; les choses sur lesquelles nous ne convenions point, n’ayant point été décidées par l’Église, n’en blessaient point la foi. Toutes ces considérations me portèrent à le demander. Je demandai aussi Mgr l’évêque de Châlons, qui avait de la douceur et de la piété ; comme il avait été autrefois sous la conduite d’un grand serviteur de Dieu, qui avait été aussi mon directeur dans ma jeunesse, je crus qu’il aurait plus de connaissance des choses de la vie spirituelle et des voies intérieures que M. de Meaux et que mon discours lui serait moins barbare, car en effet, c’était ce dont il s’agissait, plus que du dogme de l’Église. Mr le Duc de Beauvilliers et Mr l’abbé de F(énelon) souhaitèrent que M. Tronson y entrât aussi. Il était depuis longtemps supérieur de la maison de Saint-Sulpice. Ils avaient l’un et l’autre une confiance en lui très particulière.[...]
On appréciera mieux le contexte historique par un aperçu chronologique couvrant les quatre années qui précèdent (1690 à 1694)4 :
1690 : Une retraite paisible
Nous avons très peu de renseignements sur la période paisible couvrant les années 1690 à 1693 où Mme Guyon séjourne souvent à Vaux-le-Vicomte dont on apprécie toujours de nos jours le cadre et le château construit par Nicolas Fouquet. Il constitue une retraite à distance convenable de la Cour puisque situé au sud-est de Paris. Libre, elle peut avoir des contacts directs avec ses proches, ce qui diminue le besoin de correspondre par écrit et nous prive donc de sources écrites.
Depuis ma sortie de Sainte-Marie, j’avais continué d’aller à Saint-Cyr [...] [Mme de Maintenon] me marquait beaucoup de bontés [...] [ce qui dura] pendant trois ou quatre années5.1691 : Premières inquiétudes
« Premières inquiétudes » de Mme de Maintenon qui, dès l’été 1691, se préoccupe de faire venir à Saint-Cyr des Lazaristes, destinés peut-être à contrebalancer l’influence de Fénelon 6.Retour de Mme Guyon de sa « campagne », où elle habitait avec le jeune ménage. À Paris, elle loue une petite maison et vit retirée7.1692 : Bossuet mis en action
8 juillet : une lettre de Mme de Maintenon prend parti contre la « nouvelle spiritualité » de Saint-Cyr8 : « On y ferait des livres sur le pur amour […] Chacun croit être dans l’état qu’il s’imagine ». Peut-être ne s’agit-il encore que d’une précaution prise pour tenir compte de ce qui devient le nouveau sujet d’intérêt chez des courtisans ?31 août : Bossuet consacre Godet des Marais évêque de Chartres ayant autorité sur Saint-Cyr. Il est mis en action contre le groupe guyonnien, peut-être avec la participation de jansénistes, irrités de voir que l’amitié de Fénelon pour le duc de Chevreuse9 avait contribué à détourner ce dernier de Port-Royal10. À partir de l’automne, Godet utilise comme informatrices pour son propre compte Mme du Pérou et une autre religieuse, et leur fait espionner le « petit groupe » guyonnien des Dames de Saint-Cyr11.1693 : St Cyr interdit, examens
Une dévote attachée à M. Boileau12 calomnie Mme Guyon et entraîne ce dernier qui persuade à son tour l’évêque Godet. Mme de Maintenon tint bon quelque temps [...] Elle se rendit [...] aux instances réitérées de Mgr l’évêque de Chartres13. En mars, rencontres avec M. Boileau (de l’Archevêché) et M. Nicole14 : les conversations portent sur le Moyen Court et Mme Guyon rédige une Courte Apologie qui précise quelques points15. Mme de Maintenon prie Mme Guyon de ne plus venir à Saint-Cyr16.En août : Quelques personnes de mes amies jugèrent à propos que je visse Mgr l’évêque de Meaux : elle le rencontre chez le duc de Chevreuse en sa présence et lui remet tous ses écrits. Il lut tout avec attention, il fit de grands extraits et se mit en état [...] d’écouter mes explications17. Mme Guyon fait examiner ses écrits par Nicole, Boileau et Bossuet.Ce même été, saisie des ouvrages de Mme Guyon à Saint-Cyr lors de la visite canonique de Godet, avec « une mise en scène un peu ridicule »18. L’attaque se concentre contre Mme de la Maisonfort. Le petit groupe guyonnien résiste tout l’automne ; en octobre, échange de lettres entre Madame Guyon et Bossuet : ce dernier est choqué par les communications en silence décrites dans la Vie et ne peut comprendre l’oraison passive des mystiques19. 1694 : crise et entretiens d’Issy
Les événements se précipitent pour lesquels, outre le récit de la Vie, nous disposons d’une abondante correspondance qui circule par l’intermédiaire du duc de Chevreuse.
Le 30 janvier, entretien rue Cassette, chez les bénédictines du Saint-Sacrement20, avec Bossuet, qui avait terminé l’examen des écrits de Mme Guyon : Ce n’était plus le même homme. Il avait apporté [...] un mémoire contenant plus de vingt articles [... il] prétendait qu’il n’y a que quatre ou cinq personnes dans tout le monde qui aient ces manières d’oraison [... mais] il y en a plus de cent milles dans le monde21. Le 20 février, nouvelle conférence après un échange de lettres qui se poursuit ensuite.
Le 7 juin, Mme Guyon écrit à Mme de Maintenon pour l’autoriser à justifier ses mœurs (des calomnies circulaient). Monsieur Tronson s’informe. Maladie : c’était un poison fort violent qu’on m’avait donné ; puis Mme Guyon prend les eaux à Bourbon l’Archambault22. On cherche des examinateurs. Le choix se porte sur M. de Meaux, Mgr de Châlons et M. Tronson. Mme Guyon prépare avec Fénelon ses Justifications23. Ils formeront « quinze ou seize gros cahiers » qu’elle fera parvenir à Bossuet avec une lettre datée du 3 octobre. Fénelon lui a déjà fait parvenir, le 28 juillet, la première partie de son travail apologétique ; d’autre part il entreprend la rédaction du Gnostique24.De fin juillet à septembre ont lieu les premiers entretiens d’Issy, abordant notamment la question du sacrifice conditionnel du salut. Le duc de Chevreuse est écarté des entretiens par Bossuet25. Ce dernier a communiqué la Vie à Tronson et à Noailles. Le 16 octobre, mandement de l’archevêque de Paris Harlay condamnant le Moyen Court et le Commentaire des Cantiques.
Le 6 décembre, Mme Guyon rencontre enfin ses trois examinateurs d’Issy, au logis parisien de Bossuet.
1720 : Edition Poiret en trois tomes.
§
Plus d’un millier de pages de Justifications… fut rassemblé par Mme Guyon pendant l’été 1694, « en cinquante jours de temps ». Elle raconte dans sa Vie, Chapitre 3.16 « Les Justifications », au § 7 faisant suite à notre extrait précédent :
… J’envoyai en même temps à ces messieurs, outre mes deux petits livres imprimés, mes Commentaires sur l’Écriture sainte, et j’entrepris par leur ordre un ouvrage pour leur faciliter l’examen qu’ils entreprenaient et les soulager d’un travail qui ne laissait pas d’être assez pénible, ou qui leur aurait pris du moins beaucoup de temps, qui fut de rassembler quantité de passages d’auteurs mystiques et autorisés qui faisaient voir la conformité de mes écrits et des expressions dont je m’étais servie avec celles de ces saints auteurs. C’était un ouvrage immense. Je faisais transcrire les cahiers à mesure que je les avais écrits pour les envoyer à ces messieurs et, suivant que l’occasion s’en présentait, j’expliquais les endroits douteux ou obscurs, ou qui n’avaient pas été suffisamment expliqués dans mes Commentaires parce que je les avais composés dans un temps où, les affaires de Molinos n’ayant pas encore éclaté, j’avais écrit mes pensées sans précaution et sans m’imaginer qu’on pût jamais les détourner aux sens condamnés. Cet ouvrage a pour titre Les Justifications. Il fut composé en cinquante jours de temps, et paraissait fort capable d’éclaircir la matière.
L’intérêt déborde largement celui d’un dossier établi en vue d’un procès, car le court délai et la maîtrise à cerner des notions-clés assurent une unité qui s’avère rare dans le genre anthologique. Surtout, le choix ne se limite pas aux prémices de la vie mystique, mais couvre tous ses aspects. Enfin toute controverse de nature théorique en est absente, le tout restant très justement focalisé sur la pratique de la vie intérieure pendant que Fénelon, dans ses travaux parallèles de la même époque, apportait toute sa compétence e théologique. L’ensemble forme la meilleure anthologie mystique chrétienne, mais elle est demeurée quasiment inconnue.
La structure est originale et fait apparaître une objectivité toute moderne : au lieu d’obéir à un schéma directeur, toujours arbitraire parce qu’il ne peut rendre compte que d’un seul point de vue, cette anthologie évite tout a priori schématique par le recours à soixante-sept notions ou clés. Pour chacune de ces clés, sont donnés en premier lieu les passages incriminés du Moyen court et du Commentaire au Cantique, qui sont déjà publiés à l’époque, ensuite les passages pertinents des auteurs classiques autorisés, toujours substantiels, parfois longs et couvrant plusieurs pages, en particulier lorsqu’il s’agit de Jean de la Croix.
Comment est réparti le contenu de cette œuvre ? Les commentaires de Mme Guyon représentent environ le dixième du volume total. Plus de la moitié des passages retenus concernent cinq auteurs : Jean de la Croix vient en tête, ce qui montre la clairvoyance de Mme Guyon alors qu’il n’est pas encore canonisé26 ; Jean de Saint Samson le suit de très près : ses écrits sont bien connus de Mme Guyon qui a correspondu avec son disciple Maur de l’Enfant-Jésus ; on remarque la place importante accordée au grand carme de la réforme dite de Touraine et au carme déchaussé de la réforme espagnole. Catherine de Gênes est très présente, alors que le volume des dits qui lui sont attribués et des écrits la concernant est beaucoup plus réduit ; Thérèse d’Avila, canonisée depuis le début du siècle27, demeure cependant en retrait (loin derrière Jean de la Croix) ; enfin Denys, qui représente aux yeux des contemporains l’autorité des débuts de l’Église, ouvre chaque chapitre. Lorsqu’on ajoute à ces cinq auteurs principaux, douze autres auteurs, dont Clément d’Alexandrie, François de Sales et l’Imitation, on couvre les six septièmes des passages retenus. L’école rhéno-flamande est assez bien représentée si l’on regroupe les fragments connus à l’époque : en effet l’ensemble constitué par l’Imitation, Suso, Benoît de Canfield, Ruusbroec, Harphius, Tauler, prend la troisième place entre Jean de Saint Samson et Catherine de Gênes. Les auteurs mystiques « récents » (postérieurs au moyen âge) sont donc très bien représentés28. On peut penser que la collaboration entre Mme Guyon et Fénelon s’est tout naturellement traduite par un partage des tâches : à l’une les aspects mystiques, en défense immédiate de ses écrits, ce qui favorise tout naturellement des témoignages contemporains parfois sensibles aux aspects psychologiques ; à l’autre les aspects théologiques et le recours aux Pères de l’Église, tel Clément d’Alexandrie. Fénelon est toutefois largement présent dans le titre des Justifications et sa contribution apparaît au tome III, dans le supplément consacré aux Pères Grecs (où Clément se taille la part royale).
Une réédition à des fins spirituelles est souhaitable. Deux options : (1) reproduire le premier jet de 1694 à partir des manuscrits BN Fds Fr. 25 092 à 25 094 où l’ordre des passages au sein de chaque chapitre diffère de celui de l’édition du XVIIIe siècle, (2) respecter cette édition datée de 1720 qui fut très probablement voulue par Madame Guyon (-1717) et Fénelon (-1715) qui préparaient le futur. Elle cite les auteurs selon l’ordre chronologique.29. Aux citations s’ajoutent de fort intéressants développements rédigés sous forme de notes par Mme Guyon elle-même qui n’étaient pas signalées dans les tables des matières des éditions du XVIIIe siècle. C’est dans ces « notes » à redécouvrir que réside l’autre intérêt de cette anthologie mystique inégalée.
L’ordre suivi est celui des soixante-sept clés suivies des dix-huit apports provenant des Pères établis par Fénelon enfin de Cassien, le tout en un volume dense qui constitue une « bible mystique » maniable.
Citations (Guyon + Autorités) en corps droit, Commentaires de Madame Guyon en italiques. Titrages réduits à trois niveaux : titres des Parties, titres des Clés, titres d’Autorités spécifiées sous leurs noms d’auteurs (qui incluent Mme Guyon qui ouvre chaque clé sous forme d’extraits issus des Torrens et du Cantique).
Parfois certains Commentaires apparaissent dans la Table des matières entre les noms d’auteurs. Leurs incipit mis entre crochets permettent de les retrouver. Notre mise en valeur de Mme Guyon reste ainsi compatible avec des titrages limités à trois niveaux
Ce florilège se limite aux auteurs mystiques choisis au sein d’une foule d’écrivains spirituels.
Je peux imaginer que l’assemblage de l’été 1694 fut réalisé en deux mois à partir de trois vastes in-folio regroupant les écrits de Jean de la Croix et de ses défenseurs (1665), les dits rédigés de Jean de Saint-Samson (1658), enfin ceux de Catherine de Gênes (1662) soit 46% du florilège. Cette presque moitié est complétée par deux « avocats » incontournables : Denis, à l’époque considéré comme proche des premiers apôtres et l’évêque François de Sales très reconnu dans le monde catholique : ils représentent 8%. Faut-il d’autres « gardiens de l’orthodoxie » ? Madame Guyon assemble près de soixante mystiques choisis sur toute l’histoire chrétienne. En remontant le temps : l’auteur du Jour mystique , Olier, Constantin de Barbanson, Canfield, Teresa (12%) ; puis les anciens, l’auteur de l’Imitation, les Rhéno-flamands, Climaque et Augustin (6%). On couvre alors 72%, plus des 2/3 du florilège.
Son grand thème est celui de l’Unité retrouvée par un abandon total que requiert l’amour divin. Il peut alors se livrer dans une oraison mystique de passiveté.
Un pèlerinage au long cours a été entrepris depuis trente ans par l’auteure du florilège âgée de 46 ans à l’époque où elle doit se justifier. Voyages extérieurs et intérieurs furent parsemés d’épreuves. Les difficultés extérieures sont longuement décrites dans la Vie par elle-même. Les épreuves intérieures ne sont jamais livrées dans cette Vie ni dans les écrits publics, mais on en trouvera ici des confidences permises comme commentant les textes d’une trinité des mystiques.
Il s’agit d’œuvrer dans un abandon (acceptée après résignation). Il s’agit de vivre dans la « foi nue » mais obscure, parsemée de « ténèbres sacrées » et de nuits. Ce qui suppose un état robuste de consistance dans la perte de distinction de Dieu et de l’âme. Seule la mort entière achevée peut conduire à une fécondité spirituelle. Elle est attestée par madame Guyon après ses prédécesseurs dans la voie. On en trouve déjà quelque aperçu dans les extraits des commentaires qui suivent cet aperçu thématique. La maternité mystique fut par la suite vécue dans la plus grande simplicité et sans sortir de l’unité divine.
On ne peut guère en dire plus car les chemins vers la Source sont aussi divers que le sont les marcheurs. Il s’agit d’être sensible à une musique intérieure lisant entre les lignes de témoignages rapportés par diverses « Autorité(e)s ». La variété et l’absence voulue par un recours à des entrées sous forme de clés vis-à-vis de tout cadre contraignant qui serait de nature dogmatique, théologique ou simplement structurelle permettent une ouverture vers tous
Voici quelques extraits en autant de paragraphes que d’annotations diverses proposées par madame Guyon. On les retrouvera au fil de la lecture des citations de diverses Autorités :
Comme on voit un fer touché de l’aimant attirer d’autres fers, aussi une âme en qui Dieu habite de la sorte, attire les autres âmes par une vertu secrète ; de sorte qu’il suffit de l’approcher pour être mis en oraison et en recueillement. C’est ce qui fait que sitôt qu’on s’approche d’elle, on a plus envie de se taire que de parler...
il faut savoir qu’il y a de deux sortes d’extases : l’une qui est passagère et dans les puissances, qui paraît au dehors ; et l’autre qui se fait par anéantissement et sortie de soi pour passer en Dieu, et celle-là est durable et permanente.
De même que les âmes sales et impudiques communiquent cet air corrompu à qui les approchent : ainsi par un contraire effet une âme pure communique la pureté ; et comme elle est pleine de grâce et sacrée de l'onction divine, elle communique cette grâce et cette onction à ceux qui l'approchent. Et comme elle n'est pleine que de Dieu, elle ne peut communiquer que Dieu. Comme elle est vide de soi, elle ne se communique plus elle-même, ni rien d'elle [...] Il faut remarquer de plus que ce n'est par aucun signe extérieur qu'elle recueille les autres, mais comme elle est arrivée dans le Centre, l'impression se fait par le dedans, comme si c'était Dieu même, sans qu'il en paraisse rien au-dehors ; par ce que cet âme en sortant d'elle-même a outrepassée son propre fonds pour se perdre en Dieu au-delà d'elle-même : elle ne laisse donc aucune trace ni je idée d'elle, mais de Dieu, son amour et sa vie.
Il l'appelle sortir en évidence d'unité, parce que les personnes de même grâce, sans s'être jamais vues ont les mêmes sentiments et lumières [...] quand ils y sont arrivés et perdus en Dieu, ils ont une unité d'expérience et l'unité d'expression, quoiqu'avec une différente variété : parce que l'expérience de Dieu en nous est aussi différentes que les visages ; mais l'expérience de Dieu en Dieu est toujours et partout la même.
...si Dieu ne leur donne rien, elles le disent de même, n'ajoutant rien du leur [...] comme Dieu les tient toujours vides d'elles-mêmes et de toutes choses, il leur donne dans le moment actuel ce qu'il veut qu'elles répondent ; après quoi elles n'y pensent plus
il faut concevoir que Dieu fait l'amour de la créature égal à soi lors qu'ayant détruit en elle son amour-propre, il lui communique son amour même, afin qu'elle aime par son même amour ; et comme Dieu aime l'âme du même amour dont il s'aime, soi-même, rapportant à lui seul ; il s'aime en cette créature de ce même amour et lui donne de l'aimer par ce même amour, rapportant à lui seul comme objet et fin. Et c'est dans cette consommation d'amour unique qu'il la rend féconde en lui de sa fécondité
...celui qui est établi dans l'esprit de foi, ne varie plus, ne cherche rien, ne doute de rien ; parce que la volonté suit cet esprit de foi, en sorte qu'elle est, aussi bien que l'esprit, dans un parfait repos. Et c'est la différence qui se rencontre entre la foi commune et l'esprit de foi, qu'avec la foi pure de la croyance commune, la volonté est souvent très déréglée ; mais il n'en est pas de même de l'esprit de foi ou du don de la foi qui fait l'intérieur : la volonté est si unie avec elle qu'elle fixe la volonté ou la rend invariable.
...comment pouvoir s'élever où on ne peut monter ? C'est en se laissant attirer par un bras puissant ; ou bien étant devenu, par la perte de soi-même, comme une vapeur insensible que le soleil attire et purifie, et où enfin il s'imprime soi-même l'ayant fait participante de ses qualités.
Et comme ces âmes sont toutes intérieures, ce qu'elles font est tout intérieur, et arrive comme tout naturellement : et plus les choses paraissent naturelles et sont dites sans avertance [sic], plus elles ont leur effet. Et cela se fait avec tant de pureté que Dieu ne leur permet pas un retour, une seule réflexion ou vaine joie.
L'âme est heureuse et malheureuse toute en même temps ; c'est une participation de l'état de Jésus-Christ jouissant de la béatitude et accablé de douleur.
La vraie Humilité c'est l'Anéantissement.
Désespoir de soi, cause la parfaite confiance, qui est l'abandon entier de soi-même à Dieu.
Pour bien comprendre ceci, il faut expliquer de quelle manière se fait la sortie de soi ; parce que les personnes, qui n’ont pas l’expérience de ce qui est avancé ici, pourraient dire, que puisqu’il faut une fois cesser de chercher Dieu en soi pour le trouver en lui-même, il est bien plus à propos de l’y chercher tout d’un coup, que de commencer à le chercher en soi, et que c’est allonger le chemin, au lieu de le raccourcir, comme je l’ai dit ailleurs. Mais on se méprendrait beaucoup ; parce que celui qui n’est pas vraiment intérieur, cherchant Dieu en Dieu même, le cherche comme quelque chose fort distinct de soi et comme au-dehors ; il le cherche même au ciel : cela fait qu’au lieu de devenir intérieur et de ramasser, comme faisait David (psaume 58, verset 10) toutes les forces de son âme, pour s’appliquer à Dieu, on dissipe ces mêmes forces : comme l’on voit des lignes fort petites et dispersées se rassembler, et se fortifier en se rassemblant au point central, et par un effet contraire s’affaiblir et se disperser d’autant plus qu’elles s’éloignent du centre. Il en est de même des forces de l’âme, soit de la force pour connaître, soit de la force pour aimer : plus elle est ramassée en elle-même et dans son centre, plus elle a de force et de vigueur pour connaître et aimer. Et comme ces mêmes lignes qui sont fort divisées deviennent indivises dans ce point central ; aussi toutes les fonctions de l’âme si diverses et distinctes hors du centre, se rassemblant toutes, ne sont plus qu’un seul point d’unité indivise, quoique non pas indivisible. Il en est de même de l’âme ; toutes ses forces étant dans cette unité, parce qu’elles y sont assemblées, elle a une vigueur admirable pour Dieu. Et il est de conséquence de prendre ce chemin ; car plus l’âme se recueille et demeure recueillie, plus elle approche de l’unité ; comme l’on voit peu à peu les lignes se rapprocher, et se joindre enfin insensiblement, plus elles approchent de leur point central, et être d’autant plus divisées et séparées qu’elles s’en éloignent davantage. Ceci supposé je dis qu’il faut donc, pour devenir intérieur et spirituel, commencer à chercher Dieu en soi par le recueillement, sans quoi on ne parvient pas à l’unité centrale. Mais lorsqu’on y est parvenu, c’est alors qu’il faut sortir de soi, non en se multipliant au-dehors et retournant d’où l’on est venu ; mais en 158 se surpassant soi-même, ou s’outrepassant pour entrer en Dieu. Car cette sortie de soi ne se fait pas par le même chemin par lequel on est arrivé au recueillement ; mais comme en se traversant soi-même, pour ainsi parler, passant au-delà de soi, du centre créé dans le centre incréé qui est Dieu. Comme une personne arrivée à un lieu borné où il doit arriver nécessairement, ne retournerait pas sur ses pas pour en sortir, mais passe outre par le chemin qu’il trouve ouvert : ainsi sortir de soi c’est s’outrepasser. Et comme en arrivant au centre, qui est nous-même, il nous a fallu faire d’autant plus de chemin que nous étions plus extérieurement dissipés et éloignés du centre ; aussi plus on s’outrepasse soi-même, plus s’éloigne-t-on de soi de vue et de sentiment ; comme celui qui ayant fait beaucoup de chemin pour arriver à une hôtellerie, en fait ensuite beaucoup d’autres par delà et s’en éloigne d’autant plus qu’il marche davantage. Sitôt que nous sommes arrivés à notre centre, nous trouvons Dieu, et nous sommes invités, comme je l’ai dit, à sortir de nous-mêmes en nous outrepassant ; et alors nous passons en Dieu même très réellement. Car c’est alors qu’il se trouve vraiment où nous ne sommes plus ; plus nous marchons, plus nous avançons en Dieu, et plus nous nous éloignons de nous-mêmes.
L’opération du feu est toujours la même, qui est échauffer, brûler, éclairer ; et si nous lui voyons faire tant de différentes opérations, ce n’est que par rapport au sujet qui lui est présenté : car pour lui, il est toujours le même, toujours un en lui, quoiqu’avec une infinie variété d’opérations, qui ne font rien à sa constitution, laquelle ne peut jamais être altérée ni changée : ce qui paraît changement dans le feu, n’est qu’un accident qui ne vient pas de la cause, mais des sujets qui lui sont présentés.
... comme elle est passive pour souffrir l’opération de Dieu, elle est passive pour agir par l’opération de Dieu ; et cette passiveté est très agissante : elle peut faire cent actes sans actions propres, c’est-à-dire, sans action dont elle soit le principe agissant ; mais action par correspondance à celui qui la meut, qui lui donne le vouloir et le faire. La passiveté pour l’intérieur et l’oraison doit donc être fixe. Je veux dire, que l’âme ne peut jamais reprendre la méditation, et ne le doit jamais ; son oraison est toujours contemplation pure : et son oraison devient son action, et son action son oraison.
Pour mieux expliquer, il faut dire que Dieu n’est pas un moment sans verser cet amour sur tous les hommes, car il est impossible que Dieu étant un être communicable de sa nature, il ne se communique pas incessamment à tous les sujets disposés à recevoir ses communications, comme la rosée tombe sur tous les sujets qui lui sont exposés. Mais comme l’homme est né libre, il se ferme, il se retire de cette divine rosée, il lui tourne le dos, il ajoute obstacle sur obstacle pour empêcher qu’elle ne le pénètre. Que fait le sentiment qui naît de quelque bonne chose ? Il remue cet homme peu à peu, et lui ôtant ce qui l’empêche de se tourner, il les tourne ensuite du côté de celui qui répand et infuse sans cesse sa charité dans tous les cœurs. Sitôt que ce cœur est tourné et, comme la conque marine, il s’ouvre à la rosée, elle tombe d’abord sur l’âme. Et c’est les gouttes de cette rosée céleste plus ou moins abondante qui font le plus ou moins de charité. Plus le cœur est ouvert à Dieu, plus il reçoit de l’abondante plénitude de cette charité divine.
C’est donc parler improprement que de dire que l’âme ne désire pas, puisqu’il est certain qu’elle désire toujours, mais c’est qu’il y a un temps où l’âme sent son désir, alors elle connaît qu’elle désire et elle dit : je désire. Mais il en vient un autre où ne connaissant et ne distinguant point son désir, son ignorance lui fait dire qu’elle ne désire point, et elle ne peut dire autre chose, à moins qu’une lumière surnaturelle ne lui fasse voir autrement. [...] Et ce désir qui se fait dans l’amour n’est autre que le poids de l’amour qui ne peut se distinguer de ce même amour, comme le poids qui nous enfonce dans la mer ne nous laisse rien distinguer que la même mer, au lieu que le désir d’arriver à la mer nous laisse distinguer toutes nos démarches et le désir d’y arriver est très sensible. Mais lorsqu’on y est plongé, on ne distingue plus rien en elle qu’elle-même, sans cesser néanmoins de s’y enfoncer toujours plus. [...]
La transformation de notre esprit se fait lorsque perdant ses lumières propres, il se laisse remplir et éclairer d’une vérité nue, simple et générale qui chasse si fort tout ce qui lui est contraire, soit erreurs, soit opinions, soit confusions d’espèces, multiplicité de raisons, qu’elle semble tout convertir en elle. Il est vrai que cette lumière de vérité et cette volonté de Dieu changent la nature des opérations de l’esprit et de la volonté en se les conformant, en sorte que l’entendement, qui par son opération grossière ne comprend les choses que successivement, et montant des unes aux autres, ou comparant les unes avec les autres, est surpassé par la lumière pure et nue de la vérité. Il est donné à cet entendement une lumière conforme à cette vérité, qui est une foi nue, confuse, générale, qui embrasse son objet tout d’un coup, sans succession ni comparaison, sans raisonnement. Or cette simple disposition de foi nue dans l’esprit étant conforme à la vérité, attire la vérité.
Madame Guyon ne cite ni l’Autorité Bernières (1601-1659) qui fut condamné post-mortem en 1687, ni celle du « chef des quiétistes » Bertot (1620-1671).
Voici les principaux mystiques cités dans l’ordre décroissant des volumes de leurs textes30, suivis de pourcentages sur l’ensemble de ces « Autorités » qui les concernent :Jean de la Croix 20 %
Jean de Saint Samson 12 %
Nicolas de Jésus Maria 8 %
Catherine de Gênes 6 %
François de Sales 4 %
Denis 4 %
L’auteur du Jour mystique 3 %
Teresa 3 %
Olier 3 %
Climaque + Augustin 2,5 %
Benoît de Canfield 2 %
L’Imitation 2 %
Constantin de Barbanson 1,5 %
Suso + Rusbroche + Harphius + Tauler 1%
[…]
Les relevés montrent deux niveaux nettement distincts en quantité et en qualité mystique. Se détachent une trinité : Jean de la Croix, Jean de Saint Samson, Catherine de Gênes. Ces auteurs ne sont pas seulement les premiers en volume couvrant à eux trois 40 % d’un total comportant plus de soixante noms : leur profondeur et leur originalité dominent les autres auteurs. Ces derniers sont appelés en soutien pour constituer le Chœur d’une tragédie, en approbateurs plutôt qu’en modèles31. Parmi un « deuxième choix » : François de Sales et Denis, les deux autorités reconnues par tous, celle qui apparaissait à l’époque comme la plus ancienne suivie de la moderne du début du XVIIe siècle. Puis viennent l’auteur du Jour mystique Pierre de Poitiers, Teresa, l’Imitation. Canfield et Constantin de Barbanson, deux mystiques de grande qualité, apparaissent peu présents : leurs écrits ne sont pas étendus32. De même pour les « anciens », Climaque, Augustin, Rhéno-flamands33.Nicolas de Jésus Maria est une source couvrant de nombreux auteurs, d’où son importance quantitative : le défenseur de Jean de la Croix a fait du bon travail et devient ainsi le juste défenseur de madame Guyon. Car l’accord est complet entre la perception mystique des deux mystiques que l’on vient de citer (tandis que Teresa n’occupe qu’une place plus affective).
Focalisons-nous sur la « Trinité mystique ».
Elle dispense des autres auteurs si l’on veut creuser des thèmes répartis en 67 clés34 ou établir un florilège (notre choix en vue de constituer un volume assez lisible donc limité à environ le cinquième de l’ensemble des 1200 pages des Justifications accentue encore le déséquilibre, passant d’une minorité de 40 % à une large majorité) : Jean de la Croix est le plus présent et fort largement si l’on ajoute une partie de la contribution de son défenseur-commentateur Nicolas de Jésus Maria. L’œuvre incontournable du plus grand des mystiques d’Occident est aussi celle, fort utile, qui sait justifier la mystique par la théologie d’époque.
En relevant tous les textes de Justifications, le cadeau inattendu fut de découvrir le second Jean. Il est devenu à mes yeux l’égal du plus célèbre et l’allège de développements théologiques rapportés pour défense. Car la « dame directrice » découvre l’or caché de Jean de Saint-Samson : le Carme convers aveugle n’a pas étudié à l’université d’où une gangue à laver.
Enfin le meilleur résumé et très direct est offert par Catherine de Gênes. Madame Guyon a largement fait appel à une œuvre réduite et parvenue avec plus d’incertitude que celles des hommes35. Les flèches de la dame du pur amour atteignent droitement et directement au blanc de la cible, mieux même que ne le pouvaient faire l’un ou l’autre Jean.
Manuscrits BN Fds Fr. 25092 à 25094 du fond Bossuet
[1720] Les Justifications de Mme J.-M. B. de La Mothe-Guion, écrites par elle-même… avec un examen de la IXe et Xe conférence de Cassien, touchant l’état fixe d’oraison continuelle, par feu M. de Fénelon, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1720. [3 tomes en 1 vol. in-8° B.N.F., D.37253 et 6 vol. in-8° Rés. D.37254].
[1790] Justifications de la Doctrine de Madame de la Mothe-Guyon, pleinement éclaircie, démontrée et autorisée par les Sts Peres Grecs, Latins et Auteurs cannonisés [sic] ou approuvés ; écrites par elle-même. Avec un examen de la neuvième et dixième Conférences de Cassien sur l’état fixe de l’oraison continuelle, par Mr de Fénelon, archevêque de Cambray, A Paris [Lyon] chez les Libraires Associés, MDCCXC. Cette édition de Dutoit reprend celle de Poiret. Elle comporte 3 tomes soit :
1 : Tome I : Préface [par Dutoit] I-XVI. Justifications : chap. I-XXXVII p. 1-432.
2 : Tome II : Justifications : chap. XXXVIII-L p. 1-379.
3 : Tome III : « Table des articles du IIIe tome » deux p. Justifications : chap. LI-LXVII. p. 1-256. Conclusion p. 257-265. Page : « Non nobis, Domine, non nobis … Deo Soli ». Recueil de quelques autorités des S. Pères de l’Eglise grecque : art. I-XVIII p. 267-328. Examen … de Cassien touchant l’état fixe… p. 331-368. Table des matières principales des trois volumes… p. 369-432.
L’apport de Fénelon se limite aux pages 267-368 du tome III.
Voici les sources de la « Trinité mystique » invoquée par Madame Guyon dans ses Justifications, associant Jean de la Croix à Jean de Saint-Samson et Catherine de Gênes :
Les Œuvres spirituelles du B. Père Jean de la Croix […] traduites d’Espagnol en Français par le R. P. Cyprien de la Nativité de la Vierge, carme déchaussé […] A Paris, Chez Jacques d’allin, MDCLXV [1665]
Contient :
(pages 1-42) Epistre, Au Lecteur, Privilège, Introduction et Advis, Approbations, « Montagne en laquelle il a plu à Dieu » [gravure du mont Carmel annoté], explications de cette énigme,
(1-462 Œuvres de Jean de la Croix :) Montée du mont Carmel, l’Obscure nuit, Exposition du Cantique, La vive flamme d’amour, Opuscules et lettres, Table,
(1-139) Traité théologique de l’union de l’âme avec Dieu […] par le R. P. Louys de Sainte Thérèse, A Paris, 1665,
(1-193) Esclaircissement des phrases de la théologie mystique du V. Père Jean de la Croix […] par le R. P. ]Nicolas de jésus, 1664 [suivi de :]
(223-266) Notes et remarques par le R. P. Jacques de Jésus.
II
Les Œuvres spirituelles et mystiques du divin contemplatif F. Jean de S. Samson […] Avec un abrégé de sa vie […] par le P. Donatien de S. Nicolas, à Rennes par Pierre Coupard, MDCLVIII [1658], 2 tomes.
Contient :
(1-616) En ce I. tome :
Livre I. Le Vray Esprit du Carmel
Livre II. Le Cabinet Mystique
[…]
Livre VIII.Lumières et Règles de discrétion pour les Supérieurs,
(617-1044 + 1-16) Au 2. Tome :
Livre IX.Recueil de ses lettres spirituelles
[…]
Livre XVII. Poésies mystiques.
III
La vie et les œuvres de sainte Catherine de Gênes, […] par Jean Desmarests, Paris, 1662 – cette source est très proche des citations des Justifications. Accessible sur Google books, « catherine de gênes » , pdf téléchargement :
(1-299) La vie (52 chapitres)
(1-194) Dialogue composé (seconde partie seule)
(197-228) Traité du Purgatoire
Madame Guyon n’a pas utilisé : La vie et les Œuvres spirituelles de S.Catherine d’Adorny de Gênes, A Lyon chez Pierre Rigaud 1610 – belle et première traduction « complète » établie en 1598.
Epistre, approbations, Tables,
(1-436) La vie admirable (52 chapitres)
(437-678) Dialogue […] en trois livres
(679-717) Traicté du Purgatoire
Table
Je n’ai pas jugé utile de respecter le labyrinthe propre aux éditions proposées à l’usage des disciples du XVIIIe siècle : ces éditions dissociaient thèses « quiétistes » à défendre (extraits en gros corps) des Autorités invoquées par noms d’auteurs (textes en corps moyen), enfin des commentaires de Mme Guyon précieux à nos yeux (notes en petit corps). De plus les contraintes d’impression segmentaient certains commentaires.
Ces derniers sont parfois de mini-traités : l’expérience intime est jetée sur le papier ou probablement dictée (des « copistes » amis collaborèrent-ils durant l’été épuisant de 1694 ?). De tels textes spontanés ne se retrouvent guère ailleurs dans l’œuvre de Madame Guyon : sa correspondance est toujours ajustée à son destinataire pour un instant présent tandis que ses écrits « normatifs » s’adressent avec quelque précaution à leurs divers lecteurs.
Rendre lisible ce Florilège mystique en une seule « bible mystique » suppose l’adoption d’un corps de caractères réduit. Je l’ai choisi de corps unique en Calibri. Je dissocie en caractères droits pour une Autorité étrangère, italique pour un commentaire de Mme Guyon ainsi aisément repérable. Enfin je regroupe ceux qui furent fragmentés sur plusieurs bas de page. Ponctuation allégée et orthographe modernisée.
J’ai ajouté une deuxième table limitée aux seuls titres de clés très utile pour retrouver les renvois entre clés.
Écrites par Elle-même,
suivant l’ordre de Messieurs les Évêques ses Examinateurs.
Où l’on éclaircit plusieurs difficultés qui regardent la vie intérieure avec un examen de la IX. et X. Conférence de Cassien, touchant l’État Fixe d’Oraison Continuelle,
par feu Monsieur De Fénelon Archevêque de Cambrai.
Vincenti.
À Cologne Chez Jean de la Pierre, 1720.
Page de titre du premier tome
Édité par Pierre Poiret, [Amsterdam], 1720.
Deux autres pages illustrant l’impression des textes figurent en ouverture de la clé 45 puis au sein de la clé 50 (autorités n° 62 et suivantes)
1. Occasion de cet ouvrage et dessein de la préface
2. Substance de la théologie mystique
3. L’amour pur
4. L’oraison
5. L’abnégation
6. Différents états de la vie intérieure : le premier
7. Le second
8. Dessein de Dieu dans ses opérations intérieures
9. Troisième état ou degré de la vie spirituelle
10. Solidité des expériences et de la dévotion de madame Guyon
1. Tout le monde sait la fameuse dispute de feu Mgr de Fénelon archevêque de Cambrai sur le pur amour. Mais on ne sait pas peut-être, que Madame Guyon1 IV 2 a été l’innocente victime de l’aveugle zèle, de la jalousie ambitieuse, ou des vues politiques des ennemis de cet illustre Prélat. Un des moyens3 dont ils se servirent pour discréditer la doctrine de ce grand homme était de faire passer Madame Guyon, avec qui il a toujours eu une étroite liaison, pour une autre Priscille corrompue par les maximes du faux quiétisme. Dans le temps qu’on examinait les écrits de cette Dame, elle composa l’ouvrage qu’on donne ici au public, pour montrer la conformité de ces expériences, et de ses expressions, avec celle des auteurs canonisés, ou approuvés par l’Église.Pour lire cet ouvrage avec intelligence et profit, il sera peut-être nécessaire de donner une idée claire et simple de la doctrine des mystiques. Car quand on en parle, ceux qui blasphèment ce qu’ils ignorent, la regarde comme un amas de termes obscurs et de pensées bizarres V qui n’ont aucun fondement que dans l’imagination échauffée des esprits faibles, ou des femmes visionnaires.
2. Aimer Dieu de tout notre cœur, prier sans cesse, porter notre croix chaque jour ; voilà l’essentiel de la morale chrétienne, et en même temps la substance de la théologie mystique4. L’Évangile nous propose la charité comme la consommation de la loi ; l’oraison continuelle et l’abnégation de soi-même comme les deux moyens d’y parvenir.3. Dieu s’aime souverainement et uniquement parce qu’il est souverainement et uniquement aimable. Il aime toutes ses créatures selon qu’elles participent plus ou moins à ses divines perfections. La perfection de Dieu est la règle de son amour. Or la règle la plus parfaite des volontés finies est sans doute celle de la volonté infinie. Qu’on dispute, qu’on VI raffine, qu’on subtilise tant qu’on voudra sur les motifs différents de l’amour, on osera jamais nier que la règle suprême de l’amour ne soit d’aimer Dieu pour lui-même et toutes choses pour lui.
C’est une vérité immuable, fondée sur l’idée que nous avons de l’Être Infini. C’est la Religion éternelle et universelle de toutes les intelligences. C’est un devoir auquel la créature est obligée dans tous les temps, et dans tous les lieux, supposer même qu’elle pût être anéantie après la mort, ou que Dieu lui accordât jamais d’autres connaissances de son infinie perfection, que celle que nous en avons pendant cette vie. L’espérance de la Vision Béatifique est sans doute une vertu divine, un légitime motif d’amour, une source de consolations infinies, une ressource puissante contre toutes les tentations et les misères de notre VII exil : mais elle n’est pas la pure charité. L’Écriture distingue ces deux vertus. Il ne faut jamais les confondre ni rejeter la chaste espérance en recommandant la pure charité.
Ce qui fait croire que l’homme est incapable de ce parfait amour, c’est qu’on juge de sa capacité par ce qu’il fait, et non sur ce qu’il doit faire. Les hommes n’agissent ordinairement que par un principe d’amour-propre plus ou moins raffiné : et par nos propres forces de nous pouvons agir autrement. Comme l’homme n’est pas la vraie lumière qui éclaire son esprit, de même il n’est point la cause du parfait amour qui doit animer sa volonté. Il faut qu’une puissance supérieure à l’homme agisse sans cesse en lui pour l’élever au-dessus de lui-même et le faire aimer selon la loi immuable de l’amour.
4. Le premier moyen de parvenir à cette pure charité est l’oraison : et l’oraison la plus parfaite est de recevoir VIII passivement l’impression de Dieu qui nous porte sans cesse vers lui-même. L’Église n’attribue point d’autre activité à l’homme par la grâce que celle (a)5 de consentir ou de dissentir à l’action divine, qui l’excite et qui le meut. C’est Dieu seul qui est la force mouvante de l’âme : mais elle peut toujours céder ou résister à l’opération divine ; et son concours le plus parfait est celui de laisser Dieu agir en elle.Il faut d’abord que la volonté excitée et mue par la grâce fasse des efforts, et forme des désirs multipliés, et des actes distincts pour se détourner des créatures et pour se tourner vers Dieu : mais après s’être longtemps accoutumée à ces retours fréquents, on contracte peu à peu l’habitude de vivre continuellement dans la présence divine d’une manière plus simple, plus intime et plus uniforme. L’âme agit, mais c’est Dieu IX seul qui est le principe de son action. C’est lui seul qui la meut, qui la pousse, qui l’anime, qui l’entraîne ; mais elle suit librement ce qui l’attire. Ce n’est pas une inaction ni une coopération nécessitée, mais un concours libre à l’action divine. Plus l’âme s’y livre, plus cette action devient forte et vigoureuse, comme le mouvement des corps, qui augmente à proportion qu’il tombe vers leur centre.
C’est là l’Oraison évangélique, que Madame Guyon appelle après les mystiques, l’oraison passive, l’oraison de silence, de repos, etc. Ce n’est ni la multitude de paroles, ni l’effort de penser, ni l’enthousiasme d’une imagination échauffée ; mais un commerce de cœur avec Dieu, dont les plus simples sont capables. Ce n’est pas nous qui prions, c’est le Saint-Esprit qui prie en nous, qui gémit, qui désire, qui demande pour nous ce que nous ne savons pas demander pour nous-mêmes. Selon le style de l’Écriture Sainte tout paraît l’action de Dieu en l’homme, à laquelle l’homme n’ajoute rien que le simple consentement, ou la non-résistance.
5. À proportion que l’homme s’unit ainsi à Dieu par l’oraison, il faut qu’il s’éloigne de la créature et de soi par le Renoncement qui est le second moyen de parvenir à l’union divine. L’un est une suite nécessaire de l’autre.
Cette abnégation évangélique6 n’est pas une austérité qui surpasse les forces humaines, qui détruise la santé et qui nous fasse mener une vie extraordinaire. Jésus-Christ ne faisait point de ces austérités. Sa vie était toute commune pour l’extérieur ; mais son intérieur était tout divin. Le renoncement qu’il propose nous porte non seulement à fuir les faux plaisirs, à combattre nos passions grossières, à nous contenter du simple nécessaire selon notre état ; mais à XI retrancher tous les amusements frivoles, toutes les activités de l’esprit, tous les charmes de l’imagination ; qui ne sert qu’à nous dissiper, et à nous entretenir dans le goût du créé. L’abnégation évangélique nous défend le moindre regard de la créature hors de Dieu, le moindre plaisir contre son ordre, le moindre retour de vaine complaisance sur soi. Elle nous fait aimer la dernière place quoique nous soyons nés dans les grandeurs, le silence et la solitude intérieure parmi le bruit et la foule, la pauvreté esprit et le détachement parfait au milieu des richesses. Ce n’est pas tout. Cette abnégation nous porte à dégrader le moi, idole si chère à l’homme, à recevoir avec joie ce qui le crucifie, à supporter les imperfections d’autrui avec patience et douceur, nos propres défauts avec humilité et paix, les rigueurs purifiantes de la justice divine avec l’abandon et souplesse. Voilà à une XII pénitence universelle, un martyr d’amour, une mortification, ou plutôt une mort qui s’étend sur les sens, sur l’esprit, sur le cœur, sur tout l’homme, et qui ne laisse aucun asile à l’amour déréglé les créatures, ni de soi-même.6. C’est dans cette oraison continuelle et dans cette abnégation évangélique que consistent tous les mystères de la vie intérieure.
La première opération de Dieu est sensible, agréable et pleine de charme. Elle porte l’âme à agir, à combattre, à s’exercer dans tous les travaux d’une vertu active, et d’une mortification extérieure pour se détacher des objets étrangers. C’est le fondement de la vie intérieure, sans lequel toute spiritualité doit être suspecte. Alors on goûte dans l’oraison une onction douce et une délectation savoureuse. On se fortifie avec une noble et mâle vigueur. L’âme voit sa vertu, ce soutien par son XIII travail, est charmée de son courage.
7. Ensuite Dieu commence en elle une autre opération, où elle est tout toute passive, où elle ne coopère que par son abandon. Il s’agit alors d’anéantir le moi ; et c’est ce que Dieu seul peut faire. Ce n’est plus l’âme qui combat au-dehors, c’est Dieu qui l’attaque par le dedans pour la faire mourir à elle-même. Il l’introduit dans son propre fond. Il lui montre tous les plis et replis de son amour propre. Il en dévoile tous les mystères. Elle se voit, elle a horreur de ce qu’elle voit. Tout en elle s’élève contre elle, elle ne trouve plus de ressources dans son ancienne ferveur ni dans sa propre justice, dont il lui montre toutes les impuretés. Elle tombe en défaillance, elle demeure fidèle sans voir sa fidélité. Tout ce qui lui reste c’est la volonté ferme de souffrir mille morts plutôt que de déplaire à Dieu. Encore n’a-t-elle pas toujours la consolation d’apercevoir XIV en elle cette volonté. L’action de Dieu devenant plus foncière, plus intime, et plus centrale semble disparaître de plus en plus ; mais elle n’en est pas moins réelle. Comme cette lumière pure et universelle, qui éclaire, qui pénètre, et qui meut tous les corps est elle-même imperceptible à nos yeux grossiers, ou comme l’amour-propre qui agit sans cesse dans l’homme naturel ne se distingue pas toujours ; de même l’action du Verbe qui est la vie, la lumière et l’amour de toutes les intelligences, agit dans l’homme surnaturel très réellement quoique d’une manière insensible.
8. Le dessein de Dieu en agissant ainsi est de cacher son opération à notre amour propre qui, ne prenons plus de goût aux plaisirs impurs, aux objets sensibles, aux passions grossières, s’établirait un nouvel empire sur nos vertus mêmes, se complairait dans sa propre excellence et corromprait XV l’action divine par une idolâtrie de soi d’autant plus dangereuse qu’elle est plus raffinée. On ne pécherait peut-être plus en homme, mais on pécherait en Démon par l’orgueil et la vaine complaisance. C’est pour cela que les états plus avancés de la vie spirituelle ne sont remplis que de tentations, de peines, de privations, de sécheresses, d’incertitudes, de misères, d’obscurités, de désolations, et de souffrances intérieures, jusqu’à ce que l’empire de l’amour propre soit détruit, et que le règne de Dieu, qui est au-dedans de nous, soit établi dans l’âme.
9. Alors cesse cette foule tumultueuse de pensées vagues et de passions déréglées qui met l’homme naturel dans une frénésie perpétuelle. L’esprit est délivré de toutes ses activités inutiles, la volonté de toutes ses agitations inquiètes, et toute l’âme est réduite dans une paix, dans XVI un vide, dans une solitude divine où les sens et l’imagination, l’esprit propre et la volonté propre se taisent pour écouter la Sagesse éternelle, qui parle au cœur non par des visions, ni par des révélations, ni par des lumières sublimes, ni par des spéculations subtiles, mais [en] un langage bien plus parfait et moins sujet à l’illusion ; le Tout de Dieu et le néant de la créature ; et l’hommage profond que le rien doit au Tout. Alors l’homme ne vit plus de sa propre vie, mais Jésus-Christ vit en lui. Il renaît et devient enfant sans esprit et sans volonté propre. La lumière du Verbe devient son unique lumière, et l’amour du Saint-Esprit son unique amour. Sa vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu et cette vie nouvelle prend la place de l’ancienne vie d’Adam. Voilà la régénération dont parle l’Évangile.
Ce sont là les trois états de la vie spirituelle que les mystiques appellent XVII purgatif, illuminatif et unitif, et que Madame Guyon nomme actif, passif et divin, c’est-à-dire le renoncement aux vices grossiers, la destruction de l’amour propre et le rétablissement de l’ordre divin par l’amour pur.
10. Voilà la substance de toutes les expériences de cette Dame. Tel a été le caractère de sa dévotion. Telles sont les vérités qui remplissent ses écrits. Vérités éternelles fondées sur la souveraine raison. Vérités que la Sagesse suprême enseignerait également à tous esprits droits et à tous les cœurs humbles, supposé qu’il n’y eut point de Révélation. Vérités connues dès le commencement du monde aux saints Patriarches. Vérités qui les faisaient marcher continuellement devant Dieu sans être connus des hommes, comme Enoch et Job. Vérités puisées dans l’Évangile, et qu’on y découvrirait si on connaissait le don de Dieu, et si on ressemblait à ces petits et à ces simples à qui il révèle ses XVIII mystères. Vérités qu’on trouve plus ou moins développées dans les écrits des plus saints Pères de l’Antiquité, en saint Ignace, en saint Clément d’Alexandrie, en saint Basile, en saint Ambroise, en saint Jean-Chrysostome, en saint Augustin, etc. Vérités dont les grands Solitaires se sont nourris dans les déserts les plus affreux. Vérités par lesquelles les grands fondateurs des ordres comme saint François d’Assise, saint Bernard, sainte Thérèse, le bienheureux Jean de la Croix, saint François de Sales ont renouvelé en différents siècles la face de l’Église. Vérités qui ont engagé une infinité de vierges et de religieux à s’ensevelir tout vivants dans la solitude, pour se livrer à ces opérations purifiantes de la divinité, que le bruit du monde et le soin des choses terrestres ne troublent que trop souvent. Vérités enseignées par les plus éclairés et docteurs de l’Eglise, comme Albert le Grand, saint Thomas, saint Bonaventure, Grenade, Rodriguez, Silvius, le cardinal Bona, Gerson et beaucoup d’autres. Vérités XIX enfin dont la tradition est universelle et immuable dans tous les temps et dans tous les lieux. C’est ce qu’on va voir dans l’écrit suivant.
11. Extrait de la vie de l’auteur
12. Quelques avis touchant cette édition
11. Madame Guyon nous ayant marqué en sa vie quelques particularités touchant la composition de cet ouvrage, le lecteur sera sans doute bien aise de voir ce que l’on dit elle-même.
« J’entrepris par l’ordre de ces Messieurs [mes Examinateurs] un ouvrage pour leur faciliter l’examen qu’ils entreprenaient, et les soulager d’un travail qui ne laissait pas d’être assez pénible, ou qui leur aurait pris du moins beaucoup de temps ; qui fut de rassembler quantité de passage d’auteurs mystiques d’autorités, qui faisaient voir la conformité XX de mes écrits et des expressions dont je m’étais servie avec celle de ses saints auteurs. C’était un ouvrage immense. Je faisais transcrire les cahiers à mesure que je les avais écrits pour les envoyer à ces Messieurs : et suivant que l’occasion s’en présentait, j’expliquais les endroits douteux ou obscurs, ou qui n’avaient pas été suffisamment expliqués en mes Commentaires ; parce que je les avais composés dans un temps où les affaires de Molinos n’ayant pas encore éclaté, j’avais écrit mes pensées sans précaution et sans m’imaginer qu’on pût jamais les détourner aux sens condamnés. Cet ouvrage a pour titre Les Justifications. Il fut composé en cinquante jours de temps, et paraissait fort capable d’éclaircir la matière. Mais Mr. de Meaux ne voulut jamais ni lire, ni laisser voir aux autres ces Justifications. Au Ch. 16 n. 7 de la III. Part.
12. On donne ici cet ouvrage tel que l’auteur nous l’a laissé, après en XXI avoir confronté soigneusement les passages avec les originaux dont on les a tirés ; sans presque rien changer dans le langage qui d’ordinaire sent un peu le vieux temps : auquel pourtant, surtout en des matières tant soit peu sublimes et délicates, on ne saurait quasi toucher sans en affaiblir le sens de l’énergie. Ainsi ce n’est que très rarement et lorsque les anciennes versions paraissent peu intelligibles, que l’on a substitué dans les citations de quelques auteurs, une traduction plus moderne, mais très exacte.
D’ailleurs on a tâché de ranger les auteurs selon le temps auquel ils ont vécu, et leurs Autorités selon l’ordre qu’elles tiennent dans leurs ouvrages7 : mais comme plusieurs de ses autorités ont été rapportées par les RR. PP. Nicolas de Jésus-Maria et Jacques de Jésus, dont les écrits qu’ils ont publiés pour éclaircir ceux du bienheureux Jean de la Croix, on a cru devoir laisser celles-ci sous le nom de ces Pères, comme on les a trouvé marquées dans la XXII copie sur laquelle cette impression s’est faite.Et parce que dans un ouvrage de cette nature, dont les matières on tant de rapport entre elles, il était comme inévitable de n’y pas répéter quelquefois sous différents articles les mêmes passages, soit entiers, soit en partie ; on a jugé à propos d’indiquer simplement ces Autorités répétées par des renvois aux articles où elles se trouvent entières, afin de ne pas grossir trop cet écrit, qui même tel qu’il est paraîtra assez grand à quelques-uns.
Cependant on y a joint, suivant les intentions de l’auteur, un petit Recueil de quelques autorités des anciens Pères grecs, qui ont du rapport à ces matières : et l’on a cru faire plaisir au lecteur de finir tout l’ouvrage par une excellente pièce de feu Monsieur de Fénelon archevêque de Cambrai, où cet illustre prélat fait remarquer dans Cassien, témoin si autorisé dans toute l’Église, la Tradition des SS. Pères du désert touchant l’état fixe d’oraison continuelle.
[Pages 24 à 28 omises suivies d’une page 29 reprenant le titre puis d’une reprise des articles ou clés du tome I pages 31-32. ]
Adressée par l’Auteur à Messeigneurs les Évêques, ses Examinateurs.8
J’ai soumis purement et simplement mes écrits en tout ce qui me regarde : et quoique je sois indifférente sur l’usage qu’on en fera, je crois devoir à la vérité de faire connaître la conformité qu’ils ont avec les Docteurs approuvés. Le travail que je fais en cela n’est que pour donner plus de jour à la vérité et la faire mieux connaître, sans que je prétende [me] gêner sur ce qui regarde la destinée de mes écrits, protestant que je n’y prends plus aucun intérêt, et que je ne m’informerai même jamais de ce qu’on en fera. Cela étant, je vais prendre les propositions qui 2 9sont dans les Livres imprimés, et celles des Auteurs graves qui les soutiennent, avec les dates, afin qu’on les puisse confronter. Dieu, qui voit le fond des cœurs, fait que cela ne m’est venu dans l’esprit que depuis que j’ai appris qu’on avait la charité d’examiner mes écrits, et que je ne le fais nullement pour soutenir mon opinion, mais pour éclaircir la vérité. Je demande avec instance qu’on examine tous mes écrits. Comme le Cantique était une suite [des Explications10] de toutes les écritures jusque-là, il n’est nullement expliqué, et l’on y suppose la lecture de ce qui l’a précédé. C’est dans tous les écrits (où les sentiments sont expliqués plus à plein, soit dans un lieu, soit dans l’autre) qu’on peut juger juste de mes pensées et de ma foi. Cette charité est digne de vous, Messeigneurs.
Rangés sous certains Articles par ordre d’Alphabet.
[Tome I des éditions originales]
Ils donneront à Dieu leur cœur et leur liberté afin qu’il en dispose à son gré. Ch. 3 n. 2 de l’Edition de l’an 1704 et 1720.
Soyez patient dans l’oraison ; quand vous n’en feriez point d’autre toute votre vie que d’attendre en patience dans un esprit humilié, abandonné, résigné et content le retour du Bien-aimé, ô l’excellente oraison ! Ch. 5 n. 1.
C’est ici que doit commencer l’abandon et la donation de tout soi-même à Dieu. Je vous conjure, qui que vous soyez, qui voulait bien vous donner à Dieu, de ne vous point reprendre lorsque vous serez une fois donnés à lui. Ch. 6 n. 1.
L’abandon est ce qu’il y a de conséquence 4 dans toute la voie, et c’est la clef de tout l’intérieur. Qui sait bien s’abandonner, sera bientôt parfait.
Il faut donc se tenir ferme à l’abandon sans écouter la raison ni la réflexion. Une grande foi fait un grand abandon : il faut s’en fier à Dieu. n. 2.
L’abandon est un dépouillement de tout soin de nous-mêmes pour nous laisser entièrement à la conduite de Dieu.
Tous les chrétiens sont exhortés à s’abandonner.
L’abandon doit être, autant pour l’extérieur que pour l’intérieur, un délaissement total entre les mains de Dieu, s’oubliant beaucoup soi-même, et ne (a)11 pensant qu’à Dieu. Le cœur demeure par ce moyen toujours libre, comptant et dégagé. n. 3Pour la pratique, elle doit être de perdre sans cesse toute volonté propre dans la volonté de Dieu ; renoncer à toutes inclinations12 particulières, quelques bonnes qu’elles paraissent, sitôt qu’on les sent naître, pour se mettre dans l’indifférence et ne vouloir que ce que Dieu a voulu dès 5 son éternité : être indifférent à toutes choses, soit pour le corps, soit pour l’âme, pour les biens temporels et éternels ; laisser le passé dans l’oubli, l’avenir à la Providence, et donner (b) le présent à Dieu ; nous contenter du moment actuel qui nous apporte avec soi l’ordre éternel de Dieu sur nous, et qui nous est une déclaration autant infaillible de la volonté de Dieu qu’elle est commune et inévitable pour tous ; ne rien attribuer à la créature de ce qui nous arrive ; mais regarder toutes choses en Dieu et les regarder comme venant infailliblement de sa main, à la réserve de notre propre péché.Laissez-vous donc conduire à Dieu comme il lui plaira, soit pour intérieur, soit pour l’extérieur. Ch. 6 n. 4.
(b) Qui ne voit que celui qui donne le présent à Dieu continuellement lui donne tout, parce qu’il se contente de son application actuelle à Dieu. En nous occupant de Dieu, l’on s’occupe (sans se détourner de lui) de toutes les dispositions nécessaires, comme de douleur de ses péchés, d’amour, de conformité, et le reste ; car tout cela se fait, en s’occupant de Dieu, d’une manière bien plus parfaite. En Dieu les péchés paraissent bien plus horribles par le contraire de la pureté divine que de les regarder en eux-mêmes. S’occuper de l’avenir qui ne regarde pas Dieu et sa gloire est une chimère ; car je pense à l’avenir lorsque je ne pense qu’à mon Dieu.
Ne faites pas comme ces personnes qui se 6 donnent dans un temps, et se reprennent en un autre. Ch. 7 n. 1.
Non ; vous ne trouverez point de consolation, que dans l’amour de la croix et dans l’abandon entier.
L’abandon et la croix vont de compagnie. n. 2.
Sitôt que vous sentez quelque chose qui vous répugne, abandonnez-vous à Dieu d’abord pour cette même chose : elle ne sera plus si pesante, parce que vous l’aurez bien voulue. n. 3.
Il faut recevoir également toutes les dispositions où il plaira à Dieu de nous mettre, n’en choisissant aucune par nous-mêmes que celle de demeurer auprès de lui, de nous affectionner, de nous anéantir devant lui ; mais recevant également tout ce qu’il nous donne, luminaires ou ténèbres, etc. Ch. 8 n. 2.
Que craignez-vous ? Que ne vous jetez-vous promptement entre les bras de l’Amour, qui ne les a étendus sur la Croix que pour vous recevoir ? Quel risque peut-il y avoir à s’en fier à Dieu, et à s’abandonner à lui ? Ha, il ne vous trompera pas. Ch. 12 n. 6.
Dieu pour nous obliger à nous abandonner [à lui] sans réserve, nous assure en Isaïe que nous ne devons rien à craindre en nous abandonnant, parce qu’il prend un soin de 7 nous tout particulier.13 Une mère peut-elle oublier son enfant, etc. Ch. 21 n. 11.Il faut s’abandonner à l’Esprit de Dieu, et se laisser conduire par ses mouvements. Ch. 22 n. 9.
Les bastions et les remparts qui l’environnent sont l’abandon total que cette âme a fait d’elle-même à Dieu. La confiance, la foi14, l’espérance l’on fortifiée dans son abandon. Ch. 4, vs. 4.L’Époux ne voulait qu’éprouver votre fidélité et voir si vous étiez abandonnée à toutes ses volontés. Ch. 5, vs. 3.
Le Bien-aimé malgré (b) les résistances de 8 son Épouse, porte sa main par un petit passage qui lui est encore ouvert, qui est, un reste d’abandon, malgré les répugnances que sent l’âme à s’abandonner avec tant d’excès. Une âme de ce degré porte un fond de soumission à toutes les volontés de Dieu, de manière qu’elle ne voudrait lui rien refuser ; mais lorsque le Dieu explique ses desseins particuliers, écus en des droits qu’il a acquis sur elle et lui demande les derniers renoncements et les plus extrêmes sacrifices (c) - ah, 9 c’est alors que toutes ses entrailles sont émues, et qu’elle trouve bien de la peine où elle ne croyait plus en avoir. Là même verset 4.
(b) Consentement passif. Il faut pour expliquer ceci faire attention que j’ai dit que Dieu ne demandait pas un consentement actif pour l’ordinaire. Je l’ai dit dans le Moyen Court, ch. 24, n. 7 et il faudra prouver cela ailleurs. Mais lorsqu’il le demande de quelques âmes, elles sentent des résistances étonnantes et une révolte entière des sentiments, quoique le fond de l’âme soit résigné. Si Dieu proposait à l’âme l’ignominie et d’être livrée à la rage des Démons dans un temps où l’on est dans la vigueur amoureuse, le consentement ne coûterait presque rien : mais Dieu le demande après avoir dénué l’âme de sa force propre, de son courage naturel et après avoir retiré d’elle un certain 8 concours aperçu qui faisait sa force hors d’elle en Dieu ; de sorte qu’elle ne voit que la proposition affreuse qui lui est faite de la douleur. C’est alors que ces âmes imitent l’agonie du Jardin : la nature frémit ; mais la volonté se soumet.
Cette main de Dieu est la toute-puissance divine qui meut l’âme. Mais comme elle ne violente point notre liberté, si la résistance est entière et absolue, ces âmes ne passent point ce degré et souvent déchoient : mais lorsque Dieu trouve encore un reste d’abandon, ou plutôt lorsque la révolte n’est que dans les sens et que l’abandon et la résignation subsistent dans le centre de l’âme, Dieu remue cette volonté avec force quoique librement et lui fait faire ce qu’elle n’avait pas le courage de faire par elle-même. Elle dit alors : s’il est possible, que ce calice passe outre : toutefois que votre volonté soit faite. Tout ceci est expliqué ailleurs. Je ne sais s’il n’y en a point quelque chose dans l’agonie du Jardin en Saint Mathieu : [voyez les explications sur Mathieu 26, verset 42] c’est ce que j’ai voulu dire.
(c) Le sacrifice que Dieu demande de cette âme est l’entière désappropriation de mille choses cachées : mais il faudra l’expliquer en parlant du Sacrifice, pour suivre l’ordre que je me suis proposé, et dans [l’article de] la Purification.
J’ai levé la barrière qui empêchait et ma perte totale, et la consommation de mon mariage ; car le mariage divin ne peut être consommé, que la perte totale ne soit arrivée. J’ai donc ôté cette barrière par l’abandon le plus courageux, et le sacrifice (a) le plus pur qui fût jamais. Ch. 5 vs. 6.
(a) Consentement à damnation et non à péché. Ce sacrifice est celui de l’éternité. L’âme semble être abandonnée de Dieu, et livrée à la rage de Satan ; se croyant perdue elle abandonne son éternité. Elle croit après ce sacrifice (parce qu’elle sent quelques moments de repos) qu’elle va jouir de Dieu ; et c’est le contraire : il la précipite dans l’enfer spirituel. Il faudra expliquer cet Enfer, et prouver cela par les saints Auteurs. [Voyez Purification, n. 40 et n. 79, etc.] Ce sacrifice est pur, parce qu’il se fait par excès d’amour et par la perte de tout intérêt propre. Il est pur comme je l’expliquerai en parlant de la Purification : car l’âme aimerait mieux l’enfer que le péché ; aussi ne pèche-t-elle pas, quoique tous ses sentiments soient dans la peine de le croire ; l’extrême douleur qu’elle en a, fait bien voir qu’elle n’offense pas son Dieu. Combien de fois s’écrie-t-elle dans son transport : « Damnez-moi et que je ne pèche pas ? » Les autres craignent l’enfer parce qu’il est la punition du péché : cette âme demande l’enfer pour prévenir le péché : elle croit consentir à tous les blasphèmes dont sa tête est pleine ; ses efforts augmentent son mal et 10 le redoublent ; elle n’est soulagée que par la résignation et la patience. J’espère prouver cela dans l’article Purifications ou Épreuves. Je ne pensais pas tant écrire ; mais je m’aperçois que j’y suis emportée : je vous en demande pardon.
Ceci est bien différent de certaines créatures qui n’ont jamais eu d’intérieur et dans lesquelles, si on les interrogeait, on ne trouverait aucun fonds, qui n’ont ni lumière ni chaleur : et comment en auraient-elles, mon Dieu, puisqu’elles sont si éloignées de vous qui êtes la source d’amour et de lumière ? Elles sont les suppôts de Satan, comme il y en a eu en tout temps, afin de confondre la vérité et le mensonge. Ce sont des gens qui loin de sortir d’eux-mêmes pour se perdre en Dieu, sortent de Dieu par le péché et l’oublient pour ne penser qu’à eux et le livrer à l’iniquité. Il est à remarquer que dans tout le Cantique il est répété la nécessité de se renoncer, que l’âme ne trouve aucun plaisir ni au ciel ni sur la terre, et qu’elle est infiniment éloignée d’aller chercher des plaisirs illicites, puisqu’elle fuit même les plus innocents. Notre Épouse cherche Dieu sans cesse, se hait et fuit toutes les créatures. Ces personnes au contraire fuient Dieu — ne s’occupant jamais de lui — et ne songent qu’à satisfaire leur sensualité. Nous faisons voir qu’on ne peut arriver au mariage divin que par une mort entière et non à demi, une extinction de tout appétit : et ces gens vont, en suivant un appétit effréné, sans Dieu, sans amour, sans vérité. Qu’on voie si on leur trouvera le moindre fonds de mortification ? Gens qui étouffent les syndérèses de la conscience et qui dévorent, comme le Béhémot, les fleuves d’iniquité ; aussi plus ils vont avant, plus ils sont méchants : au lieu que mon Épouse ne saurait souffrir la moindre imperfection sans en être brûlée ; et qu’après ces épreuves elle devient toute divine. Ces épreuves sont des peines passives auxquelles elle n’a nulle part : et les autres se livrent 11 à l’iniquité. Mon Epouse ne peut rien goûter hors de Dieu ; Dieu seul la rend pleinement contente : les autres ne goûtent point Dieu et cherchent toutes choses hors de lui. Aussi n’ont-ils ni vérité, ni amour, ni paix en Dieu. Ils ont un étourdissement de conscience qui cependant n’empêche pas mille peines et inquiétudes : mon Épouse est en paix à cause de sa soumission parfaite à la volonté de Dieu qui l’unit à son Dieu, et son Dieu la change en soi d’une manière ineffable : ils sont pétris de péchés, comme est l’est d’innocence.
Je proteste que lorsque j’ai écrit tous mes écrits, je n’avais jamais ouï dire qu’il y avait de pareilles créatures au monde, que je ne me l’avais même jamais imaginé. Car j’aurais si fort expliqué les choses qu’elles n’eussent point fait de difficulté. Je commençais à entendre parler de Molinos la première fois en écrivant les Epîtres de Saint Paul vers la moitié ; ce qui m’obligea de me mieux expliquer, comme on le verra, si l’on veut bien pour l’amour et pour la gloire de Dieu les lire. J’ai toujours eu ces gens en horreur comme le Diable, puisqu’il les meut sans comparaison comme mon Dieu meut notre Épouse. Il la meut pour la faire tendre vers lui et perdre en lui ; et le Diable conduit les autres en enfer, non dans un enfer spirituel, mais éternel. Je prie ce Dieu de vérité à qui rien n’est caché de faire connaître cette différence. Et, s’il se trouvait quelque chose dans mes écrits qui parlât d’autre chose que di renoncement, de la mort à soi-même et à ses satisfactions, et qui dît quelque chose qui ne fût pas dans les Auteurs expérimentés, et reconnus bien catholiques, ou qui pût favoriser cette misérable secte, je le déteste et l’abjure de tout mon cœur, comme n’ayant jamais été ni dans mon esprit, ni dans ma volonté. Et c’est pour ne me pas tromper moi-même que je demande qu’on les lise. Je crois que l’on fera une œuvre qui glorifiera Dieu, du moins tout 12 le monde saura que je ne suis point dans leurs sentiments, que je les ai en horreur et en détestation. L’original est signé.
Dieu fait sa résidence continuelle auprès de ces âmes abandonnées, auprès de ces eaux promptes et rapides, qui ne s’arrêtent pour chose au monde ; et qui, lorsqu’on leur fait le moindre obstacle, s’enflent avec plus de force et s’écoulent avec plus d’impétuosité. Ch. 5, vs. 12.
Ô pauvres âmes, qui combattez toute votre vie, et ne remportez que de très petites victoires quoiqu’elles vous coûtent bien des blessures ! Si vous vous donniez à Dieu tout de bon, et vous délaissiez à lui, vous seriez bien plus redoutables qu’une infinité d’hommes armés pour le combat. Ch. 6, vs. 3.
Cette prudence céleste ne regarde jamais que d’un côté : elle ne voit que le moment divin de la providence. Et tout ce qui lui vient de moment en moment fait toute la prévoyance. Ch. 7, vs. 4.
Je n’ai rien que je ne vous aie donné : mon âme, avec toutes ses puissances et ses opérations ; mon corps avec ses sens et tout ce qu’il peut faire. Là même, vs. 13.
Si les plus grandes eaux des afflictions, des contradictions, des misères, pauvretés et traverses n’ont pu éteindre la charité dans une telle âme, il ne faut pas croire que les fleuves 13 de l’abandon à la providence le puissent faire : puisque ce sont eux qui la conservent. Si l’homme a eu assez de courage pour abandonner tout ce qu’il possédait, et tout son soi-même, afin d’avoir cette pure charité qui ne s’acquiert que par la perte de tout le reste, il ne faut pas croire qu’après un effort si généreux pour acquérir un bien qu’il estime plus que toutes choses, il vienne ensuite à le mépriser. Ch. 8, vs. 7.
Je ne répèterai pas ce titre « Autorités » par la suite. Les extraits du Moyen court et du Cantique seront directement suivis de ceux des mystiques invoqués.
C’est moi qui fonde les cœurs, dit Jésus-Christ, je sais ce que chacun pense et ce qu’il désire, et quelle est la fin de toutes ses intentions. Remettez donc toutes choses à mes soins et à ma conduite, et demeurez en paix et repos. Livre 3, ch.24, § 1.
2. Mon fils, si vous voulez me posséder tout entier, il faut que vous vous donniez à moi tout entier sans vous réserver rien de vous-mêmes. Livre 3, ch. 27, § 1.
3. Il est bien étrange que vous ne vous abandonniez pas entièrement à moi et du fond du cœur, avec tout ce que vous pouvez ou désirer ou posséder en cette vie. Là même.
4. Saint Paul a abandonné sa réputation à Dieu qui pénètre le fond des cœurs ; il n’a employé contre les personnes qui le calomniaient que l’humilité et la patience. Ch. 36, § 2.
5. Voyez Propriété, n. 4.
6. Seigneur, combien de fois me dois-je abandonner à vous, ou en quelle rencontre me dois-je quitter moi-même ?
Mon fils, abandonnez-vous à moi toujours, à toute heure, dans les plus petites choses comme dans les plus grandes. Je n’excepte rien ; mais je veux vous trouver en tout dénué de tout. Ch. 37, § 1.
7. Voyez Joie de l’âme, n. 5.
8. Mon fils remettez toujours entre mes mains tout ce qui vous regarde ; j’aurai soin de tout, et je ferai tout réussir en son temps. Attendez mes ordres et ma volonté. Et vous tirerez de cette soumission un grand avantage.
Seigneur, c’est avec une grande joie que je vous abandonne le soin de tout ce qui me regarde, parce que lorsque je le veux prendre moi-même, j’éprouve combien je me travaille inutilement. Ch. 39, § 1.
9. Le troisième degré c’est un abandon sans bornes par lequel on se laisse à Dieu, partout où l’on se trouve soi-même, comme ne prenant plus d’intérêt à soi. Et Dieu y exerce un plein domaine. Dialogue de la vérité, Ch. 15.
10. Ô bienheureuse âme en qui toutes choses meurent à sa volonté, parce qu’alors elle vit en tout à son Dieu, et même Dieu vit en elle ! Celle-ci était par volonté tellement morte à soi-même, qu’en quelque temps qu’on lui eût dit : Que voudriez-vous au Ciel ou en la Terre ? Jamais elle n’eût dit autre chose, sinon : Je veux ce que je me trouve à l’heure même et en ce moment-ci. Et elle disait : nous ne devons jamais vouloir autre chose que ce qui nous arrive de moment 15 en moment, nous exerçant néanmoins toujours au bien. Vie, ch. 31.
11. Cet Amour opérait par toutes les puissances de l’âme comme il voulait : elles lui étaient toutes obéissantes, et ne pouvaient vouloir autre chose, sinon ce que de moment en moment elles avaient de lui et rien davantage. Et de chercher autre chose leur eut été un enfer. Si on m’eut demandé, qu’est-ce que tu veux ? Qu’est-ce que tu entends ? Et de quelle chose as-tu mémoire ? J’eusse répondu : Je ne veux rien, je n’entends rien et je ne me souviens de rien sinon de ce que l’Amour veut, entend et se souvient : car il me tient si occupée en lui et si remplie (a) que je n’ai pas besoin d’aller mendier pour repaître mes puissances, et il me semble que si ce n’était l’amour elles mourraient de faim. Ch. 40.
(a) Rassasiement : ce qui fait voir ce qui est dit dans le Moyen Court (Ch. 12, n. 3) que la cessation d’opération et le non-désir ne viennent que d’abondance.
12. Depuis que l’Amour eut pris le soin et le gouvernement de toutes choses en moi, jamais il ne le laissa. De sorte que depuis ce temps-là je n’en ai pris aucun soin et n’ai pu faire aucune opération de l’entendement, de la mémoire et de la volonté, non plus que si je n’eusse jamais eu aucune de ces facultés. Ch. 41.
13. Il me semble qu’ici, comme il vous a été dit, il est à propos que l’âme se livre et s’abandonne du tout entre les bras de Dieu : s’il veut la ravir au ciel, qu’elle y aille ; s’il veut la mener en enfer, qu’elle suive et qu’elle ne s’en mette point en peine, puisqu’elle marche avec son Bien. Que s’il veut lui ôter la vie, qu’elle y consente 16 ; s’il veut qu’elle vive encore mille ans qu’elle acquiesce à la divine volonté : enfin que la Majesté dispose d’elle comme d’une chose propre : car l’âme n’est plus à soi ou maîtresse de soi, mais elle entièrement livrée à Dieu : partant qu’elle ne se soucie plus de rien. Vie, Ch. 17.
14. Tout me manque, mon Seigneur ; mais si vous ne m’abandonnez pas, je ne vous quitterais point. Que tous les Doctes se bandent contre moi, que toutes les choses créées me persécutent, que les diables me tourmentent ; mais vous seul ne me quittez pas ; car je sais par expérience quel profit et quel avantage retirent de tous ces assauts ceux qui se confient en vous seul. Vie, Ch. 25.
15. Voyez Pur amour, n. 17.
16. Considérez, mes filles, qu’afin de parvenir à ce que nous disons, Dieu ne veut pas que vous réserviez rien, ni peu ni beaucoup : il veut tout sans exception ni réserve. Et il vous sera de grandes ou de petites faveurs conformément à ce que vous connaîtrez lui avoir donné. Il n’y a point de meilleure preuve pour savoir si votre oraison arrive à l’union ou non. Château de l’âme, V. demeure, Ch. 1.
17. Dieu l’a introduite dans la cave du vin et a ordonné en elle la charité. Or c’est cela même, parce que cette âme s’étant déjà livrée entre les mains de Dieu, le grand amour l’a tellement soumise et captivée qu’elle ne fait et ne veut autre chose, sinon que Dieu dispose d’elle comme bon lui semblera. Parce que véritablement l’âme ne fait pas ici plus que la cire quand on y imprime le cachet, laquelle ne s’imprime pas. Mais seulement elle est disposée, c’est-à-dire qu’elle est molle. Et même, touchant cette disposition, 17 ce n’est pas elle qui s’amollit : mais seulement elle demeure en repos et le souffre. Là même, Ch. 2.
18. Elle avait proposé de s’abandonner entièrement entre les mains de celui qui est si puissant ; car elle voit que c’est le meilleur de faire de nécessité vertu. Demeure 7, Ch. 15.
19. Ah, que vous ne désirez autre chose, d’une âme qui est bien résolue de vous aimer et qui s’est abandonnée entre vos mains, sinon qu’elle obéisse. Elle n’a pas besoin de rechercher les chemins ni de penser aux choix qu’elle doit faire, sa volonté étant déjà la vôtre. Fondation de Médine du Champ, Ch. 5.
20. Voyez Non-désir, n. 34.
21. Nous pouvons, comme petits enfants du Père céleste, aller avec lui en deux manières ; car (a) nous pouvons aller premièrement, marchant des pas de notre propre vouloir lequel nous conformons au sien, tenant toujours de la main de notre obéissance celle de son intention divine, et la suivant partout où elle nous conduit. — Dieu m’a signifié qu’il voulait que je sentisse le jour du repos ; il faut donc que je le veuille, et que pour cela j’aie mon propre vouloir, par lequel je suive le sien, me conformant et correspondant à icelui.
Mais nous pouvons aussi aller avec Notre Seigneur sans aucun vouloir propre, nous laissant simplement porter (b) à son bon plaisir divin 18 comme un petit enfant entre les bras de sa mère, par une certaine sorte de consentement admirable qui se peut appeler union, ou plutôt unité de notre volonté avec celle de Dieu : et c’est la façon avec laquelle nous devons tâcher de nous comporter en la volonté du bon plaisir divin ; d’autant que les effets de cette volonté du bon plaisir procèdent purement de sa providence, et sans que nous les fassions ils nous arrivent. Il est vrai que nous pouvons bien vouloir (c) qu’ils arrivent selon la volonté de Dieu, et ce vouloir est très-bon ; mais nous pouvons bien aussi recevoir les évènements du bon-plaisir céleste par (d) une très simple tranquillité de notre volonté, qui ne voulant chose quelconque, acquiesce simplement à tout ce que Dieu veut être fait en nous, sur nous, et de nous.
(e) Si on eut demandé au Saint Enfant-Jésus étant porté entre les bras de sa Mère, où il allait ; n’eut-il pas eu raison de répondre : je ne vais pas, c’est ma Mère qui va pour moi ? Et qui lui eut demandé : mais du moins n’allez-vous pas avec votre Mère ? n’eut-il pas eu raison de dire : Non, je ne vais nullement, où si je vais par là où ma Mère me porte, je n’y vais pas avec elle, ni par mes propres pas, mais j’y vais par les pas de ma mère. Et qui lui aurait répliqué : Mais au moins, ô très cher divin Enfant, vous voulez bien vous laisser porter par votre douce Mère ? Non certes, eut-il pu dire, je ne veux rien de tout cela, mais comme ma toute-bonne Mère marche pour moi, aussi veut-elle pour moi ; je lui laisse également le 19 soin d’aller et de vouloir aller pour moi où bon lui semblera, et comme je ne marche que par ses pas aussi je ne veux que par son vouloir. Et comme son marcher suffit pour elle et pour moi, aussi sa volonté suffit pour elle et pour moi sans que je fasse aucun vouloir (f) ; je ne prends pas garde si elle va vite ou doucement d’un côté ou d’un autre ni je ne m’enquiers nullement où elle veut aller.
Nous devons être comme cela, nous rendant pliables et maniables au bon plaisir divin, comme si nous étions de cire, sans nous amuser à souhaiter et vouloir les choses ; mais les laissant vouloir et faire à Dieu pour nous, ainsi qu’il lui plaira ; jetant en lui toute notre sollicitude, d’autant qu’il a soin de nous ainsi que dit le Saint Apôtre (g). Et notez qu’il dit : Toute notre sollicitude, c’est-à-dire, autant celle que nous avons de recevoir les évènements comme celle de vouloir ou ne vouloir pas ; car il aura soin du succès de nos affaires, et de vouloir pour nous ce qui sera le meilleur.
Ô que cette occupation des notre volonté est excellente, quand elle quitte le soin de vouloir et choisir les effets du bon-plaisir divin, pour le louer et le remercier dans ses effets !
De l’Amour de Dieu, livre 9, chap. 14
(a) Belle différence entre la conformité de notre volonté et la perte de cette même volonté dans le vouloir divin.
(b) Expression toute divine et d’une profonde expérience.
(c) Premier vouloir de conformité.
(d) La seconde volonté qui est d’unité.
(e) Admirable figure de l’anéantissement de la volonté en celle de Dieu par un total abandon.
(f) Le non-désir se doit mesurer sur le non-vouloir : car on ne désire que par la volonté.
(g) I, Pierre, 5, verset 7.
22. Bénir Dieu et le remercier pour tous les évènements que sa Providence ordonne, c’est à la vérité une occupation toute sainte : mais si pendant que nous laissons le soin à Dieu de vouloir et faire ce qui lui plaît en nous, sur nous et de nous, sans être attentifs à ce qui se passe quoi que nous le sentions bien, nous pouvions 20 divertir notre cœur et appliquer notre attention en la bonté et douceur divine, la bénissant non en ses effets ni évènements qu’elle ordonne, mais en elle-même, et en sa propre excellence nous ferions sans doute un exercice beaucoup plus éminent. — La fille d’un excellent (a) médecin étant en fièvre continue et sachant que son père l’aimait uniquement, disait à l’une de ses amies : Je sens beaucoup de peine, mais pourtant (b) je ne pense point aux remèdes ; car je ne sais pas ce qui me pourrait guérir. Je pourrais désirer une chose, et il m’en faudrait une autre. Ne gagnerais-je donc pas mieux de laisser tout ce soin à mon père qui fait, qui peut et qui veut pour moi tout ce qui est nécessaire à ma santé (c). J’aurais tort d’y penser ; car il pensera assez pour moi : j’aurais tort de vouloir quelque chose ; car il voudra assez tout ce qui me sera profitable. J’attendrais qu’il veuille ce qu’il jugera expédient, je ne m’amuserais qu’à le regarder et à lui témoigner mon amour filial et lui faire connaître ma confiance parfaite. — Ensuite son père lui demanda si elle ne voulait pas bien être saignée pour guérir. Je suis vôtre, mon père, répondit-elle, je ne sais ce que je dois vouloir pour guérir ; c’est à vous de vouloir et de faire pour moi tout ce qui vous semblera bon : quant à moi il me suffit de vous aimer 21 et honorer de tout mon cœur, comme je fais. Voilà * donc qu’on lui bande le bras et que le père même porte la lancette sur la veine : mais tandis qu’il donne le coup et que le sang en sort, jamais cette aimable fille ne regarda son bras saigner, ni son sang sortir de la veine ; mais tenant les yeux arrêtés sur le visage de son père, elle ne disait autre chose sinon parfois tout doucement : Mon père m’aime bien, et moi je suis toute sienne : Et quand tout fut fait, elle ne le remercia point (d), mais seulement répéta les mêmes paroles de son affection et confiance filiale. Chap. 15. µ
(a) Saint François de Sales après avoir fait connaître le mal de la réflexion, propose l’exemple d’une personne qui ne réfléchit point, par la comparaison de la fille d’un Médecin.
(b) Il faut s’abandonner dans la peine et la douleur, et s’oublier ; ne pas même désirer.
(c) Notez que cet oubli de soi ne vient pas de stupidité ; mais qu’on s’oublie pour ne penser qu’à Dieu ; on cesse de s’aimer par l’excès de son amour.
(d) Se peut-il un abandon plus élevé ? Il ne permet pas un remerciement, parce qu’il y a un propre intérêt et que l’amour pur n’a nul retour ni rapport à soi-même. Ce n’est point par défaut de reconnaissance qu’on ne remercie point, mais par excès d’amour.
* Réflexion, n. 6.
23. L’homme n’a rien à faire de meilleur que de se laisser et abandonner à chaque moment à Dieu, avec ordre et raison, et au-dessus de tout ordre et raison, se donnant en éternelle proie à Dieu, par l’entière perte de sa volonté. Perte heureuse qui rend l’homme très riche, pour se donner soi-même et toutes ses richesses à Dieu ; soit dans le feu de la profonde tribulation accompagnée de la suprême pauvreté en tous sens et manières possibles ; ou encore dans le double feu de l’amoureuse résignation qui supprime tout sentiment tant dedans que dehors, et même jusqu’aux moelles de l’âme et au plus intime de son fond ! Esprit du Carmel, Ch. 9.
24. Enfin 22 nos exercices et nos voies ne désignent qu’abandon, perte, résignation, mais perte éternelle d’esprit et de sens, mort sans consolation ni rafraîchissement, ni selon l’esprit, ni selon le sens, ni selon le corps. De sorte que nous nous croyions et sentions comme réprouvés et inconnus de Dieu ni plus ni moins que ce qu’il n’a jamais connu ; sans néanmoins désister pour cela ni nous défendre d’un seul point d’esprit et de cœur de son éternelle fuite. Jésus-Christ notre cher Époux a ainsi vécu pour nous. Ch. 12.
25. Ici donc il faut s’armer de force, de patience et de confiance pour ne varier jamais ni à droite ni à gauche, sans faire autre chose que pâtir si on ne peut autrement, et attendre en pleine et amoureuse confiance le bienheureux et agréable retour de l’Époux. Il faut dis-je que l’Épouse toute dépouillée de soi-même et de toute satisfaction soit totalement résignée et renoncée, se conformant à la volonté divine, pour souffrir en temps et en éternité les rigueurs d’un tel hiver, je veux dire, de l’absence de son Époux. Esprit du Carmel, Ch. 16.
26. Tandis qu’il (a) reste ici à l’âme un point de vie possible pour l’aspiration amoureuse, (il y a poussement amoureux) l’âme n’a point la disposition requise pour se donner et se livrer à pur et à plein en proie à Dieu, pour faire les premières approches de la voie mystique et suréminente, par l’entière perte et abandonnement de tout soi-même — se perdant et s’abandonnant entre les bras de Dieu infini pour être mue de là en avant de lui seul. Ch. 22.
(a) Pour être parfaitement abandonné, il faut être mort aux propres opérations.
27. Notre résignation est infinie et sans fin, et n’a pas même le présent ni l’éternité ; quoiqu’il soit vrai qu’elle doit prendre fin avec nous. Au reste nous ne pensons point à toutes ces distinctions et réflexions, d’autant que nous ne sommes point, étant parfaitement anéantis. Cabinet mystique, Partie I, Ch. 10.
28. Quand quelqu’un qui tend à la perfection sera venu au dernier point de la mort, son père spirituel se doit bien donner de garde de l’exhorter à se confesser immédiatement avant que de mourir, pourvu qu’il se soit auparavant confessé de tout ce qu’il pensait lui gêner la conscience. La raison est que les parfaits se doivent résigner en ce temps-là à la justice de Dieu très hautement et très parfaitement en temps et en éternité, et être autant désireux d’être soumis par entière résignation et renonciation d’eux-mêmes au bon plaisir de Dieu et de sa justice divine, que de recevoir miséricorde. Mais ce très-haut secret requiert une très vraie perfection acquise par la pratique de toutes les vertus et par amour fervent et continuel. Partie II, Ch. 4.
29. Ces âmes sont toujours satisfaites et contentes, s’abandonnant à pur et à plein entre les mains de votre infinie Majesté, afin qu’elle fasse d’elles et en elles selon son bon plaisir. Et quoiqu’il soit vrai que le temps et les succès soient fort divers en elle à cause de vos différentes opérations, n’importe ; il en est toujours ainsi de la part de ces Épouses, d’autant que ce n’est ni votre flux, ni tout le vôtre qu’elles désirent, mais vous seul en votre flux. Vous êtes donc leur tout, ô ma chère vie, et leur paradis, parce que vraiment elles sont le vôtre. Contemplation, 3.
30. Il 24 y a un piège bien plus subtil que je n’ai point encore touché, qui est la perte du repos sensible à laquelle personne ne veut passer ; c’est là votre barrière, laquelle vous ne voulez point franchir, en vous abandonnant à pur et à plein à perdre votre repos sensible, quoique ce serait le perdre sans le perdre. Car en vous abandonnant à cela toujours et partout, vous rendriez (a) votre repos simple et au-dedans de l’esprit, et vous jouiriez simplement et tranquillement de Dieu, qui est lui-même votre repos, nonobstant les efforts des espèces sensibles. Lettre, 6.
(a) Paix qui surpasse tout sentiment ; c’est cette paix dont parle Saint Paul (Phil. 4, vs. 7) et que Jean de la Croix appelle trois fois paix : Voyez obscure nuit, Livre II, chap. 9.
31. Mon but est de vous représenter concisement l’essentielle sainteté de ce grand homme dans sa voie très-perdue et très-suréminente ; d’où on peut juger pieusement quelle est son immense gloire essentielle en la patrie, et la gloire accidentelle qui suit indivisiblement toutes ses vertus, lesquelles ont été très exemplaires et très éminente jusqu’au point de la mort. Il ne s’est point recommandé aux prières de personne (a) en mourant ; il en savait la raison infinie. Pour mon regard, cette vue et cette représentation me sont si délectables que je voudrais toujours y être occupé. Lettre 35 sur la mort du Père Dominique de Saint Albert.
(a) Par excès de désappropriation qui fait qu’on ne prend plus d’intérêt pour soi.
32. Souvenez-vous que la sainteté de Dieu devant les hommes gît et consiste dans l’entière perte, abandon et renoncement d’eux-mêmes ; de sorte que se perdre à soi et aux hommes en Dieu, 25 par bon et licite moyen, c’est toute la sainteté d’ici-bas dont je ne saurais figurer l’excellence. Lettre 39.
33. Le gain et l’abondance doivent céder à la perte et à l’abandon. Lettre 63.
34. Saint Augustin. Que toutes les imaginations cessent, que les cieux se taisent et que l’âme garde en soi un profond silence, et qu’elle s’abandonne toute à Dieu, comme si elle ne pensait plus à soi. (Confessions, Livre IX, Ch. 10) Conférences mystiques, 5.
Les âmes qui marchent dans cette voie seront souvent étonnées que lorsqu’elles s’approchent du (a) Confessionnal, et qu’elles commencent à dire leurs péchés, au lieu du regret et d’un acte de contrition qu’elles avaient accoutumé de faire, un amour doux et tranquille s’empare de leur cœur. Ceux qui ne sont pas instruits veulent se tirer de là pour former un acte de contrition, parce qu’ils ont ouï dire que cela est nécessaire, et 26 il est vrai. Mais ils ne voient pas qu’ils perdent la véritable contrition qui est cet amour infus, infiniment plus grand que ce qu’ils pourraient faire par eux-mêmes. Ils ont un acte éminent qui comprend les autres avec plus de perfection ; quoiqu’ils n’aient pas ceux-ci comme distincts et multipliés. Qu’ils ne se mettent pas en peine de faire autre chose lorsque Dieu agit plus excellemment en eux et avec eux. Chap. 15, n. 3.
(a) La Confession s’expliquera en son lieu.
Quelques personnes entendant parler de l’Oraison de silence, se sont faussement persuadées que l’âme y demeure stupide, morte et sans action. Mais il est certain qu’elle y agit plus noblement et avec plus d’étendue qu’elle ne fit jamais jusqu’à ce degré ; puisqu’elle est mue de Dieu même, et qu’elle agit par son Esprit. Saint Paul (Rom. 8, vs. 14.) veut que nous nous laissions mouvoir par l’Esprit de Dieu. On ne dit pas qu’il ne faut point agir ; mais qu’il faut agir par dépendance du mouvement de la grâce. Ch. 21, n. 1.
Cette action de l’âme est une action pleine de repos. Lorsqu’elle agit par elle-même, elle agit avec effort ; c’est pourquoi elle distingue mieux alors son action. Mais lorsqu’elle agit par dépendance de l’Esprit de la grâce, son action est si libre, si aisée, si naturelle 27 qu’il semble qu’elle n’agisse pas.
Sitôt que l’âme est en pente centrale, c’est-à-dire, tournée au dedans d’elle-même par le recueillement, dès ce moment elle est dans une action très forte, qui est une course de l’âme vers son centre qui l’attire et qui surpasse infiniment la vitesse de toutes les autres. C’est donc une action, mais une action si noble, si paisible, si tranquille qu’il semble à l’âme qu’elle n’agit pas ; parce qu’elle agit comme naturellement.
Lorsqu’une roue n’est que médiocrement agitée, on la distingue bien ; mais lorsqu’elle va avec une grande vitesse, on ne distingue plus rien en elle. De même l’âme qui demeure en repos auprès de Dieu a une action infiniment noble et relevée ; mais une action très paisible. Plus elle est en paix, plus elle court avec vitesse ; parce qu’elle s’abandonne à l’Esprit qui la meut et la fait agir. n. 2.
Cet Esprit n’est autre que Dieu qui nous attire et qui en nous tirant nous fait courir à lui. n. 3.
Il n’est donc point question de demeurer oisif, mais d’agir par dépendance de l’Esprit de Dieu qui nous doit animer. -- —
De sorte que Dieu agissant infiniment, nous nous laissant mouvoir à l’Esprit de 28 Dieu, nous agissons beaucoup plus que par notre propre action. n. 4.
Notre action doit donc être de nous mettre en état de souffrir l’action de Dieu et de donner lieu au Verbe de retracer en nous son image. Une image qui se remuerait empêcherait le peintre de contre-tirer un tableau sur elle. Tous les mouvements que nous faisons par notre propre esprit empêchent cet admirable Peintre de travailler, et font faire de faux traits. Il faut donc demeurer en paix, et ne nous mouvoir que lorsqu’il nous meut. n. 5
Que cette action soit plus noble, c’est une chose incontestable. Il est certain que les choses n’ont de valeur qu’autant que le principe d’où elles partent est noble, grand et relevé. Les actions faites par un principe divin sont des actions divines (a) ; au lieu que les actions de la créature, quelque bonnes qu’elles paraissent, sont des actions humaines ou tout au plus vertueuses, lorsqu’elles sont faites avec la grâce. --
On ne prétend donc pas de ne point agir, mais seulement d’agir par la dépendance de l’Esprit de Dieu pour donner lieu à son action de prendre la place de celle de la créature. 29 Ce qui ne se fait que par le consentement de la créature ; et la créature ne donne ce consentement qu’en modérant son action, pour donner lieu peu à peu à l’action de Dieu de prendre la place. n. 6.
(a) Notez. Voyez J. de la Croix, ci-dessous. Art. V. Centre de l’âme, n. 3. Etc.
Jésus-Christ nous fait voir dans l’Évangile cette conduite. Marthe faisait de bonnes choses ; mais parce qu’elle les faisait par son propre esprit, Jésus-Christ l’en reprit. L’esprit de l’homme est turbulent et inquiet : c’est pourquoi il fait peu quoiqu’il paraisse faire beaucoup. (a) Marthe, dit Jésus-Christ, vous vous inquiétez et empressez de beaucoup de choses ; mais une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point ôtée. Qu’a-t-elle choisi, Madeleine ? La paix, la tranquillité et le repos. Elle cesse d’agir en apparence, pour se laisser mouvoir par l’Esprit de Jésus-Christ. n.7.
(a) Luc, 10, vs. 41-43.
Les actes de l’homme sont ou extérieurs ou intérieurs. Les extérieurs sont ceux qui paraissent au-dehors, à l’égard de quelque objet sensible ; et qui n’ont d’autre bonté, ni qualité morale, que celle qu’ils reçoivent du principe intérieur dont ils partent.
Ce n’est point de ceux-là que j’entends parler ; mais seulement des actes intérieurs, qui sont des actions de l’âme par lesquelles 30 elle s’applique intérieurement à quelque objet, ou se détourne aussi de quelque autre. Ch. 22, n. 1.
Lorsqu’étant appliqué à Dieu, je veux faire un acte d’autre nature, je me détourne de Dieu et je me tourne vers les choses créées, plus ou moins, selon que mon acte est plus ou moins fort. Si étant tourné vers la créature je veux retourner vers Dieu, il faut que je fasse un acte pour me détourner de cette créature et me tourner vers Dieu : et ainsi plus l’acte est parfait, plus la conversion est entière.
Jusqu’à ce que je sois parfaitement converti, j’ai besoin de plusieurs actes pour me tourner vers Dieu ; les uns le sont tout d’un coup, les autres le sont peu à peu ; mais mon acte me doit porter à me porter vers Dieu, employant toute la force de mon âme pour lui. --
Mais comme l’esprit de l’homme est léger et que l’âme étant accoutumée à être tournée au dehors, elle se dissipe aisément et se détourne, sitôt qu’elle s’aperçoit qu’elle s’est détournée dans les choses du dehors, il faut que par un acte simple qui est un retour vers Dieu, elle se remette en lui : puis son acte subsiste tant que sa conversion dure, à force de se retourner vers Dieu par un retour simple et sincère. n. 2.
Et comme plusieurs actes réitérés font une habitude, l’âme contracte l’habitude de la conversion et d’un acte qui devient comme habituel dans la suite.
L’âme ne doit pas se mettre en peine alors de chercher cet acte pour le former, parce qu’il subsiste et même elle ne le peut sans y trouver une grande difficulté. Elle trouve même qu’elle se tire de son état sous prétexte de le chercher ; ce qu’elle ne doit jamais faire, puisqu’il subsiste en habitude, et qu’alors elle est dans une conversion et dans un amour habituel. On cherche un acte par d’autres actes, au lieu de se tenir attaché par un acte simple à Dieu seul.
On remarquera que l’on aura quelquefois facilité à faire distinctement de tels actes, mais simplement : c’est une marque que l’on s’était détourné, et qu’on rentre dans son cœur après qu’on s’en était écarté. Mais que l’on y demeure en repos dès que l’on y est entré.
Lors donc que l’on croit qu’il ne faut point faire d’actes, on se méprend ; car on fait toujours des actes ; mais chacun les doit faire conformément à son degré. n. 3.
Pour bien éclaircir cet endroit qui fait la difficulté des la plupart des spirituels, faute de le comprendre, il faut savoir qu’il y a des 32 actes passagers et distincts, et des actes continués ; des actes directs et des actes réfléchis. Tous ne peuvent point faire les premiers, et tous ne sont pas en état de faire les autres.
Les premiers actes se doivent faire par les personnes qui se sont détournées. Ils doivent se tourner par une action qui se distingue et qui soit plus ou moins forte, selon que le détour était plus ou moins éloigné. De sorte que lorsque le détour est léger, un acte des plus simples suffit. n. 4.
J’appelle l’acte continué celui par lequel l’âme est toute tournée vers son Dieu, par un acte direct qu’elle ne renouvelle pas, à moins qu’il ne fût interrompu ; mais qui subsiste. L’âme toute tournée de la sorte est dans la charité, et elle y demeure.
Alors l’âme est comme une habitude de l’acte, se reposant dans ce même acte. Mais son repos n’est pas oisif : car il y a alors un acte toujours subsistant qui est un doux (a) enfoncement en Dieu, où Dieu l’attire toujours plus fortement ; et elle, suivant cet attrait si fort et demeurant dans son amour et sa charité, s’enfonce toujours plus dans ce même amour, et elle a une action 33 infiniment plus forte, plus vigoureuse et plus prompte, que l’acte qui ne sert qu’à former le retour. n. 5.
(a) Ceci se fait par amour infus dans la volonté, ou par une tendance actuelle à la fin.
Or l’âme qui est dans cet acte profond et fort, étant toute tournée vers son Dieu, ne s’aperçoit point de cet acte, parce qu’il est direct et non réfléchi. Ce qui fait que cette personne ne s’expliquant pas bien dit qu’elle ne fait point d’actes. Qu’elle dise plutôt qu’elle ne distingue plus d’actes. Elle ne les fait point par elle-même ; j’en conviens : mais elle est tirée et elle suit ce qui l’attire. L’amour est le poids qui l’enfonce comme une personne qui tombe dans la mer, s’enfonce et s’enfoncerait à l’infini si la mer était infinie. Et, sans s’apercevoir de cet enfoncement, elle descendrait dans le plus profond d’une vitesse incroyable.
C’est donc parler improprement que de dire que l’on ne fait point d’actes. Tous font des actes ; mais tous ne les font pas de la même manière : et l’abus vient de ce que tous ceux qui savent qu’il faut faire des actes voudraient le faire distincts et sensibles. Cela ne se peut ; les sensibles sont pour les commençants, et les autres pour les âmes avancées. S’arrêter aux premiers actes, qui sont faibles et avancent peu, c’est se priver des derniers : de même que vouloir faire les derniers 34 avant que d’avoir passé par les premiers serait un autre abus. n. 6.
Le retour de l’Épouse est aussi prompt et sincère, que sa faute avait été légère et imprévue. Ch. 6, vs. 12.
Cette belle âme (comme le palmier) a deux qualités : l’une de ne se jamais recourber vers elle-même pour aucune grâce qu’elle ait reçue de Dieu ; l’autre de ne produire pas la moindre action par elle-même, quelque petite qu’elle soit. Ch. 7, vs. 7.
L’Epouse invite son Époux d’aller partout ; car alors elle est mise toute en action. Et comme Dieu est toujours agissant au-dehors et toujours reposant au-dedans, de même cette âme qui est si confirmée au-dedans, est aussi toute agissante au-dehors. Là même, vs. 12.
1. L’Âme est alors comme l’œil qui ne voit point son action, et qui s’oublie lui-même en regardant son Objet. Dialogue de la Vérité, Ch. 9.
2. Étant ainsi reprise de l’amour, je ne faisais 35 plus d’action ni intérieure ni extérieure, dont quelqu’un se put apercevoir. Vie, Ch. 41.
3. Lorsque les deux maisons de l’âme sont apaisées et fortifiées en un avec tous leurs domestiques, qui sont les puissances et appétits, les endormant et faisant taire à l’égard de toutes les choses d’en haut et d’en bas, le Fils de Dieu s’unit immédiatement dans l’âme avec un nouveau nœud de possession d’amour. Obscure Nuit, livre II, Ch. 24.
4. Tout ceci est tellement employé en Dieu, que même sans que l’âme y prenne garde, toutes les parties de cet attirail que nous avons dit, en leur premier mouvement d’ordinaire s’inclinent à opérer en Dieu et pour Dieu ; parce que l’entendement, la volonté et la mémoire vont aussitôt à Dieu, et les affections, les sens, les désirs et appétits, l’espérance, la joie et toutes ces appartenances de prime abord s’inclinent aussitôt à Dieu, bien que, comme j’ai dit, l’âme ne prenne pas garde qu’elle opère pour Dieu, d’où vient que cette âme travaille et opère pour Dieu très fréquemment, et le regarde, et ce qui le concerne, sans penser ni se souvenir qu’elle le fait pour lui ; parce que l’usage et l’habitude qu’elle tient déjà en telle manière de procéder la fait manquer de l’advertance, du soin et encore des actes fervents de dévotion sensible qu’elle avait accoutumé d’avoir au commencement de ses œuvres. Cantique entre l’Épouse et l’Époux, couplet 20.
5. C’est là l’opération du Saint-Esprit dans l’âme transformée en son amour ; car les actes intérieurs qu’elle fait, c’est de brûler et flamboyer, qui sont des inflammations d’amour avec quoi la volonté 36 unie aime très hautement, étant faite une même chose par amour avec cette flamme. Et ainsi ces actes d’amour de l’âme sont très précieux, et elle mérite plus en un seul qu’en beaucoup d’autres qu’elle a fait dans cette transformation. * Et la différence qui se trouve entre l’habitude et l’acte se trouve aussi entre la transformation en amour et la flamme d’amour, qui est celle qui se trouve entre le bois enflammé et sa flamme ; car la flamme est un effet du feu qui est là. D’où vient que nous pouvons dire de l’âme qui est en état de transformation d’amour, que son habitude ordinaire est semblable au bois qui est toujours investi, pénétré et allumé du feu, et ses actes qui naissent du feu d’amour sont la flamme, laquelle est d’autant plus véhémente que le feu d’union est plus intense, et que la volonté est plus ravie et absorbée en la flamme du Saint-Esprit, à l’exemple (a) de cet Ange lequel du sacrifice de Manué, monta à Dieu dans la flamme. Et (aa) ainsi en cet état actuel l’âme ne peut faire ces actes si le Saint-Esprit ne l’y pousse très particulièrement ; c’est pourquoi (b) tous ses actes sont divins, en tant qu’elle est mue de Dieu avec cette particularité. D’où vient qu’il lui semble que toutes les fois que cette flamme flamboie, la faisant aimer avec ferveur et tempérament divin, on lui donne la vie éternelle qui l’élève à l’opération divine en Dieu. Vive flamme d’amour, Cantique, I, verset 1.
(a) Jug. 13, vs. 20.
(aa) Motion divine, n. 8.
(b) Les actes des personnes mues par l’Esprit de Dieu sont des actes divins, parce qu’ils tirent leur valeur du principe dont elles partent.
* Habitude des vertus. n.3.
6. Pour mieux entendre ceci, il faut savoir 37 que l’état des commençants est de méditer et de discourir : en cet état il est nécessaire de donner à l’âme de la matière, afin qu’elle discoure et fasse ses actes intérieurs, et se serve du feu et de la saveur spirituelle sensible, parce qu’il est ainsi convenable pour habituer les sens et les appétits aux choses bonnes ; et afin que les appâtant avec cette saveur, ils s’arrachent du siècle. Mais lorsque cela est aucunement fait, aussitôt Dieu commence à les mettre en état de contemplation, ce qui arrive en fort peu de temps principalement dans les Religieux, etc. Là-même, Cantique III, verset 3, § 5.
7. Il faut alors conduire l’âme par un chemin tout contraire (a) au premier. Que si auparavant on lui donnait matière pour méditer, et qu’elle méditât, à présent il lui faut ôter, et qu’elle ne médite pas ; car elle ne le saurait quand elle voudrait, et cela la distraira. Si auparavant elle cherchait du goût et de la ferveur, et qu’elle en trouva, à présent qu’elle n’en veuille ni n’en cherche plus : car non seulement elle n’en trouvera point par sa diligence, mais au contraire elle en tirera de l’aridité ; parce qu’elle se divertit du bien tranquille et paisible qu’on lui donne secrètement en l’esprit par l’action ou opération qu’elle veut faire par le sens ; et ainsi perdant l’un, elle ne fait pas l’autre, d’autant qu’on ne lui donne plus les biens par le sens comme auparavant. C’est pourquoi l’on ne doit (b) jamais en cet état lui encharger [sic] de méditer, ni de faire des actes tirés à force de discours : elle ne doit aussi 38 procurer avec attachement de la saveur ni de la ferveur ; parce que ce serait mettre un obstacle au principal agent qui est Dieu, lequel met secrètement et tranquillement dans l’âme la sagesse et l’amoureuse notice sans beaucoup de différence, expression ou multiplication d’actes ; encore que quelquefois il les fasse spécifier en l’âme avec quelque durée ou espace de temps, et pour lors l’âme doit vaquer seulement à une attention amoureuse à Dieu, sans spécifier d’autres actes que ceux auxquels elle se sent inclinée par lui, se portant comme passive, sans faire de soi aucune diligence, avec le (c) regard amoureux simple et sincère, comme qui ouvrirait les yeux avec une œillade d’amour. Car puisque (d) Dieu traite alors avec l’âme quant à la manière de donner, par notice sincère et amoureuse, l’âme doit aussi traiter avec lui quant à la façon de recevoir, par connaissance et regard simple et amoureux, pour joindre ainsi notice avec notice et amour avec amour ; parce qu’il est ici convenable que celui qui reçoit se comporte à la façon de ce qu’il reçoit et non autrement, afin de le pouvoir recevoir et retenir comme on le lui donne : d’où il s’ensuit que si l’âme ne quittait alors sa façon ordinaire de discourir elle ne recevrait qu’écharsement15 et imparfaitement, et ainsi elle ne le recevrait avec la perfection qu’il lui est donné. Là même, § 6.(a) Notez. Il faut conduire l’âme d’une manière toute différente de la Méditation.
(b) Notez jamais.
(c) Regard simple amoureux.
(d) Conformité qu’il doit y avoir entre l’agent et le patient, entre Dieu et l’âme.
8. Autant de fois que Dieu oint l’âme de quelque délicate onction de notice amoureuse, calme, paisible, solitaire et très éloignée du sens et de ce qu’on peut penser, et qu’il la tient sans pouvoir 39 goûter ni méditer chose aucune, ni de celles d’en haut, ni de celles d’ici-bas ; parce que Dieu la tient occupée dans cette action solitaire, encline au loisir et à la solitude, il viendra quelqu’un qui ne fait que frapper sur l’enclume comme un forgeron, et d’autant qu’il ne sait point d’autre leçon que cela, il tiendra tel langage : Allez, tirez-vous de là ; car c’est perdre le temps et demeurer oisif : mais prenez cet autre exercice, méditez et faites des actes, parce qu’il est besoin que vous fassiez des diligences de votre part ; car ces autres choses sont des abus, des tromperies et des amusements de personnes grossières et sans esprit. Et * ainsi n’entendant (a) pas les degrés d’oraison ni les voies de l’esprit, ils ne voient pas que ces actes qu’ils désirent de l’âme sont déjà faits, et que cette voie du discours est déjà achevée ; puisque cette âme est déjà parvenue à l’abnégation sensitive, et que lorsqu’on est parvenu au terme, et qu’on a déjà fait le chemin, il ne faut pas marcher davantage, parce que ce serait de nouveau s’éloigner du but : ainsi n’entendant pas que cette âme est déjà dans la voie de l’esprit, en laquelle il n’y a plus de discours et le sens cesse, et où Dieu (b) est particulièrement l’agent et celui qui parle secrètement à l’âme solitaire, ils jettent en l’âme d’autres onguents de notices grossières et de sucs desquelles ils l’entretiennent et lui ôtent la solitude et la retraite, et par conséquent l’ouvrage excellent que Dieu traçait en elle. Et ainsi elle ne fait pas l’un, et ne profite pas en l’autre. Là même, § 8.
(a) Les Directeurs peu éclairés nuisibles.
(b) Parole de Dieu en l’âme, Dieu agent.
* Motion divine, n. 12.
9. Les 40 actes qui se font suivant cette contemplation infuse, sont d’autant plus excellents, plus méritoires et plus savoureux que le moteur qui verse cet amour est meilleur, lequel l’attache à l’âme, parce que la volonté est près de Dieu et détachée des autres goûts. C’est pourquoi il faut avoir soin de tenir la volonté vide et dégagée de ses affections ; car si elle se tourne en arrière voulant goûter quelque suc ou consolation, encore qu’elle ne la sente particulièrement en Dieu, elle s’avance, montant à Dieu par-dessus toutes choses, puisqu’elle n’est touchée du goût d’aucune. Et quoiqu’elle ne goûte pas Dieu distinctement et qu’elle ne l’aime par un acte si distinct, néanmoins en cette infusion générale elle le goûte obscurément et secrètement. --
La volonté pour aller à Dieu doit plutôt se retirer de toute chose délicieuse et savoureuse, que s’y appuyer. Avec cela on satisfait bien au précepte d’amour, qui est d’aimer Dieu sur toutes choses, lequel pour être accompli en toute perfection cette nudité et vide spécial de toutes choses. Là même, § 10.
10. Ces maîtres qui n’entendent pas les âmes qui entrent en cet état — pensant que ces âmes sont oisives, parce que comme dit l’Apôtre (a), des sucs et ferveurs — ce que ne pouvant faire —, elles se croient perdues, 41 et eux-mêmes leur aide encore à le croire, leur desséchant l’esprit, leur ôtant les précieuses onctions dont Dieu les embaumait en la solitude et tranquillité, substituant des onctions des travaux et de boue ; puisqu’ils perdent en l’un et peinent inutilement dans l’autre. * Telles gens ignorent ce que c’est qu’esprit : ils commettent une grande irrévérence et font une injure signalée à la Majesté de Dieu, mettant leur main grossière où il opère : car il ne lui a pas peu coûté d’amener ces âmes jusque-là, et il prise beaucoup de les avoir conduites en cette solitude et vide de leurs puissances et opérations, afin de leur pouvoir (a) parler au cœur, qui est-ce qu’il désire toujours, en prenant déjà le soin, étant celui qui règne aux âmes avec abondance de paix et de repos, faisant cesser les actes discursifs des puissances, avec lesquelles travaillant toute la nuit, elles ne faisaient rien. — Or combien il estime cette tranquillité, etc. (Voyez Quiétude, n. 32) Là-même, § 11.
(a) I Cor. 2. vs. 14.
(b) C’est-à-dire qu’il ne passe pas le sens animal de la partie unitive.
(a) Notez, Dieu désire parler au cœur de l’homme ; et l’on s’y oppose et arrête les âmes.
* Entendre n. 32
l’Homme animal ne comprend pas les choses qui sont de l’esprit de Dieu (b) — les font discourir et faire des actes non sans grands ennui, répugnance, avidité, et distraction de ces âmes qui voudraient être en leur coi et paisible recueillement, leur persuadant de procurer
11. La seconde Phrase qu’il est bon d’exprimer ici est celle dont les Mystiques usent communément de ce qu’au sommet de la Contemplation les puissances sont comme ravies, suspendues et sans opérer. —
En celle-ci on peut seulement dire que les puissances n’opèrent pas comme d’elles-mêmes, puisque ce qu’elles reçoivent est entièrement infus : et + ce qui est lors la part de l’entendement est une simple retenue et suspendue admiration, 42 et se laisser illustrer, pénétrer et consommer de la lumière divine. Et de la part de la volonté, saintement anéantir et détruire afin qu’elle ne sente, n’aime ni désire, ni se réjouisse en autre chose qu’en Dieu seul. Et cela avec un tels goût et sérénité qu’il ne semble pas opérer, à cause que cette affection amoureuse et simple est si intime et comme substanti [fi] ée en l’âme, qu’elle semble toucher à l’essence et non aux puissances, en partie à cause de la grandeur et radication interne et profonde de l’affection, et en partie par la simplicité et suavité de celui dont la perfection approche plus du repos que du mouvement (comme dit Aristote et Saint Thomas après lui) et semble que ce soit plutôt une habitude qu’un acte, à raison que l’âme est en une habituelle disposition d’amoureuse inclination à Dieu, parce que toute inclination habituelle, intense, simple et suave unie à Dieu fait que ce qui est action ne paraît pas l’être, mais une chose comme substantielle et transformation d’être.
La raison de cela est premièrement que comme l’action est un mouvement, et que ces actions spirituelles ne durent que des instants, l’âme qui ne se sent point mouvoir, mais qui ressent en cette affection divine une espèce d’immutabilité et consistance de durée, cela ne lui semble pas être une action.
En second lieu parce que le commun et ordinaire de ses actions, c’est discourir et tirer une vérité d’une autre, ou s’approfondir avec peine et difficulté en elle, ou cheminer par ces actions et avec elles acquérir autre chose, à quoi l’intention, nécessité ou désir l’ordonne, l’âme sentant comme s’émouvoir et cheminer au bien, ou à la fin prévue et préméditée. Notes sur Jean de la croix, Disc. I, Phras. 2.
+ Non-désir n. 31.
12. Voyez Non-désir, n. 32.
13. Voyez là même.
14. Quand donc vous serez en cette simple et pure confiance filiale auprès de Notre-Seigneur, demeurez-y, mon cher Théotime, sans vous remuer nullement pour faire des actes sensibles, ni de l’entendement, ni de la volonté ; car cet amour simple de confiance et cet endormissement amoureux de votre esprit entre les bras du Sauveur comprend par excellence tout ce que vous allez cherchez ça et là pour votre goût. Il est mieux de dormir sur cette sacrée poitrine que de veiller ailleurs où que ce soit. De l’Amour de Dieu, livre 6, chap. 6.
15. Quoi que nous parlions ainsi ici et ailleurs, si est-ce que dans ce noble et profond plongement actif l’âme n’est pas sans (a) action, ni sans espèces formées de sa part. Mais on dit que son action en cet endroit est faite si subtilement et sous des formes si subtiles, qu’à peine elle-même les aperçoit-elle par manière de dire. Néanmoins est-il vrai qu’elle n’est point ignorante de son action qui est toujours faite avec un désir simple, avide et toujours également affamé de posséder son Époux sans dissimilitude, non pour la satisfaction d’elle-même, mais pour celle de Dieu. Esprit de Carmel, Ch. 19.
(a) Il parle ici d’un reste d’activité.
16. Or personne n’est suffisamment disposé ni propre pour entrer en la voie suréminente, s’il n’est entièrement destitué de son pouvoir actif, dans le plus pur et le plus simple de cette voie mystique. Là même, Ch. 22.
17. Pour 44 ce qui est de l’amour actif et réciproque entre Dieu et l’âme, quoi que ce soit chose très grande, et cela a précédé ces derniers et divers effets, qui sont pourtant en telle sorte derniers qu’ils sont un long temps totalement changés, ou pour mieux dire, annulés comme ce qui n’a jamais été, à cause de certains plus vifs et plus grands attouchements d’amour en toutes les puissances de l’âme qui produisent de tout autres effets en elle. Cabinet mystique, Partie I, Ch. 2.
18. Tout ceci n’appartient qu’au parfaitement mort, vivant d’une vie divine ; tout ceci est en lui par-dessus toute distinction et différence. Il soutient et endure toute cette unique action de suprême félicité par-dessus la connaissance réflexe de tout cela même. Là même, chap. 4.
19. Voyez Foi nue, n. 46.
20. Sur ceci, mon cher Amour, je dirai qu’il est infiniment plus noble d’agir en vous que d’agir pour vous ; car dans le premier l’intention est simple, qui n’a pas tant d’égard aux œuvres qu’à vous en qui elle les fait. Contemplation, 38.
21. Dieu désormais (a) agit et pâtit en eux comme il lui plaît. Ils sont à bon droit et très volontiers les vifs instruments de Notre Seigneur qui se plaît à consommer son ouvrage en eux, les rendant par ce moyen dignes d’habiter en tout lui au-dedans de leur fond par-dessus toute éminence et toute pénétration possible. Lettre, 19.
(a) Âme qui porte Jésus-Christ en ses états.
Dieu étant le seul être de soi, à lui seul appartient d’opérer en lui-même, immuablement, éternellement, infiniment ; et hors de lui-même, et dans ses créatures raisonnables de faire ce qui lui plaît, leur communiquant librement l’être, la 45 liberté, et l’opération, qui est ainsi plus l’être et l’opération de Dieu que de la créature. Livre I, Traité I, chap. 1, sec. 6.
23. L’âme se repose en Dieu, qui lui demeure caché, aussi bien que son acte, qui ne peut être réfléchi ni aperçu par une connaissance intuitive et formelle. --
Il est vrai que dans les Méditations et dans les Contemplations affirmatives, la charité opère, et que gagnant la volonté de l’âme, elle change sa vie en celle du Bien-aimé. En sorte qu’elle ne veut que ce que Dieu veut, et veut tout ce qu’il veut. Mais il faut avouer que les actes mystiques de l’Oraison de repos sont plus puissants et plus transformants, et qu’encore qu’il y ait plusieurs et différents degrés de charité unifiante, ou plusieurs formes d’unions divines, celle néanmoins qui se fait par les actes d’un amour mystique est si intime et si immédiate (a) qu’elle semble seule entre toutes les autres mériter absolument, et par excellence, le titre d’une parfaite union, je veux dire l’actuelle et fidèle correspondance à suivre dans l’oraison les attraits de la volonté de Dieu ; soit par la production d’actes quand ils sont nécessaires pour l’entretien et la conservation de l’oraison ; soit par le délaissement volontaire de ces mêmes actes quand il plaît à Dieu de donner quelques quiétudes incompatibles avec les bonnes pensées. Parce qu’il est très certain que la négligence de produire des actes de bonnes pensées et saintes affections quand on le peut, ou le trop grand empressement d’en produire quand Dieu les veut suspendre par ses douces opérations au fond de l’esprit, sont également préjudiciables au bien de l’âme et à sa perfection. Là même.
(a) Union immédiate ; acte d’un amour mystique.
24. Quand 46 l’âme est dans une oraison de Méditation ou de Contemplation affirmative, c’est-à-dire, quand elle médite et contemple quelque vérité aperçue, elle ne quitte pas les actes, parce que ces sortes de méditations ou de contemplations sont des actes de l’entendement ou de la volonté. Mais quand elle est dans une contemplation obscure, dans laquelle elle ignore ce qui lui est donné à contempler, elle quitte alors tous les actes et toutes les opérations ordinaires, pour tenir en un seul repos mystique, qui est à proprement parler un contentement ou une complaisance de volonté obscure et non aperçue dans le Souverain Bien. Là-même, chap. 2, sec. 4.
25. L’oraison de repos savoureux n’a pas ce désir de produire des actes, ni de faire autre oraison que celle de son dit repos. Là-même, chap. 2, sec. 3.
26. Dans cette jouissance savourée, l’âme sent un touchement intérieur qui lui défend de faire autre oraison que celle de se reposer, parce que ce repos est une suspension de tout autre acte intérieur. Là même, sec. 5.
27. Ne vous tourmentez donc pas, pauvres âmes, ne vous (a) faites plus tant de violences pour produire des actes que l’état de votre stérilité vous rend souvent moralement impossibles. Souffrez de bon cœur que Dieu vous en dépouille, afin que dans cette désappropriation intérieure vous puissiez entrer dans la vraie pauvreté d’esprit. Là même, Traité II, chap. 2, sec. 2.
(a) Comment dans la sécheresse et délaissement il ne faut pas s’efforcer de produire des actes.
28. Ceux qui veulent toujours produire des actes sans s’exercer à l’Oraison de quiétude ne pourront jamais arriver à cette pauvreté d’esprit que Notre Seigneur a tant recommandée, dont 47 les Mystiques font tant d’état, et qui consiste particulièrement à n’être pas si propriétaire de ses actes et de ses satisfactions en l’oraison qu’on ne les quitte aisément quand il plaît ainsi à ce même Seigneur qui en doit disposer à sa volonté. Là-même, chap. 4, sect. 1.
29. Pour mon regard, dit Sainte Thérèse (Vie, ch. 22), je crois que dans cette Oraison d’union, l’âme pour s’aider, fait quelque chose de sa part, combien qu’il lui semble que cela l’avance, néanmoins tout tombera bientôt par terre, comme chose sans fondement. Et je doute si elle arrivera à la vraie pauvreté d’esprit. Là même, sect. 4.
Il faut que l’âme se laisse détruire et anéantir par la force de l’amour. -- Comment passer en Dieu ? Cela ne se peut faire qu’en sortant de nous-mêmes pour nous perdre en lui. Or cela ne s’exécutera jamais que par l’anéantissement. Ch. 20, n. 3.
L’âme est mise par là dans la vérité du Tout de Dieu et du néant de la créature. Nous ne pouvons honorer le Tout de Dieu que par notre anéantissement : et nous ne sommes pas plus tôt anéantis que Dieu, qui ne souffre point de vide sans le remplir, nous remplit de lui-même. Là même, n. 4.
La connaissance de notre Néant aide à connaître le Tout de Dieu : c’est dans ce tout de Dieu que se puise la Lumière nécessaire pour découvrir l’abîme du néant de la créature. Ch. I, vs. 7.
Si vous voulez que je prenne vie en vous, il faut que vous soyez dans le dernier anéantissement. Ch. 2, vs. 1.
Les vaillants guerriers sont les attributs divins qui environnement le lit royal, et qui en empêchent l’entrée à ceux qui ne sont pas entièrement anéantis. Ch. 3, vs. 7.
L’Epoux l’appelle ici du nom d’Epouse et la convie à se hâter de se laisser détruire et anéantir. Ch. 4, vs. 8.
On ne saurait croire les grands fruits qu’une âme bien anéantie produirait en faveur des hommes sitôt qu’elle serait appliquée à les aider. Ch. 4, vs. 13.
Dieu dit que cette âme en qui le mariage spirituel a été parfaitement consommé par son anéantissement total et par sa perte entière est une colombe en simplicité. Ch. 6, vs. 8.
C’est pour y voir les fruits de l’anéantissement. Ch. 6, vs. 10.
Non qu’elle méprise ou rejette les visites 49 ni les consolations divines : non. Elle a trop de respect et de soumission pour l’opération de Dieu. mais c’est que ces sortes de grâces (a) ne sont plus guère de saison pour une âme aussi anéantie qu’elle l’est, et qui est établie dans la jouissance du centre. Ch. 8, vs. 14.
(a) C’est-à-dire, les sensibles, distinctes, et aperçues : la suite le fait voir.
Cette âme demeure entre les mains de son époux comme les choses qui ne sont point. Ce doit là être l’effet de l’anéantissement le plus profond. Là même.
1. Ceux qui sont bien entendus aux mystères hiérarchiques ne peuvent ignorer, ce me semble, ce qui est assez clair et connu, c’est à savoir, que les natures douées d’entendement et d’esprit n’obtiennent (a) point autrement l’habitude immuable de la divine ressemblance si ce n’est en s’élevant continuellement avec attention et force d’esprit vers l’unité, et en mortifiant et anéantissant entièrement toutes les choses contraires. De la hiérarchie ecclésiastique, ch. 2.
(a) Notez : cette habitude immuable se peut donc acquérir.
2. Il faut nous perdre dans ce néant qui n’est autre chose que Dieu, afin que Dieu nous soit tout en toutes choses. Dialogue de la vérité, ch. 8.
3. Par l’introversion qui nous perd dans ce 50 néant nous perdons toute distinction, non quant à l’essence, mais à ce qui nous parait. Là même.
4. L’âme perdue dans ce néant ne sait si elle est ce néant divin, ou si elle est créature, ou même si elle est unie. Là même, ch. 9.
5. Dès qu’elle s’aperçoit, qu’elle connaît et qu’elle contemple ce néant, elle s’en éloigne et réfléchit naturellement sur elle-même. Là même.
6. Quand quelqu’un est tellement élevé au-dessus de soi qu’il ne connaît plus ni soi-même ni autre chose, et qu’il est tout endormi dans le fond du néant éternel, c’est alors qu’il est véritablement perdu. Là même, ch. 10.
7. Que si je perds tous les sentiments de moi-même, si je m’abaisse, si je m’anéantis, si je me réduis à la cendre et en poussière, comme c’est tout ce que je suis, votre grâce me sera favorable et votre lumière luira dans mon cœur. Livr. 3, Ch. 8, § 1.
8. Cette lumière se manifeste comme un néant dont la sublimité oblige l’homme à faire cesser toute opération, vaincu par l’opération du divin amour. Théologie mystique, Liv. II, Ch. 58.
9. Quand l’âme est anéantie, elle n’opère plus, elle ne parle plus, elle ne veut plus, elle n’a aucun sentiment ni dedans ni dehors qui se puisse mouvoir. Et en toutes choses Dieu est celui qui la gouverne et la conduit. Vie, Ch. 18.
10. Dieu anéantit l’âme : il demeure seul. Et la créature demeure comme sans âme. Dieu lui donne le goût et l’entendement comme il lui plaît. Là même, Ch. 30.
11. Ô si je pouvais dire ce que je connais et ce que je sens de cet anéantissement de la propre-volonté, je suis certaine que chacun abhorrerait autant la sienne que le Diable ! Là même, Ch. 31.
12. Dieu donne à l’âme une certaine occupation intérieure, en laquelle il la tient tellement noyée qu’il lui semble qu’elle est comme abîmée dans une mer profonde. Et étant occupée en une chose si grande et si divine, elle ne peut faire son opération naturelle : mais demeurant anéantie et abîmée en cette mer, elle reçoit une si grande participation de la tranquillité divine qu’elle serait suffisante pour adoucir les peines de l’Enfer.
Quand l’âme se trouve anéantie par l’opération divine, elle demeure toute transformée en Dieu qui la conduit et la meut et la remplit à sa façon sans l’opération humaine. Alors qui peut penser ce que sent cette créature ? Si elle en pouvait parler, ses paroles seraient tellement brûlantes que les cœurs en seraient enflammés. En cet anéantissement elle connaît que toute volonté est peine, toute intelligence est ennui, toute mémoire est empêchement. Et elle dit : ô amour de pauvreté, Royaume de tranquillité ! Là même.
13. Voyez Mortification, n. 1.
14. C’est ainsi que Dieu fait de l’homme, lequel a été créé pour la fin d’être uni à Dieu et d’être transformé en lui. Et tout de même comme dans le pain (a) il y a deux parties, l’une qui se change en substance, et l’autre qui se jette dehors comme une chose superflue, aussi Dieu sépare et rejette de l’homme tous ses mauvais 52 instincts corrompus par le péché originel qui lui donne inclination à tout mal. Et l’âme voyant sa dangereuse maladie, dit : je n’ai point d’autre remède, sinon que (b) Dieu fasse de moi ainsi que je fais du pain quand je l’ai mangé, duquel ma nature retient seulement la bonne substance et rejette le reste dehors, et ainsi elle demeure nourrie et saine. Ch. 22.
(a) La sainte exprime comment se fait cet Anéantissement par la comparaison du pain. Voyez aussi celle du bois qui se change en feu. Purification, n. 45.
(b) Il faut que Dieu nous purifie lui-même de la sorte.
15. Si Dieu avec ses doux moyens ne faisait en nous un si merveilleux effet, notre partie propre ne se laisserait pas anéantir. Elle se défendrait tant qu’elle pourrait : mais elle se trouve dans l’ordonnance et disposition de Dieu, qui taille et coupe peu à peu les racines de l’arbre. Et ainsi il dessèche les branches de nos mauvaises inclinations sans que l’homme s’en aperçoive. Il voit seulement qu’il ne peut plus prendre de plaisir aux choses extérieures, et (c) il ne sent point d’autre bien en soi, sinon qu’il se contente que Dieu fasse de lui tout ce qui lui plaît. Là même.
(c) Abandon, résignation : c’est tout ce que l’âme connaît en elle.
16. Voyez Mortification, n. 3.
17. Voyez Mort entière, n. 4.
18. Voyez Actes, n. 2.
19. Voyez Propriété, n. 13.
20. Je suis (dit l’Amour) encore de telle nature, que je convertis et transforme les âmes en moi, les dépouillant d’elles-mêmes, et que je n’approuve jamais aucune chose qui ne soit tellement anéantie qu’elle ne puisse se voir en soi-même, ni sentir autre chose que pur amour sans aucun mélange : l’amour pur veut être seul. Ch. 41.
21. Voyez Joie de l’âme, n. 8.
22. Quelquefois la multitude de ces grâces les fait anéantir davantage, et elles craignent qu’il ne leur arrive la même chose qu’à un navire trop chargé que le faix excessif fait couler à fond. Elles ne manquent pas de croix. Château de l’âme, VIIe demeure, ch. 3.
23. J’ai été réduit à néant, dit David (a), et je n’ai su. Parce que, comme il a été dit, l’âme ignore par où elle va. elle se trouve anéantie pour toutes les choses d’en haut et d’ici-bas qu’elle avait accoutumé de goûter. Elle se voit seulement éprise d’amour sans savoir comment. Nuit Obscure, Liv. I, ch. 11.
(a) Ps. 72, vs. 22.
24. Voyez Sortie de soi, n. 14.
25. Il y a deux sortes d’anéantissement, l’actif et le passif. Le passif se fait lorsque la personne et toutes choses sont anéanties, assoupies et évanouies. Nous l’appelons passif, parce qu’on pâtit cet anéantissement dont il a été parlé jusqu’à présent. Règle de la perfection, partie III, ch. 11.
26. L’anéantissement passif est, lorsqu’il ne reste nul sentiment ni image des créatures. L’actif est lorsqu’il y a quelque image ou sentiment. Mais toutefois l’on connaît par cette lumière qu’elles ne sont rien. L’une consiste en la connaissance expérimentale, se voyant réduit à rien comme il est écrit : je suis réduit au néant. L’autre consiste dans la connaissance vraie, mais non expérimentale selon le sens, mais bien selon l’entendement.
De ces deux anéantissements, l’actif est le plus parfait, parce qu’il anéantit toutes choses avec 54 soi-même non seulement quand il est aidé de l’attrait actuel de cette volonté ou essence divine, mais aussi quand la personne est en stérilité. Il les anéantit autant quand elles demeurent, comme quand elles ne demeurent pas, et qu’elles s’évanouissent. -- Il anéantit même ce qui anéantit les choses, savoir son esprit et sa connaissance avec toute son opération, et ne permet pas que quelque sentiment ou image demeure, mais Dieu seul. L’anéantissement actif est encore plus parfait pour la force. Parce que ni la multitude des affaires extérieures ni la multiplicité des actions intellectuelles ne sont pas capables d’empêcher cet anéantissement ni de distraire. Il anéantit les choses, non seulement quand l’âme est élevée au-dessus d’elle-même, mais aussi quand elle est recueillie au-dedans de soi, les regardant comme ne les regardant pas : par là l’anéantissement actif se continue et exerce en tout. -- L’anéantissement passif attend l’actuel attrait de Dieu.
Ces deux anéantissements servent aux deux amours, de jouissance et de pratique, qui comprennent toute la vie spirituelle. Là même.
28. Pour ceux qui sont véritablement morts, je dis que c’est infiniment davantage d’être entièrement anéanti que d’être entièrement morts : car la mort est l’entrée à l’anéantissement. Mais bon Dieu ! Que disons-nous, de quoi et de qui parlons-nous puisque si peu se trouvent entièrement morts ? N’importe, disons que ceux qui sont vraiment anéantis selon le dernier et suprême état, demeurent de là même d’autant plus inconnus et ignorés qu’ils sont différents des autres 55 saints mystiques. Esprit du carmel, ch. 9.
29. L’anéantissement passif est quand, soit par dedans, soit par dehors, il n’y a aucune autre opération de l’âme que de regarder et contempler Dieu purement en repos. Et ils appellent très à propos telle action passive, parce que nous ne faisons tout ce temps-là qu’endurer l’action divine en force, joie, et repos d’esprit.
Au contraire ils appellent anéantissement actif lorsque tout ce que nous faisons d’œuvres nécessaires nous paraissent n’être rien, et comme s’ils n’avaient jamais été. Cabinet mystique, partie I, ch. 3.
30. Mais ceux qui se sont anéantis par amour infini en leur éternel Objet, leur gloire et leur jouissance après cette vie en toute plénitude d’accomplissement et au surcomblé débordement de toute plénitude, sera d’autant plus noble et excellente en clarté, que la clarté du soleil surpasse la lueur d’une très petite chandelle. Là même, ch. 4.
31. Puisque Dieu a bien daigné prendre plaisir à nous anéantir en lui et à nous-mêmes, et que par ce moyen il a satisfait à son amour, il faut que pour satisfaire au sien en tout lui-même nous demeurions anéantis selon lui et en lui, et selon nous en notre total : sans faire cas de nos réflexions qui ne font et ne sont rien de nous, à cause de notre entière et parfaite transfusion en toute l’étendue de Dieu, dans lequel nous sommes, nous nous mouvons, et vivons de la même vie divine, et qui est la cause de notre paradis ici-bas. Là même, ch. 10.
Il faut que la vive foi de Dieu présent dans le fond de nos cœurs nous porte à nous enfoncer fortement en nous-mêmes, recueillant tous les sens au-dedans, empêchant qu’ils ne se répandent au-dehors : ce qui est un grand moyen dès l’abord, de se défaire de quantités de distractions et de s’éloigner des objets du dehors pour s’approcher de Dieu, qui ne peut être trouvé (a) que dans le fond de nous-mêmes et dans notre centre, qui est le Sancta Sanctorum où il habite. Ch. 2, n. 2.
(a) J’entends Dieu lui-même et non ses dons qui se reçoivent dans ses puissances.
Cette manière de se tourner au-dedans est très aisée, et avance l’âme sans effort et tout naturellement, parce que Dieu est notre centre. Le centre a toujours une vertu attirante très forte. Et plus le centre est éminent et spirituel, plus son attrait est violent et impétueux, sans pouvoir être arrêté.
Outre la vertu attirante du centre, il est donné à toutes les créatures une pente forte de réunion à leur centre, en sorte que les plus spirituels et parfaits ont cette pente plus forte.
Sitôt qu’une chose est tournée du côté de son centre, à moins qu’elle ne soit arrêtée par quelque obstacle invincible, elle s’y précipite avec une extrême vitesse. Une pierre en l’air n’est pas plutôt détachée et tournée vers la terre, qu’elle y tend par son propre poids comme à son centre. Il en est de même de l’eau et du feu, qui n’étant point arrêtés, courent incessamment à leur centre.
Or je dis que l’âme par l’effort qu’elle s’est fait pour se recueillir au-dedans, étant tournée en pente centrale, sans autre effort que le poids de l’amour tombe peu à peu dans le centre. Et plus elle demeure paisible et tranquille, sans se mouvoir (a) elle-même, plus elle avance avec vitesse, parce qu’elle donne plus de lieu à cette vertu attirante et centrale de la tirer fortement. Ch. 11, n. 2, 3.
(a) Notez elle-même : mais moins elle se remue par elle-même, plus elle se laisse mouvoir au gré de Dieu.
Sitôt que l’âme est en pente centrale, c’est-à-dire, retournée au-dedans d’elle-même par le recueillement, dès ce moment elle est dans une action très forte, qui est une course de l’âme vers son centre qui l’attire, et qui surpasse infiniment la vitesse de toutes les autres actions ; rien n’égalant la vitesse de la pente centrale. Ch. 21, n. 2.
Lorsque l’âme est tournée au-dedans d’elle en la manière qu’il a été dit, elle est en pente centrale et elle a une tendance forte à l’union. Cette tendance est le commencement. Ensuite elle adhère, ce qui se fait lorsqu’elle approche plus près de Dieu. Puis elle lui est unie. Et ensuite elle devient une, ce qui est devenir un même esprit avec lui, et c’est alors que cet esprit sorti de Dieu retourne dans sa fin (a). Là même, n. 8.
(a) Perte en Dieu notre fin et origine.
Le ciel représente le fond et le centre de l’âme, où il faut que tout soit en silence lorsque la Majesté de Dieu y paraît. Ch. 24, n. 1.
La jouissance de Dieu est permanente et durable, parce qu’elle est au-dedans de nous-mêmes, et que Dieu étant notre dernière fin, l’âme peut sans cesse s’écouler dans lui comme dans son terme et son centre, et y être mêlée et transformée.
Il faut encore observer que Dieu nous a donné en nous créant une participation de son être, propre à être réunie à lui ; et, en même temps, une tendance à cette réunion. Il a donné quelque chose de semblable au corps humain à l’égard de l’homme dans l’état d’innocence, le tirant de l’homme même, afin de lui donner cette pente à l’union, comme à son origine. Mais, cela étant entre ces corps fort matériel, cette union ne peut être que matérielle et fort bornée. Ch. 1, vs. 1.
Cette jeune amante prie l’Époux de la tirer par le centre de son âme, comme si elle n’était point satisfaite de la douceur du baume répandu dans ses puissances : car elle pénètre déjà par la grâce de son Époux qui l’attire toujours plus fortement, qu’il y a une jouissance de lui-même et plus noble et plus intime que ce qu’elle goûte à présent. C’est ce qui la porte à faire cette demande à son Époux. Tirez-moi, dit-elle, dans le plus intime de mon fond, afin que mes puissances et mes sens courent aussi bien à vous par cette voie (a) plus profonde quoique moins sensible. Tirez-moi, dis-je, ô mon divin Amant, et nous courrons à vous par le recueillement, qui nous fait sentir cette force divine, par laquelle vous nous attirez à vous-même. En courant, nous suivrons une certaine odeur que votre attrait fait sentir. Nous outrepasserons même cette odeur pour aller jusqu’à vous comme au centre de notre bonheur. Là même, vs. 3.
(a) Voie au-delà des sentiments.
L’Époux sacré est toujours dans le centre de l’âme qui lui est fidèle. Mais souvent il y demeure si caché, que celle qui possède ce bonheur l’ignore presque toujours, excepté certains moments où il lui plaît de se faire sentir à l’âme amoureuse, qui pour lors le découvre en soi d’une manière intime et profonde. Il en use à présent de la sorte envers la plus pure de ses Amantes, ainsi que le témoigne ce qu’elle va dire. Lorsque mon roi celui qui me gouverne et me conduit en Souverain, était en son lit, qui est le fond et le centre de mon âme (a) où il prend son repos ; mon nard, qui est ma fidélité, a répandu son odeur d’une manière si douce et si agréable qu’il l’a obligé de se faire connaître à moi. Alors j’ai reconnu qu’il se reposait en moi comme dans son lit royal ; ce que j’avais ignoré auparavant. Car quoiqu’il y fût, je ne l’y apercevais pas. Là même, vs. 11.
(a) Le centre de l’âme est le lit de repos de l’Aimé.
L’Époux embrasse son Amante, et il est en elle. Il l’entoure au-dehors, et il la pénètre au-dedans : elle sent que dans ce sommeil mystique il s’enfonce en elle, qu’il s’unit à elle, non seulement comme autrefois, par les puissances, qui sont les collines, mais que de plus outrepassant les collines, il vient sur la montagne, qui est le centre. Et là il la touche véritablement de son union immédiate. Elle sent bien que cet attouchement est bien différent de celui des puissances, et qu’il lui fait de très grands effets, quoique ce soit un attouchement passager, qui n’est pas encore l’union permanente et durable. Ch. 2, vs. 8.
Il faut outrepasser toutes choses pour entrer avec moi dans le sein de mon Père, et vous y reposer sans milieu et par la perte de tout moyen : l’union immédiate et centrale ne se faisant qu’au-dessus de tout le créé. Ch. 4, vs. 8.
2. L’instinct de l’âme vers Dieu qui est infini ne peut être comparé à l’instinct du corps vers les choses terrestres qui sont finies. Et quand cet instinct de l’âme vers Dieu n’est point empêché, il est si grand et si fort, qu’il n’y a rien qui ait une véhémence ou impétuosité si grande. Vie, ch. 48.
3. Perce le centre de mon âme.
D’autant que cette fête du Saint-Esprit se passe dans la substance de l’âme, où le Diable, ni le monde, ni le sens ne sauraient arriver, elle est d’autant plus assurée, substantielle et délicieuse qu’elle 62est plus intérieure. Car tant plus elle est intérieure, tant plus elle est pure. Et tant plus elle a de pureté, tant plus Dieu se communique souvent, abondamment et généralement. Et d’autant que l’âme ne saurait opérer naturellement et par son industrie, si ce n’est par le moyen et l’aide du sens corporel, duquel en ce cas elle est très libre et très éloignée, de là vient que toute son occupation est seulement de recevoir de Dieu qui, seul dans le fond ou centre de l’âme la peut mouvoir, et y opérer sans l’entremise des sens. Et ainsi tous les mouvements de cette âme sont divins (a). Et, quoiqu’ils soient de Dieu, ils sont aussi d’elle, parce que Dieu les fait en elle avec elle, qui y contribue de sa volonté et son consentement. Et d’autant qu’en disant qu’il frappe au plus profond centre de son âme, elle donne à entendre qu’elle a d’autres centres qui ne sont pas si profonds, il nous faut voir comment cela se passe. Or premièrement il faut savoir que l’âme, en tant qu’esprit, n’a ni haut, ni bas, ni rien de plus ou moins profond en son être, comme ont les corps qui ont de la quantité, car vu qu’il n’y a point de parties en elle, ni plus de différence dedans que dehors, puisqu’elle est toute d’une façon, elle n’a point de centre plus ou moins profond, ni ne peut être éclairé en une part plus qu’en l’autre, comme les corps naturels, mais seulement d’une même manière. Mais laissons cette acception de centre ou de profondeur matérielle : Nous appelons ce centre le plus profond, là où son être et sa vertu peut atteindre, et la force de son opération et mouvement, et d’où elle ne peut passer outre : de même que le feu ou la pierre qui ont le mouvement naturel et 63 la force de parvenir au centre de leur sphère, et ne peuvent aller plus avant, ni manquer d’être là, si ce n’est par quelque empêchement contraire. Suivant cela nous dirons que la pierre lorsqu’elle est dans la terre, est comme en son centre, parce qu’elle est dans la sphère de son activité et de son mouvement, qui est l’élément de la terre. Mais elle n’est pas au plus profond d’icelle, qui est le milieu de la terre, parce qu’elle a encore la force de descendre jusque là, si on ôte les empêchements qui sont entre-deux ; et quand elle y sera arrivée et qu’elle n’aura plus de sa part la vertu de se mouvoir, nous dirons qu’elle sera au plus profond centre.
Or Dieu est le (b) centre de l’âme, auquel étant parvenue selon son être et selon toute la force de son opération, elle sera arrivée à son dernier et plus profond centre, ce qui sera quand avec toutes ses forces elle aimera, entendra et jouira de Dieu. Et lorsqu’elle n’a encore atteint jusque-là, bien que par grâce et par communication divine elle soit en Dieu, qui est toujours son centre, si elle a force et mouvement pour davantage et qu’elle ne soit pas satisfaite, quoiqu’elle soit au centre, elle n’est pas au plus profond, puisqu’elle peut encore passer plus avant. L’amour unit l’âme avec Dieu, et tant plus elle aura de degrés d’amour, elle entrera plus profondément en Dieu. Vive flamme d’amour, cant. 1, vs. 3.
(a) Moyen court, ch. 21, §6.
(b) [Dieu et ce qui le concerne est entièrement intérieur pour autant que ce qui est de plus profond en nous et en toutes choses, c’est Dieu. C’est pourquoi Saint Grégoire de Naziance en ses Poésies l’appelle le centre des choses. Le Père Surin : Fondements de la vie spirituelle, liv. 13, ch. 1.]
4. D’autres fois l’union se fait non par des élancements répétés, mais par manière d’un continuel insensible pressement et avancement du cœur en la divine bonté : car comme nous voyons qu’une grande et pesante masse de plomb, d’airain, ou de pierre, quoiqu’on ne la pousse point, se serre, enfonce, et se presse tellement contre la terre sur laquelle elle est posée, qu’enfin avec le temps on la trouve toute enterrée à cause de l’inclination de son poids, qui par sa pesanteur la fait toujours tendre au centre, ainsi notre cœur étant une fois joint à son Dieu, s’il demeure longtemps dans cette union, et que rien ne l’en divertisse, il va s’enfonçant continuellement (a) par un insensible progrès d’union jusqu’à tant qu’il soit tout en Dieu, à cause de l’inclination sacrée que le saint amour lui donne de s’unir toujours davantage à la souveraine Bonté. De l’amour de Dieu, livr. 7, ch. 1.
(a) Mon amour est mon poids. Saint Augustin, Confession, livr. 13, ch. 9.
5. C’est une chose étrange, que les hommes ignorent le point et les propres exercices de leur infini bonheur, et qu’ils ne sachent nullement ce que c’est que leur fond, et le culte amoureux d’icelui. Esprit du carmel, ch. 14.
6. Mais quand l’homme est arrivé à son centre, alors comme un aigle amoureux il se repose en Dieu à très grand plaisir. La jouissance divine l’occupe en plénitude de délices d’une manière très subtile, très simple et très spirituelle, et le plus souvent par-dessus (a) soi-même, par-dessus tous sens et toute perception. Tandis qu’il demeure en sa seule industrie il est très éloigné de son entière perte et résolution, et son occupation vers Dieu est très éloignée de ce centre. Là même, ch. 23.
(a) S’outrepasser soi-même, ce qui s’appelle sortir de soi.
7. Tous les états qui précèdent celui-ci sont déduits chez les mystiques : mais celui-ci les contient tous d’une assez divine manière, par laquelle on se voit et on se sent fondu et réduit en un très petit point, qui est le centre unique d’où sont tirées toutes les lignes qui se peuvent concevoir. Ce qui tombe sous le sentiment et sous la simple et spécifique perception, semble plutôt montrer ce qui est créé, en une excellente manière, que ce qui l’Incréé où nous sommes arrêtés : lequel nous tient purement attachés par-dessus tout amour, en nudité et simplicité unique et du tout suressentielle, par-dessus tous les effets susdits du feu divin, qui embrasait et consommait toute l’âme en soi au temps de son action. De sorte que l’âme étant ici arrivée, ne trouve rien que dire ni que penser, non pas même pour exprimer ce qu’elle a vu ou senti dans les états précédents, et encore beaucoup moins en celui-ci. Cabinet mystique, parte I, ch. 10, § 7.
8. L’Époux recevant enfin l’Épouse abandonnée à son pouvoir par le droit et par la justice de sa condition, se livre de sa part à elle, lui donnant par amour tout pouvoir sur lui, disant à sa chère épouse ce qu’il disait à Dieu son Père : (a) tout ce que j’ai est à vous, et tout ce que vous avez est à moi. En sorte qu’il est tout à l’âme, comme l’âme est toute à lui. L’Epouse ensuite doit demeurer en paix dans son fond, 66 vivant toujours soumise aux ordres de l’Epoux, et toujours préparée à répondre avec fidélité aux desseins de sa puissance. Lettre 12.
(a) Jean 17, vs. 10.
9. Dans cette oraison, la volonté se repose en Dieu plutôt par sympathie que par connaissance, comme les choses pesantes se portent à leur centre sans connaissance de la convenance qu’il y a entre elles et leur centre. Ainsi le fer est attiré par l’aimant sans connaître la convenance qu’il a avec lui. Le même arrive à la volonté lorsqu’elle se tient en repos sans savoir en quoi. Livre I, traité I, ch. 10, sect. 2.
10. la volonté, dit Barbançon,17 étant la puissance la plus noble de notre âme, est aussi celle qui a en son centre et au plus intime de son fond la présence réelle et l’immédiate assistance de l’Être divin (Secrets sentiers de l’amour divin, II, ch. 15) Là-même, sect. 15.11. Tauler dit que la très agréable Trinité luit dans les intérieurs et s’écoule intimement dans le fond qui n’a ni nom ni images. Dans ce fond l’esprit se trouve sans formes comme abîmé dans l’immensité de Dieu. (Cantique 4) Là même.
12. Si jamais, dit-il encore, nous voulons arriver au fond de Dieu, il faut d’abord que nous pénétrions jusqu’à notre propre et intime fond (a) avec pure humilité. (Sermon I du 4e Dimanche après les Rois). Il l’appelle d’ailleurs fond de la divinité, fond éternel. La plus noble portion de l’âme, dit-il (Sermon I du 13e Dimanche après la Trinité) se repose au fond de la divinité, d’où elle est écoulée. Et celui qui jamais ne regarde ou ne goûte son fond, ne goûtera jamais celui qui est éternel. Il dit aussi (Sermon I, Trin.) que Dieu est le fond des bons et leur intention. Et (Dimanche 19 après la Trin.) cette portion a un certain objet essentiel au-dessus de l’opération des puissances. Livre III, traité VI, ch. 8, section 5 et ch. 9, section 1.
(a) [L’auteur du Jour mystique traite du fond de l’âme dans tout le traité VIe de son 3e livre.]
13. Le mariage de l’âme avec Dieu est au centre, et les fiançailles seulement en la supérieure partie, c’est-à-dire la moyenne, préférant le centre aux autres parties. (de Sainte Thérèse) Livre III, traité VI, ch. 9, sect. 1.
14. L’abstraction, la solitude et une sérieuse application à l’homme intérieur est nécessaire à ceux qui, comme Madeleine, aspirent au repos. Et lorsqu’ils sont occupés des exercices extérieurs ils se doivent retirer au-dedans avec leurs sens et tout ce qui est en eux, pour se recueillir, unir et abîmer au fond de leurs âmes : la dignité de telles âmes ne se peut ni concevoir, ni expliquer (de Tauler, Serm. 3 de l’Épiphanie). Là même.
15. Le fond de l’âme est, comme dit un grand contemplatif, la capacité de l’esprit à se convertir tout à Dieu et son actuelle conversion en lui. Là même, sect. 4.
16. Dieu, dit Sainte Thérèse (Château de l’âme, Demeure V, ch. 1), n’a que faire qu’on lui ouvre les portes de notre fond pour y entrer. Elle dit que le cellier est le centre de notre âme, et que nous n’y pouvons pas entrer par nos propres diligences : mais que la Majesté de Dieu est celle qui nous y doit introduire, et qu’il ne veut de notre part qu’une soumission entière de notre volonté. Sans ouvrir aucune porte il entre dans le centre de notre âme, comme autrefois dans le lieu où étaient ses disciples, lorsqu’il leur dit : (a) La paix soit 68 avec vous. Livre III, traité VI, ch. 9, sect. 6.
(a) Jean, 20, vs. 21-26.
17. L’âme peut empêcher cette opération divine en trois manières. La première est par les images et par les pensées. Parce que quand Dieu lui donne quelque oraison de quiétude, qui ne peut pas compatir avec les bonnes pensées, si elle ne les quitte, elle étouffe en elle l’opération de Dieu qui veut suspendre nos actes par cette douce opération. Secondement par le péché de l’immortification. Troisièmement faute de fidèle correspondance par production d’actes quand ils sont nécessaires pour l’entretien et la coopération de l’oraison de quiétude. Là même, sect. 8.
18. Sainte Thérèse parlant de l’union que Dieu opère au fond de l’âme dit (Vie, ch. 16) qu’en cet état elle demeure avec de grands gains, parce que Dieu opère en elle sans que personne l’empêche, ni elle-même, parce que Dieu est plus maître de son fond qu’elle-même. Là même.
Ce que l’on souhaite donc des âmes, c’est qu’elles s’avancent vers leur fin, et qu’elles prennent le chemin le plus court et le plus facile. Ch. 24, n. 9.
1. Quoique nous ne fassions que commencer et soyons encore très méchants, tâchons de considérer cela continuellement et de nous exciter à aimer ; car si Notre Seigneur nous fait une fois cette grâce que cet amour s’imprime dans notre cœur, toutes choses nous seront faciles, et nous ferons beaucoup en fort peu de temps, et sans aucun travail. Sa divine Majesté nous fasse cette grâce, puisqu’elle sait combien cela nous est important, et qu’elle nous l’octroie par l’amour qu’elle nous a porté et par son glorieux fils qui nous l’a fait paraître si fort à ses dépens. Vie, ch. 22.
2. Le seul et unique amour anime toutes les vertus occurrentes, et le plus court et le plus affairé chemin pour vous introduire et vous avancer en esprit dans ce pur et unique fond, où Dieu réside pour soi et pour vous. Lettre 50.
3. Saint Bonaventure : De même que tout nouveau disciple monte par degrés à la perfection de cette science (à savoir la théologie mystique), si bien qu’il s’exerce premièrement avec une grande étude et travail en la vie purgative, qui est la voie enfantine et des commençants ; et après l’espace d’un peu de temps, c’est-à-dire un mois ou deux, s’il lui semble être expédient suivant le rayon de la lumière divine qu’il s’élève à l’amour en méditant. Que s’il semble peut-être une présomption à quelqu’un, que l’âme enveloppée en plusieurs péchés ose demander à Jésus-Christ l’union d’amour, qu’il pense en soi-même qu’il n’y a point de danger. (Préface de la théologie mystique) Eclaircissement des phrases mystiques de Jean de la Croix, p. II, ch. 21, § 2.
4. J’ai voulu écrire ceci afin que ceux qui sont moins expérimentés en cette sagesse, le chemin étant affermi, y dirigent leur sentier sachant qu’on la trouve en peu de temps. Que si au commencement de la purgation ou de l’élévation extatique on sent une merveilleuse difficulté, si est-ce néanmoins que tourmentés en peu de choses, ils seront bientôt disposés en plusieurs. De sorte qu’ils verront par expérience tout ce que l’œil n’a point vu, n’i l’oreille entendue, qui n’est point montré au cœur de l’homme. (Théologie mystique, ch. 3) Là même.
5. Sainte Thérèse : Si nous faisions notre possible pour nous détacher de toutes les choses de la terre, et que tout notre soin et conversation fut dans le ciel, je crois sans doute que ce bien nous serait donné en peu de temps, si en peu de temps nous nous y disposions entièrement comme quelques saints l’ont fait. (Vie, ch. 11) Là même.
6. L’un de ceux qui m’ont commandé d’écrire ceci a été beaucoup plus avancé par Notre-Seigneur en quatre mois, que moi en dix-sept ans : aussi s’y est-il mieux disposé que moi. C’est pourquoi il arrose ce verger de ces quatre fortes eaux, quoique la dernière ne lui soit donnée que goutte à goutte, si bien que Dieu aidant il s’y engouffrera bientôt. (Vie, ch. 11) Là même.
7. En peu de temps il a acquis une grande expérience des choses spirituelles, dons que Dieu donne quand il veut et comme il veut, sans avoir égard ni au temps ni aux services : je ne dis pas que cela n’y serve beaucoup, mais que souvent Notre Seigneur ne donne pas en vingt ans la contemplation qu’il donne à d’autres en une année. Sa Majesté en sait la cause. (Vie, ch. 34, parlant de son confesseur) Là même.
8. Quelqu’un pensera peut-être que pour passer à ces demeures, il soit nécessaire d’avoir séjourné longtemps aux précédentes. Et, bien que l’ordinaire soit qu’il faille avoir demeuré dans celles dont je viens de parler, ce n’est pas toutefois une règle certaine, comme vous l’avez déjà ouï dire souvent, d’autant que Notre Seigneur donne ces grâces quand il lui plaît, comme il veut et à qui il veut, comme les biens qui lui appartiennent, car il ne fait tort à personne. (Château de l’âme, IVe demeure, ch. 1) Là même.
9. J’ai vu quelques âmes, de l’une desquelles je me souviens maintenant, à laquelle Notre Seigneur donna en trois jours tant de biens, que si l’expérience de quelques années auxquelles il l’exerce, joint qu’elle s’est toujours méliorée ne me le faisait croire, je tiendrais la chose pour impossible. Une autre les a reçues en trois mois, et toutes les deux étaient fort jeunes. J’en ai vu d’autres à qui Dieu a fait cette grâce après un long temps. Et ce que j’ai dit de ces deux personnes, je le pourrais dire d’autres : chose dont j’avertis, parce que j’ai écrit ici qu’il y a peu d’âmes qui reçoivent ces faveurs sans avoir souffert des travaux plusieurs années, afin qu’on sache que néanmoins il y en a quelques-unes. On ne doit point donner de bornes ni de mesure à un si grand Seigneur et si désireux de faire des grâces. (Conception de l’amour de Dieu, ch. 6) Là même.
10. Saint Grégoire : La grâce de la contemplation n’est pas octroyée aux plus grands et refusée aux plus petits. Mais souvent les plus grands, souvent les plus petits, plus souvent les éloignés, quelquefois les conjoints la reçoivent. (Homélie 1 sur Ezéchiel) Là même.
11. Suarez : La Contemplation n’est pas tellement propre aux hommes parfaits qu’une grande partie n’en puisse être goûtée des imparfaits, voire même des commençants. Donc, parfois, est octroyée aussi aux commençants quelque participation de cette contemplation par une grâce spéciale, ordinaire néanmoins comme je pense (a) s’ils font ce qui est en eux. (De l’oraison, livre 1, ch. 11) Là même.
(a) Notez s’ils font ce qui est en eux.
12. Albarado : C’est une grande erreur de penser que la contemplation soit seulement de ceux qui sont très parfaits et avancés, et non de ceux qui commencent. (Art de bien vivre, livre I, ch. 15) Là même.
13. Nicolas de Jésus Maria conclut : De toutes lesquelles choses il est constant et manifeste que ceux-là errent beaucoup et empêchent l’avancement spirituel des âmes, lesquelles sans examen compétent et mûre considération, réprouvent la contemplation de ceux qui ne sont pas exercés longtemps dans l’étude de l’oraison, ou qui sont encore entachés de quelques imperfections en la voie spirituelle et en l’exercice des vertus, comme si cette grâce de la contemplation n’était accordée qu’aux hommes bien parfaits, ou après un temps convenables de méditations. Ces personnes, dis-je, qui jugent ainsi de cette matière, sans doute faillent et peuvent beaucoup empêcher le profit des autres. Car suivant la doctrine des saints Pères et des Docteurs mystiques, que nous avons rapportée, ce long délai et cette grande perfection ne sont pas toujours requis. Mais souvent tout cela se fait en peu de temps, suivant la doctrine de notre Docteur mystique (Jean de la Croix) et des Pères expliquée au § 1 de ce chapitre. Là même.
Il faut qu’ils (a) apprennent une vérité fondamentale, qui est que (b) le Royaume de Dieu est au-dedans d’eux, et que c’est là qu’il le faut chercher. Ch. 3, n. 1.
(a) Il est parlé de ceux qui ne savent pas lire.
(b) Luc, 17, vs. 1.
Qu’ils disent donc ainsi leur Pater en français, comprenant un peu ce qu’ils disent, et pensant que Dieu, qui est au-dedans d’eux, veut bien être leur Père. Là même, n. 2.
L’âme par le moyen du recueillement se tourne toute au-dedans d’elle pour s’occuper de Dieu qui y est présent. Si elle tourne toute sa vigueur et sa force au-dedans d’elle, elle se sépare des sens par cette seule action. Et employant toute sa force et sa vigueur au-dedans, elle laisse les sens sans vigueur. Et plus elle avance et s’approche de Dieu, plus elle se sépare d’elle-même. Ch. 10, n. 2.
Elle trouve que Dieu est plus en elle qu’elle-même. Elle n’a qu’une seule chose à faire pour le trouver, qui est de s’enfoncer en elle-même. Sitôt qu’elle ferme les yeux, elle se trouve prise et mise en oraison. Ch. 13, n. 1.
Le Royaume de Dieu est au-dedans de nous. Ce royaume s’entend en deux manières. La première est, lorsque Dieu est si fort maître de nous, que rien ne lui résiste plus. Alors notre intérieur est vraiment son royaume. L’autre manière est que possédant Dieu, qui est notre Bien Souverain, nous possédons le Royaume de Dieu, qui est le comble de la félicité, et la fin pour laquelle nous avons été créés, ainsi qu’il est dit, servir Dieu c’est régner. Ch. 20, n. 5.
Je n’ai pas gardé ma vigne, qui est mon fond, où mon Dieu habite. Ch. I, vs. 5.
Alors j’ai reconnu qu’il se reposait en moi, comme dans son lit royal, ce que j’avais ignoré auparavant. Car quoiqu’il y fût, je ne l’y apercevais pas. Là même, vs. 11.
Jésus-Christ se fait un trône dans chaque âme, qu’il orne avec beaucoup de magnificence pour en faire le lieu de son repos et de ses délices éternels, et y régner souverainement après l’avoir acquis au prix de son sang et sanctifié par ses grâces. Car de même que Dieu règne en Jésus-Christ, aussi Jésus-Christ règne dans les cœurs purs, où il ne trouve plus rien qui lui résiste, ni qui lui déplaise : ce qui est (a) nous préparer son Royaume, et nous rendre participants de sa royauté, ainsi que son Père lui avait préparé son Royaume et lui avait préparé sa Royauté. Ce trône donc du Roi des Rois est fait des arbres du Liban. C’est le fond naturel de l’homme, qui sert de base et de fondement à l’édifice spirituel. Ch. 3, vs. 9.
Luc, 22, vs. 29.
AUTORITÉS.
1. Le royaume de Dieu est au-dedans de vous, dit le Seigneur. Convertissez-vous (a) à lui de tout votre cœur, et quittez ce misérable monde. Et votre cœur trouvera le repos. Apprenez à mépriser toutes les choses extérieures et ne 76 vous appliquer qu’aux intérieures. Et vous verrez que le Royaume de Dieu viendra dans vous. Car le Royaume de Dieu est la paix et la joie qu’on goûte au Saint-Esprit et qui n’est point donnée aux impies (b).
Jésus-Christ viendra à vous, et vous fera sentir les douceurs de ses consolations, si vous lui préparez au-dedans de vous une demeure digne de lui. Toute la gloire et la beauté qu’aime cet Époux céleste sont au-dedans de l’âme ; et c’est là qu’il prend ses délices. Livre 2. Ch.1 §1.
(a) Conversion. Le premier pas, c’est se tourner au-dedans de tout notre cœur. En se tournant à Dieu, on quitte nécessairement le monde, et alors on trouve le repos et la tranquillité.
(b) les impies ne goûtent jamais cette paix si chaste et si délicieuse.
2. Suivre Dieu au-dedans de soi, et n’avoir aucune attache ni aucune affection pour tout ce qui est au-dehors est proprement l’état d’un homme intérieur et spirituel. Là même. Ch. 6, § 3.
3. Voyez donc que si Saint Augustin dit qu’il cherchait Dieu en divers lieux, et qu’il le trouva au-dedans de soi, pensez-vous que ce soit une chose peu importante pour une âme qui se répand ou se distrait facilement, d’entendre cette vérité, et de voir que pour parler à son Père éternel et pour se récréer ou se consoler avec lui, elle n’a pas besoin d’aller au ciel, ni de crier à haute voix ? Il est si près de nous que pour bas qu’on lui parle, il nous entendra. Elle n’a pas aussi besoin d’ailes pour le chercher, mais seulement de se mettre en solitude et de le regarder au-dedans de soi. Chemin de perfection, ch. 28.
4. Or reprenant le sujet que j’avais commencé, je voudrais pouvoir expliquer comme cette sainte compagnie est avec celui qui nous accompagne, qui est le Saint des Saints, sans toutefois empêcher la solitude que lui et son épouse possèdent, lorsque l’âme au-dedans de soi veut entrer en son paradis avec son Dieu, et qu’elle tire la porte après soi, la fermant à toutes les choses du monde : Je dis, lorsqu’elle veut ; parce qu’il faut savoir que cela n’est point entièrement une chose surnaturelle, mais qu’elle dépend de notre volonté et que nous la pouvons, étant aidés de la faveur divine. Là même, ch. 29.
5. Albert le Grand : Ne vous souciez pas beaucoup de la dévotion actuelle et de la douceur sensible ou des larmes ; mais seulement, par la bonne volonté dans l’entendement soyez en esprit uni avec Dieu au-dedans de vous. (De l’attachement à Dieu, ch. 10) Eclaircissement des phrases mystiques de Jean de la Croix, p. II, ch. 7, § 2.
6. Ô Dieu, dit l’âme alors à l’imitation de Saint Augustin, où vous allais-je cherchant, Beauté très-infinie, je vous cherchais dehors, et vous étiez au milieu de mon cœur. — Imaginez-vous, Théotime, la très sainte Vierge Notre-Dame, lorsqu’elle eut conçu le Fils de Dieu, son unique amour. L’âme de cette Mère bien-aimée se ramassa toute sans doute auprès de cet Enfant bien-aimé, et parce que ce divin Ami était en ses entrailles sacrées, toutes les facultés de son âme se retirèrent en elle-même. De l’Amour de Dieu, livre 6, ch. 7.
Le propre de l’union (a) essentielle est d’affermir l’âme de telle sorte qu’elle ne peut plus avoir de ces défaillances qui arrivent aux âmes commençantes, dans lesquelles la grâce étant encore faible, elles éprouvent des éclipses et font encore des chutes : mais par cette (b) union l’âme est confirmée (si l’on peut user de ce terme) dans la charité, puisqu’alors elle demeure en Dieu ; (c) et celui qui demeure en Dieu, demeure en charité, car Dieu est charité. Ch. 2, vs. 6.
(a) Je ne parle pas du baiser de la bouche : je l’ai remis à l’article du Mariage spirituel.
(b) Voyez l’article union.
(c) I Jean, 4, vs. 16.
Cette âme n’est pas si bien établie dans son état en Dieu qu’elle ne puisse encore jeter quelques regards sur elle-même : c’est une infidélité, mais qui est rare, et qui ne vient que de faiblesse. L’Époux a permis que son Épouse ait cette légère faute (d), afin de nous instruire par là du dommage que cause la propre réflexion dans les états les plus avancés : elle est donc rentrée pour un moment en elle-même, sous les meilleurs prétextes du monde : c’était pour y voir les fruits de l’anéantissement, si la vigne fleurissait, si elle avançait, si la charité était féconde : cela ne paraissait-il pas très juste et très raisonnable ? Ch. 6, vs. 10.
(d) Notez que si l’Epoux ne peut souffrir la moindre imperfection, comment cet état pourrait-il compatir avec le péché mortel ?
Que si par une infidélité autant difficile que funeste cette Épouse venait (a) à se retirer de sa dépendance, elle serait dès ce moment rejetée de lui, comme dans un enfer, par l’excès de son indignation. Ch. 8, vs. 6.
(a) On remarquera qu’on peut donc déchoir, quoique cela soit très difficile, à cause de l’habitude que l’âme a prise d’être non seulement convertie, mais unie, mais transformée en son divin objet, source de pureté et d’innocence.
1. Les peuples par leur propre mouvement et par mauvaise inclination déchurent de la droite élévation qui les portait et les conduisait à Dieu : ce qui leur arriva (a) par un trop grand amour et complaisance qu’ils eurent eux-mêmes par une estime excessive de leur propre suffisance. Hiérarchie céleste, ch. 9
(a) Cause de chute, amour propre, complaisance, estime de sa suffisance.
2. Ceux qui sont en cet état, soit commençants, 80 soit profitants, voire même parfaits, ne sont pas impeccables. Au contraire, je dis que l’Époux prend un extrême plaisir d’exercer différemment les âmes ses Épouses par des chutes (non pas grèves, mais de toute commune infirmité) de peur de les voir s’élever et s’enfler en superbe et d’amour propre, de ce qu’elles ont reçu de lui, et de ce qu’elles sont en lui. Il aime mieux leur chute, non comme chutes, mais à raison de ce qu’elles produisent, qui est la profonde humilité, l’abnégation, la rectitude, la fiabilité en l’union simple et amoureuse avec lui : et il faut bien croire qu’il ne permettrait jamais qu’elles tombassent, si ce n’était pour ce sujet. Car sa Majesté qui ne désire en cela même que sa gloire veut être pleinement satisfaite en toutes ces rencontres par la renonciation et l’abnégation de ces Épouses — qui se relèvent de ces chutes avec le même amour que si elles n’étaient point tombées. — Encore qu’il nous arrivât de tomber plusieurs fois le jour, il faut toujours vous délaisser avec la même confiance en ce divin Époux.
Cette pratique est si importante, et la renonciation qu’il faut pratiquer ici est profonde et subtile, car cette renonciation doit être telle qu’elle agisse et produise toujours son effet aux occasions, dans la plus pure, abstraite et séparée partie de l’âme, qui est le pur esprit : et cette renonciation pure, simple et subtile consiste à être entièrement perdu à soi-même en un non-pouvoir, en un non-vouloir, au non-vivre, au non-mourir, sans qu’il soit permis de se rechercher de si loin que ce soit. Cela est bientôt dit ; mais la pratique de ce point semble inaccessible. Se pourrait-il bien trouver des âmes assez fidèles à leur Époux, que de demeurer quant à elles, pour jamais inconnues aux hommes, quand il est question de leur justification et de leurs souffrances dans les occasions qui touchent leur bien-être ordinaire ? Esprit du Carmel, ch. 18, n. 3.
3. C’est en ce sens que les chutes humaines sont plus utiles et plus fructueuses aux enfants de l’esprit, non comme telles, mais comme excellemment et totalement éteintes par un vigoureux exercice d’amour : de sorte qu’ils ne perdent rien de leur précédent lustre. Au contraire ils l’augmentent de plus en plus au très grand plaisir de Dieu, par leur fidélité active qui fait qu’ils aiment mieux mille fois mourir que de croupir en terre, c’est-à-dire, dans le sens et les créatures, si excellentes qu’elles soient. Mais fluants et coulants activement et ardemment de tout soi en lui par appétit amoureux, ils s’y perdent irrécupérablement en l’abondance de la joie ineffable de Dieu dans lequel ils sont totalement engloutis. Miroirs et flammes de l’Amour, ch. 3.
Il y a deux sortes de communications ; l’une est celle de Dieu à l’âme, dont il est bien plus parlé dans les autres Écrits que dans ceux-ci. L’autre est la communication des esprits purs et simples entre eux, dont j’ai aussi beaucoup écrit ailleurs.
L’Âme trouve que Dieu est plus en elle qu’elle-même. Il se fait au-dedans d’elle une conversation que l’extérieur n’interrompt point. Ch. 13, n. 1.
L’Union essentielle et le baiser de la bouche est le mariage spirituel, où il y a union d’essence à essence et communication des substances (a) : où Dieu prend l’âme pour son Epouse et se l’unit ; non plus personnellement ni par quelque acte ou moyen, mais immédiatement, réduisant tout en unité et la possédant dans son unité même. Alors c’est le baiser de la bouche et la possession réelle et parfaite. C’est une jouissance, qui n’est point stérile ni infructueuse, puisqu’elle ne s’étend à rien moins qu’à la communication du Verbe de Dieu à l’âme. Ch. 1, vs. 1.
(a) Notez que l’union essentielle est nécessairement accompagnée d’une communication substantielle.
La fécondité lui est donnée : elle est mise par état dans la vie apostolique. Dès lors les lèvres de cette personne sont comme un rayon de miel qui distille continuellement en faveur des âmes. Ce ne sont que ses lèvres, et non pas ses paroles, parce que c’est l’Époux qui parle par son Epouse, et les lèvres de son Epouse (a) lui servent d’organe pour exprimer sa parole divine. Ch. 4, vs. 11.
(a) Sous le nom d’Epouse sont comprises toutes les âmes [de cet état] sans différence de sexe.
Ô Sulamite, temple de la paix, revenez pour nous enseigner, et par vos paroles, et par vos exemples, le chemin qu’il faut suivre pour parvenir au bonheur que vous possédez : revenez, afin d’être notre guide, notre soutien et notre consolation : enfin revenez pour nous emmener avec vous. Ch. 6, vs. 12.
Si cette mère si riche et si sage daigne m’accepter pour sa fille, je ressentirais (a) les 84 effets de l’onction de l’Époux qui est en elle. Le fruit de sa parole me sera comme une grappe de raisin d’une douceur exquise, et la pureté de ses maximes m’embaumera de son odeur. Ch.7 vs.8.
(a) Ces effets se ressentent à cause que Dieu habite dans cette âme. Comme on voit un fer touché de l’aimant attirer d’autres fers, aussi une âme en qui Dieu habite de la sorte, attire les autres âmes par une vertu secrète ; de sorte qu’il suffit de l’approcher pour être mis en oraison et en recueillement. C’est ce qui fait que sitôt qu’on s’approche d’elle, on a plus envie 84 de se taire que de parler, et Dieu se sert de ce moyen pour se communiquer aux âmes : marque de la pureté de ces unions et affections.
Ô Epouse incomparable, le dirai-je ? Que vous avez part au commerce de la très Sainte Trinité puisque vous recevez sans cesse, et que vous rendez perpétuellement ce que vous recevez. Ch. 8, vs. 2.
Elle regorge toute de délices, parce qu’elle en est comblée et si pleine que comme un bassin trop rempli des eaux de sa source, elle surabonde tous côtés pour en faire part aux autres. Ch. 8, vs. 5.
Il l’invite aussi à parler aux âmes des choses intérieures et leur apprendre ce qu’elles doivent faire pour lui être agréables. C’est une des principales fonctions de l’Épouse que d’instruire et d’enseigner l’intérieur aux amis de l’Époux, qui n’ont pas autant d’accès auprès de lui que sa Sulamite. Ch. 11, vs. 13.
Quoiqu’en cet état elle soit plus propre que jamais pour aider aux âmes, et qu’elle serve avec un extrême soin celles que son Époux lui adresse, elle est cependant incapable de désirer aider aux autres, et ne le peut même faire que par un ordre particulier de la providence. Là même, vs. 14.
1. Gardez ce secret pour nous, c’est-à-dire, n’en dites rien, comme vous aviez coutume auparavant quand les communications que vous faisiez en moi étaient de cette sorte que vous les disiez aux sens extérieurs, étant des choses dont ils étaient capables. Parce qu’elles n’étaient pas si hautes et si profondes qu’ils n’y pussent bien atteindre. Mais à présent je désire qu’elles soient si sublimes, si substantielles et si intimes, que je vous prie de ne leur en rien dire, et qu’ils n’en soient capables, parce que la substance ne se peut communiquer aux sens, et ainsi ce qui peut tomber dans les sens n’est pas essentiellement Dieu. L’âme donc ici désirant cette communication de Dieu essentielle qui ne tombe point dans ses sens, lui demande que ce soit de la sorte qu’elle ne leur en dise rien, c’est-à-dire, qu’il ne se communique en une façon si basse et si extérieure que les sens y puissent atteindre. Cantique en l’Epoux, Couplet 33.
2. Cette habilité que l’âme demande pour aimer parfaitement s’appelle ici souffle du vent, parce que c’est un très délicat attouchement et sentiment que l’âme sent en ce temps en la communication du Saint-Esprit, lequel par une manière d’aspirer éminemment, et par cette sienne aspiration, élève hautement l’âme et l’informe, afin 86 qu’elle aspire à Dieu une très haute aspiration d’amour semblable à celle que le Père aspire au Fils et le Fils au Père, qui est le Saint-Esprit, lequel lui est donné en ladite transformation ; d’autant que ce ne serait pas une véritable transformation, si l’âme ne s’unissait et se transformait aussi au Saint-Esprit, bien que non pas en un degré manifeste et relevé à cause de la bassesse et vileté de cette vie ; ce qui est à l’âme une si grande gloire et délectation qu’il n’y a point de langue mortelle qui le puisse déclarer, ni d’entendement humain qui le puisse comprendre : mais l’âme unie et transformée en Dieu, aspire à Dieu en Dieu une très haute aspiration semblable à la divine, que Dieu étant en elle aspire en soi-même comme son exemplaire. Ce que Saint Paul, selon ce que je comprends, a voulu signifier lorsqu’il a dit : (a) Or d’autant que vous êtes enfants de Dieu, Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils en vos cœurs criant Abba Pater. Ce qui arrive aux personnes parfaites des manières susdites. Et il n’y a de quoi s’émerveiller que l’âme puisse une chose si haute : Car supposé que Dieu lui fasse cette grâce que d’arriver à être déiforme et unie en la très sainte Trinité, pourquoi est-il incroyable qu’elle opère son œuvre d’entendement et de notice et d’amour en la Trinité conjointement avec la même Trinité, et cela avec une grande ressemblance à icelle, toutefois par une manière participée, Dieu opérant cela en elle ? Or comme cela se fait, il n’y a point de pouvoir, ni de sagesse qui se puisse déclarer, si ce n’est en montrant comme le fils de Dieu nous a obtenu et mérité ce haut état et ce lieu sublime, quand il a dit à son Père en Saint Jean : (b) Mon Père, ceux 87 que vous m’avez donné, je veux qu’où je sois ils soient avec moi, c’est à savoir, faisant la même œuvre que moi par participation. Et en outre il dit : Or je ne prie pas seulement pour eux, parlant de ceux qui étaient alors présent, mais aussi pour ceux qui doivent croire en moi par leur parole : qu’ils soient tous une chose, de la façon que vous, mon Père, êtes en moi et moi en vous, qu’ils soient aussi une chose en nous, afin que le monde croit que vous m’avez envoyé. Et moi je leur ai donné la clarté que vous m’avez donnée, afin qu’il soit une chose comme nous la sommes, moi en eux et vous en moi, afin qu’il soit parfait en un, et que le monde connaisse que vous m’avez envoyé, et que vous les avez aimés comme vous m’avez aimé. Ce qui est en leur communiquant le même amour qu’il communique au Fils, encore que ce ne soit pas naturellement comme à son Fils, mais comme nous avons dit, par unité et transformation d’amour : comme aussi il ne s’entend pas ici, que le Fils dise à son Père que les Saints soient une chose essentiellement et naturellement comme le Père et le Fils le sont. Mais il veut seulement qu’ils le soient par union d’amour, comme le Père et le Fils sont en unité d’amour. D’où vient que les âmes possèdent les mêmes biens par participation que lui par nature. C’est pourquoi elles sont véritablement Dieu par participation. Là même, couplet 39.
3. Voyez Union, n. 57.
4. Ces cavernes des puissances étant déjà d’une façon admirable mises et placées dans ces merveilleuses splendeurs de ces lampes qui brûlent en elles, étant déjà éclairées et allumées en Dieu, outre ce qu’elles se donnent et livrent à lui, elles envoient à Dieu en Dieu ces mêmes splendeurs 88 qu’elles ont reçues avec une amoureuse gloire, icelles inclinées à Dieu, devenues aussi des lampes ardentes dans les splendeurs des lampes divines, renvoyant (a) à leur ami la même lumière et chaleur d’amour qu’elles reçoivent. Parce qu’elles le donnent ici de la même manière qu’elles le reçoivent à celui qui le donne et avec les mêmes excellences qu’il leur est donné, comme le fer étant transpercé des rayons du soleil ; bien qu’ici ce soit d’une manière plus relevée à raison de l’exercice de la volonté qui y intervient avec des excellences étranges, c’est à savoir étrangées et éloignées de toute pensée commune et de tout ce qui s’en peut dire. Car * conformément à l’excellence avec laquelle l’entendement a reçu la sagesse divine, est l’excellence et la perfection avec laquelle l’âme la donne ; et selon l’excellence avec laquelle la volonté est unie avec la volonté divine, est aussi l’excellence avec laquelle elle donne à Dieu en Dieu la même bonté. Car elle la reçoit (b) pour la donner. Et de la même manière selon la perfection avec que laquelle elle connaît en la grandeur de Dieu, étant unie en elle, elle luit et donne chaleur d’amour. Et selon les excellences des autres attributs divins qu’il communique là à l’âme, à savoir de force, de beauté, de justice, etc. sont aussi les excellences avec lesquels le sens spirituel 89 s’éjouissant donne à son Bien-aimé en son Bien-aimé cette même lumière qu’il reçoit de lui : parce qu’étant ici faite une même chose avec lui, elle est Dieu par participation. Et quoique ce ne soit si parfaitement qu’en l’autre vie, c’est néanmoins, ainsi que nous l’avons dit, comme en ombre de Dieu. Et ** en cette manière étant par le moyen de cette transformation ombre de Dieu, elle fait en Dieu, par Dieu, ce qu’il fait en elle par soi-même : d’autant que la volonté des deux est une : et ainsi comme Dieu se donne à elle avec une libre et gracieuse volonté, de même elle ayant aussi la volonté d’autant plus libre et généreuse qu’elle est plus unie avec Dieu en Dieu, elle est comme donnant à Dieu le même Dieu, par une amoureuse complaisance qu’elle a de l’Être et des perfections divines. Là même. Cantique 3, vs. 5 et 6.
(a) Renvoie des communications de Dieu en lui-même, d’une manière aussi pure qu’elles sont reçues.
(b) cet endroit est tout divin. Ceci se rapporte à l’explication que j’ai donnée sur un passage du neuvième chapitre de l’Évangile de Saint-Marc (vs. 48, 49), où je fais voir comment l’âme ne reçoit que pour donner.
*Transformation, n. 25.
**Volonté de Dieu, n. 28.
5. Expliquant ces paroles de Jean de la Croix : il y a entre Dieu et l’âme des communications divines, intimes et secrètes, lesquels passent dans la substance de l’âme, et sont comme des attouchements substantiels de l’union divine (Montée du mont Carmel, liv. II, ch. 26, etc.), dit : « Quand Dieu sanctifie l’âme, outre les vertus et dons créés, qu’il met aux puissances, et outre la grâce habituelle qui s’établit en l’essence de l’âme, la même personne du Saint-Esprit se communique aussi, conformément à la doctrine commune des théologiens, qui est de Saint Thomas en la première partie, question 43, particulièrement en l’article 3, qu’il conclut ainsi : « Mais pourtant en ce même don de grâce sanctifiante on a le Saint-Esprit et il demeure en l’homme, d’où vient que le même Saint-Esprit est donné et envoyé ». -- Il ne se contente pas de dire que 90 le Saint-Esprit est envoyé, mais il dit le même Saint-Esprit, d’autant que la vraie amitié ne demande pas seulement l’union par affection, mais par un intime et réelle présence le plus qu’il sera possible. Notes et remarques sur Jean Delacroix, Disc. I, Phrase 4, § 1.
1. Car il faut recevoir soi-même avant que de communiquer aux autres. Et pourtant la réception des divins mystères doit précéder la distribution qui s’en fait. Car c’est un bel ordre universellement établi en toutes les choses divines, qui veut que le sacré Pontife soit le premier qui participe, et qui soient remplies des dons que Dieu par son entremise doit bailler et communiquer aux autres : ce qu’étant à la bonheur,, qu’il en fasse part aux autres ; mais non pas auparavant.
C’est pourquoi ceux qui audacieusement abusent des doctrines et des sciences divines, avant que d’en avoir acquis l’habitude, et d’y avoir formé leur vie, sont estimés profanes et entièrement aliénés de notre saint institut : d’autant que c’est la même chose qu’aux rayons du soleil, ou après que les plus subtiles et plus transparentes matières sont remplies les premières de la lumière qui leur est infuse, elles-mêmes ensuite, comme le soleil même, répandent la lumière dont elles regorgent, sur les autres corps qui sont au-dessous d’elles. Aussi ne faut-il pas que celui-là s’enhardisse de servir de conducteur et de guide aux autres en quelque divin mystère que ce soit, 91 qui en tout l’état de sa vie n’est pas très conforme très semblable à Dieu, et qui par une divine inspiration et élection n’est pas déclaré ni désigné maître et directeur des autres. De la Hiérarchie Ecclésiastique, ch.3.
2. Leur amour et leur grâce est si immense qu’elle rejaillit d’eux sur les autres, quoiqu’ils ne le sachent pas et qu’ils ne cherchent pas même à le savoir. Ils sont en petit nombre ; mais Dieu permet que l’Église soit établie sur eux comme sur autant de colonnes. Et sans eux le Diable ferait d’étranges ravages sur la terre. -- Ils ne connaissent pas avec certitude qu’ils sont arrivés proches de leur origine. Mais il se répand quelquefois de leur origine un petit éclat sur eux, qui leur fait voir aisément que leur lumière est extraordinaire.
Ils se sont abandonnés à Dieu si purement, si nuement et si simplement dans la foi Catholique, que les douceurs qu’ils reçoivent de Dieu, leur cause plus de peine que de joie. Ils ne désirent autre chose que de suivre en simplicité l’exemple de Jésus-Christ. Ils ne veulent, n’aiment, n’attendent aucune consolation. -- Ils sont si humbles qu’ils se croient indignes des dons et des douceurs ou consolations de Dieu, et qu’ils n’osent pas seulement les souhaiter. -- Tout ce qui arrive soit à eux soit aux autres leur est toujours agréable. Si Dieu leur donne, ils sont contents ; s’il leur ôte, ils le sont aussi. Et ils ne s’attribuent rien de ce qui leur est donné. -- Ils ne regardent leur intérêt ni pour le temps ni pour l’éternité. Ils se sont perdus et vivent dans une ignorance éclairée sans vouloir rien savoir. -- ils souffrent des épreuves de la part des démons qui sont 92 au-dessus de toute pensée humaine. -- Toutes les créatures les tourmentent ; et ils sont toujours prêts à souffrir et à marcher dans cette voie jusqu’au dernier soupir. Ils sont inconnus au monde ; mais ils connaissent parfaitement le monde. Ce sont les vrais adorateurs qui adorent le Père en esprit et en vérité. Des neuf roches, ch. 31.
3. Cette sainte âme abîmée dans la mer pacifique de Dieu son Amour, eût désiré (a), si elle eût pu avoir quelque désir, d’exprimer à ces Enfants spirituels les sentiments qu’elle avait de son doux Amour, en qui elle était submergée. Elle leur disait : Ô si je pouvais dire ce que sent ce cœur, que je me sens intérieurement brûler ! Et ils lui disaient : Ah notre mère, dites-nous-en quelque chose. Je ne puis (répondit-elle) trouver de mots propres à un si grand amour. Et tout ce que j’en dirais serait si dissemblable, que l’on ferait injure à ce doux Amour. Ce que je vous en puis dire, c’est que si ce qu’éprouve ce cœur il en tombait une seule goutte en Enfer, il serait changé en Paradis. Et là il y aurait un si grand amour et une si grande union que les diables en deviendraient des Anges, et les peines se changeraient en consolations, parce qu’aucune peine ne peut demeurer avec l’amour de Dieu.
(a) notez : si elle eût pu avoir quelques désirs.
Un religieux se trouvant là présent, lui dit : « ma mère je n’entends pas cela, et volontiers, s’il était possible, je l’entendrai mieux ». Elle lui répondit : « Mon fils il m’est tout à fait impossible de vous en dire autre chose ». Il lui répondit : « Ma mère, si nous lui donnions quelques interprétations qui correspondissent à ce que vous en pensez, le direz-vous ? » Elle répondit : « Ô mon fils, très 93 volontiers ». Alors il lui dit : * « Je crois que l’effet de l’amour que vous sentez, est une profonde et unitive chaleur qui unit l’âme avec Dieu son amour, et qui l’unit tellement à lui par la participation de sa bonté qu’elle ne se discerne point d’avec Dieu. Cette union est si admirable qu’il n’y a point de termes propres pour l’exprimer ; et on n’en peut sentir, ni goûter, ni désirer autre chose sinon l’amour unitif. -- Or l’Enfer, les diables et les damnés sont tout le contraire, à savoir par leur rébellion avec Dieu : s’il était donc possible qu’ils reçussent une seule goutte d’une telle union, elle les priverait de toute la rébellion qu’ils ont contre Dieu, et les unirait de telle sorte avec son amour qu’ils seraient dans la vie éternelle ; parce que leur rébellion leur est un enfer, qui se trouve dans tous les lieux où est cette rébellion. S’il y avait une seule goutte d’union il n’y aurait plus d’enfer, mais une vie éternelle, qui se trouve partout où est l’union ». La mère entendant cela dit : « Mon cher fils, c’est proprement comme vous avez dit ». -- Alors le religieux lui dit : « Ah ma mère, ne pouvez-vous pas demander à Dieu votre Amour quelques-unes de ses gouttes pour vos enfants ? » Elle répondit avec une grande joie : « Je vois ce doux Amour si courtois, que je ne puis lui rien demander (b) pour eux : mais seulement je les lui présente. Vie, ch. 36.
(a) L’âme dans l’union essentielle ne se distingue plus d’avec Dieu.
(b) Difficulté de ne demander rien de positif. Simple exposition.
* Union, n. 34.
4. Quel empire à une dame que notre Seigneur a conduit jusques ici ? Elle regarde toutes choses 94 sans y être comprise et enveloppée. Ô quel est honteuse du temps qu’elle s’y est arrêtée ! Et quel est étonnée de son aveuglement ! Mais quelle compassion n’a-t-elle point de ceux qui y sont encore plongés, particulièrement si ce sont des personnes d’oraison et auxquelles le Dieu fait des grâces ! Elle voudrait crier hautement pour leur faire entendre qu’ils sont séduits par des traîtres appas et de fausses délices, et même quelquefois elle le fait. Ensuite de quoi mille persécutions viennent fondre sur sa tête : on dit qu’elle est peu humble, et qu’elle veut faire des leçons à ceux de qui elle devrait apprendre, spécialement si c’est une femme. C’est ici qu’on la condamne, et avec raison, parce qu’on ne sait pas l’impétuosité qui la meut : car elle est telle qu’elle ne se peut contenir et ne peut s’empêcher de tirer d’erreur ceux à qui elle veut du bien, et qu’elle désire de voir affranchir de la prison de cette vie, qui n’est pas moindre, et ne lui semble pas moins dure que celle où elle s’est vue captive. Vie, ch. 20.
5. Ô Mon Seigneur, si vous m’eussiez mise dans un état où j’eusse pu publier ceci à haute voix ! Je sais qu’on ne m’aurait pas cru, comme ils n’ajoutent pas foi à plusieurs qui le savent dire d’une autre sorte que moi. Vie, ch. 21.
6. Ces fleurs sont autres, et exhalent une autre odeur que celles que nous flairons ici-bas. Or j’entends ici que l’épouse par ces paroles demande de faire de grandes œuvres pour le service de Dieu et le bien du prochain. Et ainsi elle se réjouit de perdre ce comportement et cette jouissance, car ses fleurs appartiennent davantage à la vie active qu’à la contemplative, et partant elle semble perdre en cela. Mais sa requête lui est accordée : d’autant que l’âme étant en cet état, elle 95 ne cesse jamais d’opérer, et Marie et Marthe vont alors toujours de compagnie : car dans l’actif (qui semble être l’extérieur) l’intérieur y opère ; et quand les œuvres actives partent de cette racine, ce sont des fleurs admirables et odoriférantes ; par ce qu’elles procèdent de cet arbre d’amour de Dieu, et qu’elles se font pour lui seul sans la vue d’aucun propre intérêt, et le parfum de ces fleurs se répand fort loin pour profiter à plusieurs. Conception de l’amour de Dieu, ch.7.
7. Car véritablement je crois que les âmes que notre Seigneur conduit ici (à ce que j’ai pu entendre) ne se souviennent non plus d’elles-mêmes que si elle n’étaient pas, quant à ce qui est de jeter la vue sur le gain ou la perte : elles pensent seulement à servir et à contenter notre Seigneur ; et sachant l’amour que Dieu a pour ses serviteurs et ses enfants, elles ont du contentement d’être privées des faveurs et des caresses divines pour servir le prochain, pour lui dire des vérités salutaires, et faire que son âme s’avance par la meilleure voie qui lui est possible. Et comme je dis, elle ne pense point si elles y feront de la perte. L’avancement du prochain est présent à leurs yeux et rien d’autre. Tellement que pour contenter Dieu davantage, elles s’oublient elles-mêmes pour le bien de leurs frères et perdent volontiers la vie dans la poursuite : bref étant enivrées de ce vin céleste, et leurs paroles enveloppées dans ce sublime amour de Dieu, elle ne se soucie pas de soi ; et si elles s’en souviennent, elles ne se soucient pas de contenter les hommes. Ces personnes profitent grandement. Là même.
8. Il fait bon converser avec ces sortes d’esprit, spécialement quand ils sont extraordinairement 96 touchés, - tirés et étendus par les lumineuses et divines influences, qui pour lors regorgent d’eux sans quasi qu’ils s’en aperçoivent, à cause de la grande facilité et simplification dont il coule à guise de flot, par leurs paroles très simples, très lumineuses et illuminantes, lesquelles vont simplifiant ceux qui ont le bonheur de participer à ces divins torrents de délices. --
Mais ceux qui sont consommés dans lesquelles toutes les plus hautes, plus profondes et plus simples lumières et manifestations sont tombées en un, par divers succès des illuminations, et en qui ces illuminations ont enfin dissipé et éclairci le brouillard, à l’obscurité duquel a succédé la très claire, très simple et très consommante lumière, ceux-là sont pour toujours amplement et profondément capables de tout voir, tout atteindre, tout juger, et d’illuminer autrui par l’exubérance de leur très simple et très efficace lumière ; laquelle, par sa simple fécondité simplifie et dilate efficacement les fonds qui en sont touchés. Aussi leur est-elle versée par intuition pour ce même effet. Cabinet mystique, Partie I, ch.9.
9. Voyez Fécondité spirituelle, n. 3.
10. On ne doit nullement douter que les âmes toutes consommées en Dieu même, dont nous avons ici et ailleurs exprimé le très divin état, tant en leur jouissance qu’en leur saillie, ne soient toujours également et parfaitement supérieures à tous les sentiments et appréhensions de leurs morts, signamment entre leurs égaux. Il ne peut être autrement, et ces âmes préviennent toujours également par leur souveraine lumière toutes les sorties et expressions qu’elles font de cela en cela même. Là-même, P. II, ch.6, n. 15.
11. Voyez Perte, n. 47.
12. Votre Révérence sait assez comme les cœurs se parlent mutuellement, et comme quoi tant plus ils sont éloignés dans plus ils s’unissent et parlent ensemble. Ce qui est d’autant plus vrai entre nous, que notre affection est simple et unique en Dieu dans lequel nous vivons. Nous conversons ainsi mutuellement en simplicité d’esprit, par-dessus tout ce qui se peut dire des présents et divers événements ; d’autant que ce que nous transférons l’un à l’autre est vie en la même vie de Dieu, l’amour duquel nous ravit sans cesse à l’aimer et à nous perdre en lui jusqu’au dernier point possible. Encore que nous apercevions du désordre dans ce siècle, c’est néanmoins à quoi nous ne pensons point, laissant les événements tels qu’ils puissent être à la providence divine. Lettre 8.
L’examen de toujours précéder la confession. Mais l’examen doit être conforme à l’état des âmes. Celles qui sont ici doivent s’exposer devant Dieu qui ne manquera pas de les éclairer et leur faire connaître la nature de leur faute.
Il faut que cet examen se fasse avec paix et tranquillité, attendant plus de Dieu que 98 de notre propre recherche, la connaissance de nos péchés.
Lorsque nous examinons avec effort, nous nous méprenons aisément. Nous (a) croyions le bien mal et le mal bien, et l’amour-propre nous trompe facilement. Mais lorsque nous demeurons exposés aux yeux de Dieu, ce divin soleil fait voir jusqu’aux moindres atomes. Il faut donc se laisser et s’abandonner beaucoup à Dieu tant pour l’examen que pour la confession.
(a) Isaïe, 5, vs. 20.
Sitôt qu’on est dans cette manière d’oraison, Dieu ne manque pas de reprendre l’âme de toutes les fautes qu’elle fait. Elle n’a pas plutôt commis un défaut qu’elle sent un brûlement qui le lui reproche. C’est alors un examen que Dieu fait, qui ne laisse rien échapper. Et l’âme n’a qu’à se tourner simplement vers Dieu, souffrant la peine et la correction qu’il lui fait.
Comme cet examen de la part de Dieu est continuel, l’âme ne peut plus s’examiner elle-même. Et si elle est fidèle à s’abandonner à Dieu, elle sera bien mieux examinée par sa lumière divine, qu’elle ne le pourrait faire par tous ses soins ; et l’expérience le lui fera bien connaître.
Pour la confession, il est nécessaire d’être 99 avertis d’une chose, qui est, que les âmes qui marchent par cette voie seront souvent étonnées que lorsqu’elles s’approchent du confessionnal, et qu’elle commence à dire leurs péchés, au lieu du regret et d’un acte de contrition qu’elles avaient accoutumée de faire, un amour doux et tranquille s’empare de leur cœur.
Ceux qui ne sont pas bien instruits veulent se tirer de là (a) pour former un acte de contrition, parce qu’ils ont ouï dire que cela est nécessaire, et il est vrai. Mais ils ne voient pas qu’ils perdent la véritable contrition, qui est cet amour infus, infiniment plus grand que ce qu’il pourrait faire par eux-mêmes. Ils ont un acte éminent qui comprend les autres avec plus de perfection : quoiqu’ils n’aient pas ceux-ci, comme distincts et multipliés.
(a) ceci est expliqué ci-dessus ; voyez Actes.
(b) Si, comme il a été vu lorsqu’on a traité des Actes (n.5) les actions qui viennent de Dieu, et dont il est le principal agent ; sont des actions divines ; lorsqu’elles nous impriment la haine du péché, cette haine a les qualités de la sienne, avec les justes proportions.
Qu’ils ne se mettent pas en peine de faire autre chose lorsque Dieu agit plus excellemment en eux et avec eux. C’est haïr le péché (b) comme Dieu le hait, que de haïr de 100 cette sorte. C’est l’amour le plus pur, que celui que Dieu opère en l’âme. Qu’elle ne s’empresse donc pas d’agir, mais qu’elle demeure telle qu’elle est, suivant le conseil du sage : (a) mettez votre confiance en Dieu, demeurez en repos dans la place où il vous a mis.
Elle s’étonnera aussi qu’elle oubliera ses défauts, et qu’elle aura peine à s’en souvenir. Cependant il ne faut point qu’elle s’en fasse (b) aucune peine pour deux raisons. La première, parce que cet oubli est une marque de la purification de la faute, et que c’est le meilleur en ce degré d’oublier tout ce qui nous concerne pour ne nous souvenir que de Dieu. La seconde raison est, que Dieu ne manque point, lorsqu’il faut se confesser, de faire voir à l’âme ses plus grandes fautes : car alors il fait lui-même son examen, et elle verra qu’elle en viendra mieux à bout de cette sorte, que par tous ses propres efforts.
Eccli II, vs. 22.
On a vu dans l’article des Chutes comment les fautes de ces âmes sont très légères ; et c’est sur ce pied que ceci se doit prendre.
Ceci ne peut être pour les degrés précédents, ou l’âme étant encore dans l’action, se peut et doit servir de son industrie pour 101 toutes choses, plus ou moins, selon son avancement.
Pour les âmes de ce degré, qu’elles s’en tiennent à ce qu’on leur dit, et qu’elles (a) ne changent point leur simple occupation.
Il en est de même pour la communion : qu’elles laissent agir Dieu, et qu’elles demeurent en silence : Dieu ne peut être mieux reçu que par un Dieu. Ch. 15.
(a) Notez : ceci suppose Dieu agissant en l’âme, ainsi qu’il a été marqué dans l’article des Actes.
1. Le lendemain de la fête de saint Benoît étant allé à l’instance de sa sœur qui était religieuse, pour se confesser au confesseur de leur communauté qui était un fort bon religieux, sitôt qu’elle fut agenouillée devant lui elle reçut au cœur une si grande plaie d’amour de Dieu avec une si claire revue de ses misères et de la bonté de Dieu qu’elle faillit en tomber par terre, et par le sentiment d’un très grand amour et par la connaissance des offenses qu’elle avait commises contre un Dieu si bon, elle en fut purgée en son affection, et tirée hors de toute pensée du monde. De sorte qu’elle criait intérieurement avec un amour très ardent : « Non, plus de ce monde, non, plus de péché. » Et si au même instant il y eût eu mille mondes, elle les eût abandonnés. -- Étant ainsi au pied de son confesseur, -- et ne pouvant parler ni même ouvrir la bouche pour la douceur 102 intérieure et l’amour extrême qu’elle ressentait, elle lui dit : « Mon Père je laisserais volontiers cette confession pour une autre fois si vous l’aviez agréable. » --
Après cela elle fit sa confession avec tant de contritions, que son âme en était toute outrée. Et bien que Dieu à l’instant qu’il lui fit cette douce et amoureuse plaie lui eût remis tous ses péchés, les consumant au feu de son incroyable amour, toutefois voulant satisfaire à sa justice il la fit passer par la voie de satisfaction et de contrition environ un espace de quatorze mois. Après quoi cette vue lui fut ôtée, de sorte qu’elle ne vit plus jamais la moindre étincelle de ses péchés comme s’ils eussent tous étés jetés au fond de la mer. En sa Vie, ch. 2.
2. Je voyais alors les autres pleurer leurs malheurs et mauvaises inclinations, et qu’ils faisaient plusieurs efforts pour leur résister : mais plus ils combattaient pour donner en aide à leurs défauts, plus ils en commettaient. Et quand quelqu’un me disait toutes ces peines, je lui répondais : vous avez des malheurs, et les pleurez ; je les ai aussi, et ne les pleure pas. Vous faites le mal et le pleurez. Je le ferais comme vous si Dieu tout-puissant ne me retenait. Vous ne pouvez vous en défendre et je ne puis aussi. Il est donc nécessaire que nous nous délaissions nous-mêmes, et que nous remettions le soin de nos affaires à celui seul qui peut nous défendre du mal. Et il fera ce que nous-mêmes nous ne pouvons faire. En cette manière on peut avoir repos avec cette partie maligne, qui de sa nature nous tourmente toujours de toutes parts ; mais quand elle est ainsi emprisonnée, liée et retenue de Dieu, elle se soumet au joug et ne parle plus. Vie, ch. 16.
3. Elle n’avait en son âme aucun remords pour se confesser : et se voulant confesser comme de coutume, elle ne trouvait en elle aucune faute, dont elle était si confuse d’étonnement qu’elle ne savait que dire. Elle s’efforçait à dire sa coulpe en général, croyant qu’elle la dissimulait : et encore qu’elle fût en cette aliénation, elle se trouvait occupée dans une très grande paix, dont elle ne pouvait être divertie. Vie, ch. 33.
4. Je voyais que cet amour avait l’œil si ouvert et si pur, et la vue si subtile, qu’il voyait de si loin que j’en demeurais étonnée pour les grandes imperfections qu’il trouvait, et qu’il me montrait être en moi si clairement qu’il me les fallait avouer. Il me faisait voir beaucoup de choses qui à moi et à beaucoup d’autres eussent semblé justes et parfaites, et qu’il trouvait toutefois injustes et imparfaites. Et même il trouvait en toutes choses du défaut. Si je parlais des choses spirituelles, desquelles, à cause du grand feu qui me brûlait, j’étais souvent assiégée, et que je comprenais, parce que l’œil de l’amour me les montrait et faisait connaître, aussitôt l’amour me reprenait disant que je ne devais pas parler. Vie, ch. 41.
5. Je ne savais que faire ou que dire aux vues si subtiles de cet amour, qui m’assiégeait si fort. -- Quand cette partie propre se vit surprise en ses malices et propriétés et qu’elle ne pouvait plus nier ces imperfections que l’amour avait découvertes, elle se tourna vers lui et lui dit : puisque vous avez l’œil si subtil et la puissance si grande, je me rends à vous. Eh bien que ma partie sensuelle en soit très affligée, faite de tout selon votre bon plaisir et volonté, qui est de m’ôter cette méchante robe d’amour-propre, et de me revêtir d’amour pur, net, droit, grand, ardent et enflammé. Là même.
6. La première fois qu’elle se voulut confesser à lui, elle lui dit : mon Père, je ne sais où je suis, ni quant à l’âme ni quant au corps : je me voudrais bien confesser, mais je ne puis voir en moi aucune offense que j’ai faite. Il est vrai que pour les péchés qu’elle disait quelquefois, elle ne les pouvait voir comme péchés qu’elle eût pensés ou dit ou faits ; mais comme un enfant qui fait mal en une chose dont il est ignorant, quand on lui dit, vous avez mal fait, il rougit de ce qu’on lui dit, mais non de ce qu’il connaît avoir mal fait. --
Je ne sais comment faire pour me confesser, car je n’ai rien en moi qui ai tant de vigueur que je puisse dire : j’ai fait, où j’ai dit chose dont je sente du remords en ma conscience. Je ne veux pas laisser de me confesser. Mais je ne sais à qui donner la faute de mes péchés. Je me veux accuser, et je ne le puis. Elle ne laissait pas de faire tous les actes nécessaires à la confession, de quoi elle était confuse, parce qu’elle ne pouvait connaître aucune partie en elle qui eût jamais offensé Dieu : toutefois elle voulait se confesser et accuser la partie propre rebelle et désobéissante à Dieu, qui était elle-même, et elle ne la trouvait point. Vie, ch. 44.
7. Ô amour pur, vous faites par votre violence que la moindre tâche d’imperfection est un enfer, plus grand et plus rigoureux que celui des damnés ! C’est ce que personne ne croira et ne pourra comprendre, hormis celui qui sera exercé et expérimenté en vous. Dialogue, livre 3, ch. 6.
8. Certes je connais une âme, laquelle aussitôt qu’on mentionnait quelque mystère ou sentence 105 qui lui ramentevait [terme vieilli. Remettre en l'esprit, rappeler] un peu plus expressément qu’à l’ordinaire la présence de Dieu, tant en confession qu’en particulière-conférence, elle rentrait si fort en elle-même qu’elle avait peine d’en sortir, pour parler et répondre, en telle sorte qu’en son extérieur elle demeurait comme destituée de vie, et tous les sens engourdis jusqu’à ce que l’Époux lui permit de sortir, qui était quelquefois assez tôt, et d’autrefois plus tard. De l’amour de Dieu, livre 6, ch.7.
9. Là où est le vrai amour là est le vrai sentiment de douleur d’avoir offensé Dieu, que j’appellerais plutôt componction que contrition. Il est, dis-je, impossible qu’une telle âme, incontinent après le péché commis, ne soit affectée d’une telle douleur par l’acte que produit son excellente habitude : et c’est ce qui se renouvelle en l’âme vraiment amoureuse au temps de son examen et revue de ses péchés. De sorte que lorsqu’elle s’accuse actuellement, c’est avec la même douleur et componction : et dans ce sentiment elle découvre aux médecins les petites plaies de son cœur. -- Plusieurs personnes dans leur simplicité et ignorance de leurs voies sont en cette noble habitude, et en l’exercice de ses actes, autant que la nécessité le requiert, sans qu’elles sachent que cela est ainsi. Cela vient en conséquence de leurs propres exercices. -- Cette excellente ignorance rend son sujet simple et inconnu à lui-même pour le discernement non nécessaire de ses mouvements. Car son occupation actuelle et amoureuse en Dieu ne lui permet aucune réflexion, moins encore pour cela que pour autre chose, dont les raisons se doivent tirer de l’excellence du fonds déjà plus ou moins excellemment 106 ouvert et pénétré de la divine sapience. Miroir de conscience dans l’Avant-propos.
10. Nous ne parlons point ici de contrition au vrai amoureux de Dieu, vu que tout son désir n’est qu’amour. Tout ce qui l’afflige, c’est lorsqu’il a manqué à lui rendre amour pour amour ardemment, incessamment, infatigablement, et selon son total. C’est cela seul qui l’afflige, mais d’une amoureuse, douce et cordiale affliction, totalement confidente en son Bien-aimé. Là même. Traité I, n. 15.
11. Le vrai spirituel discerne les moindres dérèglements et des ordres de ses passions et mouvements. Et en cela paraît la totale perfection d’une âme vraiment illuminée que de voir son ordre et son désordre. Tant plus elle a de lumière, tant plus et tant mieux elle est ordonnée, tranquille et paisible au-dedans. La même, n. 20.
12. Je ne m’étonne pas de vos abattements et de vos peines. Vous vous attachez trop à la vue de vos faiblesses, qui vous décourage et trouble votre paix.
Le péché est un basilic. Il est si venimeux si qu’il tue de son seul regard. À moins que d’avoir toujours votre contrepoison présent, et votre divin Jésus, vous ne sauriez le regarder sans être en danger d’être mortellement empoisonnée. Cette vue vous affaiblit de jour en jour, comme vous le ressentez aussi par votre expérience : car ne regardant continuellement que vos bassesses, vous n’avez rien qui vous relève et qui vous corrige. La vue de vos misères vous décourage et vous vous abat. Et rien ne vous soutient. Lettre 126.
13. La Révérende Mère de Chantal consultant son saint Père sur la simplicité de son oraison, je vous demande, dit-elle, mon très cher Père, si l’âme ne doit pas spécialement en l’oraison, rejeter toutes sortes de discours d’industrie, de réplique, de curiosité et de choses semblables, et au lieu de regarder ce qu’elle fait ou fera, regarder Dieu, demeurant dans cette simple vue de lui et de son néant, tout abandonnée, contente et tranquille, sans se remuer aucunement pour faire des actes sensibles de l’entendement et de la volonté, non pas même pour la pratique des vertus ni détestation de ses fautes, car notre Seigneur met en l’âme, ce me semble, les ressentiments qu’il faut et l’éclaire parfaitement, et mieux mille fois qu’elle ne pourrait être par tous ses discours et imaginations. Vous me direz pourquoi sortez-vous donc de la ? Ô Dieu ! C’est mon malheur, et malgré moi ; l’expérience m’ayant appris que cela m’est fort nuisible. Mais je ne suis pas maîtresse de mon esprit, lequel sans mon congé veut tout voir et ménager. -- Le saint évêque lui répondit : ma fille, puisque notre Seigneur depuis longtemps vous attire à cette sorte d’oraison, vous ayant fait goûter les fruits tant désirables qui en proviennent, demeurez-y ferme. -- Je vous recommande que simplement vous demeuriez en Dieu, sans essayer de rien faire, et sans vous enquérir de chose quelconque qu’autant qu’il vous excitera. Conférences mystiques troisième (De la vie de la mère de Chantal, P. II, ch.7)
14. Monsieur du Bellai [sic] surpris de ce que Saint François de Sales faisait si peu de préparation pour dire la messe, etc., il lui dit : je suis fort étonné, mon Père, du peu de préparation et d’action de grâces 108 que vous faites avant et après la messe : encore aujourd’hui, vous êtes sorti d’une conversation avec une dame, qui avait duré près de deux heures, vous avez fait une profondeur révérence à l’Autel, vous vous êtes habillé, et vous avez dit la messe. Après l’avoir dite, vous avez quitté les habits sacerdotaux, et ayant fait une profonde révérence à l’Autel, vous êtes retourné à la même conversation. Saint François de Sales lui répondit : et moi, je pourrais vous dire, mon frère, que je m’étonne que vous disiez tant de prières, et que vous fassiez tant d’actes devant et après la sainte messe. Mais puisqu’il faut vous contenter sur la difficulté que vous avez proposée, qui ne regarde que ma disposition particulière, je vous dirai que je ne sais quelle autre chose faire pour me disposer à un aussi grand mystère que ce que je fais. Je tâche de me conserver continuellement en la présence de Dieu et de marcher toujours en sa vue. Cette vue perpétuelle fait toute ma disposition intérieure. Et comme je ne vois que Dieu, il me semble que ma volonté ne veut que lui : c’est lui qui m’applique à tout ce que je fais ; de moi-même je ne m’applique à rien. Je ne suis qu’un instrument entre ses mains, pour aller où il veut, et pour faire ce qui lui plaît : partout je porte la même disposition, à l’Autel, à la table, au lit, et en tout lieu. Vous parlez de cette Dame -- je ne la regarde pas en elle, je ne la regarde qu’en Dieu, ou plutôt je ne regarde que Dieu en elle, et en toutes les autres créatures : Dieu veut que je lui parle devant et après la messe. Je le veux sans le vouloir par l’état d’abandon et d’anéantissement que je tâche de conserver pour tout ce qu’il veut de moi : il veut que je dise la messe, je ne le fais dans la même disposition. Voilà mon frère, tout ce que je sais faire. Conférences mystiques 12ème.
15. La Révérende Mère de Chantal, en rendant compte à Saint François de Sales de sa conscience, lui dit : l’âme voudrait se servir de cette union pour l’exercice du matin, celui de la sainte messe, préparation à la communion, et action de grâces pour tous les bénéfices, et enfin pour toute chose, etc. (En sa Vie, Partie III, ch.4).
La réponse du saint se voit au Livre 4 de ses Epîtres, lettre 14. Vous êtes, lui dit-il, comme le petit Saint-Jean, tandis que les autres mangent diverses viandes à la table du Sauveur, par plusieurs considérations pieuses, vous vous reposez dans le suave sommeil sur sa sacrée poitrine. Et pour dernier avis, ne vous divertissez jamais de cette voie. Souvenez-vous que la demeure de Dieu est faite en paix. Suivez (a) la conduite de ses mouvements divins ; soyez simples à la grâce ; soyez active et passive ou patiente, selon que Dieu voudra, et vous y portera. Mais de vous-même ne sortez point de votre place, souvenez-vous de ce que je vous vous ai tant dit, et que j’ai mis dans Théotime (De l’amour de Dieu, livre 6, ch. 11) qui a été fait pour vous et vos semblables : vous êtes la sage statue. Le Maître vous a posée dans la niche, ne sortez de là que lorsque le Maître vous en tirera. Là même.
(a) mouvement divin qu’il faut suivre. Simplicité passive et active.
16. Harphius savant contemplatif, dit que l’âme qui est dans cet exercice, ne doit pas s’embarrasser sur les péchés de la vie passée ni sur les fautes journalières, qu’il ne faut pas pour cela qu’elle entre en pusillanimité ou en inquiétude, qu’il faut qu’elle s’abstienne de l’examen et de 110 toutes les recherches empressées dans lesquelles il se trouve souvent beaucoup d’amour-propre. Là même. (De la théologie mystique de Harphius, livre 3, ch.4).
La jouissance de Dieu est permanente et durable, parce qu’elle est au-dedans de nous-mêmes, et que Dieu étant notre dernière fin, l’âme peut sans cesse s’écouler dans lui. Ch.1, vs.1.
Le propre de l’Union essentielle est d’affermir l’âme de telle sorte, qu’elle ne peut plus avoir de ces défaillances qui arrivent aux âmes commençantes, dans lesquelles la grâce étant encore faible, elles éprouvent des éclipses et font encore des chutes. Mais par cette union elle est confirmée (si on peut user de ce terme) dans la charité, puisqu’alors elle demeure en Dieu ; et (a) celui qui demeure en Dieu, demeure en charité, car Dieu est charité. Ch. 2, vs. 6.
(a) Jean 4, vs. 16.
Il n’y a plus de hivers pour une âme arrivée en Dieu. Mais il y a un composé des trois autres saisons, qui se trouvent toutes 111 réunies en une, et comme immortalisé par la perte de l’hiver. Chapitre 2, verset 13.
L’âme s’étant quittée soi-même et ayant outrepassée toutes les créatures, rencontre son Bien-aimé, qui se montre à elle avec de nouveaux charmes : ce qui lui persuade que le moment fortuné de la consommation du mariage est proche, et que l’union permanente se va lier. Chapitre 3, verset 4.
Mille boucliers y sont prêts, pour la défendre contre autant d’ennemis visibles et invisibles : et elle est armée de tant de force en Dieu qu’elle ne craint aucune attaque (a) tant qu’elle demeurera de la sorte : car ici son état n’est pas encore permanent. Ch. 4, vs. 4. O épouse digne de la jalousie des anges, vous avez enfin trouvé votre Bien-aimé. -- Vous l’avez pour ne le plus perdre. Ch. 6, vs. 2.
(a) notez tant qu’elle demeurera de la sorte. Ce qui fait voir que la stabilité dont je parle n’exclut point, en rigueur, la capacité de déchoir.
Le Bien-aimé ayant trouvé son épouse toute désapproprié, toute fondue et toute préparée pour la consommation du mariage, et pour être reçue en lui par (b) état permanent. Là même, vs. 3.
(b) Partout où je parle d’état permanent, je ne prétends pas parler d’une incapacité absolue de pécher. Mais par rapport aux vicissitudes passées, et à la 112 difficulté des chutes, qui vient de ce que l’âme a contracté l’habitude d’être tournée à Dieu, d’être en Dieu, de ne se plus regarder soi-même ni les créatures, source de péché. Dieu la tient en lui, la serre par la tension amoureuse sans attention, ou, pour parler juste, il la tient cachée avec Jésus-Christ en lui-même. Col. 3, vs. 3.
L’Epouse est parfaite dans son fonds par la perte de toute recherche de soi-même.
Il faut remarquer que quelques louanges que l’Époux eût données à l’Épouse jusqu’ici, il n’avait point encore dit (jusqu’à ce qu’elle fut recoulée entièrement en son unité divine) qu’elle fût unique et parfaite, à cause que ces qualités ne se trouvent qu’en Dieu, lorsqu’on y est entièrement consommé par état permanent et durable. Ch. 6, vs. 8.
Qui est celle-ci qui s’avance, s’élevant peu à peu. Car il faut savoir que l’âme quoi qu’arrivée en Dieu, s’élève peu à peu et (a) se perfectionne dans cette vie divine, jusqu’à 113 ce qu’elle arrive au séjour éternel. Elle s’élève en Dieu insensiblement, comme l’aurore, jusqu’à ce qu’elle vienne à son jour parfait et au midi consommé, qui est la gloire du Ciel. Mais ce jour éternel commence dès cette vie. Là même, vs. 9.
(a) Il faut faire attention qu’il est dit dans ce verset, que l’âme se perfectionne : ce qui fait voir que je n’entends pas que la consistance soit pour l’état de grâce qui exclut l’avancement et le mérite, quoiqu’il soit comme moralement impossible qu’une telle âme soit rejetée, et qu’elle soit amie et ennemie. Si Dieu conserve avec tant de bonté ceux qui sincèrement ne veulent plus l’offenser, comment ne conserverait-il pas son Épouse qui est entièrement à lui, qui s’est séparée de toutes les créatures et d’elle-même 113 pour son amour, qui ne s’oublie que pour passer à lui, qui ne se quitte que pour passer en lui par un amour autant réel qu’il est pur. Ce qui ferait tomber notre Épouse, ce serait le propre regard et la propre complaisance. C’est pourquoi son Époux lui ôte toute réflexion sur soi, et il ne lui permet pas de se regarder le moins du monde. La consistance est par rapport aux vicissitudes passées et aux unions passagères ou des puissances.
Ô fille du prince ! Ô fille de Dieu ! s’écrient les jeunes filles, que vos démarches sont belles, et au-dedans et au-dehors ! Les pas du dedans sont très beaux, puisqu’elle peut toujours avancer en Dieu, sans cesser de se reposer. C’est la beauté ravissante de cet avancement, que d’être un vrai repos, sans que le repos empêche l’avancement, ni l’avancement le repos : au contraire, plus on se repose, plus on avance. Et plus on fait de progrès plus le repos est tranquille. Les pas du dehors sont aussi pleins de beauté : car cette âme est toute réglée comme étant conduite par la volonté de Dieu, et par l’ordre de sa providence. Ses pas la font admirer dans sa chaussure : par ce que toutes 114 ses démarches se font dans la volonté de Dieu, de laquelle elles ne sortent plus. Les jointures des cuisses marquent l’ordre admirable des actions qui se font avec une entière dépendance de la partie inférieure à la supérieure, et de la supérieure à l’égard de Dieu. Ce grand ouvrier a forgé et fondu cette âme dans la fournaise d’amour. Ch. 7, vs. 2.
Ô amour, vous ne rejetez plus une telle âme ! Et l’on peut dire qu’elle est (a) pour toujours confirmée en amour, puisqu’elle a été consommée par le même amour échangé en lui. Le Bien-aimé ne voyant plus rien en son Epouse qui ne soit à lui et de lui, n’en détourne plus ses regards ni son amour, comme il ne peut jamais cesser de se regarder ni de s’aimer soi-même. Là même, verset 10.
(a) cet endroit qui n’explique rien doit être rapporté aux endroits qui parlent de la même chose.
Elle invite son époux à aller partout, car alors elle est mise tout en action. Et comme Dieu est toujours agissant au-dehors, et toujours reposant au-dedans, de même cette âme qui est confirmée au-dedans dans un parfait repos, est aussi tout agissante au-dehors. Ce qu’elle avait fait il y a peu de temps (b) avec défaut, tel le fait maintenant avec perfection. Ce n’est plus elle-même ni les fruits qui sont en elle qu’elle regarde : mais elle voit tout en Dieu. Elle voit dans les champs de l’Église mille biens qui sont affaires pour la gloire de son Époux, et elle y travaille de toutes ses forces, selon les occasions (c) que la providence lui fournit. Verset 12.
(b) Ceci s’entend que si, lorsqu’elle devait être toute passive, elle eût agi, ç’aurait été un défaut, par 115 ce qu’elle aurait empêché l’action de Dieu. Elle eut été active de sa propre activité, et Dieu la voulait toute passive pour la faire mourir à sa propre action. À présent à force d’être passive, elle est devenue en la main de Dieu comme une cire molle ou un instrument sans résistance, dont Dieu fait ce qu’il lui plaît. Elle est donc passivement agissante parce qu’elle ne se remue point par elle-même, mais elle se laisse mouvoir au Saint-Esprit par une motion aussi pure que suavement amoureuse : toute vraie passivité en doit venir là, et c’est sa consommation.
(c) Notez qu’elle ne cherche point les occasions. Par elle-même elle ne se porte qu’à la solitude et à son repos. Mais Dieu lui fournit lui-même, sans qu’elle s’en mêle, par sa providence tout ce qu’il veut qu’elle fasse.
Le troisième est le sommeil du repos en Dieu, permanent et durable ; c’est un repos d’extase, mais d’extase douce et continuelle, qui ne cause plus d’altération au sens, l’âme étant passée en son Dieu par l’heureuse sortie d’elle-même. C’est un repos dont elle ne sera jamais divertie. --
Le premier repos est un repos promis, donc on donne alors les arrhes et les gages. 116 Le second repos est un repos donné. Et le troisième est un repos confirmé qui ne sera jamais interrompu. Il pourrait (a) pourtant l’être absolument, puisque la liberté subsiste, et que ce serait en vain que l’Époux dirait, jusqu’à ce qu’elle le veuille bien, si elle ne pouvait plus jamais le vouloir : mais après une union de cette nature, à moins de la plus extrême ingratitude et infidélité, elle ne le voudra jamais.
Cependant le divin Époux, qui en louant lui-même son Épouse, et agréant qu’on la loue en sa présence, veut en même temps toujours plus l’instruire ; pour lui faire comprendre qu’il n’y a que la vaine complaisance en soi-même et le mépris des autres, qui puisse donner entrée à une ruine aussi déplorable. Dans le verset suivant il lui va remettre devant les yeux la bassesse de son extraction et la misère de sa nature, afin qu’elle ne sorte jamais de son humilité (b). Ch.8 vs.4.
(a) Ce verset explique tout ce que j’ai dit, pour justifier les autres endroits.
(b) Il faut remarquer que plus on aime et connaît Dieu ; (ici la connaissance paraît venir de l’amour, et non l’amour de la connaissance) ; plus on se connaît et se hait, se fuit et enfin se quitte. La plus forte preuve que l’on se hait, c’est de se quitter soi-même ; et c’est la solide humilité.
Si les plus grandes eaux des afflictions, des contradictions, des misères, pauvretés et traver -117 verses, n’ont pu éteindre la charité dans une telle âme, il ne faut pas croire que les fleuves de l’abandon à la providence le puissent faire : puisque ce sont eux qui la conservent. Si l’homme a eu assez de courage pour abandonner tout ce qu’il possédait, et tout son soi-même, afin d’avoir cette pure charité, qui ne s’acquiert que par la perte de tout le reste, il ne faut pas croire qu’après un effort si généreux pour acquérir un bien qu’il estime plus que toutes choses, et qui effectivement vaut mieux que tout l’Univers, il vienne ensuite à le mépriser, jusqu’à reprendre ce qu’il avait quitté. Cela n’est pas possible. Dieu nous fait connaître par-là la certitude et la consistance de cet état ; et combien il est difficile qu’une âme qui y est arrivée en sorte jamais. Là même. Vs.7.
Il semble, ô mon Dieu, que vous avez pris plaisir de prévenir tous les doutes et toutes les objections qu’on pourrait former. On pourrait dire que cette âme, qui ne se possède plus, et qui n’opère plus par elle-même, ne mérite plus. Vous êtes, ô Dieu, ce Dieu de paix, qui avez une vigne, dont vous confiez le soin principal à votre Épouse ; et l’Épouse est cette vigne même. Elle est située en un lieu qui s’appelle, peuple : car vous avez rendu votre Épouse féconde et mère d’un 118 peuple innombrable. Vous avez commis vos Anges pour la garder ; et elle rapporte un grand profit, et à vous, ô Dieu, et à l’âme même. Vous lui donnez la liberté d’en user et d’en goûter les fruits ; elle a l’avantage (a) de n’être presque plus en état de vous perdre ni de vous déplaire, et cependant, encore celui de ne pas laisser de profiter et de mériter toujours. vs. 11.
(a) On peut assez remarquer par ce qui est avancé, que je n’entends pas que dans l’état stable, on ne puisse plus pécher en rigueur, ni qu’on ne puisse plus mériter. La consistance est donc par rapport aux vicissitudes passées et à une stabilité du fond qui ne varie plus. C’est le propre état de l’âme, qui n’est point senti ; c’est un repos au-dessus du sentiment, différent de la paix goûtée : c’est proprement un non-trouble ; quoique souvent Dieu le fasse rejaillir sur les sens avec grandes délices. Jean de la Croix l’appelle, trois fois paix.
1. Ce (a) salut ne se peut faire que par la déification des choses qui sont sauvées ; et la déification est l’union et la ressemblance avec Dieu, autant que chacune en est capable. *Or le but que se propose toute hiérarchie n’est autre qu’un
(a) La vie intérieure, son commencement, son progrès, et sa consommation sont renfermées dans ces paroles.
* Pur amour. n. 1.
119 amour continuel envers Dieu et les choses divines, qui opère de bonnes et de saintes actions purement et simplement pour Dieu. Laquelle charité doit être précédée d’une fuite et d’un éloignement absolu de tout ce qui lui est contraire, sans jamais plus y retourner, comme aussi d’une connaissance des choses selon la vérité de leur être, de la science et de la vue de la sainte vérité, d’une participation (a) divinement infuse de la perfection * uniforme de l’un-même, autant qu’il se peut, d’un banquet et d’une sainte réfection de cette vue qui nourrit spirituellement et qui déifie quiconque tend et qui aspire vers elle. De la Hierarch. Eccl. Ch. 1.
(a) Infusion : uniformité ; consommation de la vie intérieure.
* Rassasiement. n. 1.
2. Nous disons donc que cette divine Béatitude, qui est Déité par nature, principe de déification, de laquelle est et procède l’être déifié à ceux qui ont été déifiés, par sa bonté a fait don de la hiérarchie pour le salut et plus la déification de toutes les essences douées d’entendement et de raison. Là même.
3. Voyez Anéantissement. n. 1.
4. Car s’il est vrai que Dieu seul soit immuable, il est sans doute que les Anges mêmes ne le sont pas par leur nature ; et de là il s’ensuit que si les Anges ont quelque chose de stable et de fixe, ce n’est qu’en Dieu et par cette heureuse disposition (a) qui fait qu’ils l’aiment plus qu’eux-120
(a) Il est à noter que si l’amour pur et la soumission de la volonté rendent les Anges stables en Dieu, ce sont les mêmes dispositions qui communiquent une espèce de stabilité en cette vie à l’âme
-même, et qui les tenant parfaitement soumis à cette Majesté Souveraine leur en assure la jouissance. Le mauvais Ange au contraire, enflé d’orgueil, c’est-à-dire s’aimant plus que Dieu et ne voulant pas lui être soumis, s’est séparé de cette Souveraine Essence, et par là, est tombé dans une défaillance, qui fait qu’il est moins qu’il n’était, pour avoir quitté le plus pour le moins, c’est-à-dire (a) pour avoir mieux aimé jouir de sa propre puissance que de celle de Dieu. De la Véritable Religion. Ch. 13.
(a) Cause de chute, s’appuyer sur soi, au lieu de vivre d’abandon et de dépendance de la grâce de Dieu.
5. L’enfance de ce nouvel homme se passe à se nourrir du lait des bons exemples que l’histoire nous met devant les yeux.
De là il entre dans le second âge, où n’ayant plus besoin du soutien de l’autorité humaine, et oubliant tout ce qui se peut emprunter des hommes, il s’avance vers les choses de Dieu, et où sa raison éclairée des lumières de la loi souveraine et immuable le fait marcher d’un pas ferme à ce que lui prescrit cette règle primitive de tout bien.
À ce second âge succède le troisième, où la partie supérieure devenue plus ferme et plus maîtresse commence de tenir l’autre soumise par la force de la raison, comme la femme est soumise à son mari ; et c’est ce qui fait sentir à cet homme nouveau comme les douceurs de l’union conjugale, sous le voile de cette pudeur spirituelle, qui fait que nous n’avons plus besoin qu’on nous force à bien vivre, et que quand on nous donnerait une entière liberté de pécher, nous ne voudrions pas en user. De 121 ce troisième âge on passe dans le quatrième, où les forces allant toujours en augmentant, on vient à pratiquer une manière bien plus solide et bien mieux suivie ce qu’on avait commencé de faire dans le troisième, et où l’on acquiert cette maturité de l’homme parfait qui rend capable de soutenir sans s’ébranler toutes les tempêtes de ce monde et toutes les attaques de la persécution.
* Ensuite on passe dans le cinquième âge, où l’homme élevé au-dessus de tout ce qui pourrait lui causer le moindre trouble, jouit dans une paix profonde de toute l’abondance des trésors qui se trouvent dans le royaume tranquille et inaltérable de la souveraine et ineffable Sagesse.
Ce cinquième âge est suivi du sixième, qui porte le renouvellement de l’homme intérieur à sa dernière perfection, et qui achève de retracer en lui l’image de la ressemblance de son Dieu ; en sorte qu’on est dans le monde comme n’y étant point, et qu’on y vit par avance de la vie dont les Bienheureux vivent dans le ciel.
Le septième âge18 qui succède à celui-là, n’est autre chose que le repos éternel et cette félicité parfaite et toujours égale à elle-même, où il n’y a plus de distinction d’images ni d’états. Car comme la mort est la fin du vieil homme, la vie éternelle est celle du nouveau ; parce que l’un est chargé de la condamnation encourue par le péché, et que l’autre est revêtu de la justice dont la gloire est la récompense. De la véritable Religion. Ch. 26.Henri Suso.
6. Cet homme est tellement uni à Dieu que Dieu même devient son fond. — 122
* Résurrection. n. 3.
Sa résignation est toute son action ; il ne fait autre chose que de demeurer sans rien faire. Il vit familièrement avec les hommes sans recevoir les impressions des images ; il les aime sans attachement d’affection, et il compatit à leurs peines sans inquiétude et en une pleine liberté. — Il est * éclairé dans la partie supérieure d’une lumière qui l’assure que Dieu est son essence et sa vie, qui opère en lui, et que lui n’est que son instrument. — Il est établi dans la vérité. S’il a de simples opinions, c’est lorsqu’il est laissé à lui-même ; mais lorsqu’il en est sorti, il entre en Dieu, qui est toute science et vérité. Dialog. de la Vérité. Ch. 10.
* Motion divine. n. 3.
7. L’état de cette âme est un sentiment d’une si grande paix et tranquillité, qu’il lui semble qu’elle est plongée avec le cœur et toutes les entrailles intérieurement et extérieurement, dans une mer d’un calme très profond et très heureux, de laquelle elle ne sort jamais pour quelque chose qui lui puisse arriver en cette vie : elle demeure immobile sans pouvoir être troublée, et tellement impassible, qu’il lui semble qu’elle ne sent autre chose tant dedans que dehors qu’une paix très suave. —
Cet Amour — semble dire à l’âme : fait ton compte que rien de tout ce qui reste au monde ne t’appartient plus, et que tant plus tu vas en avant, plus tu connais que la (a) fin pour laquelle l’homme est créé est certainement pour aimer et pour prendre plaisir et se délecter en ce saint et pur amour. Quand l’homme est parvenu par la grâce de Dieu à ce port tant désiré du pur amour, il ne peut 123
(a) Fin pour laquelle nous sommes créés.
plus faire autre chose qu’aimer et se réjouir ; même quand il s’efforcerait de faire le contraire : et cette grâce que Dieu fait à l’homme est si admirable, et surpasse (a) tellement tout désir et toute pensée humaine, qu’il sent dès cette vie qu’il est fait participant de la gloire des Bienheureux. Vie Ch. 18.
(a) Désirs surpassés par la plénitude ou le ravissement divin.
8. On peut aussitôt dire qu’il n’y a point de Dieu, que de dire, que l’amour de Dieu pur et net en quelque créature puisse être trompé (b). Chap. 19.
(b) Il n’y a point de tromperie en cet état comme on le verra lorsque j’écrirai sur cet article.
9. J’ai par la grâce de Dieu un contentement sans nourriture et un amour sans crainte, c’est-à-dire qui ne manque jamais. La foi me semble toute perdue, et l’espérance morte ; parce qu’il me semble que je tiens et possède ce qu’autrefois ne croyais et espérais. Ch. 22.
10. Voyez Purification. n. 17.
11. Voyez Volonté de Dieu. n. 16.
12. Voyez Mortification. n. 3.
13. Quand l’âme par la correspondance qu’elle a avec Dieu peut voir sa puissance et sa dignité, il lui semble qu’elle est suffisante non seulement pour assujettir son corps avec toutes ses mauvaises habitudes et inclinations, mais encore pour assujettir tous les corps qui sont au monde. Aussi les martyrs sentant la dignité de leurs âmes ne faisaient aucun cas de tous les tourments du corps. Mais quand Dieu ne donne point cette lumière à l’âme, à cause de quelque défaut qui est en elle, alors elle demeure si abjecte, si vile et si faible, que la moindre chose la jette par terre. — Ceci 124 est un état où l’esprit demeure toujours en Dieu avec une infusion d’amour pur, net et simple, par lequel il aime Dieu, même sans raisonner et sans penser pourquoi il l’aime : qui est la façon dont il doit être aimé, c’est-à-dire, sans crainte d’aucune peine, sans espérer aucune récompense, et sans considérer combien Dieu est aimable, car cet (a) état est au-dessus de la raison. —
Or l’âme étant en Dieu qui en a pris possession, et qui opère en elle sans l’être de l’homme et sans qu’il en ait aucune connaissance, parce qu’il demeure anéanti par l’opération divine, cette âme demeure en Dieu pour jamais ; et elle peut dire comme l’Apôtre : (b) qui me séparera de la charité de Dieu ? Là même. Ch. 32.
(a) État au-dessus de la raison.
(b) Rom. 8 vs. 35.
14. Voyez Création. n. 5.
15. Il reste une continuelle impression dans le cœur qu’il vit toujours en Dieu avec cet amour. Dial. Livr. 3 Ch. 7.
16. Un cœur amoureux de Dieu ne peut être vaincu, parce que Dieu est pour lui une forteresse redoutable à ses ennemis : on ne peut lui donner ni de crainte par la considération de l’Enfer, ni de joie par la considération du Paradis ; parce qu’il est si bien ordonné, qu’il prend de la main de Dieu tout ce qui lui arrive, demeurant avec lui en paix pour toutes choses, et comme immobile avec le prochain, étant bien ordonné de Dieu et fortifié en soi-même. Livr. 3. Ch. 8.
17. Je me sens la volonté si forte avec une si vive et si grande liberté, que je ne crains point que rien me [sic] puisse empêcher mon Objet en qui ne me contente. Là même. Ch. 14. 125
18. Je me souviens à ce propos des paroles que l’Ange dit à la très sacrée Vierge Notre Dame, (a) la vertu du Très-Haut vous fera ombre. Ah, qu’une âme doit être bien protégée quand Notre Seigneur la met en cette grandeur ! elle se peut asseoir et assurer avec raison. —
Car telles âmes s’asseyent et s’arrêtent dans la vérité : elles ne cherchent point autre part leur consolation et leur quiétude, mais seulement où elles connaissent qu’elles la peuvent avoir véritablement ; elles se mettent sous la protection de Notre Seigneur, et ne désirent point autre chose. —
Il semble que l’âme jouissant du contentement que nous avons dit, se sent toute absorbée, et remparée d’une certaine ombre, et comme d’une nuée de la Divinité ; d’où lui viennent de si souveraines influences, et une rosée si délicieuse qu’elles chassent bien, et avec raison, l’ennui que les choses du monde lui ont donné. Concept. De l’amour de Dieu. Ch. 5.
(a) Luc. I. vs. 35.
19. Le saint homme établit d’abord un état de consistance sur le haut de la montagne qui compose son Énigme. Il dit que l’âme y est dans un banquet perpétuel, que le silence divin et la sagesse divine sont le caractère de cette âme, que le seul honneur et la seule gloire de Dieu habitent sur cette montagne, qu’elle a les dons et les fruits du S. Esprit. Car l’âme, dit le P. Louis de Ste. Tèrèse qui explique cette Énigme, ne veut et ne se complaît qu’en la seule gloire et honneur de Dieu, et ainsi elle jouit des prémices de la gloire du paradis (comme dit ce Maître céleste [le B. J. de la 126 Croix]) et par ce moyen elle est transformée entièrement en Dieu, et rendue semblable à lui ; puisqu’en ses opérations elle ne prétend que son honneur et sa gloire. Voyez l’Énigme et son Explication.
20. Voyez Purification. n. 37.
21. Voyez Foi nue. n. 19.
22. L’âme verra bien combien il y a de hauts et bas dans cette voie, et comment après la prospérité dont elle jouit, il survient de l’orage et du travail, de sorte qu’il semble qu’on lui ait donné ce calme pour la prévenir et encourager pour la peine présente, comme aussi après la tourmente et la misère suit l’abondance et la bonace. C’est là le style ordinaire et l’exercice de l’état de contemplation, de monter et de descendre, et ne demeurer jamais en même état jusqu’à ce qu’on soit parvenu à la tranquillité. La cause de cela est que comme l’état de perfection, qui consiste au parfait amour de Dieu et mépris de soi-même, ne peut être sans ces deux parties, connaissance de Dieu et de soi-même, il faut nécessairement que l’âme soit exercée en l’une et en l’autre, lui faisant goûter tantôt l’un, l’agrandissant, et tantôt lui faisant éprouver l’autre, l’humiliant, jusqu’à ce qu’ayant acquis les parfaites habitudes, le monter et le descendre cesse, étant déjà parvenue et s’étant unie avec Dieu. Obscure nuit de l’âme, Livr. 2 Ch. 18.
23. Ce repos et quiétude de cette maison spirituelle vient à être gagné par l’âme habituellement et parfaitement (autant que la condition de cette vie le puisse permettre) par le moyen de ces actes comme substantiels d’union divine, que nous venons de dire qu’elle a reçue de la Divinité secrètement et en cachette du trouble du Diable, des 127 sens et des passions : où l’âme a été purifiée, acoisée19 et rendue forte, constante et stable pour recevoir avec durée ladite union qui est le mariage divin entre l’âme et le Fils de Dieu. Obscure nuit de l’âme. Livr. 2. Ch. 24.24. Le Diable redoute grandement d’une âme qui est arrivée à la perfection. Or ce lit de l’âme est entrelacé ou entretissu20 de vertus, parce qu’en cet état les vertus sont tellement liées entre elles, si fortifiées les unes avec les autres et unies en ou perfection consommée de l’âme, que non seulement il n’y a aucun endroit par où le Diable puisse entrer, mais qu’aussi elle demeure tellement fortifiée et remparée que pas une chose du monde ni haute ni basse ne la peut inquiéter, molester, ni mouvoir : d’autant qu’étant déjà libre de tous les ennuis des passions naturelles, éloignée et écartée de la tourmente de la variété des choses temporelles, elle jouit comme en assurance de la participation de Dieu. Cantique entre l’Épouse et l’Époux. Couplet 16.25. Voyez Volonté de Dieu. n. 24.
26. Voyez Actes. n. 4.
27. C’est la consommation de cet état (a) : et jamais l’âme ne se repose jusqu’à tant qu’elle y arrive ; pour autant qu’en cet état il y a une bien plus grande abondance et réplétion21 de Dieu et une paix plus assurée et plus stable, et une suavité plus parfaite sans comparaison qu’aux fiançailles spirituelles, étant déjà dans le sein d’un tel Époux : car d’une telle âme s’entend ce que dit S. Paul : (b) je vis non plus moi, mais Jésus-Christ vit en moi. Partant l’âme menant une vie si heureuse, laquelle est une vie de Dieu, qu’on considère si l’on peut, quelle vie sera celle-ci, 128(a) Du mariage spirituel.
(b) Gal. 2. Vs. 20.
en laquelle non seulement elle ne peut plus sentir aucun dégoût, comme Dieu n’en sent point, mais elle jouit d’une délectation et gloire de Dieu en la substance de l’âme déjà transformée en lui. Cantique entre l’Épouse et l’Époux. Coupl. 28.
28. Car en cette transformation d’amour il lui advient de même qu’aux Anges, lesquels pèsent et estiment parfaitement les choses qui sont de douleur, sans en sentir aucune, et exercent les œuvres de miséricorde et de compassion sans sentir de la compassion ; encore que quelquefois et en certaines choses Dieu use de dispense envers elle, lui donnant à sentir et la laissant pâtir, afin qu’elle mérite davantage ; — néanmoins l’état ne porte pas cela de soi. —
Ainsi nulle chose ne peut plus arriver, ni la molester, étant déjà sortie d’elles toutes et étant entrée dans le jardin désiré, où elle jouit de toute paix et goûte de toute suavité, et se récrée en toute délectation selon que le permet la condition et l’état de cette vie. Coupl. 31.
29. Comme la colombe qui sortit de l’Arche, retourna avec une branche d’Olivier en signe de la miséricorde de Dieu, qui avait retiré les eaux ; — de même cette âme sortie de l’Arche de la toute-puissance de Dieu, lorsqu’il la créa, ayant traversé les eaux du déluge des péchés, imperfections, peines, et travaux de cette vie, retourne à l’Arche du sein de son Créateur, avec le rameau d’olive, qui est la clémence et la miséricorde dont Dieu a usé envers elle, l’ayant attirée à un si haut état de perfection, et après avoir fait cesser en la terre de son âme les eaux des péchés, et l’avoir rendue victorieuse des assauts et des batteries de ses ennemis qui avaient toujours tâché de lui empêcher ce bien. Coupl. 34.
30. Ces 129
âmes possèdent les mêmes biens par participation que Dieu par nature ; c’est pourquoi elles sont véritablement Dieu par participation, semblables et compagnons de Dieu. De là est que S. Pierre a dit : (a) La grâce et la paix vous soient accomplies en la connaissance de Dieu et de Notre Seigneur Jésus-Christ, etc. afin que vous soyez faits compagnons de la nature divine. Coupl. 39.
(a) 2 Pierre r. vs. 2,4.
31. Voyez Union. n. 59.
32. Ce passage du Cantique : (b) Vous êtes toute belle ma Bien-aimée et il n’y a point de tache en vous, Giflerius l’explique de la sorte. L’Épouse est toute belle à savoir, en l’esprit, en l’âme et en la chair ; en la chair, comme purgée par l’action des autres émotions et excédant dans les mœurs et les vertus ; en l’âme comme détachée de toute mauvaise convoitise et ornée des discours des préceptes ; en esprit comme libre et affranchie même des menues pensées. Eclairciss. Des Phras. Myst. de J. de la Croix. P. II. Ch. 14. §. 4.
(b) Chap. 4. vs. 7.
33. S. Tomas distingue les vertus selon la diversité du mouvement et du terme. Les vertus de ceux qui profitent et s’avancent sont purgatives ; les vertus de ceux qui s’arrêtent et sont comme au terme et degré de charité parfaite, celles-là sont du terme et d’une âme déjà purifiée. Duquel degré S. Tomas posant le doute, comment il peut y avoir en cette vie état d’état, vertu de terme, degré qu’on dise de charité parfaite en tout, qu’on la distingue de celle qui profite, vu que quelque charité parfaite qu’on ait en ce monde cette charité peut s’accroître et profiter ; comment est-il 130 possible, dit ce Saint (2,2. Quest. 24. Artic. 9.) que la charité pouvant s’augmenter pour avancée qu’elle soit en cette vie, qu’il y ait un degré de charité qu’on nomme parfait, distinct de celui qui croît, puisque croître, profiter et s’augmenter n’est qu’un.
Le Saint répond, que les parfaits croissent aussi en charité, mais que leur principal soin ne se tourne point de ce côté-là ; que leur principale occupation est de demeurer unis à Dieu.
* Ce sont là les vertus du terme, ou de ceux qui ont déjà acquis la divine ressemblance, qu’on nomme les vertus de l’âme déjà purifiée. Les vertus vont peu à peu disposant l’âme à cette ressemblance. Car les vertus politiques adoucissent les passions, c’est-à-dire, les réduisent au milieu, quoiqu’avec beaucoup de travail ; les purgatives les ôtent ; celles qu’on nomme de l’âme déjà purifiée les oublient. En sorte, dit S. Tomas, que la (a) prudence ne regarde plus que les choses divines, que la tempérance ne connaisse plus les cupidités terrestres, que la force ignore les passions, que la justice soit unie d’une perpétuelle alliance d’amitié, à l’esprit de Dieu en l’imitant : et il ajoute, nous disons que ces vertus sont celles des Bienheureux ou des plus parfaits qui soient en cette vie. Notes et remarques sur J. de la Croix. Sisc. 2. §. 1.
(a) Cela est immobilité dans la vertu.
34. Je ne puis en cette occasion omettre la preuve de ces paroles divines exagérées par S. Denis Aréopagite, en la Lettre [10.] qu’il écrit à l’apôtre S. Jean, Théologien Évangéliste relégué en l’île de Pathmos ; je ne suis pas de si peu d’esprit que de croire que vous enduriez quelque chose, 131
* Purification, n. 64.
mais je pense que vous sentez seulement les maux du corps en les discernant. Il lui mandait, qu’il y a des hommes si spirituels qu’il méritent d’être appelés libres de tous maux, étant saisis de l’amour de Dieu, qui trace dès cette vie le commencement de l’autre, imitant parmi les hommes la vie des Anges en toute tranquillité d’esprit, et appellation du nom de Dieu : de façon qu’il semble que la douleur ne parvient jusques là, mais que seulement, c’est sentir et juger si c’est un fléau ou non ; de même que celui qui verrait détacher [sic] le coup, encore qu’il ne sentit la douleur, en pourrait bien juger.
O notable abstraction ! notable perfection ! notable ignorance de passions ! Il disait auparavant qu’il se rencontre des hommes si spirituels qu’ils méritent d’être appelés libres de tout mal, parce qu’ils se réjouissent même en la peine, émus et incités de l’amour divin, tant qu’ils méritent d’être appelés Dieux.
C'est la merveilleuse et mystérieuse conjonction que S. Jean vit en cette femme22 tellement marquée et remarquée, qu'elle portait le nom du signe même (le grand signe23) couverte d'étoiles qu'on n'aperçoit que la nuit et en l'absence du soleil, et du soleil découvert et apparent, qu'on ne voit pas quand les étoiles reluisent : ainsi il semble avoir joint jour et nuit, ténèbres et lumière, ciel et terre, la patrie et l'exil ; bref, leur pointe, c’est-à-dire, le commencement des compréhenseurs24, signifiée25 par le soleil en état de voyageurs et qui cheminent par foi désignée par la lune et les étoiles qui éclairent la nuit : Car cette Église militante a tant de parfaits enfants et des esprits si purifiés, comme disait St. Tomas, qu’en l’application et perfection des vertus le Docteur 132 Angélique a mis les Bienheureux de là et les plus parfaits d’ici quand il dit : Nous disons que ces vertus sont celles des Bienheureux ou des plus parfaits qui soient en cette vie.Cette perfection va si avant que S. Ambroise a pu dire (Serm. 22. sur le Psaume 118.) l’oubli des péchés est déjà enraciné en eux, et la force d’un parfait amendement est si grande, qu’ils ignorent les voies d’erreur, qu’ils ne sauraient commettre de crime quand ils le voudraient. Là même. §. 2.
35. S. Bernard passe bien plus outre en la Vie solitaire aux Frères du Mont-Dieu, où il parle de la plus parfaite ressemblance qui se puisse concevoir entre Dieu et l’âme. Voyez Mariage spirituel. n. 11. et 12.
36. C’est ce qui les rend inaltérables dans leur arrêt et fermeté, et très stables en la vue et en la contemplation de Dieu, lequel a fait cela en eux, et le continuera toujours de plus en plus jusqu’au point de leur suprême accomplissement, selon l’ordre de son éternelle prescience. Esprit du Carmel. Chap. 9. §. 12.
37. Touchant ce que je dis, que les plus parfaits qui se puissent concevoir en cette vie, sont inattingibles, impénétrables, immobiles, et inaltérables en leur fond, et que là même ils vivent bien loin au-delà de leur propre fond ; j’ajoute encore que cela soit très vrai, néanmoins on les peut excéder, non pas eux : mais en ce qui paraît d’eux. Là même. §. 22.
38. Ce n’est pas sans cause qu’on dit que ceux-ci sont Esprit ; car ils sont tellement revêtus et remplis des qualités de l’Esprit, que leurs puissances et leur fond ne sont qu’une seule chose, où rien 133 n’entre au26 dehors pour les atteindre et leur donner empêchement. On atteindrait, par manière de dire, aussitôt Dieu qu’eux, d’autant que leur *âme est moins dans le corps qu’elle anime, qu’en Dieu, c’est-à-dire, par appétit, non seulement en tant que Dieu est en leur fond où ils se sont pleinement transformés à vive force de plongement27 amoureux en son infinie mer ; mais encore au-delà de tout cela, ils sont perdus là-dedans sans ressource, en l’essence de Dieu sans réflexion sur eux-mêmes ni sur le créé. Là même. Chap. 14.39. Or celui (a) qui est entré au repos de Dieu repose de ses œuvres, comme Dieu reposa des siennes après la création de toutes choses. Cet Esprit éternel dans le repos (b) de sa simple jouissance est totalement incompréhensible et inattingible à tout esprit inférieur. C’est en ce suprême point de consommation que toute la mysticité est réduite, faisant esprit très simple et très perdu au-delà du fond, en la suressence qui l’engloutit et l’absorbe dedans son tout. En cette suprême unité (c) rien n’est vu, appréhendé, ni entendu de distinct, ni de séparé, de distinguable ni de séparable. Là n’est rien que le maintenant éternel, et là Dieu seul est et vit en soi en la créature, devenue lui-même par un amoureux reflux ; laquelle quoique refuse28 en son éternel principe (a) Hebr. 4. Vs. 10.
(b) Ceci se rapporte à ce qui est écrit dans les Explications sur Genès. 3. Vs. 6. Exod. 20. Vs. 10. et sur Hebr. 4. vs. 10. Etc.
(c) Endroit admirable.
* Perte. n. 38.
demeure néanmoins, et demeurera (a) créature, même en la gloire, son être créé lui demeurant totalement pénétré de l’Être incréé, fondu et tout perdu là-dedans. De sorte qu’encore que dans toute la plénitude de Dieu, elle ait toutes les propriétés et qualités de son être fait divin, si ne désiste-t-elle pourtant pas de sa créaturalité29. Au reste, nous n’écrivons pas pour être crus et entendus, si ce n’était peut-être de quelques-uns, qui pour être arrivés pleinement ici le doivent recevoir avec très grand plaisir pour se voir par tout ceci parfaitement eux-mêmes, tant en l’ordre de leurs expériences, que très loin par-dessus cela en l’éternelle mer de l’amour éternel, qui en l’effort de sa rapidité amoureuse n’a point de cesse qu’il n’ait tout abîmé et tout perdu en soi pour heureusement et glorieusement vivre au total de sa propre vie. Là même. Ch. 22.(a) Explic. Du Cantique. Ch. I. vs. I. Ch.7. vs. 11. Etc.
40. Par même moyen tout ce que ce feu a consommé et transformé en soi et par soi, est lui-même sans différence ni distinction, autant que cela peut être vrai d’une créature. En effet il n’est pas possible à l’âme ainsi consommée de se divertir de cette très simple fruition par intention et volonté, d’autant que ses forces sont entièrement consommées pour n’avoir jamais d’appétits contraires. Je dis de volonté et d’intention ; parce que la vie dont on vit ici est éternelle, simple et suressentielle, en repos et fruition de l’essence divine. Car l’âme dans sa consommation est totalement refuse et perdue en cette divine essence avec (b) tous les Bienheureux. Cab. Myst. P. I. Ch. 10. §. 6.
(b) Raison pour laquelle elle ne peut prier les Saints ; c’est qu’ils sont tous consommés en unité.
41. L’âme 135 étant réduite et fondue, comme elle est, totalement selon ses puissances et son essence, elle est là arrêtée et établie infiniment au-dessus de tout le passé en Dieu. Là même. §. 8.
42. Il faut encore savoir, que Dieu seul et non autre peut agir et pâtir, soit à l’ordinaire, soit à l’extraordinaire, dans les âmes vives et mortes en lui par lui-même sans qu’aucun esprit touche leurs puissances. Là même. P. I. Ch. 1. n. 3.
43. Mais quoi ? Ne semble-t-il point, ô mon Amour, qu’en mon abondance je craigne de me voir frustré de votre jouissance, ainsi que je l’ai été par le passé ? Non mon Époux ; quoique je dise, je ne crains point cela ; car vous êtes mien, et je suis vôtre. Vous me possédez, et je vous possède parfaitement. Nous ne sommes qu’un en l’un et en l’unique de nous deux. Soliloque 6.
44. Afin de demeurer toujours uniques dans l’unique, simples dans le simple, sans aucune altération ni variété. Contempl. 2.
45. Mais ce que nous avons à faire en cette occupation, qui est si importante et pour laquelle nous vivons, parce que c’est votre propre bien et repos en chacun de nous ; c’est de demeurer toujours égaux à nous-mêmes, inaltérables et immuables en tous évènements, comme fermes rochers en votre mer infinie, que les flots ne battent que par dehors sans toucher aucunement au fond. Contemplat. 10.
46. Dieu est toujours lui-même, et ne peut changer ; et nous, tandis que nous ne sommes point passés en lui, demeurons par tout muables et changeants. Il faut tâcher selon notre pouvoir de demeurer stables, et sans changement en lui. Cela est le fond, l’essence et l’éminence des esprits 136 plus purs, plus profonds et plus perdus. Cela tient toujours tout le sens ravi et attaché au-dedans, en très pure nudité ; et lorsque tout est réduit en la suprême unité de l’esprit, comme l’esprit est simple et unique en l’unité de Dieu, il n’y a plus de distinction entre le haut et le bas. Dans cet éminent état, il faut faire en sorte qu’on ne sorte jamais de cette divine unité, pour quelque sujet que ce soit. Lettre 19.
47. Voyez Simplicité. n. 32.
48. Taulere dit qu’Albert le Grand assure que le centre de l’âme est très merveilleux, très pur et très certain ; que c’est la chose qu’on peut le moins arracher, et qui de toutes peut être le moins empêchée ; qu’elle est la plus inhérente et qui persévère le plus ; que nulle contrariété ni adversité ne se trouve dans ce fond ; point d’image, point de sensualité, point de mutabilité ; il est sans aucune différence ou distinctions, qui procèdent de sa fantaisie, comme dit S. Denis ; — il est le suprême entre les choses et il n’y a rien qui soit au-dessus de lui. Il est appelé très pur (a) parce qu’il n’a rien de commun avec la matière ni avec les choses matérielles ; très certain, d’autant que ses voies donnent la certitude à toutes les autres. — Ce fond ne peut être arraché ni par la sensualité, ni par les défauts des vices et des tentations charnelles : il ne peut non plus être empêché, l’âme ayant acquis une grande lumière par son étude, par son effort, et par sa diligence, qui lui est tournée en nature et en habitude ; en sorte 137
(a) parce que rien n’y entre et que tout demeure à la porte. Heureux qui demeure enfermé dans son fond ! il ne craint point ses ennemis. Malheureux qui en sort ! car il est presque assuré de sa ruine.
qu’elle n’y ressent plus aucune peine ou difficulté. Il est fixe et invariable ; parce qu’il ne ressent aucune contrariété, et que le plaisir qui se ressent en ce fond n’est mêlé d’aucune douleur ni goûté dans la partie sensible. — Ce sont les paroles d’Albert le Grand rapportées par Taulere. (Serm. 2. Dim. 3. après la Trinité) Livr. II. Trait. III. Ch. 10. Sect. 8.
Quoique cela soit renfermé dans l’article des Actes, je ne laisserai pas de l’écrire pour ne rien omettre.
La Conversion n’est autre chose que se détourner de la créature pour retourner à Dieu. La conversion n’est pas parfaite (quoiqu’elle soit bonne et nécessaire pour le salut) lorsqu’elle se fait seulement du péché à la grâce. Pour être entière, elle doit se faire du dehors au-dedans. L’âme étant tournée du côté de Dieu, elle a une facilité très grande de demeurer convertie à Dieu. Plus elle demeure convertie, plus elle s’approche de Dieu et s’y attache ; plus elle s’approche de Dieu, plus elle s’éloigne nécessairement de la créature qui est opposée à Dieu. Si bien qu’elle se fortifie si fort dans la conversion 138 qu’elle lui devient habituelle et comme toute naturelle.
Or il faut savoir que cela ne se fait pas par un exercice violent de la créature. Le seul exercice qu’elle peut et doit faire avec la grâce, c’est de se faire effort pour se tourner et se ramasser au-dedans. Après quoi il n’y a plus rien à faire que de demeurer tourné du côté de Dieu dans une (a) adhérence continuelle.
(a) Notez qu’il n’est pas dit de demeurer inutile ; mais d’adhérer continuellement à Dieu sans relâche.
Dieu a une vertu attirante qui presse toujours plus fortement l’âme d’aller à lui ; et en l’attirant, il la purifie : comme l’on voit le soleil attirer à soi une vapeur grossière, et peu à peu, sans autre effort de la part de cette vapeur que de se laisser tirer, le soleil en l’approchant de soi, la subtilise30 et la purifie. Ch. 11. n. 1, 2.Cantique
Le retour (a) de l’Épouse est aussi prompt et sincère que la faute avait été légère et imprévue. Ch. 6. Vs. 12.
(a) Notez qu’en quelque état qu’on soit, lorsqu’on s’est détourné, on a besoin de conversion. 139
1. Voyez Consistance. n.1.
2. Comme il n’est pas possible qu’on soit participant tout à la fois de deux choses extrêmement contraires : aussi (a) ne se peut-il faire que celui qui a quelque participation de l’unité, soit comme divisé et démembré en deux vies, si tant est qu’il conserve et maintienne constamment cette participation qu’il a de l’unité ; c’est pourquoi il ne doit être nullement retenu ni assujetti à pas une des affections par lesquelles l’unité peut être décousue et divisée. * Ce que la doctrine des symboles31 voulant d’une sainte façon donner à entendre sous le voile de ses énigmes, en dépouillant et déchaussant celui qui s’approche du baptême, elle le fait ni plus ni moins que si elle le dépouillait de sa première vie, et comme si elle le détachait et déliait de toutes les affections, voire des dernières et des plus petites qui le pourraient retenir, en le laissant ainsi tenir debout tout nu et déchaussé, le visage tourné vers le Soleil couchant : et par ce repoussement avec les mains qu’elle lui fait faire, il semble qu’elle lui fasse rebuter et rejeter [en] arrière de soi toute la communication qu’il avait avec le vice qui cause les ténèbres en l’âme ; et encore comme souffler et chasser avec le vent de son haleine toutes les mauvaises habitudes des affections vicieuses qu’il avait contractées : et [il] semble de plus qu’elle lui fasse faire profession 140(a) Cause des dépouillements et purifications ; c’est afin de ne tenir à rien qu’à Dieu seul.
* Nudité. n. 1.
de renoncer absolument à tout ce qui est contraire, et qui peut empêcher qu’il ne devienne semblable à Dieu. Ainsi fait, quitte entièrement et dépêtré qu’il est de toute affection vicieuse, on le fait tourner vers l’orient, pour lui donner à entendre que par la fuite entière du vice, il obtiendra un état ferme et assuré, et un regard pur et net en la divine lumière : et après que par l’amour de la vérité il est rendu parfaitement conforme à l’unité, alors on reçoit les saintes promesses et les protestations qu’il fait d’aspirer de toutes ses forces et par une inclination tout entière à cette même unité. Hierarch. Eccles. Ch. 2.
3. Ceci arriva, mon Seigneur, depuis que vous me retîntes par votre bonté afin que je ne commisse plus tant d’offenses contre vous, et lorsque je m’allais retirant de tout ce qui me semblait vous pouvoir donner de l’ennui ; car faisant cela vous commençâtes d’ouvrir et de communiquer vos trésors à votre servante : de sorte qu’il semble que vous n’attendiez autre chose sinon que j’eusse la volonté et la disposition pour les recevoir ; tant vous commençâtes à me les donner promptement et à vouloir encore qu’on sût que vous me faisiez ces grâces. En sa Vie. Ch. 19.
Ils leur apprennent la fin pour laquelle ils ont été créés, et ils ne leur apprennent point 141 assez à jouir de cette fin. Ch. 3. n. 1.
Cette douce dépendance de l’Esprit de Dieu est absolument nécessaire ; et fait que l’âme en peut (a) de temps parvient à la simplicité et unité dans laquelle elle a été créée. Elle a été créée une et simple, comme Dieu. Il faut donc pour parvenir à la fin de notre création, quitter la multiplicité de nos actions, pour entrer dans la simplicité et unité de Dieu. Ch. 21. n. 4.
(a) Ce peu se doit entendre en comparaison de ceux qui ne prennent pas ce chemin, qui n’y arrivent pas en cette vie.
Dieu en nous créant, nous (b) a créés à son image et ressemblance. Il nous inspira l’esprit du Verbe par ce souffle de vie qu’il nous donna lorsque nous fûmes créés à l’image de Dieu, par la participation de cette vie du Verbe, qui est l’image de son Père. Or cette vie est (c) une, pure, simple, intime et toujours féconde. n. 5.
(b) Gen. 1. vs. 27. & 2. vs. 7.
(c) Unité, pureté, simplicité, fécondité : toutes ces opérations sont du Verbe.
L’âme n’arrive à l’union divine que par le repos de sa volonté : et elle ne peut être unie à Dieu, (d) qu’elle ne soit dans un repos central et dans la pureté de sa création. Ch. 21. n. 3.
(d) Ceci doit être entendu de l’union essentielle et du centre, et non de celle des puissances. 142
Ce qu’on souhaite de ces âmes, c’est qu’elles avancent fers leur fin, qu’elles prennent le chemin le plus court et le plus facile, qu’elles ne s’arrêtent pas au premier lieu ; et que suivant le conseil de S. Paul, (a) elles se laissent mouvoir à l’Esprit de la grâce qui les conduira à la fin pour laquelle elles ont été créées, qui est de jouir de Dieu. Là même. n. 9.
(a) Rom. 8. Vs.
C’est une chose étrange, que n’ignorant pas qu’on n’est créé que pour cela, et que toute âme qui ne parviendra pas dès cette vie à l’union divine et à la pureté de sa création, doit brûler longtemps dans le purgatoire pour acquérir cette pureté ; et qu’on ne puisse néanmoins souffrir que Dieu y conduise dès cette vie. Comme si ce qui doit faire la perfection de la gloire devait causer du mal et de l’imperfection dans cette vie mortelle. n.10.
Nul n’ignore que le Bien souverain est Dieu ; que la béatitude essentielle consiste dans l’union à Dieu ; que les Saints sont plus ou moins grands, selon que cette union est plus ou moins parfaite ; et que cette union ne se peut faire dans l’âme par nulle propre activité, puisque Dieu ne se communique à l’âme qu’autant que sa capacité passive est grande, noble et étendue. n. 11. 143
Comme Dieu possède ici toute l’âme sans interruption, c’est ce qui fait la différence de l’union à Dieu même, avec les autres unions ; en ce que dans les unions avec les êtres créés, l’objet ne se peut posséder que pour des moments ; à cause que les créatures sont hors de nous : mais la jouissance de Dieu est permanente et durable, parce qu’elle est au-dedans de nous-mêmes ; et que Dieu étant notre dernière fin, l’âme peut sans cesse s’écouler dans lui comme dans son terme et son centre, et y être mêlée et transformée, sans en ressortir jamais (a) ; ainsi qu’un fleuve, qui est une eau sortie de la mer, et très distincte de la mer, se trouvant hors de son origine, tâche par diverses agitations de se rapprocher de la mer ; jusqu’à ce qu’y étant enfin retombé, il se perde et se mélange avec elle, ainsi qu’il y était perdu et mêlé avant que d’en sortir ; et il ne peut plus être distingué.
(a) C’est-à-dire à moins qu’elle ne déchoie et soit rejetée de Dieu.
Il faut encore observer que Dieu nous a donné, en nous créant, une participation de son être, propre à être réunie à lui ; et 144 en même temps une tendance à cette réunion. Ch. 1. vs. 1.
Notre lit ; ajoute-t-elle, ce fond où vous habitez en moi, que j’appelle nôtre pour vous inviter à y venir m’y donner ce baiser nuptial que je vous demandai d’abord, et qui est ma fin ; notre lit, dis-je, est préparé et orné par les fleurs de mille vertus. Ch. 1. vs. 15.
Son âme se fondit et se liquéfia dès que son Bien-aimé eut parlé ; et par cette liquéfaction elle perdit ses qualités dures et rétrécies, qui empêchaient la consommation du mariage spirituel : en sorte que par-là elle fut toute disposée à s’écouler dans son origine. Ch. 5. vs. 6.
Vous êtes si fort à votre Bien-aimé, ô Epouse, que rien ne vous empêche de vous perdre en lui ; depuis que vous avez été toute fondue par la chaleur de son amour, vous avez été disposée à vous écouler en lui, comme dans votre fin. Ch.6. vs. 2.
Dès que l’âme commence de recouler32 en son Dieu comme dans un fleuve dans son origine, elle doit être toute perdue et abîmée en lui. Là même. vs. 4.Cette âme est unique, parce qu’elle est réduite en Dieu dans l’unité parfaite de son origine. Elle est très parfaire, mais des perfections de Dieu même, et parce qu’elle est 145 exempte de toute propriété, et dégagée de sa nature dure, rétrécie et bornée, dès que par son recoulement33 entier elle est entrée dans l’innocence de Dieu. vs. 8.Je vous ai ressuscitée sous un pommier. Je vous ai tirée du sommeil de la mort mystique, vous retirant de vous-même, de votre propre corruption, et de l’être corrompu et bâté que votre mère vous avait communiqué par son péché : car toutes les opérations de Dieu dans l’âme ne tendent qu’à deux choses : l’une, de la délivrer de sa malice actuelle, et de la malignité de sa nature corrompue : l’autre, de la rendre à son Dieu aussi pure et nette qu’elle l’était avant qu’Ève se fût laissé séduire.
Ève dans son innocence appartenant à Dieu sans nulle propriété : mais elle se laissa violer34, se retirant de son Dieu pour se prostituer au Démon : de sorte que nous avons tous participé au malheur de cette prostitution. Nous venons au monde comme des enfants illégitimes, qui n’ont plus de trace de leur véritable père ; et ils ne peuvent être reconnus comme appartenant à Dieu qu’ils ne soient légitimés par le baptême. Mais quoiqu’ils le soient, ils ne laissent pas de tenir quelque chose de cette malheureuse fornication. Il leur en reste une qualité maligne et 146 opposée à Dieu, jusqu’à ce que Dieu par de longues, fortes et fréquentes opérations, ait ôté cette qualité maligne (a), tirant l’âme d’elle-même lui ôtant toute son infection, lui redonnant une grâce d’innocence, et la perdant en lui : c’est ce qu’il appelle la ressusciter innocente du même lieu où sa mère qui est la nature humaine, fut corrompue. Ch. 8. vs. 5.(a) Propriété : partie propre maligne.
1. Ce Rocher si beau et si vaste a néanmoins très peu d’habitants. Mais l’intention de Dieu n’était pas qu’il en eût si peu. Sachez, que là est la porte qui conduit à l’origine d’où sont sorties toutes les créatures du ciel et de la terre.
Mais d’où vient que ces hommes si faibles au dehors, paraissent au-dedans brillants comme des Anges ?
C’est qu’ils se sont affaiblis en montant si haut et qu’il n’est pas resté en eux la moindre particule de sang ou de moelle qui n’ait été desséchée. — Ils ne subsistent en vie que par un sang pur et chaste qui a été mis en la place par celui pour l’amour duquel tout leur sang naturel et impur a été consumé. Des neuf Roches. Ch. 31.
2. Voyez Communications. §. II. n. 2.
3. Cette Épouse de Jésus-Christ, pour faire voir 147 comme se fait l’anéantissement de l’homme en Dieu, disait : Prends un pain et le mange ; après que tu l’auras mangé, sa substance va en nourriture et le reste en excréments que la nature jette dehors comme une chose inutile et pernicieuse au corps. Or si ce pain te disait : Pourquoi m’ôtes-tu mon être, puisque de ma nature je ne suis pas content d’être ainsi anéanti ; et si je pouvais me défendre de toi, je me défendrais pour me conserver l’être qui est naturel à toute créature ; tu lui répondrais35 : Pain, ton être est ordonné pour sustenter mon corps qui est plus digne que toi, et tu dois être plus content de la fin pour laquelle tu es créé que de ton être propre : parce que ton être ne serait point estimable si ce n’était à cause de ta fin. C’est ce qui te donne une dignité à laquelle tu ne peux parvenir que par le moyen de ton anéantissement. Donc, si tu ne vis que pour parvenir à ta fin, tu ne te soucieras point de ton être, mais tu diras : Tirez-moi promptement de mon être, et me mettez dans l’opération de la fin pour laquelle j’ai été créé. Vie Ch. 31.4. Voyez Anéantissement. n. 14.
5. Quand Dieu a purifié l’esprit des imperfections contractées par le péché originel et actuel, l’esprit alors est tiré, et s’en va au lieu pour lequel il a été créé ; parce que se trouvant si beau, si net, si digne et si excellent, il ne peut plus trouver de lieu qui lui soit propre et convenable que Dieu même qui l’a créé à son image et semblance, à laquelle il a une telle conformité et une si grande inclination, que s’il ne se pouvait transformer et demeurer en lui, tout autre lieu lui serait un enfer. L’esprit étant réduit et ramené en son être propre de pureté avec Dieu et étant encore vivant, devient une chose si subtile et si petite que l’homme ne la connaît et ne l’entend pas ; il est comme une goutte d’eau jetée en la mer, laquelle étant cherchée ne peut être trouvée autre chose que la mer. Car l’esprit étant réduit à son être propre, et perdu en Dieu, n’est plus autre chose que Dieu même par participation. — On ne peut parler de cette dernière perfection, parce que toutes les paroles, figures et exemples ne seraient que confusion et faussetés, n’y ayant aucune proportion. On peut dire seulement que l’âme qui se trouve en cet état est dès cette vie dans un profond contentement sans saveur qui participe avec les Bienheureux. Vie Chap. 35.
6. L’âme répète deux fois ce vers (ma maison était en repos) en ce Cantique et au précédent, à raison de ces deux parties de l’âme, spirituelle et sensitive, lesquelles afin de parvenir à la divine union d’amour doivent être premièrement réformées, ordonnées et acoisées36 touchant le sensible et le spirituel, à la façon de l’état d’innocence qui était en Adam ; encore qu’elle ne soit du tout libre des tentations de la partie inférieure : et ainsi ce vers qui au premier Cantique s’entendait du repos de la partie inférieure et sensitive, se prend particulièrement en ce second, de la supérieure et spirituelle : car pour ce sujet elle le répète deux fois. Obscure Nuit Livr. II Ch. 24.7. En disant, suçant les mamelles de ma mère ; elle veut dire, suçant, desséchant et éteignant en moi les appétits et passions qui sont les mamelles et le lait de notre mère Ève en notre chair ; lesquels sont un empêchement pour cet état ; et ainsi cela étant fait que je te trouve seul dehors, 149 c’est-à-dire, hors de toutes choses et de moi-même en solitude et nudité d’esprit, ce qui arrive les appétits susdits étant sucés, c’est-à-dire desséchés, et que là seule je te baise seul, c’est-à-dire, que ma nature déjà seule et dénuée de toute impureté temporelle, naturelle et spirituelle fût unie avec toi seul, c’est-à-dire avec ta seule nature sans aucun autre moyen hors de l’amour : ce qui se trouve seulement dans le mariage spirituel, qui est le baiser que l’âme donne à Dieu, où37 étant, personne ne la déprise38 ni l’ose attaquer d’autant qu’en cet état ni Diable, ni chair, ni monde, ni appétits, ne l’importunent, vu qu’il s’accomplit ici ce qui est dit dans le Cantique ; (a) Déjà l’hiver est passé, la pluie s’en est allée et retirée, les fleurs ont paru. Cantique entre l’Épouse et l’Époux. Coupl. 28.(a) Ch. 2. vs. 11, 12.
8. Parce que ta mère, la nature humaine, fut violée39 en ses premiers parents sous l’arbre, là aussi sous l’arbre de la Croix tu as été réparée. Coupl. 29.9. Ainsi cette partie sensitive avec toutes ses puissances (b) forces et faiblesses en cet état, est déjà soumise à l’esprit : d’où vient qu’il y a là une vie heureuse, semblable à celle de l’état d’innocence, où toute l’harmonie et habilité40 de la partie sensitive de l’homme lui servait pour une plus grande récréation41, et une plus grande aide de connaissance et d’amour de Dieu en paix et concorde avec la partie supérieure. Heureuse l’âme qui parviendra à cet état ! Mais qui est celui-là, et nous le louerons, parce qu’il a fait des merveilles en sa vie.Ce couplet a été mis ici pour donner à entendre la paix tranquille et assurée de l’âme qui arrive 150
(b) Notez forces et faiblesses.
à ce haut état, non pour faire croire, que ce désir que montre ici l’âme que ces nymphes soient acoisées, comme il a été déclaré, soit pour ce qu’elle en est travaillée, car elles sont déjà apaisées, comme il a été dit ; vu que ce désir est plutôt des profitants42 que des parfaits, dans lesquels les passions et les mouvements règnent peu ou point du tout. Là même. Coupl. 32.10. La fin pour laquelle l’âme désirait entrer dans ces cavernes, c’était pour parvenir entièrement et parfaitement, au moins autant que le permet l’état de cette vie, à ce qu’elle avait toujours prétendu, savoir à l’entier et parfait amour qui est donné en cette communication ; et aussi pour obtenir parfaitement, quant au spirituel, la rectitude et netteté de l’état de la justice originelle : et ainsi en ce couplet elle dit deux choses ; l’une, qu’il lui montrerait là, c’est à savoir en cette transformation de notices43, ce que son âme prétendait en tous ses actes et intentions, qui est de lui montrer parfaitement à aimer (a) son Époux comme il s’aime soi-même, avec les autres choses qu’elle déclare au Cantique suivant. La seconde est, que là il lui donnerait aussi la pureté et netteté qu’il lui donna dans l’état de la justice originelle en ses premiers parents, ou bien, qu’il lui donna au jour du baptême, achevant de la nettoyer de toutes ses imperfections et ténèbres comme elle l’était lors. Coupl. 38.(a) Pur amour. L’âme apprend à aimer son Epoux du même amour dont il s’aime soi-même.
11. Cela n’arrive pas de la sorte, sans que Dieu ait donné à l’âme dans ledit état de transformation une grande pureté, telle qu’a été celle de l’état d’innocence ou du baptême, laquelle aussi l’âme dit que l’Époux lui devait donner aussitôt en la même transformation : 151
O vie, vous me donnerez
Ce que déjà d’un pur amour
Vous me donnâtes l’autre jour.
Elle appelle l’autre jour l’état de la justice originelle, et le jour du baptême, auquel l’âme reçoit la pureté qu’elle dit qu’on lui donnera en cette union d’amour, parce que, comme nous avons dit, l’âme arrive jusque-là en cet état de perfection. Là même.
rapporte
12. S. Ambroise sur ce passage du Cantique : (a) j’ai ôté ma tunique, comment est-ce que je la mettrai ? j’ai lavé mes pieds, comment est-ce que je les gâterai ? Elle ne sait pas comment elle pourra prendre l’habit du vieil homme entretissu44 des vices de l’erreur, qui a été laissé dans le lavoir de la régénération ; car par l’étude de la correction, l’oubli des péchés est déjà enraciné en elle : la force d’un amendement consommé est si grande que l’âme revient dans l’âge d’une enfance spirituelle, qui ignore les voies de l’erreur et qui ne puisse (b) admettre le crime, quand même elle le voudrait, parce qu’elle a perdu l’habitude de connaître l’usage du péché. (Serm. 22. Sur le Ps. 118.) Eclaircissement sur J. de la Croix. Chap. 12. §. 2.(a) Chap. 5. Vs. 3.
(b) C’est-à-dire qu’elle est si confirmée dans le bien, que difficilement elle peut pécher.
13. Albert le Grand. D’autant plus que tu seras dénué des fantômes de toutes les choses mondaines et créées, et que par la bonne volonté tu seras uni en esprit à Dieu, tant plus tu approches de l’état d’innocence et de perfection. (De l’attachement à Dieu. Ch. 8.) Là même. §. 3.
14. Nous sommes donc créés pour retourner et refluer en notre infini Amour activement, ardemment, incomparablement, purement et sans cesse ; par le moyen de son amour actif et fortement efficace en nous, et non autrement : et tout cela selon l’ordre et l’effet de son amour en nous, et du nôtre respectivement en lui. Pour cet effet il faut frayer45 et dépenser tout le nôtre amoureusement : Car nous ne pourrions jamais avoir rien fait ni donné, qui puisse ou doive récompenser et satisfaire à notre Amour infini, devant lequel toute créature est menteuse, et en comparaison duquel l’homme n’est rien du tout. Miroir et flammes de l’amour divin. Ch. 5.15. Je suis arrivé en toi jusques ici, ma fille et mon Epouse, au dernier point de suprême satisfaction. J’étais avidement désireux de te consommer en moi, jusqu’à te faire mourir si doucement entre mes bras dans l’étendue infinie de mon Essence et de mon Amour. C’est pour cela que je te tiens si doucement serrée en la douce et amoureuse violence de mes embrassements, afin que par cet amour également actif entre nous deux, tu sois enfin rendue pleine et jouissante de moi en moi, et de tout ce que je suis. Tu es donc totalement transformée en moi par-dessus tout degré d’amour transformant, puisque tu as atteint ton essence originaire que je suis, en qui tu vivras et résideras comme moi-même, sans distinction (a) ni différence, autant qu’il est possible : car je suis ton repos, ton entière félicité et ton total Paradis. Soliloque. Vs. 6.
(a) Union sans distinction : c’est la transformation parfaite.
16. Quoique dans la première création, si nous 153 n’eussions point péché, nous eussions toujours été saints, justes et innocents ; ce que nous ne sommes pas maintenant, ainsi que la foi et l’expérience nous le font connaître ; néanmoins notre présent état est meilleur s’il nous est permis d’envisager notre intérêt. —
Comment les Anges ne défaillent-ils pas sur l’aspect d’un si prodigieux amour que le vôtre, ô mon Dieu, à l’endroit des pauvres hommes tombés en la puissance des Diables ? C’est, ô Dieu éternel, ce que nous étions devenus, et ce que nous sommes à présent en vous, notre amoureux Réparateur46 ; mais à vos propres coûts et infinis dépens, et par des moyens très surnaturels et ineffables. Contemplat. 5. 17. Il nous faut tendre par un continuel reflux en notre mer éternelle et originelle, sans que le créé nous en puisse empêcher pour peu que ce soit. — C’est pour cela que nous sommes nés ; c’est de quoi nous vivons ; c’est par cet exercice que nous nous perdons en l’abîme de notre vie totale (a), auquel nous désirons toujours nous plonger de plus en plus sans aucun retour. Lettres 20.
(a) Perte totale sans retour.
18. Nous avons perdu un de nos plus intimes amis : mais il faut que nous préférions son bien infini au nôtre. — Étant replongé comme il était dans son origine, il savait combien tout emploi d’ici-bas est peu de chose : c’est pourquoi il désirait passionnément et en profonde résignation la dissolution de son corps. — Sa sainteté ne se peut concevoir ni exprimer : elle consistait en sa totale refusion47 et perte inconnue dedans le vaste infini de son origine, d’où le flux et le reflux était émerveillable48 en notions et manifestations mystiques et très intellectuelles, qui recoulaient incessamment en guise d’un gros fleuve en toute sa mer. Lette 35.
Sitôt que l’âme est tombée en quelque défaut, ou que l’on s’est égaré, il faut se tourner au-dedans : parce que cette faute ayant détourné de Dieu, on doit au plus tôt se tourner vers lui, et souffrir la pénitence qu’il impose lui-même.
Il est de grande conséquence de ne point s’inquiéter pour les défauts ; parce que l’inquiétude ne vient que d’un orgueil secret, et d’un amour de notre excellence. Nous avons peine à sentir ce que nous sommes.
Si nous nous décourageons, nous nous affaiblissons davantage ; et la réflexion que nous faisons sur nos (a) fautes produit un chagrin qui est pire que la faute même. Une âme véritablement humble ne s’étonne point de ses (a) faiblesses ; et plus elle se voit misérable, plus elle s’abandonne à Dieu, et tâche de se tenir auprès de lui, voyant le besoin qu’elle a de son secours. Nous devons d’autant plus tenir cette conduite, que Dieu nous 155
(a) Notez qu’il est dit faiblesses et défauts.
dit lui-même : (a) Je vous ferai entendre tout ce que vous devez faire. Je vous enseignerai le chemin par lequel vous devez marcher, et j’aurai sans cesse l’œil sur vous pour vous conduire. Ch. 18.
(a) Ps. 31. vs. 8
Comme les plus grandes grâces de Dieu tendent (a) toujours à la connaissance plus profonde de ce que nous sommes, et qu’elles ne seraient pas de lui, si elles ne donnaient, selon leur degré, une certaine expérience de la misère de la créature, cette âme ne sort qu’à peine des celliers de son Époux, qu’elle se trouve noire. Quelle est votre noirceur, ô incomparable Amante ? Dites-le nous : nous vous en conjurons. Je suis noire, dit-elle, parce que j’aperçois à la faveur de mon divin Soleil quantité de défauts que j’avais ignorés jusqu’à présent : je suis noire parce que je ne suis point purifiée de ma propriété.
Mais cependant je ne laisse pas d’être belle, et belle comme les tentes de Cedar : parce que cette connaissance expérimentale de ce que je suis plaît extrêmement à mon Époux. — Je suis belle ; parce que n’ayant point de tache 156
(a) Ceci se verra dans l’article de la vraie humilité.
(a) volontaire, mon Epoux me rend belle de sa beauté. Plus je suis noire à mes yeux, plus je suis belle en lui.
Je suis encore noire par les croix et les persécutions qui me viennent du dehors : mais je suis belle comme les pavillons de Salomon ; puisque ces croix et cette noirceur me rendent semblable à lui.
Je suis noire, parce qu’il paraît des faiblesses dans mon extérieur : mais je suis belle, parce que je suis exempte de malice. Ch. 1. vs. 4.
(a) Notez, volontaire.
Je vous vous autres mes compagnes, qui n’êtes pas encore arrivées si avant dans l’intérieur, vous qui n’êtes que dans les premiers pas de la vie spirituelle, ne jugez pas de moi par la couleur brune que je porte au dehors, ni par tous mes (b) défauts extérieurs, 157
(b) Pour comprendre ceci, il faut savoir qu’après que les premiers goûts qui avaient comme essuyé les défauts, sont passés, ces défauts n’étaient qu’assoupis et nullement morts, l’onction de la grâce tenant l’âme confite en douceur : mais lorsque Dieu veut purifier le fond, il permet que ces mêmes défauts qui étaient vraiment dans l’âme, quoique couverts de la douceur de la grâce, paraissent lorsque cette onction se dessèche : alors cette âme qui se croyait déjà toute divine et ne toucher plus à la terre, se trouve toute redevenue naturelle, toute appesantie. Cela lui était nécessaire pour l’enfoncer en Dieu en 157 l’éloignant de l’amour de soi-même. Mais comme il ne faut jamais se mettre de soi-même dans ce dessèchement que S. Jean de la Croix appelle Nuit, elle dit à ses compagnes, qu’elles ne doivent ni se scandaliser de ses défauts qui sont involontaires et pour son humiliation, ni aussi vouloir l’imiter en ne travaillant pas de toutes leurs forces à détruire les leurs qui sont réels et volontaires.
(a) Notez qu’elle dit : ne m’imitez pas en cela. On ne met dans pas tout le monde dans les états avancés puisque l’on en précautionne.
soit réels, ou apparents ; car cela ne vient pas comme aux âmes commençantes, faute d’amour et de courage : mais c’est que mon divin Soleil, par ses regards continuels, ardents et brûlants, m’a décolorée. Il m’a ôté ma couleur naturelle, pour ne me laisser que celle que son ardeur me veut donner. C’est la force de l’amour qui me sèche la peau et la brunit ; et non pas l’éloignement de l’amour. Cette noirceur est un avancement, et non pas un défaut ; mais un avancement que vous ne devez pas considérer, vous qui êtes encore jeunes, et trop tendres pour (a) l’imiter ; parce que la noirceur que vous vous donneriez serait un défaut : elle ne doit venir, pour être bonne, que du Soleil de justice, qui pour sa gloire et pour le plus grand bien de l’âme, mange et dévore cette couleur éclatante du dehors laquelle l’aveuglait elle-même, quoiqu’elle la rendît admirable aux 158
autres, au préjudice de la gloire du l’Époux.
Mes frères me voyant noire de la sorte, m’ont voulu obliger à reprendre la vie active, et à garder les dehors sans m’appliquer à faire mourir les passions du dedans : J’ai longtemps combattu avec eux ; mais enfin ne pouvant leur résister, j’ai fait ce qu’ils ont voulu : et en m’appliquant au dehors, à des choses qui me sont étrangères, je n’ai pas gardé ma vigne, qui est mon fond, où mon Dieu habite. C’est là ma seule affaire et la seule vigne que je dois garder : et lorsque je n’ai pas gardé la mienne, lorsque je ne me suis pas rendue attentive à mon Dieu, j’ai encore moins gardé les autres. C’est le tourment qu’on fait d’ordinaire aux âmes, lorsqu’on voit que la grande occupation du dedans fait négliger en quelque chose le dehors ; et qu’à cause de cela l’âme toute renfermée au-dedans ne peut plus s’appliquer à certains petits défauts que l’Epoux corrigera en un autre temps. Là même. vs. 5.
L’Amante fidèle prie l’Époux d’ôter les petits renards (a) qui sont quantité de petits 159
(a) les renards sont l’impuissance où elle est mise de la pratique des bonnes œuvres extérieures qu’elle faisait autrefois, et l’expérience de ses défauts. Cela est tellement nécessaire pour purifier l’âme de 159 l’attache qu’elle a à se propres œuvres, et lui faire connaître la dépendance où elle doit être de la grâce, que sans cela elle serait toujours propriétaire, et elle resterait enfoncée en elle-même, comme on le verra lorsqu’il sera parlé de la Propriété et de la Purification.
défauts, lesquels commencent à paraître ; parce qu’ils gâtent cette vigne intérieure, qui est, dit-elle, fleurie : et c’est ce qui rend cette vigne plus agréable, et qui fait qu’elle l’aime davantage, espérant d’en avoir bientôt le fruit.
Que ferez-vous, pauvre âme, pour abandonner cette vigne à laquelle vous êtes attachée sans le49 connaître ? Ah, le Maître y mettra lui-même de petits renards qui la ravageront et en abattront les fleurs, et y feront un étrange dégât. S’il n’en usait de la sorte, vous êtes si amoureuse de vous-même, que vous n’en sortiriez jamais. Chap. 2. vs. 15.Ceci est rapportant à ce qui a été écrit de l’examen dans l’article de Confession et à ce qui s’écrira de la Propriété, c’est pourquoi il y a peu de chose à mettre.
1. Elle perdit toute espérance d’elle-même, estimant la partie propre de l’homme comme 160 du tout incurable ; et ne voulut plus perdre de temps pour y penser ni pour chercher quelque remède : mais elle mit toute sa confiance en Dieu son Amour, et lui dit : Seigneur, je vous fais un présent de moi-même ; parce que je ne sais plus ce que je dois faire, n’étant propre de moi-même qu’à faire de moi un Enfer. C’est pourquoi, Seigneur, je voudrais bien faire un échange avec vous, et vous donner mon être malin entre les mains, parce que vous seul le pouvez cacher et engloutir en votre bonté ; et que vous me donnassiez votre amour pur et net, qui éteigne en moi tout autre amour, me fasse tout anéantir en vous, et me tienne si occupée en vous, qu’autre chose ne puisse demeurer en moi. À quoi son très doux Seigneur répondit qu’il en était content. En ce moment sa propre malignité lui fut ôtée de la mémoire, en sorte qu’elle ne s’en souvint plus. Dialog. Livr. 1. Ch. 12.
2. Voyez Purification. n. 28.
3. S’il survient à cette âme quelque soupçon de péché, elle n’a point de repos jusqu’à ce que son esprit en soit délivré et satisfait. L’âme qui vit en cette amoureuse paix, ne peut demeurer en trouble ni avec soi ni avec les autres. Que si par permission de Dieu il arrive que tels esprits habitués en l’amour divin soient troublés, ils sont presque insupportables ; parce qu’ils sont hors du paradis tranquille où ils habitent : et si Dieu ne les remettait dans leur état accoutumé, il serait presque impossible qu’ils pussent vivre. Livr. 3. Chap. 8.
4. Cela m’arriva quand je procurais50 que les autres s’adonnassent à l’oraison, comme j’ai déjà dit ; et pour ce sujet j’y suis savante à mes dépens : 161 parce que comme d’un côté elles m’entendaient dire de grandes choses du bien signalé qu’il y a de faire oraison, et que d’autre part elles me voyaient si dénuée de vertus ; elles étaient tentées et troublées de ce qu’étant telle, je me mêlais d’oraison : et avec beaucoup de sujet ; d’autant que, comme elles me l’ont dit depuis, elles ne savaient comment l’un pouvait compatir51 avec l’autre. Et j’étais cause que croyant quelque bien de moi, elles ne tenaient point pour mal ce qui l’était en effet, parce que je le faisais quelquefois. Et le Diable fait ceci ; car il semble qu’il se sert des vertus que nous avons pour autoriser, en ce qu’il peut, le mal qu’il prétend : ce qui est fort dommageable dans une Communauté, pour léger que cela soit. Combien plus pernicieux devait être ce que je faisais, vu que le mal était si grand ? D’où vient qu’en plusieurs années il n’y en a eu seulement que trois qui ont tiré du profit de ce que je leur disais : mais depuis que Notre Seigneur m’eut donné les vertus, plusieurs en profitèrent en deux ou trois années comme je dirai ci-après. Vie Ch. 13.5. Or commençant à quitter les occasions et m’adonnant davantage à l’oraison, sa divine Majesté commença à me faire des grâces ; en quoi elle semblait ne désirer autre chose sinon que je voulusse les recevoir : elle me donnait (a) fort ordinairement l’oraison de quiétude, et souvent celle d’union qui durait longtemps. Vie Ch. 23.
(a) Notez qu’elle avait des défauts considérables quoiqu’elle eût l’oraison de quiétude et d’union.
6. Je demeurai quelque temps dans cette peine et agitation d’esprit, jusqu’à ce qu’après une forte batterie52 que j’endurai intérieurement, accompagnée de crainte, je me résolus de traiter avec une 162 personne spirituelle, pour apprendre d’elle quelle était mon oraison, et pour trouver de la lumière dans le chemin que je tenais, si tant est que je fusse égarée, et pour faire tout mon possible afin de ne point offenser Dieu ; car la faiblesse que je voyais en moi, comme j’ai dit, me faisait être si timide.O Mon Dieu quelle grande tromperie, que désirant d’être bonne je me retirasse du bien ! Le Diable doit faire ici de grands efforts au commencement de la vertu : car je ne pouvais gagner cela sur moi-même : il sait bien que tout le remède d’une âme, c’est de traiter avec les amis de Dieu ; à quoi je ne trouvais aucun moyen de me résoudre. J’attendais que je me fusse auparavant amendée, comme quand je quittai l’oraison : et possible que je ne l’eusse jamais fait ; parce que j’étais plongée si avant dans de petites choses de mauvaise coutume, lesquelles je ne pouvais me persuader d’être pernicieuses, que j’avais besoin d’aide et qu’on me tendît la main pour m’en retirer. Notre Seigneur soit béni : car enfin ce fut lui qui vint le premier à mon secours. Vie Ch. 23.
7. Ne pensez pas aussi que bien que ces âmes aient de si grands désirs et de telles résolutions de ne faire aucune imperfection pour quelque chose que ce soit elles n’en commettent plusieurs et même des péchés, non pas toutefois avec advertance ; car Notre Seigneur les assiste spécialement pour cet effet. Or quand je parle de péchés, j’entends seulement les véniels ; d’autant que pour les mortels, à ce qu’elles peuvent entendre, elles en sont libres. Chat. VII. Dem. Ch. 4.
8. Quant au doute qu’on peut former ici, à savoir, puisque les choses de Dieu font d’elles-163 — mêmes du bien à l’âme, la gagnent et l’assurent, pourquoi est-ce qu’en cette nuit, Dieu lui obscurcit les appétits et les puissances, voire même à l’égard des choses bonnes, de manière qu’elle n’en peut non plus jouir ni les pratiquer que les autres, et encore moins en quelque façon ? Je réponds qu’alors le vide de son opération et de son goût, même touchant les choses spirituelles, lui est fort convenable ; parce qu’elle a les puissances et les appétits bas et impurs ; et ainsi encore qu’on donnât à ces puissances le goût et la communication des choses surnaturelles et divines, elles ne le pourraient recevoir que bassement : car comme dit le Philosophe53, tout ce qui est reçu est en celui qui le reçoit selon sa façon et sa disposition à le recevoir. D’où vient (a) qu’à cause que ces puissances naturelles n’ont ni pureté, ni force, ni suffisance pour recevoir et goûter les choses surnaturelles à leur manière qui est divine, mais seulement à la leur ; il faut qu’elles soient aussi obscurcies touchant ces choses divines pour faire une purgation parfaite, afin qu’étant sevrées, purgées et anéanties de ce côté-là, elles perdent cette façon basse d’opérer et de recevoir, et qu’ainsi toutes les puissances et appétits de l’âme viennent à demeurer disposées et attrempées54 pour recevoir, sentir et goûter hautement ce qui est divin ; ce qui ne peut être, si premièrement le vieil homme ne meurt. D’où vient que tout ce qui est spirituel, s’il ne dérive d’en haut, communiqué du Père des lumières à l’arbitre et appétit humain, en quelque façon que s’exerce le goût 164(a) Ce sont les raisons pour lesquelles Dieu ôte cette douleur éclatante du dehors, et met de petits renards, qui sont les impuissances susdites.
et appétit de l’homme avec ses puissances en Dieu, et qu’il leur semble de le goûter, néanmoins ils ne le goûtent point en cette manière divine et parfaite. À ce propos, si c’en était le lieu, nous pourrions montrer ici comme il y a plusieurs personnes qui ont des goûts, des affections et des opérations de leurs puissances touchant Dieu et les choses spirituelles, qui peut-être pensent que cela est surnaturel et spirituel ; et possible55 ce n’est que des actes et appétits très naturels et humains. Car comme elles les ont en toutes autres choses, elles les ont encore avec le même tempérament en celles-ci qui sont bonnes, et par une certaine facilité naturelle qu’elles ont d’émouvoir leur appétit et leurs puissances à quelque chose que ce soit. Si nous trouvons l’occasion en ce qui reste, peut-être nous en traiterons. — Il suffit de savoir ici, qu’afin que les actes et mouvements intérieurs de l’âme puissent venir à être mus de Dieu hautement et divinement, ils doivent premièrement être endormis, obscurcis et acoisés56 dans le naturel touchant toute leur habileté et opération jusqu’à ce qu’elle défaille.Donc, ô âme spirituelle, quand vous verrez votre appétit obscurci, vos affections sèches et resserrées, vos puissances inhabilitées57 à tout exercice intérieur, ne vous souciez pas de cela ; au contraire, tenez-le pour un bonheur, puisque Dieu va vous délivrant de vous-même, vous ôtant des mains les facultés avec lesquelles vous n’eussiez su opérer si entièrement, si parfaitement ni si sûrement, à cause de leur impureté et de leur pesanteur, comme à présent que Dieu vous prenant par la main vous conduit en ténèbres comme aveugle, où et par où vous ne savez et jamais n’eussiez trouvé le moyen de cheminer, quelque 165 bon pied et bon œil que vous eussiez.La raison aussi pourquoi l’âme non seulement marche sûrement quand elle est en ces ténèbres, mais aussi avec le plus de gain et de profit, c’est parce que communément (a) quand l’âme de nouveau reçoit quelque mélioration58 et qu’elle va profitant, c’est par où elle entend et pense le moins ; au contraire par où elle voit fort ordinairement qu’elle se perd. Car n’ayant jamais expérimenté cette nouveauté qui l’éblouit et la fait égarer de sa première façon de procéder, elle croit plutôt être perdue, que profiter et être en bonne voie ; comme elle voit qu’elle se perd touchant ce qu’elle savait et goûtait, et qu’on la mène par où elle ne sait et ne goûte : de même que le voyageur lequel pour aller à des terres étrangères et inconnues va par de nouveaux chemins inconnus dont il n’a l’expérience, sur la parole d’autrui, et non sur ce qu’il en savait, (car il est évident qu’il ne pourrait jamais arriver à des terres inconnues que par des chemins nouveaux et inconnus et laissant ceux qu’il savait.) Aussi l’âme en cette façon quand elle va profitant davantage elle marche en obscurité et sans 166 savoir. Obscure nuit. Liv. 2. Ch. 16.(a) Dieu donne les vertus par l’expérience de leur contraire : par exemple, la foi est rendue plus pure par les tentations contre la foi ; parce que les tourments que l’âme souffre en ces choses l’affermissent en cela même om elle se trouve plus contrariée, à cause de la fermeté avec laquelle elle se tient attachée à Dieu dans les tempêtes qui s’élèvent au dehors (sa volonté et son affection en étant entièrement éloignées), et s’attache d’autant plus à Dieu que la contrariété qu’elle éprouve l’afflige davantage, comme il sera vu aux Tentations.
9. Quand l’âme dit en ténèbres et en cachette, c’est-à-dire qu’en tant qu’elle allait à l’obscur à la manière que nous avons dit, elle était couverte et cachée du Diable, de ses (a) ruses et de ses embûches. * Or la cause pour laquelle l’âme en l’obscurité de cette contemplation va libre (b) et exempte des embûches du Diable, c’est parce que la contemplation infuse qu’elle a ici, se verse passivement et secrètement dans l’âme à l’écart et au-dessus des sens et puissances tant intérieures qu’extérieures de la partie sensitive. Et de là vient que non seulement elle est cachée et libre de l’empêchement que ces puissances lui peuvent apporter avec leur naturel et leurs faiblesses ; mais aussi du Diable, lequel, si ce n’est pas le moyen de ces puissances sensitives, ne peut pénétrer ni connaître ce qui est dans l’âme ni ce qui s’y passe. — Alors comme le Diable voit qu’il ne peut les atteindre et contredire au fond de l’âme, il fait tout ce qu’il peut pour troubler et soulever la partie sensitive, qui est celle où il peut atteindre. —
Toutefois bien souvent quand la communication de telle contemplation saisit purement l’esprit et exerce sa force en lui, toute la diligence dont le Diable se sert pour l’empêcher ne lui profite de rien ; tant s’en faut, l’âme reçoit alors un nouvel amour et utilité59 avec une paix plus assurée. Car en sentant la séditieuse présence de l’ennemi, chose admirable que sans savoir comme cela 167(a) Il n’y a point de tromperies par la voie de la foi, comme par celle des sentiments ou visions.
(b) La contemplation est libre et exempte des embûches du Diable.
* Infusions. n. 5.
cela se fait, elle entre plus avant dans le fond intérieur, sentant fort bien qu’elle se met en un certain refuge, où elle se voit être plus éloignée et plus cachée de l’ennemi ; et ainsi la paix et la jouissance que le Diable veut ôter, lui sont augmentées : et pour lors toute cette vanité lui tombe seulement au dehors, ce qu’elle connaît clairement et se va réjouissant de posséder si sûrement cette tranquille paix et saveur de l’Époux en cachette, que le monde ni le Diable ne peut donner ni ôter, l’âme sentant à ce propos la vérité de ce que l’Épouse dit dans le cantique. (a) Voyez que le Lit de Salomon est environné de soixante forts à cause des frayeurs nocturnes : et elle sent cette paix et cette force, encore que souvent elle sente la chair et les os être tourmentés au-dehors. Là même. Ch. 23.
(a) Chap. 3. Vs. 7, 8.
10. En cet état, c’est imperfection de désirer Dieu comme s’il était absent. — Il se trouve aussi en ce désir un acte qui empêche l’anéantissement total : Part. III. Ch. 10. n. 9.
11. Il y a de l’imperfection, comme dit S. Bonaventure, de penser en Dieu par pensée imaginaire ; parce qu’on ne le doit et ne le peut faire : on ne le doit, parce que c’est un acte contraire à l’anéantissement : on ne le peut par les raisons alléguées ; comme parce que Dieu est tout surnaturel, mais la pensée est chose naturelle : Dieu est plus grand que nous et par-dessus nous, mais notre pensée est moindre et au-dessous de nous. —
C’est quelque sorte d’imperfection de jeter un regard en Dieu autre que le simple souvenir de lui. — 168
Finalement c’est imperfection de trop observer ces mêmes ou semblables imperfections : car ainsi, l’âme s’occupe trop et se rend trop active. Il ne les faut donc pas rechercher, sinon très subtilement, à savoir par une œillade qui passe vite comme un éclair.
Or il ne faut pas penser que tant de degrés apportent quelque multiplicité en cet exercice : d’autant qu’encore bien qu’il y ait beaucoup d’imperfections, toutefois elles se remédient par une seule perfection : Car comme elles proviennent toutes d’une cause, à savoir, de l’être, aussi sont-elles toutes remédiées par une unique cause contraire, à savoir, le non-être ; car comme toute imperfection s’élève quand l’homme est quelque chose, ainsi toute perfection naît quand il est anéanti, puisqu’alors Dieu seul vit et règne. Là même. n. 10, 11, 12.
12. Représentons-nous le doux Jésus, Théotime, chez Pilate, où pour l’amour de nous les gens d’armes, ministres de sa mort, le dévêtirent de tous ses habits, et lui ôtèrent encore sa peau, la déchirant à coups de verges et de fouets ; comme par après son âme fut dépouillée de son corps et le corps de sa vie par la mort en la croix : mais trois jours après par sa très sainte résurrection l’âme se revêtit de son corps, et le corps de sa peau immortelle, et s’habilla des vêtements différents, en pèlerin ou en jardinier, ou d’autre sorte, selon que le requérait la gloire de son Père et le salut des hommes. L’amour fit tout cela, Théotime ; et c’est l’amour aussi qui entrant en une âme, afin de la faire heureusement mourir à soi et revivre à Dieu, la fait dépouiller de tous les désirs humains et de l’estime de soi-même qui 169 n’est pas moins attachée à l’esprit que la peau à la chair, et la dénue enfin des affections plus aimables, comme son celles qu’elle avait aux consolations spirituelles, aux exercices de piété, et à la perfection des vertus qui semblaient être la propre vue de l’âme dévote. Alors l’âme a raison de s’écrier : (a) j’ai ôté mes habits, comment m’en revêtirai-je ? J’ai lavé mes pieds de toute sorte d’affections, comment les salirai-je derechef ? (b) Nue je suis sortie de la main de Dieu, et nue j’y retournerai. Le Seigneur m’avait donné beaucoup de désirs, le Seigneur me les a ôtés : son saint nom soit béni.
* Oui, Théotime, le même Seigneur qui nous a fait désirer les vertus en notre commencement, qui nous les fait pratiquer en toute occurrence, c’est lui-même qui nous ôte (c) l’affection des vertus et de tous les exercices spirituels, afin qu’avec plus de tranquillité, de pureté, et de simplicité nous n’affectionnions rien que le bon plaisir de la Divine Majesté. Car comme la belle et chaste Judith avait voirement60 dans ses cabinets ses beaux habits de fête et néanmoins ne les affectionnait point, ni ne s’en para jamais en sa viduité61, sinon quand inspirée de Dieu elle alla ruiner62 Holopherne : ainsi quoique nous ayons appris la pratique des vertus et les exercices de dévotion ; si est-ce que nous ne devons pas les affectionner, ni en revêtir notre cœur, sinon à mesure que nous savons que c’est le bon plaisir de Dieu. Et comme Judith demeura toujours en habit de deuil, sinon en cette occasion, en laquelle 170(a) Cant. 5. vs. 3. (b) Job &. vs. 21. (c) Dépouillement. Explicat. Du Cantique Ch. 1. vs. 5.
* Vertu. n. 17.
le Dieu voulut qu’elle se mit en pompe ; aussi devons-nous paisiblement demeurer revêtus de notre misère et abjection parmi nos imperfections et faiblesses, jusqu’à ce que Dieu (a) nous exalte à la pratique des excellentes actions.
* On ne peut demeurer longtemps dans cette nudité, dépouillée de toutes sortes d’affections : c’est pourquoi, selon l’avis du Saint Apôtre (b) après que nous avons ôté les vêtements du vieil Adam, (c) il faut nous revêtir des habits du nouvel homme qui est Jésus-Christ : car ayant tout renoncé, voire même les affections et les vertus, pour ne vouloir ni de celle-ci ni de celle-là, ni d’autre quelconque, qu’autant que le bon plaisir divin y portera ; il nous faut [nous] revêtir derechef de plusieurs affections, et peut-être des mêmes que nous avons renoncées et résignées : mais il faut derechef s’en revêtir, non plus parce qu’elle nous sont agréables, utiles, honorables, et propres à contenter l’amour que nous avons pour nous-mêmes ; mais parce qu’elles sont agréables à Dieu, utiles à son honneur, et destinées à sa gloire. De l’Amour de Dieu. Livr. 9. Ch. 16.
(a) C’est e qu’on appelle résurrection.
(b) Col. 3. Vs. 9, 10.
(c) C’est la conduite que Dieu fait tenir à notre Épouse des Cantiques.
13. Il n’est pas besoin de parler de ceci à l’homme, qui n’a que le seul esprit d’un bon naturel, et qui ne demeure et n’agit que dans le sens. Car il ne saura jamais rien de meilleur que les bonnes œuvres, et ne se renoncera jamais comme il faut, s’il se voit impuissant et sans moyen de les faire. C’est pourquoi la vie active qui est plus dans le sens 171
* Résurrection. n. 12. Vertu. n. 18.
que dans la raison, est grandement délicieuse à ces personnes ; et ils63 y souffrent volontiers plusieurs peines à cause des grands mérites qu’ils en espèrent : mais ils sont en cela-même tous64 pleins de leurs propres voies, appétits, recherches et propriétés, totalement ignorants d’eux-mêmes et du vrai bien en lui-même. Ils ne se veulent jamais perdre de si loin que ce soit, et s’ils se perdent quelquefois à force de persuasions, ce n’est qu’avec une extrême crainte de perdre leurs sentiments et leurs goûts de Dieu. * Cela fait qu’ils ne se perdent et ne donnent le leur65 en vrai abandonnement que peu à peu et le moins qu’ils peuvent, ne pouvant croire que la vie renoncée, indifférente et résignée soit la vraie sainteté. Erreurs, ténèbres et misère, qui procèdent de ce que l’homme prend pour soi-même le don et le goût de Dieu, qui ne lui est donné de Dieu, sinon pour le disposer à la sainteté ; ce goût est un moyen pour acquérir l’habitude de sainteté et cette habitude en est la fin, dont les vrais actes sont la vraie vie renoncée. Car à le bien prendre, qu’est-ce que telle vie, sinon les actes de toutes les saintes habitudes, pratiquées non tant en soi que par-dessus de soi-même, étant perdu totalement en Dieu à la Majesté duquel on désire toujours satisfaire et nullement à soi. Esprit du Carmel. Ch. 11.14. Il arrive parfois que les personnes spirituelles se puissent rencontrer parmi des objets sensibles, capables de toucher extraordinairement leurs sens, et d’émouvoir leurs passions. Par exemple, ils seront parfois tellement excités à rire, que cela paraîtra notablement, sans qu’elles s’en puissent empêcher. Cela ne laisse pas d’étonner certains faibles et infirmes, lesquels voyant que 172
* Habitude, n. 7.
ces objets ne les divertissent point du dedans d’eux-mêmes, admirent comme quoi nous sommes tirés de nous-mêmes si facilement à rire, sans savoir quelle en est la cause : Et en effet ils l’ignorent toujours, jusqu’à ce qu’eux-mêmes soient arrivés par leur fidèle activité au même degré d’amour et de vie consommée. Ils ne voient pas que cela ne nous touche qu’en superficie (a) et par le dehors. —
Or la raison pourquoi les personnes communes qui ont une bonne action intérieure, semblent avoir plus de force pour résister à ces objets folâtres que nous autres, c’est que nous sommes tous66 nus et désarmés de nos forces actives dans les sens, et que nous ne pouvons faire quasi autre chose qu’attendre les coups, sans y pouvoir parer. Il n’est pas ainsi des autres, parce que leur force active, tandis qu’ils l’ont, leur sert comme de rempart contre tous semblables mouvements. Mais aussi quand ils sont en aridité, et qu’ils n’ont rien d’eux-mêmes pour la défense des sens, ils se trouvent tout accablés67 par les efforts de telles folies. Car leur manière de souffrir en leur aridité, et de combattre ces folâtreries, n’est pas semblable à nos façons et manières de combattre. C’est toute autre chose d’eux et de nous. Miroir de Conscience. Traité II. n. 54.(a) Voyez ce qui est dit de la purification de l’or. Moy. Court. Ch. 24. n. 4.
15. Néanmoins c’est une chose étrange qu’il se puisse trouver des hommes parvenus et même consommés en cet état, qui sortent de là pour raisonner et spéculer dans la circonférence et selon la vive activité de leurs sens, en sorte qu’ils viennent à être enfin presque continuellement agités de tourbillons et mouvements d’inquiétude 173 sur toutes choses, dont ils s’empêchent et se ferment l’entrée à leur cœur, rodant incessamment partout au dehors. —
Quelques-uns voient bien en eux-mêmes ce désordre, se croyant impurs et du tout ineptes pour la vraie introversion ; et néanmoins ils ne désistent pas de cette sorte de pratiques ordinaires pour embrasser les exercices qui leur seraient plus conformes et plus utiles pour leur bien et leur intérieur. Ils auraient sans doute besoin d’être poussés sans compassion — et devraient prier Dieu très instamment qu’il les mît aux labeurs et exercices des hommes sans ordre ni discrétion : mais comme ce n’est pas ce qu’ils désirent, et qu’au contraire ils craignent cela comme la mort ; ils demeureront à jamais immortifiés par le dedans, totalement indomptés, captifs et fortement dominés de leur propre excellence. De la simplicité. Traité II. n. 34.
16. La charité dans les parfaits fait bien s’irriter patiemment, et s’indigner humblement. Cela étant inconnu aux hommes de médiocre vertu, ils nous jugent transportés et vaincus de passion toutes les fois que cela nous arrive ; néanmoins, si nous manquions à ce saint zèle de la charité, nous croirions être dans le désordre et offenser Dieu. Voilà pourquoi lorsque nous conversons avec eux, nous ne contrarions point par cette pratique à la vraie perfection ; puisqu’à ceux que nous supposons ici omnia licent, et souvent il leur est expédient de faire des choses de cette nature. Là même. n. 38.
Rien n’est plus aisé que d’avoir Dieu et de le goûter. Il est plus en nous que nous-mêmes. Il a plus de désir de se donner à nous que nous de le posséder. Ch. 1. n. 5.
Dieu, qui ne demande qu’à se communiquer à sa créature, lui envoie des grâces abondantes et un goût expérimental de la présence, qui le lui rend très facile. Ch. 2. n. 4.
Mais le Verbe a la vie en lui : et comme ils communicatif de sa nature, il désire de la communiquer aux hommes. Ch. 21. n. 6.
Or tout le désir de Dieu est de se donner lui-même à sa créature, selon la capacité qu’il a mise en elle : et l’on craint de se laisser aller à Dieu ! Ch. 24. n. 12.
AUTORITÉS.
1. Cette mer immense et regorgeante de lumière divine est ouverte à tous les hommes, et toujours prête à se communiquer. De l’Hier. Cél. Ch. 9.
2. Voyez Consistance. n. 2.
3. Il sera toujours véritable que la lumière divine 175 envoie incessamment ses rayons bienfaisants sur les vues intellectuelles, et qu’il est en leur puissance de la recevoir, leur étant présente et toujours prête à leur communiquer les biens qui lui sont propres d’une façon digne de la bonté de Dieu (a). Là même. Ch. 2.
(a) Si Dieu mesure ses dons à ce qu’il est, et non à ce que nous sommes, s’étonnera-t-on de leur magnificence ? Et après qu’il nous a donné son Fils unique, quel don peut-il faire, tout Dieu qu’il est, qui ne soit au-dessous de celui-là ?
4. Je vois que cette divine bonté a un si grand soin de l’âme, qu’il n’y a personne qui pour gagner tout le monde, quand même il serait assuré de gagner, le pût avoir si grand. Voyant donc avec combien d’amour et de soin il nous donne toutes les provisions nécessaires pour nous conduire en son pays, je suis contrainte de dire que ce bon Dieu semble être notre serviteur. Vie Ch. 12.
5. Pour notre regard, puisque nous ne saurions disposer les hommes à cela, ni les rendre meilleurs, c’est à nous de rendre notre vol de plus en plus actif et léger pour venir à la pénétration du tout de notre amour, au fin fond de lui-même que vous êtes, o mon Amour et ma Vie. Car vous avez plus de désir et d’avidité de vous communiquer, que vous n’avez de pouvoir de le faire, s’il est permis de parler ainsi ; parce qu’il n’y a point de vaisseau entre les mortels qui puisse tant contenir de votre grâce et de votre amour que vous désirez y mettre. En effet je crois dans cette vérité, qu’il y a eu un grand nombre de Saints qui l’eussent pu être davantage. Contempl. 8. 176
(Choix, vouloir ; tout est compris sous le nom de désir.)
Voyez INDIFFÉRENCE.
Il ne faut pas croire qu’une âme du degré de cette Epouse soit empressée pour la présence sensible et pour la douce et continuelle jouissance de l’Epoux : nullement. C’était une perfection qu’elle avait autrefois, que de désirer ardemment cette charmante possession : car cela était nécessaire pour la faire marcher et aller à lui ; mais maintenant (a) c’est un empêchement qu’elle ne doit point admettre, son Bien-aimé la possédant parfaitement dans son essence et dans ses puissances d’une manière réelle et invariable, au-dessus de tout temps, de tout moyen et de tout lieu. Elle n’a plus que 177
(a) Pour recevoir cette communication au-dessus de tous sentiments, il faut se laisser dépouiller de la présence sensible, ce qui a été vu ; [Voyez Abandon n. 25. etc.] Ce qui est perfection en un temps, est un défaut en un autre.
faire de soupirer après des moments de jouissance distincte et aperçue : Outre qu’elle est dans une si entière désappropriation de toutes choses qu’elle ne saurait plus arrêter un désir sur quoi que ce soit, non pas même sur la joie du Paradis. Cet état est même la marque qu’elle est possédée par le centre. C’est pourquoi elle témoigne ici à l’Époux qu’elle est bien contente qu’il aille où il lui plaira. -- Non qu’elle méprise ou rejette les visites ou consolations divines ; non : elle a trop de respect et de soumission pour l’opération de Dieu : mais c’est que ces sortes de grâces ne sont plus guère de saison pour une âme aussi anéantie qu’elle l’est ; et qui est établie dans la jouissance du centre ; et qu’ayant perdu toute volonté dans la volonté de Dieu, elle ne peut plus rien vouloir. --
L’indifférence de cette amante est si grande, qu’elle ne peut pencher ni du côté de la jouissance ni du côté de la privation. La mort et la vie lui sont égales : et quoique son amour soit incomparablement plus fort qu’il n’a jamais été, elle ne peut néanmoins désirer le Paradis, parce qu’elle demeure entre les mains de son Époux, comme les choses qui ne sont point. Ce doit être l’effet de l’anéantissement le plus profond. -- Elle est incapable de désirer d’aider aux autres, et 178 ne le peut même faire que par un ordre particulier de la providence. Ch. 8. vs. 14.
Avant que de mettre les Autorités pour ne rien désirer, je crois devoir mettre ici l’explication que j’ai pris la liberté d’en donner à Monseigneur de Meaux il y a un an, après qu’il eut bien voulu prendre la peine de me voir. La voici, avec quelques autres explications. Comme il me parut que c’était le principal endroit qui l’arrêtait, je crois qu’il ne le sera plus lorsqu’il verra toutes les Autorités qui sont ici.
Il y a deux sortes de désirs : il y a un désir muable ou élans de désirs aperçus et distincts. Il y a un désir immuable qui est essentiel à l’homme, de retourner à sa dernière fin.
Il y a un amour agité qui a des flammes et des ardeurs ; et comme cet amour est distinct il est accompagné d’un désir aperçu.
Il y a un amour reposé dans sa fin par la mort de la volonté propre ; et le désir de cet amour est plein de repos, et ne s’aperçoit pas de l’âme à cause de sa tranquillité et de la mort de la volonté propre.
L’amour renferme nécessairement le désir, mais le désir est conforme à l’amour. Quand l’âme est éloignée de son Dieu, l’amour est impétueux aussi bien que le désir ; il y a l’agitation qui le 179 meut vers sa fin : plus il approche de sa fin, plus son impétuosité diminue.
Mais quand l’amour a uni l’Amant à l’Aimé, l’amour et le désir sont pleins de repos, et sont comme morts et tombés dans le tout, qui est un amour parfaitement tranquille quoiqu’il soit le plus fort.
Il y a une manière d’aller à Dieu par voie d’élévation au-dessus de soi ; et celle-là est accompagnée d’extases et ravissements : Il y a une autre manière de sortir de soi par voie d’anéantissement et de nudité ; et celle-là n’a point d’extase : c’est une voie toute de mort ; et par cette mort l’âme sort de soi et passe par une extase permanente en son divin Objet. Qu’on puisse dès cette vie entrer en Dieu, s’y perdre par une entière mort de volonté en ce qu’elle a de propre à l’âme, et dissemblable à celle de Dieu, [nul de ceux qui ont de l’expérience n’en peut douter.]
C’est ce que S. Jean appelle demeurer en charité. (a) Celui qui demeure en charité demeure en Dieu. Il faut voir ses Épîtres. C’est ce que Jésus-Christ appelle (b) unité et consommation d’unité ; S. Paul (c) transformation ; le B. Jean de la Croix Déification ; (Voyez Dieu enseigne l’âme. n. 7.) comme aussi Frère Jean de S. Samson (Voyez là même. n. 13. Transformation. N. 45. Union. n. 76. Etc.) ; ses œuvres étant plus fortes que ce que j’ai écrit.
Lorsque l’âme s’est écoulée en son Dieu par une perte de toute elle-même en lui, elle a perdu toute propriété : elle est alors comme un or très pur : ce qui n’empêche pas qu’elle ne puisse 180
(a) 1 Jean 4. Vs. 16. (b) Jean 17. Vs. 22, 23.
(b) 2 Cor. 3. Vs. 18.
toujours déchoir, n’y ayant point d’impeccabilité en cette vie. Mais Dieu ne le permet guère : cela ne pourrait arriver que par la plus grande infidélité, et même malice, comme [celle de] Lucifer. Ce qui fait la pureté de cette âme, est la perte de sa volonté en celle de Dieu : elle ne peut pécher sans tirer sa volonté de celle de Dieu, ce qui est difficile. [Voyez] St Jean dans ses Épîtres (a), Ste. Catherine de Gênes (b), Fr. Jean de St Samson (c). Cela n’empêche pas que ces âmes n’aient de certains défauts extérieurs qui viennent du peu d’attention qu’elles font sur elles-mêmes, mais qui sont exempts de malice ; et même Dieu se sert de ces défauts qui sont légers pour les cacher à elles-mêmes et aux autres.
Il me semble qu’il est aisé de concevoir qu’une personne qui met son bonheur en Dieu seul, ne peut plus désirer son propre bonheur. Nul ne peut mettre tout son bonheur en Dieu seul, que celui qui demeure en Dieu par la Charité. Lorsque l’âme en est là, elle ne désire plus d’autre félicité que celle de Dieu en lui-même et pour lui-même : ne désirant plus d’autre félicité, toute félicité propre, même la gloire du ciel pour soi, n’est plus ce qui peut la rendre heureuse ; ni par conséquent l’objet de son désir. Le désir suit nécessairement l’amour. Si mon amour est en Dieu seul, sans retour sur moi ; mon désir est en Dieu seul, sans rapport à moi.
Ce désir en Dieu n’a plus la vivacité d’un désir amoureux, qui ne jouit point de ce qu’il désire : mais il a le repos d’un désir rempli et satisfait 181
(a) 1 Jean 3. vs 6, 9. Ch. 5. vs. 18.
(b) En sa Vie Ch. 32. Sur la fin. Voyez aussi Consistance. n. 5. etc.
(c) Voyez Là-même. n. 36. etc.
Car Dieu étant infiniment parfait et heureux, et le bonheur de cette âme étant dans la perfection et le bonheur de son Dieu, son désir ne peut avoir l’activité du désir ordinaire qui attend ce qu’il désire : mais il a le repos de celui qui possède ce qu’il désire. C’est donc là le fonds68 de l’état de l’âme, et ce qui fait qu’elle n’aperçoit plus tous les bons désirs de ceux qui aiment Dieu par rapport à eux-mêmes, ni de ceux qui s’aiment et se recherchent eux-mêmes dans l’amour qu’ils ont pour Dieu.Or cela n’empêche pas que Dieu ne change pas les dispositions, faisant que l’âme sentira pour des moments le poids de son corps qui lui fera dire ;69 (a) Cupio dissolvi, et esse cum Christo. D’autres fois ne sentant plus qu’une disposition de charité pour ses frères, sans retour ni rapport à soi-même elle (b) désirera d’être anathème et séparée de Jésus-Christ pour ses frères. Ces dispositions qui paraissent se contrarier s’accordent très bien dans un fonds70 qui ne varie point : de manière que quoique la béatitude de Dieu en lui-même et pour lui-même, dans laquelle les désirs sensibles de l’âme sont comme écoulés et reposés, fasse le bonheur essentiel de cette âme, Dieu ne laisse pas de réveiller lui-même ces désirs lorsqu’il lui plaît. Ces désirs ne sont plus de ces désirs d’autrefois, qui sont dans la volonté propre ; mais des désirs remués et excités de Dieu même, sans que l’âme réfléchisse sur soi : parce que Dieu qui la tient directement tournée vers lui, rend ses désirs comme les autres actes, sans réflexion ; de sorte qu’elle ne les 182(a) Phil. 1. Vs. 23. Je désire d’être dégagé des liens du corps et d’être avec Jésus-Christ.
(b) Rom. 9. vs. 3.
peut voir s’il ne les lui montre, ou si ses propres paroles ne lui en donnent quelque connaissance en la donnant aux autres. Il est certain que pour désirer pour soi, il faut vouloir pour soi. Or tout le soin de Dieu étant d’abîmer la volonté de la créature dans la sienne, il absorbe aussi tout désir connu dans l’amour de sa divine volonté.
Il y a encore une autre raison qui fait que Dieu ôte et met dans l’âme les désirs sensibles comme il lui plaît : C’est [que Dieu voulant dispenser quelque chose à cette âme, il la lui fait désirer pour avoir sujet de la lui donner et de l’exaucer : car il est indubitable] qu’il (a) exauce les désirs de cette âme et la préparation de son cœur71 : et même le S. Esprit désirant pour elle et en elle, ses désirs sont des prières et des demandes (b) du S. Esprit : et Jésus-Christ dit dans cette âme : (c) je sais que vous m’exaucez toujours. Un désir véhément de la mort dans une telle âme serait presque une certitude de la mort. Désirer les humiliations, est bien au-dessous de désirer la jouissance de Dieu : néanmoins lorsqu’il a plu à Dieu de me beaucoup humilier par la calomnie, il m’a donné une faim de l’humiliation. Je l’appelle faim pour la distinguer du désir. D’autrefois il met dans cette âme, de prier pour des choses particulières. Elle sent bien dans ce moment que sa prière n’est point formée par sa volonté, mais par la volonté de Dieu ; car elle n’est pas même libre de prier pour qui il lui plaît ni quand il lui plaît ; mais lorsqu’elle prie, elle est toujours exaucée. Elle ne s’attribue rien pour cela ; mais elle fait que c’est celui qui la possède, qui s’exauce 183(a) Ps. H. 10. vs. 17.
(b) Rom. 8. vs. 26.
(c) Jean 11. vs. 42.
lui-même en elle. Il me semble que je conçois cela infiniment mieux que je ne l’explique72.Il en est de même pour la pente sensible, ou même l’aperçue, qui est bien moins que sensible. Lorsqu’une eau est inégale à une autre qui se décharge en elle73, cela se fait avec un mouvement rapide et un bruit aperçu : mais lorsque les deux eaux sont de même niveau, la pente ne s’aperçoit plus. Il y en a une néanmoins, mais elle est insensible et imperceptible, en sorte qu’il est vrai de dire en un sens qu’il n’y en a plus. Tant que l’âme n’est pas unie entièrement à son Dieu d’une union que j’appelle permanente, pour la distinguer des unions passagères, elle sent sa pente pour Dieu. L’impétuosité de ce penchant, loin d’être une chose parfaite, comme des personnes peu éclairées le pensent, en est le défaut, et marque la distance de Dieu et de l’âme. Mais quand Dieu s’est uni l’âme de telle sorte qu’il l’a reçue en lui, où il la tient (a) cachée avec Jésus-Christ, l’âme trouve un repos qui exclut toute pente sensible, et qui est tel que la seule expérience le peut faire comprendre. Ce n’est point un repos dans la paix goûtée, dans la douceur et dans la suavité d’une présence de Dieu aperçue ; mais c’est un repos en Dieu même, et qui participe à son immensité, tant il a d’étendue, de simplicité et de netteté. La lumière du soleil qui serait bornée par des miroirs, aurait quelque chose de plus éclatant que la pure lumière de l’air : cependant ces mêmes miroirs qui rehaussent son brillant, la terminent et lui ôtent de sa pureté. Lorsque le rayon est terminé par quelque chose, il s’emplit d’atomes, et il se fait mieux distinguer que dans l’air : mais 184(a) Col. 3. vs. 3.
il s’en faut bien qu’il n’ait sa pureté et sa simplicité. 74Plus les choses sont simples, et pures, plus elles ont d’étendue. Rien de plus simple que l’eau, rien de plus pur ; mais cette eau a une étendue admirable à cause de sa fluidité. Elle a aussi une qualité, que n’ayant nulle qualité propre, elle prend toutes sortes d’impressions. Elle n’a nul goût, et elle prend tous les goûts : elle n’a nulle couleur, et elle prend toutes les couleurs. L’esprit et la volonté en cet état sont si purs et si simples, que Dieu leur donne telle couleur et tel goût qu’il lui plaît, comme à cette eau qui est tantôt rouge, tantôt bleue, enfin imprimée de telle couleur et de tel goût qu’on veut lui donner. Il est certain que quoiqu’on donne à cette eau les diverses couleurs qu’on veut à cause de sa simplicité et pureté, il n’est pourtant pas vrai de dire que l’eau en elle-même ait du goût et de la couleur ; puisqu’elle est de sa nature sans goût et sans couleur : et c’est ce défaut de goût et de couleur qui la rend susceptible de tout goût et de toute couleur. C’est ce que j’éprouve de mon âme : elle n’a rien qu’elle puisse distinguer ni connaître en elle ou comme à elle ; et c’est ce qui fait sa pureté : mais elle a tout ce qu’on lui donne, et comme on le lui donne, sans en rien retenir pour elle. Si vous demandiez à cette eau quelle est sa qualité, elle vous répondrait que c’est de n’en avoir aucune. Vous lui diriez ;75 mais je vous ai vue rouge : je le crois ; je ne suis point néanmoins rouge : ce n’est pas ma nature ; je ne pense pas même à ce qu’on fait de moi, à tous les goûts et à toutes les couleurs qu’on me donne. Il en est de la forme de même que de la couleur. Comme l’eau est fluide et sans consistance, elle prend toutes 185les formes des lieux où on la met, d’un vase rond, ou carré. Si elle avait une consistance propre, elle ne pourrait prendre toutes les formes, tous les goûts, toutes les odeurs, et toutes les couleurs.
Les âmes ne sont propres qu’à peu de choses tant qu’elles conservent leur consistance propre : tout le dessein de Dieu étant de leur faire perdre par la mort d’elles-mêmes tout ce qu’elles ont de propre, afin de les mouvoir, agir, changer et imprimer comme il lui plaît. De sorte qu’il est vrai qu’elles ont toutes les formes ; et il est vrai qu’elles n’en ont aucune : ce qui fait que ne sentant que leur nature simple, pure et sans impression singulière, lorsqu’elles parlent ou écrivent d’elles-mêmes, elles nient toutes les formes être76 en elles : parce qu’elles ne parlent pas conformément aux dispositions variables où on les met : elles n’y font nulle attention ; mais au fond de ce qu’elles sont, qui est leur état toujours subsistant77. Je vous conjure M. d’excuser les expressions, et si je dis mal, redressez-moi. Si on pouvait montrer l’âme comme le visage, je ne voudrais, ce me semble, cacher aucune de ses taches. Je soumets le tout.J’ai encore ce défaut que je dis les choses comme elles me viennent, sans savoir si je dis bien ou mal.78 Lorsque je les dis ou écris, elles me paraissent claires comme le jour ; après cela, je les vois comme des choses que je n’ai jamais sues, loin de les avoir écrites. Il ne reste rien dans mon esprit qu’un vide, qui n’est point incommode. C’est un vide simple qui n’est incommodé ni par la multitude des pensées ni par leur stérilité. Je prie Dieu s’il le veut, de faire entendre ce que je ne puis mieux exprimer. 186Quoique l’âme écrive des états les plus relevés de la vie intérieure, elle ne croit pas pour cela posséder ces états ; et lorsqu’elle écrit d’elle-même, elle l’écrit avec une telle abstraction qu’elle ne pense pas l’avoir écrit. Il en est de même des autres écrits : elle ne fait rien avant que d’écrire ; quand elle a écrit, elle ne s’en souvient plus, quoiqu’en écrivant les choses lui paraissent claires comme le jour.
79.
1. L’oraison est parfaite lorsque tout amour, tout désir, toute application, toute pensée, tout effort, tout ce que nous voyons, ce que nous disons, ce que nous espérons est Dieu, et que cette unité qui est entre le Père et le Fils a passé en nous. Alors nous obtenons l’effet de la prière du Sauveur qui disait à son Père ; mon Père (a) qu’ils soient une même chose comme je suis avec vous. Je suis en eux et vous êtes en moi, afin qu’ils soient aussi consommés dans l’unité. Confer. 10. Ch. 6.
(a) Jean 17. vs. 22, 23.
2. L’homme qui a renoncé à sa propre volonté et qui a donné tout pour tout, sans rien désirer que ce que Dieu veut, est le plus libre de tous les hommes : cependant Dieu pour l’éprouver et le sanctifier80 l’éloigne quelquefois de sa droite, le met à sa gauche, le précipite du ciel dans l’enfer, et l’ayant arraché de toutes les douceurs, permet qu’il soit accablé de misères en sorte qu’il se voit abandonné et méprisé non seulement de toutes les 187 créatures, mais de Dieu même. Noces Spirit. Chap. 67.L’Imitation de Jésus-Christ.
3. Voyez Propriété. n. 4.
4. Ainsi quelques-uns ont des désirs brûlants qui s’élèvent vers le ciel, et qui néanmoins ne sont pas exempts de la tentation des affections humaines et charnelles. De la vient qu’encore qu’ils me demandent avec tant d’ardeur les biens du ciel, ce mouvement néanmoins n’est pas entièrement pur et pour ma seule gloire. Le désir que vous avez pour le ciel est souvent semblable au leur ; c’est pour cela qu’il est mêlé d’inquiétude. Ce qui est infecté d’amour et d’intérêt propre n’est jamais pur et vraiment parfait. Imit. De J. Ch. Liv. 3. Ch. 49. §. 2.
5. Et vous devez tenir pour une règle générale, que tout ce que nous pouvons demander à Dieu, ou désirer de lui, dès qu’il ne va pas à la mortification et à l’entier délaissement de soi-même pour l’amour de Dieu, est mêlé de nature et de recherche propre dans les choses mêmes qui paraissent tout à fait divines. Livr. II. Ch. 9.
6. Cette pureté et netteté d’amour était ineffable et surpassait la capacité humaine : et elle avait cet amour en si grande abondance, qu’elle ne pouvait comprendre qu’il eût pu croître davantage : parce qu’elle en était tellement pleine (a) qu’elle n’en 188
(a) Notez que l’impuissance de désirer ne vient que de plénitude. La capacité de l’âme étant pleine, et Dieu l’élargissant par excès de plénitude, il la remplit à mesure qu’il l’agrandit ; de sorte que l’âme ne peut désirer, puisque tout désir est un vide et qu’elle est pleine : de plus le désir appartient à la volonté, qui est celle qui se trouve si fort remplie de sa fin, qui est la volonté de Dieu. La parfaite conformité l’ayant unie à la volonté de Dieu, et ensuite changée en elle, le vide de sa propre volonté et de ses désirs est rempli de la volonté divine, qui la meut et ne lui laisse vouloir ou désirer que ce qui lui plaît.
n’en pouvait désirer davantage que ce qui la tenait pleinement rassasiée. — Cette grâce que Dieu fait à l’homme surpasse tellement tout désir et toute pensée humaine, qu’il sent dès cette vie, qu’il est fait participant de la gloire des Bienheureux. Vie Chp. 18.
7. Voyez Mortification. n. 1.
8. Dieu convertissant une âme à soi, règle, ordonne et dispose ses puissances, jusqu’à ce qu’il les tire hors de leurs propres opérations ; en sorte que l’entendement ne peut plus comprendre, la mémoire retenir, ni la volonté désirer. — Elle ne peut rien penser (a) d’elle-même, ni en quel état elle est : elle n’a plus d’élection d’objet, ni de désir au ciel et en la terre. Elle ne peut avec cet amour aimer que ceux que Dieu veut qu’elle aime ; lequel ne permet pas qu’une autre âme (a) connaisse en elle cet amour, sinon celle qui approche de ce même amour pur et net, et en la même sorte qu’elle le sent dans son cœur. Ch. 32.
(a) L’âme s’ignore soi-même et est ignorée.
9. En l’an mil cinq cent sept, entendant dire l’Office des Morts, il lui vint un désir de mourir. L’âme désirait sortir du corps et s’unir à Dieu ; le corps le désirait aussi, pour sortir du grand tourment que lui donnait ce feu d’amour qui le brûlait. Toutefois elle n’y apportant point le désir de la volonté, et ce n’étaient que des désirs 189 naturels de l’âme et du corps pour sortir de leur peine. Mais parce que son Amour la voulait purifier en tout et éteindre en son cœur tout désir, pour en faire sa demeure agréable, il lui donna un remords de ce désir de mourir ; et parce que le désir n’était pas de la volonté, quand elle sentait ce remords, elle disait : Amour, je ne veux que vous-même en la façon qu’il vous plaît. Mais au moins si vous ne voulez pas que je meure encore, ni même que je désire de mourir, laissez-moi aller voir mourir et ensevelir les autres, afin que je les voie sur le point de jouir du grand bien que vous me différez. Son Amour consentit encore à cela et ainsi durant quelque temps elle alla voir mourir et ensevelir tous ceux qui mouraient l’en l’Hôpital. Puis ce désir et cette volonté de voir mourir les autres, peu à peu s’amortit tout à fait, son cœur purifié s’unissant plus étroitement en son doux Amour. —
Un jour ce Religieux lui dit qu’elle voulait mourir subitement ; aussitôt la joie ou le désir de mourir se réveilla encore en elle, et elle lui dit : je sens en moi réveiller une joie et cette parole intérieure : ô si une telle heure venait : puis cette pensée cesse incontinent : et je ne veux point qu’il y ait en cela une seule étincelle de désir. —
Depuis ce jour-là jusqu’à la fin tout désir fut éteint en elle, et elle était toujours unie et transformée au vouloir de son doux Amour. Aussi elle connaissait que tout désir est un manque de perfection ; parce que l’âme ayant quelque désir n’a pas encore Dieu pleinement, qui est toute chose : mais l’âme parfaitement unie à Dieu, trouve tout en lui, et ne peut désirer autre chose. Vie Chap. 38.
10. Cet amour intime, pénétratif, doux et gracieux 190 que l’homme sent en son cœur, ne se connaît pas ni ne se peut exprimer ni entendre qu’avec intelligence d’affection, en laquelle l’homme se sent occupé, lié, transformé, content, pacifique et réglé dans ses sens corporels sans aucune contradiction ; de sorte qu’il n’a rien, il ne veut rien, il ne désire rien, et il demeure en repos, paisible et satisfait au fond de son cœur sans connaître autre chose. Dial. Livr. 3. Ch. 1.
11. La mémoire est contente étant occupée de choses spirituelles, et ne se peut souvenir d’autre chose ; mais elle n’en sait ni le moyen ni la forme. L’amour naturel qui est en l’homme, dit qu’il a été saisi et environné d’un autre Amour surnaturel, et qu’il ne peut pas s’occuper à autre chose : mais il demeure satisfait et content ; il ne veut et ne cherche point d’autre viande, de il croit avoir tout ce qu’il pourrait désirer. Là même. Ch. 14.
12. Cette vue-là donne une grande paix et un extrême contentement à l’âme : mais ce contentement ne diminue pourtant pas la peine ; et même on ne pourrait la faire tant souffrir qu’elle voulût sortir de cet ordre de Dieu sur elle81 : elle ne sort point de prison ni n’essaie et ne désire point d’en sortir, jusqu’à ce que Dieu fasse tout ce qui sera nécessaire. Tr. du Purgatoire. n.33. Edit. de Col.Ste. Térése.
13. Cette satisfaction est au plus intime de l’âme ; mais elle ne sait pas par où ni comment elle est venue, et même souvent elle ne sait que faire, ni que désirer, ni que demander : il semble qu’elle trouve tout ensemble, néanmoins elle ne sait ce qu’elle a trouvé. Vie Ch. 14.
14. En cet état, il ne veut plus désirer ni avoir 191 d’autre volonté que celle que Notre Seingneur lui donne ; il le supplie et lui consigne les clefs de la sienne. Vie Ch. 20.
15. Que me soucié-je de moi, mon Seigneur, et quel souci ai-je, si ce n’est de vous ? Vie Ch. 39.
16. Il n’y a ni honneur, ni vie, ni bien du corps ou de l’âme qui m’arrête, et je ne veux ni désire mon profit, mais seulement sa gloire. Je ne crois point que le Diable m’ait procuré tant de biens pour perdre après mon âme. Ch. 40.
17. Quant à l’Épouse, il lui semble qu’il n’y a plus rien à désirer ; mais il reste encore à notre très sacré Roi beaucoup à donner. Concept. De l’Am. De D. Ch. 6.
18. Ce qui m’étonne davantage, c’est que, comme vous avez pu voir, bien que les travaux et les afflictions qu’elles ont souffertes par le désir de mourir afin de jouir de Notre Seigneur, aient été tels, néanmoins la volonté qu’elles ont à présent de le servir, et de faire qu’il soit loué par elles, comme encore de profite à quelque âme, si elles pouvaient, est si grande, que non seulement elles ne désirent plus de mourir, mais bien de vivre plusieurs années, etc. Chat. VII. Dem. Ch. 3.
19. En cette nudité, l’esprit trouve le repos, parce qu’il ne désire aucune chose. Explic. De l’Énigme.
20. Aux désirs de l’espérance, elle ne peine non plus ; parce qu’étant déjà contente et satisfaite dans l’union divine, suivant la condition de la vie présente, elle n’a rien à espérer touchant le monde ni rien à désirer touchant le spirituel, puisqu’elle se voit comblée des richesses de Dieu ; encore qu’elle puisse croître en charité : et ainsi au vivre et au mourir82 elle est conforme et ajustée à la 192 volonté de Dieu. Cantique entre l’Epouse et l’Epoux Coupl. 30.Le P. Nicolas de Jésus-Maria.
21. Rusbroche. Celui qui aime Dieu est content de lui, et ne désire rien autre chose. (De la vraie Contempl. Ch. 37.) Eclairciss. Des Phras. Myst. De J. de la Croix. Ch. 1. §. 3.
22. Taulere. Le pur amour ne doit point se chercher aux biens éternels, c’est à savoir, ne doit point désirer de jouir dans le ciel d’une grande gloire, d’un grand honneur et récompense pour se bonnes actions ; lesquelles choses et autres semblables la vertu parfaite et le pur amour ne permettent point de désirer ou chercher seulement pour l’amour de la foi : L’amour qui est véritablement pur, laisse le reste comme s’il n’y avait point d’intérêt, soit que Dieu veuille donner le paradis, soit qu’il veuille damner ou sauver. (Serm. Sur le 25e. Dim après la Trinité.) Là même.
23. S. Tomas. La charité atteint Dieu même, afin de s’arrêter en lui ; non pas afin que de là il nous revienne quelque chose. (2. 2. qu. 23.) Là même. Ch. 7. §. 1.
24. S. Bernard. Je ne veux, dit l’Épouse, ta bénédiction, mais toi-même : (a) qu’y a-t-il dans le ciel pour moi ? Et qu’est-ce que je veux sur la terre hors de vous ? (sur Cant. 3.) Là même. §. 1.
(a) Ps. 72. vs. 25.
25. Rusbroche. Dieu nous commande que nous l’aimions par-dessus nous-mêmes et par-dessus toutes choses sans aucun égard à la récompense. Car la charité est la récompense, et est la vie éternelle. Nous devons donc aimer sans aucun retour ni réflexion ; car (b) aimer pour être aimé
(b) O mon Amour, vous savez qu’il est ainsi !83 193 réciproquement, c’est un trait de la nature et d’un amour désordonné. — Et ce nous doit être une chose bien plus agréable et plus plaisante de croire, d’espérer et de nous confier en lui, que d’être certains et assurés de la vie éternelle : car il nous commande bien de l’aimer éternellement, mais il ne nous commande point de désirer la récompense. — Ceux qui sont bons et justes chérissent plus la volonté de Dieu que la leur propre, et aimeraient mieux être dans les Enfers avec la volonté de Dieu, que contre cette volonté régner dans les cieux. (De la vraie Contempl. Ch. 69.) Là même.
26. Don Bartelemi des Martirs. Ceux qui vivent parfaitement ne se portent point à Dieu par un amour vil ou mercenaire, mais par un amour filial, disant : qu’est-ce qu’il y a pour moi dans le ciel, et hors de vous qu’ai-je voulu sur la terre. (Abrégé. P. I. Ch. 7.) Là même.
27. S. Bonaventure. Voyez Vertu. n. 15.
28. Albert le Grand. Voyez Pur Amour. n. 29.
29. S. Tomas. C’est une perfection laquelle on ne considère pas selon la totalité de la part de ce qui est aimable, ni selon la totalité de la part de celui qui aime, quant à cela qu’il soit toujours porté actuellement à Dieu, mais quant à cela qu’il exclue les choses qui répugnent au mouvement de la dilection de Dieu, comme S. Augustin dit au Livr. 83. des Questions, que la convoitise est le venin de la charité ; la perfection, point de désir. Et cette perfection peut s’obtenir en cette vie. (En la dern. Part. de la seconde Quest. 184. Articl. 2.) Là même. Ch. 14. §. 4.30. — L’homme peut parvenir à tel état, dans lequel toutes choses laissées, on persiste dans la seule contemplation de Dieu. (Quest. 180. Art. 6.) Là même.
31. Voyez Actes. n. 11.
32. Nous n’entendons pas, par ce trop grand bouillonnement de désirs, blâmer ici les saints désirs qui sont en Dieu selon leur essence, ou en tant qu’ils sont bien réglés ; mais en tant que mal réglés, ou accompagnés de quelque circonstance qui empêche leur plénitude ou leur plein accomplissement et leur déification par une totale entrée, perte et mort en Dieu. *Cet empêchement est le trop grand bouillonnement, à savoir actif : je dis actif, pour exclure le passif, qui est doux, profond et déiforme, sans bruit et sans actes ; mais au contraire cet empêchement actif est impétueux, remuant, superficiel, qui ressent trop l’homme, la nature, l’opération naturelle et humaine. Et ces deux désirs sont semblables à deux eaux, dont l’une est bouillante et impétueuse, qui fait grand bruit, et toutefois n’est pas creuse84 : l’autre douce, sans bruit, rassise, et toutefois très profonde. Or encore bien que ce bouillonnement de désirs paraisse bon dans les commençants, il est néanmoins vicieux dans cet état et doit être retranché : (a) non qu’il faille laisser les bons désirs, mais l’imperfection de ces désirs : non qu’il faille les quitter, mais les accomplir : ni les perdre, mais les purifier et parfaire en Dieu. Comme la semence n’est pas perdue pour être jetée en son lieu, mais se change et se multiplie ; ainsi qu’on voit au grain de froment, qui n’est pas perdu pour être jeté en terre, mais se change et se multiplie : de même les désirs ne sont pas perdus pour être jetés en Dieu, mais se purifient, et 195(a) Explication admirable.
* Actes. n. 12.
multiplient et s’accomplissent. Et comme le grain ne produit pas le blé85, qu’il ne soit corrompu et amorti ; ainsi les bons désirs ne produisent jamais leurs effets, à savoir l’union, et la transformation, qu’ils ne soient jetés et consommés en Dieu. C’est pourquoi Notre Seigneur dit : (a) Si le grain de froment tombant en terre ne meurt, il demeure seul ; mais s’il est mort, il fructifie abondamment. Et comme au commencement le grain est nécessaire, aussi à la fin sa corruption est expédiente pour multiplier le blé ; de même est-il des bons désirs et de leur anéantissement pour acquérir l’union de Dieu. Mais comme en telle corruption le grain n’est proprement dit être corrompu, mais plutôt changé en blé ; ainsi ces désirs ne sont pas proprement anéantis, mais plutôt changés et transformés en union. Et toutefois comme ce grain ne revient jamais à soi, mais demeure toujours transformé ou changé en blé, comme en son effet, sa dernière fin et sa perfection ; ainsi les désirs ne doivent jamais revenir, mais demeurer transformés en union, comme en leur effet et au comble de leur perfection. Mais comme il ne faut pas jeter le grain en tout lieu ni en tout temps, mais en son lieu et en son temps ; aussi ne faut-il pas laisser ou anéantir ces désirs en tout lieu, mais seulement en Dieu ; ni en tout exercice, mais en l’exercice de l’union ; ni au commencement, mais en son temps, qui est après la vie active bien pratiquée. *Là où se voit comme ceux-là se trompent qui pensent qu’il faille toujours opérer et produire des fervents actes ou aspirations : et encore davantage ceux qui estiment telle façon de faire la vraie union, et condamnent 196 (a) Jean 12. Vs.
* Actes. n. 13.
le contraire comme chose mauvaise, qui met l’âme dans une oisiveté vicieuse ; ce qui est contraire à la doctrine de S. Denis sus-alléguée au Chapitre second ; lequel dit encore ailleurs : Il fait retrancher toutes nos opérations intellectuelles pour nous darder, comme il est convenable, au rayon suressentiel. Le même disent tous les Docteurs mystiques86. Mais ceci sera parlé en son lieu.Or l’âme ayant trouvé cette faute et cet empêchement en son chemin et en son union y remédie par un écoulement de ses ferveurs en Dieu, non qu’elle y fasse quelque chose, mais qu’elle souffre en elle telle opération (a).
Cet écoulement d’ardents désirs en Dieu est un changement de l’amour pratique, pour le fruitif ; et est le repos final et le parfait accomplissement des désirs en Dieu, où le désir est absorbé et changé en possession. Ce mot, écoulement, contient deux choses, à savoir la mort et la vie, ou bien la perte et le gain : parce qu’en tant que la ferveur coule hors de l’âme, elle s’assoupit et meurt, s’évanouit et se perd ; mais en tant qu’elle se perd en dieu elle s’augmente davantage et vit plus que jamais. C’est pourquoi je ne dis pas, anéantissement, comme s’ils étaient anéantis en Dieu, mais un écoulement en Dieu, comme étant en lui préservés. Aussi je ne dis pas une privation des désirs, mais, écoulement, pour montrer qu’ils ne sont plus sentis dans l’âme pour être subtilisés, et pour la vive et suave opération de Dieu en elle, lequel change (b) les désirs en la chose désirée.
(a) Harph. Theol. Myst. L. 3. P. 4. C. 27.
(b) Il faut que lorsque l’âme est transformée en Dieu, tout se transforme avec elle.
Or 197 ce changement contient trois choses, à savoir une claire manifestation de la chose désirée, un remplissement de désirs, et un évanouissement de ces désirs. Touchant la première, cette manifestation de la chose désirée, qui est Dieu, ne vient pas tout à la fois, mais peu à peu et comme par degrés, selon l’accroissement de notre amour. Règle de la perfection. Part. 3. Ch. 5.
33. Il faut prendre garde qu’en cet état, c’est imperfection de désirer Dieu comme s’il était absent. Là même. Ch. 10. n. 9.
34. Certes notre volonté ne peut jamais mourir, non plus que notre propre esprit ; mais elle outrepasse quelquefois les limites de sa vie ordinaire, pour vivre (a) toute en la volonté divine : c’est alors qu’elle ne fait ni ne veut plus rien vouloir, mais elle s’abandonne totalement et sans réserve au bon plaisir de la divine providence, se mêlant et se détrempant tellement avec ce bon plaisir qu’elle ne paraît plus, mais est toute cachée avec Jésus-Christ en Dieu, où elle vit, non plus elle-même, mais la volonté de Dieu vit en elle.
Que devient la clarté des étoiles quand le soleil paraît sur notre horizon ? Elle ne périt certes pas ; 198
(a) Le désir suit nécessairement la volonté. Si notre volonté passe en Dieu, comme dit S. François de Sales, notre désir y passe aussi ; car le désir en est inséparable. La volonté est comme le feu, et le désir en est comme la flamme. Le non-vouloir et le non-désir viennent87 de la même cause, qui est de la mort à nous-mêmes et de la vie en Dieu, ce qui se fait par amour et transformation de notre volonté en celle de Dieu.mais elle est ravie et engloutie dans la souveraine lumière du Soleil, avec laquelle elle est heureusement mêlée et conjointe. Et que devient la volonté humaine quand elle est totalement abandonnée au bon plaisir divin ? Elle ne paraît pas tout à fait ; mais elle est tellement abîmée et mêlée avec la volonté de Dieu qu’elle ne paraît plus, et n’a plus aucun vouloir séparé de la volonté de Dieu.
S. François continue une comparaison admirable du voyage de S. Louis et de la Reine : il conclut n’avez-vous pas intention Madame d’y aller aussi ? Non vraiment je n’ai nulle intention, sinon d’être auprès du Roi, et les lieux où il va me sont indifférents et de nulle considération, sinon en tant qu’il y sera ; je vais sans désir d’aller. — C’est donc le Roi qui va et qui veut le voyage ; et quant à moi, je ne vais pas ; si je suis, je ne veux pas le voyage, mais la seule présence du Roi. De l’Amour de Dieu. Livr. 9 chap. 13.
35. Ainsi, mon cher Théotime, une volonté résignée en celle de son Dieu ne doit avoir aucun vouloir, mais suivre simplement celui de Dieu. Et comme celui qui est dans un navire, ne remue pas de son mouvement propre, mais se laisse seulement mouvoir selon le mouvement du vaisseau dans lequel il est ; de même le cœur qui est embarqué dans le bon plaisir divin, ne doit avoir aucun autre vouloir que celui de se laisser porter au vouloir de Dieu. Alors le cœur ne dit plus : Votre volonté soir faire et non la mienne, car il n’a plus aucune volonté à renoncer ; mais il dit ces paroles : Seigneur, je remets ma volonté entre vos mains ; comme si sa volonté n’était plus en sa disposition, mais en celle de la divine 199 providence. De sorte que (a) ce n’est pas proprement comme les serviteurs suivent leurs maîtres : car encore que le voyage se fasse par la volonté de leur maître ; leur suite toutefois se fait par leur volonté particulière, bien qu’elle soit une volonté suivante, soumise et assujettie à celle de leur maître ; si que tout ainsi que le maître et le serviteur sont deux, aussi la volonté du maître et celle du serviteur sont deux.
*, Mais la volonté qui est morte à soi-même pour vivre à celle de Dieu, elle est sans aucun vouloir particulier, demeurant non seulement conforme et sujette, mais toute anéantie en elle-même et convertie en celle de Dieu : comme l’on dirait d’un petit enfant qui n’a point encore l’usage de sa volonté, pour vouloir ni aimer chose quelconque que le sein et le visage de sa chère mère ; car il ne pense nullement à vouloir être d’un côté ni d’autre, ni à vouloir autre chose quelconque, sinon d’être entre les bras de sa mère, avec laquelle il pense être une même chose ; et n’est nullement en souci d’accommoder sa volonté à celle de sa mère : car il ne sent point la sienne et ne croit pas en avoir une, laissant le soin à sa mère,, d’aller, de faire, et de vouloir ce qu’elle trouvera bon pour lui. C’est certes la souveraine perfection de notre volonté que d’être ainsi unie à celle de notre Souverain Bien, comme fut celle du Saint qui disait : (b) O Seigneur, vous m’avez conduit et mené en votre volonté : Car que voulait-il dire, sinon qu’il n’avait nullement employé
(a) Admirable différence entre la soumission de la volonté et l’union de la volonté à celle de Dieu.
(b) Ps. 72. Vs. 24.
*Anéantissement. n. 27.
sa volonté pour se conduire, s’étant simplement laissé guider et mener à celle de son Dieu ? Là même.
36. Ne nous amusons point à souhaiter ou vouloir les choses, mais laissons vouloir et faire à Dieu pour nous, ainsi qu’il lui plaira.
Non Seigneur, je ne veux aucun évènement ; je vous les laisse vouloir pour moi, et tout à votre gré. Livr. 9. Ch. 14.
37. Voyez Abandon. n. 22.
38. Voyez Défauts. n. 12.
39. Voyez Perte. n. 39.
40. C’est pourquoi tout ce que ces personnes désirent beaucoup et sans une parfaite indifférence, quand ce serait avec la meilleure intention du monde, sans doute cela est un effet de la superbe.
41. Là nous demeurons en un amour très pur, très paisible et très éternel, s’il faut ainsi dire. Car nous sommes là éternels, même par-dessus l’éternité, en tant que nous sommes totalement perdus, même à ces sentiments et vues-là, si peu que ce soit distinctes du même Objet, qui nous abîme et nous perd de plus en plus en lui-même. De là vient que nous sommes sans aucun désir de sortir de là, pour réfléchir en aucune façon sur nous-mêmes, pour voir où nous sommes et ce que nous sommes. Cab. Myst. P. I. Ch. 10. §. 9.
42. La suprême et perdue contemplation est la plus vive imitation de Dieu en terre ; et la vérité est que les hommes ne sont pas dignes de semblables personnes. Ceux qui habitent la région de leur fond sont très merveilleux ici-bas. Il ne faut plus leur parler de la circonférence, non 201 plus que de ce qui n’est point ; mais bien de la plus vive et plus excellente pénétration de leur même fond, et il ne seront point contents, jusqu’à ce qu’ils aient pénétré cet abîme sans fond et sans rive, où Dieu est vivant à lui seul et pour lui seul, et où la créature est tellement anéantie en Dieu, qu’elle ne désire ni ne saurait parler ni entendre parler d’autre chose. Car tandis qu’on désire quelque chose, on n’est pas essentiellement perdu (au moins entièrement,) en la sur-essence, en laquelle il n’y a point de vertu, sinon exemplairement, point d’essence sinon sur-essentiellement, sans distinction ni différence perceptible. De l’effusion de l’homme hors de Dieu et de la refusion88 en Dieu. Traité 3. N. 14.Mons. Olier.
43. Quand les puissances intérieures sont occupées de l’Époux et remplies des opérations divines, elles sont sans désir d’opérer en elles-mêmes, et elles sont contentes et satisfaites, parce qu’elles trouvent en lui leur plénitude naturelle. Lettre 12.
44. Le troisième degré est de ceux qui ont même abandonné entre les mains de Dieu leur salut et leur éternité — ils ne sont émus à aucune chose que parce qu’ils servent Dieu de pur amour pour lui. Fondem. De la vie spirit. Livr. 3. Ch. 4.
45. La route des bons et spirituels, c’est de n’avoir point de désirs de chose aucune distincte ; mais être indifférent à tout, ne cherchant que le vouloir de Dieu pour son pur Amour ; et quoiqu’on ne sentît pas d’amour actuel, le faire en la lumière de foi. Chercher ce qu’elle prescrit est le moyen de se mettre en paix : cherchant ce divin vouloir, il faut premièrement chercher l’union 202 divine par la conformité à la volonté de Dieu ; puis entrer en l’expérience de Dieu par cette union rassasiante où l’on trouve la félicité. Là même. Livre 4. Ch. 4.
46. De Sœur Marie Rosette (conduite par S. François de Sales). Je sens et connais quoique sans réflexion, que je veux faire pour Dieu, pour son pur amour, pour sa plus grande gloire, avec toute la pureté, tout le dépouillement de propre intérêt qu’il m’est possible ; mais ne n’y pense pourtant pas, ni à vouloir Dieu : il m’est avis que comme je lui laisse de vouloir et de choisir tout pour moi, ne me retenant ni volonté ni choix dans le temps ni dans l’éternité, aussi je lui dois laisser le soin de se vouloir lui-même pour moi. Je ne veux donc rien des choses de la terre ni de celles du ciel ; il me suffit qu’il les veuille pour moi : et même si je pouvais les posséder et jouir de lui éternellement sans aucune douceur ni satisfaction, ce qui est impossible, j’en serais contente. (Lettr. Circulaire sur sa mort.) Confer. Myst. 8e.
47. — Mon attrait et mon instinct, si j’en ai ou si j’en sais connaître, me porte plutôt à ne voir rien, à ne rien faire, même à ne pas regarder si je puis ou si je dois faire quelque chose, mais à marcher à l’aveugle et à me perdre tellement en Dieu, que même je ne m’amuse pas à voir que je me perds, et comme je me perds, ou comme Dieu même me perd : Aussi ai-je mes puissances si liées que je ne m’en puis servir en aucun temps pour faire des actes intérieurs ; et je ne suis jamais en plus grande paix en ma portion supérieure et je ne suis jamais mieux dans mon centre que quand je me laisse à la merci de cet attrait de ne rien 203 faire et de ne m’effrayer de [ne] rien faire89.*Il m’est avis que quand une chose est perdue, celui qui l’a perdue ne la voit plus et ne s’en sert plus : de même quand l’âme s’est absolument abandonnée et donnée à Dieu, s’abîmant en lui sans réserve, elle est perdue en Dieu avec toutes ses puissances ; et elle ne saurait s’en servir à moins de sortir de Dieu pour se retrouver en elle-même. L’âme se perd en Dieu, pour ne plus être en elle et plus ne plus vivre en elle ; mais pour être toute à Dieu, afin que ce soit lui qui vive en elle. C’est donc à Dieu de vivre en l’âme, d’agir et d’opérer en elle tout ce qui lui plaira.
Mes puissances m’ont servi d’instruments pour parvenir à l’union avec mon Dieu ; je n’ai donc plus besoin de me servir de ces puissances pour arriver à cette union, puisqu’elle est faite, et que mon âme est unie avec Dieu depuis plusieurs années : (a) jamais je ne me sens attirée à lui dire aucune parole ni d’amour, ni de confiance, ni d’abandonnement ; ni d’en désirer les sentiments ni de désirer les avoir ; si Dieu me les donne, je les reçois, sinon, je ne les cherche pas, ni ne pense pas à lui demander rien ni pour moi ni pour les autres.
Et quand je suis en sécheresse, je ne m’efforce point de faire des actes de soumission pour me mettre en disposition de souffrir, ni de faire chose quelconque. Enfin il me semble impossible de faire quoi que ce soit, ni de rien désirer, sinon que le bon plaisir de Dieu s’accomplisse éternellement en moi et en toutes les créatures : je ne pense pas pour tant à le désirer ; mais c’est ma disposition intérieure. +90 Il m’est avis que ne sens point 204(a) Notez jamais : stabilité.
* Perte. n. 57. +91 Abandon. n. 35.de résistance ni de difficulté, au moins en ma volonté, d’accepter et de souffrir tout ce que Dieu pourrait vouloir, quand même se serait les peines de l’Enfer et pour une éternité ; parce que quand ce serait son bon plaisir, je n’aurais point commis de péché, et n’en commettrais point, puisque son bon plaisir ne peut vouloir le péché, et n’en est jamais l’auteur.
Voilà donc tout mon fait, de ne rien faire, et de ne pas même désirer de ne rien faire : de sorte que non seulement mon désir est de ne rien désirer, ma volonté de ne rien vouloir, mon inclination de ne pas incliner, mon choix de ne point faire de choix ; mais je ne veux pas même désirer de ne rien désirer, parce qu’il m’est avis que ce serait encore un désir. Je ne voudrais pas même penser ni regarder si j’ai le désir de n’avoir point de désir, pour me perdre mieux toute, et pour marcher sans ces appuis qui ne sont pas Dieu, ôtant tous les obstacles qui sont entre lui et mon âme, afin qu’il puisse opérer et se communiquer à elle selon qu’il voudra. (Là même.) Conf. 19.
48. — Je tâche de ne m’arrêter à rien, et de ne vouloir ni honneur ni mépris, si joie ni tristesse, ni suavité ni sécheresse, ni satisfaction ni désolation, ni mortification ni consolation, ni santé ni maladie, ni la mort ni la vie, ni le ciel ni l’enfer, ni chose aucune de tout le reste que l’on peut désirer en ce monde ou en l’autre92 : tout mon attrait et instinct intérieur, si j’en ai ou si j’en sais connaître, me porte plutôt à ne rien voir de tout cela et à ne rien faire du tout. (Là même.) Conf. 20.
Il y a en quantité d’endroits de [mes]93 écrits que Dieu enseigne l’âme d’une manière admirable.CANTIQUE.
L’âme ne saurait connaître le divin Objet de son amour, -- qu’elle ne se connaisse aussi soi-même : puisque le néant de la Créature aide à connaître le Tout de Dieu. Mais parce que c’est dans ce Tout de Dieu que se puise la lumière nécessaire pour découvrir l’abîme du néant de la créature, il lui ordonne de sortir. Et d’où ? D’elle-même. -- Et pour aller où ? Afin d’entrer en Dieu. Ch. 1. Vs. 7.
Il faut même alors que l’âme perde la vue aperçue de Dieu et toute connaissance distincte, pour petite qu’elle soit : il n’y a plus de vue ni de discernement où il n’y a plus de division ni de distinction ; mais un parfait mélange : de sorte que la créature ne pourrait regarder Dieu (c’est-à-dire objectivement) dans cet état, sans se voir elle-même, et apercevoir en même temps les opérations de 206
son Amour. Or il faut que tout cela soit caché et dérobé à la vue, et que comme un Séraphin (a) elle ait les yeux voilés, pour ne plus jamais rien voir en cette vie. Ce qui s’entend de ne vouloir rien voir et ne ne point chercher par elle-même aucune découverte, ce qu’elle ne peut faire sans infidélité : mais cela n’empêche pas que Dieu ne lui fasse découvrir et comprendre ce qu’il lui plaît. Il n’y a que le cœur qui demeure découvert, parce qu’il ne peut trop aimer ; Ch. 6. Vs. 4.
(a) C’est qu’on peint les Séraphins avec six ailes : deux couvrent les yeux, deux les pieds, et celles du cœur demeurent ouvertes.
O l’admirable science que celle qui s’enseigne à petit bruit dans le silence ineffable et toujours éloquent de la Divinité ! le Verbe parle incessamment à cette âme et l’enseigne d’une manière à faire honte aux plus grands Docteurs. Mais à mesure qu’il enseigne l’âme, en s’insinuant de plus en plus en elle, et élargissant incessamment sa capacité passive ; aussi cette âme fidèle fait boire à son Époux de son vin mêlé de douceur et du doux aigre de ses grenades, qui est ce qui produit en elle la charité, lui rendant continuellement tout ce qu’il lui donne avec une entière pureté. Ch. 8. Vs. 2.
1. La Divinité est par-dessus tout ce qui est l’essence et la vie, et il n’y a point de lumière qui puisse la représenter. Tout verbe et tout esprit est incomparablement au-dessous de son excellence. De la hiérarchie Céleste Ch. 2.
2. Nous montons par ordre et par ce chemin-là vers celui qui est au-delà de toutes choses en tant que nos forces le peuvent permettre, en ôtant tout ce qui est au-devant de lui, et lui attribuant cela même que nous ôtons, disant qu’il est en lui d’une façon sur-éminente, comme celui qui est la cause de toute chose. Et pourtant Dieu est connu en toutes choses, et sans elles aussi : il est connu par connaissance et par ignorance. — *Cette connaissance-là qu’on a de Dieu, est véritablement divine, laquelle est connue par ignorance, par le moyen d’une certaine union qui est par-dessus l’entendement, lorsque l’esprit se retirant de toutes choses, et puis encore s’abandonnant lui-même, s’unit aux rayons plus que très lumineux et très clairs, et que de ces rayons et dedans eux il est illustré en l’abîme et en la profondeur investigable de la Sapience divine. Des Noms divins Ch. 7.
3. Heureux celui que la Vérité enseigne, non par des figures et par des paroles, mais par elle-même et selon ce qu’elle est. Livr. 3. §. 1.
4. Voyez Entendre n. 4.
5. Plus un homme sera recueilli en lui-même, et sera devenu simple au fond de son cœur, plus il avancera sans peine dans la connaissance des 208
(*) Sortie de soi. N. 3.
choses, et en comprendra de plus relevées ; parce qu’il recevra d’en haut le don de l’intelligence. — L’humble connaissance de vous-même est une voie bien plus sûre pour aller à Dieu qu’une profonde science. Là même. §. 3, 4.
6. Il y a une très grande différence entre la sagesse d’un homme que Dieu instruit lui-même par l’onction de son Esprit, et la science humaine d’un très habile Théologien. Cette lumière qui vient du ciel et que Dieu répand dans l’âme par le don et l’influence de sa grâce est sans comparaison plus noble et plus excellente que celle qui s’acquiert par le travail et les efforts de l’esprit humain. Livr. 3. Ch. 31. §. 2.
7. Il semble à l’âme que ce qu’elle savait auparavant, voire même tout ce que sait tout le monde, en comparaison de cette Saveur, est une pure ignorance ; et cette déification avec laquelle elle demeure — ne lui permets de prendre garde à nulle chose du monde. Cant. Entre l’Épouse et l’Époux. Coupl. 18.
8. La science savoureuse (a) qu’elle dit ici qu’elle lui enseigne est la Théologie mystique, qui est une secrète science de Dieu, que les spirituels nomment Contemplation, laquelle est très savoureuse, parce que c’est une science par voie d’amour, lequel en est le maître, et celui qui rend tout savoureux ; et d’autant que Dieu lui communique cette science et intelligence dans l’amour avec lequel il se communique à l’âme, elle
(a) Science savoureuse, sagesse ; je crois que c’est ce qui est dit dans 1 Jean 2. V. 27. L’onction vous enseignera toute vérité ; car cette onction divine ne laisse rien ignorer des choses divines quoiqu’on ignore des autres et de soi-même.
209 lui est savoureuse pour l’entendement, puisque c’est une science qui lui appartient, et elle est savoureuse à la volonté, puisqu’elle est amour, lequel appartient à la volonté. Là même. Coupl. 19.
9. Allons au mont ou à la colline. C’est-à-dire, la connaissance semblable à celle que les Théologiens appellent matinale, qui est une connaissance dans le Verbe divin, qui est entendu ici par la montagne, parce que le Verbe est la très haute Sagesse essentielle de Dieu : ou bien allons-nous-en à la connaissance du soir, qui est la Sagesse de Dieu en ses créatures, en ses œuvres et en ses admirables ordonnances, laquelle sagesse est ici signifiée par la colline, qui est plus basse que la montagne. Quand donc l’âme dit : Allons-nous voir à la montagne en ta beauté94, c’est-à-dire, rendez-moi semblable et m’informez de la beauté de la Sagesse divine qui est, comme nous disons, le Fils de Dieu : Et disant, ou allons à la colline, c’est demander qu’il l’informe de sa Sagesse et de ses mystères en ses créatures et en ses œuvres, qui est aussi, une beauté dont l’âme se désire voir illustrée. Là même. Coupl. 36.10. Cette nuit est la Contemplation, car la contemplation est obscure ; c’est pourquoi on l’appelle d’un autre nom Théologie Mystique, qui veut dire Sagesse de Dieu cachée et secrète, en laquelle sans bruit de paroles et sans l’aide d’aucun sens, comme dans le silence et quiétude de la nuit, et au-dessus de tous les sens, Dieu enseigne très secrètement l’âme, sans qu’elle sache comment : ce qui s’appelle entendre n’entendant pas, parce que l’entendement actif ne fait pas cela, lequel opère aux formes et fantômes des choses ; mais cela se fait en l’entendement en tant que passible et passif, lequel ne reçoit point telles formes 210 et fantômes, mais reçoit passivement une intelligence substantielle qui lui est donnée sans aucune industrie propre. Là même. Coupl. 39.
11. La Contemplation en ce degré est une science sans science et qui ne sait point de moyen ; laquelle est vue et possédée sans admiration, dont le retour est admiration. Miroir et flames de l’Amour divin. Chap. 7.
12. La très dévote ignorance nous convient bien, ô, mon amour, puisque nous sommes infiniment amoureux par-dessus l’amour en vous-même, heureusement transformés en vous. Pour ce sujet nous abhorrons la science naturelle, qui n’est le pain que des hommes purement moraux. Je dis infiniment plus, que nous ne voulons point même de la science de l’amour intime. Et toutes fois ce même amour fait que tant moins nous la désirons et y pensons, plus nous l’avons excellemment au-dessus de tout ce qui nous est inférieur en état d’amour. Que s’il se pouvait faire, ô ma chère vie, que le seul mot d’amour nous pût suffire, pour comprendre et exprimer ce que nous croyons ignorer, lors même que nous le digérons nous nous ; ce nous serait un indicible plaisir. Mais comme cela même n’est que forme (quoique très expressive et délicieuse) que sortie, et que productions que vous faites de vous-même en nous et pour nous ; cette production mise en évidence ne nous est rien en comparaison de vous. Contemplations 1.
13. La Sapience naturelle infuse suffit toute seule pour rendre l’homme bienheureux dedans la nature, ainsi que le Sage (a) et toute l’Écriture avec les Pères de l’Église, nous font foi, et
(a) Sag. 8. Vs. 3-8.
211 même avec eux les sages Philosophes de l’antiquité. Cette Sapience par son habitude, par sa science, et par sa lumière savoureuse, fait un acte continuel, dont l’effet est une parfaite rectitude d’âme et de corps dans la très étroite honnêteté morale. — En quoi certes l’amoureux de la Sapience est si content en cette vie, qu’il est autant éloigné de désirer quelque chose avec elle, que le ciel est éloigné de la terre, car elle suffit très pleinement à son possesseur.
A bien plus forte raison la Sapience divine remplit l’âme et le cœur de ses Amoureux d’indicibles délices : et certainement pour lors la Déité et son Paradis sont écoulés en la terre et en la chair, qui par ce moyen est fait esprit et déifiée de Dieu selon que les infusions divines ont été grandes et profondes ; de sorte que celui qui est ravi de Dieu à son aspect et à sa contemplation (a) goûte à sa manière possible quelque chose de la béatitude future et éternelle dont les habitudes sont si nobles qu’il est presque impossible, comme j’ai dit, qu’il se délecte désormais dans les créatures. De la simplicité. Tr. III. n. 10.
(a) Goûts de la béatitude éternelle. Paradis sur terre.
14. L’Oraison, ainsi que disent les SS. Pères, est une élévation de l’âme en Dieu, un entretien familier et réciproque entre la créature et son Créateur, qui lui découvre ses secrets, et lui révèle ses mystères, pour se faire aimer d’elle en se faisant connaître : mais il ne fait cette grâce qu’à celles qui sont petites à leurs propres yeux, et qui demeurent abaissées devant lui par la connaissance de leur néant, par l’aveu de leurs faiblesses et par le sentiment de leurs misères et de leur indignité. Livr. I. Trait. 1. sect. 10.
Il faut joindre cela ; parce que c’est la même manière de combattre les unes et les autres, et que j’ai peu à dire sur les Tentations, à cause qu’il en est beaucoup parlé dans l’article de la Purification ou des Épreuves.
Comme l’exercice direct et principal doit être la vue de la présence de Dieu : ce qu’on doit aussi faire le plus fidèlement, c’est de rappeler ses sens lorsqu’ils se dissipent.
C’est une manière courte et efficace de combattre les distractions : parce que ceux qui veulent s’opposer directement les irritent et les augmentent ; au lieu que s’enfonçant par la vue de foi de Dieu présent, et se recueillant simplement, on les combat indirectement, et sans y penser ; mais d’une manière très efficace. Chap. 2. n. 4.
Dans les distractions ou tentations, au lieu de les combattre directement (ce qui ne ferait que les augmenter, et tirer l’âme de son adhérence à Dieu, qui doit faire toute son occupation) on doit en détourner simplement la vue et s’approcher de plus en 213 plus de Dieu ; comme un petit enfant, qui voyant un monstre ne s’amuse pas à le combattre, ni même à le regarder, mais s’enfonce doucement dans le sein de sa mère, où il se trouve en assurance. (a) Dieu est au milieu d’elle, elle ne sera point ébranlée, il la secourra dès le point du jour.
Faisant autrement, comme nous sommes faibles, pensant attaquer nos ennemis, nous nous trouvons souvent blessés, si nous ne nous trouvons pas entièrement défaits : mais demeurant dans la simple présence de Dieu, nous nous trouvons tout à coup fortifiés. C’était la conduite de David. (b) J’ai, dit-il, le Seigneur toujours présent devant moi, et je ne serai point ébranlé : c’est pour cela que mon cœur est dans la joie, et que ma chair reposera même en assurance. Il est dit dans l’Exode : (c) Le Seigneur combattra pour vous, et vous vous tiendrez en repos. Chap. 19.
(a) Ps. 45. V95. 6.(b) Ps. 15. V. 8, 9. (c) Chap. 14. V. 14.AUTORITÉS.
1. Vous surmonterez plus aisément les tentations peu à peu par la patience et par une humble attente du secours de Dieu, que par un empressement humain accompagné de chagrin et 214 de mauvaise humeur envers vous-même. Livre 1. Ch. 13. §. 5.
2. Le principe de toutes les mauvaises tentations est l’inconstance de l’âme et le peu de confiance en Dieu. Là même §. 5.
3. Aidez-moi mon Dieu, et quelque pressé que je sois de la tentation, je ne craindrai pas de tomber. Que puis-je faire en cet état ? Seigneur, que votre volonté soit faite. J’ai bien mérité d’être si affligé et si accablé. Je ne mérite que de souffrir ; et plaise à votre bonté que ce soit avec une humble patience, en attendant que cette tempête passe et que le calme succède. Votre main qui peut tout est assez puissante pour me tirer de cette tentation et pour en adoucir la violence, afin que je n’y succombe pas entièrement ; puisque c’est une grâce que vous m’avez déjà faire tant de fois, ô mon Dieu et ma miséricorde. Plus je me trouve dans l’impuissance de sortir de ce mal, plus la main du Très-Haut se signalera en m’en tirant avec une facilité toute puissante. Livr. 3. Ch. 29. §. 1. 2.
4. Voyez Joie de l’âme n. 5.
5. Pour les mauvaises pensées, qu’il n’en fasse point d’état, qu’il considère que le Diable les présentait aussi à S. Jérôme dans le désert : je sais que ces travaux ont leur récompense, comme celle qui les a endurés plusieurs années. — Je crois quant à moi que sa Majesté veut souvent donner ces tourments au commencement et à la fin, et permet aussi qu’on soit travaillé de plusieurs tentations, afin d’éprouver ceux qui l’aiment, et savoir s’ils pourront boire le calice et l’aider à porter sa croix, avant que de leur communiquer de grands trésors. Vie Ch. 11. 215
6. Or sachez, mes filles, que je tiens pour certain que ceux qui parviennent à la perfection, ne demandent point à Notre Seigneur d’être délivrés des travaux, des tentations et des combats ; car ceci est un autre effet très assuré et très spécial, que c’est l’Esprit de Dieu, et non point une illusion cachée dans la contemplation et dans les grâces qu’ils reçoivent : parce qu’au contraire ils les désirent, les demandent et les chérissent : ils ressemblent aux soldats qui sont plus contents lorsqu’il y a plus de guerre, espérant de faire un plus grand butin : s’il n’y en a point, ils se passent96 de leur solde ; mais ils voient qu’ils ne peuvent faire un grand profit en cet état. Chemin de perf. Ch. 38.7. Ne craignez pas, mes Sœurs, d’aller par ces chemins : car il y en a plusieurs dans l’Oraison : – le chemin est assuré et vous serez plutôt délivrées des tentations en étant près de Notre Seigneur, qu’en étant éloignées. Chemin de perf. Ch. 39.
8. Le diable (a) vous remplira de mille fausses craintes pour troubler votre âme, afin qu’elle ne jouisse pas ce ces grands biens, et fera que d’autres vous en donnent. Pensez-vous qu’il lui importe peu de vous intimider ainsi ? Je vous dis qu’il lui importe grandement, parce qu’il cause par-là deux dommages ; l’un qu’il épouvante ceux qui l’écoutent, et fait qu’ils n’osent s’approcher de l’Oraison, pensant qu’ils tomberont ainsi dans les mêmes abus ; l’autre est que sans cela il y en aurait beaucoup plus qui s’appro-216
(a) Satan porte une grande envie à l’âme qui prie, et se sert de tout moyen, pour divertir son repos.
–procheraient de Dieu, voyant qu’il est si bon, et qu’il est possible qu’il se communique si intimement aux pêcheurs. Là même ch. 40.
9. Il arrive plusieurs fois à ces commençants que dans les exercices spirituels (sans qu’il soit en leur puissance de s’en garantir) il s’élève97 et ils sentent des mouvements sales, et quelquefois quand l’esprit est bien recueilli en oraison, ou bien quand ils communient, et se confessent : lesquels sans qu’ils aient le pouvoir de l’empêcher, comme je viens de dire, procèdent d’une de ces trois causes. —La deuxième raison d’où ces rebellions parfois procèdent, c’est le Diable, lequel pour inquiéter et troubler l’âme lorsqu’elle est en oraison, ou prête de la faire, tâche d’émouvoir en la nature ces sales mouvements, qui sont très dommageables à l’âme si elle s’en met en peine ; parce que non seulement pour la crainte de telle chose il la rend lâche à l’oraison, qui est-ce qu’il prétend98, afin d’entrer en combat avec eux : mais il faut encore que quelques-uns la quittent tout à fait, estimant que cela leur arrive plus en cet exercice qu’ailleurs, comme il est véritable : car le Diable les réserve plus à ce temps pour leur faire abandonner les exercices spirituels. Et non seulement cela ; mais il vient à leur99 représenter vivement des ordures, et parfois très conjointement à toutes sortes de choses spirituelles, et à des personnes qui profitent à leurs âmes100, afin de les terrasser et de les abattre du tout : de manière que ceux qui font cas de cela, n’osent rien voir ni rien considérer à cause qu’elles bronchent101 aussitôt en ceci ou en cela102 ; ce qui arrive particuliè217lièrement aux mélancoliques, avec tant d’efficace et tant de véhémence qu’il y a sujet d’en avoir compassion : — ils n’en guérissent guère, — si ce n’est que l’obscure nuit entre dans l’âme qui la purifie du tout.La troisième source d’où ces mouvements ont coutume de procéder et de faire la guerre, c’est la crainte qu’ils103 ont déjà conçue de ces mouvements et représentations déshonnêtes : d’autant que la crainte, que la prompte ressouvenance leur en donne en ce qu’ils voient ou ce qu’ils traitent, ou ce qu’ils pensent, leur fait souffrir ces actes sans qu’il y ait de leur faute. —Quelques-uns d’entre eux sous couleur et prétexte de Spiritualité conçoivent des affections envers quelques personnes, qui plusieurs fois procèdent de la luxure et non de l’esprit ; ce qu’on reconnaît être de la sorte, (a) lorsque par le souvenir de cette affection la mémoire et l’amour de Dieu ne croissent point, mais plutôt les remords de conscience ; car quand l’affection est purement spirituelle, à mesure qu’elle croît, celle de Dieu croît aussi : et tant plus ils se souviennent d’elle, tant plus aussi ils se souviennent de celle de Dieu et ont un désir de lui. Car l’esprit de Dieu a cela de propre qu’il accroît le bien avec le bien, à cause de la ressemblance et conformité qu’il y a. Mais quand cette affection naît du vice sensuel 218
(a) C’est la différence qu’il y a des âmes qui sont véritablement d’avec les autres, que leur approche fait tomber les tentations, recueille et porte à Dieu ; leur seul souvenir met en oraison : et les autres au contraire qui ont le cœur et le corps corrompu, n’excitent que de mauvais désirs. Ceci est une marque très sûre.
susdit, elle a des effets tout contraires ; parce que tant plus l’une croît, tant plus l’autre diminue. Et de même du souvenir : Car si cet amour croît, il verra incontinent104 qu’il va se refroidissant en celui de Dieu et s’oubliant de lui, par le souvenir de la personne qu’il aime ; et de plus il ira sentant quelques remords de conscience : au contraire si l’amour de Dieu croît en l’âme, il se refroidit en l’autre et le met en oubli. Car comme ce sont des amours contraires, tant s’en faut que l’un aide à l’autre, que plutôt celui qui prédomine éteint et confond l’autre, et se renforce soi-même. C’est pourquoi Notre Seigneur dit dans l’Évangile ; (a) que ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’esprit est esprit. C’est-à-dire que l’amour (b) qui vient de la sensualité demeure en la sensualité, et que celui qui vient de l’esprit s’arrête en l’Esprit de Dieu et le fait croître. Voilà quelle différence il y a entre les deux amours pour les discerner et connaître. Obscure Nuit Livr. I. Ch. 4.(a) Jean 3. V. 6.
(b) Cette remarque est très nécessaire pour faire connaître la vérité.
10. S. Grégoire : Il arrive souvent que l’esprit élève l’âme aux choses les plus sublimes et les plus relevées, et que néanmoins la chair l’attaque de tentations fâcheuses ; et lorsque l’esprit est conduit à la contemplation des choses célestes, il est repoussé par les images qui lui sont présentées d’une action illicite, car l’aiguillon de la chair blesse soudainement celui que la sainte contemplation ravissait hors de la chair. Le ciel donc et l’enfer sont resserrés ensemble, lorsque le même esprit est 219 élevé et illuminé par la contemplation, et obscurci par l’importunité de la tentation, afin qu’en s’élevant il voie et qu’il désire, et qu’étant revalé105 par telles pensées, il prenne patience et tolère ce dont il est honteux : car la lumière dérive du ciel, et l’enfer est occupé par les ténèbres : le ciel dont et l’enfer sont réduits en un, lorsque l’esprit qui considère déjà la lumière de la céleste patrie, porte ainsi avec la guerre de la chair les ténèbres d’une tentation cachée. (Livr. 10. des Morales Ch. 8.) Eclairc. des Phr. Myst. de J. de la Croix. P. II. Ch. 10. §. 3.11. S. Jérôme. Fort souvent en mon oraison je me promène par les porches et galeries ou je m’occupe en des comptes de profit et d’intérêt, ou emporté par une pensée déshonnête, je souffre de choses qui sont honteuses à dire. (Dial. contre les Lucifériens.) Là même.
12. S. Diadoche. On voit que l’âme dans le même instant du temps pense des choses honnêtes et déshonnêtes ; comme l’homme duquel nous avons apporté l’exemple, a froid et est tiède dans le même instant : car d’autant que notre âme est tombée en une double connaissance [celle du bien et du mal]106 elle est nécessitée de supporter au même moment, bien que malgré elle, des pensées honnêtes et sales, principalement ceux qui parviennent à la subtilité de discerner ; car l’âme se hâtant de considérer quelque chose honnête, il lui vient aussitôt le souvenir du mal. (De la perf. spirit. Ch. 88.) Là même.13. Blofius parlant de Ste. Brigitte et Ste. Catherine de Sienne : Elles ont souffert plusieurs mouvements et pensées déshonnêtes, même au temps de la Communion et des exercices spirituels, dont elles 220 ne recevaient pas peu de douleur (a) et de déplaisir ; et par conséquent cela ne leur était pas imputé à coulpe ni à démérite, mais plutôt leur tenait lieu de mérite. C’est pourquoi Notre Seigneur dit à Ste. Catherine dolente et affligée, de quoi te désoles-tu, si cela te fait de la peine je suis là présent : et Paladius rapporte cela de soi-même. Là même.
(a) C’est la différence des âmes vraiment à Dieu [d’avec les faux spirituels]107 : elles souffrent leurs tentations avec une extrême douleur, tâchant de ne les point regarder, mais de s’appliquer directement à Dieu, ce qui les fait tomber d’abord : au lieu que les autres s’y plongent, s’y délectent, quittent la vue de Dieu et s’en détournent tout à fait volontairement, afin de se délecter dans leur sensualité, et quittent l’oraison ou n’en font point, de peur que le souvenir du Dieu de pureté ne les tire de leur impureté.14. Le P. Jean de Jésus-Maria. C’est une chose constante entre les Docteurs, que toutes et quantes108 fois qu’il arrive quelque déshonnêteté contre l’intention, provenant de de quelque chose nécessaire ou convenable au corps, comme est le boire ou le manger modéré, ou à l’âme comme de prier, d’étudier, etc. il n’y a aucune coulpe (b) à ne point dé-(b) S’il n’y a point de coulpe à ne se pas désister de ce que l’on fait, combien à plus forte raison n’y a-t-il point d’inconvénients de se détourner de ces pensées par une forte application à Dieu. O si je pouvais faire comprendre comme c’en est l’unique remède, et comme elles tombent d’elles-mêmes par cette occupation de la présence de Dieu ! Vous savez, mon Seigneur que je dis la vérité : mais parce que cette vérité coule par un canal si méprisable, elle ne sera pas crue. 221
désister109 de cette occupation-là. Là même.15. Encore S. Grégoire : Celui qui est plus ravi en contemplation, est plus travaillé de tentation ; comme il arrive souvent à ceux qui profitent bien, que lorsque leur esprit est touché de la componction ou ravi par la contemplation par-dessus soi-même, il est aussi talonné et suivi incontinent de la tentation, de peur qu’il ne s’enfle et s’enorgueillisse des choses auxquelles il est ravi : car par la componction110 ou la contemplation il est élevé à Dieu ; mais par le poids de la tentation est-il repoussé vers soi-même ; en tant qu’elle l’appesantit, afin que la contemplation ne s’avance111. (Livr.2 sur Ezech. Homil. 14.) Là même. Ch. 11. § 1.16. — Comment est-il dit (Job. 30. vs. 13.), il n’y a eu personne qui donnât du secours ; si ce n’est que Dieu tout puissant laisse quelquefois pour un temps ceux qu’il aime pour jamais : car Dieu aide ses Saints, en les visitant ; les éprouve, en se retirant ; les confirme par les dons ; les tente par les tribulations : d’où vient que le Sage (a) a bien dit ; il l’a spécialement élu, il attirera sur lui la crainte et l’épreuve, et le tourmentera dans la tribulation de la doctrine jusqu’à ce qu’il l’ait tenté en ses pensées. (Moral. Livr. 20. Ch. 19.) Là même.
(a) Eccli. 4. vs. 18, 19.
17. La première de ces imperfections subtiles et inconnues en cette vie suressentielle, c’est de contester ou combattre contre les pensées superflues et distractions : et la raison est, d’autant que par telle contestation les pensées s’impriment plus fortement dans l’esprit. Car comme la volonté qui aime ou hait une chose, réveille l’intel — 222tellect pour la comprendre, et la mémoire pour s’en souvenir ; il s’ensuit que d’autant plus que la volonté hait et s’émeut contre ses propres pensées, d’autant plus elles sont comprises de l’entendement et ressouvenues de la mémoire, et plus imprimées dans l’esprit : Voilà pourquoi il ne faut pas s’émouvoir et contester contre les pensées et les distractions. Une autre raison est que d’autant plus on conteste, d’autant plus il y a de mouvements et d’actes dans l’âme ; et ainsi d’autant plus est-on éloigné, selon notre règle, de cette mort et anéantissement ; puisque tant plus on fait, tant plus on est.
Le remède de cette imperfection et de cette contestation est son contraire, à savoir le mépris de telles pensées et distractions ; et l’anéantissement de soi-même en cet abîme de lumière et de vie ; où étant anéanti, les pensées conséquemment s’évanouiront. Car le même abîme qui anéantit la personne, noie aussi les distractions. Et il ne faut pas faire différence entre le sentir et non-sentir de ses pensées, mais se tenir toujours ferme et assuré dans son rien, et laisser combattre son Tout, à savoir cette volonté essentielle, ou son Dieu. Et cette sorte de conduite (je ne dis pas combat) se doit observer en cette vie suréminente contre toutes les tentations. Règle de la perfection. Part. 3. Ch. 10. n. 1.
18. Voyez Quiétude. §. 1. N. 48.
19. La volonté qui dans sa quiétude plaisante et savoureuse est tourmentée de la partie inférieure, doit prendre garde de ne pas acquiescer ni adhérer au sens ainsi troublé, mais le méprisant elle doit nourrir son repos et sa quiétude le plus 223 qu’elle peut. Il y a des âmes qui s’affligent fort quand leur partie inférieure traverse le doux repos de leur volonté. Ste. Thérèse en était une. Quelquefois, disait-elle (a) je désirerais mourir d’autant que ne puis point remédier à cette inconstance de pensées. Mais il ne faut pas adhérer à cette partie inférieure qui est insensée ; parce que cela empêche l’âme de conserver et de fortifier la quiétude qui réside en la volonté, n’y ayant rien qui la fasse plutôt perdre ni112 le goût aussi que l’on ressent en cette quiétude, que de s’arrêter aux sottes pensées qui la brouillent en tel temps. C’est pourquoi la même Sainte au lieu cité donne un bon conseil. La volonté, dit-elle, se voyant en cette quiétude, ne doit point se soucier de l’entendement, ou de la pensée, ou de l’imagination, car je ne sais lequel c’est, non plus que d’un fou ; parce que si elle le veut amener après soi, il faudra qu’il l’empêche ou inquiète et trouble en quelque chose113 ; et en ce degré ici d’oraison, elle n’en aura autre chose que du travail sans y gagner davantage, mais plutôt elle y perdra ce que Notre Seigneur lui donne sans aucune peine de sa part.C’est pourquoi le premier avis que je donne est de mépriser les boutades de nos sens. Premièrement parce que comme dit Ste Thérèse, le sens est un fou. Un Théologien mystique apporte une autre raison : il le faut négliger, dit-il (b) comme celui qui n’a nul commerce et nul rapport avec le goût, dont la volonté par autre voie que lui114 jouit avec Dieu. J’enchéris et je dis pour troisième raison ; que non seulement le sens n’a point de commerce ni d’alliance avec la jouissance et le 224(a) Chem. De perf. Ch. 31.
(b) Barbançon Secrets sentiers. Livr. 2. Ch. 15.
repos de la volonté, mais qu’il lui est diamétralement opposé et comme ennemi juré ; et partant qu’elle ne doit pas faire cas de lui. Quatrièmement, il n’y a rien qui le rende plus morfondu ni qui émousse plus la pointe de ses armes que le mépris. Cinquièmement, ce mépris est le remède général que les Maîtres de la vie spirituelle conseillent, et en cela et en toute chose. Ste. Thérèse le dit parlant de cette oraison en plusieurs endroits. Et donc puisque ce tourment et agitation de la partie inférieure ne nous ôte point le goût et le repos de la quiétude de la volonté, de quoi nous mettons-nous en peine ? Qu’il demeure tant qu’il voudra. il suffit que nous soyons assurés que Dieu nous le laisse pour exercer notre patience.
Le second avis que je donne à l’âme est de ne s’efforcer point plus que de raison, de ramener le sens à son devoir ; parce que cet effort qu’elle fera pour l’apaiser et l’attirer à son goût, ne lui peut-être que préjudiciable en tel état pour plusieurs raisons : Premièrement, parce qu’il est inutile, le sens n’obéissant pas à la raison. Secondement voyant ces efforts inutiles, elle aura de l’inquiétude, croyant que la furie de cette partie inférieure est un empêchement pour jouir de son doux repos, et que ce désarroi est un grand mal ; et cette inquiétude est très contraire à cette oraison de repos, et la tristesse à son goût115. La troisième raison est que travaillant son esprit pour apaiser les révoltes de la partie inférieure, la volonté embrasse plus d’affaires qu’elle n’en peut digérer. Le soin d’apaiser les sens est seul capable d’engloutir toute son attention ; celui d’entretenir le goût de Dieu n’en demande pas moins : ayant deux fusées116 à démêler si difficiles qu’à peine peut-elle 225 satisfaire à une, comment le pourrait-elle à toutes deux ? Et ainsi elle tombera accablée sous le faix117, comme l’a remarqué ci-dessus Ste Thérèse. La quatrième raison est, que le pénible et inutile travail que prend l’âme d’apaiser le sens troublé, lui fait perdre le goût de son repos savoureux ; parce que l’attention qu’elle donne au sens diminue celle qu’elle doit à l’entretien de ce goût ; et que le défaut d’attention et de coopération à telles grâces les diminue, ou fait évanouir tout à fait. Elle perdra, dit Ste Thérèse, ce que le Seigneur lui donne sans aucun sien travail118 ; et force lui sera de laisser tomber le lait de la bouche et de perdre cette viande divine. — Et en son Château de l’âme, donnant la raison pour laquelle la partie inférieure tourmente ainsi et traverse la quiétude de la volonté, c’est à cause, dit-elle, que l’entendement ne peut comprendre ce que la volonté veut et aime ; par l’entendement cette Sainte entend l’imagination, car elle confond ces deux choses. Ce qu’elle confirme autre part, en disant (a) ; l’entendement a honte de voir qu’il n’entend pas ce que l’âme veut, et ainsi il va de part à autre119 comme étourdi et tout étonné ; car il ne s’assied et ne se repose en chose aucune. La volonté est si plongée en Dieu que l’inquiétude de l’entendement lui donne une grande peine ; et partant il ne faut point qu’elle en fasse cas, car il lui ferait perdre beaucoup de ce dont elle jouit : mais il faut qu’elle le laisse là et qu’elle s’abandonne entre les bras de l’amour : car sa Majesté lui enseignera ce qu’elle doit faire en ce temps-là ; et quasi le tout gît120 à s’estimer indigne d’un si grand bien, et à s’employer en actions de grâces. Il arrive souvent que quelqu’un voulant 226 (a) Dem. IV. Ch. 3.
empêcher un autre de se noyer, se noie avec lui et perd la vie qu’il veut sauver : ainsi l’âme voulant tirer le sens au point de tranquillité et de repos, se noie avec lui dans les eaux de ses inquiétudes, perdant la grâce de son précieux repos. Livr. IV. Traité VII. Ch. 6. Sect. 6.
20. Si la pensée ou l’entendement s’écoule à des choses impertinentes, il faut se rire de lui comme d’un insensé, et se tenir en son repos et quiétude ; parce qu’il ira et viendra. et parce que la volonté est ici la maîtresse, elle le ramènera sans que l’âme s’en empêche121.Secondement parce que les sens d’eux-mêmes s’apaiseront ; car ils ne peuvent pas toujours continuer leur révolte contre leur reine. Quand les abeilles prennent l’essor, si la maîtresse mouche, qui est leur reine, ne sort point avec elles, elles retourneront bientôt ; car elles ne peuvent vivre sans elle : ainsi en feront nos sens quand ils s’égarent en mille distractions et fantaisies, si la volonté se tient en sa quiétude, savourant le doux miel de cette ruche ; ces mouches importunes rechercheront leur maîtresse sans laquelle elles ne peuvent demeurer en repos. Car il y a une telle sympathie de ces puissances à la volonté, qui est leur reine et leur mère, que bien que pour un temps elles se débandent122 de sa maison et obéissance ; néanmoins si elle fait semblant de ne s’en pas soucier, elles retourneront au logis comme l’enfant prodigue ; se souvenant que quand elles étaient d’accord avec la raison leur mère, elles jouissaient d’une grande paix et d’un grand plaisir. Là même. Sect. 7.21. Le premier profit que pourrait tirer la volonté du désordre des sens, serait, une force indomptable pour conserver sa paix contre les efforts 227 de ses ennemis, et empêcher qu’ils ne puissent altérer son goût. —
Cette oraison tourmentée par la partie inférieure est plus méritoire à l’âme et plus précieuse devant Dieu, que celle qui est exempte de tourment. —
Lorsque l’âme a ses passions émues, et que nonobstant elle rentre en soi-même avec un repos doux et un goût sans inquiétude, elle apprend à se tenir en repos toutes les fois qu’elle a ses mêmes sens émus, et qu’elle est sevrée de ce doux lait ; parce que lorsqu’elle est en sécheresse sans aucun goût, elle doit s’introvertir tranquillement et doucement, sans se soucier de ses passions ou imaginations, ainsi qu’elle fait lorsque Dieu lui donne un repos et un goût plaisant ; ce qui n’est pas un petit profit. Là même. Sect. 8.
On n’a pu séparer ces deux verbes parler et entendre.
La raison pour laquelle le silence intérieur est si nécessaire, c’est que le Verbe étant la Parole éternelle et essentielle, il faut, afin qu’il soit reçu dans l’âme, une disposition qui ait quelque rapport à ce qu’il est.
Or il est certain que pour recevoir la parole 228 il faut prêter l’oreille et (a) écouter. L’ouïe est le sens qui est fait pour recevoir la parole qui lui est communiquée. L’ouïe est un sens plus passif qu’actif, qui reçoit et ne communique pas. Le Verbe étant la parole qui doit se communiquer à l’âme et la revivifier, il faut qu’elle soit attentive à ce même Verbe, qui veut lui parler au-dedans d’elle.
C’est pourquoi il y a tant d’endroits qui nous exhortent d’écouter Dieu, et de nous rendre attentifs à sa voix. — Écoutez-moi vous tous qui êtes mon peuple : nation que j’ai choisie. Écoutez-moi vous tous que je porte en mon sein, et que je renferme dans mes entrailles. (c) Écoutez, ma fille, voyez et prêtez l’oreille : oubliez la maison de votre père, et le Roi concevra de l’amour pour votre beauté. Il faut écouter Dieu, se rendre attentif à lui, s’oublier soi-même, et tout propre intérêt : ces deux seules actions (ou plutôt passions, car cela est fort passif) attirent l’amour de la beauté que lui-même communique.
Le silence extérieur est très nécessaire pour
(a) Tout ceci ne s’entend pas d’écouter extérieurement ; mais d’une attention simple à Dieu par le moyen du silence intérieur.
(b) Isa. 51. vs. 4. Ch. 46. vs. 3.
(c) Ps. 44. vs. 12.
229 cultiver le silence intérieur ; et il est impossible de devenir intérieur sans aimer le silence et la retraite. Dieu nous le dit par la bouche de son Prophète : (a) je la mènerai en solitude et là je parlerai à son cœur.
Le moyen d’être occupé de Dieu intérieurement, et de s’occuper extérieurement de mille bagatelles ? Cela est impossible. Chap. 14. n. 1, 2, 3.
(a) Osée. 2. vs. 14.
O si l’on connaissait le bonheur qu’il y a d’écouter Dieu de la sorte, et combien l’âme en est fortifiée. (b) Il faut que toute chair se taise en la présence du Seigneur. Ch. 21. n. 11.
(b) Zach. 2. vs. 13.
Cette âme, qui est endormie pour tout le reste, est plus attentive à la voix de son Bien-aimé : elle l’entend et le distingue d’abord : voilà la voix de mon Bien-aimé, dit-elle ; je le connais, je l’entends, et l’effet qu’il opère en moi ne me permet pas d’en douter. Ch. 2. vs. 8.
La voix de mon humanité vous invite à venir vous perdre et vous cacher avec elle dans le sein de mon Père : Vous entendrez mieux 230 cette vois lorsque vous serez dans la terre où je vous appelle, que vous ne faites à présent, qu’elle vous est encore inconnue. Cette voix de ma simplicité et de mon innocence, dont je veux vous gratifier, est bien différente de la vôtre. Là même. vs. 12.
J’ai mis en bien des endroits qu’on a peine à se faire entendre. Tout cela est renfermé dans la phrase d’Entendre.
2. (Parlant de la première cause divine.) Derechef en montant nous disons qu’elle n’est ni âme ni entendement, qu’elle n’a ni imagination ni opinion, ni raison, ni intelligence ; qu’elle n’est point aussi ni parole, ni pensée, et qu’elle n’est ni énoncée ni entendue. —
Elle n’est aucune des choses qui n’ont point d’être ni de celles qui ont l’être : et nulle des choses qui ont de l’être ne la connaît en la façon qu’elle est : aussi ne connaît-elle point les choses qui sont, en la façon qu’elles sont. Il n’y a d’elle ni parole, ni nom, ni science : elle n’est ni lumière, ténèbres, ni vérité. Théol. Myst. Ch. 5.
3. Le mystère de Jésus-Christ est caché et n’a été divulgué par aucune parole, ni révélé à aucun entendement, comme il est en soi : mais encore qu’il se dise et se profère, il demeure néanmoins 231 inexplicable par paroles, et lors même qu’il est pensé et entendu il demeure inconnu et non entendu. Epître 3.
4. Celui qui écoute la Parole éternelle ne s’embarrasse point dans les questions inutiles. Tout a été fait par cette unique Parole, ce principe souverain qui parle à nos cœurs. Sans elle nul ne peut ni bien comprendre les choses ni en juger sainement. Celui qui trouve tout dans l’unité souveraine, qui rapporte tout à cette unité, et qui voit tout dans cette unité, conservera son cœur en paix dans le sein de Dieu. O Vérité qui êtes mon Dieu, rendez-moi une même chose avec vous en me liant à vous par une éternelle charité. Je m’ennuie souvent de tant lire et de tant écouter ; c’est en vous seul que je trouve tout ce que je cherche et que je désire. Que tous les Docteurs se taisent, que toutes les créatures demeurent en silence devant vous ; parlez-moi vous seul. Livr. 1. Ch. 3. §. 2.
5. J’écouterai ce que le Seigneur dit à mon cœur. Heureuse est l’âme qui écoute Dieu qui lui parle, et qui reçoit de sa bouche la parole qui le123 console ! Heureuse est l’oreille qui entend les sons sacrés de ce langage divin, et qui se rend sourde124 aux bruits et au tumulte du monde ! Heureuse encore une fois est l’oreille qui n’écoute point une parole, qui résonne au-dehors, mais qui entend la vérité même, qui l’enseigne divinement et dans le fond du cœur. Livr. 3. Ch. 1. §. 1.6. Parlez Seigneur, parce que votre serviteur vous écoute. Je suis votre serviteur, donnez-moi l’intelligence, afin que j’apprenne ce que vous me commandez. Rendez mon cœur soumis aux paroles 232 de votre bouche ; et faites qu’elles pénètrent dans mon âme comme une rosée céleste. Les Israélites disaient autrefois à Moïse : (a) parlez-nous et nous vous écouterons : mais que le Seigneur ne nous parle point de peur que nous ne mourions. Ce n’est point là la prière que je vous fais ; non, mon Dieu, je ne vous fais point cette prière : mais je vous demande avec un humble désir la même grâce que vous demandait le Prophète Samuel lorsqu’il vous disait ; (b) Parlez Seigneur, parce que votre serviteur vous écoute. Que Moïse ni aucun des Prophètes ne me parle point ; mais parlez-moi vous-même, mon Seigneur et mon Dieu, qui avez été l’oracle et la lumière de tous les Prophètes : car vous pouvez seul sans eux m’enseigner parfaitement ; et eux sans vous ne me serviront de rien.
Ils peuvent bien faire entendre leurs paroles ; mais ils ne peuvent donner la grâce et l’esprit. Ce qu’ils disent est admirable ; mais le cœur n’en est point touché si vous-même ne lui parlez. —
Parlez-moi parce que votre serviteur vous écoute, et que vos paroles (c) donnent la vie éternelle. Livr. 3. Ch. 2. §. 1, 2, 3.
(a) Exod. 20. vs. 19. (b) 1 Rois 3. vs. 10. (c) Jean 6. vs. 69.
7. Mon fils, écoutez mes paroles pleines d’une douceur céleste, et qui passent infiniment la science présomptueuse de tous les Sages du monde. Mes paroles (d) sont esprit et vie, et elles ne doivent point être considérées par le sens humain. Vous ne devez point les écouter pour prendre une complaisance vaine, mais vous les devez recevoir en silence avec une humilité profonde et une affection pleine d’ardeur. Là même. Ch. 3. §. 1. 233
(d) Jean 6. vs. 64.
8. Je suis la Souveraine Vérité ; je vous enseignerai ce qui est juste et ce qui me plaît. Là même. Ch. 4. § 3.
9. C’est moi qui enseigne sans bruit de paroles. Là même. Ch. 43. §. 3.
10. Quand nous outrepassons toutes choses par amour, mourant à toute considération, nous entrons dans une certaine ignorance et obscurité : là nous sommes mus et revêtus du Verbe éternel, qui est l’image du Père ; et dans l’inaction de notre esprit, nous recevons une clarté incompréhensible ; — c’est une vue sans bornes ; enfin nous devenons ce que nous voyons dans une lumière qui nous transforme en Dieu. Etc. Théol. Myst. Livr. 3. Part. 1. Ch. 2.
11. Un entendement humilié voit, entend, goûte et sent ce secret, et arrive bientôt à l’union divine. Vie Ch. 31.
12. La langue en peut parler en quelque sorte, et non de tout : car l’entendement est plus grand en capacité que n’est la capacité de s’exprimer par la langue. Mais pour la grande abondance de cette intelligence, et pour le grand sentiment que Dieu verse dans l’âme, la langue ne se peut taire ; et toutefois elle ne peut dire ce qu’elle voudrait : et ceux qui ne sont point dépouillés de leurs mauvaises habitudes, ni illuminés d’en haut, ne peuvent comprendre ce que cette langue dit alors ; parce que si l’entendement n’a la lumière de la grâce, il n’entend ces choses que confusément sans goût et sans sentiment. Ch. 32.
13. Puisque Dieu n’est compris sous aucune forme ni intelligence distincte, l’âme aussi pour s’unir 234 à Dieu ne doit point tomber sous forme ni intelligence distincte. Or qu’en Dieu il n’y ait aucune forme ni semblance, le S. Esprit le donne assez à entendre disant : (a) vous avez ouï la voix de ses paroles, et vous n’avez vu aucune forme. — Vous n’avez vu aucune semblance le jour que le Seigneur parla du milieu du feu sur le mont Oreb. — S’il y a quelque Prophète entre vous, je lui apparaîtrai en vision, ou je parlerai à lui en songe : mais il n’y en a point comme mon serviteur Moïse, lequel en toute ma maison est très fidèle : car je parle à lui bouche à bouche ; et il ne voit pas Dieu par énigmes et figures, mais ouvertement. Montée du Mont Carm. Liv. 2. Ch. 16.
(a) Deut. 4. vs. 12, 15. (b) Nomb. 12. vs. 6, 7, 8.
14. La principale cause pourquoi les demandes qu’on faisait à Dieu dans l’ancienne loi, étaient permises, et qu’il était convenable que les Prêtres et les Prophètes demandassent des visions et révélations de Dieu, c’est qu’alors la foi n’était pas encore tant fondée, ni la loi évangélique établie ; et partant, ils avaient besoin que Dieu parlât à eux tantôt par des paroles tantôt par des visions, maintenant par des révélations, d’autres fois en figures. — parce que tout ce qu’il répondait, parlait et révélait, était des mystères de notre foi, ou des choses concernantes125 et adressées à elle. — Mais à présent que la foi est fondée en Jésus-Christ, et que la loi évangélique est manifestée en cet état de grâce, il ne s’en faut plus enquérir, ni vouloir que Dieu réponde comme auparavant. Car en nous donnant son Fils qui est son Verbe et son unique Parole, il nous a dit et révélé (c) toutes choses en une seule fois par cette 235 seule parole. Là même. Chap. 22.(c) De la Vraie Révélation de J. Christ. Voyez Extase. n. 11, 12, 13. Etc.
15. Touchant ces paroles [substantielles]126 l’âme n’a rien à faire ni à vouloir pour lors de soi, mais qu’elle s’y tienne avec résignation et humilité prêtant son libre consentement à Dieu : Elle n’a aussi rien à rebuter ni à craindre : elle n’a que faire de travailler à opérer ce qu’elles disent, parce qu’avec ces paroles substantielles Dieu l’opère127 en elle et avec elle ; ce qui est différent dans les formelles et successives : elle n’a rien à rejeter, parce que leur effet demeure substantivé dans l’âme et rempli des biens de Dieu, lequel comme elle le reçoit passivement, son action y est moins en tout : elle ne doit point aussi craindre de tromperie (a), parce que ni l’entendement ni le Diable ne peuvent point s’entremettre en cela. Montée du Mont Carm. Livr. 2. Ch. 31.(a) Moins il y a de notre action, moins il y a de tromperie.
16. Ces féconds sentiments intérieurs sont très hauts, très éminents et très utiles, dont ni l’âme ni celui qui la gouverne ne peuvent savoir, ni entendre la cause d’où ils procèdent, ni quelles sont les bonnes œuvres pour lesquelles Dieu lui fait ces faveurs, d’autant qu’elles ne dépendent point d’œuvres que l’âme fasse ni de considérations qu’elle ait, encore que ces choses soient de bonnes dispositions à cela128. Dieu les donne à qui lui plaît et pour ce qu’il lui plaît. Là même. Ch. 32.17. Voyez Foi nue. n. 17.
18. Comme la sagesse de cette contemplation est le langage de Dieu à l’âme de pur esprit, ce que les sens ne sont pas, ils ne le peuvent comprendre, et ainsi cela leur est caché et ils ne le savent et ne le peuvent dire. Obsc. Nuit. Livr. 2. Chap. 17. 236
19. Car ici leurs langues trop basses
Bégayant un je ne sais quoi,129Qui me tue et me met hors de moi.
C’est comme si l’âme disait ; mais outre la plaie que je reçois de ces créatures au récit qu’elles me font de la multitude de vos grâces, il y a un tel je ne sais quoi, qu’on sent rester à dire, et une chose qu’on connaît demeurer à couvert, et un sublime vestige de Dieu qu’on découvre à l’âme, qui reste à suivre, poursuivre et rechercher, et une très haute connaissance de Dieu qu’on ne peut expliquer, laquelle pour cela elle appelle un je ne sais quoi. Tellement que si l’autre que j’entends me navre et me blesse d’amour, celui-ci que je n’achève point d’entendre et dont j’ai un haut sentiment me fait mourir. Cela arrive parfois aux âmes avancées auxquelles Dieu, en ce qu’elles entendent ou voient ou connaissent, et quelquefois sans ces choses, fait la faveur de donner une notice relevée130, en laquelle on le donne à entendre ou à sentir la hauteur et grandeur de Dieu : et en ce sentiment l’âme sent de Dieu si hautement, qu’elle entend clairement que tout reste et demeure à entendre. Et cette intelligence et sentiment, que la divinité est si immense qu’elle ne se peut entendre parfaitement, c’est une connaissance très excellente, très haute et très éminente : et ainsi l’une des plus grandes faveurs que Dieu fasse en passant en cette vie, c’est de donner clairement à entendre à l’âme et la faire sentir si hautement de Dieu, qu’elle entend et connaît manifestement qu’on ne peut l’entendre ni sentir entièrement ; parce que c’est aucunement à la façon de ceux qui le voient dans le ciel, où ceux qui connaissent davantage, entendent plus distinctement l’infini qui leur reste à 237 entendre que ceux qui le voient moins, auxquels ce qui leur demeure à entendre ne paraît pas si distinctement comme aux autres qui le voient davantage. Je crois que celui qui ne l’aura pas expérimenté, ne le pourra bien entendre ; mais l’âme qui en a l’expérience, comme elle voit que ce dont elle a un très haut sentiment, lui reste à entendre, elle l’appelle un je ne sais quoi, parce que, comme on ne l’entend pas, aussi on ne le peut dire encore qu’on sache bien le sentir. Cantique entre l’Épouse et l’Époux. Coupl. 7.20. Dans cet état actuel, l’âme ne peut faire ces actes, si le S. Esprit ne l’y pousse très particulièrement ; c’est pourquoi tous ses actes sont divins, en tant qu’elle est mue de Dieu avec cette particularité. D’où vient qu’il lui semble qu’à chaque fois que cette flamme flamboie, la faisant aimer avec la faveur et tempérament divin, on lui donne la vie éternelle qui l’élève à l’opération divine en Dieu.
C’est le langage que Dieu parle, et dont il se sert avec les âmes purgées et nettes, qui est de (a) paroles tout embrasées, comme dit David ; (b) Vos discours sont grandement ardents, et le Prophète Jérémie ; (c) Peut-être que mes paroles ne sont pas comme du feu, lesquelles, comme le même Seigneur dit en S. Jean (d) sont esprit et vie, desquelles sentent la vertu et l’efficace les âmes qui ont des oreilles pour les entendre131 qui ont des âmes pures et éprises d’amour : car celles qui n’ont pas le palais sain et qui savourent d’autres choses, ne peuvent goûter l’esprit et la vie(a) Ce ne sont point paroles distinctes, mais impressions opérantes et efficaces.
(b) Ps. 118. vs. 140. (c) Jer. 23. vs. 29.
(d) Jean 6. vs. 64.
238 qui est en elles. C’est pourquoi tant plus le Fils de Dieu parlait hautement, tant moins quelques-uns y prenaient de goût, à cause de leur impureté, comme quand il prêcha cette tant savoureuse et amoureuse doctrine de la sacrée Eucharistie, plusieurs se retirèrent. Et parce que telles personnes ne goûtent pas le (a) langage de Dieu qui parle si fort en l’intérieur, elles ne doivent toutefois pense que d’autres ne les savoureront pas, comme S. Pierre les goûta bien quand il répondit à Jésus-Christ : (b) Seigneur, à qui irions-nous ? vous avez les paroles de la vie éternelle. Et la Samaritaine (c) oublia l’eau et la cruche pour la douceur des paroles de Dieu. Vive flamme d’amour Cant. 1. vs. 1.
(a) Cette parole est une intelligence savoureuse, qui dit tout sans rien dire, qui exprime tout sans rien spécifier.
(b) Jean 6. vs. 69. (c) Jean 4. vs. 28.
21. Ainsi l’âme étant si près de sa Majesté divine, qu’elle est transformée en flamme d’amour où le Père, le Fils et le S. Esprit lui sont communiqués, est-ce une chose incroyable de dire qu’en cette inflammation du S. Esprit elle goûte un peu de la vie éternelle, bien que ce ne soit pas parfaitement parce que la condition de cette vie ne le permet ?
C’est pourquoi elle appelle cette flamme vive : non qu’elle soit jamais autrement ; mais parce qu’elle lui cause un te effet, qu’il la fait vivre en Dieu spirituellement, et goûter la vie de Dieu à la manière que dit (d) David : mon cœur et ma chair se sont réjouis au Dieu vivant : non qu’il soit besoin de dire vivant, car Dieu l’est toujours ; mais pour donner à entendre que l’esprit et le sens
(d) Ps. 83. vs. 3.
239 goûtaient (a) vivement Dieu, et cela est se réjouir en Dieu vivant : et ainsi l’âme en cette flamme sent vivement Dieu et le goûte si savoureusement qu’elle dit : O vive flamme, ô sainte ardeur ! Là même.
(a) Pour ne rien confondre, il faut comprendre que ces sentiments dont il est parlé ici sont bien différents des premiers auxquels il a fallu mourir, parce qu’ils étaient mêlés d’impuretés. Ce sont des sentiments purifiés et qui viennent de l’opération de Dieu immédiate et substantielle qui rejaillit sur les sentiments d’une manière autant pure qu’elle est instable.
22. Voyez Union. n. 55.
23. Voyez Actes. n. 10.
24. S. Thomas. Dire, se rapporte en trois manières à ce qui est dit ; l’une par une manière (b) d’énonciation. — L’autre en la façon d’une cause, et ceci convient premièrement et principalement à Dieu, parce qu’il a fait toutes choses par son Verbe selon ce que dit le Psalmiste (c) : Il a dit et elles ont été faites. (2. 2. q. 76. a. 6.) Eclairciss. des Phr. Myst. P. II. Ch. 5. §. 1.
(b) Ce parler est opération dans l’âme.
(c) Ps. 32. vs. 9.
25. S. Bernard. La langue du Verbe c’est la faveur de sa bonté ; mais celle de l’âme, c’est la ferveur de la dévotion. Lorsque le Verbe remue cette langue voulant parler à l’âme, l’âme ne saurait ne le point sentir. — Au Verbe donc, dire132 (d) à l’âme(d) Dieu parle quelquefois à l’âme non avec des formes, mais substantiellement ; d’autrefois sans rien dire, et presque toujours il imprime l’opération sans parole connue.
240 tu es belle, et l’appeler amie, c’est lui donner de pouvoir aimer et présumer d’être aimée. — Et partant le parler du Verbe c’est l’infusion du don, la réponse de l’âme c’est l’admiration avec action de grâce, etc. (Serm. 45. sur le Cant.) Là même.
26. Ste Thérèse. Étant en cette grande angoisse ces paroles seules furent suffisantes pour me tirer de peine, et me pacifier entièrement : Ne crains point ma fille, je ne t’abandonnerai point, ne crains point. Il me semble selon l’état où j’étais qu’il eût fallu plusieurs heures pour me persuader que je me misse en repos, et que personne ne l’eût pu faire ; et me voilà avec ces seules paroles dans le calme avec force, courage, assurance, tranquillité et lumière ; de manière qu’en un instant je vis mon âme toute changée, et il me semble que j’eusse disputé et soutenu contre tout le monde que c’était le bon Esprit. O bonté de Dieu merveilleuse ! Ses paroles sont véritablement des œuvres — . Et ainsi je disais : qui est celui-ci à qui toutes mes puissances obéissent de la sorte et qui en un moment donne lumière et clarté dans une si grande obscurité. (Vie. Chap. 25.) Là même.
27. S. Bonaventure. Considérez que la parole de Dieu qui sort de sa bouche, ne retourne pas vide à Dieu ; mais elle est utile et féconde, et fait toutes les choses pour lesquelles il l’a envoyée, afin que vous puissiez aussi dire, la grâce (a) de Dieu n’a point été vide en moi. (Chem. 2. de l’étern.) Là même.
(a) 1 Cor. 15. V133. 10.28. Le B. Thomas de Villeneuve. Ce que je crois aussi s’accomplir aux Saints en cette vie, lorsque Dieu, non pas les Écritures, mais par 241 Lui-même, leur parle, et ce qui est écrit s’accomplit ; (a) ils seront tous capables des enseignements de Dieu : lors que l’Esprit parle de la sorte, toute lettre est à dégoût. (sur le Cant.) Là même. ajoutant :
(a) Jean 6 V134. 45.29. Laquelle doctrine de la parole de Dieu opérante et effective ou infuse S. Grégoire enseigne aussi : Donc le répondre de Dieu c’est de verser dans leurs âmes l’attente volontaire de sa visite. (Livr. 2. des Moral. Ch. 4.)
30. Le P. Barthélémy des Martyrs a très bien enseigné que ces paroles se font dans les silences de l’âme : Car, dit-il, lorsque les facultés de l’âme se taisent et cessent de leur propre action, Dieu parle lui-même, et dispose et meut à sa volonté ces puissances de l’esprit, faisant en l’âme une œuvre très noble et très excellente. (Abrégé. P. 2. Ch. 11.) Ce que Samuel a voulu exprimer disant à Dieu : (b) parlez, Seigneur, parce que votre serviteur écoute : et dans l’Ecclésiastique cela est exprimé en ces termes : (c) écoutez en vous taisant, et pour la révérence la bonne grâce s’approchera de vous. Là même §. 3.
(b) 1 Rois 3. V135. 10. (c) Chap. 32. V136. 9.31. S. Bernard. Je confesse que le Verbe est venu chez moi plusieurs fois : mais encore qu’il y soit souvent entré (d) je ne l’ai pas senti. Quelquefois lorsqu’il y est entré, je l’ai senti présent, il me souvient qu’il a été présent, j’ai même pu quelquefois pressentir son entrée, mais jamais la sentir, non pas même sa sortie. Car d’où il est venu en mon âme, om il s’en est allé
(d) Ignorance de l’opération divine quelquefois à cause de sa délicatesse.
242 en se retirant, ni par où il est entré ou sorti. Je confesse encore à présent que je l’ignore, suivant ces paroles : (a) tu ne sais où il va, ou d’où il vient ; et toutefois ce n’est pas merveille, parce que c’est lui auquel il a été dit ; (b) Tes vestiges137 ne se connaîtront point. — Donc le Verbe Époux entrant quelquefois chez moi de la sorte, n’a jamais fait connaître son entrée par aucun indice, ni par la voix, ni par la beauté, ni par le marcher. (Serm. 74. Sur le Cantique.) Là même Chap. 6. §. 1.(a) Jean 3. V138. 8. (b) Ps. 76. V139. 20.32. S. Bonaventure. Quelques fois ô bon Jésus, haletant et aspirant après vous, comme les yeux fermés, vous me mettez dans la bouche du cœur ce qu’il ne m’est pas permis de connaître. (Soliloq.) Là même.
rapporte
33. S. Bernard. Quelqu’un possible me demandera ce que c’est que jouir du Verbe. Je réponds qu’il cherche plutôt quelqu’un qui en ait l’expérience ; ou bien, moi-même si je l’avais, pensez-vous que je puisse exprimer ce qui est ineffable ? Écoutez un homme qui l’avait expérimenté : (c) soit que nous soyons en excès d’esprit auprès de Dieu, c’est pour Dieu ; soit que nous soyons sobres, c’est pour vous ; c’est-à-dire : C’est autre chose avec Dieu, lui seul en étant l’arbitre, et autre chose avec vous ; il m’a été permis d’expérimenter cela, mais non pas de l’expliquer (*) O vous qui êtes curieux de savoir ce que c’est que jouir du Verbe, préparez-lui non pas l’oreille, mais l’esprit ! La langue n’enseigne pas ceci, mais la grâce : il est caché aux sages et aux
(c) 2 Cor. 5. V140. 13.(*) Oraison. §. 1. n. 15.
243 prudents et se révèle aux petits ; (+)141 frères, que l’humilité est une grande et sublime vertu, qui mérite ce qu’on ne lui enseigne pas, qui est digne d’obtenir ce qu’on ne saurait apprendre, digne de concevoir par le Verbe et du Verbe ce qu’elle ne peut exprimer de paroles ! Pourquoi cela ? Ce n’est pas qu’elle le mérite ; mais c’est parce qu’il a ainsi plu au Père du Verbe, l’Époux de l’âme, Notre Seigneur Jésus-Christ. (Serm. 85. sur le Cantiq.) Notes sur J. de la Croix Disc. 1. §. 1. Où le même P. Ajoute.34. En ces matières si hautes et si spirituelles, comme disent les Saints, où l’expérience surmonte la doctrine, où celui qui le sait ne le peut dire, où la langue n’est pas maîtresse, mais la grâce, où l’humilité atteint à ce qui prend l’essor et s’envole, et où elle apprend ce qui ne se peut enseigner, où la Parole substantielle du Père fait de telles merveilles qu’on ne les saurait exprimer, où il ne se faut pas gouverner par l’entendement ni par les règles de maîtres, où les gémissements de l’oraison, la communication de Dieu comme Époux, l’expérience et la suavité céleste est l’école et l’instruction, où il ne faut que regarder ce qu’on voit, qui ne s’acquiert point par discours, mais par la saison et le point142 où donne le feu d’amour, où la mort et un saint désespoir est la vraie disposition à cette vie divine ; comment en ces matières, dis-je, mettons-nous ordre, ou bornes, ou taxes, aux termes par lesquels il faut expliquer des choses si élevées ? Voulant que ce qui est immense et ineffable passe par les règles ordinaires, sans excéder 244 (+) Humilité. n. 11.
les phrases communes et les termes gardés aux écoles des Disciples et des Maîtres. Là même.
35. Ceci est aussi touché, au Ps. 36. vs. 7. Où il y a selon l’Hébreu : taisez-vous au Seigneur et priez : cela semble impossible : car prier, c’est parler ; — et taire sonne143 ne pas faire et attendre à recevoir, et à ce que Dieu opère en l’âme, pour cela l’Hébreu ajoute, attendez-le : Néanmoins comme ce silence doit être d’une personne qui prend garde et qui regarde, ce n’est pas un loisir, mais une opération : c’est un égard144 à se taire et à ne pas empêcher l’œuvre que Dieu veut faire là, qui requiert que l’âme n’y mêle rien du sien : car cela divertirait et perdrait tout. Là même. Disc. I. phras. 2.
36. Quelquefois non seulement l’âme s’aperçoit de la présence de Dieu, mais elle l’écoute parler par certaines clartés et persuasions intérieures, qui tiennent lieu de paroles : quelquefois elle le sent parler et lui parle réciproquement ; mais si secrètement, si doucement, que c’est sans que cela fasse perdre la sainte paix et quiétude ; si145 que sans se réveiller, elle veille avec lui : c’est-à-dire elle veille et parle de cœur à son bien-aimé avec autant de suave tranquillité et de gracieux repos, comme si elle sommeillait doucement. Et d’autrefois elle sent parler l’Époux ; mais elle ne saurait lui parler, parce que l’aise de l’ouïr ou la révérence qu’elle lui porte146, la tient en silence : ou bien parce qu’elle est en sécheresse et tellement abattue d’esprit, qu’elle n’a de force que pour l’ouïr et non pour lui parler ; comme il arrive corporellement à ceux qui commencent à s’endormir, ou qui sont grandement affaiblis par quelque maladie. Mais enfin quelque 245 fois ni elle n’entend son Bien-aimé, ni elle ne lui parle, ni elle ne sent aucun signe de sa présence. De l’Amour de Dieu. Livr. 6. Ch. 11.L
37. Ce que je viens de te dire, ô ma Fille, et mon Epouse, c’est pour te tirer de moi (a) en évidence à toi-même. C’est tout te dire et te faire tout entendre : car mon action et mon opération essentielle en toi c’est mon parler et mon colloque amoureux avec toi, non seulement en tout ceci, mais encore infiniment au-delà. C’est ce qui fait notre commune réjouissance et notre commun repos. —
Voilà ma Fille mon Épouse, ce que je suis en toi, et ce que tu es en moi. Car comme mon Humanité et ma Divinité subsistent également l’une de l’autre, l’une en l’autre ; de même à proportion et en quelque manière, ton humanité rendue aucunement divine subsiste de moi, en moi et pour moi. Et comme je possède à pur et à plein toujours également pour moi, toute la félicité due à ma nature, de là te résulte, par amoureuse redondance de mon excessif amour, le flux simple et abondant de ma félicité, à proportion de ce que tu es et de ce que possèdes en moi pour ta pleine et entière satiété. Soliloq. 6. Ch. 7.147(a) Dieu montre quelquefois à l’âme pour un moment le haut état où il l’a mise par sa bonté ; mais cela se fait sans réflexion, et passivement, comme elle ne peut se donner ces vues ni aussi se les ôter.
38. Tu me conçois bien sur tout ceci : et tous ces secrets sont à toi et à moi les excès plus profonds, plus amoureux et plus intimes de nos amours réciproques, et signamment148 du mien envers toi et en toi. Je le répète encore, nous nous 246 possédons l’un l’autre par un égal et réciproque amour en notre félicité égale, en la manière que tu sais. — Ainsi quelque part que tu ailles et que tu sortes, tu ne seras jamais sans moi et sans ma gloire, et sortant sans sortir, tu rentreras en moi en la même jouissance de moi-même et de ma gloire, d’où tu ne seras jamais sorti. Là même. Chap. 8.
Que ceux qui auront de la difficulté à croire, qu’il est facile de trouver Dieu par cette voie, n’en croient point à ce qu’on leur a dit ; mais qu’ils en fassent l’expérience, et qu’ils en jugent par eux-mêmes : et ils verront qu’on leur en dit bien peu en comparaison de ce qui est.
On ne prétend point élever son sentiment au-dessus de celui des autres, mais on dit sincèrement l’expérience qu’on a eue tant par soi-même que par d’autres âmes. —
On sera encore plus certain de la vérité qu’il renferme, si l’on veut bien en faire l’expérience. — C’est votre ouvrage, ô S. Enfant Dieu, ô Amour incréé, ô Parole muette et abrégée, de vous faire aimer, goûter, et entendre. Préface. 247
Le langage d’amour est barbare à celui qui n’aime pas (a). Ch. 23. N. 8.
(a) S. Bernard. Voyez ci-dessous. n. 9.
1. Il est bien important que le directeur soit prudent : je veux dire qu’il ait un bon jugement et qu’il soit expérimenté ; que si avec ces deux conditions les lettres encore s’y rencontrent, c’est un grand bien : mais si ces trois choses ne se peuvent trouver ensemble, les deux premières sont plus importantes. Vie Ch. 13.
2. C’est une erreur de croire que les années nous feront comprendre ce qui ne se peut comprendre que par l’expérience. Vie Ch. 34.
3. Voyez Union. n. 41.
4. Que ceux qui n’en ont point l’expérience sachent, que la chose se passe de la sorte, et qu’on s’en aperçoit, et que l’âme le connaît plus clairement que je ne le dis ici ; car ce n’est point une chose qu’on puisse feindre ou s’imaginer, vu que nous ne pouvons pas l’acquérir par toutes nos diligences. Chat. Dem. IV. Ch. 2.
5. Je suis toute prête à suivre ce que me diront (a) des personnes éminentes en doctrine : car encore qu’ils n’aient point d’expérience de ces choses, ils ont néanmoins un je ne sais quoi de particulier ; en sorte que comme Dieu les a choisis pour éclairer son Église, lorsqu’il y a une vérité à déclarer il la leur fait connaître, afin qu’elle soit reçue des autres : et s’ils ne sont point 248
(a) j’en dis autant de tout mon cœur.
dissipés et dissolus, mais serviteurs de Dieu, jamais ils ne s’étonneront de ses grandeurs ; car ils savent bien que son pouvoir s’étend beaucoup plus loin : enfin quoique quelques choses ne soient point écrites, ils en trouvent d’autres dans l’Écriture, par lesquelles ils voient que celles-là peuvent être admises. J’ai une grande expérience de cela ; comme aussi de certains demi-doctes craintifs et ombrageux, lesquels m’ont coûté bien cher. Là même. Dem. V. Ch. 1.
6. Pour ce chemin, au moins pour le plus haut, et encore pour le milieu, l’âme à peine trouvera un guide capable et doué de toutes les qualités nécessaires à cela ; parce qu’il faut que ce Directeur soit sage, discret et expérimenté ; car encore que pour conduire l’esprit, le fondement soit la science et la discrétion, néanmoins si ce maître n’a pas l’expérience des choses sublimes, il n’y acheminera point l’âme quand Dieu l’y attire, et il pourrait lui faire beaucoup de tort. Vive flamme d’amour Cant. 3. vs. 3. §. 4.
7. S. Bonaventure. Cette sagesse est différente en cela de toutes les autres sciences ; parce qu’en celle-ci il faut avoir l’expérience en soi-même avant que d’entendre les termes, et la pratique précède ici la théorie. (Théol. Myst. Préface.) Et encore : Cette sagesse est une certaine théorie distincte et différente de toute sagesse spéculative, qui surpasse toute capacité d’entendement ; et parce que plusieurs Sages et Docteurs ne parviennent pas à cette vue, ils se moquent de cette très haute Sagesse, et par conséquent, ils combattent en cela contre Dieu, le souverain distributeur de 249 cette Sagesse. — Pourtant avec le bienheureux St Denis, et (qui plus est) avec jésus Christ, je prie celui qui regardera cet écrit, de ne le point manifester à ces Philosophes ignorants, aux Docteurs qui mènent une vie charnelle. —
Si ceux qui se moquent de cette sagesse viennent à la connaître par expérience, ils approuveront bien mieux et plus gaiement tout ce qui est dit par les Docteurs mystiques avec une connaissance expérimentale. (Ch. 3.) Eclairciss. Des Phr. Myst. de J. de la Croix. P. I. Ch. 7. §. 2.
8. S. Bernard. En ces choses l’intelligence n’y comprend qu’autant que l’expérience y atteint. (Serm. 22. sur le Cant.) Là même.
9. — En cet Epitalame149, il ne faut pas penser aux paroles, mais aux affections ; pourquoi cela ? si ce n’est que le saint Amour, qui est l’unique matière de tout ce livre, ne doit pas être estimé par la parole et la langue ; mais par l’œuvre et la vérité. L’amour y parle partout, et si quelqu’un désire d’acquérir la connaissance des choses qu’on y lit, qu’il aime ; autrement celui qui n’aime pas, s’approche en vain pour entendre ou lire ce Cantique d’amour, parce qu’un cœur glacé ne peut comprendre des paroles embrasées : car comme qui est ignorant du Grec, n’entendra pas celui qui le parle, de même le langage d’amour sera barbare à celui qui n’aime pas. (Serm. 79. sur le Cantiq.) Là même.10. D. Bartelemy des Martyrs. Il y en a pas plusieurs, dit S. Bernard, qui ont été parfaits dans la Théologie mystique sans la spéculative ; mais jamais aucun Théologien spéculatif n’a acquis un tel comble de perfection, voire même n’a jamais été parfait dans la Théologie acquise sans la Mystique. — Or ceci arrive de la sorte parce qu’il ne 250 sera jamais donné à personne d’entendre les paroles d’un Apôtre ou d’un Prophète, s’il n’est touché et imbu150 de l’affection de ceux qui les écrivent ; de même que personne ne pourra parfaitement entendre ce que c’est que la liberté des enfants de Dieu, ou la douceur de l’amour divin, s’il ne lui est jamais donné de l’expérimenter. (Abrégé Spir. Ch. 12.) Là même.11. S. Thomas. Sur ces paroles du Ps. 33. Vs. 9. Goûtez, et vous verrez combien le Seigneur est doux. On appelle goûter, expérimenter sa divine bonté. Et sur 1 Pierre 2. Vs. 3. Si toutefois vous avez goûté combien il est doux. On assigne deux effets à l’expérience, l’un est une certitude de l’entendement ; l’autre est une assurance de l’affection : quant au premier, il dit, et voyez : car dans les corps, premièrement on voit, et par après on goûte : mais aux choses spirituelles premièrement on goûte, et puis après on voit ; et pour cette raison il dit premièrement goûtez et après voyez. Là même.
12. Hugues de S. Victor. L’expérience est la maîtresse qui nous fait entendre les choses ; et celui-là connaîtra parfaitement la vérité qui l’a apprise, non en l’écoutant, mais en la goûtant. Là même.
13. Denis le Chartreux. La contemplation est une connaissance expérimentale de Dieu par un embrassement uni d’amour, ou une savoureuse notice151 de la Divinité, lorsque la pointe la plus haute de l’affection lui est unie ardemment par amour. (Source de lum. Art. 13.) Là même.Le P. JACQUES DE JÉSUS
14. S. Bernard. Voyez Entendre. n. 33.
15. — Voyez Entendre. n. 34.
16. S. Bonaventure. Par le moyen de cette sortie 251 entière et absolue du pur esprit hors de vous-même et de toutes choses, et après que vous aurez tout quitté et que vous vous serez délié et dépêtré de toutes choses, vous serez élevé au rayon suressentiel des ténèbres divines. (S. Denis Théol. Myst. Ch. 1.) Que si vous demandez comment cela se fait ? Interrogez la grâce, et non pas la doctrine ; le désir, et non pas l’entendement ; les soupirs de l’oraison, et non l’étude ou la lecture ; l’Époux, non le maître ; Dieu, non pas l’homme ; l’obscurité, non la clarté ; non la lumière, mais le feu qui enflamme toute l’âme et qui la transporte en Dieu par des onctions excessives et des affections très ardentes ; duquel feu celui-là seul est embrasé qui dit ; (a) Mon âme a choisi la suspension, et mes os ont élu la mort. Celui qui aime cette mort, peut voir Dieu ; parce qu’il est indubitablement vrai (b) que nul homme ne me verra, et vivra. Mourons donc et entrons dans les ténèbres, imposant silence aux sollicitudes, aux concupiscences et aux fantômes. (Itinéraire de l’esprit en Dieu Chap. 7.) Notes sur J. de la Croix Disc. 1. §. 1.
(a) Job 7. Vs. 15.
(b) Exod. 33. vs. 20. Voyez Moyen court, Ch. 24. n. 1.
17. Je m’étonne beaucoup de ce que certains qui ne font état que de la doctrine et d’une vie morale nous attaquent sur nos termes. — Plusieurs sont assez doctes en tout autre sujet que celui-ci, et néanmoins ils en veulent parler comme gens entendus, ne sachant pas que ces matières ne s’apprennent que par expérience savoureuse, et que le sens et l’intellect humain n’en approchent non plus par la spéculation que la terre du ciel152. Cab. Myst. P. I. Ch. 3.
18. Ce n’est pas à la faveur de la science humaine qu’on arrive à la connaissance de la Théologie mystique, qui est sans formes et sans images, c’est-à-dire, qui enseigne l’oraison sans pensées et sans autre acte qu’un repos obscur. C’est le sentiment des Mystiques.
Personne, disent quelques-uns (a) ne peut comprendre les secrets Mystiques par la profondeur de la science, ou par la subtilité de l’intelligence, ou par quelque exercice que ce soit ; mais la seule très heureuse expérience y conduira ceux auxquels il plaira à la divine libéralité de se communiquer. Cette Sapience, disent quelques autres (b), n’est pas de la terre, mais du ciel ; ne gît pas en belles paroles bien agencées, mais en la vertu du S. Esprit ; ne procède pas de la subtilité de l’esprit, mais de la pureté de la vie. En vain vous feuilletterez les livres, si vous n’en cherchez la jouissance : car on ne la tire pas de la science, mais de l’expérience, sans laquelle on entendra bien peu de tous ces parlers mystiques : ce sont des secrets d’amour ; si on ne les goûte, on ne les comprendra pas. — Et Gerson (c) : avec la connaissance que nous donne la foi, que Dieu est tout désirable et tout aimable, la volonté et l’affection seront ravies à ce bien sans l’étude des livres, si elle est purgée, illuminée et disposée. Livr. III. Traité V. Ch. 2. Sect. 2.
(a) Harphius. Théol. Mystique. Liv. 3. Préface.
(b) Barbançon. Secr. Sentiers au commencement.
(c) Théol. Myst. Considér. 30. 253
Cet état est au-dessus des Extases (a).
(Sous le nom d’Extase sont comprises les Visions et Révélations.)
Comme il y a trois sortes de sommeils intérieurs, aussi l’Epoux conjure-t-il trois fois, dans des temps différents qu’on n’éveille point sa Bien-aimée.
Le premier sommeil est dans l’union des puissances, où elle a un sommeil d’extase violente, qui se répand beaucoup sur les sens. Il prie alors qu’on ne l’éveille pas : parce que ce sommeil est alors de saison153, en ce qu’il aide à détacher les sens de leurs objets auxquels ils s’attachaient impurement, et par là même à les purifier. – (a) Voyez le Traité des Torrents. P. 1. Ch. 9. N. 27. Et la Vie de l’Auteur. P. 1. Ch. 9. Pour entendre cette proposition, il faut savoir qu’il y a de deux sortes d’extases : l’une qui est passagère et dans les puissances, qui paraît au-dehors ; et l’autre qui se fait par anéantissement et sortie de soi pour passer en Dieu, et celle-là est durable et permanente. C’est de la première que j’ai voulu parler lorsque j’ai dit que cet état est au-dessus des extases. 254
Le troisième154 est le sommeil du repos en Dieu permanent et durable ; c’est un repos d’extase, mais d’extase douce et continuelle ; qui ne cause plus d’altération aux sens, l’âme étant passée en son Dieu par l’heureuse sortie d’elle-même. Ch. 8. vs. 4.J’ai parlé en plusieurs endroits de mes écrits de la véritable révélation de Jésus-Christ, et surtout dans les Épîtres de S. Paul. (Voyez les Explic. Sur 1 Cor. 1. vs. 8, 9. Ephes. 1. vs, 18. Ch. 3. Vs. 7 -- 9. etc.)
1. Quant à moi, je suis saisie d’étonnement voyant que l’âme étant parvenue ici, tous les ravissements lui sont ôtés, sinon quelques fois. J’appelle ici ôter le ravissement, quant à ce qui est de ces effets extérieurs, et de la perte (a) des sens et de la chaleur. Toutefois on me dit que cela n’est qu’une chose accidentelle aux ravissements, et partant que véritablement ils ne sont point ôtés, puisque dans l’intérieur ils augmentent plutôt. Les ravissements cessent donc de la façon que j’ai insinué, et l’âme ne souffre plus ces
(a) Ste. Thérèse traite des extases de faiblesse : ce sont celles des puissances et de la perte des sentiments. Si je pouvais faire comprendre combien il est dangereux de s’arrêter à ces choses, et comme le Diable par-là s’insinue et se transfigure en Ange de lumière ! mais je ne serais pas crue. 255
ces extases violentes, et ce vol d’esprit : que si cela arrive encore quelquefois, c’est rarement, et presque toujours, ce n’est point en public comme auparavant, et comme il lui était fort ordinaire. Et quelques grands motifs de dévotion qu’elle voie, cela ne cause point des effets violents comme il faisait autrefois ; parce que si elle voyait quelque tableau de dévotion, ou entendait un Sermon quoiqu’avec peu d’application, elle était dans les mêmes angoisses et dans de pareilles agitations que le petit papillon ; tout lui causait de l’épouvante, et lui faisait prendre le vol à présent, soit parce qu’elle a trouvé son repos, ou parce que l’âme a vu tant de choses dans cette demeure, qu’elle ne s’étonne plus de rien, ou parce qu’elle ne se trouve plus avec cette solitude, puisqu’elle jouit d’une telle compagnie, ou bien, mes Sœurs, j’en ignore la cause, après que Notre Seigneur a commencé de lui montrer ce qu’il y a dans cette demeure et qu’il l’y a introduite ; cette grande faiblesse qui lui était auparavant très pénible, et dont elle n’avait point encore été délivrée, prend fin alors : c’est peut-être parce que Notre Seigneur l’a munie d’une plus grande force, l’a dilatée, et l’a habilitée. Chat. De l’âme VII. Dem. Ch. 3.
Pour rapporter tout ce que le B. Jean de la Croix dit, pour faire voir la nécessité (a) d’outrepasser ces extases, visions et paroles, et leurs dangers, il faudrait copier une grande partie de son livre. J’en rapporterai quelques endroits.
(a) Une des principales raisons d’outrepasser tout cela, c’est que ces sortes de choses sont contraires à la vraie simplicité et nudité de la foi, disposition prochaine à l’union divine. 256
2. De ces notices surnaturelles les unes sont corporelles, les autres sont spirituelles. Les corporelles sont de deux sortes : les unes qui sont reçues par la voie des sens corporels extérieurs, les autres par la voie des sens corporels intérieurs, en quoi est compris tout ce que l’imagination peut appréhender, feindre et fabriquer. Les spirituelles sont aussi en deux manières : l’une est distincte et particulière ; l’autre est confuse, obscure et générale. En la distincte et particulière, il y entre quatre manières d’appréhensions particulières, qui se communiquent à l’esprit sans l’entremise d’aucun sens corporel, à savoir les visions, les révélations, les paroles et les sentiments spirituels. L’intelligence obscure et générale consiste en une seule, à savoir la contemplation qui se donne en foi. C’est (a) en elle qu’il faut mettre l’âme, l’acheminant par le moyen de toutes ces autres particulières, commençant par les premières et la dénuant et purifiant d’elles. Montée du Mont Carmel. Livr. 2. Ch.10.
(a) Si la contemplation en foi est la fin de ces quatre voies ou moyens, il est constant qu’elle est au-dessus, et qu’elle les comprend toutes ;
3. Or il faut savoir qu’encore que toutes ces autres choses puissent arriver aux sens corporels par la voie de Dieu, il ne s’y faut jamais assurer ni les admettre, mais les fuir entièrement, sans vouloir examiner si elles sont bonnes ou mauvaises : car tant plus elles sont extérieures et corporelles, tant (b) plus il y a de doute, si elles viennent de Dieu, auquel il est plus propre de se communiquer à l’esprit, où il y a plus de certitude et de profit à l’âme, qu’aux sens, où il y a
(b) Cependant on fait plus de cas de ces visions corporelles que de la voie de foi. 257
ordinairement beaucoup de danger et de tromperie ; d’autant qu’en elles le sens corporel se rend juge et appréciateur des choses spirituelles, pensant qu’elles sont comme il les sent, encore qu’il y ait autant de différence que155 du corps à l’âme et de la sensualité à la raison. — Ces objets et ces formes corporelles tant plus en soi elles sont extérieures, (a) tant moins elles servent à l’intérieur et à l’esprit, à cause de la grande distance et du peu de proportions qu’il y a entre le corporel et le spirituel. Car bien qu’elles communiquent parfois un peu d’esprit, comme elles font toujours étant de Dieu, c’est toutefois beaucoup moins que si les mêmes choses étaient plus spirituelles et intérieures. Et ainsi elles causent plus facilement de l’erreur, de la présomption, et de la vanité en l’âme : parce qu’étant si palpables et matérielles, elles émeuvent fort le sens ; et il semble au jugement de l’âme que ce soit quelque grande chose, à cause que cela est fort sensible, et elle court après pensant que cette lumière soit le guide et le moyen de sa prétention, qui est d’arriver à l’union de Dieu, et tant plus elle perd le chemin et le moyen parfait, qui est la foi, qu’elle fait état de cela.
Davantage, l’âme qui se voit avec ces choses extraordinaires, conçoit souvent une secrète opinion de soi-même qu’elle est déjà quelque chose devant Dieu, ce qui détruit l’humilité. Le Diable aussi sait bien glisser en l’âme une complaisance et une satisfaction cachée d’elle-même, et parfois assez claire et manifeste : c’est pourquoi il met souvent ces objets dans les sens, montrant
(a) Cependant on fait plus de cas de ces visions corporelles que de la voie de foi.156 258 à la vue des figures de saintes et de belles clartés, mettant dans l’ouïe des paroles flatteuses et bien déguisées, à l’odorat des suaves odeurs, des douceurs à la bouche, des délices au toucher : afin que les ayant appâtés de ces amorces, il les attire en plusieurs maux. Partant, il faut toujours rejeter ces représentations et ces sentiments : Car bien qu’il y en eût quelques-unes de Dieu, cela néanmoins ne lui fait point de tort et l’on ne laisse pas d’en recevoir l’utilité et le fruit que Dieu veut faire par leur moyen à l’âme, encore qu’elle les rebute et rejette. —
mais encore qu’elles soient de Dieu, si l’âme s’arrête beaucoup en ces sentiments ou visions extérieurs, et si l’âme traite157 de les vouloir admettre, elle peut tomber en six inconvénients. Le premier que la perfection de se conduire par foi se diminue ; d’autant que les choses qu’on expérimente avec les sens y dérogent grandement, vu que la foi, comme il a été dit, est au-dessus des sens, et ainsi on s’écarte du moyen de l’union de Dieu, ne fermant pas les yeux de l’âme à toutes les choses des sens. 2. Si on n’y renonce, cela empêche l’esprit d’autant que l’âme s’y retient, au lieu de voler à l’invisible. D’où vient qu’une des causes, pour laquelle Notre Seigneur dit (a) à ses disciples, qu’il fallait qu’il s’en allât afin que le St Esprit vint, c’était cela comme aussi il ne laisse (b) pas la Madeleine toucher ses pieds après la résurrection, afin que tous fussent mieux établis en la foi. 3. Que l’âme devient propriétaire en ces choses, et ne chemine pas en vraie résignation et nudité d’esprit – . 4. Qu’elle en perd l’effet et l’esprit. 5. Qu’elle va perdant les grâces et bienfaits de Dieu 259(a) Jean 16. vs. 7. (b) Chap. 20. vs. 17.
d’autant qu’elle s’en rend propriétaire et n’en use comme il faut : et les prendre avec propriété et n’en faire son profit, c’est le même que de les vouloir prendre seulement pour s’y arrêter et chercher son goût en elles, et néanmoins Dieu ne les lui donne pas pour ce sujet, ni elle ne doit facilement se déterminer à croire qu’ils sont de Dieu. 6. Que les voulant admettre elle ouvre la porte au Diable pour la tromper en d’autres semblables. —
Il est donc clair et manifeste que ces visions et appréhensions sensibles ne peuvent servir de moyen à l’union divine, attendu qu’elles n’ont aucune proportion avec Dieu. Montée du Mont Carm. L. 2. C. 11.
4. Avant que de parler des visions imaginaires qui ont coutume de se présenter surnaturellement au sens intérieur, qui est l’imagination et la fantaisie, nous traiterons ici des appréhensions naturelles du même sens intérieur corporel. —
Ce qui s’offre le premier est le sens corporel intérieur, qui est l’imagination et la fantaisie, de laquelle nous devons aussi évacuer toutes les formes et appréhensions imaginaires qui y peuvent tomber naturellement, et ensemble prouver qu’il est impossible que l’âme arrive à l’union divine jusqu’à ce qu’elle cesse son opération en elles, d’autant qu’elles ne (a) peuvent être ni propre ni proche moyen de cette union. Là même Ch. 12.
(a) Tout ce Chapitre prouve cette proposition.
5. Après avoir traité des appréhensions que l’âme peu naturellement recevoir en soi, et dans lesquelles elle opère avec l’imaginative et fantaisie, il faut parler ici des surnaturelles qu’on appelle visions imaginaires, lesquelles étant sujettes aux images, formes et figures, appartiennent à ce sens intérieur et corporel, aussi bien que les naturelles. Or il faut savoir que sous ce nom de visions imaginaires nous voulons entendre toutes les choses qui se peuvent surnaturellement représenter à l’imagination sous l’image, forme, figure ou espèces que ce soit ; et cela avec des espèces très parfaites. —
Dieu sous ces images fait voir plusieurs choses à l’âme, et lui enseigne une grande sagesse, ce que nous voyons à chaque rencontre de l’Écriture sainte. — Ces visions imaginaires arrivent plus souvent aux personnes avancées que les extérieures corporelles, et ne diffèrent point de celles qui entrent par les sens extérieurs en tant qu’images et espèces ; mais quant à l’effet qu’elles ont dans l’âme, et quant à leur perfection il y a bien à dire. —
Ce sens de l’imagination et de la fantaisie est celui où le Diable s’adresse d’ordinaire avec ses ruses ; car c’est la porte et l’entrée de l’âme —. C’est pourquoi Dieu et le Diable viennent ici avec des images et formes pour les offrir à l’entendement, bien que Dieu ne se serve pas seulement de ce moyen pour instruire l’âme, vu qu’il demeure substantiellement en elle, et le peut tant par soi-même que par d’autres moyens. —
Partant je dis que de toutes ces appréhensions et visions imaginaires, et tout autres qui souffrent158 sous formes et images ou quelque intelligence particulière, soit fausses de la part du Diable, soit véritables, de la part de Dieu, l’entendement ne s’en doit jamais embarrasser ni appâter, et l’âme ne les doit admettre ou y prendre pied, si elle veut être détachée, dénuée, pure et simple sans aucun moyen, comme il est requis à l’union divine. —.Partant pour venir à cette union de Dieu si parfaite, l’âme doit soigneusement prendre garde de ne point s’appuyer, et s’attacher aux visions imaginaires, ni formes, ni figures, ni particulières intelligences, puisqu’elles ne lui peuvent servir de moyen proportionné et prochain pour tel effet, mais au contraire lui seraient un empêchement. Montée du Mont Carm. L. 2. Ch. 16.
6. Je dirai en ce Chapitre ce qui suffira pour satisfaire à notre doute, qui était de savoir pourquoi Dieu, qui est très sage et qui est si soigneux d’ôter à l’âme des pièges, offre et communique à l’âme ces visions surnaturelles, puisqu’il y a tant de périls pour passer avec elles et s’avancer comme nous avons dit.
Pour répondre à cela, il faut poser trois principes. Le premier est de St Paul, qui dit que (a) les choses qui sont de Dieu sont ordonnées. Le second est du St Esprit, au Livre (b) de la Sagesse où il dit qu'elle dispose des choses suavement159 –. Le troisième est des Théologiens (*) qui disent que Dieu meut toutes choses à leur mode. Or il est évident par ces principes, que Dieu, pour émouvoir l'âme et la révéler de la fin et de l'extrémité de sa bassesse à l'autre fin et extrémité de sa grandeur en la divine union, il le doit faire avec ordre, et suavité et à la manière de l'âme. De là vient que Dieu pour élever l'âme à la souveraine connaissance et pour le faire suavement, soit commencer par le plus bas degré et par l'extrémité des sens de l'âme, afin de l'élever(a) Rom. 13. vs. 1. (b) Sag. 8. vs. I.
(*) Motion divine. n. 8.
lever ainsi à sa façon jusqu’à l’autre fin de la sagesse spirituelle, qui ne tombe point sous les sens. —
Ce qui a donné lieu au proverbe spirituel, que quand on a une fois goûté de l’esprit, toute la chair dégoûte, c’est-à-dire, que les goûts et les voies sensibles ne plaisent et ne servent plus, en quoi l’on entend tout ce qui est de l’action et du procédé du sens touchant les choses spirituelles. Là même Ch. 17.
7. En cette matière de visions, on ne peut être si court que l’on voudrait bien, à cause qu’il y a trop à dire. — La raison qui me fait étendre là-dessus, c’est le peu de discrétion que j’ai reconnu, ce me semble, en certains Maîtres spirituels, lesquels s’assurent aux dites appréhensions surnaturelles, parce qu’ils les croient bonnes et de la part de Dieu. Les uns et les autres se sont grandement abusés et sont demeurés courts, s'accomplissant en eux la sentence de Jésus-Christ : (a) Si un aveugle en conduit un autre, ils tombent tous deux dans la fosse : il ne dit pas, ils tomberont, mais ils tombent ; car il n'est pas nécessaire qu'il y ait une chute d'erreur afin qu'ils tombent, parce que la seule outrecuidance de se gouverner l'un par l'autre est déjà une erreur ; et ainsi ils tombent pour le moins en cela. Là même Chap. 18.
(a) Matth. 15. vs. 14.
8. Nous avons dit que les visions et paroles de Dieu, quoiqu’elles soient toujours véritables et certaines en soi, ne le sont pas toujours en notre manière de concevoir et d’entendre, et cela pour deux raisons ; l'une vient de notre défectueuse manière d'entendre, l'autre des causes ou fondements qu'elles ont, étant souvent comminatoires160, et comme conditionnelles ; (a) par exemple, si cela ne se corrige, ou si cela se fait161 ; encore que la parole en ce qu’elle sonne162 soit absolue, et sans condition. — Pour le premier, il est notoire qu’elles ne sont et n’arrivent pas toujours comme elles sonnent à notre manière d’entendre. La cause de cela est que Dieu étant immense et profond, il a de coutume en ses prophéties, et révélations et paroles, d’avoir des conceptions et intelligences fort différentes du propos auquel communément nous les pouvons entendre, étant en elles d’autant plus véritables et certaines qu’il nous semblera que non. — Dieu dit à Abraham (b) je te donnerai cette terre. — Et à Jacob (c) ne crains point, Jacob et descends en Égypte ; j'y descendrai avec toi, et quand tu en sortiras, je t'en tirerai, te conduisant : ce qui néanmoins n'arriva pas comme on le prendrait en notre manière d'entendre.On voit par là qu’encore que les paroles et révélations soient de Dieu, il ne faut pas s’y assurer, parce qu’on peut facilement s’y tromper en notre manière d’entendre. Car elles sont un abîme de profondeur d’esprit. – Et encore qu'elles viennent couvertes du sens, l'homme ne les entend pas, comme dit St Paul, (d) que l'homme animal ne connaît pas les choses qui sont de l'Esprit de Dieu ; car elles lui sont folies et il ne les
(a) Par exemple, dans les choses qui regardent autrui et dépendent de son franc arbitre de correspondre ou ne correspondre pas, quoique la chose soit véritable en soi, la personne n'en reçoit pas l'effet, faute de correspondance.
(b) Gen. 15. vs. 7, 8. (c) Gen. 46. vs. 3, 4.
(d) 1 Cor. 2. vs. 14.
les peut entendre, parce qu’elles sont spirituelles, mais le spirituel juge de toutes choses. Là même Ch. 19.
9. Dieu parle quelquefois en taisant la condition, comme il fit aux Ninivites, auxquels il prédit (a) déterminément, qu'ils devaient périr au but163 de quarante jours. Là même Ch. 20.(a) Jon. 3. vs 4.
10. Certains Spirituels s’assurant164, comme nous avons dit, et ne faisant grande réflexion sur la curiosité, dont ils usent parfois pour savoir quelques choses par voie surnaturelle, pensent que puisque Dieu répond chaque fois à leur demande, que c’est bien fait, et que Sa Majesté y prend plaisir : je veux bien qu’il soit vrai que Dieu leur répond, ce n’est pas toutefois une bonne procédure, et Dieu n’y prend pas plaisir ; tant s’en faut, cela lui déplaît, et en outre il s’en fâche souvent et le ressent165 beaucoup. La raison de cela est, parce qu’il n’appartient pas aux créatures de sortir des termes que Dieu leur a ordonnés pour leur conduite. —Vous me direz peut-être, si cela est, pourquoi répond-il quelquefois ? Je dis que c’est parfois le Diable qui répond ; que si c’est Dieu, il s’accommode à la faiblesse de l’âme qui veut suivre ce chemin, de peur de la déconforter166 et la laisser retourner en arrière, ou de peur qu’elle ne pense que Dieu est mal avec elle, et qu’elle ne soit pas trop tentée. —Un père de famille a plusieurs diverses viandes sur sa table, les unes plus délicates que les autres : Il y a un Enfant qui veut avoir de ce qui est dans un plat le plus près de lui, quoique ce ne soit pas le meilleur ; il en demande, parce qu’il mange mieux de celui-là que d’un autre.
Le père voit que s’il lui donne du meilleur, il n’en voudra point, mais qu’il recevra167 seulement celui qu’il demande, lequel est à son goût ; de peur qu'il ne demeure sans viande et désolé, il lui en donne à regret, comme Dieu fit (a) aux enfants d'Israël quand ils lui demandèrent un Roi : car il le leur accorda contre son gré, parce que ce n'était pas ce qu'il leur fallait. Là même Chap. 21.(a) 1 Rois 8. vs. 7. 22.
11. Cette Saveur donc et ce goût intérieur, que nous disons que ces profitants trouvent et savourent en leur esprit avec abondance et facilité, leur est communiqué bien plus abondamment qu’auparavant, redondant168 de là aux sens plus qu’il n’avait accoutumé devant cette purgation sensible ; parce qu’étant déjà plus pur, il peut sentir plus facilement les goûts de l’esprit en sa manière. Et comme enfin cette partie sensitive de l’âme est faible et incapable des choses fortes à l’esprit, de là vient que les profitants à cause de cette communication spirituelle, qui se fait en la partie sensitive, y endurent plusieurs dommages et débilités169 d’estomac, et par conséquent du travail en l’esprit ; d'autant, dit le Sage (b) que le corps qui se corrompt appesantit l'âme : D’où vient que les communications de ceux-ci ne peuvent être bien fortes, ni bien intenses, ni tant spirituelles comme elles sont requises pour l'union avec Dieu, à raison de la faiblesse et de la corruption de la sensualité, qui y a part. Et de là viennent les ravissements, les extases, les dislocations des os, qui arrivent toujours quand les communications ne sont pas purement spirituelles, c’est-à-dire, à l'esprit seul, comme sont celles des parfaits(b) Sag. 9. vs. 15.
déjà purifiés par la seconde nuit de l’esprit, qui n’ont plus ces ravissements et tourments du corps, jouissant de la liberté de l’esprit sans que le sens s’offusque et vienne à s’aliéner. Or pour savoir la nécessité qu’ont ces profitants d’entrer en cette nuit de l’esprit, nous remarquerons ici quelques imperfections et dangers dans lesquels ils se trouvent. Obsc. Nuit Livr. 2 Ch. 1.
Il déduit fort au long170 ces imperfections ou ces propriétés dans tout ce Chapitre et le suivant jusqu’à la fin. Et il ajoute :12. partant il faut que l'âme entre en la seconde nuit de l'esprit pour venir à l'union divine, où dénouant parfaitement le sens et l'esprit de toutes ces appréhensions et saveurs, on la doit faire marcher en pure et obscure foi, qui est le moyen propre et sortable poù l'âme s'unit avec Dieu selon qu'il est dit en Osée ; (a) Je vous épouserai en foi, c’est-à-dire, je vous unirai à moi en foi. Là même Ch. 2.
(a) Chap. 2. vs. 20.
Il y a tant d’autres choses sur cette matière que je m’arrête ici pour parler de la vraie révélation de Jésus-Christ parole essentielle, parole du Verbe.
13. Mais le doute est comment l'âme peut souffrir une si forte communication en la chair, car en effet il n'y a sujet ni force en elle pour tant souffrir sans défaillance : vu que la Reine Esther ayant seulement vu le Roi Assuérus en son trône avec des habits de la splendeur royale, éclatant d'or et de pierreries, trembla si fort de le voir si terrible en son aspect, qu'elle s'évanouit, comme elle le confesse, disant (b) qu'à cause de la crainte qu'elle eut de sa gloire, lui ayant paru
(b) Esth. 15. vs. 16, 17.
comme un Ange de Dieu, et sa face remplie de grâces, son cœur avait été tout ému et troublé, parce que la gloire opprime celui qui la regarde, quand elle ne le glorifie point. Or combien plus l’âme se devrait-elle évanouir ici ? Puisque celui qu'elle connaît, n'est pas un Ange, mais Dieu même et le Seigneur des Anges, avec sa face remplie des grâces de toutes les créatures, d'un terrible pouvoir et gloire, et de la voix d'une multitude d'excellences, de laquelle voix Job parle de la sorte : (a) vu qu'à peine nous avons entendu une petite parcelle de sa parole, qui est-ce qui pourra regarder le tonnerre de sa grandeur ? Et ailleurs : (b) je ne veux qu'il conteste171 avec moi avec beaucoup de force, de peur qu'il ne m'opprime du poids de sa grandeur. Mais il y a deux causes pourquoi l’âme ne défaut172 point et ne craint en ce puissant et glorieux réveil ; la première, parce que l’âme étant déjà en état de perfection, comme elle est ici, où la partie inférieure est très purgée et conforme à l’esprit, elle ne sent point le dommage ni la peine qu’a accoutumé173 de souffrir l’esprit qui n’est purgé et disposé pour les recevoir. La seconde et principale cause est celle qui est spécifiée au premier vers, à savoir que Dieu se montre bénin174 et amoureux : car comme il montre cette gloire et grandeur à l'âme pour la chérir et l'exalter, de même il la favorise et fortifie, protégeant la nature, montrant sa grandeur à l'esprit avec amour et douceur, ce que peut facilement faire celui qui tint (c) Moïse de sa droite175 pour lui faire voir sa gloire. Et ainsi l'âme trouve en lui autant de mansuétude et d'amour, qu'elle y sent de pouvoir, de souveraineté(a) Job 26. vs. 14. (b) Job 23. vs.
(b) Exod. 33. vs. 22.
et de grandeur, parce qu’en Dieu tout est une même chose. D’où vient que la délectation et la protection sont fortes en la mansuétude et l’amour ; fortes pour supporter une forte délectation, si bien que l’âme demeure plutôt forte et puissante que pâmée ou en défaillance. Que si la Reine (a) s'évanouit, ce fut parce que le Roi ne se montra pas du commencement favorable à elle, mais (comme il est dit en ce lieu) avec les yeux ardents et enflammés il lui montra la fureur de sa poitrine : mais aussitôt qu'il la favorisa et qu'il étendit son sceptre la touchant et embrassant, elle revint à soi, après lui avoir dit qu'il était son frère, et qu'elle ne craignît rien. De même le Roi du Ciel se gouvernant ici de prime abord avec l'âme comme son Epoux et son frère, elle n'a point de crainte : car lui montrant avec douceur et non en fureur la force de son pouvoir et l'amour de sa bonté, il lui communique la force et l'amour de sa poitrine ; sortant de son trône vers elle comme l'Epoux de son lit, où il était caché, et s'inclinant vers elle, il la touche du sceptre de sa Majesté et l'embrasse comme frère. Là donc les habits royaux et leurs parfums, qui sont les vertus admirables de Dieu ; la splendeur de l’or qui est la charité ; le brillant éclat des pierreries, c'est à savoir les notices surnaturelles, et la face du Verbe rempli de grâces, investissent et revêtent l'âme comme une Reine : de manière que transformée en ces vertus du Roi du Ciel elle se voit devenue Reine, et qu'on peut véritablement dire d'elle ce que dit David : (b)176 La Reine est à côté de vous avec un vêtement enrichi d'or, entouré de variété. Vive flamme d’amour. Cantique 4. vers 2.(a) Esth. 15. vs. 9-12. (b) Ps. 44. vs. 10.
[269]
14. Vous voyez, Téotime, que l'écoulement d'une âme en son Dieu n'est autre chose qu'une véritable extase (a), par laquelle l'âme est toute hors des bornes de son maintien naturel, toute mêlée, absorbée et engloutie en son Dieu. Dont il arrive que ceux qui parviennent à ce saint excès de l’amour divin, étant après, revenus à eux-mêmes, ne trouvent rien en la terre qui les contente, vivant dans un extrême anéantissement d’eux-mêmes, demeurant fort alangouris177 en tout ce qui appartient aux sens ; et ont perpétuellement au cœur la maxime de la Bienheureuse Vierge, Thérèse de Jésus : Ce qui n'est pas Dieu ne m'est rien : Et me semble que ce fut la passion amoureuse du grand ami du Bien-aimé qui disait : (b) Je vis, non plus moi, mais Jésus-Christ vit en moi ; et ; (c) notre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu. Car dites-moi, je vous prie, Téotime, si une goutte d’eau élémentaire jetée dans un océan d’eau était vivante, et qu’elle put parler et dire l’état auquel elle serait, ne crierait-elle pas de grande joie : O mortels, je vis vraiment ; mais je ne vis pas moi-même, mais cet océan vit en moi, et ma vie est cachée en cet abîme. L’âme écoulée en Dieu ne meurt pas : car comme178 pourrait-elle mourir d’être abîmée en la vie ? Mais elle vit sans vivre en elle-même, parce que comme les étoiles sans perdre leur lumière ne luisent plus en la présence du Soleil, mais le Soleil luit en elles, et elles sont cachées en la lumière du Soleil ; aussi l'âme, sans perdre sa vie, (a) Véritable extase de volonté permanente.
(b) Gal. 2. vs. 20. (c) Col. 3. vs. 3.
ne vit (d) plus étant mêlée avec Dieu, mais Dieu vit en elle. De l’Amour de Dieu. Livr. 6. Ch. 12.
(d) O extase sans erreur et sans soupçon !
15. Les deux extases, de l’entendement et de la volonté, ne sont pas tellement appartenantes179 l’une à l’autre, que l’une ne soit souvent sans l’autre : car comme les Philosophes ont eu plus de connaissance que d’amour de leur Créateur, aussi les bons chrétiens en ont plus d’amour que de connaissance, et par conséquent l’excès de la connaissance n’est pas toujours suivi de celui de l’amour, non plus que l’excès de l’amour n’est pas toujours accompagné de l’excès de la connaissance. Or l’extase de l’admiration étant seule ne nous fait pas meilleurs, suivant ce qu’en dit celui qui avait été ravi en extase jusqu’au troisième ciel. Si je connais, dit-il, (a) tous les mystères et toute la science, et si je n'ai pas la charité, je ne suis rien. Et partant le malin esprit peut extasier180, s’il faut ainsi parler, et ravir l’entendement, lui représentant des merveilleuses intelligences qui le tiennent élevé et suspendu au-dessus de ses forces naturelles : et par telles clartés il peut encore donner à la volonté quelque amour vain, mol, tendre et imparfait, par manière de complaisance, satisfaction et consolation sensible. Mais de donner la vraie extase (b) de la volonté, par laquelle elle s'attache uniquement et puissamment à la bonté divine, cela n'appartient qu'à cet Esprit Souverain, par lequel la Charité de Dieu est répandue dans nos cœurs. Livr. 7. Ch. 5.16.
(a) 1 Cor. 13. vs. 2.
(b) Cette extase seule ne cause rien d'extraordinaire au-dehors.
16. En effet, Téotime, on a vu en notre âge plusieurs personnes, qui croyaient elles-mêmes et plusieurs personnes avec elles, qu’elles fussent fort souvent ravies divinement en extase, et enfin l’on découvrait que ce n’était qu’illusions et amusements diaboliques. Un certain Prêtre du temps de S. Augustin, se mettait en extase toujours quand il voulait, chantant ou faisant chanter certains airs lugubres et pitoyables, et cela pour seulement contenter la curiosité de ceux qui désiraient voir ce spectacle. Mais ce qui est admirable, c’est que son extase passait si avant181 qu’il ne sentait même pas quand on lui appliquait le feu, sinon après qu’il était revenu à soi, et néanmoins si quelqu’un parlait un peu fort et à voix claire, il l’entendait comme de loin, et n’avait aucune respiration. Les Philosophes mêmes ont reconnu certaines espèces d’extases naturelles, faites par la véhémente application de l’esprit à la considération des choses plus relevées182 : c’est pourquoi il ne faut pas s’étonner si le malin esprit pour faire le singe, tromper les âmes, scandaliser les faibles et se transformer en esprit de lumière, opère des ravissements en quelques âmes peu solidement instruites en la vraie piété. — Si l’extase183 est plus belle que bonne, plus lumineuse que chaleureuse, plus spéculative qu’affective, elle est grandement douteuse et digne de soupçons. Je ne dis pas qu’on ne puisse avoir des ravissements, des visions mêmes prophétiques, sans avoir la charité : car je sais bien que comme on peut avoir la charité sans être ravi ni prophétiser, aussi peut-on être ravi et prophétiser sans avoir la charité ; mais je dis que celui qui en son ravissement a plus de clarté en l’entendement pour admirer Dieu, que d’amour en la volonté pour l’aimer, doit être sur ses gardes : car il y a du danger que cette extase ne soit fausse, et ne rende l’esprit plus enflé qu’édifié, le mettant comme Saul, Balaam, Caïphe entre les prophètes, mais le laissant néanmoins entre les réprouvés. —La troisième espèce d’extase toute sainte, tout aimable et qui couronne les deux autres, est l’extase de l’œuvre et de la vie, l’entière observation des commandements de Dieu, etc. Là même Chap. 6.
17. Il faut savoir que la créature en cet état est encore grandement éloignée de sa conformation, tandis qu’elle est capable de recevoir quelque chose en la lumière divine soit pour la simple spéculation, soit pour le goût, soit pour l’extase, qui sont choses toutes différentes. Car sa consommation ne doit et ne peut être que la fin et le succès de tous ces moyens mystiques.
Mais ce qui est resté de ceci à l’âme perdue en Dieu, est toute autre chose : et c’est ce qui la ravit imperceptiblement et en quoi s’accroît et s’augmente le plus sa très simple et ineffable jouissance. Bonheur qu’elle possède en son repos ineffable, très-simple et très-unique qui lui fait expérimenter qu’on ne peut aller ni passer outre. Car ici la compréhension de la créature, son goût, et toute sa jouissance est par-dessus toute expression. Cabinet Mystique P. I. Ch. 4.
Cette fécondité est prise en deux manières : l’une pour faire le bien qui ne regarde que l’âme seule ; et l’autre pour aider au prochain, comme on a déjà vu dans les Communications.
Les vertus coulent agréablement en cette âme, qui les pratique d’une manière si aisée, qu’elle semble lui être naturelle. Elle a un germe de vie et de fécondité, qui lui donne de la facilité pour tout ce qui est bon, et de la sensibilité pour tout ce qui est mauvais. Chapitre 13 n. 2.
C’est ce qu’on peut appeler l’état Apostolique, par lequel l’âme est non seulement épouse, mais aussi féconde : car Dieu comme bouche, est uni quelque temps à cette âme avant que de la rendre féconde de sa propre fécondité. Chapitre 1 verset 1.
Il fera même quelque chose de plus dans la suite, m’unissant à lui essentiellement ; et alors je serais féconde, et je produirai à mon époux des fruits incomparablement plus beaux que ceux que je demandais. Chapitre 2 verset 6.
L’épouse reçoit ici la facilité d’aider aux âmes, désignée par ses mamelles ; mais elle ne la reçoit pas avec toute la plénitude qui lui sera communiquée dans la suite : cette facilité lui est seulement imprimée comme un germe de fécondité. Chapitre 4 verset 5.
Sitôt que l'âme est arrivée au bonheur d'être reçue pour toujours (a) en son Dieu elle devient (b) mère et nourrice.
(a) Ce mot toujours est pour marquer que cette union est permanente, et qu'elle n'est plus de ces unions qui sont plutôt des essais d'union qu'une véritable union : comme on voit la mer se jouer longtemps de quelque chose sur ses bords, la vague semble la prendre et puis la remettre au même lieu, jusqu'à ce qu'elle l'engolfe [sic] en soi ; sitôt qu’il est dans le fond, il y est pour toujours ; ce qui n'empêche pas qu'il n'en puisse être tiré par quelque hasard, comme d'être pêché ou autrement.
(b) Ce mot de mère et nourrice veut dire que non seulement Dieu se sert d'elle pour convertir beaucoup d'âmes, mais qu'il lui donne de quoi les aider selon leurs besoins. Car il y a des personnes qui ont la grâce de conversion, qui n’ont pas celle de l’éducation spirituelle. Mais celles qui ont cette grâce, leur parole, leur seule présence sans paroles fortifie, soutient, porte à Dieu, nourrit, pour ainsi dire, une âme qui est comme une terre sèche et aride. La seule présence de ces personnes qui sont toutes à Dieu, fait distiller dans les autres comme une rosée céleste. De même que les âmes sales et impudiques communiquent cet air corrompu à qui les approchent : ainsi par un contraire effet une âme pure communique la pureté ; et comme elle est pleine de grâce et sacrée de l’onction divine, elle communique cette grâce et cette onction à ceux qui l’approchent. Et comme elle n’est pleine que de Dieu, elle ne peut communiquer que Dieu. Comme elle est vide de soi, elle ne se communique plus elle-même, ni rien d’elle, mais l’image et la grâce son divin l’époux. D’où vient que le souvenir de ces personnes, bien loin d’imprimer leur image impure, porte d’abord à Dieu et recueille en lui ; c’est la plus sûre marque que l’âme s’est quittée soi-même pour passer en Dieu, qu’elle est disparue elle-même, qu’elle ne vit plus elle, mais que son Dieu vit en elle ; puisqu’elle ne donne plus d’autres espèces que celles dont elle est elle-même affectée.
Il faut remarquer de plus que ce n’est par aucun signe extérieur qu’elle recueille les autres, mais comme elle est arrivée dans le Centre, l’impression se fait par le dedans, comme si c’était Dieu même, sans qu’il en paraisse rien au-dehors ; par ce que cette âme en sortant d’elle-même a outrepassée son propre fonds pour se perdre en Dieu au-delà d’elle-même : elle ne laisse donc aucune trace ni d’idée d’elle, mais de Dieu, son amour et sa vie. Ce fut par l'effet d'une grâce infiniment plus abondante en Marie qu'à son abord sainte Élisabeth, sentit Jésus-Christ et la grâce répandue en Marie qui se communiqua à saint Jean (Luc 1 verset 41). Ce fut cette même grâce de l’onction de l’époux qui ravit l’autre saint Jean en la cène. C'est être la bonne odeur de Jésus-Christ (2 Corinthiens 2 verset 15). Car comme les gens déréglés n’inspirent et ne communiquent que leur corruption, affectant tous ceux qui les approchent, aussi une âme pleine de Dieu ne communique qu’amour de Dieu et pureté ; et l’on éprouve que cela se fait sans l’entremise de la parole. Comme l’odeur du miel attire les mouches dispersées, aussi cette odeur de Jésus-Christ attire les âmes après lui.
Lors que j’ai parlé de l’état Apostolique, j’ai voulu faire comprendre que les personnes qui ne sont pas appelées à cela par leur état, comme sont les laïques, ne le doivent faire que par une vocation particulière et en cet état ici. Ce qui m’a obligé d’écrire sur cela, c’est que toutes les personnes qui commencent à sentir en elle la présence de Dieu, elles sont si ravies de ce qu’elles éprouvent qu’elles voudraient en faire jouir tout le monde ; et comme cette grâce ne leur est donnée que pour elles-mêmes, cela fait qu’elles sont très peu utiles aux autres, et se nuisent beaucoup à elles-mêmes, perdant cette divine onction qui leur est donnée pour leur propre sanctification. Sainte Thérèse reconnaît en elle cette méprise, et en fait voir la conséquence. (Voyez sa Vie. Chapitre 13. Défaut n. 4). Il est à remarquer que les âmes commençantes sont bien plus empressées à aider aux autres, que celles dont je parle ; car celles dont je parle n’ont aucun empressement ; au contraire leur fond principal est d’être séparé de tout, et tout ce qu’elles font, se fait sans vie, sans zèle aperçu et par providence. Je dis sans zèle aperçu ; parce qu’ils ont le véritable zèle pur, insensible, qui ne se réveille que dans des occasions pressantes. Alors ils éprouvent ces paroles de Jésus-Christ : Zelus domus tuae comedit me : -- le zèle de votre maison me dévore, Jean 2 verset 17.) Une marque que leur zèle est sincère, c'est qu'elles se chargent volontiers devant Dieu de tout souffrir pour les âmes ; c'est qu'elles ne se rebutent jamais de leurs défauts ; c'est que nul respect humain ne les arrête pour ne leur point dire ces mêmes défauts lorsqu'il est de saison de les dire ; c'est qu'elles ne craignent ni persécution ni mort pour elles-mêmes, afin qu'elles connaissent 277 la vérité et ce que Dieu veut d'elles, quoiqu'elles se désistent de les aider avec facilité, parce qu'elles n'ont aucune attache. Les âmes commençantes ne sont pas de même : elles se rebutent aisément ; la moindre persécution ou contradiction les met toutes sans réflexion et en retour sur elles-mêmes ; elles suivent une certaine onction qu'elles goûtent en parlant. Comme une personne qui ayant un baume précieux, en cassant le vase qui le contient, sent cette odeur admirable, se complaît dans cette odeur sans penser à la perte qu’elle fait : de même ces âmes commençantes goûtant quelques douceurs en parlant aux âmes, perdent la grâce et l’onction qui leur est donnée pour elles-mêmes. Il n’en est pas de même de ces âmes à qui la grâce n’est pas donnée par mesure ; parce que n’ayant rien à elles, et n’étant plus en elles-mêmes en un bon sens, c’est Jésus-Christ leur époux qui se communique lui-même en elles et par elles. Les personnes commençantes dans leur conversation, surtout avec personnes de différent sexe, sentent bien un mélange de sensualité, et même très souvent l’amitié ou l’amour naturel s’y glisse : il n’en est pas de même ici, où tout cela est mort et éteint. Il reste après les conversations des premiers, des espèces mutuelles ; il n’en est pas de même de ces âmes, qui ne laissent aucune espèce d’elles-mêmes, mais bien des vestiges de Dieu qui vit seul en elles ; ainsi qu’on le peut savoir par toutes les personnes de probité et d’esprit droit qu’on a vues, sans en excepter une seule de tout sexe.
La fécondité lui est donnée : elle est mise par état (a) dans la vie Apostolique. Dès 278 lors
(a) Cet état devient propre à l'âme : et quand elle ne verrait personne, elle ne laisserait pas de servir au prochain ; comme Dieu fit connaître à la bienheureuse Angèle de Foligni, qu'en sa faveur, et sans même qu'elle le sût, Dieu avait fait miséricorde à une infinité d'âmes au-delà des mers : ceci est rapporté dans sa Vie. (Voyez chapitre 20 ou livre II partie II chapitre 1 section 1 n.9 dans l'édition de Hollande et chapitre dernier n.2, etc.). Ce n’est pas l’esprit qui doit juger de ces âmes ; car comme leur voie est fort au-dessus du propre esprit, il faut que le cœur seul en juge lorsqu’il est séparé des raisonnements et préventions de l’esprit.
les lèvres de cette personne sont comme un rayon de miel, qui distille continuellement en faveur des âmes. Ce ne sont que ses lèvres, et non ses paroles ; parce que c’est l’époux qui parle par son épouse, et les lèvres de l’épouse lui servent d’organe pour exprimer sa parole divine. Le miel et le lait, lui dit-il, sont sous la langue que je vous donne : c’est moi qui mets ce miel et ce lait sous votre langue, et qu’il les fait répandre par vous en faveur des âmes selon leur portée. L’épouse est tout miel pour ceux qu’il faut gagner par la douceur des consolations. Elle est tout lait pour les âmes devenues simples et enfantines. L’odeur de vos vertus et de vos bonnes œuvres, qui vous servent comme de vêtements, et auxquels vous ne tenez plus depuis que la propriété en est bannie, se répand partout, comme un encens très odoriférant. Chapitre 4 verset 11.
Comme l’écorce est la moindre partie de 279 la grenade, qui renferme en soi toute sa bonté ; aussi ce qui paraît extérieurement de l’âme de ce degré est très peu de chose, au prix de ce qui est caché. Le dedans est plein de la plus pure charité, et des grâces les plus réservées, couvertes cependant de l’extérieur très commun : car Dieu prend plaisir de cacher les âmes qu’il veut pour lui-même : les hommes ne sont pas dignes de les connaître ; et les Anges les admirent et respectent, quoique sous un extérieur le plus simple du monde. En sorte que ceux qui n’en jugeraient que selon l’apparence les croiraient des plus communes, quoiqu’elle soit les délices de Dieu. Ce ne sont pas de celles-là qui éclatent dans le monde (a) ni par les miracles, ni par les dons extraordinaires : tout cela est trop peu pour elles. Dieu se les réserve ; et il en est si fort jaloux, qu’il ne les expose pas aux yeux des hommes ; au contraire il les scelle de son sceau, comme il dit lui-même, que son épouse est (Cantique 4 verset 12.) la fontaine scellée, dont il est lui-même le sceau. Mais pourquoi la tient-il scellée ? C'est parce que (Cantique 8 verset 6) l'amour est fort comme la mort et la jalousie dure comme l'enfer. O que ceci exprime bien ce que j’avance ! Car comme la mort enlève tout à celui qu’elle tient, aussi l’amour arrache tout à l’âme, et la cache dans le secret d’un sépulcre vivant. La jalousie de Dieu est dure comme l'enfer, en ce qu'il n'y a rien qu'il ne fasse pour posséder pleinement ses épouses.
(a) On a vu plus haut (voyez Extase n.1, 11, Etc.) que ces âmes si ayant été conduite par la foi, sont au-dessus de ses dons, étant consommé en Dieu dans ces mêmes dons.
L’on m’objectera que cette âme n’est pas si cachée, puisqu’elle aide au prochain. Mais je réponds que c’est ce qui la couvre le plus d’abjection, Dieu se servant de cela pour la rendre plus méprisable, à cause des contradictions qu’il faut qu’elle essuie. Il est vrai que celles qui s’adressent à elle, et qui sont en état de recevoir quelque participation de la grâce qui est en elle, en ressentent l’effet. Chapitre 6 verset 6.
Votre ventre, c’est-à-dire votre fécondité spirituelle, est comme le monceau de froment, tant elle est abondante ; elle germe, croit, fructifie et nourrit comme le froment, et elle en a toutes les qualités : mais elle est environnée de lys pour marque d'une entière pureté (a). Chapitre 7 verset 2.
(a) il est toujours marqué une pureté entière et exquise, ce qui fait voir combien on n'est éloigné des sentiments abominables de certaines créatures.
Vous avez rendu votre épouse féconde et mère d’un peuple innombrable. Vous avez commis vos Anges pour la garder, et elle rapporte un grand profit et à vous, ô Dieu, et à l’âme même. Chapitre 8 verset 11.
Il y a peu à mettre ici parce que j’ai presque tout mis dans l’article des Communications.
1. Quand les esprits sont égaux, ils s’illuminent l’un l’autre, ils se pèsent et s’entendent lumineusement en impression savoureuse et délectable sur leurs sorties et, pour mieux dire, sur leurs manifestations ; d’autant que d’égal à égal les concepts ne sont pas appelés sorties, mais manifestations de lumières et de vérités ; laquelle touchant de soi le sujet qui la reçoit, entre au même instant en son entendement et en sa raison, et l’affecte par une vive, pénétrante, large, savoureuse et délicieuse impression. -- Ces vérités ne sont pas semblables à celles qui sont infuses, quoiqu’elles ne soient pas sans affecter et illuminer la raison, non plus que sans saveur et délices ; mais il ne se n’est pas en comparaison les manifestations internes purement infuses qui fluent simplement d’un sujet en l’autre, telle qu’elles ont été reçues de Dieu, source de toute lumière et vérité. Néanmoins rien de ceci (a) ne doit contrarier à la simplicité du fond, de si loin que ce soit ; car autrement on sentirait des obstacles et des empêchements pour la liberté du cœur et pour la libre introversion du fond : ce qui serait bien éloigné d’être attaché à Dieu, puisque semblables entre-deux sont séparation et obstacle. Aussi est-il vrai que celui qui durant son action se sent divisé et multiplié en soi-même par l’attraction des espèces tirées à lui et qui lui font impression, n’est pas simple, unique, pur, ni abstrait, pour n’avoir encore reçu les vives touches et opérations de Dieu en ses puissances hautes et basses. Tout cela étant ainsi, le flux simple du vrai spirituel n’étant bien souvent déduit qu’en large explicité, il ne peut entrer en la raison ni l’entendement de celui qui n’est pas esprit ; car n’ayant eu aucune expérience ni goût de l’esprit, il ne le peut recevoir pour en être affecté et touché : de sorte qu’il faut que le flux sorti du spirituel demeure sans effet au-dehors : mais il affecte tout de nouveau l’esprit du sujet d’où il est sorti, en demeurant dedans. --
Pour retourner à mon sujet, je dis que l’homme spirituel se doit donner de garde de se produire mal à propos, afin qu’il ne soit pas empêché en sa nue et libre introversion et contemplation de Dieu, en la fruition duquel il prend son repos dans l’abîme même de son propre fond. Cabinet mystique partie I chapitre sept.
(a) Il veut dire que quand le cœur n'est pas disposé, l'on sent quelque empêchement à cette infusion, soit mutuelle d'égal à égal, soit de supérieur à inférieur.
On écrit que saint François d’Assise et sainte Claire se communiquaient de la sorte dans leur contemplation mutuelle. Ces communications sont d’une si grande pureté que la moindre chose les ternit et les arrête. Il est difficile d’être entendu lorsqu’on parle et explique ces choses, à moins que de n’avoir l’expérience. C'est ce que notre Seigneur dit à ses Apôtres (Luc 10 verset 6) ; s'il n'y a pas de fils de paix, votre paix retournera sur vous : et en parlant de l'hémoroïsse (Luc 8 verset 45,46) : qui est-ce qui m'a touché ; j’ai senti une vertu secrète qui est sortie de moi.
2. La discrétion (a) suprême et la renonciation marchent de pas égal l'une à l'autre, et font le comble de toute sainteté, soit en morts, soit hors de morts. Cette discrétion est propre et différente à un chacun de ceux qui sont souverainement illuminés, soit qu'ils soient dissemblables entre eux, soit qu'ils soient (b) égaux en unité et simplicité, non autrement que personnellement distincte d'unité et simplicité également égale, sans distinction jusqu'à ce qu'elle (c) sorte en évidence d'unité et en distinction unique, pour tirer, ravir et supprimer tout le propre distinct en soi, ce qui est aussitôt parfaitement accompli qu'aperçu.
(a) Il parle de discrétion des esprits.
(b) Toutes les âmes d'un même degré ne se distinguent plus en Dieu.
(c) Il l'appelle sortir en évidence d'unité, parce que les personnes de même grâce, sans s'être jamais vues ont les mêmes sentiments et lumières ; ce qui paraît par la conformité de leurs expressions. Ceux qui surpassent les autres en degrés les surpassent en expressions, et dans le fond tout est réduit au même ; parce que c’est la même expérience en tous, quoique conduite par de différents moyens jusqu’au terme : mais quand ils y sont arrivés et perdus en Dieu, ils ont une unité d’expérience et l’unité d’expression, quoiqu’avec une différente variété : parce que l’expérience de Dieu en nous est aussi différentes que les visages ; mais l’expérience de Dieu en Dieu est toujours et partout la même.
Cette discrétion suprême juge de tout hors de son sujet : mais (a) elle ne juge pas toujours et partout des choses qui touchent son propre sujet. Elle (b) voit toujours tout, elle discerne tout en son fond. Elle considère autant les plus petites choses que les grandes, et elle n'estime rien de petit. Tout lui est presque égal, et elle a une égale profondeur partout et en tout ce qui se présente à elle, pour le voir et le juger tant en son fond qu’en ces circonstances. Mais pour le regard des choses qui importent à son propre sujet, petites ou médiocres, cette discrétion n’en doit pas juger. Selon cette vérité, moins les choses qui se présentent importent à son propre sujet, moins en doit-elle juger. Mais il n’est pas ainsi des choses de grande importance ; car plus elles sont importantes à son propre sujet, plus elle est capable de les voir, discerner d’en juger parfaitement. La raison est que pour lors elle est en excès de simple lumière et sans passion, excédant du tout en elle les sentiments communs, ou pour mieux dire, les vues et perceptions qui semblent n’être qu’un sentiment mélangé. D’où vient que comme alors elle est élevée en excès de simple lumière, nullement recourbée ni mélangée du sens, comme nous avons dit, elle juge déterminé je ment des choses plus importantes ; son sujet, insistant même en cela à l’encontre de tous ses égaux, qui pour lors sont ineptes à juger au contraire. Cela se fait ainsi parce qu’ils sont dans le pur sentiment de la chose dont il est question ; lequel sentiment il faut de nécessité avoir excédé ; ce qui n'étant pas, ses égaux simples en matière de telle discrétion, doivent céder au jugement de celui qu'ils voient insister contre eux.
(a) Ce qu'il veut dire c'est que ces âmes si propres à conseiller les autres et les décider ne peuvent se décider elle-même dans les petites choses. Dieu voulant par là que leur extérieur, comme celui de Jésus-Christ, dont il est écrit (Luc 2 verset 51) qu'il était soumis, soit assujetti à l'obéissance. Lorsque Dieu leur ôte tout secours humain, elles n’en sont pas plus décidées d’une manière anticipée, mais le moment divin des occurrences et rencontres nécessaires les déterminent sans qu’il leur soit possible de le faire par anticipation. Je crois que ce qui fait cela est, que comme ces âmes se sont habituées au-dedans à une dépendance continuelle de la grâce, et au-dehors à une obéissance aveugle pour ceux qui les conduisent, elles ont perdu toute conduite propre ; l’esprit d’ailleurs destitué de tout raisonnement et réflexions y contribue. Il n’en est pas de même des choses de conséquence, ou lorsqu’il s’agit de décider les autres, parce que ce qu’on leur propose avec simplicité est reçu du Seigneur sans rien de leur part ; et alors Dieu incline le cœur pour répondre : la première chose qui leur met dans la pensée, elles la disent simplement ; si Dieu ne leur donne rien, elles le disent de même, n’ajoutant rien du leur, quoique souvent le bon sens naturel peut faire rendre une réponse fort juste. C’est ce qui fait qu’elles ne prennent plus comme autrefois du temps pour prier pour cela ni comme font les âmes d’un autre degré : parce que comme Dieu les tient toujours vides d’elles-mêmes et de toutes choses, il leur donne dans le moment actuel ce qu’il veut qu’elles répondent ; après quoi elles n’y pensent plus : et si elles voulaient s’en rafraîchir la mémoire pour prier pour cela, à moins que Dieu lui-même leur remette la chose dans l’esprit, elles ne trouveraient aucune correspondance à leur prière, qui serait comme hors-d’œuvre ; de sorte qu'elles sont contraintes de tout laisser : mais lorsque Dieu présente lui-même la chose, cela se fait avec une grande correspondance intérieure.
(b) C'est ce que j'ai appelé en bien des endroits vrais sagesse, parce que par la perte que l'âme a bien voulu faire de sa propre sagesse, elle a été revêtue de la sagesse Jésus-Christ : car lorsque le vieil homme est mort, et que nous sommes renouvelés en nouveauté de vie en Jésus-Christ, il est notre vie par dedans et notre vêtement par dehors. Mais comme il a fallu que par l’évacuation de notre vie propre nous ayons fait place à la vie de Jésus-Christ en nous, il faut aussi que par la perte de tous nos vêtements propriétaires nous donnions lieu à Jésus-Christ de nous revêtir de lui-même. Alors c’est la Sagesse Jésus-Christ qui agit au-dehors, parce que le même Jésus-Christ vit au-dedans.
J’ajoute encore une autre circonstance à cette règle, savoir que si quelqu’un semblait requérir l’avis et le jugement des souverainement illuminés et qu’il ne fit simplement que leur proposer la chose comme à demi et par manière d’acquit, ne demandant pas déterminément et expressément d’avis là-dessus. Je dis que le proposant ne peut ni ne doit asseoir son jugement sur la résolution qu’il a reçue de ces illuminés sur ce qu’il leur a proposé. Aussi ne peuvent-ils donner de résolutions, d’autant qu’ils savent et connaissent bien qu’on ne requiert pas cela déterminément. --
Le très simple fond de cette très étendue, très consommée, très simple et lumineuse discrétion n’appartient qu’aux âmes toutes perdues et consommées en l’essence de Dieu. Il n’y a qu’elles qui en égalité de consommation très simple, la puissent voir, posséder et pratiquer, soit en vue stable et arrêtée au-dedans d’elles-mêmes, soit en saillie des mêmes vues ou sentiments du tout ineffables.
Or la consommation dont nous parlons, a plusieurs degrés pour arriver à la suprême plénitude de simplicité très simple en suréminence d’élévation surétendue ; dans laquelle l’âme étant entièrement abîmée, ne sait presque plus rien des degrés consommants, sinon en les remarquant et jugeant aux âmes qui se consomment par eux. Cabinet mystique partie 2 chapitre 6 n. 11.- 14.
3. Il y a de deux sortes de fécondité, à savoir une qui est en pur sentiment lumineux fécondément dilatés par sa facile action, et cette fécondité se rencontre souvent aux degrés consommants.
(* Communications §.II. n.9) L'autre est une fécondité de lumière, qui est en consommation de plénitude consommée ; et cette fécondité fort féconde à tout, versant de en ses égaux sa lumière très simple, autant qu'elle veut, par manière de dire. Sur quoi il faut savoir que la consommation de plénitude n’est pas parfaite qu’on ne soit parvenue à cette fécondité : car on ne peut dire qu’à l’entrée de cette consommation, cette fécondité soit assez puissante pour sortir ; attendu que l’âme se voyant et se sentant plus simple et plus étendue au-dedans en Dieu que jamais, elle voudrait bien ne jamais sortir ; outre qu’elle n’en a pas le pouvoir, pour sa grande simplicité simplifiant toute fécondité.
On doit donc croire que la consommation de cette susdite unité en sa suprême plénitude, doit être la fécondité de la même unité.
Car ainsi que l’unité de la Nature divine n’est 288 pas sans fécondité, aussi ne peut-on être entièrement consommé en cette unité, qui n’est autre que la divine, qu’en fécondité de la même unité. Or comme la fécondité en la Nature Divine n’est autre que la connaissance et compréhension qu’elle a de soi ; ainsi en cette même unité, la fécondité n’est autre chose que la compréhension ineffable de l’immense sortie de cette unité. C’est ici que fécondité et unité ne font qu’un, et qui n’y ait pas arrivé, ne peut avoir que le seul sens touché de tout ceci, n’y ayant rien qui tombe sous la compréhension purement humaine. Cabinet mystique partie II chapitre 6 n. 15.
4. Or la grande et la suprême ressemblance que tu as de ma nature divine font que ce contentement ne semble pas s’écouler de deux sujets l’un dans l’autre par redondance active et réflexe ; à cause, dis-je, de la suprême union qui est entre nous deux tout essentielle et singulière : Union qui est faite unique de nous deux en l'unité (a) même de la très sainte et très simple fécondité active, pour d'icelle retourner en la totale jouissance de tout le simple, fécond et unique.
Laquelle par le même effet de réaction amoureuse et complexive, reflue de tout soi en l'amour (b) du très simple unique ; ce qui fait simple 289 unité, simple amour, simples délices et simple repos : ce qui suffit pour être bienheureux l’un et l’autre par leur mutuelle contemplation et par leurs mutuels embrassements uniquement ressentis et également possédés. Soliloque 6 chapitre 6.
(a) Il veut dire qu'on est un et multiplié sans sortir de l'unité, fécond sans s'écarter de la simplicité, puisque c'est dans la simplicité même.
(b) Pour entendre ceci il faut concevoir que Dieu fait l'amour de la créature égal à soi lors qu'ayant détruit en elle son amour-propre, il lui communique son amour même, afin qu'elle aime par son même amour ; et comme Dieu aime l'âme du même 289 amour dont il s'aime, soi-même, rapportant à lui seul ; il s'aime en cette créature de ce même amour et lui donne de l'aimer par ce même amour, rapportant à lui seul comme objet et fin. Et c'est dans cette consommation d'amour unique qu'il la rend féconde en lui de sa fécondité ; car cette fécondité est amour. C’est proprement un écoulement de ce même amour au-dehors ; car comme l’amour veut toujours se communiquer, il se communique également par lui-même et par les sujets consommés en lui par un amour consommé, et l’amour est consommé en tant que retourné dans sa fin. Mais il n’est pas consommé quant à son étendue, parce qu’il croit chaque moment jusqu’à la fin de la vie. C’est ce que j’ai appelé participer au commerce de la très Sainte Trinité : parce que Dieu est fécond au dedans de lui-même et au-dehors dans ses créatures, il communique à l’âme cette double fécondité. L’âme arrivée en sa fin cesse tout marcher ou avancement propre ; mais il y a un avancement en Dieu à l’infini.
5. Là où la foi, l’espérance et la charité ne sont plus en acte sensiblement formé, tout l’homme est perdu en la très pure région de tout le simple. Là la lumière est ineffablement ineffable, et toutes les puissances sont une même chose ; de sorte que n’ayant là ni fond ni autre chose c’est là que la jouissance mutuelle et contemplative se fait en la fécondité et au-delà de la fécondité, dans le simple unique suressentiel, qui va tout ravissant en soi, au repos fruitif convenable à l’unique essence ; là où par cet acte éternel toute la fécondité personnelle est 290 réfuse [refus]. Quiconque est profondément perdu dans cet abîme, s’enfonce toujours plus là dedans ; ce qui ravit continuellement tout l’homme en soi, et fait qu’il ne saurait plus jamais se résoudre de se tourner tant soit peu vers la créature, allant toujours se submergeant et s’abîmant de plus en plus au Bien Infini de sa sur-essence. Ici rien n’est plus ni ne se fait plus humainement ; le seul Simple y est vivant par lui et pour lui-même, en tout l’ordre du succès de la vie présente. Je ne m’explique pas davantage sur ceci d’autant que l’explicite m’est à dégoût. De l’effusion de l’homme hors de Dieu. Traité 3 n.5.
6. J’ai appris par votre dernière lettre la peine que vous avez soufferte par la lecture d’une des miennes. Ce qui m’a beaucoup affligé, n’ayant pas eu d’autre intention que de vous faire connaître l’opération merveilleuse de Dieu dans nos âmes ; qui les tient dans une telle union, que leurs sentiments sont communs en quelque éloignement de lieu qu’elle se trouve. Quelle fidélité de Dieu qu’il veuille toujours tenir votre âme ouverte et sensible à celui dans lequel il vivra toujours pour vous, comme il vous l’a promis. Cette grâce est nonpareille, et elle me semble très singulière et pour vous et pour moi, toute indigne et misérable que je suis. Et bien loin que cela fasse un mauvais effet en moi, quelque chose que la grâce me découvre, il ne peut qu'augmenter le soin et la charité de Jésus-Christ pour vous, laquelle notre Seigneur permet que j'éprouve en moi d'une nature immobile et éternelle, selon qu'il l'exprimait par le prophète (Jérémie 31 verset 3) : Charitate perpetua dilexi te; je t’ai aimé d’un amour éternel. -- Et quand je cesserais d’être en ce monde, je ne cesserais pas d’être tout vôtre en Jésus-Christ, qui est au ciel comme en la terre ; et de l’être autant que la charité et l’esprit d’unité le peut opérer en ceux qu’il lie en la communion de sa vie divine, et qu’il unit pour la gloire et pour l’œuvre de son Père. -- C’est ce qui fait la communion parfaite de la vie de l’épouse à l’époux. Aussi depuis le temps, que vous avez pris cette résolution, je vous puis assurer d’un renouvellement d’union admirable, et qu’on ne peut comprendre, qui s’est faite entre nous dans la pureté et sainteté de l’Esprit. Et la divine Mère de charité me disait encore dernièrement, me parlant de vous, et me donnant une vue d’unité et de perte commune en la divine charité : Vous ne serez jamais séparés. Lettre 110.
Il est vrai que dans les commencements cet embrassement de la main droite est bien les fiançailles de l’âme, mais non encore le mariage. Il m’embrassera, dit-elle, il me liera premièrement à lui d’un lien de fiançailles, qui me fait espérer qu’il m’honorera un jour du mariage, et c’est pour lors qu’il m’embrassera et me liera si fortement à lui, que je ne craindrai plus aucune défaillance. Chapitre 2 verset 6. 292
L’âme dans ce doux embrassement de fiançailles s’endort du sommeil mystique, où elle goûte un repos sacré qu’elle n’avait jamais goûté. Là même verset 7.
Les fiançailles ou promesses mutuelles se font dans l’union des puissances, lorsque l’âme se donne toute à son Dieu, et que son Dieu se donne tout à elle à dessein de l’admettre à son union : c’est là un accord et une promesse réciproque. Mais hélas, qu’il y a encore de chemin à faire et qu’il y a bien à souffrir, avant que cette union tant désirée soit accordée et consommée ! -- —
Que si quelques saints, ou quelques auteurs ont établi ce mariage divin dans des états moins avancés que n’est celui que j’ai décrit ; c’est qu’ils prenaient les fiançailles pour le mariage, et le mariage pour la consommation ; et que parlant avec la liberté de l’esprit, ils ne distinguaient pas toujours exactement ces degrés, de même que l’on attribue souvent l’union divine à des états qui ne sont que les premiers pas du chemin intérieur. Toutes les âmes qui ont eu la faveur des fiançailles se croient épouses d’autant plus que l’époux même les traite de ce nom. Chapitre 6 verset 4.
1. Il me semble que cette union n'accomplit pas encore le mariage spirituel, mais [a. Que ce ne sont encore ici que les fiançailles] que c'est comme ici-bas, quand deux personnes se doivent marier : on regarde qu'il y ait de la conformité entre les parties, que mutuellement elles se vaillent, et qu'elles se voient enfin afin qu'elles soient plus satisfaites l'une de l'autre ; de même ici, supposé que l’accord soit déjà fait, et que l’âme soit bien informée de l’avantage qui lui est échet par une telle dignité, et qu’elle est bien résolue de faire en tout la volonté de son époux, sa Majesté sachant bien la vérité de cela, demeure content de l’âme et lui fait cette miséricorde de vouloir qu’elle le connaisse, et que, comme on dit ordinairement, ils viennent à l’entrevue, et ainsi il l’unit avec soi. Château Demeure V chapitre 4.
2. Les fiançailles spirituelles sont différentes, d’autant qu’en cet état on se sépare assez souvent, et même l’union est aussi différente ; car bien que l’union soit la conjonction de deux choses en une, néanmoins elles se peuvent toujours séparer et chaque chose peut demeurer et subsister séparée de l’autre, comme nous voyons que cette grâce de notre Seigneur passe promptement. Demeure VII chapitre 2.
3. Voyez Centre de l’âme n.13.
4. Avant que d’expliquer ces deux couplets, 294 pour les mieux entendre et ce qui suit, il faut savoir qu’en ce vol spirituel que nous venons de dire, il nous est dénoté un haut état et union d’amour, où après un grand exercice spirituel, Dieu a coutume de mettre l’âme ; lequel état est appelé fiançailles spirituelles avec le Verbe Fils de Dieu : et au commencement que cela se fait, c’est-à-dire la première fois, Dieu communique à l’âme de grandes choses de soi, l’embellissant de grandeur et de Majesté, et l’ornant de dons et de vertus et la revêtant de connaissance et d’honneur de Dieu, comme une fiancée au jour de ses fiançailles. Cantique entre l’épouse et l’époux. Couplet 14.
5. L’épouse en ce couplet rapporte comme les deux parties se livrèrent mutuellement l’une à l’autre en ces fiançailles spirituelles, disant qu’en cette cave intérieure ils se sont joints et unis en communication d’amour ; Dieu lui donnant déjà librement le sein de son amour, où il lui enseigne la Sagesse des choses secrètes ; et elle se livrant tout à fait à lui, sans se réserver aucune chose pour soi ni pour autrui, assurant déjà d’être sienne pour jamais. Là même Couplet 19.
Il y a des personnes qui disent que cette union ne se peut faire que dans l’autre vie : mais je tiens pour certain qu’elle se peut faire en celle-ci ; avec cette différence, qu’en cette vie l’on possède sans voir, et dans l’autre l’on voit ce que l’on possède.
Or je dis que quoique la vue de Dieu soit un avantage de la gloire lequel est nécessaire pour sa consommation ; elle n’est pas néanmoins l’essentielle béatitude ; puis qu’on est heureux dès qu’on possède le Bien Souverain, et qu’on peut en jouir et le posséder sans le voir. On en jouit ici dans la nuit de la foi, où l’on a le bonheur de la jouissance sans avoir le plaisir de la vue ; au lieu que dans l’autre vie on aura la claire vision de Dieu avec le bonheur de le posséder. Chapitre 1 verset 1.
Pourquoi l’épouse demande-t-elle qu’on ne la regarde pas dans sa noirceur ? C’est que l’âme commençant à entrer dans l’état de la foi et du dépouillement des grâces sensibles, elle perd peu à peu cette douce vigueur, qui lui faisait pratiquer le bien avec facilité. Là même verset 5.
Jusqu’à ce que le jour de la vie nouvelle, que vous devez recevoir en mon Père, commence à apparaître et que les ombres qui vous tiennent dans l’obscurité de la foi la plus nue, s’abaissent et se dissipent, je 296 m’en irai sur la montagne de la myrrhe ; parce que vous ne me trouverez plus que dans l’amertume et dans la croix. Chapitre 4 verset 6.
Faites-moi entendre votre voix ; les amis écoutent. L'époux par ces paroles demande à son épouse qu'elle sorte à son égard de ce profond silence dans lequel elle a été jusqu'alors : car dans tout le temps (a) de la foi et de la perte en Dieu elle a été dans un grand silence à cause qu'il fallait réduire son fond dans la simplicité et l'unité de Dieu seul. Chapitre 8 verset 13.
(a) Il est parlé dans tous les Écrits de cet état de foi, soit de la foi nue, soit de la foi savoureuse ; car j’ai appelé ainsi un goût confus et général, une expérience savoureuse de Dieu sans distinction d’attributs. J’ai nommé foi nue et obscure tout le temps de la purification, ou cette foi n’ayant plus ni lumière ni chaleur, est très douloureuse pour l’âme ; non qu’elle soit plus obscure en elle-même : mais c’est à cause de la pureté de la créature qui comme un hibou, ou un œil malade, ne saurait porter son éclat ; de sorte que Dieu, lumière béatifique, est un tourment infini à l’âme propriétaire et souillée de tâches. Cette foi est donc très obscure parce que l’on ne distingue rien à sa faveur et qu’elle lui fait fermer les yeux, sa lumière leur étant insupportable. Il y a un très grand rapport entre cet état et celui de nudité et celui de purification. Je ne parle pas de la foi infuse au baptême, tout chrétien l’a ; mais de cet esprit de foi qui fait l’intérieur, quoique ce soit la même foi en nature, mais différente en 297 ses effets, et en ce que celle-ci n’est jamais sans la charité : c’est cette foi, fruit du Saint-Esprit que je croi.
1. Dieu est appelé Verbe ou raison par les saintes Écritures (Jean 1 verset 1), non seulement parce que c'est lui qui fournit toute raison, entendement et sapience, mais aussi parce qu'en soi-même il a anticipé uniformément les causes de toutes choses, et parce qu'il passe et pénètre partout, atteignant jusqu'au bout et aux dernières extrémités de toutes choses, comme dit la parole sainte ( Sagesse 7 verset 24 et chapitre 8 verset 1) : et avant tout cela encore, c'est (* Simplicité n.5) parce que la raison divine est plus simple que toute simplicité, et qu'elle est libre et dépêtrée de toutes choses d'une façon qui surmonte et qui surpasse tout être. Ce Verbe est une vérité simple et qui est véritablement telle (c) autour de laquelle comme d'une pure et infaillible connaissance de toutes choses, consiste la foi divine et la solide assurance de ceux qui ont cru ; qui les fonde et qui les établit en la vérité, et la vérité même en eux, par une similitude de croyance, de laquelle il n'est pas possible de les dissuader, de autant que ceux 298 qui ont cru, ont une simple connaissance de la vérité.
(c) Il faut qu'une fois simple nous unisse à la vérité simple ; la vraie foi est toujours simple au-dessus des raisonnements, soit la commune et générale qui regarde toute vérité de foi, soit la foi simple où l’esprit de foi qui compose le véritable intérieur, et qui est le moyen d’union à Dieu.
Car s’il est vrai que la connaissance unit et conjoint par un ensemble ceux qui connaissent et les objets qui sont connus, et si au contraire l’ignorance est toujours à l’ignorant cause de le faire changer et se diviser d’avec soi-même ; certainement selon la parole sainte celui qui croit en vérité, ne pourra jamais être remué (a) hors de ce ferme domicile où il est établi par une foi véritable, dans lequel il aura la constance et la persévérance en la vérité immobile et immuable de ce qu'il croit. Car celui qui est uni à la vérité (b) est assuré par certaines sciences qu'il est bien, encore qu'on lui voulut remontrer le contraire et lui faire accroire, qu'il eût perdu l'esprit et qu'il fut devenu fou et insensé. Il est bien vrai que ceux qui le voient, comme on peut bien penser, ne savent pas que par le moyen de la foi véritable il est sorti hors de l'erreur, et qu'il est passé dans le parti de la vérité. Mais lui-même connaît fort bien qu'il n'est ni fou, ni hors du sens, comme ils disent, mais que par le témoin de la vérité qui est simple, (c) et toujours 299 de même sorte, il est affranchi et délivré du mouvement inconstant et variable qui le portait à l'erreur et aux mensonges pleins de bigarrure et de variété. C'est aussi comme quoi les principaux Maîtres de notre divine sapience meurent tous les jours pour la défense de la vérité, afin de porter témoignage, comme il est bien raison, et par effet et par paroles, que la science et la connaissance que les chrétiens ont de la vérité, est la plus simple et la plus divine de toute, ou pour parler encore plus divinement, qu'elle est la seule vraie, unique et simple (c) connaissance de Dieu. Des noms divins chapitre sept.
(a) Stabilité de la foi commune qui ne varie pas ; stabilité du don de l'esprit de foi simple qui ne varie plus.
(b) Ce qui se dit de la foi commune se trouve très vrai, et de même dans l'esprit intérieur de la foi.
(c) Il faut une simple foi pour une simple vérité. De même que celui qui a la véritable foi pour la religion n’hésite plus sur aucun des points de la même religion : aussi celui qui est établi dans l’esprit de foi, ne varie plus, ne cherche rien, ne doute de rien ; parce que la volonté suit cet esprit de foi, en sorte qu’elle est, aussi bien que l’esprit, dans un parfait repos. Et c’est la différence qui se rencontre entre la foi commune et l’esprit de foi, qu’avec la foi pure de la croyance commune, la volonté est souvent très déréglée ; mais il n’en est pas de même de l’esprit de foi ou du don de la foi qui fait l’intérieur : la volonté est si unie avec elle qu’elle fixe la volonté ou la rend invariable. C’est que cette foi est toujours accompagnée de la sagesse ou science savoureuse qui détermine la volonté dans le même objet sans objet que la foi embrasse. L’esprit intérieur et de foi et est le propre caractère du chrétien et sa perfection.
2. O Trinité qui êtes par-dessus et plus que l'être, par-dessus, et plus que la Divinité, par-dessus, et plus que la bonté, qui êtes la surintendante et la directrice de la divine Sapience des chrétiens, conduisez nous (a) à la plus haute et souveraine cime des Écritures mystiques, qui est par-dessus toute ignorance et par-dessus toute lumière, et dans laquelle les mystères simples, absolus et immuables de la Théologie sont 300 cachés et tenus secrets dans l'obscurité plus que très claire du silence qui enseigne les choses mystiques et secrètes : et laquelle fait éclater et reluire ce qui est très lumineux dans les ténèbres très sombres ; et dans ce qui ne se peut ni toucher ni voir, remplit à mesure comble de clartés plus que très belles les entendements (b) qui ne se servent pas de la vue. C'est quant à moi la prière que je fais.
(a) Admirable qualité de la théologie mystique.
(b) Endroit admirable ; car pour marcher en foi il ne se faut pas servir de la vue de l’esprit ; elle fait obstacle à cette science savoureuse ou sagesse divine.
3. Mais quant à vous, ô Timothée, appliquez-vous fortement et sans relâche aux spéculations mystiques, et délaissez (b) les sens et les opérations de l'entendement, toutes les choses sensibles et les intelligibles, toutes celles qui sont et celles qui ne sont pas ; et d'une façon inconnue, élevez-vous autant qu'il vous sera permis, à l'union de celui qui est par-dessus toute essence et connaissance. (* Joie de l'âme n.1). Car par le moyen de cette sortie pure, libre, entière et absolue hors de vous-même et de toutes choses, et après que vous aurez tout quitté, et que vous vous serez délié et dépêtré de toutes choses, vous serez élevé au rayon suressentiel des divines ténèbres.
Mais prenez bien garde que pas un de ceux qui ne sont pas initiés en nos divins mystères, 301 n’écoute ce qui se dit. Je veux dire ceux qui sont encore attachés aux créatures, et qui ne pensent pas qu’il y ait rien de plus excellent et par-dessus tout ce qui est en la nature ; et qui par la force de leur connaissance naturelle estiment pouvoir entendre et connaître celui qui a fait sa retraite et s’est caché dans les ténèbres. Que si la divine doctrine de nos mystères est par-dessus la portée et la capacité de ceux-là, que dirons-nous des autres qui plus ignorants et grossiers forment et figurent cette première cause élevée par-dessus toutes choses, par les choses les plus basses et les plus viles qui soient en la nature. Théologie mystique chapitre 1.
(b) Selon ce discours, on peut se préparer à l'union divine par le renoncement continuel. On commence par sortir de toutes choses, en s’approchant de son centre on quitte tout ce qui est au-dehors ; ensuite de quoi on s’outrepasse et se quitte soi-même.
4. C'est de la sorte que le divin Barthélémy disait que la Théologie était fort grande et fort petite, que l'Évangile était fort ample et grand, et derechef fort court et fort sommaire : voulant, à mon avis, entendre excellemment par ces paroles, que cette bonne cause se pouvait exprimer avec beaucoup et avec peu de paroles, voir sans paroles, comme celle dont il n'y a ni parole ni pensée, d'autant qu'elle est excellemment et suressentiellement par-dessus toutes choses, et se fait voir en vérité et toute à nu à découvert, à ceux tant seulement qui passent et pénètrent par-dessus tout ce qui est impur et ce qui est pur, et qui montent (a) au-dessus de toute hauteur sainte où il est impossible de monter, et qui laissent derrière soi toutes les lumières divines, tous dons et paroles célestes, et qui s'engloutissent 302 dans cette obscurité ténébreuse, où véritablement est celui qui, comme disent les saintes Écritures, est au-delà de toutes choses. --
(a) comment pouvoir s'élever où on ne peut monter ? C’est en se laissant attirer par un bras puissant ; ou bien étant devenu, par la perte de soi-même, comme une vapeur insensible que le soleil attire et purifie, et où enfin il s’imprime soi-même l’ayant fait participante de ses qualités.
Car les choses les plus divines et les plus hautes de celles qui se peuvent comprendre par la vue ou par l'entendement, ne sont que certaines raisons et notions des choses qui sont au-dessous de celui qui surpasse tout, par lesquelles (a) sa présence qui est au-dessus de toute notion et pensée, est démontrée, laquelle marche et passe par-dessus la très haute cime des très saints lieux. Alors l'esprit se fait quitte et se dépêtre de toutes les choses qui voient et qui sont vues, et (* Quiétude. § I n.4) s'abîme dans ce vraiment mystique brouillard de l'ignorance ; là il clôt et ferme toutes les appréhensions de la connaissance, et se trouve en celui qui ne se peut toucher ni voir, étant tout entier à (b) celui qui est au-delà de toutes choses, sans être plus à qui que ce soit, ni à soi-même, ni à un autre : mais par un repos et en faisant cesser toute connaissance, il est uni (c) à celui qui est entièrement inconnu ; et ne connaissant rien il connaît par-dessus la connaissance qui est propre à son entendement. Là même.
(a) Présence de Dieu dans l'âme, qui est le sanctuaire de Dieu.
(b) Vie de l'âme en Dieu après la perte.
(c) Union dans le repos sacrée de la foi.
5. Comme aussi à présent que nous allons entrer dans ce brouillard obscur qui est par-dessus tout entendement, nous n’y trouverons pas seulement un raccourcissement de paroles, mais une entière privation de paroles et de pensée. Car il est bien vrai qu’en nos traités précédents, notre discours venant à descendre du haut en bas, à 303 mesure et à proportion de sa descente, s’étendait à une largeur convenable. Mais maintenant qu'il va montant de bas en haut à mesure qu'il s'élève, il se restreint et se raccourcit, et quand il aura passé tout ce qui se peut montrer, il deviendra (a. Silence intérieur, disposition à l'union) muet entièrement, et s'unira tout entier avec celui qui ne peut être expliqué ni déclaré par discours. Théologie mystique Chapitre 3.
6. Les ténèbres en Dieu ne sont autre chose que sa lumière inaccessible, dans laquelle il est dit (Psaume 17 verset 12) que Dieu fait sa demeure. Et bien qu’elle soit invisible à raison de son éminente clarté, et qu’elle soit inaccessible à cause de la grandeur excessive de la lumière surnaturelle qui en sort, néanmoins quiconque est honoré de la connaissance et de la vision de Dieu, est nécessairement dans elle ; et par cela même qu'il ne voit ni ne connaît, il est vraiment en celui qui est par-dessus toute vue et toute connaissance, connaissant cela seulement (a) qu'il est par-dessus toutes les choses sensibles et les intelligibles, disant avec le Prophète : (Psaume 138 verset 6) Ta science s'est fait admirer de moi, elle s'est renforcée, et je ne le pourrai pas arrive parvenir à elle. Tout de même que le divin Paul dit avoir connu Dieu, ayant connu qu’il était par-dessus toute intelligence et connaissance. C'est la raison pour laquelle il dit (Romain 11 verset 33) que ses voies sont impénétrables, et que ses jugements ne peuvent 304 être approfondis ; et que sa paix (b) surpasse tout entendement, et que ses grâces ne se peuvent raconter, comme ayant trouvé (c) celui qui est par-dessus toutes choses, et connaissant cela par-dessus sa connaissance, qu'il est par-dessus toutes choses à cause qu'il est l'auteur et la cause de toutes choses. Épître 5.
(a) Vrai état de la foi, qui connaît Dieu non en distinguant rien en lui ; mais en connaissant qu'il est par-dessus toute connaissance.
(b) Phil.4 verset7. Paix divine qui résulte de cet état de foi.
(c) On jouit donc ici de Dieu dans la nuit de la foi.
7. Dans la contemplation de ce nuage obscur, que la raison ne peut comprendre, l’esprit meurt à lui-même et vit en Dieu, et il devient une même chose avec Dieu sans distinction ; et là Dieu est sa paix, son repos et sa jouissance. Théologie mystique. Livre 2. Chapitre 62.
8. Quand l’âme par la force de l’amour s’est élevée au-dessus de toute image et de toute ressemblance, pour entrer dans le néant ténébreux de sa pensée, Dieu lui devient présent sans milieu, selon tout ce qu’il est. Là même. Livre 3. Chapitre 24.
9. Cette lumière est une pure, simple, nue et habituelle foi, aidée par la raison, ratifiée et confirmée par expérience, qui n’est sujette au sens ni à aucune société ni commerce avec eux, puisque même elle leur est contraire, et a sa résidence dans le sommet de l’âme, où elle contemple Dieu sans aucun moyen ni entre-deux.
J’appelle cette foi pure, pour exclure l’aide des sens, tellement qu’en vain on cherche leur appui, ou leur assurance, puisqu’il les faut totalement abandonner : 1. Parce qu’on ne peut avoir toujours 305 l’aide de la dévotion sensible ; mais cette foi doit toujours demeurer. 2. Par ce que lorsqu’on la possède elle n’est pas assurée, mais incertaine et flottante ; mais cette foi doit être stable. Et non seulement il faut totalement renoncer aux sens, mais aussi les anéantir totalement, parce que les sens sont faux et mensongers, et nous persuadent que les choses sont ; mais au contraire cette foi est vraie et les anéantit. Les sens sont ténébreux qui nous feront vivre en eux ; mais au contraire cette foi est lumineuse qui nous fait vivre en esprit.
Secondement, je l’appelle simple pour exclure toute multiplicité de raisonnement, comme étant fort contraire à cette pureté de foi : 1. Parce qu’elle la rend humaine ; mais elle doit être divine. 2. Parce qu’elle fait produire des actes et par conséquent cause l’être et non l’anéantissement. 3. Elle cause des entre-deux et des images entre Dieu et l’âme.
Troisièmement, je dis habituelle, où il y a grand sujet de bien remarquer, qu’elle doit être continuelle sans intermission ni relâche, pour avoir ainsi sans interruption cet abîme de Rien et de Tout : car encore bien que cela semble difficile, on le peut néanmoins mettre en pratique ; -- tout ainsi que l’Ange qui est en terre demeure toutefois au ciel à cause de l’habitude qu’il a d’être à sa place au ciel ; de même encore bien que cette lumière et cette foi ne voient pas actuellement ce Rien et ce Tout, elle les voit néanmoins en quelque manière par cette habitude qu’elle a de les voir. Règle de la perfection. Partie 3. Chapitre 13.
10. Nous pouvons dire de l’âme qui va 306 par là, qu’elle marche inconnue et cachée au diable. C’est pourquoi elle dit qu’elle sortît à l’obscur et en assurance ; parce que celui qui est si heureux que de pouvoir marcher en l’obscurité de la foi, la prenant pour guide, sortant de toutes les imaginations naturelles et raisons spirituelles, marche fort sûrement. Montée du mont Carmel. Livre 2. Chapitre 1.
11. La nuit de la foi appartient à la partie supérieure de l’homme, qui est la raisonnable, elle est par conséquent plus intérieure et plus obscure ; d’autant qu’elle la prive de la lumière raisonnable, ou pour mieux dire l’aveugle. Et ainsi elle est bien comparée à la minuit qui est la plus intime et la plus obscure partie de nuit. Là même. Chapitre 2.
12. La foi, disent les Théologiens, est une habitude de l’âme obscure, mais certaine ; et la raison pourquoi elle est une habitude obscure, c’est parce qu’elle fait croire des vérités révélées par le même Dieu, lesquelles sont au-dessus de toute lumière naturelle et surpassent tout entendement humain. D’où vient que cet excessive lumière de la foi qui est donnée à l’âme, lui est une obscure ténèbre ; parce que le plus (a) surmonte le moins et nous en prive ; tout de même que la lumière du soleil éclipse toutes les autres lumières, en telle sorte que leur lumière ne paraît pas quand elle luit. --
(a) C'est de cette sorte que les trois vertus théologales surmontent les trois puissances de notre âme et les perdent en elles.
Aussi la foi est figurée par cette nuée qui divisait les enfants d'Israël des Égyptiens, étant sur le point d'entrer dans la mer Rouge : sur quoi l'Ecriture dit (Exode 14 versets 20) que c'était une nue obscure et 307 qui éclairait la nuit. C'est une chose admirable qu'étant ténébreuse elle éclairait la nuit, pour faire entendre que la foi qui est une nuée obscure et ténébreuse pour l'âme (et qui est aussi une nuit, puisqu'en présence de la foi l'âme demeure privée et aveuglée de sa lumière naturelle) avec ses ténèbres éclaire et donne lumière aux ténèbres de l'âme, afin qu'ainsi le maître fut semblable au disciple. Car l'homme qui est en ténèbres ne peut convenablement être illuminé que par une autre ténèbre, comme l'enseigne le Psalmiste, disant : (Psaume 18 verset 3) Le jour annonce la parole au jour, et la nuit enseigne la science à la nuit qui lui succède : c'est-à-dire (b. Admirable) le jour qui est Dieu en la béatitude, où il est déjà jour, communique et découvre aux Anges bienheureux et aux âmes, qui sont aussi un jour, sa divine Parole, qui est son Fils, afin qu'ils le connaissent et en jouissent. Et la nuit, qui est la foi dans l'Église militante, où il est encore nuit, montre la science à l'Église, et par conséquent à quelque âme que ce soit ; laquelle est une nuit, vu qu'elle ne jouit pas encore de la claire et béatifique sagesse, et en présence de la foi elle est comme aveugle et privée de sa lumière naturelle. De manière que ce qu’on doit conclure d’ici, c’est que la foi, qui est une nuit obscure, donne lumière à l’âme qui est en obscurité ; et il se vérifie ce que dit David (Psaume 138 verset 11) : La nuit sera mon illumination en mes délices, comme qui dirait : dans les plaisirs de ma pure contemplation et union avec Dieu, la nuit de la foi me servira de guide, donnant à entendre que l'âme doit être en ténèbres pour 308 avoir lumière et pouvoir faire ce chemin. Montée du mont Carmel. Livre 2. chapitre 3.
13. Comme on voit dans Job, où l'Ecriture dit que (Job 38 verset 1 et chapitre 40 verset 1) Dieu parla à lui dans l'air obscur ; ce qui désignait l’obscurité de la foi, où la Divinité est couverte quand elle se communique à l’âme ; laquelle finira (I Corinthiens 13 versets 10) lorsque ce qui est en partie s'évacuera, à savoir les ténèbres de la foi ; et ce qui est parfait viendra, à savoir la lumière divine. Nous avons une figure de cela dans (Juges 7 verset 16) Gédéon. -- La foi, qui est figurée par ces pots, contient en soi la lumière divine, c’est-à-dire la vérité de ce que Dieu est en soi, laquelle étant achevée et cassée par la fin et rupture de cette vie mortelle, à l’instant paraîtra la lumière et la gloire de la Divinité. Il est donc clair et manifeste que l’âme, pour s’unir à Dieu en cette vie, et pour communiquer immédiatement avec lui a besoin de s’unir avec l’obscurité. Là même. Chapitre 9.
14. J'ai vu une personne (d) qui ayant de ses 309 propos successifs avec Dieu, entre-deux très vraies et substantielles qu'elle formait, elle en avait de très faux : et je m'étonne fort de ce qui se passe ici
(d. Les âmes qui sont conduites par la foi, dont aucune de ces choses ; par ce que Dieu leur haute tout le distincte, opposé à la même fois, comme on l’a pu voir. Il est bon d’expliquer ici, comme les âmes arrivées en Dieu, sans sortir de Dieu ont quelquefois les choses distinctes, ou du moins elles paraissent telles aux autres. Si elles disent quelque chose de l’avenir, ce n’est que comme de simples pensées qu’elles disent par fidélité et qui viennent dans le moment ; auxquelles elles ne s’arrêtent pas, n’étant que l’accessoire, et elles ne veulent pas qu’on s’y amuse, ni s’y arrête. Dieu leur donne cela extraordinairement 309 non pour elles, mais pour être un témoignage aux âmes qu’elles aident, et qui sont encore faibles : et elles n’ont rien de cela pour les hommes forts et déjà affermis en foi. Cela se fait sans extraordinaire et vient du simple fond sans rien d’extérieur. Elles sont aussi contentes que ce qu’elles disent n’arrive pas comme qu’il arrive ; c’est pourquoi elle le disait sans précaution et sans mystère. Le même Dieu qui leur met cette simple pensée, leur remue le fond pour la dire. Ces pensées sont d’autant plus sûres que leur esprit est simplifié, qu’il n’est plus brouillé par l’imagination ni la fantaisie ; et ces choses se disent plus pour l’intérieur que pour l’extérieur. Si elles disent à une âme troublée : Soyez en paix, elle est d’abord mise dans le calme ; ce qui a été éprouvé bien des fois, pourvu néanmoins que la personne ne s’y oppose pas ; car cette grâce est si délicate qu’elle veut la disposition dans le sujet. Un seul mot, comme serait : O je ne serai pas en paix ; le moindre doute arrête l’effet. C'est ce que disait Jésus-Christ à ses apôtres (Luc 10 verset 6) : Votre paix retournera sur vous s'il n'y a pas de fils de paix. Car l’âme sent aussitôt que la grâce n’a pas eu son effet, à cause ou de la pensée ou de la parole de celui auquel on disait : Soyez en paix. Mais lorsque la parole a son effet, on éprouve ce que disait Jésus-Christ, (Luc 8 verset 46) Je sens qu'une vertu secrète est sortie de moi. Les miracles de ces personnes sont sans éclat et sont presque tous intérieurs, et les autres des âmes de lumière sont presque tous extérieurs : ceux-là n’ont pas besoin de la volonté ni de consentement, parce qu’ils s’exercent sur des choses extérieures. Jésus-Christ a donné un exemple de ces deux manières 310 d'agir : lorsqu'il a ressuscité les morts, il l'a fait avec la force de sa parole sans leur consentement, mais à d'autres qu'il a guéris, il leur a dit (Marc 9 verset 22, etc.) : Si vous pouvez croire, leur faisant entendre que l'effet de la grâce qu'il voulait leur communiquer dépendait de leur foi : aussi les guérissait-il intérieurement et extérieurement. Je crois que cela vient de ce qu’il faut que l’effet soit proportionné à la cause, et que ce qu’opère une âme de foi, exige la même foi dans le sujet. Et comme ces âmes sont toutes intérieures, ce qu'elles font est tout intérieur, et arrive comme tout naturellement : et plus les choses paraissent naturelles et sont dites sans avertance [sic], plus elles ont leur effet. Et cela se fait avec tant de pureté que Dieu ne leur permet pas un retour, une seule réflexion ou vaine joie, comme serait d’être bien aise que Dieu fit ces choses par soi plutôt que par un autre : c’est une impureté que l’âme ne pourrait supporter ; et Dieu arrêterait et suspendrait cette vertu secrète. La simple vue arrêtée qu’on pourrait vouloir que certaines personnes éprouvassent cela pour leur être un témoignage, serait une terrible imperfection ; et l’âme se sentirait salie : cette saleté est comme un petit brouillard qui s’élève et qui retombe d’abord, parce que la volonté n’y adhère pas.
Il faut remarquer que les âmes de foi n’ont aucune de ces choses tout le long de la voie, et qu’elles ne les ont qu’en Dieu, où le distinct perdu leur est rendu dans l’unité même sans sortir de cette même unité : au lieu que les autres âmes ont ces choses dès le commencement de leur voie ; et si Dieu les veut faire arriver en lui, ce qui est rare, et qui n’arrive qu’à des âmes très humbles qui ne se sont 311 pas arrêtées à ces choses ; au contraire qui les ont outrepassés sans s’y arrêter ni en faire aucun cas ; si Dieu, dis-je, les veut faire arriver à lui, il faut qu’il leur ôte ces choses, sans quoi elles n’y arriveraient jamais, comme on vient de voir par ce qu’a dit Jean de la Croix.
310 en ce temps, qui est qu’une âme telle qu’elle soit, avec quatre grains de considération, si elle sent quelques-uns de ses propos en sa récollection, 311 baptise aussitôt le tout pour une chose de Dieu, et suppose qu’il est ainsi, disant : Dieu m’a dit, Dieu m’a répondu ; et il n’en va pas de la sorte : mais c’est que les mêmes âmes se le disent le plus souvent. Et de plus l’envie qu’elles ont de cela et l’affection qu’elles en ont dans leur esprit, est cause qu’elles-mêmes se répondent et pensent que c’est Dieu qui leur répond. Ce qui les fait tomber dans de grandes rêveries, si elles ne tiennent la bride haute, et que celui qui les gouverne ne leur défend très absolument ces manières de discours. Car elles ont de coutume d’en tirer plus de babil et d’impureté d’âme, que d’humilité et de mortification d’esprit, pensant déjà de soi quelque grande chose, et que Dieu leur a parlé, et ce sera un peu plus que rien, ou rien du tout, ou moins que rien ; parce que tout ce qui n’engendre pas l’humilité et la charité, mortification, sainte simplicité et silence, que peut-ce être ? Or je dis que cela peut détourner beaucoup du chemin de l’union divine ; vu que si l’âme en fait cas, cela l’éloigne fort de l’abîme de la foi. -- Que si vous demandez pourquoi l’entendement se doit priver de ces vérités, puisque là l’esprit de Dieu l’illumine ; partant que cela ne peut être mauvais ? Je réponds que le Saint-Esprit illumine l’entendement recueilli, et qu’il l’illumine selon sa récollection. Et parce que l’entendement ne peut trouver une plus grande 312 récollection qu’en la foi, le Saint-Esprit ne l’illuminera pas en autre chose davantage qu’en celle-là ; parce que tant plus l’âme est pure et éminente en cette perfection de vive foi, tant plus elle a de charité de Dieu infuse ; et tant plus elle a de charité, tant plus il l’éclaire et lui communique ses dons. Et quoiqu’il soit communiqué à l’âme quelque lumière en cette illustration de vérité, néanmoins elle est aussi différente de celles qui sont en foi sans entendre clairement, qu’il y a à dire de l’or fin au plus bas et plus vil métal. Et quant à l’abondance de lumière, il y a autant à dire que d’une goutte d’eau à toute la mer ; d’autant qu’en l’une on lui communique la Sagesse de deux ou trois vérités, et en l’autre la sagesse de Dieu généralement, qui est le Fils de Dieu, par une simple et universelle notice, qui est donnée à l’âme en foi. Si vous me dites que tout est bon, et que l’un n’empêche pas l’autre ; je vous dirai qu’il empêche beaucoup quand l’âme en fait cas : cela l’empêtre fort, parce que c’est déjà s’occuper en des choses claires et de peu d’importance qui peuvent empêcher la communication de l’abîme de la foi, en laquelle Dieu enseigne surnaturellement et secrètement l’âme, et l’élève en dons et vertus sans qu’elle sache la manière. Montée du mont Carmel. Livre 2. Chapitre 29.
15. Celui donc qui aura la grâce et le don surnaturel, doit séquestrer la convoitise et la joie de l’exercice de ce don : et Dieu qui l’en favorise surnaturellement pour l’utilité de son Église ou de ses membres, le poussera aussi surnaturellement à l’exercer, comme, et quand il devra le faire : car puisque Jésus-Christ défendit à ces disciples de ne se soucier de ce qu’ils annonceraient ou comme ils diraient, parce que c’était une 313 affaire surnaturelle de foi ; il voudra aussi, attendu que la chose n’est pas moins importante, que l’homme attende que Dieu seul soit l’ouvrier touchant et mouvant le cœur, puisque toute vertu se doit opérer en sa vertu. -- Le second dommage peut naître de ce premier, à savoir, une perte et un détriment de la foi, ce qui peut arriver en deux manières ; l'une à l'égard des autres, parce qu'entreprenant de faire des merveilles ou des vertus hors de temps et sans nécessité, outre que c'est tenter Dieu, ce qui est un grand péché, peut-être qu'il ne réussira pas, et ainsi il en engendrerait un mépris de la foi, d'autant que bien que cela succède, Dieu le permettant pour d'autres sujets et respect, comme il arriva la sorcière de Saül (I Rois 28 verset 12, etc.) (s'il est vrai que ce fut Samuel qui lui apparut,) cela ne réussira pas toujours, et quand bien il réussirait, il ne laisserait pas de salir et de se rendre coupable, à cause qu'ils usent de ces grâces quand il n'est pas convenable. En l'autre manière il peut recevoir du détriment en soi-même touchant le mérite de la foi, parce qu'en faisant grand état de ces miracles il s'éloigne de l'exercice substantiel de la foi, qui est une habitude obscure, (b) d'où vient qu'où il y a plus de 314 signes et de témoignages, il y a moins de mérite à croire. C'est pourquoi saint Grégoire (Homélie 26 in Evang.) dit que la foi est sans mérite quand la raison l'expérimente humainement et palpablement. Montée du mont Carmel. Livre 3. Chapitre 30.
(b) Jean de la Croix parlant de la foi nue, fait voir partout, qu'elle n'est pas fondée sur les témoignages. (Voyez aussi Volonté de Dieu. n.21) Pour entendre ceci il faut savoir qu'il y a des miracles qui se font hors de cet état de simple foi, et ceux-là éclatent beaucoup et font bruit aussi bien que les visions, révélations et prophéties qui appartiennent au même état [lumineux], et les extases ; et tous ces témoignages détruisent la foi unique et 314 simple au-dessus des témoignages. Il y a des miracles sans éclat et sans y penser, sans préparatif, qui n’ont que l’instant présent où ils sont faits sans que la personne ait pensé à les faire : et ceux-là sont dans la même foi. Les premiers étaient nécessaires pour établir la vraie religion parmi les infidèles ; ils seraient nuisibles aux chrétiens. D’où vient que saint Louis ne voulait pas voir un miracle qui se faisait dans la sainte hostie ; il dit : je crois sans voir.
16. La porte étroite est cette nuit du sens, duquel l’âme se dépouille pour y entrer, se guidant et gouvernant par la foi qui est éloignée de tout sens, afin de marcher par le chemin étroit de l’autre nuit de l’esprit, en laquelle l’âme entre après, s’acheminant à Dieu en foi très pure, qui est le moyen par lequel elle s’unit avec lui. Mais à cause qu’il est grandement étroit, obscur et terrible, de sorte qu’il n’y a aucune comparaison de cette nuit du sens à celle de l’esprit, en obscurité et en travaux, il y en a bien moins qui y marchent : néanmoins ses profits sont beaucoup plus grands. Obscure nuit de l’âme. Livre 1. Chapitre 11.
17. Voyez Extase n.12.
18. Cette nuit obscure est une influence de Dieu en l’âme, qui la purge de ses ignorances et de ses imperfections habituelles, naturelles et spirituelles ; laquelle influence les contemplatifs appellent contemplation infuse ou Théologie mystique : où Dieu enseigne l'âme en secret et 315 l'instruit (a) en perfection d'amour, sans qu'elle fasse autre chose que d'être (b) attentive amoureusement à Dieu, l'ouïr, et recevoir sa lumière, sans savoir comment cette contemplation est infuse ; par ce que c'est une sagesse de Dieu amoureuse, laquelle fait de particuliers effets en l'âme, d'autant qu'en la purgeant (c) et illuminant, elle la dispose pour l'union d'amour avec Dieu, où la même sagesse amoureuse qui purge les esprits bienheureux les illustrant, est celle qui purge ici l'âme et l'illumine.
Mais le doute est pourquoi l’âme appelle ici la lumière divine une nuit obscure, vu que, comme nous disons, elle illumine et purge l’âme de ses ignorances. À quoi l’on répond que pour deux raisons cette Sagesse divine est non seulement ténèbres pour l’âme, mais aussi peine et tourment. La première, à cause de la hauteur de la Sagesse divine qui excède l’état de l’âme, et en cette manière est ténèbres pour elle. La seconde, pour la bassesse et l'impureté de l'âme, et de cette façon elle lui est pénible, affligeante, et aussi obscure.
(a) L'âme est instruite par la foi nue.
(b) État passif, c'est ici ce que j'ai appelé foi savoureuse en tous mes écrits.
(c) C'est la Sagesse qui purifie. Moyen court. Chapitre 24 n.4.
Pour prouver la première, il faut supposer une certaine doctrine du Philosophe, qui dit que tant plus les choses divines sont claires et manifestes en elles-mêmes, tant plus elles sont naturellement cachées à l’âme : de même que tant plus la lumière éclaire, tant plus elle offusque l’aveugle et aveugle la prunelle du hibou ; et plus on regarde le soleil à plein, plus il cause de ténèbres et prive la puissance visible, l’excédant à 316 cause de sa faiblesse. D’où vient que quand cette lumière divine de contemplation rayonne dans l’âme qui n’est pas encore totalement illustrée, elle lui fait des ténèbres spirituelles ; parce que non seulement elle excède, mais aussi parce qu’elle l’obscurcit et la prive de sa façon naturelle d’entendre. C’est pourquoi saint Denis et d’autres théologiens mystiques appellent cette contemplation infuse, rayon de ténèbres ; à savoir pour l’âme, qui n’est illustrée ni purgée, d’autant que par sa grande lumière surnaturelle, est vaincue la force naturelle intellectuelle, et privée de sa façon d’entendre ordinaire et commune. Pour cette raison David met autour de Dieu (Psaume 17 verset 12) une nue et de l'obscurité, non que cela soit ainsi en foi, mais seulement à l'égard de nos faibles entendements, qui s'aveuglent dans cette clarté tant immense, et demeurent offusqués, n'arrivant pas à une si grande hautesse. Car pour cela le même prophète dit (verset 13) qu'à cause de sa splendeur en sa présence les nuées ont passé, à savoir entre Dieu et notre entendement ; et c’est la cause pour laquelle Dieu dardant sur l’âme qui n’est pas encore transformée, ce brillant rayon de sa secrète sagesse, lui cause des ténèbres obscures en l’entendement. Or que cette contemplation obscure soit au commencement pénible à l'âme, c'est une chose claire et manifeste : car comme cette divine contemplation infuse a beaucoup d'excellences souverainement bonnes, que l'âme qui les reçoit a beaucoup de misère (c. Causes des peines purgatives) de là vient que deux contraires ne pouvant subsister en un même sujet, par nécessité l'âme doit aimer et pâtir, elle qui est le sujet où se trouvent 317 ces deux contraires, bataillant et combattants ensemble, à cause de la purgation des défauts et des imperfections de l'âme, qui se fait par cette contemplation. Obscure nuit. Livre deux. Chapitre cinq.
19. L’âme est donc bien cachée et à couvert en cette eau ténébreuse qui est autour de Dieu ; car comme elle sert de tabernacle et de demeure à Dieu même, elle lui en servira aussi et d’un fort rempart et parfaite sûreté quoiqu’en ténèbres, où elle est cachée et garantie de soi-même et de tous les autres dommages des créatures, comme nous avons dit ; parce que de telles âmes on peut aussi entendre ce verset de David : (Psaume 30, 21) vous les cacherez dans le secret de votre face du trouble des hommes. Vous les défendrez en votre tabernacle de la contradiction des langues : où il entend toutes sortes de protection ; car être caché dans la face de Dieu (b) du trouble des hommes, c'est être fortifié par cette obscure contemplation contre toutes les tentations qui leur pourraient survenir de la part des hommes ; et être en son tabernacle à l’abri de la contradiction des langues, c’est être englouti dans cette eau ténébreuse, qui est le tabernacle, que nous avons dit, où l’âme demeure libre de toutes les imperfections qui contredisent à l’esprit, tant de sa chair que des autres créatures, où cette âme peut bien dire qu’elle va en ténèbres et en assurance.
Il y a encore une autre cause non moins efficace que la précédente pour achever d’entendre que cette âme va bien quoiqu’en ténèbres ; c’est pour la force que cette obscure, pénible et 318 ténébreuse eau de Dieu met aussitôt dans l’âme -- Car dès lors l’âme a en soi une vraie détermination de ne faire chose quelconque qu’elle connaît être offense de Dieu. Obscure nuit. Livre 2. Chapitre 16.
(b) On est bien défendu du trouble des hommes, lorsque toutes leurs persécutions ne troublent par la paix de l'âme.
20. Nous pouvons tirer de là la cause pour laquelle certaines personnes qui vont par ce chemin, et qui ayant l'âme bonne et craintive voudrait bien rendre compte à ceux qui les gouvernent de ce qu'elles ont, ne le savent, ni ne le peuvent ; et ainsi elles ont beaucoup de répugnance à le dire, principalement quand la contemplation est un peu plus simple et que l'âme ne la sent guère. Car elles ne peuvent dire sinon que l'âme est contente, tranquille et satisfaite, qu'elles sentent Dieu, et qu'à leur avis elles vont bien. --
Il n’en est pas de même, quand les choses que l’âme reçoit sont particulières, comme sentiments, visions, etc. Lesquelles comme ordinairement elles se reçoivent sous quelque espèce dont le sens participe, alors on les peut exprimer sous cette espèce ou ressemblance ; mais cette puissance de le déclarer n’est déjà plus dans les termes de la pure contemplation, parce que celle-là à peine se peut donner à entendre, et c’est pourquoi on l’appelle secrète. Et non seulement pour cela elle est appelée secrète et est telle, mais aussi parce qu’elle a la propriété de cacher l’âme en soi ; par ce qu'outre l'ordinaire quelquefois elle absorbe tellement l'âme, et l'enfonce de sorte dans son abîme secret, qu'elle connaît clairement qu'elle demeure très délaissée et très éloignée de toute créature, de sorte qu'il lui semble qu'on la met dans une profonde et très spacieuse solitude où ne peut arriver aucune 319 créature humaine, et comme en un désert immense, qui n'est borné d'aucun endroit, d'autant plus délectable savoureux, (a) et aimable, qu'il est plus profond, plus vaste et plus solitaire, où l'âme se voit d'autant plus secrète et cachée, qu'elle se voit élevée au-dessus de toute créature temporelle : et lors cet abîme de sagesse élève et agrandit tellement l'âme, la mettant aux veines de la science d'amour, qui lui fait connaître non seulement que toute condition des créatures est très basse touchant ce souverain savoir des sentiments divins ; mais de plus elle voit comme tous les termes et paroles dont on exprime les choses divines en cette vie, sont courtes, basses et en quelque manière impropres, et qu'il n'est pas possible par la voie et façon naturelle, quoi qu'on en parle le plus hautement et le plus sagement qu'on peut, de les pouvoir connaître et d'avoir un sentiment d'elles comme elles sont, si ce n'est par l'illumination de cette théologie mystique ; et ainsi l'âme voyant en son illumination cette vérité, qu'on n'y peut atteindre et moins la déclarer par des termes humains, elle a raison de la nommer secrète. Obscure nuit. Livre 2. Chapitre 17.
(a) foi nue obscure, mais savoureuse, différente de la foi nue et purifiante.
21. Voyez Défauts n.9.
22. Comme l’âme souhaite avec un si grand désir l’union de l’époux et qu’elle voit qu’elle ne trouve moyen ni remède dans toutes les créatures, elle se tourne vers la foi, et lui adresse ses paroles, comme à celle qui lui doit donner une plus vive lumière de son Ami, la prenant comme un moyen pour cette fin ; d'autant que pour parler avec vérité, il n'y en a pas d'autre 320 par où on arrive à la vraie union de Dieu, selon ce qui est dit (Osée 2 verset 20) ; je t’épouserai en foi. Elle lui dit avec un grand désir : O foi de mon époux Jésus-Christ ; si tu me découvrais maintenant avec clarté les vérités de mon Bien-aimé que tu as infus dans mon âme avec obscurité et ténèbres. Cantique entre l’épouse et l’époux. Couplet 12.
23. L’épouse dit qu’elle a les vérités crayonnées dans ses entrailles, c’est à savoir en son âme selon l’entendement et selon la volonté, par ce que selon l’entendement elle a ces vérités infuses dans son âme par la foi : et d’autant que leur notice n’est pas parfaite, elle dit crayonner, parce que comme un crayon ou un dessin n’est pas une parfaite peinture, aussi la connaissance de la foi n’est pas une notice parfaite. Les vérités qui sont infuses en l'âme par la foi sont comme un crayon, mais lors de la claire vision elles seront dans l'âme comme une peinture parfaite et accomplie, suivant ce que dit l'Apôtre ; (1 Corinthien 13 verset 10) quand ce qui est parfait sera venu, qui est la claire vision, ce qui est en partie s'évacuera, qui est la connaissance de la foi. Or sur ce crayon de la foi, il y a un autre crayon d'amour en l'âme de l'amant, qui est selon la volonté (c. On voit par là comme la volonté suit la foi de pas égal), en laquelle la figure de l'ami se crayonne de telle manière, et se dépeint en elle si conjointement et si vivement quand il y a union d'amour, qu'il est vrai de dire que l'ami fit en l'Amant et l'Amant en l'ami. Là même. 321
24. Dieu peut bien verser l’amour et l’augmenter sans communiquer ni augmenter l’intelligence distincte : --
Ce qui a été expérimenté de plusieurs spirituels, lesquels souvent se voient brûler d’amour de Dieu sans avoir une intelligence plus distincte qu’auparavant : car ils peuvent entendre peu et aimer beaucoup, et peuvent entendre beaucoup et aimer peu ; au contraire (*Infusions, n.8) ces spirituels qui ne sont pas fort avantagés en l'entendement en ce qui est de Dieu, ont coutume d'être avancés en la volonté, et la foi infuse leur suffit pour science d'entendement, moyennant laquelle Dieu leur verse la charité et leur augmente avec son acte, qui est d'aimer davantage encore que la connaissance ne leur soit pas accrue ; et ainsi la volonté peut boire l’amour, sans que l’entendement boive de nouvelles connaissances. Là même. Couplet 18.
25. Quand une âme est venue à tel point qu’elle passe par-dessus tous moyens des créatures et du sens, et par-dessus toutes ces façons et manières, traitant avec Dieu et jouissant de lui en foi et en amour, alors on dit, qu’elle s’est véritablement gagnée à Dieu, parce qu’elle s’est vraiment perdue à tout le reste. Cantique entre l’épouse et l’époux. Couplet 21.
26. Ne dites donc pas que cette âme n’avance pas, ou qu’elle ne fait rien, parce que si l’âme ne goûte pas lors des autres intelligences plus qu’auparavant, elle s’avance cheminant au surnaturel. Mais direz-vous, elle n’entend rien distinctement : au contraire, je dis que si elle entendait pour lors distinctement, elle ne s’avancerait pas ; d’autant que Dieu est incompréhensible, 322 et excède l’entendement : partant tant plus on chemine, tant plus on se doit éloigner de soi-même, marchant dans la foi, croyant et ne voyant pas ; ainsi on s’approche plus de Dieu, n’entendant pas qu’en entendant au sens susdit. Et ainsi ne vous mettez pas en peine de cela ; car si l’entendement ne retourne en arrière, voulant s’employer en des notices distinctes et autres façons d’entendre d’ici-bas, il s’avance, et s’avancer c’est marcher plus en foi. Et comme l’entendement ne fait et ne peut comprendre comme est Dieu, il va à lui n’entendant pas ; de façon que la chose dont vous la condamnez lui est utile et convenable, à savoir, qu'elle ne s'embarrasse en des intelligences distinctes (a), mais qu'elle marche en foi parfaite. Vive flamme d’amour. Cantique 3. Verset 3. § 9.
(a) La voie de lumière distincte opposée à la voie de la foi.
27. Saint Bonaventure. Levez-vous et vous restituez sans rien connaître, autant qu’il est possible, à l’union de Dieu, c’est-à-dire, de celui qui est au-dessus de toute connaissance, laquelle restitution ou résurrection se fait par le désir véhément et le fervent amour de Dieu seul ; et elle ne peut être connue par aucune recherche de raisonnement. --
Car cessant en cette obscurité l’opération de la connaissance, avec un désir brûlant de Dieu seul parfaitement inconnu de celui qui le possède, il est uni à Dieu seul, et connaissant, il voit dans cette obscurité au-dessus de l’entendement ; parce que l’entendement humain et sans yeux ne pourrait pas atteindre à connaître cela ; non pas que l’entendement 323 soit dit, être sans yeux pour être privé de la puissance de voir, mais pour être privé de toute action de vue, lorsqu’il se repose dans cette obscurité. –
Donc les degrés de cette ascension sont premièrement de laisser toutes les choses sensibles, secondement tous les intelligibles, troisièmement d’entrer en l’obscurité où Dieu paraît.
Il reste encore la principale connaissance de Dieu, laquelle est figurée en ce que Moïse (Exode 20 versets 21 et chapitre 24 verset 18) est séparé de ceux qui avaient vu les choses susdites avec lui, et retiré après la vue d'icelles, il rentre dans l'obscurité de l'ignorance --. L’homme est ici comme séparé et séquestré de soi-même, et par l’unité de dilection, qui est effective de la vraie connaissance, il est uni à Dieu intellectuellement inconnu, et avec une connaissance beaucoup meilleure que n’est la connaissance intellectuelle ; parce qu'en laissant la connaissance intellectuelle, il connaît Dieu au-dessus de l'entendement et de l'esprit. (Chemin 5. de l'Éternité) Eclaircissement des phrases mystiques de Jean de la Croix, partie II. Chapitre 2. Paragraphe 2.
28. -- Nous devons avoir des esprits sans yeux, par ce que l’esprit ne peut pas regarder l’essence divine des yeux intellectuels ; et partant il les faut retirer, comme il est écrit : (Cantique 6 verset 4) détournez vos yeux de moi parce qu'ils me font envoler. Alors (c) Jésus-Christ se dérobe à notre vue quand l'esprit tâche de regarder avec les yeux intellectuels la Sagesse d'en haut --. En 324 ôtant l'esprit des créatures, il doit entrer dans l'obscurité et dans le rayon des ténèbres. (De la lumière de l'Église. Sermons 11 de saint Denis). Là même.
(c. Ce qui fait voir qu'il y a une connaissance de Jésus-Christ renfermée dans l'état de foi au-dessus de toute distinction
29. Denis le chartreux. Toutes fois en cette contemplation on dit que la pointe de l'esprit et le sommet de l'intelligence sont unis à Dieu comme entièrement inconnu, et entrent dans une obscurité qui exclut toute lumière, (a. C'est-à-dire, lumière distincte) et ne connaît aucune chose de lui. (Théologie mystique). Là même.
30. Harphius. Par la connaissance nue, l'âme ne cesse d'entrer en cette divine obscurité, où elle est mise en une parfaite ignorance (b. notez, ignorance parfaite) de Dieu, étant placée comme entre deux tables, de même que si elle devait mourir de faim. --
Ainsi donc elle demeurera assise dans une obscurité nue, établissant immédiatement sa demeure devant la présence inconnue de la glorieuse Divinité. (Théologie mystique. Livre 3. Chapitre 23.) Là même.
31. L'abbé Gilbert (expliquant ces paroles : dans le temps de la nuit, j'ai cherché celui que mon âme chérit.) Que si pour trouver le bien-aimé la nuit opère, elle coopère manifestement et assez à propos ; la même dilection amène cette nuit. (Sermon I sur le Cantique). Là même.
32. Gerson. Afin qu'ayant renoncé à toutes choses qui peuvent être senties, ou imaginées, ou entendues, l'esprit se porte par l'amour en l'obscurité divine où il est uni à Dieu ineffablement et suréminemment. (Théologie mystique). Là même.
33. Taulere. Si Dieu doit luire au-dedans de nous d’une manière divine, non seulement notre 325 lumière naturelle ne sert de rien à cela ; mais même il faut qu’elle soit entièrement réduite à un certain néant, et que nous nous retirions nous-mêmes de tout. --
Car si en cette façon il doit connaître Dieu, il faut que sa science soit réduite à une pure ignorance et à un oubli tant de soi-même que de toutes les créatures --. Car il n’y a rien de plus expédient à l’homme, rien de plus utile que de se mettre dans une certaine obscurité et ignorance. Ici lorsque tout savoir est entièrement délaissé, ou plutôt que l'homme est destitué de toute connaissance, etc. (Sermon de Dimanche dans l'Octave de l'Épiphanie). Là même.
34. -- . Jésus-Christ parle ainsi à chacun des fidèles : Renonce pour l'amour de moi à ta lumière, laquelle comparée à la mienne est une vraie obscurité et contraire à la mienne, et moi étant la vraie lumière, je te donnerai pour tes ténèbres la lumière éternelle, ma joie, ma béatitude, mon essence et ma vie. (Premier sermon du quatrième dimanche du carême). Là même.
35. -- . Car en cette conversion, l'esprit purgé et plongé est absorbé dans l'obscurité divine, et le silence tranquille et l'ineffable union de la Divinité : mais ici, à savoir en cette immersion, toute égalité et inégalité est ôtée : car en cet abîme de la Divinité l'esprit purgé se perd soi-même, ne sachant plus aucune chose, soit de Dieu, soit de soi-même, ou de l'égalité ou inégalité, ou de quoi que ce soit. (Sermon premier de la fête de la Trinité). Là même.
36. Rusbroche. Quand nous retournons en nous-mêmes, ou que nous rentrons au-dedans de nous, l’unité fruitive de Dieu y paraît comme une obscurité ou comme une chose tout à fait 326 incompréhensible. -- . Bien que l'air soit éclairé de la splendeur du soleil et que la vue soit bien perçante et fort aiguë, néanmoins si quelqu'un veut arrêter ses yeux sur les rayons qui causent cette splendeur, et regarder fixement le soleil même, les yeux succomberont infailliblement et défaudront [sic] en leur action, et ne recevront la splendeur des rayons que passivement : de même aussi l'éclat rayonnant et brillant de la lumière incompréhensible de Dieu dans l'unité de nos puissances suprêmes, paraît si grand, et nous paraît avec une telle véhémence, qu'il faut que toute action cesse en tant qu'elle est de la créature et faite avec discrétion ou distinction, et que l'âme souffre ici l'opération de Dieu. (Noces spirituelles. Livre 2. Chapitre 71.) Là même.
37. -- De cette unité de Dieu une certaine lumière simple rayonne sur l’homme intérieur, se montrant comme une obscurité, une nudité et un néant. Dans l’obscurité l’homme est environné ou embrasser de tous côtés, et perdant tout moyen, il vague comme égaré ; et dans la nudité, il est privé de toute considération et discrétion de toutes choses. (Chapitre 73.) Là même.
38. Saint Victor. Sa douceur se sent bien, mais l’espèce ne s’en voit pas ; il y a encore une nuée et de l’obscurité à l’entour, son trône est encore en la colonne de la nuée. -- Donc en cet état l'âme peut bien sentir son Bien-aimé, mais elle ne le peut voir, et si elle le voit, elle le voit comme pendant la nuit, elle le voit comme sous la nuée. (Du degré de la charité violente.) Là même.
39. Albert le Grand. L’âme doit s’élever au-dessus de soi et de tout le créé -- et dire. -- On ne peut se figurer ce Bien-aimé ni se le représenter ; 327, mais il est très parfaitement désirable de l’affection la plus intime : il n’est pas estimable ou appréciable ; mais digne de toute l’affection d’un cœur pur, parce qu’il est aimable et délectable par-dessus tout, et d’une bonté et perfection infinie. Et alors elle est transportée dans l'obscurité de l'Esprit et élevée plus hautement au-dedans de soi, entrant plus profondément en soi-même. (De l'attachement à Dieu. Chapitre 7.) Là même.
40. Ambroise Florentin. Quand le contemplatif aspire à la connaissance mystique de Dieu, laissant les images de toutes les créatures corporelles et incorporelles, il se cache en une certaine nuée secrète, où il y a une merveilleuse ignorance ; car il perd là toutes les aides de science et de connaissance, c'est-à-dire, les images et espèces sur lesquelles la connaissance de l'homme est appuyée. (Théologie mystique). Là même.
41. La bienheureuse Angèle de Foligni. Après cela je vis Dieu dans une obscurité ténébreuse, et cela par la raison que Dieu est un bien qui surpasse tout ce qu’on en saurait penser et concevoir -- . Ce grand Bien est d’autant plus certain, que plus il est environné de ténèbres ; et il surpasse d'autant plus toutes choses, que plus il se voit dans l'obscurité, et qu'il est très secret et très caché. (Chapitre 27. Consolation 7.) Là même.
42. Dom Barthélémy des Martyrs. L’âme est rendue propre pour contempler l’abîme de la Divinité d’un regard serein, simple et joyeux ; et l'œil de la raison étant offusqué et ébloui à l'aspect d'une si grande lumière, l'œil simple de l'esprit agit et regarde, passant au-dessus de toutes les images corporelles, se reposant dans la seule obscurité, qui est la plus grande lumière en cet 328 exil. (Abrégé spirituel. Partie 2. Chapitre 11). Là même.
43. Picus de la Mirande [Pic de la Mirandole]. Montant donc au quatrième degré, entrons dans la lumière d'ignorance, et aveuglés de l'obscurité de la splendeur divine, crions avec le Prophète ; (Psaume 83 verset 3) Seigneur j'ai défailli aux entrées de votre demeure. (Libr. de Ente & uno. Ch.5 ). Là même.
44. Il y a un temps indéterminé que le bonheur de l’amour même consiste en la félicité de la créature, laquelle en cela même vit très heureuse au total de l’amour. L’ordre de l’amour en l’amour même est tel : et dès là la créature est si déiforme qu’on ne saurait jamais la trouver au-dehors ni ailleurs. Que dis-je ? Ce mot de déiformité est trop peu à notre concept très bas et très faible : car étant pleine de Dieu elle en est remplie surcomblement en toute son infinie étendue et plénitude. Là il ne se trouve rien d’elle, et elle est engloutie par-dessus toute la fécondité du même amour, qui va sortant d’unité et rentrant en sa même unité, ou l’âme est totalement refuse et refluée en l’effet et en l’effort du même amour. C'est sans doute la merveille des merveilles que la félicité (a) en quelque façon pleine et consommée, puisse être avec la même misère en même temps et dans le même sujet. Mais si l’Amour 329 incréé est si près et néanmoins si éloigné, parce que son infinie plénitude ne peut être atteinte que d’une infinie distance ; cette vie si suréminente et si perdue ne doit aussi être atteinte ni comprise de ce qui est sensible, quoique d’ailleurs il semble être très spirituel. Cabinet mystique. Partie I. Chapitre 2.
(a. L'âme est heureuse et malheureuse tout en même temps ; c’est une participation de l’état de Jésus-Christ jouissant de la béatitude et accablé de douleur. J’en ai beaucoup écrit. On ne peut être en même temps et plus heureux et plus misérable, plus jouissant et plus accablé de douleur, sans que la jouissance diminue la douleur, ni la douleur la jouissance.
45. Ce fonds est si admirable, si vigoureux et si fécond, et le plus souvent si obscur qu’il ne peut être atteint de l’entendement humain que d’une infinie distance ; et pour lors l’entendement humain ce sent et se voit totalement perdu là dedans sans en vouloir jamais sortir vivant ; nonobstant les détresses qui puisse arriver au commencement de ceci par l’action de Dieu même. Les mystiques appellent cela, pati divina in pace animae (a. Peut-être in apice). En toutes ces choses consiste la vie suréminente de l’esprit, et la béatitude du même esprit ravi en son Compréhenseur non compris et du tout incompréhensible.
Mais il y a divers moyens pour entrer ici, qui tous sont de Dieu immédiatement. L’un de toutefois semble avoir quelque chose de l’humain, auquel l’âme semble agir en quelque manière secrète ; et l’autre est très obscur, qui ravit incontinent par son activité l’âme, qui le souffre, en la caliginosité, brouillard et obscurité de lumière, en la même Divinité suressentielle. Cette obscurité se fait par la profonde abondance de lumière, qui éblouit l’entendement ; lequel ainsi ébloui regarde obscurément et comme de loin sont béatifique Objet. Là même. Chapitre 5.
46. Il faut savoir sur ceci, que le meilleur est d'être d'un naturel vraiment affectif et amoureux, et de s'exercer ainsi par profondes aspirations 330 (a) jusqu'à ce que l'âme ait entièrement consommé et anéanti toutes ses forces actives en son objet, en la manière que je pense avoir dit ci-dessus. Ce moyen est la vraie et sûre entrée à son unique repos, pourvu qu’on se comporte fidèlement dans les diverses douleurs et assiégements de l’âme et de toute la nature au dedans et au plus profond d’elle-même, que Dieu fait longuement et souvent souffrir à ses épouses. Mais la plupart de ceci est souvent accompagné de lumineuses et délicieuses vues, et cela se passe vitement en l’âme à guise d’éclairs et de foudres très légers, qui montrent toujours manifestement leur Auteur bienheureux comme en propre personne. Et quoique ceci (b) se passe souvent en grande douleur et angoisse, qui se fait ressentir au plus profond de l'esprit, néanmoins les délicieuses et lumineuses manifestations de l'époux en lui-même tout à découvert, rendent les douleurs fréquentes de ce degré tolérables et acceptables. Là même.
(a) Ceci est le même que ce qui est dit au Moyen court (chapitre 3 n.3, 4. Chapitre 24, n.8) touchant de faire céder son opération à celle de Dieu par voie d'affection.