EXPLICATIONS DE L’ÉCRITURE SAINTE


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

          

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright 2014 Dominique Tronc


 

 

 

 

Madame GUYON

 

 

 

 

 

Explications de l’Ecriture Sainte

 

 

 

 

 

 

Un choix présenté et annoté

par Dominique TRONC

 



 

    TABLE DES MATIÈRES

 

Présentation 9

Explications de l’Ecriture Sainte 27

Avertissement 27

Préface générale. 31

Genèse 33

Le déluge. 75

Abraham. 81

Le sacrifice d’Isaac. 85

Jacob. 91

I Rois [I Samuel] 101

II Rois [II Samuel] 111

III Rois [I Rois] 123

IV Rois [II Rois] 135

I Paralipomènes 145

[Supplément aux livres des Rois]. 145

Tobie. 147

Judith. 153

Esther. 157

Psaumes 213

Isaïe 255

Jérémie 267

Ezéchiel 267

Daniel 273

Jonas 285

Sophonie 287

I Maccabées 289


 

 

Annexes 293

L’Ancien Testament et le Nouveau Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure. 293

Madame Guyon, bibliographie (2000-) : 298

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Madame GUYON

 

 

 

 

 

Explications de l’Ecriture Sainte

 

 

 

 

 

Un choix présenté et annoté

par Dominique TRONC

 


Présentation

 

Les livres de l’Ancien Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, divisés en douze tomes […] composés par Madame Guyon (1648-1717) ont été publiés par Pierre Poiret et son équipe en 1715, suivant de peu Le Nouveau Testament de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec des explications et réflexions […] distribués en huit tomes dès 1713. L’ensemble couvre 7713 amples pages représentant la moitié du corpus de l’œuvre entière.

Leur lecture nous a conduit à transcrire un choix de « belles feuilles ». Limité au quinzième de l’ensemble textuel, il met en valeur une approche intérieure du texte sacré. La jeune veuve rédigea son commentaire à mi-parcours d’une longue vie, avant ses combats en défense de la quiétude et les épreuves des prisons. A notre avis un quinzième suffit à livrer le « parfum » mystique de l’entreprise.

Le présent volume propose les pages que nous avons retenues sur des textes de l’Ancien Testament ou Écriture (édition de 1713) tandis que le précédent volume livrait celles abordant les Évangiles, les Épitres et brièvement l’Apocalypse ou Nouveau Testament (édition de 1715). La présentation en corps réduit qui suit est reproduite à l’intention des lecteurs qui n’ont pas sous les yeux le précédent volume. Nous ajoutons en fin du présent volume une brève description couvrant les vingt tomes.

 


 

Nous connaissons la vie de madame Guyon (1648-1717) grâce à sa Vie par elle-même. Elle nous intéresse parce qu’elle est proche d’expériences toujours actuelles : mariée, mère de trois enfants, veuve, elle connaîtra les honneurs de la Cour, mais aussi ses prisons. Elle est surtout à nos yeux l’amie qui ouvrit la voie mystique à des figures simples ou éminentes, telle que celle de Fénelon (1651-1715), une initiatrice dont les traces écrites méritent d’être lues.

La petite fille fut confiée aux bons soins de religieuses : parmi celles-ci, sa demi-sœur du côté de son père, « si habile qu’il n’y avait guère de prédicateurs qui composassent mieux des sermons qu’elle », l’éveilla à la vie de l’Esprit. Elle fut mariée à seize ans : « mon mari avait vingt et deux ans de plus que moi ». La Mère Geneviève Granger, belle figure remarquée par l’historien Bremond, fut son premier guide intérieur qui la conseilla puis la présenta à Monsieur Bertot (1620-1681), mystique disciple et confident de monsieur de Bernières (1602-1659). Puis madame Guyon traversa durant sept années une nuit intérieure dont elle sortit transformée.

Après « douze ans et quatre mois de mariage » son mari mourut avec courage : « Il me donna des avis sur ce que je devais faire après sa mort pour ne pas dépendre des gens ». À trente-deux ans, après avoir consulté des spirituels, dont le bénédictin Claude Martin fils de la mystique Marie de l’Incarnation (du Canada), elle part « pour Genève » : « Je donnai dès Paristout l'argent que j'avais … Je n'avais ni cassette fermante à clef ni bourse. » À Gex, petite ville proche de la capitale calviniste, on lui proposa d’être supérieure des Nouvelles Catholiques qui s’occupaient de petites filles d’origine protestante, mais, dit-elle, « certaines abjurations et certains détours ne me plaisaient pas ».

Elle refusa donc puis, « dépouillée de tout, sans assurance et sans aucun papier, sans peine et sans aucun souci de l'avenir », se rendit à Thonon (rive sud du lac Léman, Savoie). Elle fait alors une découverte, celle d’« une autre manière de converser » en  union spirituelle ; dont avec son confesseur le P. Lacombe : « j’apprenais son état tel que je le ressentais, puis incontinent je sentais qu’il était rentré dans l’état où Dieu le voulait. » De cette époque date la composition des Torrents.

Suivirent des séjours fructueux au Royaume de Savoie-Piémont. Ils durèrent pendant près d’une année à Verceuil (Vercelli, près de Milan) auprès de l’évêque Ripa proche du cardinal Petrucci. Ce dernier demeure un spirituel quiétiste éminent. De retour en France, elle reçut à Grenoble de nombreux visiteurs, des clercs et des religieuses chartreuses. À leur intention, elle composa un Moyen court et acheva ses abondantes Explications de versets bibliques.

Elle a trente-huit ans quand elle revient à Paris, peu de temps avant que Molinos ne soit condamné à Rome en 1687. Victime de querelles politiques et religieuses, elle connut une première épreuve de la prison puis les honneurs de la Cour avant d’être de nouveau mise en prisons et cette fois pour de longues années. Enfin lavée de tout soupçon concernant ses moeurs, elle vivra douze années paisibles, mais actives à Blois, visitée par des disciples français et étrangers.

Restée indépendante vis-à-vis des structures religieuses, elle affirme une autorité spirituelle auprès de disciples. Bien qu’elle soit devenue suspecte, son influence s’exerça au sein d’un groupe d’amis mystiques qui lui restèrent toute leur vie fidèles. Après sa mort, ses écrits se transmirent principalement hors de France. Très admirée par des protestants piétistes, elle fut réhabilitée au siècle dernier par des érudits catholiques.

Madame Guyon témoigne largement de son expérience personnelle dans sa Vie écrite par elle-même (1682 à 1709) et sa Correspondance. Elle décrit analogiquement le chemin mystique dans les Torrents (1682), l’indique simplement dans le Moyen court (1685), l’analyse plus profondément dans des opuscules écrits tout au long de sa vie, dont beaucoup furent rassemblés en Discours chrétiens et spirituels. Enfin son expérience et l’enseignement qu’elle justifie s’appuient fermement sur la tradition judéo-chrétienne par ses Explications et réflexions qui regardent la vie intérieure portant sur les deux Testaments (1684), ainsi que sur l’expérience des principaux auteurs mystiques connus de son temps, dont les extraits forment le corps de ses Justifications (1694).

L’ensemble de son œuvre [[1]] constitue un solide triptyque qui couvre un spectre très large : l’expérience, puis la synthèse et la théorie qui en sont issues, enfin une réflexion fondée sur les aspects mystiques autant que bibliques constituant la Tradition chrétienne. Sa réflexion à la lecture des deux testaments couvre plus de la moitié de l’œuvre imprimée au XVIIIe siècle. Le choix que nous présentons pallie très partiellement cette lacune en ce qui concerne les Explications du Nouveau Testament.

Les raisons pour lesquelles elle écrivit ces Explications ne sont pas explicitées, en dehors d’une injonction intérieure divine, qu’elle affirme [2]. Le récit de sa Vie, seul témoignage aujourd’hui disponible sur la période grenobloise, relate par contre les circonstances de leur composition en évoquant parallèlement le « grand nombre de personnes que Notre-Seigneur »  lui faisait aider à cette époque [3], dont « trois religieux fameux […] un grand nombre de religieuses… » [4]. Nous supposons donc qu’elle fut amenée à améliorer sa connaissance de l’Écriture à la suite de questions qui lui furent posées par des religieux et des religieuses qui se nourrissaient de la parole de Dieu et en cherchaient le sens intérieur :

Vous ne vous contentâtes pas de me faire parler, mon Dieu […] Il y avait du temps que je ne lisais plus […] Sitôt que je commençai de lire l’Écriture sainte, il me fut donné d’écrire le passage que je lisais et aussitôt tout de suite, il m’en était donné l’explication… [5]

La part la plus considérable du travail d’écriture eut lieu à Grenoble entre avril 1684 et mars 1685, après un séjour à Thonon et un premier voyage à Turin, mais avant le second voyage à Verceil, près de Turin, qui fut suivi du retour  définitif à Paris en juillet 1686. Elle avait toutefois rédigé certaines parties auparavant, dont le Commentaire au Cantique [6] et celui sur l’Apocalypse [7].

Les circonstances de la composition de ses Explications sont décrites dans sa Vie qui insiste sur leur flux spontané. Toutefois il ne s’agit pas d’un procédé à la recherche de l’inspiration, tel que l’écriture  automatique  des surréalistes : cette rédaction rapide et sans repentir est liée à un état contemplatif où la justesse d’un texte et ses multiples implications apparaissent d’autant mieux que l’auteur ne tente aucune capture volontaire :

…je voyais que j’écrivais des choses que je n’avais jamais sues […] je ne me souvenais de quoi que ce soit de ce que j’avais écrit, et il ne m’en restait ni espèces ni images [8].

De cette sorte, Notre Seigneur me fit expliquer toute la Sainte Écriture. Je n’avais aucun livre que la Bible, et ne me suis servi que de celui-là, sans jamais rien chercher [9]

Vous me faisiez écrire avec tant de pureté, qu’il me fallait cesser et reprendre comme vous le vouliez.  [...]  j’avais la tête si libre qu’elle était dans un vide entier. J’étais si dégagée de ce que j’écrivais, qu’il m’était comme étranger. Il me prit une réflexion : j’en fus punie, mon écriture tarit aussitôt, et je restai comme une bête jusqu’à ce que je fusse éclairée là-dessus. La moindre joie des grâces que vous me faisiez était punie très rigoureusement [10]

Madame Guyon témoigne aussi de l’abondance  de son inspiration. Car l’agilité intellectuelle et physique peut certes être ralentie par un état contemplatif, mais l’énergie vitale d’une femme de trente-six ans lui permettait de transcrire rapidement une dictée intérieure :

Je continuais toujours d’écrire, et avec une vitesse inconcevable, car la main ne pouvait presque suivre l’Esprit qui dictait et, durant un si long ouvrage, je ne changeai point de conduite, ni ne me servis d’aucun livre. L’écrivain ne pouvait, quelque diligence qu’il fît, copier en cinq jours ce que j’écrivais en une nuit.  [...] 

Au commencement, je commis bien des fautes, n’étant pas encore stylée à l’opération de l’Esprit de Dieu qui me faisait écrire. Car Il me faisait cesser d’écrire lorsque j’avais le temps d’écrire et que je le pouvais commodément; et lorsqu’il me semblait avoir un fort grand besoin de dormir, c’était alors qu’Il me faisait écrire. Lorsque j’écrivais le jour, c’était des interruptions continuelles, car je n’avais pas le temps de manger, à cause de la grande quantité de monde qui venait : il fallait tout quitter sitôt que l’on me demandait ; et j’avais pour surcroît la fille qui me servait dans l’état dont j’ai parlé, qui sans raison me venait interrompre à tout coup, selon que son humeur la prenait. Je laissais souvent le sens à moitié fini sans me mettre en peine si ce que j’écrivais était suivi ou non [11].

Les pages les plus belles, certaines interprétations originales et profondes restent enfouies dans cet ensemble, dont elle explique comme suit le caractère inégal :

Toutes les fautes qui sont dans mes écrits viennent de ce que, n’étant pas accoutumée à l’opération de Dieu, j’y étais souvent infidèle, croyant bien faire de continuer d’écrire lorsque j’en avais le temps sans en avoir le mouvement, parce qu’on m’avait ordonné d’achever l’ouvrage [12] : de sorte qu’il est aisé de voir des endroits qui sont beaux et soutenus, et d’autres qui n’ont ni goût ni onction [13].

La presque totalité des livres des deux Testaments est couverte sans omission à l’exception de certains versets. Ceux qui sont largement  expliqués  constituent des points de départ à l’interprétation de divers aspects pratiques touchant à la vie intérieure, conformément au titre. Tous les passages font correspondre les événements rapportés par la Bible au vécu mystique. Le texte sacré devient ainsi une source d’inspiration pour les « chrétiens intérieurs » qui le réalisent.

Cet ensemble est demeuré dans l’oubli par suite de son volume considérable et de son utilisation des textes qui reste dans la ligne traditionnelle des commentaires à visée spirituelle. En effet, compte tenu du but tout intérieur de Madame Guyon, qui recherche dans le texte sacré l’expression d’une vie intérieure mystique, les problématiques modernes d’analyse biblique ouvertes par B. Spinoza [14] puis R. Simon sont ignorées. Madame Guyon s’inscrit dans la longue tradition des Pères de l’Église aussi bien que des auteurs juifs, tout en privilégiant le vécu mystique :

Les Saintes Écritures ont […] beaucoup de sens différents. Les grands hommes qui ont de la science se sont attachés au sens littéral et à d’autres sens. Mais personne n’a entrepris, que je sache, d’expliquer le sens mystique ou intérieur, du moins entièrement [15].

On sait comment cette tradition a été remplacée durant ces trois derniers siècles par le travail critique d’historiens et interprètes modernes qui ont rétabli des textes exacts et ont éclairé leur genèse. Mais revenir à des interprétations visant au sens intérieur permet de ne pas négliger le sens profond voulu par des auteurs qui par ailleurs ne recherchaient guère une exactitude historique et ne peuvent donc faire l’objet d’une interprétation littérale.

L’interprétation mystique des textes sacrés chrétiens a disparu de fait très souvent de l’horizon de traducteurs modernes. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, madame Guyon commente ainsi l’évangile de Marc, au chapitre I :  

…La perfection consiste à connaître que nous avons Dieu en nous, à L’y chercher et à L’y trouver. Jésus-Christ nous apprend que le royaume de Dieu est en nous [16].

La traduction TOB de Luc 17, 21 diffère de cette traduction : “…en effet, le Règne de Dieu est parmi vous”. Elle est accompagnée de la note explicite suivante, qui traduit une orientation tout extérieure, mettant en valeur l’assemblée des croyants :

On traduit parfois : en vous, mais cette traduction a l’inconvénient de faire du Règne de Dieu une réalité seulement intérieure et privée. Pour Jésus, ce Règne qui concerne tout le peuple de Dieu est présent en fait dans son action de salut (cf. 11, 20). Il est à votre portée [17].

Face à cette tendance extravertie et communautaire, le commentaire de  madame Guyon prend le parti-pris obstiné de ne faire apparaître que la richesse intérieure du texte biblique. À ce titre, il clôt une précieuse tradition d’interprétations, mais peut encore alimenter la vie spirituelle de nos contemporains.

La primauté de l’expérience sur la croyance est affirmée catégoriquement par tous les spirituels, mais les versets de l’Ecriture demeurent ici des révélations sacrées, comme le pensait la très grande majorité des hommes au XVIIe siècle et comme l’imposait la religion. Chez madame Guyon, l’interprétation de l’expérience à l’intérieur de la foi chrétienne apparaît profonde et cohérente. Les versets sont compris comme des témoignages de contacts vécus par leurs rédacteurs avec le Plus grand que soi, l’Inconnaissable, l’Immense, désigné ici tout au long par le mot « Dieu » et associé pour elle-même au médiateur Jésus-Christ. Souvent elle interprète ces versets de façon à décrire la voie mystique, parfois au prix d’une grande liberté prise dans l’interprétation analogique. On retrouve rarement une approche similaire chez les spirituels chrétiens et juifs, pour lesquels le texte est parfois considéré comme un témoignage, mais presque jamais comme la description d’une échelle mystique.

Les récits ne se situent plus dans l’histoire, mais présentent les étapes du retournement, du cheminement difficile vers le « cœur », « l’intérieur », le centre où le Divin réside et Se manifeste à l’homme. Le texte sacré traduit ainsi une expérience intime qui se renouvelle d’âge en âge, et par là, le commentaire guyonnien garde une valeur intemporelle.

Madame Guyon, tout en dialoguant librement avec Dieu, écarte toute manifestation particulière excessive, « mystique » dans le sens que l’on prête trop souvent à ce terme, lorsqu’il est réifié en un substantif associé à des phénomènes (visions, sensations…) qu’elle considère comme dangereux ou négligeables. Elle n’attache de prix qu’à l’expérience du grand fond où les âmes mystiques :

...ne peuvent rien distinguer de Lui. C’est comme une personne qui vit dans l’air et le respire sans penser qu’elle en vit et qu’elle le respire, à cause qu’elle n’y réfléchit pas. Ces âmes, quoique toutes pénétrées de Dieu, n’y pensent pas, parce que Dieu leur cache ce qu’elles sont : c’est pourquoi on appelle cette voie « mystique », qui veut dire secrète et imperceptible [18]…   

Elle utilise cependant avec précision son expérience intime pour comprendre le sens profond du texte sacré. Elle le fait ainsi revivre, parce qu’il est éclairé par un vécu personnel similaire à celui que transcrivit le rédacteur dans des formulations et par des images adaptées à son temps. En ce sens, elle s’approche probablement de plus près de l’intention de l’écrivain sacré que ne le font des commentaires modernes, souvent anachroniques par leur orientation historicisante. On note enfin que madame Guyon ne décrit jamais son vécu directement, car elle est sobre quand il ne s’agit pas seulement d’elle-même, et qu’elle se méfie de tendances au prophétisme ou au millénarisme.

Expliquer les divers écrits sacrés comme des expressions d’une même vérité humaine d’expérience intérieure est peut-être devenu la seule approche acceptable par notre époque : une explication se soumet à ce qui apparaît comme raisonnable et l’autorité de l’expérience subordonne les croyances au vécu.

Les deux éditions du XVIIIe siècle par les pasteurs Poiret [1714-1715] puis Dutoit [1790] sont devenues très rares [19] ; aucune édition fidèle n’est aisément accessible [20]. Les vingt tomes de l’ensemble des Explications correspondent à la moitié de l’œuvre de madame Guyon publiée par Pierre Poiret en trente-neuf tomes, puis rééditée très fidèlement par Dutoit en quarante tomes (par adjonction du tome de la correspondance « secrète »  avec Fénelon).

Nous nous limitons en général à des extraits, parfois elliptiques. Nous n’avons pas cru pouvoir supprimer les crochets entourant les points de suspension qui signalent toutes les omissions ; mais la gêne apportée à la lecture demeure limitée par une certaine lenteur requise pour apprécier un contenu qui doit être expérimenté. 

L’orthographe est modernisée. La ponctuation - trop abondante dans l’édition de Poiret, très certainement absente dans les manuscrits aujourd’hui disparus - est reprise. Nous utilisons des majuscules, parfois abondantes, pour éclairer le dialogue permanent entre Dieu et l’homme de foi. Nous indiquons entre crochets, au début de chaque nouvelle pagination, les tomes de l’édition Poiret, ses paginations (qui ne sont pas toujours réinitialisées d’un tome au suivant !), et bien sûr nos omissions qui rendent ce texte plus lisible pour notre temps [21]. Enfin nous reproduisons en italiques les versets cités ainsi que leurs reprises dans les commentaires [22].

Certains livres sacrés ont été favorisés : ainsi nous donnons ici in-extenso le commentaire de la Genèse, où le lecteur trouvera un ensemble complet des commentaires aux premiers versets, de façon à lui permettre de se faire une idée de la progression habituelle à madame Guyon et de respirer le parfum ample et tranquille qui caractérise en général son œuvre. Un parallèle est ici mené de bout en bout entre le vécu dans la voie mystique et le récit biblique : c’est l’intérêt et l’originalité de ce commentaire résolument « intérieur ».

A l’inverse, le commentaire du Cantique, composé séparément, a été omis, puisqu’il a été réédité[23]. Pour les autres commentaires nous nous limitons en général à des extraits, parfois elliptiques. Nous n’avons pas cru pouvoir supprimer les crochets entourant les points de suspension qui signalent toutes les omissions ; mais la gêne apportée à la lecture demeure limitée par une certaine lenteur requise pour apprécier un contenu qui demeure toujours expérimenté par la personne de l’auteur. 

L’orthographe est modernisée. La ponctuation - trop abondante dans l’édition de Poiret, très certainement absente dans les manuscrits aujourd’hui disparus - est nôtre. Nous utilisons des majuscules pour éclairer le dialogue permanent entre Dieu et l’homme de foi. Nous indiquons entre crochets, au début de chaque nouvelle pagination, les tomes de l’édition Poiret, ses paginations (qui ne sont pas toujours réinitialisées d’un tome au suivant), et bien sûr nos omissions qui rendent ce texte plus lisible pour notre temps [24]. Enfin nous reproduisons en italiques les versets cités ainsi que leurs reprises dans les commentaires [25].

Quelques extraits de l’Avertissement et de la Préface générale qui éclairent le but poursuivi, précèdent les premières Explications relatives à la Genèse.            

Signalons enfin quelques commentaires remarquables :

Genèse, ch. I, v. 1, Dieu créa le ciel et la terre, réf. dans le texte [2-3] ; ch. I, v. 18, … pour diviser la lumière d’avec les ténèbres…, [15-16] ; ch. XXVIII, v. 16, Jacob étant éveillé de son sommeil… , [165] ;

II Rois, ch. VII, v. 26, … la maison de votre serviteur David sera établie…, [390-391] ; IV Rois, ch. IV, v. 4, Entrez au-dedans de votre maison…, [643] ;

Job, ch. IX, v. 29, Mais si après cela je suis encore méchant, pourquoi ai-je travaillé en vain ? , [118] ; ch. XXXIII, v. 29-30, Dieu fait toutes ces choses … Pour rappeler leurs âmes de la corruption et pour les éclairer de la lumière des vivants, [255-256] ;

Psaume 32, v. 2, Car la parole du Seigneur est droite…, [155].




 

 

Explications de l’Ecriture Sainte

 

Avertissement

[…][Tome I, 10] [26]. Pour les personnes qui loin de se plaindre des grâces que Dieu leur veut faire et de se défendre du bonheur où Il les appelle, y donnent leur consentement de tout leur cœur, et y aspirent avec Son assistance qu’ils implorent : ceux-là, quelque sublime que soient les choses que Dieu leur propose et leur fait déclarer, pour grande aussi que puisse être la faiblesse où ils se voient encore, si cependant ils veulent bien s’abandonner sincèrement à Dieu, ils trouveront par effet que Sa divine force accomplira en eux ce qui est autrement au-delà de leur propre force et de leur faible pouvoir. Il fera en eux, pour me servir des termes de saint Paul [27], plus que tout ce que nous saurions demander ni penser, pourvu toutefois que, se laissant à Lui avec fidélité et avec persévérance, on ne Lui prescrive sur rien ni manière ni temps : puisque Dieu quelquefois, pour des raisons qu’Il sait, trouve à propos de différer la perfection de Son ouvrage dans quelques-uns jusqu’à leurs derniers jours, quelquefois jusqu’au jour [11] de leur mort. Mais alors, bien loin de se trouver confondus dans leurs désirs et dans leur espérance, ils expérimentent par effet que c’est là proprement le temps où rien n’empêche plus la main du Tout-puissant, auquel ils s’étaient confiés et abandonnés, d’accomplir en eux divinement, même dans un clin d’œil pour ainsi dire, toute la perfection à laquelle Il les avait destinés. [...] 

[13][Le Saint-Esprit] a dicté aux écrivains sacrés les Saintes écritures pour l’instruction commune de tous les hommes et de tout le temps. Ces écrivains de Dieu en ont sans doute eu des conceptions et une mesure d’intelligence proportionnée à leur capacité et au besoin qu’ils en avaient alors pour l’avancement de leur salut et de celui de leurs contemporains ; mais saurait-on se persuader que pour cela ils aient tellement compris l’étendue des pensées de Dieu que, dans Ses paroles, il ne soit rien resté à l’Esprit de la Sagesse infinie pour en faire une plus grande et une plus profonde découverte soit à ceux-là mêmes, soit à ceux qui devaient venir après eux jusqu’à la fin du monde ? Non sans doute. [...] 

[25] Sa vie intérieure [la vie de Jésus-Christ] était toute oraison, toute contemplation, toute occupation aux choses invisibles et spirituelles. Sa vie extérieure n’était employée qu’à ramener à toute occasion les hommes au-dedans d’eux, aux choses intérieures et qui regardent principalement l’esprit, malgré qu’ils retombassent incessamment sur ce qui est visible. Voyez Son entretien avec Nicodème [28]. Celui-ci lui parle d’abord de Ses miracles extérieurs comme une marque que le Royaume de Dieu était sans doute à la porte, et qu’apparemment il pourrait bien venir par cette sorte de moyens visibles ; et Jésus-Christ le ramène de là à la naissance spirituelle et nouvelle, pour avoir part à ce royaume-là, et pour le bien connaître. Nicodème retombe sur le dehors, sur une naissance toute extérieure et toute de la nature :  Comment peut naître un homme qui est déjà vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère pour naître encore ?  Jésus-Christ le ramène de nouveau au spirituel et à la naissance de l’Esprit de Dieu, duquel il faut renaître et devenir esprit. De même envers la Samaritaine [29], qui venait puiser de l’eau pour satisfaire au besoin de la soif naturelle : Jésus-Christ [26] lui dit à ce sujet qu’elle devait lui demander, et qu’Il lui donnerait de l’eau vive, marquant ainsi Son esprit saint et Sa grâce divine. Cette femme tombe, comme Nicodème, sur le dehors, et réplique au Sauveur :  Ce puits est profond, Seigneur, et  vous n’avez pas de quoi y puiser : d’où auriez-vous cette eau ?  Jésus-Christ la relève au sens spirituel, et lui fait entendre qu’Il lui parle d’une eau intérieure qui deviendra  dans le cœur  une fontaine d’où jaillira une  vie éternelle . La femme retombe derechef sur le dehors et Lui demande qu’Il lui fasse part d’une eau qui l’exempte de la peine de revenir au puits pour y étancher sa soif ; et le Seigneur la ramène encore de telle sorte au sens intérieur qu’Il lui déclare enfin que Dieu étant esprit veut désormais des personnes  qui Le servent et L’adorent en l’esprit et en vérité.  Les disciples viennent là-dessus, et lui présentent à manger la viande matérielle qu’ils venaient d’acheter : Jésus-Christ les rappelle de là à une nourriture qui est toute intérieure à quoi ils ne pensaient [27] pas encore :  J’ai, leur dit-il, une viande à manger que vous ne savez pas.  Ils en reviennent, ainsi que Nicodème et la Samaritaine, à ce qui est seulement extérieur, et s’entredisent l’un à l’autre :  Quelqu’un lui aurait-il bien apporté à manger ?  Mais le Fils de Dieu les remet sur le sens spirituel :  Ma nourriture est que je fasse la volonté de Celui qui m’a envoyé.  Ce procédé du Sauveur se peut encore remarquer en plusieurs autres rencontres, particulièrement en celle du lavement des pieds, que saint Pierre entendait d’abord d’une manière purement extérieure, mais que Jésus-Christ ramène à un sens intérieur et tout spirituel. Tous les saints en ont fait de même et se sont servi de cette méthode que nous venons de remarquer dans le Fils de Dieu.  [...]  [28] Un des plus solides et des plus estimés de ces derniers siècles, le divin Jean de la Croix, coadjuteur de sainte Thérèse, a renfermé tout ce qu’il y a de plus substantiel en la vie intérieure dans trois Cantiques purement allégoriques, que l’on dirait quasi n’être que des chansons de l’amour naturel, s’il n’y avait ajouté des explications admirables qui découvrent les sens profonds et très spirituels qu’il avait entendus et cachés sous cette sorte d’emblème. Chacun sait que c’est là le caractère du Cantique de Salomon.


Préface générale.

[...][45] Je les prie par avance de remarquer que, quand je parle de la foi en plusieurs endroits, surtout en saint Paul, je n’entends pas parler, dans l’explication que j’en ai donnée, de la foi commune de l’Eglise, générale pour tous les chrétiens ; mais de la foi qui est cet esprit intérieur, exempt de toute opération multipliée de la part de l’esprit et du cœur, qui se contente de recevoir d’une manière passive les mouvements de son divin moteur, et qui souffre ces opérations gratifiantes et crucifiantes. Mais par ces opérations multipliées, je n’entends pas parler des bonnes œuvres, ni qu’elles soient inutiles, puisque la foi serait vide sans elles. Je suis bien éloignée de les exclure, puisque je porte les âmes dans les voies d’oraison, de sacrifice, et de prières continuelles qui sont les bonnes œuvres principales ; mais je veux seulement retrancher de l’exercice de la foi toute la multiplicité du raisonnement et de la réflexion de l’amour-propre. [...] 

[46] Quand il est parlé du dépouillement des vertus, je crois avoir assez fait connaître dans le corps de l’ouvrage, que Dieu, qui veut dépouiller l’âme de la propriété dans le bien, la dépouille souvent de l’usage facile et de la pratique douce et aisée des vertus, et qu’Il ôte même certaines pratiques extérieures, pour en faire perdre l’attache, et faire entrer l’âme dans la parfaite indifférence ; mais Il ne les lui ôte d’une manière extérieure, aperçue et pour un temps seulement, qu’afin de les lui rendre dans la suite sans nulle propriété, et dans un parfait dégagement.



 

Genèse

Les degrés intérieurs représentés par les jours de la création :

V.1 Au commencement Dieu créa le ciel et la terre.

V.2 La terre était informe et nue et les ténèbres couvraient la face de l’abîme ; et l’esprit de Dieu était porté sur les eaux.

Dieu [30] créa le ciel et la terre au commencement et Il les créa par le Verbe, car c’est par Lui que tout a été fait et sans Lui rien n’a été fait. Il était au commencement  en Dieu. C’est une belle figure de la régénération ou recréation de l’âme abîmée dans le néant du péché. C’est de ce chaos effroyable que Dieu tire l’homme pécheur pour le créer de nouveau; mais Il ne le fait que par Jésus-Christ. Car, comme dès le commencement le premier pas pour la conversion est cette nouvelle création, et que saint Jean nous assure que dès le commencement était le Verbe, et que tout a été fait par Lui et que sans Lui rien n’a été fait, il faut aussi dire que dès le commencement de la vie chrétienne et spirituelle, aussi bien que dans son progrès et dans sa consommation, tout s’opère par Jésus-Christ qui est la voie, la [Tome I, 2] vérité et la vie. Dieu donc par Son Verbe reproduit et recrée cette âme qui était comme anéantie par le péché. Et de quelle manière le fait-Il ? En voici l’ordre exprimé dans ce premier verset de l’écriture, laquelle en rapportant ce qui se passa au commencement des siècles, nous désigne la conduite de Dieu dans la conversion du pécheur, qui est le premier pas et l’entrée dans la voie chrétienne, spirituelle et intérieure.

Premièrement Dieu crée le ciel et la terre. Ce qui marque les deux renouvellements qui se doivent opérer par la pénitence : l’extérieur et l’intérieur. Car nous devons quitter le péché, non seulement de corps mais aussi de cœur et d’esprit. Mais comme la conversion extérieure doit toujours dépendre de celle du dedans, c’est-à-dire de celle du cœur et de l’esprit, représentés par le ciel, il est dit ici que Dieu créa le ciel et la terre. Il commence par le cœur et l’esprit, puis Il reforme [31] le dehors. La première touche de la conversion se fait par le dedans. Dieu crée cet esprit, le tirant du chaos horrible où il était, puis Il tire le corps du péché [32]. Il donne à ce cœur une pente secrète d’être dans Celui qui est et sans lequel il ne peut jamais être, puis Il porte l’extérieur à quitter les engagements qui entretenaient le cœur dans la mort et dans le non-être, le tirant du seul et Souverain Etre pour le placer dans des néants [33] créés.

Cependant cette terre après sa création demeure vide et informe, c’est-à-dire privée de tout bien, quel qu’il soit. Elle est seulement revêtue de quelque figure et apparence, et c’est tout. Il n’y a encore aucune plante, mais seulement un grand vide et une extrême disette. Voilà l’état [3] extérieur de l’homme dans sa conversion. Il est ajouté que les ténèbres couvraient la face de l’abîme, c’est-à-dire que cet esprit et ce cœur [34] qui est comme un abîme impénétrable à tout autre qu’à Dieu, est si environné de ténèbres que la pauvre âme ne sait alors que devenir. Elle ne voit au-dedans d’elle-même que ténèbres et horreurs que le péché y a répandus, elle ne voit hors d’elle que vide et que stérilité, elle se trouve privée de tout bien et environnée de tous maux [35].

Cependant quoique cela soit de la sorte, l’Esprit de Dieu ne laisse pas d’être porté par les eaux. Quelles sont ces eaux sinon les larmes de la pénitence, sur lesquelles la grâce se repose et se répand malgré les ténèbres de l’ignorance [qui sont les restes du péché,] [36] et le vide horrible de tout bien ?

V.3 Or Dieu dit : que la lumière soit faite; et la lumière fut faite.

Cet Esprit plein de bonté, qui est porté sur les eaux de la pénitence, voyant la douleur de ce pécheur ignorant, lui envoie au milieu de ses ténèbres un rayon de Sa lumière. Dieu dit : que la lumière soit faite ; et la lumière est faite. Un certain brillant qui sort de Dieu même, qui n’est autre chose qu’un rayon de Sa sagesse, vient frapper cet esprit aveugle qui sent peu à peu dissiper ses ténèbres et commence à comprendre que la parole de Dieu est une parole efficace. C’est parole et c’est lumière. Car la lumière créée est l’expression de la Parole incréée, comme la Parole incréée est la source de la lumière qui se communique à la créature. C’est pourquoi le divin Verbe est appelé la splendeur des saints, parce [4] qu’Il est une parole pleine de lumière qui se répand sur les saints. Aussi Dieu, pour créer toutes choses de rien, ne fait que parler car Sa parole est Son Verbe et Son Verbe est Sa lumière. Dieu parle donc dans cette nouvelle créature. Et quelle est la première parole qu’Il lui dit ? C’est  Que la lumière soit faite, et cette parole n’est pas plus tôt dite que la lumière est faite; ces ténèbres de l’ignorance sont changées en une lumière de vérité, qui augmente peu à peu, comme l’on voit le soleil qui en se levant dissipe peu à peu les ténèbres de la nuit. Cette lumière est une lumière de grâce qui est la lumière opérée par Jésus-Christ et non encore la lumière Jésus-Christ. C’est alors que l’on peut dire dans un premier sens, que ceux qui étaient dans les ténèbres du péché et de l’ignorance ont vu une grande lumière et que le soleil s’est levé sur ceux qui reposaient dans l’ombre de la mort du péché. Il est aisé de voir que tout ceci s’opère par la grâce du Rédempteur et par la bonté du Créateur.

V.4 Dieu vit que la lumière était bonne ; et Il divisa la lumière des ténèbres,

V.5 Il appela la lumière jour et les ténèbres nuit ; et du soir et du matin fut fait un jour.

L’Ecriture ajoute que Dieu vit que la lumière était bonne, c’est-à-dire que cette lumière sortie de Lui-même et qui n’était pas mélangée avec l’impureté de la créature, était bonne et qu’elle opérait de bons effets dans cette nouvelle créature. Car c’est à sa faveur qu’elle commence à découvrir son premier principe et qu’elle conçoit le désir de retourner à lui ; ainsi qu’une lumière qui se répand dans un lieu fort obscur fait [5] découvrir le lieu dont elle part, et que le même rayon qui manifeste la lumière, manifeste en même temps le lieu de son principe.

Dieu n’a pas plutôt répandu Ses lumières de grâce dans un cœur et le cœur n’y a pas plutôt répondu par sa fidélité, que Dieu, voyant le bon usage que l’âme en fait et la bonté de cette lumière répandue dans ces lieux ténébreux, commence à en faire la division d’avec les ténèbres. Jusques alors c’était  un lieu ténébreux ou des ténèbres lumineuses, mais Dieu fait la division de Sa lumière d’avec nos ténèbres afin que ce mélange ne la gâte pas. Cette belle lumière est la foi, don de Dieu, qui vient se saisir d’une âme. Dans le commencement, ce ne sont qu’illustrations qui se distinguent fortement, à cause de la grande nuit où est l’âme. Ce n’est pas que cette belle lumière ait plus de clarté et soit plus abondante dans ses premières illustrations que dans la suite, quoiqu’elle soit d’abord plus aperçue. C’est tout le contraire, mais les profondes ténèbres de l’âme font qu’elle la distingue mieux, bien qu’elle ne soit pas aussi vive que dans la suite.

Dieu divise donc Sa lumière de nos ténèbres et c’est alors que cette lumière devient plus pure, plus étendue et plus éminente, quoiqu’elle semble s’obscurcir à l’égard de l’homme, qui à cause de la division qui vient d’être faite de ce qui est de Dieu d’avec ce qui [n’] est rien, n’apercevant plus que ses ténèbres, se croit dans une plus grande obscurité. Cependant il ne fut jamais plus éclairé ni plus lumineux dans sa suprême région, mais comme il est exposé devant Dieu qui, comme un soleil immortel, lui envoie incessamment Sa lumière et qu’il rend à Dieu cette même lumière avec beaucoup de fidélité, tout paraît obscur [6] de son côté [37]. Comme l’on voit la lune, lorsqu’elle est le mieux exposée au soleil au temps de sa conjonction, répandre d’autant moins de lumière sur la terre que plus elle en reçoit, et paraît obscurcie aux yeux lorsque son soleil la regarde de plus près et plus fortement, et qu’au contraire, elle rend d’autant plus de lumière à la terre lorsqu’elle est dans son plein, qu’elle en reçoit moins du soleil, il en est de même de l’âme illustrée de la divine lumière. Lorsque le divin soleil répand sur elle ses rayons ardents et brûlants, elle est si fort correspondante à son Dieu qu’elle n’aperçoit point son brillant ni sa clarté, au lieu que, lorsque sa lumière est plus petite et qu’elle reçoit moins de son soleil, c’est alors qu’elle en répand davantage. C’est la différence qu’il y a entre les connaissances distinctes et aperçues, (quelque sublimes qu’elles paraissent) et la lumière générale et indistincte de la foi.

Cependant il est ajouté que du matin et du soir il n’est fait qu’un seul jour. Cela s’entend en deux manières : l’une, que d’une alternative continuelle de lumière et de ténèbres il ne se fait qu’un seul jour, qui est le jour de la foi, en partie lumineuse et en partie obscure ; l’autre, que de la lumière commençante en lumière de vie, qui est celle du matin de la vie intérieure, (laquelle est toute brillante de clarté et pleine de vie) et du soir qui signifie l’état de mort, d’extinction et de dépouillement, il ne se fait qu’un seul jour, qui est le jour de la foi et de l’intérieur chrétien.

V.6 Ensuite Dieu dit : que le firmament soit fait au milieu des eaux et qu’il divise les eaux d’avec les eaux.

V.7 Et Dieu fit le firmament et divisa les eaux qui [7] étaient sous le firmament d’avec celles qui étaient au-dessus du firmament. Cela fut fait ainsi.

V.8 Et Dieu donna au firmament le nom de ciel, et du soir au matin se fit le second jour.

Les jours de la pénitence étant passés, Dieu dit : que le firmament soit fait au milieu des eaux, c’est-à-dire que le cours de ces larmes soit arrêté, que le cœur et l’esprit soient affermis et que ces premières tendresses soient séparées des eaux, qui, quoique saintes, sont pourtant procurées par le sensible. Que ces eaux soient divisées d’avec celles de Ma grâce, afin qu’elles soient pures et sans mélange.

Ces eaux qui sont sur le firmament sont les eaux de la grâce, toutes pures, claires et nettes, qui submergent l’âme et l’inondent de telle sorte qu’elles la purifient dans un abîme de délices. Alors les eaux de l’amertume et de la douleur sont mises dessous et la partie supérieure, représentée par la région qui est au-dessus du firmament se trouve noyée dans un torrent de délices, durant que la partie inférieure qui est la terre, est inondée des eaux des amertumes et des douleurs. Et c’est de ces deux eaux ainsi divisées, du jour de la consolation et de l’obscurité (du soir) de la douleur qu’est composé le second jour spirituel qui n’est autre que la seconde période de l’intérieur chrétien.

V.9 Dieu dit encore: Que les eaux qui sont sous le ciel soient assemblées en un seul lieu et que ce qui est aride paraisse. Cela fut fait de la sorte.

V.10 Et Dieu appela ce qui est aride terre et donna aux amas d’eaux le nom de mer ; et Dieu vit que cela était bon.

Ces eaux d’amertumes et de douleurs qui s’étaient [8] répandues dans toute l’âme sont ramassées en un seul lieu, elles viennent se retirer dans des limites qui leur sont marquées et ces limites environnent le cœur. Alors ce qui est aride paraît et l’âme commence d’entrer dans de nouveaux pays qu’elle n’avait point encore découverts depuis sa conversion. C’est que le sec et l’aride [38] se découvrent, ce qui lui est bien plus difficile à soutenir que les eaux d’amertume. Car ces eaux, qui couvraient auparavant toute la terre, étaient encore mêlées de douceur, mais elles ne sont pas plutôt renfermées dans leurs limites, qu’elles deviennent mer, (c’est-à-dire pleine d’amertume,) et que tout ce qu’elles couvraient auparavant est réduit dans l’aridité.

Dieu donna le nom de mer à cet amas d’eaux parce qu’il semble que dans la division qui en est faite, toute la douceur se soit retirée et soit montée dans les eaux supérieures et qu’il ne reste plus dans les inférieures que ce qu’il y a d’amer, qui se trouve même si fort ramassé en un lieu, que [ces eaux] ont beaucoup plus d’amertume dans ce lieu où elles sont réunies qu’elles n’en avaient auparavant dans leur plus grande étendue. Ce qui était sec dit l’Ecriture fut appelé terre : cela signifie que c’est seulement alors que l’homme commence d’entrer dans la connaissance de soi-même et de la vileté et bassesse de son origine. Or cela se fait à la faveur de cette grande sécheresse et aridité, qui n’est produite que parce que Dieu a retiré toutes les eaux qui la couvraient, tant les eaux douces et célestes que les eaux d’amertume et de douleur - et ayant retiré à Soi dans la suprême région de l’âme les eaux douces de la grâce sans leur donner le pouvoir de descendre sur la terre, c’est-à-dire [9] dans les plus basses parties de nous-mêmes, où réside le sensible, il faut nécessairement que le sec et l’aride s’y découvrent - mais cela se fait d’une manière pénible parce que les eaux de l’amertume y sont aussi, non pour humecter et rafraîchir comme autrefois, mais pour communiquer leur amertume sans nul rafraîchissement, si ce n’est à certains moments où il tombe une rosée céleste, que le soleil de justice dessèche presque aussitôt. Cependant cette rosée fortifie, soutient et vivifie.

Il est ajouté que Dieu vit que cela était bon. Cela s’est dit de tous les ouvrages précédents, non seulement pour nous apprendre que tous les ouvrages que Dieu fait seul, ou sans résistance de notre côté, sont toujours bons et que rien ne peut être gâté dans Ses œuvres que par le mélange de la créature propriétaire, mais de plus que chaque état ou degré dans lequel Dieu met l’âme, a une bonté qui lui est propre et particulière et que cependant tous ont leur temps et leur usage bien différent. Car lorsque Dieu eut créé les eaux et qu’elles étaient répandues sur toute la terre, Il dit que cela était bon. Cependant peu de temps après Il change les choses et dit encore de même que cela est bon. Ce qui était bon et nécessaire pour un temps devient inutile et dangereux pour un autre.

Il est bon pour un temps que cette terre sèche et aride soit inondée des eaux de la grâce, mais il est très bon pour un autre temps qu’elle en soit privée et que ces eaux se retirent en leur lieu, sans quoi le séjour qu’elles feraient sur la terre les corromprait et empêcherait que la terre ne portât aucun fruit. L’on voit de là la nécessité qu’il y a de laisser opérer Dieu dans les âmes sans y mélanger l’opération [10] brouillante et précipitée de la créature qui veut ordinairement, ou retenir les eaux par efforts lorsque Dieu veut les retirer, ou se dépêcher par soi-même avant que Dieu le fasse sous prétexte que l’état est plus pur. O main toute-puissante de Dieu, c’est à Vous à faire toutes choses par Votre divin Verbe. Vous dites et Il le fait, Votre dire est faire et Vous faites bien tout ce que vous faites. Il faut donc laisser faire notre Dieu, Il fera mieux que nous. O pauvres créatures que nous sommes, nous croyons pouvoir faire ce que Dieu fait et même le faire mieux que Lui. C’est pourquoi nous nous mêlons de tout et nous voulons toujours tenir toutes choses entre nos mains, mais nous n’y avançons de rien. Au contraire, notre empressement L’empêche de travailler. Dieu ne fait les œuvres parfaites que sur le néant qui ne Lui résiste point.

V.11 Dieu dit encore: que la terre produise de l’herbe verte qui porte de la graine et des arbres fruitiers qui portent du fruit, chacun selon son espèce, et qui renferment leur semence en eux-mêmes sur la terre. Et cela fut ainsi.

V.12 Dieu vit que cela était bon.

V.13 Et du soir et du matin fut fait le troisième jour.

Lorsque le temps est venu - le moment de la volonté de Dieu qui dispose l’âme pour la remplir ou vider selon Ses desseins éternels - Dieu commande à cette terre sèche et aride qui paraissait entièrement inutile de produire de l’herbe verte. C’est là sa première production. Cette personne est étonnée de voir que du milieu de son aridité il lui est communiqué une qualité [11] vivifiante, par laquelle elle peut s’employer aux bonnes choses avec facilité. Toutes ces plantes portent avec elles des semences qui sont qu’elles se reproduisent et se multiplient à l’infini. Cependant ce sont encore de petites herbes, des actions faibles et peu de chose, qui ne laisse pas néanmoins de paraître très grand à cette personne qui ne connaît rien de plus grand et qui ne s’attendait pas même que cette étrange stérilité lui dût produire un si grand bien. Lors donc qu’elle croit posséder ce qu’il y a de plus grand, elle est encore plus surprise d’apercevoir que cette même parole qui a produit en elle de l’herbe y produit des arbres, des feuilles et des fruits, ce qui est bien une autre production que celle des simples herbes. Ce sont les vertus les plus héroïques, qui portent en elles la semence d’une infinité d’autres vertus qui se doivent communiquer par son organe.     

Alors l’âme commence à découvrir sa grandeur  et sa noblesse et ce à quoi elle est propre, ce qu’elle peut prétendre et à quoi elle peut parvenir, ce qu’elle ne voit cependant que confusément. Mais il ne lui est pas encore manifesté comment cela s’opère en elle ni qui est Celui qui fait toutes ces choses. Elle comprend seulement d’une vue confuse que c’est Dieu qui en est l’auteur, et en même temps elle s’imagine qu’Il a fait tout cela en elle à cause de sa fidélité.

Cependant il faudra qu’elle comprenne dans la suite deux choses. La première est que c’est par le Verbe que tout s’opère en elle et que sans Lui rien ne se fait. C’est pourquoi Dieu n’emploie que Sa parole qui n’est autre que Son Verbe pour les opérer toutes : Ipse dixit et [12] facta sunt [39]. Ce fut la faute de Moïse à la pierre des eaux de contradiction. Il voulut frapper la pierre et il ne fallait que lui parler car il lui était donné alors d’agir non plus par la verge de ses propres opérations, mais d’agir par le Verbe et de tout opérer en Dieu par le même Verbe [40]. Les miracles des âmes qui sont fort avancées en Dieu se font par la parole, sans nul signe ni figure, ce que ne font pas les âmes qui sont encore dans les dons, lesquelles se servent d’actions extérieures, l’agir du Verbe ne leur étant pas donné parce que ce n’est qu’en Dieu même et d’une manière éminente que Jésus-Christ nous est communiqué et qu’Il est formé en nous, ce qui s’appelle Incarnation mystique. Or l’âme ne peut agir par le Verbe qu’après qu’Il lui est donné en la manière qu’il a été dit, et c’est alors que la parole opère toute chose et que le dire est faire et que le faire est dire. Mais lorsque l’on veut par infidélité se servir de la verge et des figures comme on le faisait autrefois, l’on déplaît beaucoup à Dieu.

La seconde chose que cette âme doit apprendre est que ces opérations de grâce ne se font pas en vertu de nos mérites mais bien en vue de notre anéantissement, comme le connaissait la divine Marie, lorsqu’en racontant les miséricordes de son Dieu, elle dit qu’Il les lui a faites parce que Dieu a regardé la bassesse de sa servante. Il a envisagé son néant et ce regard a produit en elle le Verbe qui est l’image du Père, qui ne se produit en nous que par Ses regards sur notre néant, et en nous regardant de la sorte Il engendre en nous Son Verbe qui est Sa parole, et en nous communiquant ce Verbe, il nous est [13] donné d’agir par Lui avec la seule parole.

Cet état de production de toutes les vertus dans l’âme fait le troisième jour ou degré de la vie intérieure. Mais ce qui est admirable, c’est que toutes les vertus viennent dans cette âme et s’y trouvent établies sans que l’on puisse comprendre comment cela s’est fait, parce que sans nul autre travail de la part de l’homme que celui de se laisser posséder à son Dieu et de Le laisser opérer en lui, il est étonné que Dieu fait toutes choses en lui et pour lui, et les fait chacune dans leur [son] temps, mais avec un ordre si ravissant [41] que cette personne en étant surprise s’écrie :  O qu’Il a bien fait toutes choses !  C’est à vous, ô Sagesse éternelle et incréée, de faire toutes choses afin qu’elles soient bien faites car tout ce qui n’est pas vous ou qui ne vient pas de vous n’est que mensonge, erreur et tromperie.

Si l’on suit fidèlement cette explication, l’on verra la suite de l’opération de Dieu dans les âmes par Jésus-Christ dès le commencement de leur conversion et la nécessité qu’il y a d’y correspondre ; non, comme l’on s’imagine, seulement par une forte activité, mais beaucoup plus par une entière dépendance de la conduite de la grâce, qui ne laisse pas un moment l’âme qu’elle a prise en sa protection, qu’elle ne l’ait conduite dans sa fin. Il faut donc laisser agir en nous l’Esprit de Dieu. Mais il semble qu’au contraire l’homme ne travaille qu’à empêcher ce même Esprit d’agir en lui car, loin de suivre l’Esprit Saint par le renoncement continuel de nous-mêmes et la résignation entière à toutes Ses volontés, il semble que nous voulions Le précéder par la violence de nos opérations [42] et L’obliger, non à nous conduire mais à nous suivre, [14] et comme notre propre conduite n’est que défaut et misère, nous tâchons d’engager cet Esprit Saint de Dieu à aller par le chemin que nous Lui traçons, sans vouloir nous abandonner à Lui afin qu’Il nous conduise dans Ses voies. C’est ce qui fait que nous contrarions incessamment ce divin Esprit ; que nous Le contristons même, selon les termes de l’Ecriture, et qu’enfin nous L’éteignons tout à fait. Saint Paul nous avertit de prendre garde à n’en pas user de la sorte.

V.14 Dieu dit aussi : que des luminaires soient faits au firmament du ciel, afin qu’ils divisent le jour de la nuit et qu’ils servent de signes pour marquer les temps et les saisons, les jours et les années.

V.15 Qu’ils luisent dans le ciel et qu’ils éclairent la terre. Cela fut fait ainsi.

V.16 Dieu fit deux grands luminaires; l’un plus grand pour présider au jour et l’autre moins grand pour présider à la nuit, Il fit aussi les étoiles.

V.17 Et Il les mit dans le firmament du ciel pour luire sur la terre.

V.18 Pour présider au jour et à la nuit et pour diviser la lumière d’avec les ténèbres.

V.19 Et Dieu vit que cela était bon, et du soir et du matin fut fait le quatrième jour.

Après que le troisième jour ou degré de l’intérieur est passé, Dieu commence à produire en l’âme un nouvel état, qui est la quatrième marche de l’intérieur chrétien.  C’est que cette âme, en qui jusqu’ici tout s’était passé comme dans les ténèbres et dans l’obscurité, commence à recevoir la lumière et diverses illustrations intérieures. Dans la suprême partie ce n’est plus que [15] lumière et chaleur, elle a quantité de lumières distinctes outre la lumière générale et son état est si lumineux que dans la nuit même, qui est le temps de son obscurité, mais d’une obscurité conforme à son degré, elle ne laisse pas d’avoir encore de la lumière, quoi qu’elle soit différente de celle du jour. La différence qu’il y a entre la lumière du jour, c’est-à-dire l’état le plus lumineux, et celle de la nuit, est que la lumière du jour fait plus distinguer les objets à sa faveur qu’elle ne se fait distinguer elle-même : quantité de connaissances sont données et bien des vérités découvertes, quoi que l’on ne voit pas tant la nature de la lumière à cause que son éclat éblouit. Mais la lumière de la nuit ne découvre presque point les objets : elle se manifeste seulement elle-même et fort distinctement. C’est ce qui trompe souvent les âmes en ce degré et leur fait prendre le jour pour la nuit et la nuit pour le jour, faisant bien plus de cas de ces lumières des ténèbres que de la lumière générale, qui, se cachant elle-même par son brillant, découvre cependant les objets tels qu’ils sont.

Cette lumière du jour qui est le soleil éternel, n’est autre que la lumière de la foi, qui ne satisfait pas tant à cause de sa généralité, quoiqu’elle soit infiniment plus lumineuse que celle des autres astres. Les autres lumières de la nuit sont toutes les lumières distinctes, visions, illustrations, tout ce qui se distingue et s’aperçoit au travers de la nuit de notre ignorance. Toutes ces lumières viennent cependant de Dieu et sont des effets de Sa bonté et de Son pouvoir, que nous devons recevoir avec respect et  humilité, mais elles sont néanmoins bien différentes les unes des autres. On est si fort aveugle que l’on [16] préfère ordinairement la lumière de la nuit à celle du jour, et pour trop s’amuser à discerner les étoiles du firmament, c’est-à-dire les lumières distinctes, ces visions, illustrations et extases, on ne les outrepasse pas pour se perdre dans la lumière générale de la foi, et l’on s’arrête de cette sorte à discerner les objets par ces petites lueurs, qui nous trompent, grossissant les objets, les changeant et les faisant souvent méconnaître. O perte étrange que celle que fait l’âme en ce degré ! C’est l’un des [points les] plus importants de la vie spirituelle, car si l’âme n’est pas instruite de la différence de ces deux lumières, elle s’arrête à celles-ci jusques à la mort et n’entre jamais dans le plein jour de la foi, où la vérité est manifestée sans erreur et sans tromperie.

Or les degrés d’élévations et d’abaissements de ces lumières font connaître les saisons de l’âme c’est-à-dire l’état où elle est, ainsi que le soleil distingue les temps et les saisons par le différent séjour qu’il fait dans ses signes et de même aussi la lune. En sorte que la première approche du soleil intérieur fait le premier printemps de la vie spirituelle, qui n’est pas encore le printemps éternel. Son avancement fait l’été, qui est un certain état qui n’est que lumière et ardeur et enfin il produit par sa chaleur les fruits qui paraissent dans l’automne. Mais à mesure qu’il retourne sur ses pas et qu’il s’éloigne de nous, il nous laisse un hiver d’autant plus affligeant que les autres saisons avaient été plus agréables. C’est-à-dire [que] le cours de ces lumières célestes, soit lorsqu’elles s’approchent ou qu’elles s’en retournent, marque les saisons et les états de l’âme, et, comme le soleil retrouve toujours le [17] signe de son zodiaque d’où il était parti, soit qu’il s’approche de nous ou qu’il s’en éloigne, aussi l’âme retrouve toujours son Dieu, qui est sa maison et le lieu de son origine, quoi qu’elle éprouve une effroyable obscurité par l’éloignement de la même lumière qui s’était avancée vers elle à pas de géant [43].

Dieu vit que cela était bon, c’est-à-dire [qu’Il vit] l’avantage que l’âme tire de la conduite divine sur elle. C’est ce qui L’oblige à terminer ce jour, ou ce quatrième degré, pour la faire passer dans un autre. Si l’âme était fidèle, quel chemin ne ferait-elle pas juqu’à ce qu’elle fût arrivée dans le septième jour, qui est le repos de Dieu en Lui-même ? Mais hélas notre infidélité nous fait arrêter au premier jour, sans passer outre, c’est pourquoi nous demeurons toute notre vie dans un chaos effroyable.

Il faut remarquer qu’à tous les jours et degrés il est dit que du soir et du matin fut fait un jour : cela marque comme du commencement ou de l’introduction dans un degré et de sa consommation, Dieu en compose ce jour ou cette marche qui se distingue des autres et que le commencement de chaque degré est comme un nouveau jour qui s’élève et la consommation comme un jour qui finit, mais qui ne finit que pour recommencer avec plus de force. Chaque changement de jour est précédé d’une nuit qui, en  terminant l’un, fait renaître l’autre. O mystère admirable de la conduite de Dieu sur toutes les créatures ! Si l’on avait les yeux ouverts à la divine lumière, l’on découvrirait avec un plaisir extrême qu’il ne se passe rien dans l’ordre naturel de toutes les créatures, qu’il ne se trouve avec quelque proportion selon l’ordre de la grâce[18] dans l’âme. C’est ce qui charme l’esprit illuminé et lui fait non seulement découvrir Dieu dans toutes les créatures, mais même la sage conduite qu’Il tient sur les âmes pour les acheminer à Lui, en sorte qu’il ne voit rien dans la nature qui ne lui exprime quelque chose de ce qui s’est passé dans son intérieur, et il est très véritable que l’homme est un petit monde dans lequel tout ce qui se fait dans le grand univers s’exprime comme en abrégé ; mais ce qui fait que nous ne le découvrons pas, c’est que nous ne sommes pas entièrement pénétrés de la lumière de Vérité.

V.20 Dieu dit encore : que les eaux produisent des animaux vivants qui nagent dans l’eau et des oiseaux qui volent sous le ciel, sur la terre.

V.21 Dieu créa donc les grands poissons et tous les animaux qui ont la vie et le mouvement, que les eaux produisirent selon leurs espèces. Et Dieu vit que cela était bon.

V.22 Et Il les bénit en disant : croissez et multipliez et remplissez les eaux de la mer et que les oiseaux se multiplient sur la terre.

V.23 Et du soir et du matin fut fait le cinquième jour.

Jusques à présent les plantes avaient bien paru sur la terre sèche et aride, l’on avait vu naître et lever les luminaires dans l’âme, c’est-à-dire tant les lumières distinctes que la lumière de foi générale, qui, quoique indistincte en elle-même, ne laisse pas de manifester les vérités telles qu’elles sont, pourvu seulement que sans s’amuser à la regarder elle-même, nous nous en servions pour voir les objets qui nous sont [19] découverts à sa faveur. Car si nous nous amusions à l’envisager elle-même, elle nous éblouirait et donnerait aux yeux de l’esprit une qualité qui, quoique lumineuse en apparence, empêche de découvrir les objets tels qu’ils sont, les faisant voir tous affectés de cette qualité lumineuse. Il en arrive autant à toutes les âmes qui, au lieu de se servir de cette lumière de la foi pour découvrir simplement ce qu’elle leur manifeste, veulent réfléchir sur elle et voir dans elle-même, et ce qu’elle est et ses différents effets. Alors l’œil s’éblouit, faisant contre le dessein de Dieu, qui ne la donne que pour nous faire courir à Lui par la voie qu’elle nous découvre. C’est ce qui cause toutes les illusions qui arrivent dans la voie de foi, laquelle est d’elle-même si pure, si droite et si assurée, qu’il n’y a jamais d’illusion à craindre pour les âmes qui s’en servent, comme il a été dit.

Il n’en est pas de même des autres sortes de lumières qui ont quelque chose d’amusant en elles, parce que se manifestant seulement elles-mêmes sans découvrir que très peu d’objets, et encore d’une manière fort bornée, elles ne peuvent se manifester selon ce qu’elles sont, mais bien selon notre compréhension, qui par sa vivacité se les représente souvent dans les espèces qui leur en restent, quoiqu’elles ne soient plus, et l’on s’en forme soi-même sans le vouloir par la réflexion de l’esprit. Les flambeaux de la nuit se contrefont par des flambeaux artificiels.

 Mais la lumière de foi est d’une nature à ne pouvoir être contrefaite, parce qu’elle absorbe même dans sa vaste étendue toutes les autres lumières distinctes, les outrepassant toutes par sa clarté. C’est le propre de la foi d’outrepasser toutes choses pour ne s’arrêter qu’à Dieu, et c’est [20] en quoi consiste sa solidité exempte de tromperie si toutefois, comme il a été dit, l’on s’en sert, non pour la contempler elle-même, mais pour marcher incessamment à sa faveur.

L’âme jusques alors avait bien éprouvé toutes ces grâces lumineuses, mais ses eaux n’avaient point encore été vivantes ni vivifiantes. Pourquoi croyons-nous qu’il soit dit que Dieu créa dans des eaux des animaux différents selon la qualité des eaux et selon leurs espèces ? C’est que, comme nous l’avons déjà remarqué, il y a de deux sortes d’eaux, des douces et des amères. Les amères sont rendues vivantes car c’est seulement alors que l’âme commence à découvrir qu’il y a un germe de vie dans l’amertume et dans la mort qui la ravit et l’enlève, et qui lui fait aimer les amertumes mêmes, les voyant bien d’une autre étendue et utilité que les eaux douces. Ce sont ces eaux amères qui produisent ce qu’il y a de plus grand, de plus rare et de plus précieux sur la terre. C’est alors que [l’âme] ayant le parfait discernement, elle préfère par son choix les amertumes aux plus grandes douceurs.

Ces douceurs et ces grâces cependant ne laissent pas d’être vivantes et animées. Ce ne sont plus de simples lumières qui découvrent la vérité des objets sans les donner, mais ce sont des écoulements vivifiants, qui mettent dans l’âme un principe vivant. Alors elle se sent animée d’une vie secrète et profonde qui ne la quitte pas d’un moment, même dans ses emplois. Cette vie n’est autre que la Charité, qui est dans cette âme déjà en degré éminent et qui produit en elle un germe d’immortalité. C’est ce qui fait ce fond de vie, de grâce et de présence de Dieu foncière et intime. C’est ce qui opère l’union intime et non encore l’essentielle. [21]

Dieu outre cela  crée dans le fond du cœur, ou plutôt dans la suprême pointe de l’esprit des oiseaux qui volent dans les airs sacrés de la Divinité. Ces oiseaux sont des conceptions sublimes et très relevées, mais elles passent si vite et arrêtent si peu qu’il n’en reste nulle trace, et c’est la différence de ce qui s’opère en foi d’avec ce qui se passe dans les autres lumières - que les autres se discernent, s’expliquent et demeurent distinctes dans l’esprit - on les peut dire lorsqu’on le veut et se les rendre présentes pour les raconter. Il n’en est pas de même de celles-ci : elles passent si vite qu’elles ne laissent point de traces ni de restes dans l’imagination. C’est pourquoi l’on ne peut ni se les représenter, ni s’en former aucune espèce. Cependant, de même que ces oiseaux ne se manifestant autrement que par leurs fuites ne laissent pas d’être réellement dans les airs, qu’ils occupent et où ils se font mieux entendre que voir, [ainsi] les âmes éclairées de la lumière de foi possèdent en elles ces connaissances sans les distinguer autrement que par leur chant, c’est-à-dire que dans le besoin, lorsqu’il faut ou en parler ou en écrire ou s’en servir, l’on voit [alors] que l’on a ces choses sans croire [seulement] de les avoir, de même que les oiseaux demeurent cachés dans les lieux qu’ils habitent et ne se manifestent que par leur voix.

Dieu commande à ces animaux vivants de croître et multiplier. Ils croissent et se multiplient jusques à l’infini, non selon la connaissance de celui qui les possède parce que, ou ils sont enfermés et cachés dans les eaux, ou ils sont abîmés dans les airs et si fort avancés dans la suprême région que l’on les perd de vue dans la plus basse. [22]

C’est le commencement et la consommation de ce cinquième état qui fait le cinquième jour ou le cinquième degré de l’intérieur chrétien.

V.24 Dieu dit aussi : que la terre produise des animaux vivants selon leur espèce, les animaux domestiques, les reptiles, les bêtes sauvages de la terre selon leur espèce; et cela se fit ainsi.

V.25 Dieu fit les bêtes de la terre selon leur espèce, les animaux domestiques et tous les reptiles chacun selon son espèce. Et Dieu vit que cela était bon.

Lorsque la partie supérieure est arrivée au plus haut faîte des plus sublimes connaissances, que le cinquième jour mystique est dans sa consommation et qu’il lui semble ne plus tenir à la terre (car dans ces derniers jours il n’est plus parlé d’elle, il n’est parlé que de lumière, connaissance, ardeurs et amours), lorsqu’elle est, ce semble, abîmée dans une mer de vie et dans un dégagement parfait de tout le terrestre et matériel, elle est fort étonnée de voir qu’il naît de la terre des animaux de toutes espèces qui la foulent aux pieds et qui dérobent les belles verdures dont elle était ornée et en font leur pâture.

Enfin après s’être vue le trône de Dieu, elle se voit le marche-pied des animaux. O état bien différent des autres ! Cependant c’est le même Dieu qui a fait les premiers et qui opère aussi celui-ci. Jusques alors on ne voit point l’utilité de ces choses, au contraire elles paraissent salir la terre et lui ravir une partie de sa beauté. C’est pourtant son principal ornement et ces animaux sont quelque chose de plus noble que les plantes qui l’ornaient si fort et qui leur servent de nourriture. C’est l’état de l’homme lorsqu’il plaît à Dieu de l’élever au plus haut faîte de la perfection, [23] qui lui dérobe pour un temps la vue des beautés qu’Il met en lui, pour ne lui laisser voir que des opérations terrestres et animales. Cependant ce sont des opérations vivantes et vivifiantes : il faut que la terre qui est comme la partie inférieure, produise aussi des actions de vie. Mais, dira t-on, toutes ces plantes dont elle était ornée, n’étaient-elles pas animées ? Il est vrai, elles avaient une vie végétale mais elles n’avaient pas une vie sensitive. C’est cette vie qui doit être imprimée dans l’âme intérieure, non plus pour le mal mais pour le bien. Car ici le sentiment est donné pour glorifier Dieu, n’y ayant rien en nous de si pauvre et de si bas qui ne puisse et ne doive rendre quelque gloire à son Dieu. Cet homme donc qui depuis longtemps avait été insensible, est tout étonné qu’il redevient sensible et cela le surprend d’autant plus qu’il se croyait privé de sentiment pour toujours. Il faut cependant qu’il devienne sensible mais son sentiment dans la suite deviendra tellement purifié qu’il lui servira non contre la volonté de son Créateur mais dans la même volonté.

Ainsi donc des animaux de toutes espèces sont créés sur cette terre : il y a des bêtes carnassières et des reptiles. Quoi ? Cette imagination qui ne représentait auparavant que des choses agréables, lumineuses et divines, cet esprit qui était rempli de si sublimes connaissances, se voit plein de reptiles et de sales animaux ! Ne dirait-il pas volontiers comme un autre saint Pierre :  Je n’ai jamais rien mangé de fouillé ni d’impur et je ne le ferai pas. Mais il lui fut dit :  N’appelez pas impur  ce que le Seigneur a purifié,  c’est-à-dire que ces choses sont bonnes et saintes en tant [24] qu’elles sont sorties de leur Créateur, mais que la seule impureté qui est en nous les rend impures. Dieu se sert pourtant de la peine que nous causent ces choses pour nous purifier de ce qu’il y a en nous d’impur dans le sensible afin de le spiritualiser peu à peu et Il ne le purifie qu’en faisant semblant de le salir. Les animaux domestiques représentent notre nous-même, qui est extrêmement incommode lorsqu’il est dans la révolte contre son Créateur, mais qui devient très utile lorsqu’il est entièrement assujetti à Celui qui l’a fait. Il n’y a rien en nous qui dans l’ordre de notre création ne soit très excellent et il ne peut être nuisible que par l’abus que le péché en a fait [44]. Ces animaux sortant des mains de Dieu n’avaient rien que d’utile et d’agréable, parce qu’ils étaient parfaitement soumis à l’homme, étant dans l’ordre de leur création; ils ne lui sont devenus contraires que par sa propre révolte qui les a soulevés contre lui ; la révolte de notre esprit fait la révolte de notre chair. Mais Dieu, dont la bonté est infinie, se sert de la révolte de cette même chair contre l’esprit afin de s’assujettir l’esprit, et l’esprit n’est pas plus tôt dans la soumission parfaite à son Dieu que la chair commence à lui être assujettie. Aussi Dieu vit que cela était bon, étant infiniment utile à l’homme pour l’anéantir, l’humilier et le détruire.

L’on s’étonnera sans doute que j’attribue à l’homme des états et des passages qui sont arrivés devant la formation de l’homme même, mais l’on en sera nullement surpris si l’on fait attention à deux choses : l’une, qu’il ne s’est rien passé dans le monde général qui ne se passe dans l’homme particulier [25] de sorte que la conduite que Dieu a tenue sur ce grand Univers pour Sa création, s’observe encore sur l’homme pour sa réformation dans l’ordre de la grâce. L’autre est que tout ce qui s’est passé dans l’innocence de la nature avant la création de l’homme qui la corrompit, se passe dans ce même homme pour le rétablir par le moyen de la grâce dans une innocence abondamment réparée par son Rédempteur [45]. C’est pourquoi, sans violenter les choses, nous trouvons que comme le monde a eu sept âges, y comprenant celui de sa consommation, de même l’homme a sept âges de grâce qui se rapportent à l’état de l’innocence de la nature et qui étant consommés dans l’homme le rendent innocent par grâce dans toute l’étendue qu’on le peut être en cette vie. On ne doit avoir nulle difficulté de le croire, puisque selon saint Paul il n’est pas de la grâce comme du péché parce que, à la vérité, plusieurs sont morts par le péché d’un seul, mais la grâce et le don de Dieu sont répandus beaucoup plus abondamment sur plusieurs par la grâce d’un seul homme qui est Jésus-Christ. La Rédemption donc de Jésus-Christ ayant été surabondante, elle a rendu beaucoup plus à l’homme que le péché ne lui avait ravi. Nous expliquerons ailleurs s’il plaît à Dieu la manière dont cela se fait et comme il n’y a rien en cela qui soit contraire à la pensée commune de l’Eglise.

V.26 Et Il dit: Faisons l’homme à notre image et ressemblance, afin qu’il préside aux poissons de la mer, aux oiseaux du Ciel, aux bêtes et à toute la terre et à tous les reptiles qui se remuent sur la terre.

[26] Lorsque l’homme est arrivé jusques ici que l’image de son Dieu est véritablement renouvelée en lui, cette image qui avait été gâtée et défigurée par le péché, se trouve parfaitement rétablie. Quelle est cette image de Dieu ? Il n’y en a point d’autre que Jésus-Christ qui, étant la vive image de son Père, prend plaisir de se retracer dans l’homme et de s’y exprimer tout entier. De là l’on peut voir quel fut le dessein de la création et quel est celui de la Rédemption. Dieu dans la création fit toutes choses pour l’homme, mais Il fit l’homme pour Soi. Et de même qu’Il créa l’homme après toutes les autres créatures, comme leur couronnement et leur fin, aussi il n’y eut plus que Dieu qui fut devant et après l’homme, afin qu’il ne tendit point à une autre fin. L’homme était la fin de tout le reste, mais il n’avait point d’autre fin que Dieu. Dieu créa donc l’homme à Son image, c’est-à-dire Il retraça en lui Son image qui est Son Fils et Son Verbe, lui imprimant Son Esprit, et comme Ses délices devaient être d’habiter avec les enfants des hommes et que Son Fils est l’unique objet de Ses complaisances sans qu’Il puisse se plaire en autre chose que Lui, il fallut nécessairement qu’afin de prendre dans l’homme Ses délices Il le fît à Son image, lui imprimant le caractère de son Verbe, sans quoi Il ne pouvait se plaire dans l’homme. Ce fut donc la fin de la création que de faire des images du Verbe dans tous les hommes, dans lesquelles la divinité fut exprimée et qui peuvent la représenter ainsi qu’une pure glace représente l’objet qui lui est exposé [46].

Mais l’homme par le péché ayant défiguré cette [27] belle image, le dessein de la Rédemption fut que Dieu, qui se plaît si uniquement dans Son Verbe, ne pouvant souffrir que ces hommes en qui cette image avait une fois été gravée, se perdissent et perdissent en même temps pour toujours  l’image de Son Verbe et les caractères de la Divinité, voulut que son Verbe la vint réparer. Car le seul Verbe pouvait se retraçer Lui-même, nul que Lui ne le pouvait faire et ce fut pour cela qu’Il se fit homme, comme l’on voit qu’une glace ayant perdu l’objet qu’elle représentait, il faut que le même objet éloigné s’approche d’elle, sans quoi elle ne le représenterait jamais. Il fallait donc que Jésus-Christ vint dans l’homme, afin que l’homme ne perdant plus jamais ce divin objet, ne perdit plus l’image et le caractère de la Divinité. Je sais que l’image de Dieu est gravée si profondément en l’homme qu’il ne la peut jamais perdre quoique le péché la couvre, la défigure et salisse infiniment, et c’est là ce qui cause la douleur de Dieu dans la perte des hommes et qui Lui donne un si grand désir de leur salut. Tout ce qui s’opère dans l’âme n’est que pour découvrir et renouveler cette image et cette image n’est pas plus tôt achevée de réparer que l’homme est remis dans l’état d’innocence. C’est ce qui faisait dire au Roi-prophète [David] :  « Je me présenterai devant vous dans la justice, je serai rassasié lorsque Votre gloire paraîtra. » C’est comme s’il disait :  je contemplerai Votre visage dans la justice que j’aurai reçue de vous et je serai rassasié lorsque Votre gloire paraîtra en moi par Votre image qui y sera renouvelée. 

Il faut remarquer que Dieu, en créant l’homme, [28] le fit roi de tous les animaux et les lui assujettit tous en sorte que dans cet univers il dominait tout ce qui n’était point Dieu et il n’était dominé que de Dieu. Mais dès que l’homme par le péché s’est révolté contre son Dieu, toutes les créatures que Dieu lui avait assujetties se  révoltèrent contre lui, ce qui fit que l’homme par son péché ne changea pas seulement l’ordre particulier de sa création, mais l’ordre général aussi de ce grand univers, je veux dire en ce qu’il y avait dans l’univers des créatures assujetties à l’homme.

V.27 Dieu créa donc l’homme à son image, Il le créa à l’image de Dieu ; Il les créa mâle et femelle.

Dieu créa l’homme à son image, le rendant un et simple comme Lui. Il ne peut rentrer dans ce premier état d’innocence s’il ne revient à cette première ressemblance en simplicité et unité parfaites, ce qui ne se peut opérer qu’en quittant la multiplicité de la créature et de ses propres opérations pour rentrer dans l’Unité de Dieu qui seule peut rendre l’homme parfaitement semblable à Lui. [28]

V.28 Il les bénit et leur dit: Croissez et multipliez. Remplissez la terre et assujettissez-la. Dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tous les animaux qui se meuvent sur la terre.

V.29 Dieu dit encore : Je vous ai donné toutes les herbes qui portent leurs graines sur la terre, et tous les arbres qui renferment en eux-mêmes la semence de leur espèce, afin qu’ils vous servent de de nourriture.

V. 30. Et à tous les animaux de la terre, à tous les oiseaux du ciel, à tout ce qui se meut sur la terre et qui est vivant, afin qu’ils aient de quoi se nourrir. Et cela fut fait ainsi.

V.31 Or Dieu vit toutes les choses qu’Il avait faites et elles étaient très bonnes. Et du soir et du matin fut fait le sixième jour.

Dieu veut que cet homme  croisse et multiplie, c’est-à-dire que cette image du Verbe se répande dans toute la terre, afin qu’il n’y ait aucun lieu où Il ne puisse prendre Ses délices par la vue de Son image, imprimée dans les créatures. Avant que l’homme fût créé, il est dit que la terre était vide. Comment était-elle vide, puisqu’il n’y a pas un endroit qui ne soit plein de l’immensité de Dieu ? Ah, c’est que Dieu la trouve vide lorsqu’elle ne porte pas encore ces nobles créatures qui sont les vives images de Son Fils. Il veut donc que cette image croisse et se multiplie dans toute la terre : et pourquoi cela, ô mon grand Dieu ? C’est, nous dit-Il, afin de multiplier Mes délices ; car depuis que l’homme porte Mon image, et que mon Verbe s’est imprimé en lui, tous les hommes sont pour moi des lieux de délices.

Dieu, comme il a été dit, avait fait toutes choses pour l’homme ; c’est pourquoi Il lui ordonne la domination. Et d’où vient cette souveraineté de l’homme sur tous les autres animaux ? C’est en vertu de l’image de la Divinité qui était en lui. Cette image est l’expression de son Verbe en l’homme. Or comme Jésus-Christ dit [47] : “toute puissance m’a été donnée au ciel et en la terre”, de même l’homme, qui était Sa figure et Son image vivante, avait tout pouvoir sur la terre ; et son pouvoir était d’autant plus grand que l’écoulement du Verbe était plus abondant en lui. Quoique nous perdions ce pouvoir par le [30] péché, de même que l’image du Verbe est défigurée en nous par le crime, toutefois, lorsque l’image de Jésus-Christ [48] est parfaitement renouvelée en nous, Il a un entier pouvoir sur nous ; et si grand que nous ne voulons plus ni même ne pouvons plus Lui résister ; non d’une impuissance absolue, mais d’une impuissance causée par l’ordre rétabli en nous, qui ayant ôté à notre volonté non seulement la rébellion, mais même la répugnance à faire les volontés de Dieu ; <mais> [49] nous nous trouvons tellement affermis par la résignation, par l’union et la transformation de notre volonté en celle de Dieu, que nous ne pouvons plus trouver en nous de volonté propre, nous voulons uniquement ce que Dieu veut et la volonté de Dieu est devenue la nôtre .

Que cela puisse être dès cette vie, c’est une chose incontestable [50], puisque Jésus-Christ nous a commandé de demander dans le Pater que Sa volonté s’accomplisse dans la terre comme au ciel. Si l’on ne pouvait pas avoir cette perte de toute volonté dans celle de Dieu dès cette vie comme les bienheureux l’ont dans le ciel, Jésus-Christ ne nous aurait pas commandé de le demander. Car nous aurait-Il fait demander une chimère ? Ou l’aurait-Il demandé Lui-même pour nous lorsqu’Il fit cette admirable prière : Mon Père, qu’ils soient un comme Nous sommes un [51] ? Il est certain que cette unité parfaite ne peut être sans la perte totale de toute volonté opposée à Dieu.  […]

L’homme ne doit donc jamais se contempler soi-même ni se regarder hors de Dieu. S’il le [33] fait c’est la source de ses désordres et il tombe dans une fausse présomption, tirant vanité de sa bassesse et s’oubliant de son origine. Mais s’il est fidèle à n’envisager jamais que Dieu, c’est en Lui qu’il découvre avec admiration sa noblesse sans craindre l’orgueil. Car il ne voit rien en soi hors de Dieu, que la boue dont il fut pétri, mais en Dieu il se voit Dieu par participation, et il le voit de telle sorte qu’il découvre en même temps que s’il cesse de se regarder en sa source pour se voir en soi et qu’il veuille s’attribuer quelque chose, il ne le peut faire sans usurpation. De sorte qu’il serait hors de Dieu un si effroyable néant, qu’il perd toute envie de jamais plus se regarder. Et ce qui est étrange, c’est que la vue de ce qu’il est hors de Dieu ne sert point à l’humilier ; au contraire il devient orgueilleux dans son humiliation et prenant le change il s’attribue ce qui n’est pas à lui [52].

Il est donc de conséquence pour l’homme de ne se regarder jamais lui-même, mais de regarder uniquement son Dieu dans lequel il se voit sans danger, ce qui est une contemplation continuelle de l’homme vers son Dieu [53]. Et cette contemplation qui n’est autre chose qu’un simple regard ou envisagement de l’esprit en Dieu, attire la contemplation de Dieu sur l’homme. Car plus l’homme contemple son Dieu, plus il en est contemplé. C’est l’admiration de ce grand prodige qui fit dire à David dans un transport d’esprit : “O Dieu, qu’est-ce que l’âme pour être l’objet de Votre souvenir” [54] !

Des états, ou passages, desquels nous venons de parler, Dieu en compose le sixième jour mystique ou le sixième degré de l’intérieur chrétien [34] ; et c’est ici où tout est fini pour l’homme dans l’homme même. C’est la consommation des ouvrages de Dieu en l’homme, puisque la fin de Son travail est de retracer l’image de Son Fils. C’est à présent que l’homme quitte la voie, pour se reposer dans la fin ; et qu’il sort des jours mystiques, pour entrer dans le jour éternel et divin.

 

Chapitre  II

V.1 Le ciel et la terre furent donc achevés avec tous leurs ornements.

V.2 Et Dieu accomplit le septième jour l’oeuvre qu’il avait faite ; et il se reposa le septième jour après tous les ouvrages qu’il avait faits.

Il est dit que Dieu acheva son oeuvre. Qu’elle était l’accomplissement et la perfection de toutes ses œuvres. C’était l’ouvrage de l’image parfaite de son Verbe, après laquelle Il se repose en soi-même, et fait reposer l’âme en Lui, où elle demeure cachée avec Jésus-Christ, son divin original [55].

Mais l’Écriture ajoute que Dieu accomplit l’œuvre qu’Il avait faite : Tous ces termes sont nécessaires et ils expriment bien l’intérieur. Il n’est pas dit seulement son œuvre puisque tout le bien qui s’opère dans l’homme s’opère indubitablement par Dieu ; et que nul ne peut dire, Jésus Seigneur, que par le Saint-Esprit [56]. Mais il est dit : son œuvre qu’Il avait faite, pour marquer qu’Il l’avait faite seul. Aussi en est-il de même d’une âme arrivée à l’état d’innocence par l’anéantissement. Dieu y opère comme seul, agissant souverainement sans que la créature Lui résiste [35] en rien. Et Il se reposa au septième jour de toute œuvre qu’Il avait faite, ce qui s’entend de la gloire, et aussi du repos qu’Il [57] trouve dans l’âme divinisée, qui ne Lui pouvant plus résister et étant une en Lui, où Il l’a acheminée Lui-même, Il n’a plus qu’à se reposer en elle et y prendre Ses délices.

V.3 Il bénit le septième jour et Il le sanctifia, parce qu’Il s’était reposé en ce jour-là, après tous les ouvrages qu’Il avait créés pour les faire.

Dieu bénit et sanctifia le septième jour ; parce qu’en ce même jour Il avait cessé de faire toute Son œuvre, absorbant l’âme en Lui-même dans Sa vie divine, où il n’y a plus que repos, quoiqu’Il eût créé cette œuvre pour être faite ; mais étant arrivé à la fin de Sa création qui est le repos en Dieu, il n’y a plus qu’à demeurer dans ce repos divin, en Dieu même. Là l’œuvre est achevée quant à l’agitation qui la portait à sa fin, mais non quant à l’action jouissante qui se continue dans le repos, laquelle durera éternellement.

V.4 Telle a été l’origine du ciel et de la terre. Et c’est ainsi qu’ils furent créés au jour que le Seigneur Dieu fit l’un et l’autre.

V.5 Et qu’Il créa toutes les plantes des champs avant qu’elles fussent sorties de la terre, et toutes les herbes de la campagne avant qu’elles eussent poussé. Car le Seigneur Dieu n’avait point encore fait pleuvoir sur la terre et il n’y avait point d’homme pour la labourer.

V.6 Mais il s’élevait de la terre une fontaine qui en arrosait toute la surface.

[36]  [...]  Ces plantes sont les vertus qui croissent et germent dans l’âme avant même qu’elle travaille à leur acquisition, car le désir même d’acquérir la vertu est une vertu que Dieu met dans l’âme par sa seule bonté : et elle en est pas plutôt éclairée de la vraie lumière, que l’on connaît que c’est à Dieu seul à mettre dans l’âme toutes les vertus.

Quel est donc, me dira-t-on, le soin de l’âme et en quoi consiste sa fidélité, si ce n’est en l’acquisition des vertus ? C’est ici le secret, chrétiens mes frères : la fidélité de l’âme consiste à se soumettre incessamment à son Dieu, et, comme nous l’enseigne saint Pierre [58], à nous humilier sous la main puissante de Dieu, qui peut seul opérer en nous toutes sortes de biens ; à remettre [37] entre Ses mains toutes nos inquiétudes car Il prend soin Lui-même de nous ; à nous renoncer continuellement, afin d’ôter les oppositions de la nature à la grâce ; et en nous renonçant, nous résigner entièrement à toutes les volontés de Dieu, afin que par ce renoncement et par cette résignation nous donnions lieu à Dieu d’agir en nous dans une entière liberté. C’est là en quoi consiste le principal travail de l’homme avec la grâce, mais pour l’ornement des vertus, c’est à Dieu à le faire et Il le fait infailliblement, pourvu que nous soyons fidèles à coopérer à la grâce en ces deux points. Et afin que l’on ne croie pas que cette grâce nous manque, il est dit que Dieu a mis une fontaine, qui nous représente Sa grâce  [...]  

V.7 Le Seigneur Dieu forma donc l’homme du limon de la terre, et Il souffla sur son visage l’esprit de vie, et l’homme devint animé et vivant.

[38] […] Dieu de cette boue crée un homme nouveau. Et alors Il lui souffle Son propre Esprit et non un esprit particulier. En sorte que ce n’est point un autre esprit que celui de Dieu qui l’anime et le meut. Mais cela ne s’opère que par l’anéantissement.

 V.8 Or le Seigneur Dieu avait planté dès le commencement un jardin délicieux, dans lequel Il mit l’homme qu’Il avait formé.

Dieu place d’abord l’homme dans le paradis de délices. Ceci s’entend des douceurs de l’état passif de lumière et d’amour et de la présence de Dieu sensible, qui est le plus grand de tous les plaisirs qui se peuvent avoir dans cette vie.

V.9 Le Seigneur Dieu avait aussi produit de la terre toutes sortes d’arbres beaux à voir et dont le fruit était doux à manger et l’arbre de vie au milieu du Paradis, avec l’arbre de la science du bien et du mal.

V.10 De ce lieu de délices sortait un fleuve qui arrosait le Paradis, qui de là se divisait en quatre canaux.

Dans cet état passif tout fleurit dans l’âme et les arbres de Ses puissances se trouvent tous chargés de la pratique des vertus sans que l’âme puisse connaître comment elles ont été produites [39] dans la terre de son cœur. Ces fruits sont délicieux : car alors la pratique des vertus est très agréable.

L’arbre de vie est au milieu : cet arbre de vie est Dieu même. [...]

Le fleuve qui arrose le Paradis de délices, qui est le parterre intérieur de notre âme, c’est la grâce qui coule dans le cœur du juste [...][41]

V.15 Le Seigneur Dieu prit donc l’homme et le mit dans le Paradis de délices afin qu’il le cultivât et qu’il le gardât.

V.16 Et il lui fit ce commandement, disant : mangez des fruits de tous les arbres du Paradis.

V.17 Mais ne mangez pas de celui de l’arbre de la science du bien et du mal. Car au même jour que vous en mangerez, vous mourrez de mort.

[…] Dieu permet à l’homme de goûter de toutes ces délices représentées par les fruits, c’est-à-dire [43] de toutes les vertus; mais Il lui défend celui de la science du bien et du mal, qui est

l’usurpation de notre propre conduite [59] au préjudice du règne de Jésus-Christ sur nous. Si vous en goûtez, dit-Il, vous mourrez : C’est que par là on s’empare de ce qui n’appartient qu’à Dieu et on se l’attribue, regardant comme un fruit de ses soins ce qui vient de la pure bonté de Dieu.  [...]  

V.24 C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme et ils seront deux dans la même chair.

V.25  Or Adam et sa femme étaient alors tous deux nus et ils ne rougissaient point.

 [...] Figure du mariage mystique de l’âme avec Jésus-Christ,  [...] Il est ajouté que Dieu donna cette femme à Adam, ce qui fait voir que cette union ne peut jamais être opérée par la créature, étant un ouvrage de Dieu seul, et non de la volonté de l’âme, qui n’y a point d’autre part que celle de l’acceptation et de la fidélité à suivre en tout les mouvements divins.

Que doit donc faire l’âme fidèle pour correspondre à ce que son époux a fait pour elle, et pour jouir des délices ineffables des noces de l’Agneau ? Il faut qu’elle quitte son père et sa mère, [49] sans quoi le mariage spirituel ne sera jamais consommé en elle. Quel est ce père et cette mère ? sinon le vieil Adam et la nature corrompue qu’il faut quitter absolument. C’est en se quittant soi-même par le renoncement qui opère la mort totale, que l’on parvient aux noces de l’Agneau [60] ; et on n’y arrivera jamais par une autre voie. Ceux qui sont tout pleins d’eux-mêmes et qui croient être parvenus à ce mariage spirituel et divin, sont infiniment trompés. Et si Jésus-Christ a été obligé de quitter le sein de Son Père pour épouser notre nature, croyons-nous Le [pouvoir] épouser sans nous quitter nous-mêmes ? Non ; cela ne sera jamais.

Il est encore ajouté, qu’ils étaient tous deux nus, savoir Adam et sa femme et qu’ils n’avaient point de honte : ce qui marque le dénuement parfait de toute propre volonté, de toute vue propre, de tout propre retour et de tout bien propre, ce qui est l’état d’une âme qui s’est entièrement quittée soi-même. Ces âmes vivent dans un si grand oubli d’elles-mêmes qu’elles n’ont point de honte de leur nudité spirituelle, c’est-à-dire de l’extrême pauvreté d’esprit et de la profonde abjection où elles sont réduites, ne la pouvant voir ni y penser à cause de leur absorbement et perte en Dieu, qui est un état de transformation, qui peut bien s’appeler un vrai état d’innocence.

 


La Tentation de l’Amour-propre.

 

Chapitre III

V.4 [61]. Le serpent dit à la femme : vous ne mourrez point.

V.5 Mais Dieu sait qu’aussitôt que vous aurez mangé de ce fruit, vos yeux seront ouverts et [50] ainsi que des dieux vous connaîtrez le bien et le mal […]

L’amour-propre, sous la figure du Serpent, veut faire voir à l’âme l’avantage qu’il y aurait d’aller à Dieu par une autre voie que celle de l’abandon aveugle à la conduite de Dieu sans retour sur soi-même, et que s’ils se soustrayaient à l’obéissance de Dieu et à l’abandon total, ils connaîtraient toutes choses, seraient assurés de leurs voies et ne mourraient point.  [...]

V.9 Le Seigneur Dieu appela Adam et lui dit : où êtes-vous ? […]

V.10 Lequel lui répondit : j’ai ouï votre voix dans le Paradis ; et ayant eu peur parce que j’étais nu, je me suis caché.

[…] C’est la fausse humilité de ceux qui se retirent de l’abandon après leur chute sous prétexte qu’ils ne sont pas dignes d’y demeurer ni de plus traiter si familièrement avec Dieu.

V. 11 Le Seigneur lui repartit : Comment avez-vous appris que vous étiez nu, sinon parce que vous avez mangé du fruit de l’arbre que Je vous avais défendu de manger ?

[…][52] Vouloir connaître où Dieu nous conduit et le secret de Ses desseins sur nous, c’est anticiper sur Ses droits, et Lui faire une injure : au contraire s’abandonner à Lui à l’aveugle est le plus assuré témoignage de l’amour et la véritable adoration qui rend à Dieu ce qui lui est dû. […] [62] [53]

V.22  Dieu dit : Voilà Adam devenu comme l’un de Nous, sachant le bien et le mal. Prenons garde qu’il ne porte pas sa main à l’arbre de vie, de peur que prenant de son fruit, il n’en mange et qu’il ne vive éternellement.

Ce passage marque admirablement comme cette connaissance du bien et du mal qui est celle des œuvres de Dieu en nous, conserve la vie propre de l’âme et empêche sa mort intérieure. C’est pourquoi Dieu chasse Adam du lieu de délices afin qu’il n’étende plus sa main sur cet arbre et qu’il ne lui reste plus nulle connaissance qui entretienne sa vie et empêche sa mort [mystique], car le remède à son mal ne se peut plus trouver que dans sa mort, par laquelle perdant sa vie propre et infectée, il rentre dans la vie divine qui lui avait été communiquée par la justice originelle. S’il ne mourait à soi-même, il ne pourrait pas revivre en Dieu. C’est l’effet d’une fausse humilité que le trouble et l’inquiétude après la chute et cela se termine souvent au désespoir. Où l’on se chagrine et tourmente si fort après quelque faute, il faut qu’il y ait beaucoup d’orgueil et d’amour propre. Comme au contraire, c’est le fruit d’une vraie humilité, que de demeurer paisible et tranquille dans son abjection, étant tombé dans quelque manquement, même de conséquence, s’abandonnant doucement à Dieu pour en être relevé par Sa miséricorde et se soumettant par un grand sacrifice à tous les usages qu’il Lui plaira d’en faire. [54]

 

Chapitre VI [63].

V.4 En ce temps-là il y avait des géants sur la terre. […]

Les géants et les monstres de l’orgueil ne viennent que de l’alliance de l’humain et du divin. Tous les grands hommes fameux dans les siècles ont été ceux qui ont fait triompher la prudence de la chair cachée sous un peu de spiritualité. [56] O l’épouvantable monstre ! vous verrez des personnes enflées et élevées comme des géants par l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes [64], à cause de quelques talents naturels accompagnés de quelques maximes spirituelles. [...]

 

Le déluge.

Chapitre VII [65]. [59]

V.1 Le Seigneur dit  à Noé : Entrez dans l’arche, vous et toute votre maison ; parce que je vous ai trouvé juste devant Moi entre tous ceux qui vivent aujourd’hui sur la terre.

Dans tout un monde il se trouve un seul homme juste, digne d’entrer dans l’arche qui est Dieu même. Cependant il y a parmi nous tant de gens qui croient être en Dieu. Il faut être juste pour y entrer, c’est-à-dire n’avoir rien usurpé de Dieu ou lui avoir restitué toutes les usurpations que l’on Lui avait faites, laissant Dieu en Lui-même et tout ce qui Lui appartient pour demeurer dans notre néant. C’est là la justice qu’il faut avoir pour être reçu en Dieu par une très intime union.

V.12 La pluie tomba sur la terre pendant quarante jours et quarante nuits.

V.20 L’eau s’éleva de quinze coudées plus haut que le sommet des montagnes, qu’elles avait gagnées.

V.21 Toute chair qui se remuait sur la terre en fut [60] consumée […]

V.22 Et tout ce qui a vie et qui respire sur la terre, mourut. 

C’est ici une belle figure de ce qui se passe dans l’état intérieur où il faut que tout l’humain et le naturel, quel qu’il soit, soit entièrement submergé et noyé dans les eaux de l’amertume et de la douleur, afin que Noé qui représente ici le fond de l’âme, reste seul sauvé et qu’il passe en Dieu même [66]. Mais il faut que ces eaux s’élèvent au-dessus des plus hautes montagnes c’est-à-dire que les puissances mêmes de l’âme en soient submergées. […]

 Chapitre VIII

V.1 Mais Dieu s’étant souvenu de Noé, de toutes les bêtes et de tous les animaux [61] domestiques qui étaient dans l’arche avec lui, Il fit souffler le vent sur la terre et les eaux commencèrent à diminuer.

V.2 à 4 Les sources de l’abîme et les cataractes du ciel furent fermées […] Le vingt-septième jour du septième mois, l’arche se reposa sur les montagnes d’Arménie.

Dieu se souvient de ce fonds et centre de l’âme, qu’Il avait conservé seul, inconnu, parmi une si étrange inondation.  [...] [62] Mais comment Dieu arrête-t-Il ce déluge, et de quels moyens doit-Il se servir pour cela ? Il envoie un souffle vivant et vivifiant de Son Esprit qui dessèche les eaux de l’iniquité et qui redonne la vie, suivant ce beau passage [67] : « vous enverrez, Seigneur, Votre esprit, et elles seront créées le nouveau ; et vous renouvellerez la face de la terre. »

Lorsque ce vent de salut vient souffler sur l’âme, il l’agite d’abord d’une telle sorte qu’elle ne peut point discerner s’il souffle pour son salut ou pour sa perte, quand tout à coup elle est étonnée de voir que l’arche se repose sur les montagnes d’Arménie, c’est-à-dire que la paix et la tranquillité commencent à paraître sur la pointe et sur la partie suprême de l’esprit, où Dieu se découvre par un petit rayon de Sa majesté, qui fait comprendre à cette âme que sa perte n’est pas sans ressource et qu’il y a quelque espoir de salut pour elle.

V.6 Quarante jours après, Noé ouvrant la fenêtre de l’arche qu’il avait faite, laissa aller le corbeau. [63]

V.7 Qui sortit et ne revint plus jusqu’à ce que les eaux fussent séchées sur la terre.

Le corbeau désigne l’âme propriétaire et pleine de propres volontés, qui s’arrête à tout ce qu’elle rencontre : tout est pour elle un repos, mais un repos trompeur, parce qu’elle y trouve aussitôt de l’instabilité.

V.8 Il envoya aussi la colombe après le corbeau, pour voir si les eaux avaient cessé de couvrir la terre.

V.9 Laquelle ne trouvant point où asseoir son pied parce que la terre était toute couverte d’eaux, retourna à lui en l’arche; et Noé étendant la main la prit et la remit dans l’arche.

Mais la colombe représente l’âme abandonnée et déjà abîmée et transformée en Dieu, laquelle sort de Dieu pour agir au dehors si telle est Sa volonté, je veux dire qu’elle sort de son repos mystique lorsque Noé, qui en cet endroit représente Dieu, la met dehors pour le bien du prochain. Toutefois comme il n’y a rien pour elle sur la terre, elle n’y trouve aucun lieu où elle puisse reposer son pied, c’est-à-dire sur quoi elle puisse s’appuyer. C’est pourquoi sans s’arrêter à rien, elle revient dans le repos mystique où le divin Noé lui tendant la main la reçoit en lui. Ceci représente l’état anéanti où l’âme ne trouve plus rien pour elle sur la terre.

V.10 Ayant attendu encore sept autres jours, il envoya une autre fois la colombe hors de l’arche.

Sept jours après, qui représentent les années de l’anéantissement parfait, elle est remise hors de l’arche et alors elle trouve partout son repos, comme dans l’arche même, tout le monde lui étant devenu Dieu ; alors elle s’arrête partout [64] sans s’arrêter en aucun lieu et c’est ici la vie Apostolique.

V.11 Elle revint à lui sur le soir, portant en son bec un rameau d’olivier, dont les feuilles étaient toutes vertes. Noé donc reconnut que les eaux s’étaient retirées de dessus la terre.

Elle porte partout le signe de la paix, mais sans en rien retenir pour elle, elle la porte au divin Noé. Cette âme dans la vie apostolique [68] ne prend rien pour soi de ce qu’elle fait pour Dieu, mais avec une fidélité admirable, elle Lui rapporte le rameau d’olivier  [...]  

 

Chapitre IX  [69].

V.1 Dieu bénit Noé et ses enfants et leur dit: Croissez et multipliez et remplissez la terre.

C’est alors que l’on multiplie sur la terre par les âmes que l’on gagne à Jésus-Christ et pour la justice et pour l’intérieur.  [...] [70].

V.21  Et ayant bu du vin il s’enivra et parut nu dans sa tente.

[…] Lorsque Jésus-Christ vient dans une âme véritablement anéantie qui ne vit plus en elle-même mais en qui Jésus-Christ  vit seul, Il y achève ce qui manque à Sa passion, c’est-à-dire qu’Il y fait l’extension de cette même passion, et pour l’ordinaire Il l’enivre de son premier calice, mais Il réserve le dernier pour les âmes choisies et Il le leur fait boire en deux temps différents. L’un est lorsqu’Il extermine leurs propriétés et qu’Il les [70] anéantit. C’est alors qu’une telle âme n’éprouve plus rien en elle que la fureur et l’indignation de Dieu. L’autre temps c’est lorsqu’elle est devenue un autre Jésus-Christ. Oh alors elle boit ce calice de fureur pour les péchés des autres, comme Jésus-Christ, mais avec tant d’horreur que Dieu lui cache que ce soit pour les autres, tant que son indignation dure, et ne le lui découvre qu’après, ou tout au plus en Lui demandant son consentement. Car Dieu demande d’ordinaire le consentement de l’âme avant que de la faire souffrir pour le prochain.  [...]

 

Chapitre XI  [71]. [72]

V.4 Ils dirent: Bâtissons-nous une ville et une tour qui soit élevée jusqu’au ciel ; et rendons notre nom célèbre avant que nous nous dispersions dans toute la terre.

C’est la peinture des âmes qui aspirent à être saintes par leurs propres œuvres et qui croient pouvoir en venir à bout par leurs efforts naturels quoique sans connaître assez leurs méprises. Ces gens subtilement présomptueux, amassent et entassent pratique sur pratique, afin, disent-ils, de nous rendre saints. Ils attendent tout de leurs propres efforts et sans penser à ce qu’ils sont ils croient faire la loi à Dieu. C’est pourquoi l’Ecriture dit qu’ils bâtissaient de briques et de ciment, marquant par là que tout était de l’invention de l’homme.  […]

 

Abraham.

Chapitre XVII  [72]. [90]

V.3 Abram [Abraham] se prosterna le visage en terre.

Cette âme étant instruite à ne plus vouloir de témoignages, ne pense plus qu’à s’anéantir, connaissant que la disposition la plus propre à servir aux desseins de Dieu est l’anéantissement et que la vraie préparation au surnaturel est le néant .

V.4 Et Dieu lui dit : C’est Moi qui suis. Je ferai alliance avec vous. Et vous serez le père de plusieurs nations.

Après l’anéantissement mystique, Dieu Se communique bien d’une autre manière qu’Il ne faisait auparavant, car Il donne à un cœur qui Lui est parfaitement soumis, la plus grande et la plus haute connaissance qu’on puisse avoir ici-bas de Sa divine Majesté, disant qu’Il est et que rien n’est sans Lui ni hors de Lui. Il renouvelle aussi l’union et Ses promesses [73]. […]

V.19 Mais Dieu lui dit : Sara votre femme enfantera un fils que vous nommerez Isaac. Et Je ferai avec lui, et avec sa race après lui, une alliance éternelle.

La partie supérieure, qui avait cru aux promesses qui lui avaient été faites pour elle-même, hésite lorsqu’on lui promet que, de sa réunion [94] avec l’inférieure, doit naître un fils à qui toutes les promesses ont été faites, connaissant la faiblesse de cette partie inférieure, regardée hors de Dieu, elle doute d’elle, et en même temps du pouvoir divin, alléguant des raisons prises de la longue expérience de leur faiblesse, impuissance et stérilité. Ces deux parties vivaient contentes dans leurs misères et, ne désirant plus rien, n’espéraient plus rien. C’est l’état du repos en Dieu, qui précède la vie apostolique. Cet Isaac qu’il faut concevoir, est Jésus-Christ formé dans les âmes, mais Il ne s’enfante que lorsqu’il n’y a plus rien en elles qui puisse fonder une juste espérance de Le concevoir. Cet enfant ne se conçoit que dans l’entier désespoir de tout secours naturel et dans un parfait désintéressement de tous les dons surnaturels, afin que, comme dit saint Paul [74], la grandeur de la force ne soit pas attribuée à l’homme, mais à Dieu. […]

Chapitre XVIII

V.2 Ayant levé les yeux, il parut trois hommes [75] proches de lui.

V.3 Et il dit : Seigneur, si j’ai trouvé grâce devant vos yeux, ne passez pas la tente de votre serviteur.

[96] Cette âme ne voudrait point laisser aller son Bien-aimé qui l’honore de sa visite, elle souhaite au contraire le retenir pour toujours. Dans cet amour qu’elle a pour son Dieu, elle croit que tout est Dieu et voudrait traiter tout le monde comme Dieu même. C’est alors qu’Il Se communique tellement à elle qu’elle Le trouve en toute chose.  Aussi Abraham traite-t-il ces étrangers  qui se présentent à lui comme Dieu seul : il est si rempli de Dieu qu’il ne peut dire autre chose. Il parle à trois comme à un seul. […]

V.17 Le Seigneur dit : Pourrais-je celer à Abraham ce que je dois faire ?

V.18 Puisqu’il doit être père d’un peuple si grand et si fort ; et qu’en lui seront bénies toutes les nations de la terre ?

[99] Dieu ne saurait rien cacher à Son serviteur établi dans la foi nue et reposant en Lui. Il ne peut qu’Il ne lui découvre Ses secrets; et comme il a l’Esprit de Dieu, aussi connaît-il ce qui se passe dans le cœur de Dieu et même ce qu’il y a de plus caché dans les consciences, discernant à l’abord leurs états par une odeur secrète et par un goût divin. […]

V.33 Après que le Seigneur eut cessé de parler à Abraham, Il Se retira et Abraham retourna en son lieu.

 [101] ...les personnes arrivées à cet état permanent en Dieu ne peuvent prier que comme Il veut et selon qu’Il les meut Lui-même, n’ayant plus d’autres intérêts que les Siens. Cela est visible dans Abraham, qui, oubliant tout intérêt propre et tout ce qui regarde la chair et le sang pour délaisser tout à Dieu, ne s’informe pas même de ce que deviendra Lot son neveu dans la vengeance que Dieu veut prendre de la ville où il demeure, tant il est assuré de la bonté de Dieu et de Sa justice. Ses propres intérêts ne lui sont pas plus que ceux des autres et tout lui est devenu un en Dieu. [...]

Chapitre XIX

V.17 Et le conduisant hors de la ville, ils [les deux anges] lui dirent : sauvez votre vie, ne regardez point derrière vous et ne demeurez pas dans le pays d’alentour, mais sauvez-vous sur la montagne, de peur que vous ne périssiez avec les autres.

 [103][...] Dieu voulant les tirer de tout le créé et les conduire par Sa providence, leur commande de ne point regarder derrière elles et de ne point s’arrêter. Ce sont là les fautes des personnes de cet état : ou ils regardent derrière eux par la réflexion, ou ils s’arrêtent à quelque chose de moindre que Dieu par quelque réserve. Les anges conseillent de quitter tout commerce avec la créature, d’aller sur la montagne, qui est le degré le plus élevé de la contemplation. [...]

Chapitre XX

V.16 Il dit ensuite à Sara  [...] :  ayez toujours un voile sur les yeux devant tous ceux avec qui vous serez  [...] 

[110] …Dieu fit donner un voile à Sara, qui était la femme de son temps la plus favorisée de Dieu, pour apprendre deux choses aux personnes intérieures : l’une, qu’ils doivent conserver les dons de Dieu sous le voile du silence et de la retraite, l’autre que Dieu Se sert de la foi nue comme d’un voile pour couvrir les dons et les faveurs qu’Il fait aux âmes et les tenir en assurance quand Il croit que Ses grâces les exposent à être prises dans le piège du démon par la vanité.  [...]

 


Le sacrifice d’Isaac.

Chapitre XXII

V.1 Après cela Dieu tenta Abraham et lui dit :

V.2 Prenez Isaac votre fils unique qui vous est si cher et allez en la terre de vision pour Me l’offrir en holocauste sur une des montagnes que Je vous montrerai.

Dieu tente Abraham pour faire la dernière épreuve de sa foi et la pousser jusques au bout dans la nudité totale et dans le dépouillement de tous les appuis, non seulement des appuis humains, dont Il l’avait déjà dépouillé autrefois, [117] le faisant sortir de son pays, mais aussi des appuis pris en Dieu même et dans tous Ses bienfaits et sur toutes Ses promesses. Il n’épargne rien et pour rendre la chose plus dure et cette foi plus magnanime, pour éprouver et épurer son amour et le défaire de tout intérêt propre et de toute amitié étrangère, quoique la plus légitime, Il lui dit : Prenez votre fils [...] Venez Me le sacrifier sur une montagne éloignée. N’est-ce pas afin que la longueur du chemin éprouve davantage sa foi ? Isaac qui a toujours représenté la vie passive ou la contemplation, doit périr. Il faut encore que la foi sacrifie cette vie et qu’elle lui donne le coup de la mort afin qu’il ne reste plus rien qui puisse empêcher la perte totale en Dieu.  [...]

V.7 Isaac dit à son père : Voilà le feu et le bois, mais où est la victime pour l’holocauste ?

[121] Cette demande d’Isaac marque l’ignorance dans laquelle la foi conduit l’âme, jusqu’à ce qu’elle soit arrivée au lieu du supplice. La réponse d’Abraham exprime l’abandon à la Providence qui accompagne la foi, et la docilité d’Isaac à ne plus s’informer de rien désigne la fidélité de l’âme à se laisser conduire aveuglément par la foi et par l’abandon.  [...]

V.10 Il prit le couteau à la main et comme il étendait le bras pour immoler son fils,

V.11 L’Ange du Seigneur lui cria du ciel : Abraham…

[122] Le sacrifice fut aussi entier de la part de la foi, car Abraham levant le bras avait une volonté sincère d’immoler ce fils si cher. La manière et le temps dont Dieu Se servit pour empêcher l’exécution de cet étrange dessein sont admirables pour faire voir la conduite qu’Il tient sur les âmes de ce degré. Premièrement, Il attend l’extrémité pour les secourir, parce qu’il n’y a plus pour elles ni témoignage ni assurance, mais seulement le moment divin qui ne fait arriver ni connaître les choses que dans l’instant qu’elles se doivent exécuter et non plus tôt. Secondement, Il les fait marcher par là même dans une perte entière et, pour les arracher à tout ce qui est distinct, [123] Il ne leur fait connaître les choses que lorsqu’elles arrivent.

C’est aussi pour éprouver la pureté de leur amour, qui ne craint point de tout perdre pour faire la volonté de Dieu, jusqu’à commettre des crimes apparents par un excès d’abandon et de confiance à Sa sagesse et à Son pouvoir.  [...] 

V.15  …il vit paraître Rébecca…

V.16 …qui étant descendue à la fontaine et ayant rempli sa cruche, s’en retournait.

[132][...]  La charité est toujours accompagnée de l’humilité, qui en se vidant s’emplit et, comme une fontaine, plus elle se vide de ses eaux, plus la source, qui est Dieu même, lui en communique de nouvelles. C’est ce qui fait que ces deux vertus, représentées sous ce mystère, sont absolument nécessaires à une âme destinée à l’abandon et à l’unité en Dieu, parce que la fidélité de la charité consiste à être toujours pleine pour les autres et ne retenir rien pour soi, et la perfection de l’humilité est de se vider incessamment des eaux de grâce qui lui sont communiquées et de les rendre à Dieu aussi pures qu’elle les reçoit de Lui-même.  [...]

V.62 Isaac se promenait dans le chemin qui mène au puits du Vivant et du Voyant.

V.63 Il était alors sorti pour méditer dans le champ vers le soir. Et levant les yeux il vit de loin venir les chameaux.

Isaac se promenait vers le puits du Vivant et du [139] Voyant c’est-à-dire auprès de la source laquelle est en Dieu, qui est seul Celui qui vit et qui voit. Il se promenait en Dieu, parce que la largeur de son âme n’était point rétrécie. Il était sorti hors de lui-même afin de se mieux occuper de Dieu seul. Ce fut dans cet admirable commerce que la charité toute pure lui fut amenée pour être unie à lui d’un lien indissoluble. Il va au-devant d’elle dès qu’il l’aperçoit. L’amour pur n’est accordé à une âme que, lorsqu’étant sortie d’elle-même, elle ne s’occupe plus que de Dieu et cela n’arrive que vers le soir, sur les dernières périodes de la vie et après de grands travaux. […]

Chapitre XXV

V.8 Abraham se sentant défaillir mourut dans une heureuse vieillesse.

 [141][…] Toute vue de foi et tout usage de cette lumière demeurent comme morts et ensevelis pour l’âme arrivée en Dieu seul, à cause que tous les moyens, jusqu’aux plus nécessaires et aux plus saints, finissent lorsque l’on est dans la dernière fin. Alors il n’y a rien à faire pour cette âme qu’à jouir de la pure charité, mais en Dieu même avec une netteté et simplicité admirables. Et c’est ce qui précède la vie apostolique, laquelle est une et multipliée. Car comme Dieu agit en tout sans sortir de Lui-même ni de Son unité, aussi ces âmes agissent au-dehors sans sortir de leur unité en Dieu. L’abandon et la foi sont laissés dans le même lieu, à savoir en arrivant en Dieu seul.  [...]

Chapitre XXVI

V.12 Isaac sema en cette terre-là et il recueillit en la même année le centuple et le Seigneur le bénit.

V.13 Cela excita l’envie des Philistins contre lui.

[148] C’est ici le progrès de la vie apostolique : après que l’âme a joui longtemps du repos en Dieu seul, elle va jeter sa semence dont les fruits ne paraissent pas sitôt, mais qui dans la suite rend jusqu’au centuple.

Cela attire l’envie des âmes communes à cause qu’elles ne voient pas un pareil succès de leur travail ; et c’est parce que, travaillant pour elles-mêmes, ou du moins mêlant beaucoup de leur propre intérêt dans leurs fonctions les plus saintes, elles n’ont pas une bénédiction qui approche de celles des personnes désintéressées.  C’est Dieu même qui travaille où l’on ne travaille que pour Dieu. Et si c’est Lui qui travaille, comment ne bénira-t-Il pas Son ouvrage ? [...]

V.22 Etant parti de là, il creusa un autre puits pour lequel il n’eut plus de querelle…

[…] Le prédicateur de l’Evangile doit être de même, surtout celui qui prêche l’Evangile le plus intérieur. Il doit creuser ses puits dans des lieux qui soient à l’abri des débats et des contestations et ne point quitter ces lieux jusqu’à ce que Dieu en fasse naître l’occasion, parce que, comme son âme est au large, sans que rien [151] la rétrécisse, il ne doit point non plus se gêner dans son ministère.  La pureté de la foi et de l’Evangile étant puisée en Dieu même, qui est tout paix, l’on ne doit faire des puits que dans des lieux où l’eau est reçue toute pure, et où on la peut posséder tranquillement. […]

 



 

Jacob.

Chapitre XXVIII

V. 12. Il vit en songe une échelle, dont le pied était appuyé sur la terre, et le haut touchait au ciel ; et des anges de Dieu qui montaient et descendaient par cette échelle.

V. 13. Il vit aussi le Seigneur qui était appuyé sur le haut de l’échelle, et lui disait : Je suis le Seigneur, le Dieu d’Abraham votre père, et le Dieu d’Isaac. Je vous donnerai et à votre race aussi la terre où vous dormez.

[162] Jacob, dormant d’un sommeil mystique, vit une échelle qui allait depuis cette terre de repos jusqu’au ciel ; et Dieu était appuyé sur le haut de l’échelle. Cette échelle, qui était appuyée de son pied sur cette terre de repos et qui servait à l’autre bout de repos à Dieu même, marque les degrés qu’il faut monter pour aller du repos de la contemplation jusqu’au repos en Dieu seul. La distance est grande. Ces âmes, quoique tout angéliques, montent et descendent : parce que les degrés mêmes de montée leur deviennent souvent des degrés de descente, ou apparente, ou réelle ; mais tout est égal pour une telle âme par l’excellent usage qu’elle en sait faire, délaissant à Dieu tout ce qui la regarde. [...][163] Comment Dieu ne Se reposerait-Il pas avec complaisance dans une âme qui ne se repose plus qu’en Lui ? C’est Se reposer en Lui-même puisque cette âme n’a plus rien hors de Lui.  [...]

 V.16. Jacob étant éveillé de son sommeil, dit : le Seigneur est  vraiment en ce lieu-ci et je ne le savais pas !

 Lorsqu’il fut éveillé de son sommeil mystique, il dit que Dieu était là et qu’il n’en savait rien, [165] non qu’il ignorât que Dieu fût partout, mais à cause que les âmes de ce degré sont si absorbées dans la paix et dans l’union et que la foi les conduit si nuement, qu’elles possèdent Dieu sans penser qu’elles Le possèdent et sans en avoir nulle connaissance, à la réserve de quelques moments où Il Se fait un peu apercevoir, ce qui se fait comme revenant d’un profond sommeil. La foi et l’abandon les aveuglent, comme la trop grande clarté du soleil éblouit, en sorte qu’elles ne peuvent rien distinguer de Lui. C’est comme une personne qui vit dans l’air et le respire sans penser qu’elle en vit et qu’elle le respire, à cause qu’elle n’y réfléchit pas. Ces âmes, quoique toutes pénétrées de Dieu, n’y pensent pas, parce que Dieu leur cache ce qu’elles sont : c’est pourquoi on appelle cette voie « mystique », qui veut dire secrète et imperceptible.  

V. 18 Jacob donc se levant le matin, prit la pierre qu’il avait mise sous sa tête, et l’érigea comme un monument, versant de l’huile dessus.

V. 20 Et il fit un vœu en disant : si Dieu demeure avec moi et s’Il me conduit dans le chemin par lequel je marche et me donne du pain pour me nourrir et des vêtements pour me couvrir ;

V. 21 Et si je retourne heureusement à la maison de mon père, le Seigneur sera mon Dieu ;

V. 22. Et cette pierre que j’ai dressée comme un monument, s’appellera la maison de Dieu.

Ce monument devait servir de mémoire à la postérité de ce qui était arrivé à Jacob en ce lieu, et de ce qu’il y avait connu. C’est le propre de la connaissance dont on est prévenu de cette voie si obscure, de faire craindre et hésiter. De plus, dans la voie de foi et d’abandon, on ne saurait s’arrêter ni aux visions, ni aux paroles ou faveurs, ni à quoi que ce soit qui rassure, car cette assurance retarderait la course ; c’est pourquoi Jacob, bien instruit et pour lui-même et pour nous, sans s’arrêter à ce qu’il avait vu ni même à ce que Dieu lui avait dit et outrepassant courageusement toutes choses pour ne s’arrêter qu’au moment divin de la Providence [167], qui est la seule assurance sans assurance des âmes abandonnées, dit en lui-même : Si le Seigneur demeure avec moi, et si par Sa providence Il me conduit en sorte qu’Il me préserve du péché dans une voie si dangereuse et si délicate, alors je reconnaitrai qu’Il sera mon Dieu. [...]    

Chapitre XXXII

V.1 Jacob continuant son chemin, des Anges de Dieu vinrent au devant de lui.

Cette consolation que donnent les Anges est pour préparer l’âme à de grands combats [180] qu’elle doit soutenir avant que d’entrer en Dieu. Ce ne sont plus les persécutions des créatures qu’elle doit appréhender, c’est Dieu même ; mais auparavant il faut essuyer la rencontre des ennemis terrestres, qui ne sont que les avant-coureurs d’un autre combat, que l’on ne craint point parce qu’on ne le connaît pas. On craint un combat visible qui n’est qu’apparent, et on ne craint point un combat réel qui est inconnu.

V.6 Esaü votre frère vient lui-même en grande hâte au-devant de vous avec quatre cents hommes.

V.7 Jacob eut une grande crainte et fut saisi de frayeur.

On se trouble souvent d’un mal imaginaire pendant que l’on demeure ferme et constant dans des combats réels. Ainsi Jacob craint extrêmement la rencontre d’Esaü, qui néanmoins ne lui fera point de mal : mais il n’est pas encore effrayé de bien d’autres combats que Dieu lui prépare, quoique par Son assistance particulière il en doive sortir heureusement.

V.9 [76]. Jacob  pria Dieu de cette sorte : Dieu de mon père Abraham, Dieu de mon père Isaac, Seigneur qui m’avez dit : retournez en votre pays et au lieu de votre naissance et Je vous comblerai de bienfaits,

V.10 Je suis indigne de toutes Vos miséricordes et de la vérité que Vous avez gardée dans l’accomplissement des promesses que Vous avez faites à votre serviteur. J’ai passé ce fleuve du Jourdain, n’ayant qu’un bâton, et maintenant je retourne avec deux troupes de monde et d’animaux.

La manière avec laquelle Jacob retourne à Dieu dans son affliction fait voir combien la [181] peine et l’affliction est [sont] utile[s] [77]. Elle fait souvenir des bienfaits de Dieu, non seulement pour servir de quelque consolation, mais aussi pour redoubler la confiance. Jacob représente à Dieu toutes Ses promesses : il ne se plaint point, il Lui expose seulement tous les biens qu’Il lui a faits afin qu’ils ne soient pas rendus inutiles.

Il Lui demande son secours d’une manière si forte et si tendre, que les paroles rapportées dans le texte l’expriment plus que tout ce que l’on en peut dire. La perplexité et la douleur où il se trouve représentent bien une âme qui retourne par le chemin de la foi et de l’abandon en Dieu son origine, car alors elle est dans les doutes et dans les peines ; les frayeurs de la mort la saisissent et elle lui paraît inévitable. Mais quelle mort craint-elle ? La mort qui est causée par le péché. Elle sait qu’elle a souvent été victorieuse de cet ennemi, qu’elle l’a dominé et supplanté; mais se voyant près de tomber entre ses mains, elle ne doute point qu’il ne se venge et dans l’assurance qu’elle a qu’il ne l’épargnera pas, il lui semble ne pouvoir éviter sa perte. Alors cette pauvre âme pressée de toutes parts, fait ressouvenir Dieu que c’est Lui qui l’a fait entrer dans cette voie ; que c’est pour Lui obéir à l’aveugle qu’elle s’y est engagée, qu’elle s’est entièrement abandonnée à Lui ; ensuite de quoi elle Le prie de la protéger. Elle lui remontre encore que ses pères ont marché par la même voie et que c’est par là qu’Il S’est déclaré leur Dieu. Elle s’humilie devant Lui et Le fait souvenir de sa vérité.

V.11 Délivrez-moi de la main de mon frère Esaü car je le crains beaucoup ; de peur qu’il ne frappe la mère avec les enfants. [182]

V.12 vous avez promis de me combler de biens et de multiplier ma race comme le sable de la mer, dont la multitude est innombrable.

C’est une belle expression que de dire frapper la mère avec les enfants. Le péché frappe la mère qui est la justice acquise par la grâce ; et aussi les enfants qui sont les vertus et les bonnes œuvres. Or cette âme pressée d’angoisse se voit à la veille de perdre l’un et l’autre. Elle oublie tous les autres biens et ne songe qu’à sa propre justice qu’elle se voit tout près de perdre : elle donne librement les autres biens, c’est-à-dire qu’elle consent à la perte des goûts et des faveurs célestes. Il est juste que tout cela lui soit ravi par le péché, qui lui paraît ici inévitable ; mais la propre justice et les fruits qui sont les divines vertus, ha! c’est ce qu’elle ne peut consentir de perdre. Non, pauvre âme affligée, vous aurez plus de peur que de mal, il n’y a rien à craindre pour vous, parce que Dieu empêchera la chute dont vous êtes menacée.

V.13 Jacob passa la nuit en ce lieu-là et il sépara de tout ce qui était à lui, ce qu’il avait destiné pour être offert en présent à Esaü son frère.

V.23 [78] Après avoir fait passer tout ce qui était à lui,

V.24 Il demeura seul en ce lieu-là. Et il parut en même temps un homme qui lutta avec lui jusqu’au matin.

V.25 Et voyant qu’il ne pouvait vaincre Jacob, il lui toucha le nerf de la cuisse, qui se sécha aussitôt.

Jacob, comme j’ai dit, hasarde tous ses biens et il demeure seul. O pauvre homme, vous croyez n’avoir à combattre qu’un ennemi que vous pouvez même apaiser par vos présents : vous avez déjà échappé à la poursuite de votre beau-père [183][qui signifie la créature], vous pensez, selon votre propre sens, éluder de même les autres ennemis; mais vous ne savez pas qu’il vous faut combattre Dieu même et que c’est Lui qui vient vous attaquer. Or ce combat est le dernier et  le plus rude de tous. Soutenir un combat contre Dieu, soutenir le poids de la force de Dieu, c’est une chose que la seule expérience peut faire entendre. Il en coûte toujours en cette guerre, comme à Jacob qui y devint boiteux.

V.26 Cet homme lui dit : Laissez-Moi aller car l’aurore commence déjà à paraître. Jacob répondit : Je ne vous laisserai point aller que vous ne m’ayez béni.

V.27 Cet homme lui dit : Comment vous appelez-vous ? Il lui répondit : Je m’appelle Jacob.

V.28 L’homme ajouta : Jusqu’ici on vous a appelé Jacob, mais à l’avenir on vous appellera Israël. Car si vous avez été fort contre Dieu, combien le serez-vous davantage contre les hommes ?

Ce combat étant le dernier de tous, après l’avoir essuyé il faut changer de nom et le nom nouveau est donné, comme à Abraham et à Sara. Ceci est clair dans l’Ancien et le Nouveau Testament [79]. Mais cette âme perd ici sa propre justice et sa propre force, pour être revêtue de la force de Dieu ; aussi ce nom d’Israël qui lui fut donné signifie fort contre Dieu, comme s’il était dit : fort comme Dieu et de la force de Dieu même. Pour cette raison tous les enfants de Jacob et son peuple, qui doit être le peuple spirituel de Dieu, doit être appelé le peuple d’Israël, revêtu de la force de Dieu même; aussi est-il dit à ce peuple dans l’Exode [80] : Le Seigneur combattra pour vous et vous demeurerez dans le [184] silence ; ce qui veut dire qu’Il combat Lui-même en eux et qu’ils n’ont qu’à se tenir en repos. Et au livre des Rois [81] : vous venez contre Moi avec l’épée, la lance et le bouclier, mais Moi Je viens à vous au nom du Seigneur des armées. Cette âme donc, revêtue de la force de Dieu, ne craint plus ni les hommes ni les démons, car après avoir soutenu le combat de Dieu même, qu’y a-t-il plus à craindre ?

V.31 Aussitôt que Jacob eût passé ce lieu, qu’il avait nommé Phanuel, il vit le soleil qui se levait, mais il demeura boiteux d’une jambe.

Après ces terribles combats le soleil se lève : la créature étant encore plus détruite et recoulée, fondue et anéantie qu’elle n’était auparavant, elle comprend plus véritablement ce que c’est que Dieu, vrai soleil de tous les êtres, lors même qu’elle Le peut encore moins comprendre, l’excès de son absorbement en Lui le lui rendant encore plus incompréhensible, quoiqu’elle Le connaisse mieux qu’elle ne fit jamais.

Ces personnes assez heureuses pour avoir soutenu avec fidélité le combat divin, peuvent paraître aux yeux des créatures encore plus faibles qu’on ne les croyait auparavant ; mais dans la vérité, elles ne furent jamais plus fortes puisque, par la perte de leur propre force, elles sont entrées dans la force de Dieu, ainsi que Jacob, quoique devenu boiteux, porte le nom et remplit le sens d’Israël, fort contre Dieu.

Chapitre XXXIII

V.10 Jacob dit à son frère Esaü : J’ai vu aujourd’hui votre visage comme si j’eusse vu le [185] visage de Dieu. Soyez-moi donc favorable.

V.11 Recevez ce présent que je vous ai offert et que j’ai reçu de Dieu qui donne toutes choses.

Lorsque le nom nouveau a été donné et que l’âme est bien avancée, elle voit toutes choses en Dieu et Dieu en toutes choses.  Le péché, qui auparavant  lui donnait tant d’effroi, ne lui en donne plus ; tout l’enfer même ne pourrait l’épouvanter parce qu’elle ne peut plus rien voir distinct de Dieu même, où il n’y a point de coulpe, mais la parfaite sainteté.  [...] [82].



 

I Rois [I Samuel]

Chapitre I

V.4. Un jour Elcana [83] ayant offert son sacrifice, il donna à Phenenna, sa femme, et à tous ses fils et à toutes ses filles leur part de l’hostie.

V.5. Et il n’en donna qu’une à Anne ; et il la lui donna étant triste, parce qu’il l’aimait : mais le Seigneur l’avait rendu stérile.

[...][Tome IV, 4] Quoiqu’il soit dit ici qu’Anne fût stérile, ce n’était point qu’elle dut être pour toujours inféconde ; mais c’est que Dieu nous donnait Lui-même par elle la figure des âmes qu’Il rend fécondes en Lui. Il les prépare par une longue stérilité et par une forte épreuve, à lui enfanter des prédestinés : car quoique Jésus-Christ les ait tous enfantés sur la croix, Il donne à tous des pères en Jésus-Christ qu’Il associe à Sa paternité, du moins à ceux qu’Il destine à l’intérieur ; et c’est une extension de la fécondité de Jésus-Christ, de même qu’Il étend sur eux Sa passion : c’est aussi ce qui s’achève en nous, comme parle saint Paul [84] de ce qui manque à la passion de Jésus-Christ, qui n’est autre que cette extension. [...]

V.15. Anne lui dit : pardonnez-moi, mon Seigneur, je suis une femme comblée d’afflictions : je n’ai bu ni vin ni rien qui puisse enivrer, mais j’ai répandu mon âme en la présence du Seigneur.

[...] Ce doit être là l’effet des afflictions, des épreuves, des tentations, de la stérilité spirituelle, que de répandre [10] notre âme en la présence du Seigneur. Celui qui répand quelque vase, ne fait que l’incliner vers la terre, et sans autre effort il se répand de soi-même ; il en est tout de même de celui qui répand son âme en la présence du Seigneur : en ne faisant autre chose que de s’incliner doucement vers Lui, l’âme suivant la pente naturelle et foncière qu’elle a de s’unir à son centre, s’écoule insensiblement vers lui comme une eau pure et nette. C’est comme si elle disait : c’est l’excès de ma douleur qui m’invite à prier, mais je ne suis pas plutôt devant Dieu, que, perdant tout autre idée je ne puis faire autre chose que de suivre le penchant qu’Il a mis Lui-même en moi, de me perdre et de m’écouler en Lui. Et de même qu’un vase plein d’eau se vide sans qu’il en reste rien, je veux me vider entièrement moi-même et me perdre en Dieu : c’est mon unique prétention ; je ne désire que cela, et c’est de cette manière que je prie. Ma prière est mon penchant, mon penchant est ma prière ; et l’un et l’autre est produit par mon amour et ma douleur. [...]

Chapitre II [85].

V.8. Il tire le pauvre de la poussière, et l’indigent du fumier, pour le faire asseoir entre les princes…

Ces paroles expriment admirablement comment Dieu ne Se contente pas de réduire l’homme qu’Il veut faire passer en Lui dans la plus extrême indigence ; Il le détruit de plus et le réduit dans la poussière, dont il a été tiré, suivant ces paroles de l’Ecriture : tu es poudre, tu retourneras en poudre [86]. Anne, pour nous faire comprendre l’excès du néant, dit que Dieu retire l’indigent du fumier pour le faire asseoir avec les princes. De même que Dieu n’appauvrit qu’après [27] qu’Il a comblé de biens, aussi Il ne tire de la pauvreté que lorsqu’elle est au comble de l’indigence de la poussière, mais une poussière d’ordure, exprimée par le fumier. L’excès des biens désigne celui des maux, et l’on peut appeler de la sorte ce qu’une âme parfaitement morte souffre sans peine et sans résistance. Lorsque le fumier nous a servi de trône, comme à Job, Dieu nous en donne un de gloire. [...]

Chapitre III

V.8. Le Seigneur appela donc encore Samuel pour la troisième fois, et Samuel se levant s’en alla à Héli.

[43] Notre Seigneur semble appeler de ce triple appel tous ceux à qui Il donne une vocation singulière pour l’apostolat. [...] Lorsque Jésus-Christ chargea saint Pierre de la conduite de Son Eglise, ne lui fit-Il pas ce triple appel ? Et comme cette Eglise devait être fondée sur l’amour, animée d’amour, et consommée dans l’amour, Jésus-Christ lui demande par trois fois [87] : Pierre, M’aimes-tu ? comme pour lui dire : la mesure de ta vocation pour conduire Mon troupeau est la mesure de l’amour que tu Me portes : l’amour le plus épuré envers Moi est le signe de la plus parfaite vocation pour aider aux autres. Pierre, M’aimes-tu ? Pais Mes agneaux : c’est un premier amour, qui est un amour de reconnaissance ; c’est ce qui fait que l’on se charge des fatigues de l’Apostolat pour l’amour de [44] Dieu. Pierre, M’aimes-tu ? Seconde vocation, produite par l’amour de confiance, qui fait que l’on espère de trouver en Dieu ce qui nous manque pour un tel emploi. De là il est encore dit : Pais Mes agneaux. Pierre, M’aimes-tu ? Troisième appel par rapport au troisième amour, qui est un amour d’abandon, amour gratuit, amour pur, qui fait que, s’étant livré tout à son Dieu, l’on est prêt de donner sa vie, son honneur, son âme, et le reste pour Son troupeau. A cet amour il est répondu : Pais Mes brebis ; ce qui marque non seulement une vocation pour être pasteur des personnes, mais de plus une grâce de communication qui fait qu’étant appelé, l’on a comme un degré hiérarchique, qui fait que l’on communique même la grâce et la fécondité à d’autres âmes, qui sont elles-mêmes arrivées à l’Apostolat, et en état d’aider les autres [88]. Ce triple appel marque donc une vocation extraordinaire, et une grâce surabondante. Saint Jean exprime d’une autre sorte dans ses Epîtres cette grâce, dont il était possédé, lorsqu’il dit [89] : je parle à vous, jeunes gens, parlant des âmes communes qui composent le troupeau ; parce, dit-il, vos péchés vous sont pardonnés, et qu’étant en état de grâce vous êtes des membres vivants du troupeau de Jésus-Christ. [...]

Chapitre X

V.6. L’Esprit du Seigneur Se saisira de vous : vous prophétiserez avec le prophète, et vous serez changés en un autre homme.

[88] Lorsque Dieu choisit un homme pour le faire pasteur, Il le change véritablement en un autre homme ; et il éprouve que, quoiqu’il soit faible et ignorant pour soi-même, quand il s’agit d’aider aux autres, il se trouve une force divine, et qu’il est entièrement changé. Saint Paul ne remarque-t-il pas que les peuples auxquels il écrivait, disaient de lui [90] : c’est un petit homme, qui n’a pas d’extérieur ; et cependant dans ses lettres il y paraît une force et une autorité extraordinaires. Dieu leur donne aussi quelque connaissance de l’avenir, qui est comme une espèce de don de prophétie, ce qui attire la créance de tout le monde. Mais ce don n’est que passager.

V.7. Lors donc que tous ces signes vous seront arrivés [89], faites tout ce qui se présentera à faire, parce que le Seigneur est avec vous.

Lorsque l’Esprit de Dieu s’empare d’une personne, elle doit faire avec une grande fidélité tout ce qui se présente le premier à elle, parce que Dieu, devenant son principe, le devient de ses premiers mouvements. Ce passage est d’une merveilleuse beauté : c’est ce qui nous possède le plus qui est la source de nos premiers mouvements ; c’est pourquoi lorsque l’on veut juger des inclinations d’une personne, il en faut juger par les premiers mouvements de son cœur, qui déclarent souvent malgré elle ce qu’elle passionne [91]. [...]

Chapitre XII

V.20. Samuel répondit au peuple : ne craignez pas. Il est vrai que vous avez fait tout ce mal ; mais néanmoins ne quittez pas le Seigneur, et servez-Le de tout votre cœur.

Il y a pas de si grand mal qui n’ait son remède : le plus assuré de tous est de ne pas quitter Dieu, en se séparant de Lui par un péché volontaire. Il y a des personnes qui, après avoir quitté la conduite de Dieu, après s’être retirées de l’abandon à Sa divine Providence, sentant l’étrange différence qu’il y a entre la conduite de Dieu et celle de l’homme, ne peuvent presque supporter les troubles et les agitations que celle-ci cause [123] : elles entrent dans des désespoirs étranges, ne pouvant retrouver leur place, et se trouvant en tout lieu comme une personne dont les os sont déboités ; ou bien elles se jettent dans le libertinage. Quelque faute que l’on ait faite, pourvu que l’on demeure attaché à Dieu et que l’on s’abandonne de nouveau à Lui, il n’y a rien à craindre, et l’on y remédie aisément. [...]

Chapitre XV

V.9. Mais Saül avec le peuple épargna Agag [92], et réserva ce qu’il y avait de meilleur dans les troupeaux de brebis et de boeufs, dans les béliers, dans les meubles et les habits, et généralement tout ce qui était le plus beau ; et ils ne le voulurent pas détruire ; mais ils détruisirent tout ce qui était vil et méprisable.

[...] Les divines vertus sortent donc toutes pures de Dieu : mais reçues dans cette âme propriétaire, peu à peu elles se corrompent plus ou moins, selon la force de la propriété ; et enfin se mêlent si fort avec la propriété, [158] qu’elles se changent en elle-même. Cette eau claire se change enfin en boue, quoiqu’elle soit d’elle-même toute pure.

Le dessein de Dieu n’est donc pas de dépouiller l’âme des vertus comme vertus, mais parce qu’elles se sont mêlées, changées et identifiées avec la propriété, Dieu voulant ôter à l’âme cette propriété, il faut nécessairement qu’Il lui ôte en même temps usage de toutes les divines vertus, sans qu’il en reste qu’une seule. Car s’il en restait pour peu que ce fût, et quelque nécessaire qu’elle parût [être], il resterait une source de propriété, un levain de corruption, qui gâterait incessamment et jusqu’à l’infini toutes les vertus que Dieu y mettrait. C’est pourquoi les âmes qui ne s’en laissent pas dépouiller absolument, et qui veulent toujours agir sur quelque prétexte que ce puisse être, ne peuvent jamais arriver à l’entière pureté et transformation qui est requise : parce que cette propriété, qui paraît si légère et imperceptible, est suffisante jusqu’à l’infini pour corrompre tout ce que Dieu y mettrait ; et c’est ce qui fait la nécessité du purgatoire, et pourquoi des âmes d’ailleurs si saintes y demeurent si longtemps. Car si une âme pouvait aller au ciel avec la moindre propriété, elle corromprait pour ainsi parler, tout le paradis : d’où il faut remarquer qu’il y a [nécessairement] un purgatoire pour la propriété, comme il y a un enfer pour le péché. [...]

Chapitre XVI

V.1. Et le Seigneur dit à Samuel : jusqu’à quand pleurerez-vous Saül, parce que Je l’ai rejeté, et que Je ne veux plus qu’il règne sur Israël ? Emplissez d’huile la corne que vous avez, et venez, afin que Je vous envoie à Isaï Bethléemite ; car Je Me suis choisi un roi entre ses enfants.

[...][173] Et c’est là la différence des personnes qui aident les autres sans être dans la vie apostolique par état, et de celles qui y sont, que l’amour de ceux-là pour le prochain regarde le même prochain : ils ont une tendresse de compassion pour lui, ils ont de la douleur de sa perte ; et tout cela, pris du côté du pécheur, est une bonne chose. Mais ce n’est pas pourtant la perfection de la charité qui n’a que Dieu seul pour objet et pour fin. L’âme dans l’état apostolique, donnerait mille fois et âme et vie pour ses frères sans regarder ses frères autrement que dans la volonté de Dieu, qui la dispose de la sorte ; mais quoiqu’elle soit de cette manière, elle n’a cependant nul trouble ni inquiétude de leur perte. C’est un état qu’il faut expérimenter pour le comprendre.

Une âme ne refuse jamais une grâce qu’elle ne soit donnée à un autre. Il ne se perd jamais la moindre chose de tout ce qui sort de Dieu pour être distribué aux hommes. Dieu transfère souvent la grâce de la foi d’un royaume à l’autre et tout se trouve en Lui : ce qui n’empêche pas que ces âmes ne soient punies de leur refus, ne tenant pas à elles que cette grâce ne soit perdue. [...]

 

Chapitre XVII

V.40. Il prit son bâton, qu’il tenait toujours à la main ; il choisit dans le torrent cinq pierres polies, et les mit dans sa panetière qu’il avait sur lui ; et tenant à la main sa fronde il marcha contre le Philistin.

[186] Le bâton que David portait toujours en ses mains, est une belle figure de l’abandon à Dieu. David en fit en cette occasion un renouvellement, sa foi devint plus pure, et sa confiance s’augmenta, mais confiance qui ne regardait que le seul intérêt de Dieu, étant très content de périr en cette occasion, pourvu que Dieu en tirât de la gloire, et que son ennemi fût détruit. L’abandon fut donc le seul soutien de David : il n’en voulut prendre en nulle chose créée. Il choisit cinq pierres très claires du torrent [...] parce qu’elles se trouvent dans le torrent de l’abandon, et dans la pureté et nudité de la foi : car sitôt qu’une âme, désespérant de toute force propre, s’abandonne à Dieu, elle est par cet abandon revêtue de la force de Dieu en Jésus-Christ, du salut de Dieu par Jésus-Christ. [...]

Chapitre XXX.

V.26. David, étant arrivé à Sicéleg [93], envoya du butin qu’il avait pris aux Anciens de Juda, qui étaient ses proches, en leur faisant dire : Recevez cette bénédiction des dépouilles des ennemis du Seigneur.

[302] Ce passage fait voir la fidélité de David pour ne rien retenir de ce que Dieu lui donne. Il en fait part à toutes les personnes de Juda, qui sont les âmes intérieures et abandonnées, qui attendent tout de Jésus-Christ, qui doit être leur force et leur appui [...] Et c’est en cet état que l’âme ne retenant rien pour elle-même distribue tout sans se rien réserver. Ceux qui ne sont pas accoutumés à un état si nu, s’étonnent de ce que ces grandes âmes parlent aussi librement des choses de Dieu. Ils les accusent même souvent de vanité. Et ce n’est rien moins que cela : c’est un effet de leur [303] désappropriation. Elles sont comme un canal pur et net, qui ne reçoit les eaux que pour les distribuer, assurées qu’elles sont que ces eaux sont d’autant plus pures, qu’elles s’écoulent davantage ; et que si elles croupissent, c’est parce qu’elles se sont arrêtées, et qu’elles ont séjourné dans les tuyaux, ce qui ne peut arriver lorsque les tuyaux n’ont nulle concavité, et qu’ils sont tellement unis et en pente, qu’ils ne peuvent rien retenir. Il faut qu’ils soient unis par une entière désappropriation, qui ne forme aucun arrêt ; il faut qu’ils soient en pente de chute, ce qui exprime bien l’anéantissement. C’était l’état de David lorsqu’il distribuait ainsi ces dépouilles, c’est aussi la figure de Jésus-Christ, qui dans le désert distribue le pain après l’avoir multiplié. Ceci représente parfaitement bien la distribution de la parole de grâce : c’est pourquoi David appelle ce qu’il distribue, la bénédiction du Seigneur. […]

 


II Rois [II Samuel]

Chapitre II

V.4. Alors ceux de la tribu de Juda étant venus à Hebron, y sacrèrent David, afin qu’il régnât sur la maison de Juda.

[Tome V, 328] La suite de l’histoire de David jusqu’à la possession de son royaume est une belle figure des traverses par lesquelles il faut passer avant que d’arriver à la nouvelle vie ; et que l’état d’une mort réelle et profonde n’est pas sitôt passé que l’on s’imagine. [...][329] Ils sacrent eux-mêmes David, pour faire voir qu’encore bien que le règne de Dieu en nous soit de la destination divine, il faut pourtant que ce règne soit volontaire, et que nous le choisissions nous-mêmes pour notre Roi, nous assujettissant de notre plein gré sous Son doux empire.

V.10. Isboseth, fils de Saül, avait quarante ans lorsqu’il commença à régner sur Israël ; et il régna deux ans. Il n’y avait alors que la seule maison de Juda qui suivît David.

[330] Si la modération de David a été grande dans la perte de son ennemi à l’entrée de son règne, elle ne l’est pas moins dans sa possession. [...][331] Cette suprême indifférence, et cette fermeté à ne se démentir en quoi que ce soit, condamne bien le procédé de certaines personnes spirituelles, qui, lorsqu’elles ont connu que Dieu veut faire quelque chose d’elles, font des tentatives, et veulent toujours directement ou indirectement les faire réussir, n’attendant jamais en patience ni en perte que Dieu exécute Lui-même Ses volontés. Il faut que l’heure vienne. Jésus-Christ nous a bien enseigné cela, lorsqu’Il disait : mon heure n’est pas encore venue. Il faut donc attendre cette heure. D’autres commettent un autre défaut, qui est, que lorsque Dieu a commencé de les mettre en possession de ce qu’Il leur a promis, ils veulent eux-mêmes achever d’étendre cette possession jusqu’aux limites que Dieu leur a marquées.

Les uns et des autres se méprennent, parce que Dieu ne leur fait pas connaître les choses pour les porter à les exécuter, mais afin qu’ils les laissent en Lui, Lui abandonnant le soin de tout faire et de tout exécuter. [...]

Chapitre VI

V.6. Mais Oza porta la main à l’Arche de Dieu et la retint; parce que les boeufs regimbaient et l’avaient fait pencher.

V.7. En même temps la colère de Dieu s’alluma contre Oza et Il le frappa à cause de sa témérité. Et Oza tomba mort au même lieu devant l’Arche du Seigneur.

[355] O Dieu, que vous êtes jaloux ! Et où ne s’étend pas Votre jalousie ? Jusqu’aux choses les plus innocentes. Il y a deux choses principales dont Dieu est infiniment jaloux : l’une de Son opération, et l’autre, Sa sainteté. Lorsqu’une âme est assez favorisée de Dieu pour qu’Il veuille bien être le principe de ses opérations, elle ne peut vouloir agir par soi-même qu’elle ne blesse Sa jalousie. Il l’est encore plus de Sa sainteté, de sorte que, lorsqu’Il veut sanctifier une âme en Lui de Sa propre sainteté, ô, toute propre justice Lui est en horreur. La mort d’Oza est moins un châtiment personnel qu’un exemple pour nous. On ne saurait étendre sa main sur la sainteté de Dieu pour se l’approprier comme son bien, que l’on ne se rende coupable envers Dieu, et qu’on ne réveille Sa jalousie. C’est la raison pour laquelle Dieu détruit la créature par tant de renversements étranges, et qu’Il ne vient pas en elle qu’elle ne soit dépouillée de toute sainteté propre, afin que la seule sainteté de Dieu règne et subsiste en elle. [...]

V.21. David répondit à Michol : Oui, devant le Seigneur, qui m’a choisi plutôt que votre père et que toute sa maison, et qui m’a commandé d’être chef de son peuple dans Israël ;

V.22. Je danserai, et je paraîtrai vil encore plus que je n’ai paru : je serai méprisable à mes yeux, et je paraîtrai plus glorieux devant les servantes mêmes dont vous parlez.

[...][361] Si je pouvais (voulait encore dire mon saint Roi) achever de me détruire tout à fait pour glorifier mon Dieu, ô que je le ferais avec plaisir ! La parfaite pauvreté d’esprit fait que l’âme se trouvant vide de tous biens, ne peut s’attribuer autre chose que la misère. C’est par cette pauvreté que l’âme apprend à se connaître elle-même : jusqu’alors, plus elle s’humiliait en apparence, moins elle se connaissait, car cette humilité connue était un bien qui lui cachait absolument son néant et le vide de tout bien qui est en elle. Ceux qui croient que cette voie donne de la vanité, à cause de la sainte liberté qu’elle procure, se trompent fort, parce qu’il est certain que l’âme ne voyant en soi aucun bien, ne s’en attribue aucun. Le dépouillement de tout la rend libre et légère : rien ne donne une si grande légèreté à un voyageur, que de se tenir déchargé d’un poids sous lequel il gémissait. La parfaite liberté vient de l’entière pauvreté, plus encore la spirituelle que la temporelle : car celui qui n’ayant rien désire quelque chose, est chargé de sa propre pauvreté. [...]

Chapitre VII.

V.1. Le roi étant établi dans sa maison, et le Seigneur lui ayant donné la paix de tout côtés avec tous ses ennemis ;

V.2. Il dit au prophète Nathan : Ne voyez-vous pas que je demeure dans une maison de cèdre, et que l’Arche de Dieu n’a pour couverture que des peaux de bêtes ?

V.3. Nathan lui dit : Allez, faites tout ce que vous avez dans l’esprit; parce que le Seigneur est avec vous.

[...][366] Saint Paul nous recommande de ne pas éteindre l’Esprit [94] : ce qui ne s’entend pas seulement par la perte de la grâce, mais aussi en n’étant pas fidèle à suivre Sa motion.

On dira sur ce que j’avance : comment connaître ce mouvement ? Et ne puis-je pas prendre ce mouvement pour un mouvement naturel, ou me laisser surprendre par la nature, croyant suivre la grâce ? Il est aisé de répondre à cela. Premièrement, le mouvement de Dieu étant toujours à détruire la nature corrompue, au renoncement de soi-même, à détruire l’amour-propre et la vie d’Adam. Il commence par les choses les plus grossières, puis par les plus délicates et spirituelles : ce qui n’était au commencement qu’un mouvement léger, devient un feu dévorant pour consumer les impuretés, car plus les impuretés deviennent spirituelles et délicates, plus deviennent-elles difficiles à détruire; Mais ces impuretés ne peuvent être détruites qu’en suivant le mouvement de l’Esprit [367] de Dieu, qui conduit l’âme peu à peu jusque devant la face du Seigneur.

Les mouvements du Seigneur ont encore cela de propre qu’ils ne laissent pas ignorer que c’est Dieu, surtout si l’on est prompt à les suivre. J’avoue que dans la suite l’on ignore que ce soit Dieu, on l’ignore même en hésitant à Le suivre : l’hésitation ôte la certitude, mais par un défaut. Lorsque l’inspiration ou le mouvement est exécuté, toute certitude en est ôtée ; et cela est nécessaire pour faire marcher l’âme par une foi aveugle et un abandon entier entre les mains de Dieu, de sorte que, quoiqu’on marche très sûrement par cette voie, l’on ignore sa sûreté ; et cette ignorance devenant toujours plus profonde, cela fait qu’on marche toujours en foi et en abandon, et non en certitude. On peut bien avoir la certitude pour les autres, et jamais pour soi, quoiqu’il soit vrai, comme j’ai dit, que Dieu ne laisse jamais ignorer lorsqu’Il demande, dans le temps seulement qu’Il demande. [...]

V.8. Maintenant donc vous direz ceci à Mon serviteur David : voici ce que dit le Seigneur des armées : Je vous ai tiré des pâturages lorsque vous suiviez les troupeaux, afin que vous fussiez le chef de Mon peuple d’Israël.

[370] Le soin que Dieu prend de faire ressouvenir David du lieu d’où Il l’a tiré pour le faire régner, afin qu’il ne s’attribue aucune des grâces que Dieu lui fait et qu’il ne s’en rende pas propriétaire, nous est d’une grande instruction, pour nous faire comprendre, qu’Il ne regarde ni les talents, ni la qualité, ni aucun autre avantage, dans le choix qu’Il fait des hommes apostoliques, faisant un berger roi et un pêcheur la pierre fondamentale de Son Eglise, Dieu Se servant ordinairement des sujets les plus faibles, afin que la gloire de toutes choses Lui soit attribuée. C’est bien l’effet de Votre jalousie, ô mon Dieu, qui s’étend sur toutes choses sans exception ; et lorsque Vous voulez une âme pour Vous-même, Vous la cachez aux yeux de tous les hommes, Vous la cachez à elle-même aussi, et Vous voulez qu’elle s’ignore si fort qu’elle ne Vous dérobe rien de ce qui n’est en elle que pour Vous.

[371] Mais jusqu’où ne s’étend pas Votre jalousie ? Il semble que Vous soyez jaloux de Vous-même en cette âme, du moins l’êtes-Vous si fort de Vos dons que vous la dépouillez de tout. C’est alors qu’elle Vous peut bien dire : “Vous m’avez dépouillée de ma gloire et de ma beauté.” Mais, ô âme assez fortunée pour exciter la jalousie d’un Dieu, ne devez-vous pas vous réjouir de ce qu’Il ne vous ôte votre gloire que pour Se glorifier Lui-même ? Il ne vous ôte votre beauté que pour devenir Lui-même votre beauté : mais c’est ce qu’elle ne connaît pas alors. Celui qui possède sa propre gloire, la peut perdre ; mais celui dont la gloire est toute en Dieu, ne la peut jamais perdre. Dieu est jaloux de Sa gloire et de Sa beauté en nous, de sorte que plutôt que de souffrir [qu’elles n’y fussent pas pures,] Il armerait le ciel et la terre. Véritablement Vous êtes bien un Dieu jaloux. [...]

V.13. Ce sera Lui qui bâtira une maison à Mon Nom ; et j’établirai pour jamais le trône de son royaume.

[...] La première [Eglise] est celle des combattants, où l’âme est toute employée dans le combat et dans l’action. [376] De là elle passe dans l’état souffrant ou passif, où elle ne combat plus, mais elle souffre sans se mouvoir autrement que par une correspondance toute libre et un acquiescement tout volontaire les opérations crucifiantes et gratifiantes d’un Dieu, tant pour l’extérieur que pour l’intérieur. C’est alors que les croix extérieures sont très grandes et très continuelles, étant unies au feu dévorant de la divine Justice, qui consomme et purifie par la véhémence de son ardeur la rouille de la propriété de la créature. Cet état est fort détruisant, et bien plus douloureux à porter que nul autre, l’homme ne pouvant jamais parvenir par tous ses soins à se causer une douleur pareille à celles que Dieu lui fait souffrir, soit extérieurement par des croix choisies d’une main puissante et habile, soit intérieurement par l’opération dévorante du dedans, ce que Dieu opère Lui-même dans les âmes étant bien d’une autre sorte [que ce que l’on souffre d’ailleurs.] Cet état de purgatoire passif est semblable à celui des âmes du purgatoire en l’autre vie, où l’âme demeure tellement unie à la volonté de Dieu, qu’elle ne peut ne vouloir pas tout ce qui se passe en elle, quelque détruisant qu’il soit : elle ne peut regarder ce qui se passe en elle ni ce qu’elle souffre tant qu’elle demeure absorbée dans la volonté de Dieu. Elle ne peut réfléchir sans une très grande infidélité ; elle souffre donc nullement tout ce que Dieu opère en elle par la rigueur de Sa Justice et par la douceur de Son amour, ces âmes étant dans un contentement achevé au milieu des plus étranges peines. On peut voir ce que sainte Catherine de Gênes en [377] a écrit [95] ; rien n’exprime mieux l’état purifiant dont je parle.

De cette Eglise souffrante, l’âme passe immédiatement dans la triomphante, qui est Dieu même, où tout triomphe pour celle qui n’a plus d’autre triomphe que celui de Dieu. [...]

V.18. Alors  le roi David alla s’asseoir devant le Seigneur et dit : Qui suis-je, ô Seigneur mon Dieu, et quelle est ma maison, pour m’avoir fait venir jusqu’au point où je me trouve aujourd’hui ?

[382] Ces paroles marquent assez l’étonnement de David dans la vue de son extrême misère et de sa bassesse [...][383] et comme l’union hypostatique [96] se fit à la nature de l’homme la plus dénuée de subsistance qu’il y ait jamais eu et qui sera jamais ; aussi faut-il, afin que Dieu s’unisse essentiellement l’âme, qu’elle soit dénuée de tout soutien et de tout appui. Ceci est très clair à qui la lumière de foi en est donné. O que ce mystère n’est-il compris de tout le monde ! [...]

V.26. Afin que Votre Nom soit glorifié éternellement, et que l’on dise : Le Seigneur des armées est le Dieu d’Israël, et la maison de Votre serviteur David sera établie devant le Seigneur.

Je ne vous demande ces choses, ô mon Dieu, [390] qu’afin que Votre Nom soit glorifié éternellement ; et que l’on puisse dire que ce Dieu des armées, si redoutable à Ses ennemis, si terrible pour ceux dont la volonté n’est pas unie à la Sienne, est un Dieu plein de douceur et de bonté pour les âmes intérieures, abandonnées sans réserve à Ses divines volontés. C’est alors que la maison de Jésus-Christ, (figurée par celle de David,) demeure stable, Jésus-Christ étant produit en elles d’une manière durable, et qui n’est plus sujette aux vicissitudes des commençants.

Il est nécessaire, ce me semble, d’expliquer ici que, lorsque l’on parle d’un état confirmé, permanent et durable, l’on n’entend pas parler d’un état d’impeccabilité : ce qui n’est pas pour cette vie, sans une grâce très extraordinaire. Jésus-Christ fut impeccable par nature, Marie par une grâce de prévention, et d’autres saints par une grâce de sanctification. Les apôtres furent confirmés en grâce : cela pourrait être encore en quelques âmes ; mais nul ne doit présumer d’avoir cette grâce, qui est absolument ignorée de celui qui la possède ; en sorte qu’à quelque degré qu’il soit élevé [97], il ignore toujours s’il est digne d’amour ou de haine.

Ce qu’on veut donc dire par un état stable et confirmé, est un affermissement intérieur dans la volonté de Dieu, causé par une longue habitude de conformité et de perte de volonté en celle de Dieu avec une profonde mort à soi-même, qui rend l’âme exempte des vicissitudes continuelles qu’elle éprouvait dans les commencements, qui lui faisaient trouver dans son propre cœur des résistances continuelles contre les désirs plus ardents de ce même cœur : elle [391] portait une guerre intestine, qui était [tantôt] apaisée par les sentiments, une grâce savoureuse qui mettait l’âme dans une profonde paix, [tantôt] réveillée par les sentiments naturels, qui la troublaient avec d’autant plus de force que sa paix avait été plus profonde. L’âme accoutumée à ne plus agir par les sentiments, et persuadée qu’elle doit sacrifier sans cesse sa volonté propre à la volonté suprême de son Dieu, s’en fait une telle habitude, que cette volonté [propre] tant de fois repoussée, n’ose plus paraître ; et ne trouvant plus d’aliment, par la privation de tout exercice, expire heureusement dans la volonté de son Dieu. C’est ce qu’on appelle perte de volonté, qui est plus un gain qu’une perte : comme le fleuve perdu dans la mer demeure toujours, et passant dans un état plus parfait prend les mouvements et les qualités de la mer. C’est alors que la demeure de Dieu est stable dans l’âme, puisque Dieu demeure en l’âme par Sa volonté, selon ce qu’Il en dit en saint Jean [98] : “Si quelqu’un M’aime, il fera Ma volonté, Nous reviendrons à lui, et Nous ferons notre demeure en lui”. Dieu vient premièrement à l’âme ; puis Il habite en elle par la foi et par l’amour, selon la doctrine de saint Paul [99], et la promesse qu’Il fait à l’âme par Son Prophète [100] d’épouser l’âme en foi, de l’épouser éternellement. Ce qui est seulement fiançailles, se peut rompre ; mais le mariage est rendu indissoluble, selon la loi même de Jésus-Christ.

V.27. Vous avez révélé à Votre serviteur, ô Seigneur des armées, ô Dieu d’Israël, que Vous lui vouliez établir sa maison. C’est pour cela que Votre [392] serviteur a trouvé son cœur pour Vous prier par cette oraison.

David est admirable : rien n’est plus clair que la manière dont il s’exprime pour faire connaître qu’il a prétendu parler de l’intérieur dans ce qu’il a dit jusqu’ici. O Dieu des armées, dit-il, qui combattez Vous-même pour les âmes qui Vous sont abandonnées, Vous m’avez révélé ce secret ; Vous avez dit à l’oreille de mon cœur, que Vous me vouliez établir une maison. J’ai bien compris que cela s’entendait de mon intérieur où Vous êtes Vous-même la maison, et où je serai la Vôtre : c’est pourquoi sitôt que Vous m’avez eu révélé ce secret, je suis rentré en moi-même, je suis retourné dans mon cœur, qui est le lieu où Vous habitez : alors j’ai trouvé dans ce même cœur un lieu pour Vous prier. Mais de quelle manière ? C’est que mon cœur était en même temps et la prière et le lieu de la prière : cette oraison se trouva toute faite dans mon cœur sans que j’eusse besoin d’autre chose. [...]

Chapitre XV.

V.25. Alors le roi dit à Sadoc [101] : Reportez à la ville l’Arche de Dieu. Si je trouve grâce devant le Seigneur, Il me ramènera ; et me fera revoir Son Arche et Son Tabernacle.

V.26. Que s’Il me dit : vous n’agréez pas ; je suis tout prêt : qu’Il fasse de moi ce qu’il Lui plaira.

La mort et le détachement de David sont si admirables, que l’on ne les saurait trop considérer. C’est trop pour David affligé et anéanti [452] d’avoir un prêtre et un soutien : il faut qu’il en soit privé, afin qu’il soit livré à une douleur sans mélange de consolation. Le dépouillement du directeur serait peu de chose si l’Arche de Dieu restait. Non, non, David, il faut que vous soyez dépouillé de Dieu même, (en ce qu’il y a de consolant et d’aperçu ; car [au reste] Il ne fut jamais plus avec vous.) O que ceci est étrange ! Et où se trouvera-t-il quelqu’un qui, loin de le souffrir, puisse le comprendre ? Cependant c’est une vérité. Il faut perdre tout vestige de Dieu ; et c’est l’état le plus terrible de tous les passages. Perdre les grâces et les dons, le royaume, la vie, tout cela n’est rien : mais perdre son Dieu, ô, cela est impossible ! L’on irait plutôt en enfer avec Dieu qu’en paradis sans Lui. Il faut pourtant perdre Sa douce présence. Il faut Le perdre Lui-même, à ce qu’il paraît à l’âme.

Cette perte est celle d’un soutien presque imperceptible, qui la fortifiait dans un si étrange passage. Quand il reste une assurance cachée que Dieu ne S’est pas entièrement retiré du fond, on voit bien encore la séparation du fond d’avec les sentiments, et que la volonté n’a aucune part à ce que les sens éprouvent. Mais, ô soutien si juste, et si raisonnable qu’il semble que ce serait une injustice de ne te pas avoir, il faut pourtant te perdre ; car quelque subtil et délicat que soit cet appui, c’est pourtant un appui, qui empêchant l’âme de défaillir à elle-même et de mourir, l’empêche par conséquent de se perdre en Dieu. Il faut perdre Dieu pour Dieu même, Dieu en nous et pour nous, pour Dieu en Lui et pour Lui. Comment cette perte s’opère-t-elle ? Un nuage affreux offusque tellement l’esprit de ces pauvres âmes, qu’elles croient vouloir [453] tout ce qu’elles souffrent avec une extrême douleur. Dieu ne leur paraît plus du tout favorable : au contraire. [...]

 

III Rois [I Rois]

Chapitre XIV

V.15. Et le Seigneur frappera Israël et le rendra comme le roseau qui est agité dans les eaux ; et Il arrachera Israël de cette terre si excellente qu’Il a donnée à leurs pères, et Il les dispersera au-delà du fleuve ; parce qu’ils se sont fait des bocages pour irriter le Seigneur.

La manière dont Dieu frappe les âmes qui se retirent de l’abandon est très bien expliquée en ce passage. Elles croient s’assurer du royaume comme Jéroboam, en devenant infidèles. Elles croient que le vrai moyen d’assurer leur salut est de se gouverner selon leur lumière, ou selon la raison ou la conduite humaine ; et c’est tout le contraire : car lorsque l’âme demeure abandonnée, elle est comme un rocher au milieu des vagues de la mer, qui reçoit bien contre ses flancs les ondes furieuses et bruyantes, qui en est même choqué et battu, mais sans être ni sensible, ni ébranlé, demeurant toujours ferme et immobile ; au lieu que sitôt qu’elle se retire de l’abandon, elle est comme le roseau abattu et agité en l’eau, tantôt abattu, tantôt relevé ; et lorsque les vagues sont plus fortes, il est brisé. [...]

Chapitre XVII

V.18. Elle dit donc à Elie: Qu’y a-t-il entre vous et moi, homme de Dieu ? Êtes-vous venu chez moi pour faire mourir mon fils ?

V.22. Et Dieu exauça la voix d’Elie, et l’âme de l’enfant revint en son corps.

V.24. Et la femme dit à Élie : Je reconnais maintenant par ce que vous venez de faire que vous êtes un homme de Dieu, et que la parole du Seigneur est véritablement en votre bouche.

Tous les miracles qu’Elie fait ne sont que pour conserver la vie et pour la rendre : ce sont des miracles éclatants. La vocation de ces sortes d’Apôtres est pour conserver les âmes dans la vie de la grâce, et empêcher qu’elles ne périssent, et pour ressusciter ceux qui sont morts par le péché ; mais ils ne sont pas appelés à conduire les âmes dans la mort intérieure : aussi n’en parlent-t-ils point. David le grand pasteur des âmes intérieures, appelé pour y conduire un si grand peuple, ne fait pas de miracles, le plus grand des miracles étant l’anéantissement ; et si [599] ces personnes faisaient des miracles, cela les soutiendrait et les empêcherait de mourir. S’ils en faisaient, ce ne serait que comme Jésus-Christ [102], sur la fin de leur vie, dans l’état apostolique et dans la vie divine, dans un temps où, ayant perdu toute propriété, cela ne leur peut nuire. Mais à moins que Dieu n’ait quelque dessein pour le bien de Son Eglise, Il ne permet pas qu’elles en fassent, leur vie étant fort humiliante, inconnue, condamnée de tout le monde [...] Les pasteurs des âmes intérieures n’ont pas besoin de ces choses [les miracles] : leur parole touche le cœur à mesure qu’elle sonne à l’oreille ; et souvent le cœur est pris et pénétré avant que la parole soit sortie de la bouche. Jésus-Christ regarde Madeleine, et Il la change en amante ; Il regarde Pierre [103], et le convertit plus par ce regard que par Ses paroles. [...]

Chapitre XVIII

V.38. Et le feu du Seigneur tomba sur l’holocauste et le consomma avec le bois, les pierres, la poussière même, et l’eau qui était dans les conduits.

Le feu de l’amour pur descend du ciel, et consomme l’holocauste par son ardeur : ce feu est l’amour et la foi passive, qui sont infus à l’âme, qui consument en un instant toute cette victime et ses impuretés : il consume aussi toutes les matières du sacrifice, surmontant toute l’activité de la créature qui demeure par là détruite et consumée en ses opérations, et anéantie par ce feu sacré. Non seulement ce feu divin dévore la victime, mais même le bois, comme croix active ; les pierres, qui sont les vertus pratiquées activement ; et même la poussière.

Par cette poussière l’on peut entendre les pratiques extérieures d’humilité, l’âme se trouvant impuissante de les faire par elle-même ; mais ces vertus, ces grâces et ces faveurs lui sont données par infusion ; et à mesure que ce feu sacré consume l’activité de la créature, il met les vertus en l’âme d’une manière infuse, parce que la charité étant la reine des vertus, toutes les autres vertus la suivent ; et si elle est active, c’est-à-dire donnée pour faire agir la créature, elle donne les vertus d’une manière active ; mais lorsqu’elle est passive, c’est-à-dire donnée de Dieu afin qu’Il exerce Lui-même en l’âme ces mêmes vertus, toutes les vertus sont en l’âme d’une manière passive, reçues de Dieu pour être exercées par Dieu même en l’âme. Et elles sont [alors] [607] beaucoup plus pures que celles que la créature exerce par elle-même, quoique soutenue et fortifiée par la charité. La prière se fait aussi ici passivement : c’est pourquoi l’autel est aussi consumé avec le sacrifice, et l’eau qui était au conduit, parce que Dieu consume cette grâce qui coule et rampe sur la terre, pour la donner d’une manière bien plus pure, la donnant immédiatement. [...]

Chapitre XIX

V.8. S’étant levé, il marcha par la force de cette nourriture, quarante jours et quarante nuits, jusqu’à Horeb la montagne de Dieu.

[611] La force intérieure que donne cette viande fait marcher avec beaucoup de vigueur ce Prophète [Élie] durant un si long chemin. Après avoir goûté de cette viande céleste, l’on se trouve dans une ferveur admirable. Ces âmes ont alors le courage si grand que rien ne leur coûte ; et tout leur chemin se fait dans la force, sans qu’il y ait un seul jour d’affaiblissement ; et de cette sorte elles sont conduites à la montagne de Dieu, mais non pas à Dieu même. La montagne de Dieu, ce sont Ses communications les plus sublimes, et Ses grâces les plus réservées, qui se reçoivent toujours en la manière de la créature et dans sa capacité propre, quoique rehaussée et anoblie pour cet effet d’une manière singulière.

V.9. Et quand il fut venu là, il y demeura dans une caverne, et le Seigneur lui adressant Sa parole lui dit : que faites-vous ici, Élie ?

Quand l’âme a fait un si long chemin dans cette force céleste, elle se retire dans la caverne : ce qui représente une profonde retraite, dans laquelle la personne demeure enfoncée et comme absorbée dans une contemplation obscure et profonde. Cet état est le plus grand où ces âmes arrivent, et le plus simple. Cette caverne est encore un certain approfondissement ténébreux et lumineux tout ensemble, où l’âme est toute pleine de son néant : elle ne voit que sa profonde bassesse, et le poids immense de la grandeur de [612] Dieu, qui l’anéantit infiniment ; et plus Dieu paraît dans Sa grandeur, plus l’extrême bassesse de la créature lui est montrée. Et c’est là la manière d’anéantir ces âmes, qui ne sont anéanties qu’en lumière et connaissance, et non en réalité. Cependant les personnes qui ont passé ceci, et qui entendent parler de l’état d’anéantissement, croient l’avoir passé, et prennent en leur manière tout ce qui se dit de l’état de mort et d’ensevelissement.

Cette caverne leur paraît comme un lieu de sépulcre, où ils se cachent et se reposent ; mais ils y reposent vivants. La parole de Dieu se fait entendre à eux dans cette profonde caverne, et elle leur est comme une parole de vie, ces âmes ayant toujours des paroles intérieures : cette parole, dis-je, qui se fait entendre dans la caverne, leur est comme une parole de résurrection. Tout ceci se passe en lumières ; et les mêmes états que David a portés en réalité, ce Prophète les a eus en lumière : aussi toutes les âmes conduites de cette sorte parlent très bien de tous ces états, les ayant eus en lumières, et les connaissant véritablement selon ce qui leur en a été montré.

Lorsque Dieu demande à Élie ce qu’il fait, c’est comme l’interrogeant de son état. [...]

V.11. Le Seigneur lui dit : sortez, et tenez-vous sur la montagne devant le Seigneur.

[...][613] Dieu fait sortir Elie de sa caverne comme le Lazare de son sépulcre [104], lui disant les mêmes paroles. C’est ce qui marque toujours plus une véritable résurrection : aussi est-elle véritable, l’âme mourant à ses propres opérations, à ses propres actes et à ses propres lumières, qui se trouvent comme détruites, pour donner lieu à l’opération et à la lumière de Dieu, reçues passivement, mais toujours dans la capacité de la créature. Et voilà la différence de ces deux sortes de mort : celle-ci tire l’âme de ses opérations [614] propres et de ses propres lumières, la fait défaillir et mourir à tout cela, pour la ressusciter par l’opération de Dieu, qui prend la place de la sienne, de sorte que, perdant sa propre vie, elle reçoit la vie nouvelle que Dieu lui communique: vie, à la vérité, communiquée et émanée de Dieu, mais reçue dans la capacité de la créature bornée et limitée. Voilà la mort de ces âmes ; et elles n’en n’ont pas d’autre, ni d’autre résurrection que cette vie de Dieu reçue en elles.

 La mort réelle mystique des âmes conduites en foi est bien différente [105]. Elles éprouvent toutes cette mort de leurs propres opérations, pour laisser place aux opérations de Dieu, et passent encore par une quantité de morts. Mais ce qui est la véritable mort est que non seulement l’âme est tirée de ses opérations propres pour donner lieu aux opérations de Dieu en elle ; mais de plus, il faut qu’elle soit tirée de sa propre capacité de recevoir, quelque grande qu’elle puisse être, qu’elle soit entièrement tirée d’elle-même et de tout ce qu’il y a en elle de propre, de mêmeté [106], de distinction, non de vue, mais d’état ; et que perdant même la vie de Dieu, écoulée en elle, elle perde ce fonds propre, cette capacité propre de recevoir, afin qu’il ne reste plus que Dieu seul, qui S’écoule, non plus en cette créature qui est morte, disparue, et anéantie, mais en Lui-même, Se trouvant seul pour Se communiquer et recevoir sans que la créature y ait nulle part, ni qu’il y ait rien en elle ni pour elle, tout cela étant perdu, et elle n’ayant plus d’être et de vie propre, son être s’étant fondu, écoulé et perdu en celui de Dieu, qui subsiste seul en Lui et pour Lui. Ceci s’entend mystiquement, et non d’une manière physique.

[615] Ces deux morts ont une différence presque infinie, et toute âme de grande expérience m’entendra fort bien, car ceci n’est pas imaginaire, mais plus réel que l’on ne peut dire. Et c’est alors que l’incarnation [mystique] se fait, que les trois divines Personnes Se produisent en cette âme, comme il a été dit plus haut.

Dieu dit donc à Élie : Sortez dehors, et tenez-vous sur la montagne devant le Seigneur. Ceci confirme encore notre différence, comme nous l’avons dit : Sortez hors de vos opérations pour vous tenir sur la montagne dans la plus haute élévation de vos puissances ; et là, tenez-vous devant le Seigneur. Qui se tient devant Lui, n’est pas perdu en Lui. L’oraison de ces âmes est une oraison de simple exposition devant Dieu, où elles se tiennent en passiveté [107] d’attente ; et c’est la disposition à recevoir les plus grandes grâces, que Dieu ne manque pas de leur donner lorsqu’elles sont ainsi exposées dans cette simple passiveté d’attente. Et c’est ce que ces âmes appellent nudité.

V.11. Et alors le Seigneur passa avec un grand vent et fort impétueux renversant les montagnes et brisant les pierres devant le Seigneur ; et le Seigneur n’était pas dans ce vent. Après le vent il se fit un tremblement ; et le Seigneur n’était pas en cette agitation.

L’âme étant ainsi disposée dans l’état passif et d’attente, qu’elle prend pour un état fort nu, Dieu la voyant alors dans le vide de toute propre opération, la trouve disposée pour la remplir de Ses grâces les plus grandes. Il passe par une touche qu’Il fait dans les puissances, et surtout dans la volonté, [616] où l’âme sent cet attouchement divin et cette union, dont elle ne peut pas douter. Alors ce toucher, ou cette approche, cause un vent (c’est un zèle et une ardeur,) qui renverse les montagnes d’orgueil, (cet état apportant à l’âme de très grands profits,) : Il brise les pierres, c’est-à-dire tout ce qu’il y a de dur et qui fait quelque résistance ; rien ne s’oppose à Son passage. Dieu envoie le vent devant Lui comme un ambassadeur qui renverse tout ce qui s’oppose à son passage : c’est la voix qui crie [108] : aplanissez les sentiers.

Mais quoique cela fasse des effets si étonnants qui réduisent l’âme dans l’admiration, Dieu cependant n’est pas dans le vent. Dieu n’est pas dans le tracas et le tumulte. Quoique rien ne paraît si grand et si admirable que ce zèle et cette ardeur qui émeut toute l’âme, [cependant] après qu’elle a été renversée, elle se trouve toute tremblante. Ce sont des assauts impétueux, auxquels le corps ne peut résister : il faut qu’il soit renversé par terre. Toute cette âme est émue d’amour et de crainte dans le sentiment de l’approche de Dieu. Tout cela, qui paraît si grand, qui fait l’admiration et l’étonnement des hommes non éclairés, n’est rien : et Dieu n’est pas en tout cela. C’est un simple toucher, fort éloigné. L’Epouse dit [109] que ses entrailles ont été émues de ce toucher ; c’est la partie inférieure, qui se trémousse et se remue sitôt que la volonté est seulement touchée : mais lorsqu’il s’agit du baiser de la bouche, qui est l’union intime, elle ne tremble pas. C’est que Dieu Lui-même n’est pas dans ces choses qui émeuvent ; mais [617] seulement quelque chose de Lui, qui cause une grâce plus impétueuse assez abondante.

V.12. Après le tremblement il s’alluma un feu ; et le Seigneur n’était pas dans le feu. Après le feu on entendit le souffle d’un petit zéphir.

Après ce tremblement et cette émotion de la partie inférieure, il s’allume un si grand feu dans la volonté, qu’il semble que l’on ne puisse porter son incendie : les côtes s’enlèvent de la véhémence de ce feu. Y a-t-il a rien de plus grand que cela ? C’est ce qui passe en de certains esprits pour la perfection la plus consommée ; car c’est là le brasier de la charité et l’amour le plus fort. Ces personnes sont comme une fournaise ardente : elles embrassent tout ce qui les touche : c’est assurément Dieu même. Ah non ! vous vous trompez : Dieu n’est pas en tout cela. C’est bien quelque petites choses de Lui, qui marque qu’Il est proche ; mais ce n’est pas Lui.

O que la plupart des hommes sont trompés ! On prend pour la plus éminente sainteté ce qui est très peu de chose, et l’on n’a que du rebut pour ce qu’il y a de plus éminent en Dieu ! Une vie abjecte, méprisée, condamnée, cachée, inconnue, simple et comme toute naturelle, est la vie de Dieu ; et cependant elle fait horreur à tout le monde ! La vie éclatante de miracles, de force, de ferveur, de choses extraordinaires, attire l’admiration et l’estime des hommes, et [néanmoins] tout cela n’est pas Dieu.

Mais après le feu vint le souffle d’un petit vent. Ce zéphir est une caresse délicate et subtile que Dieu fait à l’âme ; et c’est ce en quoi il y a plus de Dieu. C’est un air tranquille, serein, agréable et doux, qui succède à ces états impétueux ; et cet état [618] est bien plus parfait que tous les autres : c’est en celui-là que se trouve la vraie communication de Dieu, autant qu’elle peut être reçue par la créature élevée et anoblie extrêmement. Elie est le modèle de l’état le plus parfait et le plus élevé qui soit dans la créature en lumière et amour perceptibles. C’est pourquoi sainte Thérèse, vraie fille d’un si saint Père [110], a été si admirable dans cette voie.

V.13. Ce qu’Elie ayant entendu, il se couvrit le visage de son manteau : et étant sorti, il se tint à l’entrée de la caverne ; et en même temps il entendit une voix qui lui dit : que faites-vous ici, Élie ?

La manière dont Elie en use en ces communications, est une grande leçon pour les âmes qui en sont favorisées. Elie se couvre le visage de son manteau : cela veut dire qu’afin de ne se point élever pour des communications si sublimes, il couvre son esprit, le voilant, pour ainsi dire, et se cachant à lui-même ces grandes choses pour n’y pas prendre de part, ne les regardant pas, loin de les admirer, comme font la plupart de ceux qui en sont favorisés. Mais de quoi couvre-t-il son visage ? De son manteau, de sa propre misère et faiblesse, voyant ce qu’il est par lui-même, néant et péché : et se tenant ainsi dans son néant, il laisse faire à Dieu tout ce qu’il Lui plaît, sans s’en mettre en peine, sans curiosité ni attache, et sans y rien prendre.

C’est la manière pure et parfaite de recevoir ces dons et ces grâces gratuites. Aussi dans cet état d’anéantissement, où l’âme se tient par rapport à ces mêmes grâces, elle a l’avantage d’entendre la voix de Dieu, qui lui fait encore voir [619] un défaut qu’elle commettait dans la manière de recevoir ces grâces, quoiqu’il lui semblât les recevoir si purement : c’est qu’elle s’arrêtait et se tenait debout pour les recevoir. Vous vous trompez, grand Prophète ! Ces grâces ne vous sont pas données pour vous arrêter, mais pour vous faire courir avec plus de vitesse où Dieu veut que vous alliez. Que faites-vous ici ? dit Dieu. Ce n’est pas là le lieu du repos, quoique vous le croyiez, comme le croient toutes les personnes qui sont arrivées à cet état ; elles croient être arrivées à la fin et au repos lorsque qu’elles sentent ce zéphir divin, et qu’elles entendent cette parole, mais ce n’est pas là le lieu du repos. C’est pourquoi Dieu demande à Élie ce qu’il fait là, et pourquoi il se repose dans cet état, qui ne lui est donné que pour marcher avec plus de courage et de vigueur. [...]

 


IV Rois [II Rois]

Chapitre IV

V.3. Élysée dit à la veuve : allez emprunter de vos voisins un grand nombre de vaisseaux vides.

Le Prophète connaissait trop bien que, pour recevoir la véritable onction de la grâce, il faut que l’âme soit toute vide : c’est pourquoi il ne fait pas remplir des cruches d’eau pour la changer en huile, cela ne se pouvant jamais faire : Jésus-Christ, peut seul changer l’eau de la faiblesse humaine en la force du vin [111]. Mais afin que l’huile de l’onction puisse s’écouler dans une âme, il faut qu’elle soit entièrement vide de péché, et ensuite, de propriété. Si l’on savait quel est le vide que Dieu demande de nous, et combien il est utile, on ne travaillerait qu’à se vider de tout ce que la créature peut ôter, et ensuite on laisserait à Dieu le soin de tout le reste, sans Lui résister.

V.4. Entrez au-dedans de votre maison. Fermez-en la porte sur vous ; et vous tenant au-dedans, vous et vos fils, versez de l’huile dans tous ces vaisseaux : et quand ils seront pleins, vous les ôterez.

Il faut encore entrer au-dedans de soi par le recueillement, fermer la porte de ses sens, et s’enfoncer dans le centre de l’âme. Toutes nos puissances [643] et nos activités étant ainsi recueillies, et tous ces vaisseaux, qui sont l’entendement, la mémoire et la volonté, étant vides, alors il faut par ce même vide et par cette cessation d’opérer, donner lieu à la grâce de s’écouler et de se répandre en eux. Mais lorsque tout cela est plein, il faut ensuite les ôter de là, parce que, quand cette plénitude s’est faite dans le recueillement, il faut alors que le même mouvement que l’on a eu pour entrer en soi, on l’ait pour sortir de soi ; et que ces mêmes vaisseaux, qui ont été vides de péchés et remplis des douceurs de la grâce, soient encore une fois vidés de cette huile de la grâce, afin que Dieu vienne Lui-même dans cette âme ainsi vide. Les dons de Dieu vident l’âme de tous péchés en s’écoulant dans l’âme ; puis Dieu vide cette même âme des dons de Sa grâce pour S’y écouler Lui-même, comme ces vaisseaux ne furent remplis que pour être vidés. [...]

Chapitre XVIII

V.5. Il mit son espérance au Seigneur le Dieu d’Israël : c’est pourquoi il n’y en eut pas après lui entre tous les Rois de Juda, qui lui fut semblable, comme il n’y en avait pas eu avant lui.

[691] Mais en quoi a-t-il fait paraître une si grande sainteté ? C’était qu’il espéra en Dieu ; et la mesure de son espérance et de sa confiance en Dieu fut la mesure de sa sainteté. Les autres se sont perdus parce qu’ils se sont appliqués sur leur propre force. [...]

V.6. Et il s’unit au Seigneur, et ne se retira pas de ses voies.

[692] S’unir au Seigneur est la source, le moyen, le terme et la fin de toute sainteté. Une âme qui peut demeurer unie à Dieu, peut être sainte, puisqu’il n’y a qu’à être uni à l’auteur de la sainteté pour devenir saint. Sans se mettre en peine d’autre chose, il n’y a qu’à chercher la voie qui nous unit à Dieu, qui est la confiance, l’espérance en Dieu, et l’abandon : et quand on est une fois uni, rester dans cette union sans s’en détourner sous quelque prétexte que ce puisse être.

Il y a des personnes qui sont assez simples pour se retirer de l’adhérence à Dieu, et même de Son union, sous prétexte que dans ce repos en Dieu ils ne se combattent pas eux-mêmes : c’est un abus effroyable. Nos âmes n’ont de force qu’autant qu’elles sont soutenues de Dieu [...]

Chapitre XIX

V.6. Isaïe répondit : Voici ce que dit le Seigneur : ne craignez pas ces paroles que vous avez entendues par lesquels les serviteurs du roi des Assyriens M’ont blasphémé.

V.7. Voici, je lui enverrai un certain esprit ; et il apprendra une nouvelle ; après laquelle il retournera en son pays et Je l’y ferai périr par l’épée.

[...] Tout ce qui arrive aux âmes abandonnées, arrive comme par une conduite toute naturelle de la Providence, sans rien d’extraordinaire, afin de les porter à ne s’arrêter à rien, à ne s’appuyer sur rien que sur le moment divin, quel qu’il soit, ce moment divin étant toute leur règle, et leur [705] conduite sans conduite, n’en ayant pas d’autre que d’être comme on les fait être de moment en moment, sans attendre leur délivrance que de la volonté de Dieu déclarée par le moment de Sa providence, dans lequel Il les délivrera. Les autres âmes, qui sont conduites par les lumières, attendent des lumières et des miracles pour leur conduite ; mais celles-ci n’en ont pas d’autre que ce qui leur arrive de moment à autre. [...]

Chapitre XX

V.7. Et Isaïe dit : apportez une masse de figues : et quand il l’eurent apportée, et qui l’eurent mise sur l’apostume du roi, il fut guéri.

Le mal d’Ezéchias était la figure du mal qui procure la mort intérieure à toutes les âmes qui sont assez heureuses pour s’y laisser aller par un [718] abandon généreux et total. C’est que l’apostume [112] qui est au-dedans, cachée dans le plus profond de nous-mêmes, et que nous ne voyons pas à cause de sa profondeur, paraît au-dehors ; et son horreur nous cause la mort, nous tirant de l’amour de nous-mêmes, et de l’appui que nous avions en notre santé. Car nous ne nous croyons saints que parce que nous ne voyons pas notre maladie, qui est cachée et profonde. Cette maladie est la propriété et le repos en soi-même, qui, en nous tenant en nous, nous empêche de passer en Dieu ; et c’est ce passage qui s’appelle mort et sortie de nous-mêmes. Or pour mourir et sortir de nous, il faut que l’apostume paraisse au-dehors, et qu’elle sorte du fond en la superficie : et c’est alors qu’on la trouve si laide, si sale et si puante qu’on ne la peut souffrir. Il faut qu’en se vidant, elle nous cause une heureuse mort. Mais nous ne pouvons nous laisser mourir, et c’est pour cela que l’apostume ne se vide pas [...]

Chapitre XXIII

V.25. Il n’y a pas eu avant lui de roi qui lui fut semblable, et qui se soit retourné comme lui au Seigneur de tout son cœur, de toute son âme, et de toute sa force, selon toute la loi de Moïse ; et il y en a pas eu non plus après lui.

L’Ecriture dit qu’il n’y eut devant ce roi aucun roi semblable à lui, parce qu’ils ont toujours eu quelque différence. C’est une chose admirable [733] que la différence des conduites de Dieu. Ce qui fait voir qu’Il est Dieu, c’est que ces diversités de conduites intérieures aboutissent cependant toutes à la même fin : et ce qui est le plus admirable, c’est que les personnes les plus opposées, et dont la voie est la plus différente, lorsqu’elles sont dans la fin se trouvent toutes semblables.

Quelle fut la sainteté de ce roi ? C’est qu’il se tourna à Dieu de tout son cœur, de toute son âme, et de toute sa force ou vertu. Se tourner à Dieu de cette sorte, c’est accomplir toute la loi de Moïse : car c’est jusqu’où peut aller toute la perfection active ; après quoi, il faut que Dieu, selon la force de ce retour, nous conduise Lui-même.

Dès que nous sommes retournés à Dieu de tout notre cœur, c’est l’amour actif le plus parfait dont nous soyons capables. Dieu prend alors possession de tout notre cœur pour le conduire Lui-même, pour le remplir de Lui-même et le posséder autant qu’il en est possédé.

Lorsque nous retournons à Dieu de tout notre âme ; cela s’entend de toute étendue de l’âme, en sorte que les (1) puissances, et (2) le fonds, se trouvent si fort tournés pour être unis à Lui qu’ils ne peuvent avoir de mouvements que pour Lui.

1. L’entendement [113] est alors dépouillé et vidé de toutes ses lumières naturelles, par lequel vide il est nécessairement tourné vers Dieu afin d’être rempli de Lui ; et Dieu ne manque pas de Son côté de le remplir, ce qui est l’union de l’entendement, à laquelle on se dispose par ce retour, mais laquelle Dieu seul peut opérer. Effacer de sa mémoire par un oubli éternel tout le créé, est se tourner de toute sa mémoire [734] à Dieu, et donner lieu à l’union ou à l’absorbement de la mémoire en Dieu, car dès que le souvenir créé est effacé, il ne reste plus que le souvenir sans souvenir [actif] de l’incréé. Se tourner à Dieu de toute sa volonté se fait par la désappropriation de toute volonté propre, en sorte que l’âme se trouvant sans volonté, elle se trouve nécessairement et infailliblement dans la volonté de Dieu, où elle est unie selon son degré, qui au commencement est de conformité, après cela, d’uniformité, ensuite de transformation [114] ou perte totale de la volonté de la créature en celle de Dieu, en sorte que l’on ne trouve plus de volonté, mais la seule volonté de Dieu.

Le retour de toute l’âme s’entend encore de tout ce qui appartient à l’âme, comme les sens intérieurs et les passions, qui sont enfermés dans les puissances, et dont la discussion serait un peu longue à faire.

Ce retour à Dieu fait que tout l’amour se trouve pour Dieu, et que tous les désirs sont pour Lui ; et lorsqu’ils sont pour Dieu à force d’être tournés vers Lui, ils se trouvent enfin changés en Lui. Cette âme n’aime plus que Dieu ; et puis elle ne trouve plus en elle d’amour dont elle puisse aimer Dieu : il faut que cet amour se perde en Dieu, et qu’elle n’aime plus Dieu que de l’amour de Dieu même.

Le désir s’étant tourné tout pour Dieu, l’âme ne désire plus que les choses de Dieu ; ensuite elle ne désire plus que Dieu même ; puis elle perd tout désir, n’en trouvant plus en elle aucun, quel qu’il soit, et n’ayant plus [735] que le désir de Dieu sans désir [comme de foi] ; et comme aussi n’ayant plus de volonté que celle de Dieu, étant devenue volonté de Dieu (pour ainsi dire [115]) elle est, par cela même, devenue désir de Dieu. [...]

Le plaisir de l’âme est tout tourné vers Dieu lorsqu’elle ne peut trouver de plaisir hors de Lui, et qu’elle n’en trouve qu’en Lui, et enfin lorsque Dieu devient Lui-même son plaisir en Lui-même et pour Lui-même, ce qui n’empêche pas que la volonté animale et séparée de la spirituelle, n’ait son plaisir et sa douleur à quoi l’âme supérieure n’a point de part.

Par la haine nous haïssons tout ce que Dieu hait comme Il le hait : et comme on ne peut aimer un bien qu’en l’envisageant comme bien, s’y portant par le désir, et en jouissant par le plaisir ; aussi l’on ne peut haïr un mal qu’en l’envisageant comme mal. Ce mal que nous envisageons comme tel, est nous-mêmes et notre propriété. Nous le voyons [comme] mal, et nous nous en détournons de toutes nos forces, en nous haïssant nous-mêmes, c’est-à-dire en haïssant ce qu’il y a en nous de nous ; en nous haïssant, dis-je, premièrement pour l’amour de Dieu ; ensuite, nous nous haïssons de la haine de Dieu même ; et comme Dieu hait en nous nécessairement ce qui Lui est opposé, nous aussi, après avoir haï cela même volontairement, [736] nous le haïssons comme nécessairement ; [...]

[740] 2. Pour se retourner à Dieu du fond et centre, (aussi bien que des puissances,) ce retour [116] se fait par une entière sortie de soi-même, l’âme se quittant absolument pour se perdre en Dieu. (Ce qui se doit toujours entendre d’une manière mystique.) Or ce sont tous les autres retours à Dieu, ou toutes les conversions des puissances et de tout ce qui appartient à l’âme, qui commencent et qui produisent peu à peu cette conversion du fond ; [laquelle se fait au commencement par manière de concentration, ou d’entrée au-dedans de soi :] mais lorsque la conversion de toutes les puissances et de tout ce qui appartient à l’âme est faite, alors la conversion du fond se fait par la sortie de soi ; et l’âme s’écoule et se perd avec tout ce qui lui appartient, en Dieu seul, pour ne se retrouver jamais.

Et c’est alors que la jouissance est durable et permanente, et qu’elle ne peut être altérée, l’âme n’étant plus et ne subsistant plus en rien de propre, mais étant toute [retournée et] recoulée en Dieu, dans Lequel encore elle se trouve anéantie, afin que Dieu seul jouisse en Lui-même de Lui-même.

Et c’est là la consommation de l’unité parfaite.

3. On se retourne à Dieu de toute sa force ou vertu, lorsque l’âme perd toute vertu, force, justice et sainteté comme à elle appartenant, ou possédé par elle, afin que la seule sainteté de Dieu subsiste en Dieu et pour Lui. Et ceci se perd, comme le reste, en perte ; et cette perte ne s’opère [741] que par son contraire, comme nous l’avons vu des passions. L’expérience de notre injustice apparente, fait peu à peu évanouir notre propre justice, afin que la seule justice de Dieu subsiste : et à mesure que la nôtre se perd comme appartenant à l’âme, celle de Dieu gagne le dessus, absorbe la nôtre, et la fait disparaître, enfin la perd, l’abîme et l’anéantit en la Sienne ; et ainsi du reste. [...]

 


 


 

I Paralipomènes

[Supplément aux livres des Rois].

Chapitre XVI

V.10. Que le cœur de ceux qui cherchent le Seigneur se réjouisse.

V.11. Cherchez le Seigneur et Sa vertu. Cherchez toujours Sa présence.

Il est impossible de chercher Dieu sans sentir quelquefois de la douleur de Son absence : cependant David veut que l’on se réjouisse dans Son [Tome VI, 6] absence même, en Le cherchant : cette joie ne peut venir que de la conformité à la volonté de Dieu, par laquelle l’âme trouve sa seule joie dans l’accomplissement de cette divine volonté, contente de trouver Dieu, ou d’en être privée selon cette même volonté : et cet acquiescement à tout ce que Dieu fait, est ce qui fait toute la joie de l’âme.

Chercher la vertu du Seigneur, est ne pas chercher d’avoir aucun bien ni vertu propre ; mais que la seule vertu de Dieu subsiste en nous ; et c’est cette seule vertu que nous devons chercher. C’est ce qui contribue à notre joie lorsque nous cherchons Dieu ; parce que nous nous contentons de toute misère, de toute privation, et de tous défauts, afin que la seule vertu de Dieu subsiste. [...]



 

Tobie.

Chapitre VI

V.1. Tobie se mit donc en chemin, suivi du chien de la maison; et il fit sa première demeure dans un lieu proche du fleuve Tigre [117].

Tobie s’en alla abandonné à la divine Providence, ayant pour compagnie sa fidélité [118] [91] à l’abandon pour se laisser conduire sans résistance. Il fit sa première demeure près du fleuve Tigre, qui est la première épreuve de la voie d’abandon, et très rude ; et que l’on ne passe guère sans la conduite d’une providence particulière et d’une fidélité inviolable à se laisser conduire sans résistance : c’est une demeure, et la première, où bien des gens restent.

V.2. Tobie étant allé laver ses pieds, un très grand poisson sortit de l’eau pour le dévorer.

La première chose que cette âme veut faire dans cette voie est de se laver et purifier de toutes sortes d’affections étrangères. Mais elle n’a pas plutôt entrepris ce travail, qu’un monstre effroyable sort pour la dévorer. Ce monstre est un poisson, parce que c’est la crainte, très bien représentée par le poisson, qui est timide […]...elle voudrait dévorer notre généreux abandonné.

Chapitre VII

V.19. Cette même nuit, mettez dans le feu le foie du poisson ; et le démon sera chassé.

V.20. La seconde nuit, vous serez associé aux saints Patriarches.

V.21. La troisième nuit, vous recevrez la bénédiction, afin qu’il naisse de vous des enfants dans une parfaite santé.

Ô mon Dieu, Votre conduite est bien admirable, de sanctifier et vivifier Tobie par celle même qui semblait causer la mort à tant d’autres ! Mais c’est que, lorsque le foie est brûlé, que tout ce qu’il y avait de nous-mêmes et de propriété est détruit, alors le démon est entièrement chassé ; et c’est ce qui se passe dans la première nuit de la mort de nous-mêmes. Dans la seconde, on reçoit la grâce de la formation de Jésus-Christ en soi ; et dans la troisième, la fécondité pour enfanter des [97] âmes en Lui, comme les anciens Patriarches, qui ont été pères d’une multitude, et d’une race intérieure.

Chapitre VIII

V.4. Tobie ensuite exhorta la fille, et lui dit : Sara, levez-vous, et prions Dieu aujourd’hui et demain : parce que pendant ces trois nuits nous devons nous unir à Dieu et après la troisième nuit nous vivrons dans notre mariage.

[98] Tobie exhorte sa chère épouse de se lever du repos de la contemplation pour entrer dans les trois nuits obscures de la foi nue : dans la nuit de l’entendement, où il perd toute lumière, connaissance, raisonnement, tout ce qui appartient à l’entendement ; dans la nuit de la mémoire, où l’âme perd tout ressouvenir, toute pensée, toute réflexion ; et dans la nuit de la volonté, qui est la plus étrange et terrible, où l’âme perd tous goûts, tous sentiments, toute délectation, toutes joies, tout ce qui appartient à la volonté ; et après ces trois nuits, l’âme est nécessairement unie à Dieu, parce que Dieu n’attend que cela pour remplir son vide. Après cette union, l’âme peut être en son mariage selon le dessein de Dieu, sans rien craindre, parce que son union à Dieu la purifie de toute souillure. [...]

Chapitre XII

V.6. L’Ange alors leur parla ainsi en secret : bénissez le Dieu du ciel, et Le confessez devant tous ceux qui vivent ; parce qu’Il a fait éclater sur vous Ses miséricordes.

V.7. Car il est bon de tenir caché le secret du roi ; mais il y a de l’honneur à confesser et à publier les œuvres de Dieu.

L’ange apprend à Tobie un secret que plusieurs ignorent : qu’il faut bénir le Dieu du ciel, Le confesser, et ne pas celer Ses miséricordes. Plusieurs [107] croient que c’est une perfection de cacher les grâces de Dieu et de taire Ses miséricordes, mais ils se trompent. Il faut les confesser et les publier lorsque Dieu le demande. L’Ange explique si nettement, qu’il n’y a pas lieu d’en douter : c’est bien fait, dit-il, de celer le secret du roi, ce qu’il veut être caché, et dont il fait son secret ; et l’âme le cache et le cèle quelque temps, tant que Dieu est son roi et qu’elle est la sujette. Mais, lorsque Dieu est devenu son Dieu, et que l’âme, par la perte de toute propriété, a perdu tout distinction et toute qualité, dissemblances et mêmeté, et qu’elle est tellement unie à Dieu qu’elle ne se distingue plus d’avec Lui, alors ce roi est son Dieu, dans lequel elle est abîmée et transformée. O c’est alors qu’il est glorieux à Dieu de confesser et de révéler Ses miséricordes, parce que la créature n’y prenant plus rien, toute la gloire en demeure en Dieu. Mais devant qui faut-il révéler Ses miséricordes ? Devant les vivants en Dieu, qui, étant dans le même état, les peuvent concevoir et comprendre, au lieu que les autres s’en scandaliseraient. [...]

V.16. À ces paroles ils furent troublés : et étant saisis de frayeur, ils tombèrent le visage contre terre.

17. Et l’Ange leur dit : La paix soit avec vous ; ne craignez pas.

18. Car lorsque j’étais avec vous, j’y étais par la volonté de Dieu : bénissez-Le donc et chantez Ses louanges.

Quand ces pauvres âmes connurent la bonté de Dieu et les effets de Sa providence, elles en furent étonnés, car Dieu est si bon qu’Il fait pour chacun de nous comme s’Il n’avait que nous seuls à conduire. Si une âme était fidèle à [109] s’abandonner à Dieu, Dieu lui enverrait plutôt un Ange, comme à Tobie, que de lui manquer en quoi que ce soit. On ne saurait croire ni comprendre la fidélité de Dieu à conduire les âmes qui s’abandonnent à Lui : Il ne les laisse jamais un moment, et ne leur manque en rien. Il les conduit par la main tout le long de la voie jusqu’à ce qu’Il les ait ramenés à leur origine ; et quoiqu’Il paraisse se cacher et nous abandonner quelquefois, que nous voyions souvent des monstres prêts à nous engloutir et dévorer, tout cela ne se fait que pour éprouver notre foi et fortifier notre abandon. Et lorsque Dieu paraît le plus éloigné de nous, c’est alors que Son secours est plus proche et Son aide plus certaine ; mais il est nécessaire que d’autant plus que l’on est agréable à Dieu, la tentation nous éprouve davantage. [...] Dans cette voie la paix ne vient que de l’abandon : plus on s’abandonne contre toute raison de s’abandonner, plus en est en paix ; plus on veut se tirer de [110] l’abandon sous prétexte d’avoir soin de soi, plus on est en trouble et en inquiétude.

Mais de quelle raison se sert-il [l’Ange] pour les porter à ne pas craindre ? C’est, dit-il, parce que, lorsque j’étais avec vous, j’y étais par la volonté de Dieu, nous faisant voir par là, que généralement tout ce qui arrive aux âmes abandonnées, tant qu’elles ne se retirent pas de l’abandon à la conduite de Dieu, est une volonté de Dieu absolue sur elles. C’est ce qui doit beaucoup consoler une âme et bannir toute crainte d’elle, assurée que tout ce qui lui arrive, lui arrive par un ordre et par une conduite de Dieu particuliers et par Sa volonté. [...]

 



 

Judith.

Chapitre VII

V.11. La garde [que les ennemis firent des fontaines] ayant été faite pendant vingt jours, toutes les citernes et les réservoirs d’eau qui étaient dans la ville de Béthulie furent mis à sec, [140] et il ne restait pas dans toute la ville de quoi donner suffisamment à boire un seul jour aux habitants.

V.12. Alors les hommes, les femmes, les jeunes gens, et les petits enfants vinrent en foule trouver Osias et lui dirent tous d’une voix :

V.13. Que Dieu soit juge entre vous et nous ; car c’est vous qui nous avez attiré ces maux.

C’est ici la plus forte épreuve de la confiance. Dieu permet que ces pauvres âmes soient mises à sec, et soient privées de l’eau de la grâce qui les soutenait et fortifiait. Oh, alors elles sont dans une affliction incroyable : elles se croient toutes perdues, et ne doutent pas même de leur perte : car toutes les eaux sont taries, il ne reste pas de quoi les désaltéréer une seule journée. Oh, alors tout ce qui est dans l’âme, la partie supérieure et l’inférieure, toutes les puissances, les sens, enfin toute l’âme, crient vers le directeur : ils s’en prennent souvent à lui, disant que la voie qu’il a enseignée n’est pas bonne, que c’est lui qui leur a attiré tous ces maux. Mais cette pensée ne peut subsister longtemps : ils vont s’en prendre à leurs péchés, et avouer que c’est avec justice que Dieu en use de la sorte. [...]

 

Chapitre XII

V.17. Holopherne dit à Judith : buvez maintenant et vous asseyez pour manger avec joie, car vous avez trouvé grâce devant moi.

V.18. Judith lui répliqua : je boirai, seigneur, parce que mon âme reçoit aujourd’hui la plus grande gloire qu’elle ait reçue dans toute sa vie.

Ces paroles d’Holopherne sont celles que Dieu dit à une âme qu’Il met en liberté et lorsqu’Il la délivre de toute propriété. Holopherne disait ce qu’il ne connaissait pas. Dieu fait bien dire quelquefois la vérité au diable [...][158] Mais à celle qui est sortie hors d’elle et qui a perdu toute propriété, Dieu dit : buvez maintenant sans craindre la corruption, puisque le levain de la propriété, qui seul peut tout gâter, est ôté ; reposez-vous de tout trouble et de toute inquiétude, des soucis inutiles, de toute réflexion, de tous soins de vous-même ; et mangez de cette sorte tout ce qui vous sera donné de moment en moment, c’est-à-dire les consolations que Dieu donne, parce qu’étant sans propriété, vous ne pouvez plus en faire mauvais usage. Dieu dit encore : vous avez trouvé grâce devant moi. Et l’âme généreuse entendant ce langage dit : O Seigneur, je boirai véritablement dans le torrent de Vos délices sans craindre de me salir, parce que la propriété étant ôtée, il n’y a plus rien à craindre. Et comme ce doit être aujourd’hui le jour que l’amour-propre sera entièrement détruit, et que vous en faites la division, ce sera le jour où je serai glorifiée plus que tous les jours de ma vie : car il y a rien à craindre pour moi après cela, Dieu restant seul dans Sa gloire et dans Sa magnificence, et moi étant glorifiée et magnifiée en Lui seul par la perte de tout ce que j’avais de propre. [...]

 



 

Esther.

Chapitre III

V.8. Alors Aman dit au roi Assuérus: il y a un peuple dispersé par toutes les provinces de votre royaume, gens séparés les uns des autres, qui ont des lois et des cérémonies toutes nouvelles, et qui de plus méprisent les ordonnances du roi. Et vous savez fort bien qu’il n’est pas de l’intérêt de votre royaume que la licence le rende encore plus insolent.

Voilà la véritable accusation que l’on fait contre les âmes intérieures ; et comme, dans tout ce que l’on dit de faux, on y mêle toujours quelque chose de vrai pour donner plus de poids à ce que l’on avance, ceci se trouva aussi être ici de la sorte.

Premièrement, Aman, qui est ce favori superbe, dit qu’il y a un peuple dispersé par toutes les provinces : ceci est très vrai, car il n’y a pas de lieu, pas d’endroit, où il n’y ait toujours quelque âme intérieure. C’est un peuple, car toutes ces âmes sont si unies en Dieu, qu’elles ne font qu’un : elles font un par l’unité de l’état et du fonds, ne composant qu’un même peuple, quoique séparées les unes des autres, car ces personnes, pour être séparées, n’en sont pas moins [183] unies. Voilà ce qui est de vrai, et par où l’on commence toujours l’accusation, pour y donner plus de poids.

Mais on ajoute que ces âmes ont des lois et des méthodes toutes nouvelles. On les appelle nouvelles, quoiqu’elles aient été données à Moïse sur le mont Sinaï. [...] Quelle est l’ancienne loi ? C’est de n’aimer que Dieu seul, de ne rendre qu’à Lui l’honneur qui ne peut être dû qu’à Dieu. Et quelle est la loi de l’âme ? C’est de s’attribuer la puissance, l’honneur et la gloire, qui ne sont dus qu’à Dieu. [...] [184] cependant on les accuse [ces âmes] de n’être pas obéissantes, parce que les hommes veulent qu’elles leur obéissent, et elles ne peuvent obéir qu’à Dieu. [...]

Chapitre VI

V.1. Le roi passa cette nuit-là sans dormir, et il commanda qu’on lui apportât les histoires et les annales des années précédentes. [...]

O Dieu, qu’il fait bon se reposer en Vous dans l’attente de Votre secours ! Vous veillez incessamment pour ces âmes qui sont abandonnées et, quoique vous attendiez toujours que les choses soient à l’extrémité, afin d’exercer [197] davantage la foi, et que l’on ne puisse douter de Votre protection, Vous ne manquez jamais de la secourir dans le temps favorable. Mais de quelle manière ? Tout se fait pour ces âmes comme naturellement et sans rien d’extraordinaire. Dieu ne fait pas de miracles éclatants en leur faveur ; mais tout ce qui leur arrive, aussi bien le mal que le bien, arrive par une providence toute naturelle. Quoi de plus naturel qu’un roi ne puisse dormir et qu’il se fasse lire pour s’endormir ? [119]. [...]


Job

Préface à l’ouvrage.

[Tome VII, 3] Le livre de Job est sans contredit un des plus mystiques de toute l’Ecriture. [...] On y voit l’élévation d’une personne qui commence d’être intérieure ; comment Dieu la comble de biens ; la décadence de cet état élevé, et les endroits de dépouillements intérieurs et extérieurs par lesquels il faut qu’elle passe. Ensuite, son rétablissement dans des grâces bien plus abondantes, et qui sont d’autant plus pures, que cette âme a été plus dépouillée et plus affranchie de toute propriété.[...]

 [6] Dieu lui rend ensuite avec surcroît et au double ce qu’Il lui avait ôté. Ceci est une belle figure de l’état de Résurrection. L’Ecriture s’exprime là-dessus en peu de mots, tant parce que ceux qui y sont arrivés n’ont plus guère besoin d’instruction, voyant la lumière dans la lumière même, et que de plus ils éprouvent ce qu’on pourrait leur dire sur cela ; que parce que le nombre des âmes qui aiment Dieu assez purement pour se laisser éprouver et épurer selon l’étendue de Ses desseins, est si petit qu’il y en a très peu qui arrivent à l’état ressuscité.

Chapitre I.

13. Un jour donc, comme les fils et les filles de Job mangeaient en la maison de leur frère aîné,

14. Un messager vint dire à Job : Lorsque vos boeufs labouraient, et que vos ânesses paissaient auprès,

15. Les Sabéens sont venus fondre tout d’un coup, ont tout enlevé, ont passé vos gens au fil de l’épée ; et je me suis sauvé seul pour vous en venir dire la nouvelle.

16. Cet homme parlait encore, lorsqu’un second vint dire à Job : Le feu du ciel est tombé sur vos moutons, et sur ceux qui les gardaient, et il a tout réduit en cendres ; et je suis seul échappé pour vous l’annoncer.

Quoique ce soit au démon que Dieu donne pouvoir de tenter de tourmenter Job, Il ne laisse pas de le faire d’une manière qui paraît toute naturelle. Des Sabéens sont venus comme des voleurs avec impétuosité et ont enlevé les boeufs du labourage et les bêtes de charge. Ce dépouillement figure très bien le dépouillement des travaux de la pénitence, de la pratique rigoureuse des vertus, de tout ce que l’on peut faire pour labourer et cultiver la terre de son âme. Les ânesses qui paissent [12] auprès, sont le repos que la partie inférieure de l’âme trouvait en ces pratiques, car en même temps que le pouvoir de labourer et de cultiver la terre est ôtée, le repos que l’on trouvait en ces choses est aussi ôté.

Dieu a une telle conduite sur les âmes intérieures qu’Il ne leur permet pas d’ignorer tout ce qu’Il leur arrache, soit pour l’intérieur, soit pour l’extérieur. Si l’on dit ou fait quelque chose contre elles, il faut qu’elles le sachent et le connaissent : une calomnie ignorée ne peut en nulle manière nous faire peine ; la peine des choses n’est que dans la connaissance que nous avons de notre perte.  Nos dépouillements ne nous seraient pas sensibles si nous les ignorions : c’est pourquoi Dieu nous en donne toujours la connaissance.

Le feu tombe ensuite du ciel et consume les brebis. Ce feu qui consume les brebis, marque pour le dedans l’amour nu, qui dévore entièrement les douces pensées que nous avions de Dieu, aussi bien que les douces affections de notre cœur pour Lui : il sort un feu, qui est le feu de Dieu même, qui vient consumer toutes ces choses, en sorte que l’âme qui les perd, croit perdre l’amour de Dieu. Elle perd bien la douceur de l’amour, mais non pas l’amour, puisque tout cela ne se consume que par l’amour de Dieu, qui absorbe la douceur de l’amour dans un plus grand amour. Ce feu consume, par le dehors, certaines pénitences et œuvres de charité que nous pratiquions avec tant de douceur, une certaine facilité de demeurer en oraison : tout est détruit par ce feu impitoyable. Mais la consomption de ces choses marque qu’elles ne doivent plus revenir ; et [13] c’est ce qui fait la plus grande peine de l’âme : car ce qui n’est que pris, se peut rendre ; mais ce qui est consumé ne se retrouve plus.

Le désir, l’envie, la pensée même de les faire, sont aussi ôtés. Elles étaient comme les serviteurs, qui aidaient à la pratique des bonnes œuvres : il ne reste qu’un seul serviteur, qui est la connaissance cette perte, pour l’annoncer à l’âme, et lui en faire ressentir toutes les amertumes. Dieu commence par dépouiller Job des biens extérieurs qui sont hors de lui ; après quoi Il le dépouille de ceux qui lui sont plus proches. Dieu en use de cette sorte envers les âmes intérieures.  [...]

V.18. Cet homme parlait encore, quand un quatrième se présenta devant Job et lui dit : Lorsque vos fils et vos filles mangeaient et buvaient dans la maison de leur frère aîné,

V.19. Un vent impétueux s’étant levé tout d’un coup du côté du désert a ébranlé les quatre coins de la maison ; et l’ayant fait tomber sur vos enfants, ils ont été accablés sous ses ruines et ils sont tous morts. Je me suis échappé seul pour vous en venir dire la nouvelle.

La conduite de Dieu sur Job est bien admirable. Il ne lui donne aucune relâche. Ces coups redoublés sont si extrêmes qu’il n’a pas le temps de respirer, et les derniers sont toujours plus étranges. Un grand vent, dit le messager : c’est bien le vent de la Providence, quoiqu’il paraisse être le vent de la tentation. Ce vent vient du désert, qui est le lieu de la sécheresse la plus excessive, au milieu de la foi la plus obscure, parmi tous [15] les autres dépouillements les plus extrêmes. Ce vent est donc venu ; et par une impétuosité à laquelle on ne s’attendait pas, (car ces choses arrivent lorsque l’on y pense le moins,) il a renversé la maison, la frappant premièrement par les quatre coins, ne laissant pas un lieu ni un endroit qui ne soit attaqué; puis la renversant de fond en comble, sans miséricorde, sans y laisser aucune marque de ce qu’elle a été, sinon un chaos effroyable, et d’autant plus horrible qu’elle avait été plus délicieuse.

Ses enfants si chers en furent accablés et ensevelis sous les ruines. Voyez comment Dieu commence toujours par les épreuves les plus légères, et puis Il attaque par les endroits les plus sensibles ! Les vertus pratiquées avec force sont bien désignées par la perte des enfants de Job : elles étaient en cette âme comme dans une maison de plaisir, où elles semblaient n’avoir été d’une manière si délicieuse que pour être anéanties avec plus de douleur et de honte. O c’est le coup le plus étrange que Job pouvait recevoir ! C’est la perte de toutes les pertes : perdre les vertus, et les voir comme étouffées dans cette âme ! Le vent de l’orgueil et de la propriété a tout détruit et arraché. O Job, comment pourrez-vous supporter ce dernier coup si étrange, et qui a été précédé de tant d’autres ?

V.20. Alors Job se leva, déchira ses vêtements ; et s’étant rasé la tête, il se jeta par terre et adora Dieu,

V.21. Et dit : Je suis sorti tout nu du ventre de ma mère et j’y retournerai tout nu. Le Seigneur m’avait tout donné, le Seigneur m’a tout ôté, il n’est arrivé que ce qui lui a plu: que le nom du Seigneur soit béni !

[16] Alors Job se lève comme d’une léthargie où des coups si accablants le tenaient et connaissant la volonté de Dieu dans ce dépouillement, comme pour seconder ce que Dieu faisait, il ne s’afflige point désordonnément ; il déchire seulement ses habits et son âme dégagée de toute affection dans sa partie supérieure, très bien exprimée par la tête rasée, se jette dans son néant et dans le lieu où il doit être, qui est la terre de sa misère et de sa bassesse, et il adore Dieu de cette sorte par un abandon total et une soumission entière à Ses volontés. Il s’abandonne non seulement pour tout ce qui était arrivé, mais même pour tout ce que Dieu pourrait vouloir.

Quoique l’histoire de Job nous soit proposée comme un miroir de patience pour toutes les choses extérieures, elle nous présente aussi le modèle le plus expressif de l’état intérieur, des dépouillements où il faut que l’âme passe, et de la manière dont ils se doivent passer. Il n’y en a point dans les livres sacrés de plus significatif, de mieux suivi ni de plus instructif. Voyons-en toutes les paroles.

Jusqu’à présent Job n’a pas ouvert la bouche, ni pour parler, ni pour se plaindre dans ses peines. Que dit-il maintenant ? Je suis sorti nu du ventre de ma mère, et j’y retournerai nu. Mais, ô prophète patient, que voulez-vous dire ? Pouvez-vous bien rentrer dans le ventre de votre mère ? Oui, car il me faut renaître de nouveau [120], et si je ne renaissais pas, je ne pourrais pas entrer dans le royaume de Dieu. Enseignez-nous donc quelle est cette manière, et s’il est possible qu’un homme fait rentre dans le ventre de sa mère. Cette mère, c’est Dieu et le néant. Nous [17] sommes sortis de Dieu dans la nudité de toute propriété et du néant dans la nudité de tout bien. Il me faut rentrer et dans le néant et en Dieu, et je ne puis entrer en Dieu sans être anéanti et entièrement nu, et dans la même nudité avec laquelle j’en suis sorti. Voilà la vérité que je conçois, qui me fait comprendre que j’ai encore bien d’autres pertes à faire. Mais que pourriez-vous perdre plus que vous n’avez fait ? N’êtes-vous pas dépouillé de tous vos biens, de vos enfants, de tout ce qu’il y a d’extérieur, et même de l’intérieur ? N’importe : j’ai encore d’autres dépouillements à faire, auxquels je m’abandonne. Il faut que je les souffre pour rentrer dans le ventre de ma mère tel que j’en suis sorti.

Mais je suis content de toutes ces choses; parce qu’elles sont dans la volonté de Dieu.  [...]

Chapitre III

V.6. Qu’un tourbillon ténébreux règne dans cette nuit, qu’elle ne soit point comptée parmi les jours de l’année, ni mise au nombre des mois.

Job souhaite que les ténèbres, comme un [30] tourbillon fort précipité, entrent en possession de cette nuit qu’il avait pourtant regardée comme le plus beau jour. Car il est vrai que la méprise de l’âme est telle qu’elle prend ces petites lueurs d’étoiles pour le véritable jour, parce qu’elles brillent, et que l’âme les peut distinguer ; et elle ne voit pas que les ténèbres (qu’elle croit telles) sont les véritables lumières, dont la trop grande clarté l’obscurcit et l’éblouit, de sorte qu’elle prend le jour de la foi pour la nuit, et la nuit des lumières pour le jour ; car la foi ne paraît nuit que parce que sa clarté nous éblouit et nous empêche de pouvoir distinguer sa lumière, comme nous voyons que nous ne pouvons regarder ni distinguer le soleil, mais qu’à cause de l’excès de sa lumière nous sommes obligés de fermer les yeux et d’entrer en ténèbres, ce qui n’arrive pas la nuit, où nous distinguons bien la lune et les étoiles. De sorte que l’âme peu instruite prend l’état de lumières, qui est une nuit brillante, où l’on distingue toutes les lumières, pour le jour, et l’état de foi, où l’on demeure aveuglé et sans pouvoir rien distinguer par l’excès de la lumière, pour une nuit. […]

V.18. C’est là que ceux qui étaient autrefois liés ensemble ne souffrent plus aucun mal, et ils n’ont pas ouï la voix de l’exacteur.

Par ceux-ci, Job entend parler des âmes [36] communes, ou religieuses, qui sont unies sans dégoût pour faire le bien, mais qui aussi n’ont pas ouï la voix de l’exacteur, qui arrache tout, et n’ayant pas connu cette voix, elles n’en ont pas été troublées. Cet exacteur est Dieu, qui redemande tout ce qu’Il a donné, sans en laisser chose au monde. L’âme demeure alors dans son état naturel, et comme privée de vie.

Sitôt que l’âme est séparée du corps, tous les moyens de vie étant ôtés, le corps tombe dans la pourriture et l’infection ; et plus il a été délicat et beau, plus est-il alors difforme et puant. Voilà ce que Dieu, vengeur et exacteur, fait. Il examine et juge nos justices [121], et voyant de la propriété en toutes choses, Il reprend et arrache tout ce qui était à Lui, qui est ce qui animait et vivifiait l’âme, qui devient alors comme un cadavre puant. Dès que Dieu a retiré le souffle de Son Esprit qui l’animait, elle devient toute sale et difforme. Il ne lui reste plus rien de sa première beauté.

Ces âmes communes, qui vivent ensemble dans l’union, et qui n’entendent pas la voix de l’exacteur, sont le sujet de l’envie et du désir de ces autres qui disent : hélas, si je ne m’étais pas abandonné à Dieu comme j’ai fait, je serais à couvert de ces maux, ou si, m’y étant abandonné, je n’étais point sorti du train commun pour entrer dans cette voie, je ne serais pas comme je suis. […]

Chapitre IV

V.9. Ils sont renversés par le souffle de Dieu, et sont emportés par l’esprit de son ire.

[44] Ce sont les méchants, et non les justes, qui périssent par le souffle de Dieu, et qui sont consumés par l’esprit de son ire. O aveuglement étrange ! on prend la plénitude de la divine Justice pour l’ire de Dieu, et le souffle d’amour pour le souffle de colère. Les pécheurs, il est vrai, sont châtiés par le souffle de la colère de Dieu, et sont consumés par l’esprit de son ire : mais pour les âmes justes, elles sont anéanties par le souffle de l’amour pur, qui sort de Dieu même, et  consumées par l’esprit de Sa divine Justice, qui, afin que Dieu reste seul, arrache tout à l’homme. Cependant, comme ces choses paraissent semblables à ceux qui ne sont pas divinement éclairés, on les prend pour la même chose, quoiqu’elles soient infiniment différentes.

Chapitre V

V.4. Ses enfants seront bien éloignés du salut, ils seront foulés aux pieds à la porte, et il n’y aura personne qui les délivre.

Quoique le sens littéral de ce passage soit, aussi bien que du précédent, une suite d’insultes faites à Job sur la perte de ses enfants, que l’on regarde comme un châtiment, il est cependant certain que, Job étant une figure mystique, ceci s’applique très bien à la perte des divines vertus, qui sont comme le fruit et les productions d’une âme de foi. Ces vertus, ayant servi d’appui et d’assurance de salut lorsque l’on n’en doit avoir qu’en Dieu seul, sont détruites en tout ce qu’elles ont d’apparent ; et cette perte paraissant inévitable, c’est alors que l’abandon triomphe véritablement, puisque c’est la consommation de l’abandon que de savoir se délaisser dans le désespoir de tout salut. Cet état est d’une extrême pureté d’amour, étant d’un désintéressement achevé. L’amour n’est pur qu’autant qu’il est désintéressé.

[51] Ses fils seront foulés aux portes : comment cela? C’est qu’ils sont comme chassés d’eux-mêmes parce que Dieu, qui veut y habiter seul, les en bannit : et c’est dans ce passage et cette perte qu’Il donne pouvoir à toutes les créatures et à tout l’enfer de les accabler, et que personne ne les en délivre ; car personne ne le peut faire, et tous les efforts possibles de la créature ne peuvent la tirer de cet état, à moins que de quitter la voie, et rester toute sa vie dans un état violent. Mais, lorsqu’il plaît au Seigneur, Il les en délivre tout à coup, dissipant en un instant et les ténèbres par Sa clarté, et les ennemis par Sa puissance.

La consolation que les amis de Job voulaient lui donner était plutôt un sujet de le désespérer, s’il n’eût espéré en son Sauveur, ainsi que ce qu’il dit dans la suite fait assez voir l’usage qu’il fit d’une si étrange persécution : car toute la réponse qu’il fit au désespoir qu’on lui veut inspirer est que son Rédempteur est vivant, marquant par là que, n’ayant plus de salut en soi, il en trouve en son Sauveur un d’autant plus grand qu’il a moins d’appui en lui-même.

V.6. Rien ne se fait dans le monde sans sujet, et ce n’est point de la terre que naissent les maux.

V.7. L’homme est né pour le travail, et l’oiseau pour voler.

Il est vrai que rien ne se fait sans cause sur la terre, et que la divine Providence conduit tout pour la gloire de Dieu et pour notre perfection. Mais la cause n’est pas toujours telle que l’on pense: vous croyiez que c’est à cause de ses péchés que cet homme est puni, et que [52] cette punition est pour sa perte et sa damnation ; et c’est tout le contraire. Cet homme est affligé parce qu’il a été fidèle à Dieu, qu’il ne s’est jamais détourné de sa voie ; et cette affliction sera la cause de son salut. Il est très vrai que les maux ne viennent point de la terre, et c’est avec injustice que nous en accusons les créatures. La douleur vient du ciel : c’est Dieu qui nous l’envoie, parce qu’elle nous est nécessaire. Il n’a nul dessein, comme je l’ai déjà dit, de nous affliger, mais de nous sauver. C’est pourquoi les souffrances doivent être regardées comme des véritables biens qui nous sont départis par un père plein d’amour et de tendresse, qui ne nous fait souffrir que pour guérir nos blessures mortelles.

Le caractère de l’homme, tant qu’il reste en lui-même, est de travailler et de souffrir, mais celui de l’oiseau est de voler. Ainsi celui qui, par un effort généreux sortant de lui-même, prend son essor d’un vol hardi dans les airs de la Divinité, goûte alors le repos, et il est affranchi du travail qui est le partage de l’homme infortuné et coupable. Cette comparaison de l’oiseau est très propre : il faut ou travailler comme l’homme, ou voler comme l’oiseau dans l’immensité même.  [...]

V.14. Au milieu du jour ils trouveront les ténèbres, et en plein midi ils marcheront à tâtons comme s’ils étaient dans la nuit.

[…][54] Dieu permet qu’ils soient aveuglés par leurs propres raisonnements, et qu’ils ne voient pas la vérité, laquelle pourtant est toute proche d’eux. Car tout homme porte en soi un certain caractère, qui est celui des enfants de Dieu. Ce caractère est la motion divine, qui pousse l’homme au-dedans à tout ce que Dieu peut vouloir de lui : et s’il était fidèle à suivre cette lumière, cachée dans le plus profond de lui-même, il courrait dans la voie des commandements de Dieu, sans que rien le fît tomber.

Plusieurs, trompés par leur sagesse, ne veulent point suivre cette divine motion, parce qu’elle combat leurs faux raisonnements, et que, s’éloignant incessamment de Dieu et de Ses volontés, ils perdent le principal caractère des enfants adoptés, qui, selon saint Paul, est celui de la motion divine. D’autres, fous et insensés, ont cru que, lorsqu’on parlait de suivre la motion divine, c’était suivre l’égarement de leur esprit et le dérèglement de leur cœur, c’était suivre les mouvements de la nature et de la cupidité. Non : la motion divine n’a rien d’extérieur [55] ni de charnel [122] ; elle est dans le plus intime de l’âme, et elle porte avec soi un caractère divin, quoique non pas toujours accompagnée d’une certitude absolue, à cause de sa délicatesse ; mais elle ne se laisse pas ignorer de celui qui est fidèle à la suivre, qui sait fort bien la discerner et des pensées de l’esprit, et des désirs du cœur charnel. […]

V.19. Après vous avoir affligés six fois, Il vous délivrera; et à la septième Il ne permettra pas même que le mal vous touche.

[57] Dieu permet que les âmes passent par d’étranges épreuves. Il les frappe autant de fois qu’Il a dessein de les purifier. […] Mais la septième fois, qui est l’état très passif, et qui introduit dans le Sabbat ou repos divin, on ne sent presque pas les coups; et même on parvient par une très grande mort à ne plus les sentir du tout. [...]

V.22. Vous rirez au milieu de la désolation et de la famine, et vous ne craindrez point les bêtes de la terre.

V.23. Si vous rencontrez des pierres en votre chemin, elles ne vous blesseront point, et les bêtes sauvages seront douces pour vous.

[58] C’est le véritable portrait d’une âme arrivée en Dieu, et qui se repose dans sa fin, qui n’est autre que la volonté de Dieu. Elle vit contente au milieu de la désolation : elle est même comblée de joie au milieu des douleurs. Il n’y a plus rien à craindre des démons ni des hommes pervers, qui ne peuvent plus corrompre un cœur abîmé dans la volonté de Dieu. Les sujets de chutes n’ont plus de force pour faire tomber dans le mal, parce que les racines de cette âme plantée sur la pierre vive, Jésus-Christ, sont tellement profondes, que rien ne la peut plus ébranler.

V.24. Vous saurez que votre tabernacle sera en paix; et vous ne pécherez point en visitant votre espèce.

L’Ecriture dit ici que lorsque le fond et le centre de l’âme est mis dans une paix immuable et dans une grande liberté, c’est alors que le [59] tabernacle est en paix, parce que ce centre est le tabernacle du repos  [...]

V.25. Vous saurez aussi que votre race sera en grand nombre, et votre postérité comme l’herbe de la terre.

Vous saurez aussi, en ce temps heureux de votre liberté en Dieu, que votre postérité sera en grand nombre, car c’est alors que Dieu donne un grand nombre d’enfants spirituels et fait faire des fruits merveilleux. On ne saurait croire les âmes que ces personnes engendrent à Jésus-Christ… 

Chapitre VI 

V.9. Que celui qui a commencé, achève de me briser,

V.10. Et que j’aie cette consolation, qu’en m’affligeant de douleurs, Il ne m’épargne pas. Je ne contredirai point aux paroles du Saint.

[65][…]Les autres Vous prient d’avoir pitié d’eux. Les plus grands saints craignent Votre rigueur, parce qu’ils sont saints et qu’ils ont quelque chose à perdre. Mais moi, qui suis la plus pauvre des créatures, je ne suis propre qu’à exercer Votre justice. O Amour, ne m’épargnez pas. Mon abandon est si entier et je suis si amoureux de vous, ô divine Justice, que, quelque rigueur que Vous exerciez en mon endroit, je ne contredirai point aux paroles du Saint ; car comme Ses paroles sont saintes, aussi les œuvres sont toutes dans la sainteté.  

 V.11. Quelle est ma force pour soutenir ? Ou quelle est ma fin, pour souffrir avec patience ?

Ce qui me porte à vous demander que Vous ne m’épargniez pas, n’est pas que je croie avoir de la force pour soutenir les maux que Vous m’enverrez : non, non, je n’ai pas cette présomption ; je ne songe pas à les soutenir, puisque je veux bien en être brisé et abattu, et je sais que toute la force de l’âme est moins qu’une feuille. Je ne songe point non plus avoir de la patience : ce n’est point là ma fin dans la prière que je vous fais ; mais content de n’avoir jamais de patience, de souffrir sans soutenir, et de pâtir sans patienter, je me laisse à vous pour tout ce qu’il [66] Vous plaira ; la gloire que Vous tirerez de ma perte me suffit [123].

V.12. Ma force n’est point la force des pierres, et ma chair n’est pas d’airain.

Job, par ces paroles, fait voir à toutes les âmes affligées que la patience ne consiste pas, comme quelques-uns se l’imaginent, à ne rien ressentir : non, la force ne consiste pas à résister à la douleur comme les pierres qui résistent à tout, mais à plier sous la douleur comme la chair qui est flexible et pliable. Soutenir la douleur est pour les pierres, mais plier sous la douleur par un abandon total est tout ce qu’il faut.  [...]

V.13. Voici, il n’y a rien en moi qui me soit à secours ; et mes amis les plus nécessaires se sont retirés de moi.

Je cède, dit Job, au mal et ne lui résiste [67] point. Il n’y a point de trompette qui fasse retentir ma patience ; mais le murmure sourd d’une chair battue.  [...]  Combien de saints dans les déserts étaient privés de toutes créatures ? Mais ils n’étaient pas privés, comme Job, de ces amis nécessaires, qui sont la présence de Dieu perceptible, sa force et son secours, toutes les vertus qui soutiennent l’âme : voilà les choses qui se sont toutes retirées pour laisser l’âme à elle-même, et c’est cet abandon qui dans les croix est la plus étrange de toutes les croix, et la cause de toutes les faiblesses. [...]

Chapitre VII

V.1. La vie de l’homme sur la terre est un combat continuel et ses jours sont comme les jours d’un mercenaire.

V.2. Comme un esclave soupire après l’ombre et comme le mercenaire attend la fin de son travail.

Job nous fait voir que tant que l’homme reste sur la terre de lui-même et de ses passions, il est dans un combat continuel et que ses jours sont comme ceux des esclaves et des mercenaires. Mais lorsque l’âme, par un abandon généreux, sort d’elle-même pour se perdre toute en son Dieu, alors elle est en Lui comme dans un ciel, affranchie de tous ces combats. Dieu combat pour elle et elle se repose en son Dieu. Alors elle n’est plus comme le mercenaire qui attend sa délivrance, mais comme l’enfant qui ne travaille [73] que pour plaire à son père sans attendre la récompense.

Autrefois, continue-t-il de dire, comme un esclave fatigué, je désirais l’ombre, parce que j’étais toujours dans la chaleur du travail, et que je n’avais pas le repos que je possède. J’attendais comme le mercenaire pour voir la fin et pour avoir le prix de mon travail ; mais je n’attends plus rien : je regarde à présent ma peine comme ma récompense. […]

V.5. Ma chair est couverte de pourriture et d’une sale poussière; ma peau est toute sèche et toute retirée.

Job a bien raison de dire que sa chair est couverte de pourriture. Il est écrit : vêtue [124]. Ce mot n’est pas mis sans sujet et il exprime très bien comme la pourriture n’est que superficielle quoiqu’on la croit bien profonde. Cette pourriture est un vêtement que le Maître ôte tout d’un coup lorsqu’il Lui plaît, mais que nulle créature ne peut ôter. Elle n’est donc que superficielle et non intime.

La propriété est une pourriture et une saleté qui endommage la substance de l’âme, mais cette pourriture dont Dieu Se sert [75] pour arracher la propriété de l’âme n’est que comme un vêtement. La poudre couvre aussi cette pourriture et cette pourriture devient poussière à mesure que l’anéantissement se fait, comme le corps se pourrit peu à peu et devient poussière en se détruisant. Il est ajouté que la peau est séchée et toute retirée : ce rétrécissement n’est en effet que pour la peau, pour le dehors, durant que l’âme jouit d’une parfaite liberté. […]

V.7. Qu’il Vous souvienne que ma vie est comme le vent et que mon œil ne retournera point pour voir les biens.

Qu’il Vous souvienne, ô mon Dieu, dit cet innocent affligé en se tournant du côté de son aimable exacteur, qu’il Vous souvienne que ma vie est comme le vent, qui se lève, qui emporte quelque [76] poussière et puis ne paraît plus. Voilà ce qu’a été ma vie. Les jours de vie que j’ai eus ont été comme un vent impétueux, qui a fait bruit en se levant, mais qui m’a chargé de cette poussière qui me couvre aujourd’hui dans mon état de mort. [...]

V.8. Les hommes qui m’ont vu ne me regarderont plus : Vos yeux sont sur moi et je ne serai plus.

 [...] Mon anéantissement me fera disparaître de devant tous les hommes. Je serai pour eux dans un oubli éternel. Mais lorsque Vous me regarderez, ô mon Dieu, ce sera véritablement ce regard qui m’anéantira et me fera disparaître, toute la vue et tous les regards que je pourrais jeter sur moi-même ne pouvant point m’anéantir, ni tous les mépris des créatures, mais le seul regard de Dieu. C’est Lui qui anéantit l’âme en un moment, mais, ô que ce regard est terrible ! Cette connaissance faisait dire au bienheureux Jean de la Croix dans son Cantique : O que Votre regard [77] me tue [125] ! C’est ce regard qui anéantit si fort l’homme que Job dit : sitôt que Vos yeux seront sur moi, je ne serai plus.

V.9. Comme une nuée se dissipe et passe outre, ainsi celui qui descend aux enfers ne remontera plus.

Job parle d’un état  qui est très réel et qui suit l’anéantissement ou plutôt qui s’opère dans l’anéantissement. Comme la nuée se dissipe et passe outre, aussi sitôt que la consommation est faite, certaines âmes, privilégiées dans la nature de leurs peines et dans le dessein que Dieu a sur elles, entrent dans l’enfer spirituel qui est un état le plus étrange et le plus terrible de la vie spirituelle, parce que tout espoir est ôté [126]. Il paraît à l’âme qu’il ne peut y avoir de salut pour elle ; elle croit n’en revenir jamais ; elle ne se trouve ni en Dieu, ni en elle, mais souffre en quelque manière la peine de la damnation. Ceci n’est point l’état de blasphème, c’est un état où l’âme est comme hors de tout être et de son lieu propre, bannie du souverain Etre qui est Dieu et bannie d’elle-même, en sorte qu’il ne lui reste chose au monde que la plus terrible perte qui fût jamais. Jésus-Christ, pour nous instruire de cet état, voulut descendre aux enfers après Sa mort, et tirer les âmes des saints Pères qui y étaient avant que d’entrer au ciel. Lorsque l’âme est en cet état, il n’y a que Dieu qui l’en puisse tirer : c’est pourquoi Job dit qu’elle ne remontera plus. La raison aussi pourquoi Job dit encore que l’âme ne montera plus après avoir été aux enfers, c’est que cet état d’enfer est le comble de l’anéantissement, [78] de sorte que, lorsque l’âme a passé ces états, elle n’est jamais plus en danger de remonter par une élévation d’amour-propre.

V.10. Il ne retournera plus en sa maison et le lieu où il était ne le reconnaîtra plus.

L’âme après cet état ne retournera jamais plus en elle-même, qui est la maison et le lieu où elle habitait : on ne l’y reconnaît plus, tant elle en est séparée. Cet état d’enfer doit se passer après que l’âme est sortie d’elle-même et lorsqu’elle commence à être reçue en Dieu. Dieu la rejette en apparence, pour lui donner un nouveau degré de pureté ; et alors elle n’a plus de lieu propre, parce qu’elle n’est plus ni en elle ni en Dieu. Elle est bannie de tous les êtres et de tous les lieux qui lui sont propres. Cet état est de peu de jours et l’âme ne le pourrait porter plus longtemps. [...] [79]

V.12. Suis-je une mer, ou une baleine, que vous m’ayez environné d’enclos et de prison ?

Cette personne affligée, se trouvant dans un état si étrange et n’y voyant point d’issue, ne sait de quels termes se servir pour s’exprimer. Elle sent d’un côté son âme d’une largeur très grande, et que la douleur est immense, et cependant comme elle n’y voit point de fin, elle se voit en même temps et sans bornes et prisonnière, immense et rétrécie. [...] Je me trouve immense, je ne vois point de bornes ni de limites et cependant je n’ai point d’issue.  Un peu de sable arrête ma furie, dit la mer, et la baleine ne peut sortir des eaux, quoiqu’elle ne trouve rien qui la rétrécisse. Je ne puis de même sortir de [80] mon amertume et de mon enfer, quoique j’y vois une immensité étrange. Rien ne me rétrécit et je ne laisse pas pourtant d’être emprisonné : ma prison n’a ni murailles ni remparts, et cependant je suis captif au milieu de la plus grande liberté ! [...]

V.16. J’ai perdu tout espoir et je ne vivrai plus. Pardonnez-moi car mes jours ne sont qu’un néant.

 [...] Pour donner quelque jour à ceci, il faut savoir que dans tous les états par où l’âme passe et en chacun d’eux, il y a un purgatoire particulier à passer, ou une purification, qui est une espèce de mort toujours suivie d’une nouvelle vie. C’est ce qui fait que bien des âmes s’y méprennent, qui, lorsqu’elles ont passé ces purifications, ces morts et ces vies, se croient être [83] arrivées à la fin. Il y a quantité d’alternatives de mort et de vie, mais tout cela n’est point encore la mort du fond, qui est la principale.

La mort du fond est forte, terrible, étrange et durable jusqu’à ce qu’il ne reste pas la moindre vie en rien, quel qu’il soit. Et au lieu que les autres morts nous font entrer d’abord dans la vie qui les suit et qui a rapport à cette mort, la mort totale au contraire nous conduit dans un état de pourriture et de purgatoire terrible et bien différent de l’état de mort. [...] Un corps mort n’est consumé et anéanti que par la pourriture entière, aussi l’âme n’est anéantie que par cette purgation totale, qui cependant ne se fait que par degrés et peu à peu, comme cela se voit dans un corps mort, qui ne perd sa figure d’homme  que peu à peu et à mesure que les vers le mangent et le rongent […]

V.18. vous le visitez le matin et subitement vous l’éprouvez.

Cette visite du matin est la visite que Dieu fait à l’âme dans le premier jour de Ses grâces et de Son amour, semblable en apparence au jour de l’éternité ou de la résurrection, mais très différent en effet. Ensuite de quoi elle est éprouvée par les plus étranges peines.

Job veut encore parler de l’état ordinaire des épreuves et des visites alternatives où la visite précède l’épreuve et plus la visite est douce [86] et grande, plus l’épreuve doit être forte. Cette visite est encore pour l’état de sépulcre où l’âme étant comme dans un cachot, il semble que dans ce cachot elle soit visitée d’un petit éclair de lumière ou d’un essai de résurrection et de vie, mais qui n’est rien qu’un éclair ou un essai de la vie qui doit venir et que la créature ne connaît pas néanmoins. Cela ne sert pour l’ordinaire qu’à lui faire mieux sentir son épreuve, comme si un homme mort pouvait à la faveur d’une lumière se voir manger des vers [...]  

V.20. J’ai péché. Que vous ferai-je, ô gardien des hommes ? Pourquoi m’avez-vous rendu contraire à vous ? Et pourquoi suis-je à charge à moi-même ?

V.21. Pourquoi n’ôtez-vous point mon péché et n’effacez-vous point mon iniquité ? Voici, maintenant, je vais m’endormir dans la poussière et si vous me cherchez au matin, je ne serai plus en être.

 [...][89] Ce n’est point notre misère et notre pauvreté qui sont contraires à Dieu, mais c’est notre propriété et notre propre volonté.  Cette même boue, en vous arrachant toute propriété, tout amour-propre, toute propre volonté, vous empêche d’être contraire à Dieu. Dieu nous ayant formé de boue, la boue ne lui déplaît pas: comme elle est molle et pliable et qu’elle se laisse donner telle forme que l’on veut, c’est pour cela que Dieu a formé l’homme de boue et qu’Il ne l’a pas formé de pierres ni de matière qui résiste. Vous êtes moins contraire à Dieu lorsque vous êtes boue que si vous étiez diamant [...]  

Bien des âmes ont le péché effacé, mais peu ont la propriété détruite et consumée : l’un est la mort et l’autre est l’anéantissement. Dans le premier état, quoique l’on souffre de voir que le péché n’est point effacé, il paraît effaçable ; dans le second, on ne le trouve plus pour l’effacer, [92] parce qu’il ne se trouve plus là de subsistance ni d’être, pour petit qu’il soit ; aussi n’y-a-t-il plus ni peine ni douleur  [...]  lorsqu’il [l’homme pécheur] est si détruit qu’il n’y a que de la poussière, il ne se distingue plus de la terre, il est terre paisible et tranquille, n’ayant plus de subsistance et étant retourné dans le néant dont il était sorti. L’homme avant que d’être créé ne pouvait être distingué de la terre que par Dieu même, et l’homme redevenu terre et pourriture ne peut être distingué que de Dieu.  [...]

[96] Lorsque tout ce qui est d’Adam est devenu poussière et qu’elle est réduite dans le néant, ce germe de vie divine et de vie de Dieu qui était caché et étouffé sous la vie d’Adam et incommodé par le cadavre qui l’empêchait de croître, se voyant entièrement dégagé de tout ce qui était d’Adam, croît peu à peu et renouvelle toutes choses, et enfin il devient si grand, si entier et si libre que rien ne le rétrécit ni ne l’incommode. Ceci est une vérité si solide que nul corps ne sera reçu au ciel qu’il ne soit détruit par l’anéantissement, ni nulle âme en Dieu qu’elle ne soit de même anéantie et qu’il ne lui reste plus aucune subsistance propre ou propriété. […]

Chapitre VIII 

V.5. Si néanmoins vous vous empressez d’aller à Dieu et de conjurer par vos prières le Tout-puissant,

V.6. Si vous marchez pur et droit, incontinent  Il s’éveillera pour vous secourir et il rendra la demeure de votre justice pacifique.

[98] Toutes les personnes qui n’ont pas d’expérience prennent cet état d’épreuve pour un relâchement et pour une injustice. On croit qu’il est venu parce qu’on a commis quelque péché et qu’on a quitté la voie de la vérité et de la justice, et nul ne comprend que c’est un état de peine et de misère que Dieu permet pour purifier l’âme, l’anéantir et ensuite la revivifier. On dit à cette personne que si elle faisait quantité de prières à Dieu, Il la délivrerait de cet état, on la porte à demander cette délivrance de toutes ses forces, à faire ce qu’elle peut pour l’obtenir et tout cela ne fait qu’augmenter son mal. Il faut au contraire la porter à se délaisser à Dieu [...]

[99] Peut-on marcher pur et droit si Dieu ne donne cette pureté et cette droiture ? Il n’y a pas une âme qui ait plus de pureté que celle qui perd toute propriété et toute impureté foncière, quoiqu’il y paraisse bien des impuretés extérieures. Y a-t-il rien de plus droit qu’une âme qui, malgré l’extrémité de ses peines, ne se détourne pas un moment de la volonté de Dieu, ne se tire pour peu que ce soit de son délaissement et de son abandon ?  [...] on dit que Dieu les a délaissées à cause de leurs péchés, et que Sa providence, qui veille sur les bêtes mêmes, est endormie pour elles. C’est  la plus grande insulte que l’on puisse faire à Dieu et ce fut la moquerie qu’Elie fit au faux dieu Baal de dire qu’il dormait. [...]

V.13. Telle est la voie de tous ceux qui oublient Dieu et c’est ainsi que l’espérance de l’hypocrite périra.

Prendre pour un oubli de Dieu Sa présence profonde et générale et cette permanente possession de Lui-même, parce qu’elle n’est plus sensible, c’est une erreur bien grossière. Dieu étant devenu l’âme de notre âme et le principe de nos mouvements, ne Se sent plus et ne Se distingue plus, comme nous ne sentons point notre âme quoiqu’elle anime notre corps. Nous savons que c’est elle qui fait agir et mouvoir ce corps, sans [104] néanmoins penser distinctement que cela soit, quoiqu’il n’y ait rien de plus certain et que nous n’en puissions pas douter. Cependant, les personnes qui entendent parler les âmes intérieures de cet état très nu, le prennent pour un oubli de Dieu. Ô qu’ils se trompent bien ! Dieu est leur principe vivifiant.

Cet homme aveuglé de sa fausse sagesse ajoute que l’espérance de l’hypocrite périra, prenant la confiance et l’espérance que l’on a en Dieu pour une hypocrisie, ce qui en est pourtant bien éloigné : car que fait l’hypocrite, selon le témoignage de Jésus-Christ même ? Il s’appuie sur sa propre justice, se confiant en lui-même, mais la véritable espérance ne s’appuie qu’en Dieu seul. […]

Chapitre IX 

V.14 Qui suis-je donc pour Lui répondre et pour oser Lui parler?

 [...]  Il nous apprend aussi la nécessité qu’il y a de garder le silence devant Dieu par un profond respect et un hommage à Sa grandeur, et non pas de parler avec Lui. Il est certain qu’un courtisan n’ose pas parler à son Roi qu’il ne le fasse parler : il demeure auprès de lui dans un silence plein de respect et s’il voulait incessamment lui parler, il mériterait d’être chassé comme un téméraire [127]. On convient de cela pour les Rois et on ne le fait pas pour Dieu ! Présentons-Lui nos requêtes, à la bonne heure, parlons-Lui pour nos besoins si nous sommes en état de le faire, mais après demeurons en silence, attendant que Dieu nous parle et écoutons-Le sans L’interrompre. Si nous croyions, si nous [109] avions la foi qu’Il connaît nos besoins avant que nous les Lui demandions, nous ne nous mettrions pas ainsi en peine de les demander ; mais nous Le laisserions le maître absolu de tout, sachant que Sa bonté a plus de soin de nous que nous-mêmes et qu’Il veut plus notre bien que nous ne le saurions vouloir. [...]

V.26 Ils sont passés avec la même vitesse que des vaisseaux chargés de fruits et qu’un aigle qui fond sur sa proie.

[115] Cette comparaison est la plus naïve du monde. Le vaisseau ne laisse point de traces sur la mer lorsqu’il passe, cependant lorsqu’il porte des marchandises de garde, il laisse toujours des assurances de ce qu’il a porté ; mais lorsqu’il porte du fruit, quoiqu’il soit chargé en sortant de son port, ce fruit se pourrit peu à peu et lorsque le vaisseau arrive, il se trouve vide. Voilà l’état de cette âme. Lorsqu’elle sortit de sa propre conduite pour entrer dans la voie de l’abandon, elle était si chargée de marchandises que rien plus ; mais comme ce n’était que du fruit, ou, selon le mot latin, des pommes et qu’elles se pourrissaient peu à peu, le navire se déchargeait à mesure et l’on jetait ces pommes dans la mer, jusqu’à ce qu’il n’en restât plus.

L’autre comparaison de l’aigle [128] est aussi fort juste. L’aigle en volant ne laisse nulle trace de son vol ; elle vole avec impétuosité et fort haut, mais c’est seulement pour aller à la proie et être nourrie, après quoi elle perd et digère peu à peu ce qu’elle avait pris, en sorte qu’il ne lui en reste plus rien et elle devient aussi affamée que si elle n’avait rien mangé [129]. […]

V.29 Mais si après cela je suis encore méchant, pourquoi ai-je travaillé en vain ?

 […] Il faut labourer la terre avant que d’y semer et c’est la préparation de la semence, car si on semait sur une terre dure et inculte, la semence ne germerait pas ; mais lorsque le maître a semé, il se contente de couvrir cette semence ; après quoi il la laisse germer, croître et fructifier peu à peu ; mais s’il voulait labourer incessamment, il empêcherait pour toujours la semence de prendre racine et elle serait inutile. [118] Il en est de même de l’âme : lorsqu’elle a labouré la terre des deux façons ordinaires qui sont la méditation et l’affection (plus de la dernière que de la première), alors le maître vient semer ; après quoi il n’y a plus qu’à couvrir la semence par le recueillement et l’attention à Dieu, puis demeurer en repos, attendant qu’elle germe, croisse et qu’elle fructifie, ce qui ne se fait que peu à peu et en essuyant bien des accidents de neiges, de gelées et semblables ; elle est souvent foulée aux pieds, mais enfin, malgré tout cela, elle sort de terre et paraît. Avant qu’elle soit levée il n’en paraît rien, on ne la voit point, mais on sait seulement qu’elle est là et c’est assez. Même, jusqu’à ce que le blé soit dans la grange, le maître n’est point assuré de son grain, il y a toujours du risque à courre [130] ; il faut cependant abandonner tout aux soins de la Providence, le laboureur ne pouvant en rien contribuer à l’accroissement de la semence. Tout se trouve de même en nous.

V.30 Quand j’aurais été lavé dans de l’eau de neige et que la blancheur de mes mains éblouirait les yeux par leur éclat ;

V.31. Néanmoins vous me plongerez dans l’ordure et mes vêtements m’auront en horreur.

 Quand je serais lavé et purifié de la purification extérieure la plus grande, et que mes mains, qui sont mes œuvres, paraîtraient si pures qu’elles seraient éclatantes de blancheur, vous ne laisseriez pas de me plonger dans l’ordure. Il faut savoir que Job parle ici de la purification superficielle des sens et des puissances, et non de la purification centrale ; et il fait voir que les âmes dont la vie a été la plus innocente ne sont point exemptes de [119] cette purgation centrale. Quand bien même, dit-il, j’aurais été lavé dans une eau de neige et que j’aurais été toujours pur, je ne laisserais pas d’être  propriétaire, m’étant attaché à mon innocence et à ma pureté, comme les vierges folles. […]

Chapitre X

V.17. [128] vous produisez contre moi des témoins…

Ces témoins que Dieu produit contre l’âme, sont de nouvelles connaissances qu’Il lui donne tous les jours des propriétés qu’elle avait en toutes choses et de la vie dans laquelle elle était, qu’elle croyait pourtant une grande mort [...]  

V.20. Le peu de jours qui me restent ne finiront-ils pas bientôt ? Laissez-moi donc, que je plaigne un peu ma douleur,

V.21. Avant que je m’en aille sans espérance de retour, en cette terre ténébreuse, couverte de l’obscurité de la mort ;

V.22. Cette terre de misère et de ténèbres, où habite l’ombre de la mort, où tout est sans ordre et dans une éternelle horreur.

[…][131] Job parlait de tous ses états, les entremêlant, parce qu’il ne parlait pas seulement pour lui, mais pour toutes les âmes qui seraient comme lui dans ce terrible passage de la vie à la mort et de la mort à la vie. Sa vie était passée, puisqu’il était dans le sépulcre ; mais il rappelle comme présents tous les états où il a passé. Il est certain que, quoique l’état de la pourriture soit infiniment plus pénétrant et plus profond que celui de la mort, l’âme pourtant est moins en état de s’en plaindre, étant comme étouffée par l’excès de son mal. […][132] Dans cet état [de pourriture], il n’y a que d’épaisses ténèbres plus obscures que la mort même, sans nul espoir de lumière. Il n’y a aucun ordre parce qu’à mesure que le corps se détruit par la pourriture, il perd tout ordre et toute composition : ce ne sont plus que des membres pourris, qui tombent en lambeaux et qui sortent de leur place et de leur constitution naturelle. […]

Chapitre XI

V.5. Qu’il serait à souhaiter que Dieu parlât Lui-même avec vous, et qu’Il ouvrît contre vous Ses lèvres,

V.6. Pour vous découvrir les secrets de Sa sagesse et la grandeur de Sa loi, et pour vous faire comprendre qu’Il exige beaucoup moins de vous que vos péchés ne méritent !

 [...]  On (les censeurs de Job) veut  encore leur faire prendre l’état qu’elles souffrent pour l’état de la première purification du péché et l’on veut qu’elle s’y comportent de même, ce qui néanmoins est impossible. Cependant, lorsque ces [135] âmes affligées, mais éclairées par leurs propres misères, veulent faire comprendre que cet état n’est pas la purification du péché, mais la purification de la vertu propriétaire, on prend cela pour des blasphèmes, des erreurs et des impiétés : elles ne peuvent pourtant dire autre chose que ce qu’elles ont expérimenté, parce qu’étant mises en vérité, elles ne peuvent parler que des paroles de vérité.

V.7. Trouverez-vous peut-être les traces de Dieu et trouverez-vous parfaitement le Tout-puissant ?

V.8. Il est plus élevé que le ciel : que ferez-vous? Il est plus profond que l’enfer : d’où Le connaîtrez-vous?

[...] On leur dit encore qu’il est impossible dans cette vie d’arriver à l’union intime et étroite avec Dieu. J’en conviens si c’est par ses propres efforts. Autrement, Dieu appelle certainement tous [136] les hommes à Son intime union, ne les ayant même créés que pour cela, et le moyen de trouver parfaitement le Tout-puissant est que nous défaillions entièrement à toute propre puissance, car alors nous tombons infailliblement et nécessairement dans le seul pouvoir divin.

Il est plus haut que le ciel, il est vrai, c’est ce dont je suis très persuadée, dit cette âme, et c’est pour cela que je ne prétends point aller à Dieu en m’élevant, parce que plus je m’élèverais, plus je Le trouverais élevé au-dessus de moi, sans pouvoir jamais L’atteindre. Mais je ne prétends autre chose que de tomber dans le parfait néant ; et étant là, ce sera où infailliblement je Le trouverai, tombant en Lui, puisqu’Il remplit nécessairement le vide du néant. Il est plus profond que l’enfer et c’est dans cet état d’enfer où je passe, que je serai plus en état de Le connaître par l’expérience que je fais et de la profondeur de Son immensité et de la grandeur de Son pouvoir.

V.9. Sa mesure est plus longue que la terre et plus large que la mer.

Et c’est pour cela que, persuadée que je suis de ne pouvoir L’atteindre  par aucuns efforts propres, je les quitte tous afin de me laisser anéantir et que ne demeurant plus rétrécie et bornée par mes propres activités, je sois anéantie et rendue vaste et immense comme le néant, qui est la seule disposition à posséder le Tout. Et comme Il est plus large que la mer, j’ai connu que ce serait une folie de vouloir [137] L’enfermer en moi, ou dans mon simple raisonnement, ou dans toutes mes industries et connaissant que, comme je ne puis contenir la mer, aussi ne puis-je Le comprendre. Cela me porte à me jeter dans cette mer infinie pour y être abîmée et perdue ; ne pouvant la contenir ni la comprendre, je veux qu’elle me comprenne et me contienne et c’est pour cela que, comme un torrent impétueux, je me précipite en elle. Un philosophe, voyant qu’il ne pouvait comprendre le flux et le reflux de la mer, sans s’arrêter à le considérer davantage, se jeta dans la mer pour en être compris ; et moi, ayant travaillé quelque temps à regarder et à considérer le flux et reflux de Dieu dans Ses divines personnes, et voyant que je ne Le pouvais comprendre, sans m’amuser plus longtemps à Le considérer, je me suis perdue et abîmée en Lui : et c’est où j’en ai plus appris en un moment, que je n’aurais fait par mes regards et par mes soins toute ma vie. […]

V.14 Si vous bannissez l’iniquité de vos œuvres et que l’injustice ne demeure point dans votre maison,

V.15. Alors vous pourrez lever votre tête comme étant sans tache ; vous serez affermi, et ne craindrez point ;

V.16. vous mettrez votre misère en oubli, et vous n’en n’aurez non plus de mémoire que des eaux qui se sont écoulées.

 N’est-ce pas une chose pitoyable d’accuser d’orgueil une personne qui s’abandonne à son Dieu, qui, désespérant entièrement de sa propre force, attend de la bonté et du pouvoir divin sa délivrance ? Et lui dire cependant, que s’il ôte lui-même son iniquité, il pourra aller le visage élevé ! N’est-ce pas un bien plus grand orgueil [139] qu’on croie de le pouvoir plutôt faire par soi-même que non pas de le laisser faire à Dieu et qu’on s’imagine que l’on puisse ainsi lever la tête sans confusion et avec une assurance secrète d’avoir ôté son péché ? J’avoue que je n’entends pas cette vertu ni la nature de cette humilité, qui, en nous rendant plus puissants que Dieu, nous porte à nous élever sans crainte et à demeurer fermes dans cette élévation. Si le plus juste [131] tombe sept fois, en quel état est-ce que l’on ne craindra pas ? Le vrai moyen de ne point craindre n’est pas de s’élever  et de s’assurer par soi-même de sa justice, mais de se délaisser tellement à Dieu qu’Il soit lui-même notre justice. Alors nous ne saurions craindre de la perdre. Le moyen de ne pas craindre de tomber est d’être si bas et si anéanti que nous ne puissions plus tomber. [...] 

Chapitre XIII

V.24. Pourquoi me cachez-Vous Votre visage et pourquoi me regardez-Vous comme Votre ennemi ?

V.25. Vous montrez Votre puissance contre une feuille que le vent emporte et vous poursuivez une paille sèche !

 [...] Et voilà l’état où était Job lorsqu’il parlait. Il se voyait d’un côté comme sans coulpe, n’ayant plus rien de subsistant dans la partie supérieure qui seule peut faire le péché et se trouvant [157] cependant dans un état tout naturel, plongé dans l’expérience d’une nature corrompue et sans nul mélange du moindre bien.

 [...][158] Dieu exprime peu à peu toute l’ordure qui pénètre jusques dans sa substance et Il l’exprime de telle sorte qu’il n’en reste plus du tout, comme lorsqu’à force de presser une éponge on lui ôte si entièrement toute son ordure qu’on pourrait bien ensuite la presser toujours sans qu’il en sortît plus aucune saleté [132]. C’est ainsi que, lorsqu’il n’y a plus de malignité foncière, les tentations, les afflictions les plus fortes, peuvent bien pressurer notre âme, mais qu’il n’en sort plus rien du tout et c’est alors que cette nature qui avait été mise dans sa pure malignité est remise dans son pur naturel.

 Tout ce qui était de la corruption d’Adam pécheur étant entièrement sortie d’elle, il ne reste plus qu’Adam innocent, soit pour le divin, soit pour le naturel. La partie supérieure est mise dans le pur divin et l’inférieure dans le pur naturel, l’une et l’autre dans une innocence entière. Il y a peu d’âmes en qui Dieu fasse cette purification si profonde, se contentant pour la plupart des autres de presser un peu l’éponge [159] parce qu’elles n’ont pas la force de porter une opération si forte, qui, cependant, lorsque l’éponge a été bien pressée à fond, se fait sans nulle douleur. Car on ne trouve alors chez soi plus rien de coupable, et bien qu’il paraisse encore quelque ordure au-dehors, ce ne sont que des choses purement naturelles et non malignes, qui ne font nulle peine. [...]

Or, après que la partie supérieure est dans le divin, et l’inférieure dans le naturel, Dieu prend en cet état toutes les âmes qu’Il rend saintes pour leur particulier, et encore de celles-là y en a-t-il très peu, étant bien plus [160] rares que l’on ne peut croire ; mais pour celles qu’Il destine à Sa gloire d’une manière singulière, qu’Il choisit pour aider aux autres et pour lesquelles par une grâce spéciale Il a quelque dessein singulier, Il laisse écouler tout ce qui était suspendu dans la partie supérieure sur la partie inférieure où maintenant il n’y a plus rien d’Adam, tout en ayant été évacué. Lorsque les eaux basses du Jourdain furent évacuées, il ne resta plus que le lit du fleuve tout sec et tout pur [133] ; de même ici, tout ce qui est d’Adam pécheur étant évacué, il ne reste plus que le pur naturel, et le lit d’Adam innocent, propre à laisser écouler les eaux divines sans nul mélange. Alors la partie inférieure reçoit un écoulement continuel de la supérieure sans qu’elle renvoie rien : elle est mise dans l’ordre naturel de la création; et c’est l’opération qui conduit à cela qui s’appelle anéantissement.  Tout ce qui était du propre d’Adam pécheur étant entièrement détruit, il ne reste plus que ce que Dieu a fait.

Job était dans le temps de la séparation et de l’oppression de la partie inférieure, sans nul concours de la supérieure, lorsqu’il dit à Dieu : Vous montrez Votre puissance contre une feuille, n’attaquant que la partie la plus faible. Car de même qu’une feuille est emportée par le vent et que l’eau en s’écoulant se dessèche peu à peu lorsque le vent souffle, de même aussi cette partie se trouvait desséchée et privée des eaux douces  et salutaires qui la consolaient auparavant. Cette opération [161] néanmoins (ne laisse pas d’être) le plus grand effet du pouvoir divin, et l’on ne saurait croire qu’il faille la force d’un Dieu pour la faire - la créature, quoique moins qu’une feuille, ne laissant pas de lui résister. On dit qu’un diable, pour distraire saint Pacôme, se mit, et plusieurs autres avec lui, à traîner avec de grosses cordes une feuille. Ce que cet esprit malin fit, vrai ou faux, se trouve réel ici : tout l’enfer ne pourrait entraîner ni même ébranler cette feuille, il faut le pouvoir de Dieu pour l’anéantir.

Job ajoute : Vous poursuivez la paille sèche. Dieu Se sert du fléau de toutes sortes de croix et de misères pour battre et tirer le bon grain de la paille et lorsqu’Il a fait cette division, Il ne laisse pas pour cela cette paille sèche  [...]  Il la poursuit  [...]  elle devient fumier et puis elle contribue par sa pourriture, non seulement  à faire pourrir le grain, mais aussi à le faire germer et fructifier. […]

Chapitre XV

V.15. Vous voyez qu’entre les saints mêmes nul n’est immuable, et les cieux ne sont pas purs devant Lui.

V.16. Combien plus l’homme qui boit l’iniquité comme l’eau est-il abominable et inutile !

[174] On accuse encore Job, et avec lui l’homme intérieur, d’un orgueil insupportable. [...] On ne peut souffrir que l’on parle de l’âme arrivée en Dieu, de son insensibilité et immobilité divines. Ils allèguent qu’entre les saints nul n’est immuable. J’avoue que cela est vrai entre les saints de la terre, parce qu’ils subsistent en leur sainteté et qu’étant quelque chose, ils peuvent toujours changer; mais il n’est pas de même des personnes anéanties [134], qui n’étant plus et ne subsistant plus en elles-mêmes, ont perdu tout ce qu’elles avaient d’inconstant et de léger, en sorte qu’elles ne subsistent plus que dans le seul néant, qui est ferme et immuable, parce que Dieu seul, qui est le tout-immuable, habite dans le rien immuable. […]

Chapitre XVII

V.11. Mes jours sont passés et les pensées qui tourmentaient mon cœur sont dissipées.

V.12. La nuit est changée en jour et après les ténèbres j’espère encore de voir la lumière.

Job, par un esprit de prophétie, envisageant la fin de ses peines, et les succès avantageux que doivent produire de telles souffrances dans les [187] âmes intérieures, regardait comme une extrême folie le refus de se laisser conduire à Dieu par des routes impénétrables, et comme la plus haute sagesse l’abandon de tout soi-même entre les mains de Dieu. Et alors, comme pénétré du bonheur qui lui est préparé, il s’écrie :  « Il est vrai que les jours de ma propre vie sont passés, mais en même temps que cette vie a été détruite, j’ai été affranchi des réflexions qui déchiraient mon cœur, et tous les retours sur moi-même, qui faisaient l’unique tourment de mon esprit, ont été dissipés. » Car le cœur serait dans un repos parfait parmi les plus étranges peines si ces pensées de réflexions étaient ôtées.

Elles ne le sont pas plutôt qu’elles changent la nuit de la peine des ténèbres, de l’obscurité et du mensonge, en un jour agréable de paix, de clarté et de vérité : car l’âme est mise en vérité, et en état de discerner le bien et le mal, au lieu que par la réflexion elle appelle le bien mal et le mal bien. Que s’il lui vient encore des ténèbres, l’espérance lui est imprimée qu’après les ténèbres la lumière lui sera rendue.

V.13. Quand j’attendrai jusqu’au bout, l’enfer sera ma maison et j’ai fait mon lit dans les ténèbres.

V.14. J’ai dit à la pourriture :  « vous êtes mon père » , et aux vers :  « vous êtes ma mère et ma sœur. »

Job parle ici de l’état qui suit, qui est le purgatoire ou l’enfer selon le dessein de Dieu et l’avancement de l’âme. Il assure que s’il attend cet état comme un lieu qui lui soit propre, et qu’il ne s’embrouille pas de réflexions, cet enfer deviendra sa maison et le lieu où il veut [188] bien faire sa demeure : qu’il fera son lit dans les plus épaisses ténèbres, y trouvant sa paix. O si une âme savait se contenter de cet état, quoique si horrible en apparence, sans doute qu’elle y trouverait la paix ! Le lit qu’il faut faire dans l’enfer, c’est le délaissement de tout soi-même à la volonté de Dieu, qui est le lit de repos des âmes abandonnées. Cette divine volonté étant Dieu même, et au-dessus de tout le reste, doit contenter une âme dans l’enfer, et changer l’enfer en un paradis.  Toutes les peines de l’âme viennent de ce qu’elle n’est pas bien unie à la volonté de Dieu, ne voulant pas ce qu’elle a ou voulant ce qu’elle n’a pas. Mais une âme qui sait se contenter de tout ce qu’elle a, quelque horrible qu’il paraisse, est toujours paisiblement contente, et serait en enfer comme en ce lieu de repos.

C’est dans cette union et transformation de ma volonté en celle de Dieu, continue Job, que j’ai dit à la pourriture et à l’ordure dont je suis couvert, vous êtes mon père, car vous me donnerez une nouvelle vie et en produisant mon anéantissement vous me procurerez le plus grand de tous les biens. J’ai dit aussi aux vers qui me rongent et me consument par mille maux cuisants : vous êtes ma mère, car c’est vous qui m’enfantez à une nouvelle vie. [...]

Chapitre XXVIII

V.3. Il a borné le temps des ténèbres ; Il considère la fin de toutes choses, même de la pierre [135] de l’obscurité et de l’ombre de la mort.

 [...] La pierre de l’obscurité est la permanence dans l’état obscur. Pour entendre ceci, il faut savoir que l’âme est longtemps dans un état alternatif, tantôt de ténèbres et tantôt de lumières, avant que d’entrer dans la privation totale et dans les ténèbres où il n’y a plus de jour. Cette pierre de ténèbres est la fermeté, immobilité, insensibilité et dureté dans cet état de ténèbres, qui dispose l’âme à entrer ensuite dans le jour éternel et dans la lumière permanente. Cette pierre d’obscurité est encore l’ombre de la mort, parce que c’est elle qui opère peu à peu la mort, et elle ne peut être opérée que l’âme ne soit mise dans cette permanence de ténèbres. Car toute lumière, pour petite qu’elle soit, retarde et empêche la mort, comme toute vie qui serait donnée fortifierait et empêcherait de mourir, de sorte que quantité d’âmes passent ces choses sans en venir à la mort totale et foncière, ayant toujours quelques [222] éclairs de vie et de lumière qui les soutiennent, sans avoir jamais un véritable désespoir à cet égard, parce qu’elles ont toujours quelque soutien et quelque espérance secrète qu’elles n’avouent pas toutefois. […]

V.6. Ce sont ses pierres qui produisent le saphir et ses mottes sont de l’or.

 [223] Mais lorsqu’elle est arrivée à cette destruction si entière qu’il n’y a rien en elle qui ne soit consumé et détruit, lors, dis-je, que la consommation est dans sa perfection selon les desseins de Dieu, c’est alors que ses pierres de ténèbres et de mort sont changées en saphirs, car la même fermeté et immobilité que l’âme a eue dans les ténèbres, elle l’a dans la lumière, et c’est pour cela que l’Ecriture dit que ses pierres dans le temps de sa destruction sont le lieu des saphirs et des pierres précieuses, qui donnent la même immobilité dans ce beau jour de lumières que l’on avait eue dans cette nuit de ténèbres. Ses mottes ou les endroits durs, âpres et raboteux, sont changés pour elle en l’or le plus pur de la charité parfaite. […]

V.11. Il a aussi cherché soigneusement dans les lieux profonds des fleuves et Il a mis en lumière les choses cachées.

 [...] [226] les richesses ne se trouvent que dans le fond de la mer et en cela elle est différente des autres eaux, qu’elle est pleine de trésors dans son fond et que le dessus n’est qu’écume et obscurité, au lieu que les autres eaux sont belles par le dessus et que le fond n’est que bourbe et sables mouvants. [...] L’âme qui est devenue mer par sa transformation en Dieu, se communique continuellement sans altération, reçoit incessamment sans s’enfler : elle demeure toujours la même et toutes ses richesses sont dans son fond d’une manière admirable et inconcevable, pendant que le dehors est couvert d’une écume qui ne peut contenter les yeux. […]

V.12. Mais où trouvera-t-on la Sagesse ? et quel est le lieu de l’intelligence ?

V.13. L’homme n’en connaît point le prix, et elle ne se trouve point dans la terre de ceux qui vivent dans les délices.

[…] Pour avoir l’intelligence de la Sagesse [136], il faut être perdu en Dieu, dans la source et l’origine de cette divine Sagesse, [228] ce qui est le sein du Père. C’est là où l’âme, étant cachée avec Jésus-Christ, apprend véritablement ce qu’est Jésus-Christ. Toutes les connaissances qui en sont données par le dehors, et par toutes les actions de sa vie, sont de très faibles connaissances. […] O profondeur admirable ! elle n’est point trouvée dans l’âme de ceux qui vivent dans les délices spirituelles.

V.14 L’abîme dit : Elle n’est pas en moi ; et la mer, elle n’est pas avec moi.

L’abîme du néant et de la misère dit : cette Sagesse n’est pas en moi car, quoique je sois comme immense, elle me renferme encore, et ne peut être renfermée de moi. La mer orageuse et enflée des passions, ou la mer des plus grandes grâces, et pourtant limitée et bornée, dit que cette Sagesse, Jésus-Christ, n’est point avec elle. Où est-ce qu’on la trouvera donc ? […]

V. 21. Elle est cachée aux yeux de tous ceux qui vivent ; elle est inconnue aux oiseaux mêmes du ciel.

[…][231] Et tous les exercices vivants, quelques saints et relevés qu’ils puissent être, ne peuvent point faire découvrir la Sagesse. Les âmes vivant dans les dons de Dieu de la manière la plus sublime, ne la connaîtront pas : elle est même inconnue aux âmes toutes célestes, qui par la force de leur contemplation volent dans les airs sacrés sans toucher à la terre : ces âmes, que tous les hommes perdent de vue, tant elles sont élevées, ne la connaissent point. Parlez-leur de la Sagesse-Jésus-Christ ; ils prendront cela pour une méditation ou une vue de Jésus-Christ. Parlez-leur de l’incarnation qui se fait dans la plénitude des temps, lorsque l’âme est fort avancée en Dieu ; ils prendront cela pour les premiers états de Jésus-Christ  où l’âme est tout appliquée à se mouler sur Jésus-Christ, à suivre ses exemples et à imiter Ses états [137].

V.22 La perdition et la mort ont dit : Nous avons ouï de nos oreilles le bruit de sa réputation.

La seule perte totale et sans aucune réserve, la [232] mort parfaite et entière, l’anéantissement consommé ont dit : nous avons seulement ouï le bruit de sa renommée. Il n’y a que les âmes entièrement perdues à elles-mêmes, mortes et anéanties, à qui il en soit donné quelque connaissance et expérience ; mais ainsi que d’un bruit sourd qui leur apprend comme de loin ce qu’elle est…

Chapitre XXX

V.30. Ma peau est devenue toute noire sur ma chair et mes os se sont desséchés de chaleur.

V.31. Ma harpe s’est changée en deuil, et mes instruments de musique en des voix lugubres.

[…][249] Mes os, c’est-à-dire ce qu’il y a en moi de plus profond et de plus substantiel, se sont desséchés : cette présence de Dieu, qui me remplissait d’onction, est disparue aussi bien que tout le reste. Et comment cela est-il séché ? C’est par la chaleur de l’amour. Ce n’est pas sans sujet que l’Ecriture nous spécifie ceci, pour faire voir que cette perte de la présence perceptible de Dieu ne vient pas de froideur ni de lâcheté, comme l’on s’imagine, et comme cela peut arriver aux âmes qui ne sont pas dans cette voie, mais qu’elle vient d’ardeur.

L’amour dessèche peut à peu tout ce qu’il y a d’onctueux dans l’âme, et cette chaleur de l’amour divin consume peu à peu par son ardeur et forte et dévorante l’amour particulier de la créature, borné et limité, qui se soutenait  d’une petite moëlle et substance. Mais en même temps, ce feu divin demeure en l’âme encore plus fortement lorsqu’il a tout desséché et qu’il a consumé tout ce qu’il y a d’impur. Il en est comme du bois lorsqu’on le met au feu : le feu le dessèche d’abord et en fait sortir tout ce qu’il y a d’humide, afin de le consumer après tout d’un coup. C’est ainsi que ce feu divin vient combattre tout l’amour qu’il y a dans l’âme : il le dessèche ; mais comme à mesure que le feu dessèche le bois, y combattant la qualité humide qui lui est contraire, [250] il en fait sortir au-dehors une certaine bave ou écume, qui est très dégoûtante ; de même lorsque le feu divin vient en l’âme, avant que de pouvoir la consumer, il en fait sortir au-dehors l’impureté qui était dans sa substance, et toute la malignité qui était dans son fond : c’est ce qui rend cette créature si sale en apparence ; mais lorsque la saleté est sortie, et que le bois en est desséché, alors ce bois devient combustible et se change en feu, prenant la qualité du feu à mesure qu’il perd la sienne. [...]

Or comme le bois, lorsque le feu commence à l’échauffer, paraît plus humide que lorsqu’on le mettait au feu, et que cela ne se fait pas par le froid, mais par le chaud, de même lorsque le feu de l’amour pur prend par le dedans, tout le froid et toute la saleté paraissent bien au-dehors ; mais c’est toujours par la chaleur, et non par la froideur : de sorte que les âmes qui sont ici, et qui se tourmentent si fort en se croyant tièdes, sont bien trompées. [...][251] Comme ce bois avant que de devenir feu, perdant son humidité, se noircit et paraît se détruire, se fondre et se changer en larmes [138] ou en deuil, ainsi cette âme n’a plus qu’afflictions pour pleurer son désastre apparent, qui est cependant son bonheur. Le bois semble pleurer sa perte et sa destruction, se salir et se gâter, et néanmoins c’est son bonheur : puisque la fin du bois est d’être brûlé, et qu’à mesure qu’il se détruit et se consume, perdant sa qualité de bois, il en contracte une bien plus parfaite, qui est d’être feu ; et qu’en perdant son être grossier et matériel, il devient tout spirituel et céleste. Ceci exprime très bien tout ce qui se passe dans l’âme de cet état.

Chapitre XXXI

V.1. J’ai fait un accord avec mes yeux pour ne penser pas seulement à une vierge, etc. [139]

Toute la faute que Job a faite en toutes ses paroles est en ce dernier chapitre : car tout le reste est une expression si belle des états intérieurs, qu’il ne faut que le lire pour voir que l’expérience qu’il en a faite, l’obligeait à parler de la sorte. Mais dans ce dernier chapitre, il voulut se persuader qu’il n’avait point en lui tous les maux qu’il souffrait, et qu’il n’y avait point donné de lieu ; et pour le prouver, il fait un détail de tout le bien qu’il avait fait.

Quoique ce fut une faute en Job, qui mérita d’être reprise de Dieu, elle ne laisse pas de nous être fort utile : car  presque toutes les âmes font cette faute. Elles s’amusent à penser à ce qu’elles ont été, aux vertus qu’elles ont autrefois pratiquées, et qui sont si opposées à tout ce qu’elles souffrent, que cela leur fait souvent croire qu’il n’y avait en elle aucun de ces défauts, et que ce ne sont que des misères qui leur sont venues de surcroît. Mais assurément elles avaient tout cela en principe et en propriété, bien qu’elles ne le vissent pas, de sorte que Dieu ne fait que pousser au-dehors ce qui est au-dedans : Il les barbouille  par dehors de ce qu’elles ont de sale par dedans, et elles s’en plaignent comme de nouvelles misères que Dieu leur envoie. Cela n’est point pourtant. Dieu ne [253] fait que retirer ce qu’Il avait mis de bon dans nous pour en corriger notre malignité et pour la couvrir : ôtant donc ce qui est Sien, il ne reste plus que notre corruption naturelle et l’on crie que ce sont de nouvelles misères ! Elles y étaient toutes, mais elles étaient cachées et Dieu empêchait que l’on ne sentît leur malignité. Il a tout ôté et alors nous sentons ce que nous sommes véritablement. C’est une chose horrible à voir qu’une âme dénuée de tout bien et dans sa malignité naturelle : elle est pire mille fois que le diable. Sainte Catherine de Gênes dit qu’elle vit une fois son âme nue de tous biens et qu’elle en eut tant d’horreur que si Dieu ne l’eut soutenue par miracle et ne lui eut ôté cette vue, elle en serait morte d’effroi [140].

Chapitre XXXIII

V.19. Dieu châtie l’homme par la douleur qu’il souffre dans son lit et Il fait sécher tous ses os.

V.20. Dans l’état où il est, il a le pain en horreur et la nourriture qu’il trouvait auparavant délicieuse devient l’aversion de son âme.

V.28. Enfin Dieu a délivré son âme afin qu’elle ne se perdît mais qu’en vivant elle vît la lumière.

V.29. Dieu fait toutes ces choses trois fois en chacun des hommes,

V.30. Pour rappeler leurs âmes de la corruption et pour les éclairer de la lumière des vivants.

 [254] Dans ce peu de paroles il est fait un détail de certaines choses qui se passent dans la vie intérieure, lesquelles n’avaient pas été expliquées dans toutes les paroles de Job. Premièrement Dieu reprend l’homme par de certaines douleurs intérieures très violentes lorsqu’il est dans le repos de la contemplation. Ce sont des pressures que l’on ne peut expliquer ; des langueurs, des peines intérieures dévorantes, qui semblent dessécher les os : ce sont là des peines, et non des affaiblissements ; ou si c’en sont, ils sont en même temps bien forts. Ces sortes de peines appartiennent à la vie illuminative. De plus l’homme vient de là dans un état où tout ce qui nourrissait son âme lui est à dégoût, il en a même horreur, il ne peut alors entendre la parole de Dieu, ni lire ni rien faire [...]  C’est là l’antidote de l’amour-propre et de la propriété avec lesquels on avait fait toutes les choses saintes. […]

Dieu fait passer les âmes sur lesquelles Il a de [255] grands desseins trois fois dans ces états : la première est, dans la voie passive de lumières, lorsqu’Il veut faire entrer l’âme dans le mystique [141] et dans la foi nue, ce qui n’empêche pas qu’elle n’ait déjà eu quantité d’alternatives durant toute la voie passive, tantôt de facilité, tantôt de dégoût. Et elle éprouve un état pareil lorsqu’elle sort de la voie illuminative et affective, où elle pouvait encore agir avec ses puissances, quoique d’une manière fort simple. C’est là la première purification, qui sert à faire passer l’âme de la voie illuminative dans la voie passive d’amour seul.

Ici l’âme entre dans l’union avec son Dieu d’une manière plus pure et plus profonde par une touche de la volonté qui est très délicieuse. Et c’est là que l’oraison continuelle lui est infuse, qu’elle ne peut plus ni prier ni faire d’actes, ni dire une parole par elle-même. Dieu lui fait faire ces choses lorsqu’il Lui plaît, mais elle se trouve absorbée dans un fond ténébreux qu’elle goûte bien. Ici les visions et les extases finissent pour donner lieu à cette opération profonde et centrale, qui est plus dans la volonté que dans nul endroit. Jusqu’à présent l’entendement avait été illustré de lumières admirables, ce n’étaient que feux qui semblaient pousser au-dehors et faire des incendies. Mais tout cela cesse par cette nouvelle purification, qui est autant longue et rude qu’il plaît à Dieu et que l’âme est fidèle à se laisser dépouiller, obscurcir et arracher toutes ces lumières distinctes, ces ardeurs si grandes et cette vie toute céleste, qu’il faut tout perdre, quoique cela soit bien rude, pour venir à une vie comme tout animale en apparence et toute nouvelle effectivement, dans laquelle l’âme, [256] après la première purification et la mort des puissances en choses distinctes, est mise peu à peu. Cette vie nouvelle est un certain état tout passif, sans lumières distinctes ni aperçues de l’âme, qui cependant y sent un principe vivifiant qui la meut, l’agit et qui lui fait goûter des  délices bien plus profondes et bien plus pures que tout ce qu’elle avait goûté dans la voie de lumières. Elle se sent ici unie, liée et collée à son Dieu intimement, d’une manière autant forte que profonde, sans nulle vue, distinction ni connaissance, sans rien qui soit : elle est unie et c’est tout [...]

La première purification, ou le premier purgatoire, fait passer l’âme de la vie illuminative à l’unitive, ensuite [deuxième purification] il faut passer un autre purgatoire encore bien plus purifiant, [257] plus étendu et plus étrange que le premier, pour venir de cet état unitif et de passiveté de foi dans l’état mystique et de foi nue. Ici il n’y a plus rien de tout cet amour perceptible. Tout est ôté et l’âme y est dans un état très simple et très nu, sans autre soutien que la foi la plus dénuée. Ce soutien qui était dans le fond de la volonté est perdu et il reste un certain repos plus large et plus étendu, mais qui ne se goûte plus comme repos ; c’est plutôt, ce semble, insensibilité et dureté que repos. Cependant, quoique ce repos ne soit pas si sensible, il est bien plus ferme, plus fixe, plus immobile, moins variable et moins changeant et comme il ne dépend d’aucun moyen, cela fait qu’il en est plus exempt d’altération. Cet état est fort et comme il est en quelques âmes que Dieu veut bien avancer dans une nudité étrange, il ne leur laisse nul soutien quel qu’il soit. Cet état de foi nue amène peu à peu la mort et la perte totale, non seulement des puissances, mais même du fonds. Il fait le purgatoire véritable et en quelque-uns, presque en tous, la pourriture la plus profonde. L’état d’abjection [142] opère cette féconde purification, et peu d’âmes la passent.

La troisième purification est celle qui tire l’âme de l’état de foi nue et mystique pour la faire passer en Dieu seul, ce qui est un total anéantissement, non physique, ce qui ne peut jamais être, mais mystique et même moral. C’est la purification la moins douloureuse quoique la plus forte, l’âme étant morte à toute vie et ayant déjà fait deux espèces de résurrection, l’une dans le pur passif, l’autre dans le pur mystique, où elle est déjà dans une grande immobilité. Etant ainsi anéantie entièrement par ce [258] dernier purgatoire, remise dans l’état de son néant et propre à être créée de nouveau, (comme il est dit quelque part [143] : Vous enverrez votre Esprit, et ils seront créés de nouveau) elle reçoit une nouvelle vie en Dieu seul, où elle vit pour ne plus mourir, à moins d’une infidélité la plus noire et d’un orgueil de Lucifer. [...]  

Chapitre XXXIX

V.27. L’aigle s’élèvera-t-elle à votre commandement et mettra-t-elle son nid dans les lieux élevés ?

V.28. Elle demeure entre les pierres et fait son nid dans les roches rompues et dans les rochers inaccessibles.

[266] Cette aigle est l’âme qui du seul commandement du Tout-puissant, s’élève comme d’un sépulcre pour se perdre dans le sein de son Dieu. Elle met son nid dans les lieux élevés, mettant son repos en Dieu même ; elle demeure entre les pierres dans l’insensibilité et l’immobilité divine ; elle a fait son nid ou sa demeure permanente dans les roches rompues de ses propres débris, lorsqu’elle a été détruite ; et elle loge à présent dans les rochers inaccessibles, dans la fermeté et l’immobilité parfaite, en Dieu seul, qui est un rocher inaccessible à ceux qu’Il n’y introduit pas Lui-même.

V.29. Elle contemple de là sa proie et ses yeux regardent de loin.

V.30. Ses petits sucent le sang et en quelque lieu que paraît un corps mort, elle y est présente.

Il est parlé là comme l’âme, sans sortir de Dieu, va dans l’état apostolique. Elle voit et contemple de là sa proie, c’est-à-dire elle connaît là les âmes que Dieu lui veut donner, et elles lui sont données, et lorsqu’elle voit là quelques-uns de ses petits, de ses nourrissons, s’amuser après les créatures qui comme des corps morts les infecteraient de leur corruption, elle le connaît et se trouve présente pour leur donner secours, de sorte que ces âmes encore imparfaites et faibles se trouvent secourues sans le savoir et d’une manière qui leur paraît miraculeuse. […]

Chapitre XL

V.20. Pourrez-vous enlever Leviathan avec l’hameçon, et lui lier la langue avec une corde?

V.21. Lui mettrez-vous un cercle au nez, et lui percerez-vous la mâchoire avec un anneau? […]

Dieu fait voir à Job par ce passage l’inutilité de nos efforts et de nos soins pour nous délivrer de nos ennemis. Les plus à craindre sont, comme je l’ai dit, l’amour-propre et la propriété. Mais s’ils sont dangereux, ils sont aussi insurmontables par nos propres forces, ce qui nous prouve la nécessité qu’il y a de nous abandonner à Dieu et de n’attendre rien de nous-mêmes. C’est dans la confiance de Sa bonté et dans la défiance de [273] nous-mêmes que nous trouvons les armes propres à les détruire. La propriété se nourrit de tout, il n’y a que Dieu qui puisse fermer sa mâchoire et l’empêcher de se nourrir de toutes nos actions. […]

Chapitre XLI

V.3. Je ne l’épargnerai point : Je n’aurai d’égard ni à la force de ses paroles ni à ses prières les plus touchantes.

Je ne l’épargnerai point [l’amour-propre dans [276] sa destruction] par une pure miséricorde, quoiqu’il M’en prie avec la dernière instance et avec des paroles les plus touchantes du monde, et qu’il y mêle l’intérêt de Ma gloire. Je lui apprendrai, en ne l’exauçant pas, qu’il ne peut être délivré que par Ma puissance qui n’est mûe que de Ma volonté [144]. […]

V.15. Son cœur s’endurcira comme la pierre, et se resserrera comme l’enclume du forgeur.

[279] Il y a cette différence entre les effets que produit le pur amour et ceux de l’amour-propre : que le pur amour rend le cœur toujours plus souple, il le fond comme la cire et le rend propre à toutes les impressions qu’il veut lui donner ; et en l’amollissant et le rendant ainsi souple à toutes les volontés de Dieu, il l’étend aussi et le dilate, comme une cire fondue s’étend en se fondant. Mais le cœur des personnes propriétaires, bien loin de devenir peu à peu maniable et de se dissoudre par l’amour-propre, bien loin, dis-je, que le cœur reçoive de l’amour-propre d’être ainsi maniable, souple et pliable aux mouvements de la grâce, il en devient au contraire toujours plus dur, plus resserré et plus opposé à Dieu, en sorte que le feu sacré ne le peut plus ni dissoudre ni purifier.

Si le feu ne pouvait dissoudre l’or, il n’en séparerait jamais la terre ; aussi si notre cœur n’est fondu, la propriété n’en sera point ôtée.  Mais ce feu de l’amour-propre, bien loin de fondre, endurcit, et par conséquent enfonce les propriétés et les rend plus irrémédiables : aussi le cœur bien loin de s’en élargir et de s’en dilater, en devient toujours plus étréci et plus resserré, [280] comme l’enclume qui, loin de se raréfier en servant, devient toujours plus compacte et plus dure : tout le fer que l’on bat dessus jette bien des étincelles, mais qui ne peuvent jamais la fondre ni la dissoudre.

V.16 Les Anges craindront quand il sera ôté ; et dans leur frayeur ils seront purifiés.

Les âmes qui paraissent pures et angéliques craindront extrêmement lorsqu’on leur voudra ôter leur amour-propre et le lieu où il réside. Elles se croiront perdues et la frayeur qu’elles en auront leur servira de purgatoire [145]. Mais qu’y a-t’il à purifier dans ces âmes qui paraissent si pures ?  C’est la propriété avec laquelle - quoiqu’elles paraissent des Anges et à leurs yeux et aux yeux des autres - elles seront toujours fort impures quant au fonds, qui ne peut être parfaitement purifié que par la destruction de la propriété. Mais leur crainte en la perdant, ou plutôt l’assurance de leur destruction, les purifiera, parce que le feu purifiant est un feu rempli de terreur. […]

V.22 Il fera bouillir le fond de la mer comme une chaudière.

[282] L’amour-propre fait bouillir le fond de la mer en deux manières : l’une par l’ardeur dévorante qu’il met dans toute l’âme, par une certaine sensibilité qui paraît un amour ardent ; l’autre par un certain trouble secret qu’il met dans le fonds, quoique la superficie paraisse toute calme. Cela se fait encore lorsqu’on le détruit, aussi bien que lorsqu’il subsiste, le calme paraît fort au-dehors, mais cependant le fonds est agité de peines et de troubles, et n’est jamais stable, tranquille ni permanent ; mais lorsqu’il se détruit, quoique le dessus de la mer paraisse agité de flots, le fonds est fort tranquille, ferme et stable [146].  […]

Chapitre XLII

V.10 Le Seigneur aussi se laissa fléchir à la pénitence de Job lorsqu’il priait pour ses amis et Il lui rendit au double tout ce qu’il possédait auparavant.

V.12, 13 Il eut aussi sept fils et trois filles.

V.15, 16 Job vécut après ces afflictions cent quarante ans…

 [...][286] C’est une chose véritable, que Dieu ne dépouille pas une âme pour la laisser nue, mais pour lui ôter seulement la propriété qui était mêlée dans les choses dont Dieu la dépouille ;  après quoi, Il lui rend au double les dons, les grâces et les vertus qu’Il lui avait ôtés en apparence : car en Se donnant Lui-même, sans donner aucun don, Il donne tous les dons ; et celui qui Le possède, possède avec Lui tous les trésors. C’est ce qui fait que je ne comprends pas ce que veulent dire certaines personnes, d’ailleurs fort éclairées, qui assurent que les choses dont on a été dépouillé ne sont point rendues. Elles sont assurément rendues et l’âme a facilité pour tout ; et tant qu’elle répugne ou qu’elle est en impuissance, elle n’est pas en pleine résurrection. […]

[287] Job eut aussi sept fils et trois filles, qui est l’usage de toutes les vertus qui semblaient avoir été ôtées. Les trois filles sont les trois puissances de l’âme […] : l’entendement peut s’appliquer à toutes les affaires extérieures avec une facilité très grande et une très grande netteté ; [...] la mémoire lui est rendue pour les souvenirs nécessaires et dans les temps qu’il faut ; [...] la volonté est rendue ferme et intrépide pour vouloir ce que Dieu fait vouloir dans les occasions, rejetant tout le reste. […]

Job, après tous ces états d’affliction, vécut encore beaucoup dans une vie toute divine, Dieu lui donnant une vie autant longue et abondante, comme sa mort avait été rude et amère, et sa boue terrible. Dieu lui donna une grande postérité : les âmes que Dieu pousse si fort et si vite, Il ne les pousse de la sorte que pour les employer à aider et servir les autres et que pour leur donner un grand nombre d’enfants. Dieu gagne les âmes par ces âmes, et celles qu’elles ont gagnées en gagnent aussi une infinité d’autres à Dieu, et cela se va beaucoup multipliant, en sorte qu’une seule âme peut contribuer à la perfection d’un fort grand nombre d’autres.


Psaumes

Psaume 2.

V.6. Mais pour moi, Il m’a établi roi sur Sa  montagne sainte où j’annonce et prêche Sa loi.

 [...] Plus je croyais me captiver pour Son amour [147], plus j’éprouvais que d’esclave je devenais libre. Plus je m’efforçais d’entrer dans la dépendance de Ses lois, plus j’éprouvais que ces mêmes lois, loin de me captiver, me procuraient une largeur, une étendue, un affranchissement qui me surprenaient, jusqu’à me faire arriver à un état si élevé que non seulement je règne [148] sur les choses extérieures et terrestres, sur moi-même et sur mes passions desquelles la bonté de Dieu me rendait maître à mesure que je me soumettais avec plus d’ardeur à Son doux empire ; mais, de plus, je règne sur Sa montagne sainte, c’est-à-dire que je ne suis pas même assujetti par les choses saintes et spirituelles auxquelles je voulais me captiver pour l’amour de Dieu. Je les domine sans en être dominé, et quelque grand que soit un don créé, je le [Tome VIII, 10] vois moindre que moi. Il n’y a que Dieu seul qui soit au-dessus de moi. O Dieu, qui est l’homme que vous l’honoriez de Votre visite [149] ? Et quel est le fils de l’homme que Vous l’éleviez à un état si sublime ? Dans cet état de souveraineté, Vous lui avez donné le pouvoir dannoncer Votre loi, de la publier aux nations et de faire connaître à tout le monde que Votre joug est doux et que Votre fardeau est léger [150].

V.7. Le Seigneur m’a dit : vous êtes Mon Fils, Je vous ai engendré aujourd’hui.

V.8. Demandez-moi, et Je vous donnerai toutes les nations pour votre héritage, et toute l’étendue de la terre pour la posséder.

L’homme dont je viens de parler est non seulement fait roi ; mais de plus il devient le Fils de Dieu, ainsi que saint Paul le dit [151] : que ceux qui sont de cette sorte sont appelés à la liberté des enfants de Dieu. [...] Le Verbe est engendré aujourd’hui, étant toujours engendré quoiqu’Il l’ait été de toute éternité, de sorte que, comme ce jour éternel n’a point eu de commencement, aussi cette génération n’en a jamais eu ; mais de plus, elle parle ici d’un état extrêmement subtil dont j’ai déjà écrit autre part, état où Dieu engendre Son Verbe dans les âmes anéanties lorsqu’Il les a mises dans le jour éternel de Lui-même, et Il engendre Son Verbe en elles incessamment et sans interruption. Alors Il dit à ce Fils engendré en cette âme, laquelle n’a plus [11] de propre vie, Jésus-Christ seul vivant en elle : demandez-Moi et Je vous donnerai. C’est alors que cette âme peut tout demander et tout obtenir, car ce n’est plus elle qui demande, mais c’est le Fils qui demande pour elle : alors toutes les nations lui sont données pour héritage, Dieu donnant à celle-ci quantités d’âmes de toutes sortes, tant de celles qui se convertissent que de celles qui, après être converties, ont besoin d’entrer dans l’intérieur où elle les fait aller plus avant, et c’est ce Fils qui fait toutes ces opérations dans les âmes.         

Jésus-Christ a encore pour Sa possession l’étendue de la terre, n’y ayant pas en cette âme un endroit qui ne soit animé et vivifié par Lui, étant autant l’âme de notre âme que notre âme est celle de notre corps. Ces personnes-là ne Le connaissent pas, à moins qu’elles ne soient fort avancées, parce que, comme il n’y a rien de Jésus-Christ qui se puisse discerner ni entendre, concevoir ni voir, on ne croit pas avoir cette vie de Jésus-Christ ; mais de même que nous ne sentons pas notre âme lorsqu’elle nous anime et que nous ne la distinguons que par ses fonctions, aussi nous ne pouvons distinguer Jésus-Christ être notre vie. On sait que l’on a une âme et que c’est par elle que l’on vit, et c’est tout, sans avoir nulle connaissance distincte de cette âme : de même on sait que Jésus-Christ vit et c’est tout. C’est là le droit qu’Il s’est acquis par la Rédemption, comme le Père Se l’est acquis par la Création, et l’Esprit-Saint par l’une et par l’autre, étant inspiré et en la Création et en la Rédemption comme souffle de vie, de sorte que cette vie divine est la vie de Dieu. […]

Psaume 3.

V.6. Je me suis endormi, je me suis laissé aller au sommeil, et je me suis levé parce que le Seigneur a pris ma défense.

[16] C’est cette connaissance de la bonté de Dieu à protéger ceux qui mettent en Lui toute leur confiance qui m’a fait reposer entre les bras de Sa Providence : je m’y suis même laissé aller au sommeil. Ce sommeil n’est autre chose que l’entier oubli de soi-même par abandon à Dieu, ainsi que ce qui suit le donne assez à entendre : Je me suis levé, ajoute David, ce qui marque la consommation de la foi et de la confiance. Je ne me suis pas contenté de m’endormir (qui est comme l’abandon au soin de la Providence), j’ai passé outre. Je me suis laissé aller au sommeil, m’oubliant entièrement moi-même, puis je me suis levé, me quittant moi-même par le renoncement parfait. Je suis sorti de moi, je me suis séparé de tous mes intérêts, j’ai fait un entier divorce avec moi-même. Hé, pourquoi, grand roi, en avez-vous usé de la sorte ? C’est, dit-il, que le Seigneur a pris ma défense. Mon Dieu, que cette expression est belle ! C’est comme si David disait :  “Sitôt que je me suis endormi dans l’abandon entre les mains de mon Dieu, que j’ai commencé de m’oublier moi-même par un excès de confiance, j’ai connu sensiblement que mon [17] Dieu a pris ma défense, c’est ce qui m’a porté à pousser mon abandon jusqu’à me quitter moi-même ; je suis sorti de moi et je me suis abandonné et délaissé en Celui qui m’avait pris en sa protection.”

V.7. Je ne craindrai point les millions d’hommes qui m’environnent : levez-Vous, Seigneur, sauvez-moi, mon Dieu.

C’est en me quittant de la sorte que je suis établi en une entière assurance. Tant que nous sommes en nous-mêmes, nous devons toujours craindre à cause de notre faiblesse ; mais sitôt qu’en nous quittant nous-mêmes nous tombons en Dieu, ô, nous ne saurions plus rien craindre ! […]

Psaume 4.

V.2. Le Dieu de ma justice m’a exaucé lorsque je L’invoquais. Vous m’avez mis au large lorsque j’étais dans l’affliction.

[…][20] C’est comme s’il disait : je priais Dieu de me rendre juste et je voulais trouver de la justice en moi-même ; et plus je priais Dieu de me rendre juste, plus j’éprouvais que j’étais pécheur, jusqu’à ce que, désespérant d’obtenir ce que je demandais avec tant d’instance, je me suis quitté pour me perdre en Dieu. C’est là que j’ai été exaucé, car j’ai été éclairé comme toute ma justice doit être en mon Dieu : je n’ai plus désiré d’avoir une justice qui me fût propre, mais j’ai souhaité que toute la justice fût en mon Dieu et que je restasse dans mon néant où est la privation de tout bien. Le Dieu de ma justice m’a exaucé alors, parce que je Lui demandais ce qui était conforme à Sa divine volonté, Il est devenu ma justice et c’est de cette sorte qu’Il m’a mis au large dans le fort de mon affliction. […]

Psaume 17.

V.2. Seigneur qui êtes ma force, je Vous aimerai. Le Seigneur est mon appui, mon refuge et mon libérateur.

V.3. Mon Dieu est mon soutien, j’espérerai en Lui.

[63] L’âme qui, après avoir éprouvé son extrême faiblesse en toutes choses, et qui, après s’être vue dépouillée de toutes forces propres, trouve que Dieu Lui-même est devenu sa force, entre dans une si grande joie et dans un amour si tendre et si pur qu’elle ne se peut empêcher de l’exprimer. Elle Lui dit à Lui-même :  “Ô Dieu qui êtes Vous-même ma force, je serai pénétrée d’un amour le plus tendre qui se puisse éprouver à cause de cette miséricorde si immense qui Vous a porté à Vous rendre ma force lorsque Vous m’avez vue réduite à la plus extrême faiblesse. Vous êtes mon appui pour empêcher que je ne tombe, mon refuge dans tous mes maux et dans toutes les attaques que l’on me livre. Je trouve tout en Vous. Lorsque je me suis engagée par ma faiblesse dans le péché, Vous êtes Vous-même mon libérateur, ô Dieu qui êtes mon seul soutien. J’espérerai en Vous, et moins je verrai de lieu d’espérer, plus mon espoir se redoublera. Je ne m’appuie que sur Vous seul, n’ayant nulle créature pour moi sous le ciel et ne voyant pas en moi le moindre bien sur lequel je puisse fonder l’espoir de mon salut ; il faut que Vous deveniez mon seul appui.” L’âme tombant dans le néant trouve Dieu seul qui soutient le néant même et qui en tire ce qu’il Lui plaît.

Psaume 20.

V.3. Vous avez accompli le désir de son cœur, et Vous n’avez point rejeté la volonté de ses lèvres.    

[…][84] Elle [l’âme] est ravie de joie par la perte de son salut en elle-même, parce qu’il ne fut jamais mieux assuré que par cette perte. Mais en quoi est-il assuré ? Dans le salut qui est en vous, ô mon Dieu ! Comme une personne, qui saurait que dans le fond de la mer elle doit trouver l’immortalité et un bonheur infini, ferait son plaisir de sa perte et sa joie de son naufrage, de même cette âme se réjouit dans la perte de tout salut parce qu’elle trouve en Dieu un salut mille fois plus abondant, son salut étant la seule volonté de Dieu. Dans cette volonté la perte est salut, et hors de cette volonté le salut est perte. […]               

Psaume 24.

V.10. Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité envers ceux qui cherchent Son alliance et Ses lois.

V.12. [152]. Qui est l’homme qui craint le Seigneur ? Il lui donnera une loi dans la voie qu’Il a choisie.

[111] Les voies de Dieu sont des voies de miséricorde, de douceur et de suavité, ce ne sont point des voies de violence ni de trouble : c’est par la miséricorde qu’Il nous y conduit, quoique nous sentions souvent le poids de Sa justice, mais c’est une justice plus aimable que toute miséricorde. Il faut remarquer que les peines que Dieu cause sont des peines tranquilles, mais les peines de la propriété sont des peines troublantes et inquiètes, remplies d’aigreur et d’amertume. Les voies de Dieu sont aussi les voies de vérité parce que toutes les voies qui sont de Dieu mettent l’âme dans la vérité du tout de Dieu et du néant de la créature ; elles arrachent tout à la créature pour tout attribuer à Dieu et c’est de cette sorte qu’Il conduit les âmes qui désirent de s’unir à Lui de tout leur cœur, qui recherchent Son alliance par la donation irrévocable qu’elles Lui font de tout elles-mêmes.

David assure que tous ceux qui craignent véritablement le Seigneur recevront de Lui une loi particulière dans la voie qu’Il a choisie, ce qui se doit entendre qu’outre les lois générales, Dieu donne à chaque âme intérieure une loi particulière qu’elle doit suivre avec exactitude pour Lui marquer sa fidélité, car toutes les âmes sont conduites par différentes voies qui aboutissent toutes à l’unité ; et lorsque l’âme est arrivée à cette unité, il n’y a plus de voie ni de loi, comme dit le père Jean de la Croix, parce qu’il n’y a pas de loi pour le juste, l’amour étant sa loi et sa loi étant l’amour : aime et fais ce que tu voudras, dit saint Augustin, car celui qui aime [112] ne fera jamais rien qui puisse déplaire au Bien-aimé.

Psaume 29.

V.7. Pour moi, j’ai dit dans mon abondance : je ne serai jamais ébranlé.

V.8. C’est Vous, Seigneur, qui par Votre volonté avez donné la force à ma beauté.

L’âme est dans le temps de son abondance et de sa plénitude dans un contentement si grand et un [131] rassasiement si parfait qu’elle croit que rien du monde ne sera jamais capable de l’ébranler. Cette disposition lui paraît durable et permanente, car c’est le propre de cet état de ne donner aucun souci pour la suite et de persuader à l’âme qu’elle doit toujours durer, de même que dans celui de peine il lui semble de n’en devoir jamais sortir. Cependant elle ne sort pas plus tôt de sa première disposition tranquille pour entrer dans celle de peine qu’éclairée par son expérience, elle dit à Dieu : C’était Vous, ô mon Dieu, qui donniez toute sa force à ma beauté, puisque, loin de vous, je suis dans la plus effroyable laideur. Cet état de vicissitude est nécessaire pour faire connaître à l’âme que toute sa beauté ne vient que de la force que Dieu y donne, Dieu étant le principe vivifiant qui fait pratiquer toutes les vertus, et qui rend une âme si belle et si florissante. Cependant si ce beau jour n’avait point de soir, et si ce soleil était sans éclipse, l’âme croirait infailliblement que c’est elle qui par ses efforts et ses soins se donne cette beauté. […]

Psaume 32.

V.1. C’est à ceux qui ont le cœur droit qu’il appartient de louer le Seigneur.

V.2. Car la parole du Seigneur est droite et toutes Ses œuvres sont dans la foi.

 [...][155] La droiture consiste à n’avoir que Dieu seul pour objet en toutes choses, soit intérieures, soit extérieures, sans se détourner jamais de Lui, sous quelque prétexte que ce soit, pour se recourber vers les créatures ni pour se regarder soi-même. C’est ce qui fait que la réflexion est si fort opposée à la droiture, qui consiste à se demeurer fixement attaché à Dieu sans nous tourner vers nous-mêmes en nulle manière [153].

Cette même droiture et simplicité fait que dans l’oraison nous envisageons Dieu par un [156] simple regard, nous contentant d’un acte droit de pur amour sans en sortir pour quoi que ce soit. Cet acte de pur amour consiste à avoir notre volonté tellement tournée, unie et collée à la volonté de Dieu que nous ne nous en séparions jamais. On demande s’il n’en faut pas faire souvent des actes ? Cela n’est point nécessaire, et deviendrait même impossible parce que pour faire un nouvel acte de retour vers Dieu, il faudrait s’être détourné de Lui ; or, tant que l’âme demeure unie à son Dieu et que sa volonté est une avec celle de Dieu, elle est dans un acte continuel, qu’elle ne peut renouveler, ne pouvant se tourner vers Celui où elle est si fort tournée qu’elle y est unie intimement et continuellement. C’est une conversion habituelle. […]

V.20. Notre âme attend le Seigneur parce qu’Il est notre secours, Il est notre protecteur.

V.21. Notre cœur se réjouira en Lui et nous avons espéré en Son saint Nom.         

[…] L’âme qui attend tout son secours de Dieu et qui se confie en Lui seul éprouve une joie inconcevable en son Dieu. Le sujet de sa joie vient de ce que, ne s’étant appuyée sur aucun moyen créé mais sur le seul incréé, son attente n’a point été [160] vaine : Dieu l’a secourue d’une protection singulière.  [...]

Psaume 36.

V.6. Il fera paraître votre justice comme la lumière et votre jugement en son midi.

V.7. Tenez-vous soumis au Seigneur et priez-Le.

Lorsque l’âme est bien abandonnée à son Dieu et qu’elle Le laisse tout faire en elle, c’est alors qu’Il fait paraître la Justice, qu’Il lui communique comme une lumière éclatante. Il fait paraître le jugement, ou plutôt le choix qu’elle a fait de se laisser conduire à son Dieu, dans un éclat merveilleux. L’âme n’a plus rien à faire que de se tenir soumise à Dieu par une démission si parfaite de tous ses vouloirs et pouvoirs qu’elle soit en la main de Dieu pour l’exécution de toutes Ses volontés comme une plume est à la merci du vent. C’est donc là l’unique exercice d’une telle âme de se soumettre uniquement et incessamment à Dieu et de Le prier. L’oraison continuelle et la dépendance à tous les mouvements de Dieu sont la seule occupation de [179] l’âme et son entière perfection. Dieu prend soin de rendre son extérieur lumineux et édifiant (qui est : faire briller la justice), pendant que l’unique occupation du cœur est de prier et de se soumettre. […]

Psaume 50.

V.12. Mon Dieu, créez en moi un cœur pur et renouvelez l’esprit de justice dans mes entrailles !

[267] Après que l’âme a éprouvé la perte de tout ce qu’elle avait de propre et même de son cœur, qui est la volonté, elle prie son Dieu de lui créer un nouveau cœur, une volonté nouvelle afin de pouvoir L’aimer d’un amour nouveau, car lorsqu’elle commence à sentir sa nouvelle vie, elle voudrait être tout amour et elle ne sait pas que sa demande est inutile puisque Dieu, en lui arrachant le cœur [154], lui a donné le Sien en sorte qu’elle n’a plus besoin d’un cœur particulier : elle aimera désormais par le cœur de Dieu et de l’amour de Dieu, qui est le seul amour pur. […]

Psaume 61.

V.9. Tous les peuples, espérez en Lui ; répandez vos cœurs en Sa présence. Dieu est notre protecteur pour jamais.

 [...][298] Une personne qui aime beaucoup une créature verse son cœur dans le sien, de même une personne qui aime bien Dieu verse son cœur en Lui. La différence est que l’on ne peut sortir entièrement de soi pour se perdre dans une autre créature et c’est ce qui fait l’inquiétude de l’amour humain, qui ne peut donner un véritable repos dans la possession même de son objet, parce que cet objet est au-dehors et qu’il ne peut être uni qu’en superficie, au lieu que Dieu étant notre fin et notre centre, nous pouvons recouler en Lui avec d’autant plus de paix que nous Le possédons plus intimement et qu’en Lui tous désirs se trouvent bornés parce qu’Il est le terme et qu’Il les remplit tous. […]

Psaume 64.

V.9. Vous remplirez de joie la fin du soir et du matin.

V.10. Le fleuve de Dieu est rempli d’eaux. Vous avez préparé leur nourriture parce que Vous seul pouvez la préparer ainsi qu’il faut [155].

 [313] Ces deux versets, qui paraissent si obscurs, expriment très bien l’état d’une âme que Dieu met en Lui, finissant toutes ses vicissitudes pour la mettre dans l’immobilité divine. Pour comprendre ce premier passage : Vous remplirez de joie la fin du matin et du soir, il ne faut que se souvenir de ce qui a été dit plusieurs fois : que l’âme, avant que d’entrer dans la nudité totale, dans le commencement du désert de la foi, passe par des alternatives de lumière et de ténèbres, de grâces et de privations, jusqu’à ce qu’enfin elle perde peu à peu ces alternatives de lumière et de ténèbres ; alors elle est mise, non dans la joie de la fin du matin et du soir, mais dans la douleur de cette même fin, mise qu’elle est dans la nuit entière et dans l’état de mort, où elle ne perd ces vicissitudes de jour et de nuit que parce qu’il faut mourir, et que dans le sépulcre il n’y a du tout plus de jour.

Mais lorsque l’âme ressuscite, et qu’elle entre en Dieu, elle est mise dans la joie de cette fin, étant mise dans le plein jour de l’éternité, où il n’y a plus de douleurs ni de nuits, ni de crainte de perdre le jour et d’éprouver les obscurités de la nuit.

Le fleuve de Dieu est rempli d’eaux. L’âme est devenue le fleuve de Dieu lorsque, par un vide entier, par un abandon total et par un anéantissement parfait, elle a donné lieu à Dieu de S’écouler en elle. Il faut remarquer que l’Ecriture ne dit pas : les fleuves des grâces, mais : les fleuves de Dieu, et que ces fleuves de Dieu sont remplis d’eaux, parce que lorsque Dieu vient Lui-même, Il remplit tout et ne laisse point de vide [156], apportant avec Lui la plénitude de toutes les grâces.

La marque que David parle de ces âmes anéanties est que, dans le même verset, il est dit : [314] vous leur avez préparé la nourriture. Quelle est cette nourriture ? C’est Dieu même qui peut seul mettre cette âme vide dans un rassasiement parfait, parce que, dit David, Vous seul pouvez la préparer de la sorte qu’il faut : pour toutes les âmes qui se trouvent vides, Vous préparez premièrement leur vide, puisqu’il y a que Vous qui les puissiez mettre dans un vide proportionné à la nourriture que Vous voulez leur donner, et c’est Vous aussi qui préparez cette plénitude, ou cette nourriture, conformément au vide que Vous avez fait.

 Psaume 67.

V.4. Que les justes soient repus et se réjouissent en la présence de Dieu, et qu’ils soient comblés d’allégresse.

V.5. Chantez des cantiques à Dieu, dites des hymnes de louange à Son nom ; faites un chemin à Celui qui monte sur l’Occident : Son nom est le Seigneur.

 [...] Cette nourriture abondante de la présence de Dieu fait encore un autre effet, qui est de combler l’âme de joie et de contentement.  Rien ne réjouit davantage une âme que de voir tous ses désirs remplis et qu’elle n’a plus à faire d’aucune chose, au lieu que ce qui cause sa tristesse est le manque de quelque chose à son désir.

David ne se contente pas de dire que l’âme qui a cette présence doit être dans la joie, mais il veut que sa joie soit si grande que le corps y prenne part et en tressaille : lorsque la présence fait cet effet de grâce particulière, tout est dans le tressaillement et le frissonnement, comme [325] saint Jean l’éprouva dans les entrailles de sa mère Elisabeth [157], qui le remarqua fort bien. Ce tressaillement cause un effet qui est comme une saillie ou sortie de soi pour passer en Dieu [158]. L’âme ne sent pas plutôt cette divine présence qu’elle sent en même temps une tendance pour sa fin ; et c’est pour mettre l’âme dans sa fin que cette présence est donnée dans les commencements. Sitôt que l’âme sent les approches de son Dieu, elle a un désir et une impatience extrêmes de se perdre dans ce qu’elle sent présent, et c’est ce qui la fait comme sortir hors d’elle et, quoiqu’elle soit rassasiée par cette présence qui la comble de biens, il y a pourtant quelque chose dans cette même présence qui la tire et la fait tendre à sa fin jusqu’à ce qu’elle y arrive dans une perte totale où elle perd toute tendance quelle qu’elle soit, comme elle a perdu toute faim par cette présence.            

David veut encore que cette âme chante à Dieu et fasse un chemin ou un passage au nom de Dieu. Ce chemin ne peut se faire que par la perte de la propriété et de la résistance, la résistance étant la seule opposition qu’il y ait à un passage et à une voie : il faut donc que cette résistance soit ôtée afin que Dieu passe et trouve la voie telle qu’Il la veut dans l’âme. Et pourquoi Dieu veut-Il ce chemin ? Pour monter sur l’Occident. L’Occident est la fin, le couchant est la destruction de nous-mêmes : Dieu monte et paraît sur la perte de notre propre vie et sur la ruine de tout ce que nous sommes. Ce qui n’est pas plutôt dans le couchant de l’anéantissement que Dieu vient et S’y établit. Il ne peut venir et monter que sur notre Occident, parce qu’il faut que tout ce qui est de [326] nous soit détruit, afin que Dieu vienne. Ce monter de Dieu sur l’Occident est comme s’Il disait : “Je me lèverai sur cette âme détruite comme le soleil se lève du sein de la nuit dans lequel le jour s’était perdu. Cette âme n’est pas plutôt entrée dans son Occident, que cet Occident est Mon lever : Je monte alors sur elles, et Je paraîs sur ses ombres.” O bonheur extrême de la perte de nous-mêmes ! Dieu S’en fait comme un trophée pour y monter, et c’est Lui seul qui est et qui subsiste en cette âme lorsqu’elle n’est plus en elle-même.

V. 7. C’est Dieu qui fait demeurer dans une même maison ceux qui ont une même conduite,  qui par Sa force met en liberté ceux qui étaient liés de chaînes, pendant que ceux qui Lui sont rebelles habitent dans les sépulcres.

Dieu est Lui-même la maison des âmes qui s’abandonnent et se laissent conduire à Lui ; et toutes ces âmes vivent ensemble dans une union parfaite, chacune selon son degré : celles qui ont plus de rapport d’intérieur sont celles qui sont les plus unies.

C’est aussi ce même Dieu qui par Sa force met en liberté ceux qui auparavant étaient enchaînés. Et comment les met-Il en liberté ? C’est qu’Il leur ôte le rétrécissement qui les bornait, et les chaînes qui les tenaient captifs. Cette liberté n’est pas un libertinage, mais une facilité qui les fait courir dans le chemin de l’abandon et de la foi sans s’arrêter ni être embarrassés de rien. Cette liberté est une largeur et une étendue de l’âme et de cœur qui fait dire ailleurs à David [159] : “Lorsque vous aurez étendu mon cœur,  je courrai dans la foi de Vos préceptes, sans que rien me fasse [327] tomber.” Alors l’âme ne craint plus rien, parce qu’elle est mise en liberté par Dieu même, comme il est dit ici et ailleurs [160], que c’est Dieu qui met en liberté ceux qui sont liés, et qui veulent bien se laisser délier à Lui et s’abandonner à Son soin, pendant que ceux qui Lui sont rebelles demeurent dans des cachots. Par cette rébellion le roi-prophète marque ceux qui ne veulent pas se laisser à Dieu et s’abandonner à Lui, mais qui veulent se conduire eux-mêmes.

Il y a une autre version, (c’est celle de Louvain [161],) qui dit que Dieu, qui est dans Son saint lieu, fait habiter en Sa maison ceux qui ont un même vouloir : la version de ce passage étant bien plus naturelle que celle que j’avais prise, j’ai cru la devoir mettre ici. Dieu habite dans Son saint lieu : le seul lieu de Dieu est Lui-même : Il fait habiter dans ce même lieu saint, en Lui, ceux qui n’ont plus d’autre volonté que la Sienne, et qui n’ont plus de vouloir propre. Il est certain qu’aussitôt que la volonté de l’homme est entièrement perdue dans celle de Dieu, l’âme passe en Dieu sans délai et qu’elle habite dans la maison de Dieu même, étant cachée [162] avec Jésus-Christ en Dieu. […]

Psaume 68.

V.34. Car le Seigneur a écouté les pauvres, Il n’a pas méprisé ceux qui sont Ses captifs.

V.35. Que les cieux, la terre et la mer et tout ce qui se meut en eux célèbrent Ses louanges.

Le Seigneur, dit David, a écouté les pauvres : Il ne méprise jamais ceux qui sont Ses captifs, qui se sont abandonnés à Lui et se sont rendus volontairement ses esclaves. La pauvreté jette l’âme dans cet esclavage parce qu’elle la dépouille de toute liberté et de toute propre volonté pour l’assujettir à Dieu.

Dieu doit être loué de la bonté qu’Il a de S’assujettir ainsi l’âme parce que la douce captivité où Il la tient est infiniment plus avantageuse que sa [352] première liberté, puisque l’âme ne pouvant alors pécher grièvement, sa volonté étant absorbée dans la volonté de Dieu, elle peut néanmoins faire le plus grand des biens…

 Sainte Catherine de Gênes éprouvait cet état lorsqu’elle disait [163] que « Dieu la tenait comme assiégée au-dehors et au-dedans en sorte qu’elle ne pouvait opérer que par l’amour qui la tenait captive. » Il faut louer Dieu pour cette faveur, non seulement d’une louange purement spirituelle, mais il faut de plus que les puissances et même les sens louent Dieu en leur manière.

V.36. Car le Seigneur sauvera Sion et les villes de Juda seront rebâties, ils y demeureront et en seront possesseurs par droit d’héritage.

V.37. La race de Ses serviteurs la possédera et ceux qui aiment Son nom y habiteront.

C’est Dieu qui fait mourir et qui vivifie ; après que l’âme a été ainsi détruite, perdue et submergée, que les édifices qu’elle avait bâtis avec tant de soin ont été frappés jusque dans les fondements et qu’ils sont tombés en ruine, Dieu sauve Sion  du naufrage, c’est-à-dire que tous ses débris ne passent point les sens et les puissances inférieures, que le centre de l’âme s’est conservé en Dieu où, comme dans une arche, il était à couvert des inondations du déluge, que la volonté supérieure n’a point participé aux révoltes des sens, qu’elle était à couvert en Dieu de toute attaque, qu’elle était abîmée en Lui, que les villes de Juda, qui sont le lieu où réside la force sensible de l’âme, seront enfin rebâties et rétablies dans leur premier ordre et que cette âme supérieure, qui était séparée d’elle-même et qui semblait disparue ou surmontée par l’inférieure (quoique cela ne fût pas dans le sentiment, et non pas dans la vérité), sera rétablie dans son autorité, de telle sorte qu’elle dominera sur ce qui lui était assujetti dans l’ordre de la création : elle demeurera paisible dans tous les lieux qu’elle semblait avoir abandonnés et les puissances aussi bien que les sens auront une nouvelle liberté, non pour pécher mais pour louer leur Dieu.

Psaume 71.

V.5. [362] Il demeurera autant que le soleil et la lune dans la suite de tous les âges.

V.6. Il descendra comme la pluie sur une toison et comme l’eau qui tombe goutte à goutte sur la terre.

On peut aisément remarquer qu’il est parlé dans ce Psaume du règne de Jésus-Christ, non seulement de Son règne extérieur et général sur tous les chrétiens, mais de Son règne plus particulier dans l’âme du juste. Lorsqu’Il en a une fois pris possession et que, par la donation que l’âme a faite à Dieu de soi-même, Jésus-Christ commence à régner en elle sans résistance, Il y établit Son trône. Et il ne faut pas croire que Dieu Se sépare de l’âme pour les petites faiblesses qu’Il remarque en elle : non assurément. Il la purifie peu à peu et l’ordonne dans Sa volonté à moins d’un mépris positif des volontés de Dieu ou de quelque péché de malice. Dieu n’abandonne pas si aisément qu’on se l’imagine ce qui est à Lui, comme Il l’assure même en divers endroits. Par la pluie sont désignées les grâces du Rédempteur, qu’Il répand sur les âmes qu’Il possède en la manière qui vient d’être décrite.

Psaume 72.

V.26. Ma chair et mon cœur ont langui d’amour. O Dieu, vous êtes le Dieu de mon cœur et mon partage pour jamais.

Cette langueur d’amour dont parle David n’est pas cette première langueur d’amour sensible et perceptible que l’âme a dans le commencement de la voie passive de lumière et d’amour, mais [373] c’est l’état d’une consommation si grande qu’il n’y a plus rien sur la terre pour cette créature. Elle languit de l’amour le plus pur, le plus profond et le plus central qui fût jamais. L’âme est toujours vigoureuse, mais la chair et le cœur matériels qui sont entièrement séparés de ce qui se passe au-dedans, languissent pour un état si étrange.

Dieu est alors véritablement le Dieu du cœur, tout le reste lui est étranger, et Dieu n’est pas plutôt le Dieu du cœur que l’on y trouve un double avantage, car le cœur devient la possession et le partage de Dieu, et Dieu, en contre-change [164], veut bien Se donner à Sa pauvre créature et être son partage. O héritage heureux ! O portion avantageuse et souhaitable ! Comment chacun n’envie-t-il pas Votre possession ? Et comment des cœurs ayant goûté un si grand bien peuvent-ils encore se repaître de la créature ? Non, cela ne se fait plus dans cet état-ci, où l’hiver et tous les travaux sont passés et où l’âme est assurée que cette part sera éternellement durable ; cet état si avancé n’en laissant point douter, comme saint Paul l’avait éprouvé lorsqu’il disait : « Je suis assuré que ni la mort ni la vie, ni rien qui soit, ne me séparera jamais de l’amour de Dieu » [165]. Cette certitude marque qu’il n’y a plus de doute, de crainte ni d’hésitation. […]

Psaume 75.

V.3. Il a établi Sa demeure dans la paix et Son tabernacle dans Sion.

V.4. C’est là qu’Il brise les arcs, les boucliers, les épées, et qu’Il fait cesser la guerre.

 [...] Ce n’est plus une paix passagère comme Dieu Se communiquait autrefois à l’âme, mais ici Il fait Sa demeure permanente et durable dans cette âme ; Il a posé Son tabernacle au milieu d’elle pour n’en plus sortir : la montagne de Sion est la suprême pointe de l’esprit où Dieu fait sa demeure. Quelquefois on ne [382] s’aperçoit pas de cette demeure, tous les sens restant comme abandonnés à eux-mêmes : elle ne se connaît que parce que rien ne peut troubler l’âme, ce que pourtant on prend souvent pour une insensibilité.

C’est là, dans le fonds et le centre de l’âme, ou dans sa suprême partie, que Dieu brise les arcs, les boucliers et les épées : par ces trois sortes d’armes, le Prophète entend toutes les armes offensives et défensives. Lorsque Dieu s’empare entièrement d’une âme, Il S’en rend si fort le maître qu’Il ne lui permet plus ni d’attaquer ses ennemis, ni de repousser leurs attaques : c’est pourquoi Il lui ôte tout moyen de le faire, brisant toutes les armes. Dieu veut alors tout faire en l’âme, et afin d’y travailler seul, Il fait cesser toutes les guerres : il n’y a plus que paix partout pour cette âme, parce que Dieu faisant Sa demeure dans la paix, sitôt qu’Il vient Lui-même, les guerres cessent.

Psaume 76.

V.13. Mon Dieu, je considérais Vos ouvrages et je méditais sur Vos conseils.

[Tome IX, 390] Il y a deux manières de considérer les ouvrages du Seigneur, toutes deux infiniment différentes. L’une est lorsque l’âme est toute active et qu’elle peut par la force de son raisonnement parcourir les ouvrages de Dieu, les méditer, en tirer le suc comme l’abeille fait des fleurs, et ceci se fait par l’effort de la créature aidée et soutenue de la grâce ; l’autre manière de considérer les ouvrages de Dieu c’est lorsque l’âme est arrivée en Dieu même et qu’ayant perdu toute activité propre, elle est arrivée dans sa fin en unité parfaite. C’est là que, sans interrompre le profond repos du centre dont elle jouit, elle voit en Dieu même les ouvrages de Dieu comme Il les comprend et enferme en Lui-même ; elle en découvre la bonté sans nulle multiplicité et cela d’une manière ineffable et qui la ravit d’autant plus que plus elle avait été privée par sa mort de toutes ses connaissances. 

Que l’on ne croie donc pas que la simplicité qui nous fait mourir à toutes nos propres activités pour nous laisser conduire par un abandon total aux seuls mouvements de la grâce, et qui nous fait écouter Dieu dans un profond silence et par la mort de nos propres opérations pour donner lieu à Son Esprit d’agir en nous et pour ne Le point éteindre, selon le conseil de saint Paul [166], soit une fausse oisiveté, comme quelques-uns se le sont persuadé. C’est un état infiniment fécond : l’âme ne perd son activité propre que pour laisser agir Dieu en elle : elle cesse d’opérer en la manière de la créature pour opérer en la [391] manière divine, et si elle ne perdait pas tout ce qui se fait par ses propres efforts, elle ne mourrait jamais à elle-même et par conséquent elle n’arriverait jamais à l’unité divine ; n’arrivant pas à l’unité divine et n’agissant qu’à la façon de la créature, elle n’aurait les choses qu’en manière créée, elle ne les aurait que très petitement. Au lieu que sortant d’elle-même par la perte de tout ce qui peut être compris de la créature, elle retrouve toutes ces mêmes choses en Dieu, mais d’une manière autant ineffable qu’elle est immense et éloignée de la manière ordinaire de concevoir. Toute l’activité de la créature, quelque rehaussée qu’elle soit du secours ordinaire de la grâce, ne peut pas aller jusqu’à lui faire pénétrer la grandeur de Dieu dans un seul de ces ouvrages, comme la pénètre sans le considérer celui qui étant arrivé en Dieu, voit tout en Dieu même.

Psaume 77.

V.5. Il a rendu un témoignage dans Jacob et Il a établi une loi dans Israël.

Quel est ce témoignage que Dieu a rendu en Jacob ? C’est le témoignage de ce qu’Il est. Il le rendit en plusieurs manières, lui faisant voir [394] et Sa puissance et la manière dont Il voulait être glorifié, lorsque par cette mystérieuse échelle où des Anges montaient et descendaient incessamment [167], Il nous apprenait que l’on ne peut monter à Dieu qu’en descendant par le plus profond anéantissement : toute la vie spirituelle consiste à cela, de descendre autant que l’on monte. Il a encore rendu ce témoignage dans le même Jacob [168], lorsque d’un côté Il le blessa et le rendit boiteux après l’épreuve de sa force contre l’Ange de Dieu et que, de l’autre, ce fut Lui-même, qui avait rendu si puissant un homme mortel, qui était si peu de chose. Combien l’éleva-t-Il après l’avoir abaissé par la douleur et par l’affliction ?

Mais quelle est cette loi que Dieu a établie en Israël ? C’est une loi toute d’amour et de confiance. […]

V.18. Ils tentèrent Dieu dans leur cœur. Ils demandèrent des viandes pour leur âme.

 [...] La sensualité spirituelle est souvent plus grande que la corporelle, et tel qui paraît un grand jeûneur aux yeux des hommes ne saurait souffrir la moindre privation intérieure. Rien au monde ne fâche tant Dieu que le procédé de ces personnes auxquelles Il a fait connaître Ses amabilités divines, et c’est vraiment Le tenter que de vouloir cette sorte de nourriture lorsqu’Il nous en prive.

Car Il ne nous en prive que pour nous donner la manne cachée qui est Lui-même : c’est le véritable soutien de l’âme, mais soutien si spirituel que celle qui le reçoit n’en peut abuser, car elle n’en peut prendre que ce qu’il lui en faut. O, si on savait le tort qu’on se fait à soi-même et l’injure qu’on fait à Dieu en préférant Ses dons à Lui-même, on en serait effrayé. Véritablement ceux qui en usent de la sorte envers Dieu ont un cœur lâche et mercenaire et ne savent pas même aimer Dieu de la manière qu’on doit aimer la créature quand on a l’âme noble, qui est de l’aimer sans intérêt. Ces cœurs qui sont si pleins de l’amour d’eux-mêmes que de s’aimer même dans l’amour qu’ils ont pour autrui et qui ne savent jamais aimer aucun objet pour son propre mérite, mais pour leur utilité particulière ou pour leur plaisir, ne seront jamais propres pour aimer un Dieu infiniment aimable et qui ne peut être aimé que d’un amour souverain, infini et gratuit, comme Il ne peut aimer que souverainement, gratuitement et infiniment. […]

Psaume 83.

V.10. O Dieu, notre protecteur, regardez-nous, jetez les yeux sur le visage de Votre Christ.

Lorsque nous n’avons plus rien de nous en nous, il n’y a plus rien aussi que nous puissions marquer être digne de la protection de Dieu, et cependant c’est dans ce dépouillement de toutes choses que nous devons avoir plus de confiance en Dieu et qu’Il aura pour nous une protection toute singulière. C’est lorsque l’âme est si détruite et si anéantie, qu’il ne reste plus aucune trace en elle d’Adam pécheur, qu’elle peut dire à son Dieu avec une entière confiance : regardez-moi, ô mon Dieu, et jetez les yeux sur le visage de Votre Christ. Car vous ne verrez plus [430] en moi autre chose que Jésus-Christ ; il y a plus rien qui puisse Vous faire détourner Vos regards ; il n’y a plus que Votre Christ, l’objet de Vos complaisances : regardez-moi donc, et jetez en même temps les yeux sur Votre Christ : ce n’est plus moi qui vis en moi, c’est Jésus-Christ [169].

Psaume 84.

[435] V.11. La miséricorde et la vérité se sont rencontrées, la justice et la paix se sont entre-baisées[170].

David confirme ce qui a été dit pour inviter toutes les âmes à entrer dans cette voie d’amour et à ne point craindre l’illusion comme la plupart le veulent persuader. Il assure que dans cette voie du cœur, la miséricorde et la vérité se sont rencontrées, car à mesure que l’âme est pénétrée des miséricordes de son Dieu et de Son amour, elle est mise dans sa vérité qui fait qu’elle reconnaît tout bien, toute grâce et toute amabilité être en Dieu, et en même temps toute misère être en elle. Elle est dans la vérité du tout de Dieu et de Son essence, ce qui la comble de joie et la remplit d’amour, et à même temps dans la vérité de son néant et de sa bassesse qui l’enfoncent dans l’abîme de l’anéantissement, de sorte que, loin que les grâces de foi et de nudité l’élèvent, elles la mettent toujours plus dans la vérité.

Le Roi-Prophète ajoute que la justice et la paix se sont baisées : par ce baiser il entend une [436] union parfaite en sorte que, à mesure que Dieu met l’âme dans cette paix dont il a été parlé, Il la met en même temps dans Sa Justice, si bien que, dès qu’elle est avancée, la paix ne lui est donnée que pour lui faire éprouver toutes les rigueurs les plus étranges de la divine Justice. Il se fait comme un mariage de la Justice et de la paix afin que l’âme demeure paisible dans ses souffrances lorsqu’il plaît à Dieu d’exercer sur elle la sévérité de Ses jugements et afin aussi qu’elle ne se repose pas dans le goût de la paix. Cette conduite de Dieu est admirable sur la créature dans cette voie d’amour où la vérité est jointe à la miséricorde, et la justice mariée avec la paix.

V.12. La vérité est née de la terre et la justice a regardé du ciel.

Quoique Dieu soit la vérité par essence il ne laisse pas d’être vrai que la vérité comme créature est née de la terre. Cela se doit entendre que, jusqu’à ce que l’âme soit réduite dans son néant, comme elle était dans sa création, jusqu’à ce qu’elle soit remise dans la terre, elle n’est point dans la vérité, mais elle n’est pas plutôt anéantie et redevenue terre et poudre que de cet état naît une vérité sans erreur, qui est que l’âme ne peut plus rien attribuer à la créature et ne peut plus rien dérober à son Dieu. Elle laisse Dieu être toutes choses pendant qu’elle demeure dans la vérité de son néant.

La justice regarde du ciel, car dès que l’âme est mise en vérité, elle rend à Dieu justice et elle est en même temps mise elle-même dans la justice, qui la regarde favorablement car la vraie justice consiste à dépouiller la créature de toutes les choses qu’elle avait usurpées sur Dieu, pour [437] les Lui rendre. Cette justice de dépouillement et de restitution ne s’opère que par la vérité de l’anéantissement ; mais que fait la divine Justice ? Elle regarde du ciel si ce dépouillement total est fait afin de se venir précipiter dans cette âme vide et nue ; c’est pourquoi le Roi-Prophète ajoute :

V.14. La justice marchera devant Lui et Il conduira ses pas dans la droite voie.

La justice marche devant le Seigneur et elle prépare Sa voie. Sitôt qu’elle vient dans une âme, Dieu la suit immédiatement, l’âme n’est pas plutôt en vérité et en justice qu’elle est en Dieu, et Dieu en elle, mais très réellement, et Dieu la conduit jusqu’à la fin  dans la droite voie, ne permettant pas qu’elle s’égare.

Psaume 89.

V.11. [474] Qui connaît la grandeur de Votre colère ? et qui peut dans la grandeur de Votre crainte comprendre que Votre indignation est aussi grande qu’elle est ?

Dieu, pour sauver l’âme, l’anéantir et la perdre en Lui, Se met en colère contre tout ce qui est en elle un obstacle à la pureté de Son amour et la mesure de sa colère est la mesure de son amour  [...] Les âmes seulement qui ont l’amour le plus épuré, qui ne craignent rien, ce sont celles-là qui comprennent la grandeur de l’indignation de Dieu parce qu’elles l’éprouvent. Plus Dieu a d’amour pour une âme et la destine à un amour plus épuré, plus Il lui ôte toutes choses sans pitié et sans miséricorde : Il s’arme contre elle et contre sa propriété qui Lui veut disputer l’empire de Son pur amour, et Il ne cesse point de Son indignation [475] que l’âme ne soit détruite et sans résistance. De sorte que si ces âmes résistent toujours, elles ressentent toujours cette indignation, qui ne finit qu’avec leur résistance.

Psaume 90.

V.13. vous marcherez sur le basilic et vous foulerez aux pieds le lion et le dragon.

[481][…] Et comme Il a laissé  tous les anges [171] et les bienheureux pour venir ici chercher et porter sur Ses épaules cette brebis égarée qui n’est autre que notre âme, il faut se laisser porter par Lui, assurés que nous devons être qu’Il ne laissera point tomber cette brebis cherchée avec tant de soin, qu’Il la ramènera dans sa bergerie qui est le sein de Son Père. O aimable Pasteur, adorable Rédempteur, n’est-ce pas vous faire la dernière injure de craindre de périr en se laissant porter à Vous et de se croire plus assurés en marchant par des pas faibles et si chancelants que les nôtres ? […]

Psaume 101.

V.3.  Seigneur, hâtez-vous de me secourir.

V.4. Car mes jours se sont évanouis comme la fumée et mes os se sont séchés comme un foyer où le feu brûle sans cesse.

[502] Jusqu’à ce que l’âme soit en Dieu par état permanent, elle est sujette à mille vicissitudes et changements. C’est comme un or que l’on veut extrêmement purifier : on ne fait autre chose que de l’ôter du creuset pour l’y remettre avec un feu plus ardent et plus fort. Dieu traite tout de même l’âme : Il la retire de temps en temps du creuset des afflictions, mais c’est pour l’y enfoncer encore davantage. Lorsqu’elle voit que sa vie est si courte en comparaison des morts qu’elle expérimente, elle prie Dieu dans ses maux de la secourir avec promptitude, parce que les jours de vie passent comme l’ombre en comparaison de ses maux ; c’est comme une fumée qui sort avec force, et qui se dissipe aussitôt.

Le prophète ajoute que la relâche qu’il a est si peu de chose que ses os, ce qu’il a de plus intime dans l’âme, sont devenus secs comme un foyer qui brûle sans cesse et sans discontinuation, parce que la trêve est si petite que le feu de la douleur n’a pas le temps de s’éteindre. Cet état est très bien comparé au feu parce que le feu fait plusieurs choses à la fois : il brûle et l’âme sent de si terribles brûlements [172] intérieurs qu’elle ne peut appeler ces sortes de peines autrement que des brûlements. Le feu, en la brûlant de la sorte, consume tout ce qu’il y a en elle de combustible et elle est purifiée en même temps parce qu’il n’y a que [503] l’impureté qui soit combustible. Elle se dessèche aussi d’une certaine humeur radicale qui entretenait la vie propre de l’âme et ce feu la fait sortir, comme l’on voit que le feu, préparant un bois avant que de le consumer, le dessèche peu à peu et en fait sortir une humidité impure dont on ne s’apercevait pas avant qu’il fût au feu, un reste de sève végétante qui produit sa propre vie, et qui est entièrement opposée à le faire devenir feu : il en est de même de l’âme ; et il ne se peut pas faire une comparaison plus juste.         

V.5. J’ai été frappé comme l’herbe et mon cœur s’est desséché parce que j’ai oublié de manger mon pain.

 L’âme éprouve une sécheresse si étrange, qu’il semble qu’elle soit comme une herbe sans humeur, et dont la racine est toute desséchée : c’est un coup de la main de Dieu ; c’est un dessèchement du cœur, qui n’est autre que la perte d’une certaine onction et suavité intérieure qui faisaient tout le soutien de l’âme : elle perd alors non seulement ce soutien perceptible, mais elle oublie même de manger son pain, qui est une impuissance secrète de faire oraison qui est le pain qui la sustentait. Dieu fait faire cette perte à l’âme pour l’enfoncer dans une oraison continuelle, intime et profonde, pour lui faire perdre en même temps la pratique du temps préfix [173] de l’oraison qui lui servait d’appui et de moyen et aussi d’empêchement d’arriver dans sa fin. Ces âmes croient que c’est cet oubli de manger leur pain qui les tient dans cette sécheresse.  

V.7. Je suis devenu semblable au pélican des déserts et aux hiboux des lieux solitaires.                  

 [...] Une âme de cette sorte est comme le pélican des déserts, parce qu’elle ne trouve [505] qu’une solitude étrange soit du côté de Dieu, qui la prive de son concours perceptible, soit du côté des créatures avec lesquelles elle ne peut plus avoir de correspondance. […]       

V.8. Je passe la nuit en veillant et je me suis trouvé comme un passereau qui est tout seul sur un toit.

 [...] Lorsque Dieu nous commande de veiller [174], Il ne nous oblige pas tant à veiller sur nous comme à être attentifs à Lui. [...][506] L’autre qualité de l’âme en nudité de soi est que, comme il a été dit, elle se trouve dans une telle solitude qu’elle est comme le passereau qui est tout seul, et elle est sur le toit parce qu’elle ne se trouve plus enfermée en elle-même comme dans les premières solitudes, mais elle éprouve que sa solitude est hors d’elle-même. […]

V.11. A cause de Votre colère et de Votre indignation, parce qu’en m’élevant en haut Vous m’avez brisé.                   

[…] Voilà comment Dieu en use à notre égard. Il a mis des trésors dans des vases de terre, mais d’une terre qui ne peut être brisée que par son [508] potier. Ces vases de terre ne sont autres que ce que nous avons de propre. Dieu brise cette propriété, Il l’anéantit et la détruit en la précipitant du plus haut dans le plus profond de l’abîme, et alors, cette boîte ou ce vase étant brisé, il ne reste plus que le trésor que Dieu y avait mis et qui n’était pas auparavant à sa  disposition, quoiqu’il fût sous Sa puissance. […]

Psaume 102.

V.1. O mon âme, bénis le Seigneur et que toutes tes entrailles bénissent Son saint Nom !

V.2. O mon âme, bénis le Seigneur et n’oublie jamais toutes les grâces que tu as reçues de Lui !

Ce Psaume est un cantique de louange et de reconnaissance. L’âme qui a été détruite, brisée, tuée, revivifiée, sentant la joie de sa nouvelle liberté et le plaisir de sa délivrance, s’écoule toute en témoignages de reconnaissance, en louanges, en bénédictions. O mon âme, dit cette personne, sois désormais employée à bénir ton Seigneur ! Il t’a délivrée par Sa bonté du soin de toi-même. Tu n’as plus qu’une seule chose à faire qui est de t’employer tout entière en louanges et en bénédictions. Lorsque de l’état des combattants et des souffrants, on est arrivé [511]  à la participation de l’état des triomphants par la délivrance de la captivité, ô alors, il n’y a plus qu’une seule chose à faire pour l’âme qui est de s’employer toute en louange et en bénédiction de son Dieu ; elle est dégagée du soin d’elle-même, de demander, de penser à elle, car nul intérêt propre ne la touche plus. C’est ce qui fait qu’elle commence ce cantique que saint Jean rapporte [175] qui est tout à l’honneur et à la gloire de l’Agneau auquel les saints disent incessamment : honneur et bénédiction et gloire. Voilà la seule occupation de ces âmes sur la terre, rien que le seul intérêt, la seule gloire de Dieu. O mon âme, encore une fois, bénis le Seigneur ! C’est à présent ton unique affaire : que tes entrailles, que tout ce que tu as de plus intime et de supérieur et tout ce que tu as de plus inférieur se joignent ensemble pour bénir et louer Dieu, que je devienne moi-même toute louange et que je n’oublie jamais les miséricordes que Dieu m’a faites.      

Les personnes peu éclairées m’entendant parler de la sorte, prendront cela pour une activité et pour un état affectif, mais qu’il est bien différent ! Celui-ci est le Cantique de la consommation : l’âme est ici active sans activité, elle est agissante sans action propre, c’est Dieu même qui est devenu son action et elle agit sans perdre son repos en Dieu. […]

Psaume 106.

V.4. Ils ont erré dans la solitude, dans un lieu sec et sans eau, ils n’ont trouvé aucun chemin pour aller dans une ville habitée.

 […][546] L’âme n’entre pas plutôt dans la foi nue qu’elle est errante dans la solitude parce qu’elle ne peut trouver de repos dans le commencement de cet état et elle ne sait où aller, elle ne peut rentrer dans son premier état et elle ne peut trouver de refuge en Dieu, le temps n’en étant pas encore venu ; c’est ce qui fait qu’il est qu’elle ne trouve point, non seulement de refuge, mais même de chemin pour rencontrer une ville habitée. Les âmes qui sont dans ce désert ne trouvent personne qui aille par le même chemin : elles ne trouvent et ne connaissent point le chemin parce qu’elles marchent dans un tel aveuglement qu’elles ne voient pas même le lieu où elles marchent et elles ne peuvent voir que ce chemin puisse aboutir en aucun lieu, quoiqu’il y en ait, et des personnes saintes qui y habitent. Ce désert est fort sec et sans eau parce qu’on ne trouve pas le moindre soutien ni le moindre rafraîchissement dans un si long et si effroyable chemin.

Psaume 107.

V.12. Ne sera-ce point vous, ô Dieu, qui nous avez repoussés et qui ne sortirez plus avec nous dans nos armées?

[…][562] Une personne qui voudrait faire entrer une autre dans un lieu où il souhaiterait de s’unir à elle n’aurait qu’à s’emparer elle-même de ce lieu et de s’y tenir, puis environner cette personne d’ennemis pour l’obliger par force à entrer et demeurer en ce lieu ; ces ennemis semblent alors attaquer cette personne avec furie mais ils n’ont pas le pouvoir de la tuer mais seulement de l’obliger par force à entrer dans ce lieu, n’y ayant point d’autre ressource pour elle. C’est là la manière dont Dieu en use à notre égard : Il S’enfonce en nous et pour nous obliger d’y entrer et de nous perdre en Lui, Il fait que nous ne trouvons tout autour de nous que des ennemis qui semblent nous devoir perdre. Dieu ne sort point, comme au commencement pour détruire et chasser tous ces ennemis, au contraire Il s’enfonce davantage dans l’âme afin de donner lieu aux ennemis, en la persécutant au-dehors, de la faire entrer et enfoncer plus avant dans le dedans où Il est Lui-même.

Psaume 115.

V.7. Vous avez rompu mes liens,

V.8. Je Vous sacrifierai une hostie de louange.

[…][590] Il y a trois sortes de liens que Dieu seul peut rompre : le premier lien est celui de la multiplicité qui nous retient sous notre propre conduite, et Dieu rompt ce premier lien en retirant l’âme de la multiplicité pour la faire entrer dans la simplicité et unité. Le second lien est celui qui tient l’âme en elle-même et qui l’empêche de se perdre en Dieu, et Dieu rompt ce second lien par la mort mystique. Le troisième lien est celui qui retient l’âme après la résurrection et l’empêche d’agir en pleine liberté d’homme ressuscité [176]. […]

 

Psaume 118.

V.19. Je suis sur la terre comme un étranger, ne me cachez pas la connaissance de Vos préceptes.

L’âme est étrangère sur la terre en deux manières : l’une, lorsque s’étant donnée à Dieu bien fortement, la vie lui est comme ennuyeuse en sorte qu’elle la regarde comme un long et fâcheux pèlerinage : elle attend la mort avec empressement, et la désire même. C’est alors qu’elle dit :  Hélas, que mon exil est long et ennuyeux ! L’autre manière, dont elle est étrangère, est quand cette âme est entièrement sortie d’elle-même et passée en Dieu. O alors ! elle est si étrangère à elle-même qu’il faut qu’elle se fasse une grande violence pour penser à elle ; lorsqu’elle y pense, c’est comme à une chose étrangère et qui ne la touche plus, elle se sent comme divisée et séparée d’elle-même : une seule [603] chose est et subsiste en elle qui est Dieu, et elle ne peut plus se voir distincte de Dieu, Dieu pour ainsi dire est elle, et elle est Dieu [177]: mais pour se regarder elle-même, cela lui est étranger : elle n’a plus nulle correspondance d’elle-même pour elle-même, mais Dieu seul, sans distinction, subsiste ; et plus elle est en Dieu dans cette unité indistinguible [178], plus est-elle étrangère à elle-même et séparée d’elle-même. Rien de ce qui peut avoir rapport à elle ne la peut plus toucher : salut, perfection, éternité, paradis, enfer, rien de tout cela ne la touche, cela ne la regarde plus. Lorsque l’on dit qu’elle est pleine de défauts et d’imperfections, qu’elle sera damnée, tout cela n’entre point en elle et ne la regarde point. Ce n’est point là son affaire, il semble qu’on lui parle de rêveries : tout ce qui a rapport à la créature est perdu pour elle et dans une perte si étrange que la perte même en est insensible et étrangère. Dieu est Dieu en Lui et pour Lui : c’est tout ce que fait cette âme, non qu’elle y pense en distinction, mais c’est qu’elle sait qu’il n’y a que Dieu pour elle, tout le reste lui est étranger.

Si son propre salut ne la touche pas alors, celui des autres ne le fait pas non plus ; cependant, elle y est employée et elle y travaille par providence, mais sans soin ni souci, sans y penser, sans s’en occuper, sans se soucier du succès ; tout périrait et renverserait qu’elle n’en serait point touchée. Tout lui est Dieu, et Dieu est tout : la gloire de Dieu se trouve autant dans la destruction que dans l’édification. On ne sait plus alors ce que c’est que parents, amis, biens, enfants, intérêt, [604] honneur, santé, vie, salut, gloire, éternité, tout cela ne subsiste plus pour une telle âme : Dieu est, toutes ces choses en Lui et pour Lui.

Cet état s’éprouve même de certaines âmes qui ne l’ont encore que par disposition : comme elles ne sont pas en Dieu par état permanent, elles n’en ont que la disposition, et dans cette disposition, qui dure plus ou moins selon qu’il plaît à Dieu, elles éprouvent une impuissance absolue de réfléchir sur elles-mêmes, mais cela passé, elles fourmillent de réflexions. L’âme qui y est par état y est bien plus parfaitement et d’une autre sorte, elle ne peut plus en nulle manière se courber vers elle. […]

V.67. J’ai péché avant que d’avoir été humilié. C’est pourquoi je me conduis maintenant selon Votre parole.

 [...][610] Pour pécher, il faut être et subsister en quelque chose, le néant, ne subsistant en rien, ne peut pécher, et il est moralement impossible qu’une âme bien anéantie puisse pécher, et si elle pèche, elle entre en quelque être et subsistance et sort de son néant. C’est pourquoi David ajoute : je me conduis à présent selon Votre parole, selon l’impression que Vous me donnez de Votre parole au-dedans, selon Votre Verbe qui est à présent devenu ma vie, ma conduite, mon soutien, mon être et ma subsistance ; je n’ai péché que parce que j’ai subsisté en moi, mais depuis que j’ai été anéanti, Votre Verbe vit en moi et je ne me conduis plus que selon Votre parole, que selon qu’elle me conduit. […]

V.72. La loi de Votre bouche me vaut mieux que des millions d’or ou d’argent.        

La loi particulière que Dieu donne à l’âme anéantie est la loi de la bouche de Dieu, car c’est la loi de Jésus-Christ. C’est Jésus-Christ même qui est la loi de cette âme qui n’a d’autre conduite que la Sienne, non par conformité d’état, [611] ni même par uniformité, mais parce que Jésus-Christ vit et opère en cette âme, non plus comme modèle, mais par état de vie en Lui.

Pour mieux entendre cela, il faut savoir qu’il y a trois états de Jésus-Christ : le premier est celui des commençants où l’âme est tout occupée à se mouler sur Jésus-Christ selon le modèle qui lui a été montré sur la montagne. Après ce premier [état], l’âme perd toute vue et pensée distincte de Jésus-Christ qu’elle a suivi comme voie, et elle ne l’aperçoit plus, caché qu’Il est pour elle en Dieu. Alors l’âme ne peut plus penser à Jésus-Christ en nulle manière, elle se repose seulement dans son unité en Dieu et c’est tout ce qu’elle peut faire, il ne lui reste nulle trace de Jésus-Christ [179]. Lorsque l’âme a été de la sorte, Dieu la met par états dans les états de Jésus-Christ sans qu’elle pense à Jésus-Christ. Il la met dans le dépouillement et la pauvreté intérieure, dans la croix, dans tous les états de Jésus-Christ que l’âme porte par état dans une unité grande avec Jésus-Christ, sans penser à Jésus-Christ en distinction, tout se trouvant caché en Dieu seul, de sorte que Jésus-Christ lui est alors vérité. Puis il y a un troisième état, où, dans la plénitude des temps, c’est-à-dire lorsque l’âme est fort avancée en Dieu, Jésus-Christ S’incarne en l’âme comme vie. Il y opère et agit : ce n’est plus un modèle comme au commencement ou une conformité à Jésus-Christ, ce n’est plus porter les états de Jésus-Christ, mais c’est porter Jésus-Christ même dans Ses états, qui vit, qui souffre et qui opère dans l’âme comme vie. Ainsi donc l’âme porte premièrement ses croix particulières en union et conformité avec Jésus-Christ, ensuite elle porte la croix de Jésus-Christ et avec [612] Jésus-Christ, en unité grande mais cachée en Dieu, sans découvrir Jésus-Christ ; puis dans la consommation, elle porte Jésus-Christ crucifié qui est sa vie et sa subsistance. Ce n’est alors plus elle qui vit et opère, mais Jésus-Christ vit et opère en elle [180] : Il prêche, Il parle, Il converse, et ainsi du reste ; et comme l’on commence tout en Jésus-Christ, Jésus-Christ consomme tout : Il est le commencement et la fin. On croira peut-être que cela se passe par vue, pensée de Jésus-Christ, lumières, etc. Ce n’est rien de tout cela, et l’âme qui possède un si grand bien n’en connaît rien à moins que Dieu ne le lui manifeste, ou pour le dire, ou pour l’écrire. O, c’est alors qu’elle s’écrie : La loi de Votre bouche, ô Dieu, vaut mieux que tous les trésors spirituels, signifiés par l’or et que les temporels exprimés par l’argent. […]

Psaume 144.

V.16. Vous ouvrez Votre main et Vous remplissez de bénédiction tout ce qui a vie.

[668] Presque tous les directeurs non expérimentés disent qu’il faut que les âmes soient mortes à toutes leurs passions avant que de se laisser conduire à Dieu. Cependant Dieu ouvre Sa main et remplit de bénédictions ces âmes toutes vivantes encore, pour opérer en elles la mort. C’est une chose étrange que la manière de raisonner des hommes : tous conviennent qu’il n’y a que Dieu qui puisse opérer la mort, cependant ils veulent que l’âme soit morte avant de se laisser conduire à Dieu. N’est-ce pas une chose impossible et une contrariété manifeste ?

V.17. Le Seigneur est juste en toutes Ses voies, saint dans toutes Ses œuvres.

[669] S’il est juste dans toutes Ses voies, peut-on craindre qu’Il fasse quelque injustice et qu’Il ne conduise pas l’âme dans la voie qui lui est propre ? Et s’il est saint dans toutes Ses œuvres, n’opérera-t-Il pas la sainteté conformément à l’état de l’âme ?

V.18. Le Seigneur est près de tous ceux qui L’invoquent dans la vérité.

Dieu est si près de ceux qui L’invoquent dans la vérité, de la manière qu’Il veut et doit être invoqué qu’il ne faut point appréhender qu’Il n’écoute pas la prière de vérité. Cette prière de vérité est une remise de toute l’âme entre les mains de son Dieu, la créature Lui rendant par là ce qu’elle Lui doit. […]

Psaume 148.

V.9. Que les montagnes et toutes les collines, les arbres fruitiers et tous les cèdres,

V.10. Que les bêtes sauvages et tous les animaux doux et domestiques [181],

V.12. Que les jeunes hommes et les filles, les vieillards et les enfants louent le nom du Seigneur. 

 [676] Par les montagnes, il entend les âmes les plus élevées, par les collines, les médiocres, par les arbres fruitiers, celles qui sont abondantes en œuvres de charité, en pratique de vertus ; les cèdres, ce sont les âmes qui sont plus rares et plus cachées, des âmes qui ne sont point portées au-dehors ni à l’extérieur mais qui sont toutes intérieures : ces âmes sont très grandes devant Dieu, et de bonne odeur, mais inconnues à la plupart des hommes ; par les bêtes sauvages il entend les âmes austères retirées, solitaires, qui craignent la moindre approche des créatures ; par les animaux doux et domestiques, les âmes communes qui sont obligées de vivre dans le monde où elles passent une vie douce, tranquille, et assez innocente ; par les jeunes hommes, il entend les âmes nouvelles et jeunes dans la vie spirituelle, mais fortes dans leur voie ; par les filles, les âmes plus avancées mais plus faibles et moins courageuses ; par les vieillards, celles qui sont proches de leur fin, qui ont vieilli longtemps dans la voie intérieure mais qui ne sont pas encore arrivées en Dieu par une nouvelle naissance ; par les enfants, il veut marquer les âmes redevenues enfants par leur simplicité et innocence, par leur renaissance et renouvellement de vie en Dieu : toutes dans leur degré louent Dieu comme Il veut être loué. […]

Psaume 149.

V.4. Parce que le Seigneur a mis toute Son affection dans Son peuple, Il glorifiera les humbles.

 [...][678] Qu’y a-t-il en une telle âme qui puisse Vous obliger à l’aimer ? Plus elle se voit indigne de Votre amour, plus Vous l’en comblez ; plus elle se trouve laide, plus Vous la trouvez digne de Vos complaisances ; et c’est par un pur effet de Votre amour que Vous glorifiez cette âme dans son humiliation. […]


Isaïe

 Chapitre II

V.17. L’élévation de l’homme sera abaissée, la hauteur des grands sera humiliée, le Seigneur seul paraîtra grand en ce jour-là.

[Tome XI, 10] Il faut nécessairement que l’homme soit abaissé et anéanti, que tout ce qu’il y a en lui de grand soit détruit, qu’il n’en reste rien, afin que Dieu paraisse seul grand en Lui-même ; jusqu’à ce que cela soit, l’homme dispute toujours de la grandeur avec son Dieu.

Chapitre III

V.1. Car le Dominateur, le Seigneur des armées va ôter de Jérusalem  et de Juda le courage et la vigueur, et toute la force du pain et toute la force de l’eau.

Comment est-ce que le Seigneur demeurera seul grand et que ce qu’il y aura de l’homme sera anéanti ? C’est que le Seigneur qui domine ces âmes, qui les avait remplies de force et de courage, Celui qui combattait en elles et pour elles, va ôter de cette âme intérieure toute vigueur et toute force pour le bien, et pour se défendre du mal. Il ôte premièrement toute la force qu’elle trouvait en son pain, soit en la sainte Eucharistie où elle ne trouve plus que dégoût et amertume, soit dans l’oraison où elle n’a plus de facilité, soit à la lecture qu’elle ne peut plus ni goûter ni faire. Dieu ôte ainsi toute force à la nourriture de l’âme et par conséquent tout soutien. Mais comment ôte-t-Il la force de l’eau ? C’est que l’âme ne sent plus de force ni de vigueur pour s’abandonner : il semble qu’elle ne le puisse plus faire ; les grâces qui s’écoulaient en elle sont taries et desséchées, elles n’ont plus ni force, ni saveur, ni soutien.

V.3. Tous les hommes les plus éloquents et qui ont en eux l’intelligence de la parole mystique [leur] seront ôtés.

[11] Dieu ôte à cette âme toute direction et tout soutien : s’il lui reste un directeur, ce n’est que pour la contrarier et tourmenter. Il lui ôte même toutes les personnes qui entendent les voies mystiques, et qui pourraient entendre son langage [182]. O Dieu, Vous voulez être seul ! demeurez donc seul !

V.5. L’homme se déclarera contre l’homme, l’ami contre l’ami.

La nature semble se déclarer en ce temps-là contre elle-même. Cet ami si cher en qui l’on avait mis toute sa confiance, en fait autant, tous les amis abandonnent et se déclarent ennemis : il faut qu’il ne reste point d’hommes sur la terre.

V.10. Dites au juste qu’il espère bien parce qu’il recueillera le fruit de ses travaux.

Mais, parmi tous ces maux, il ne faut pas perdre la confiance ni l’espérance, car Dieu, qui semble pour lors être contraire à l’âme ne l’abandonne pas un moment et Il lui fera  recueillir les fruits de sa foi, de sa confiance, de sa patience et de sa fidélité.

Chapitre IV

V.2. En ce temps-là le germe du Seigneur sera dans la magnificence et dans la gloire, les fruits de la terre seront élevés en honneur, et ceux qui auront été sauvés d’Israël seront comblés de joie.

[12] Lorsque tout aura été détruit dans l’homme, le germe du Seigneur, ce principe vivifiant qu’Il a mis en l’homme, ce germe d’immortalité le tirera de son sépulcre et peu à peu croîtra et fructifiera en magnificence et dans la gloire due à Dieu seul. Les fruits de l’âme, c’est-à-dire ses œuvres, ses productions, qui n’étaient auparavant que des fruits de terre, sont, à cause de ce principe vivifiant que Dieu y a mis, des fruits d’honneur, et deviennent des productions divines. Ceux (celles) d’entre les âmes abandonnées qui ont déjà passé l’état de mort seront comblés de joie.

V.3. Alors tous ceux qui seront restés dans Sion et qui seront demeurés dans Jérusalem seront appelés saints, tous ceux qui auront été écrits dans Jérusalem au rang des vivants.

Toutes les âmes qui seront restées fermes dans leur mort et leur abandon, et qui seront demeurées dans leur anéantissement seront appelées saintes parce qu’étant entièrement désappropriées, elles participent de la sainteté de Dieu qui demeure en elles sans mélange, et sans qu’elles en dérobent rien. Tous ceux qui auront été ressuscités et qui seront écrits dans le livre des vivants, qui est Jésus-Christ, afin de vivre de Sa vie, ceux-là seront appelés saints puisqu’ils seront saints de Sa sainteté.

V.5. Et le Seigneur fera naître, sur toute la montagne de Sion et au lieu où Il a été invoqué, une nuée obscure pendant le jour et une flamme ardente pendant la nuit, car Il protégera de toute(s) part(s)Sa gloire.

Dieu fait naître sur  le centre de l’âme qui est [13] la montagne de Sion, où Il est invoqué, une nuée très obscure pendant le jour de Ses lumières de sorte qu’Il remplit l’âme de Ses connaissances sans qu’elle sache comme cela se fait. Et lorsqu’elle est dans la plus grande [nuit et[183] obscurité, c’est alors que la flamme intérieure, secrète et cachée la consume. Et Dieu en use de la sorte pour protéger Sa gloire et la maintenir en cette âme, afin qu’elle ne se puisse rien attribuer ni rien dérober à Dieu.

Chapitre V

V.12. Vous n’avez aucun égard à l’œuvre du Seigneur, et vous ne considérez point les ouvrages de Ses mains.

V.13. C’est pour cela que mon peuple a été emmené captif, parce qu’il n’a pas eu d’intelligence, que ses plus grands sont morts de faim et que tout le reste a séché de soif.

Rien au monde ne déplaît tant à Dieu que de n’avoir pas d’égard à l’ouvrage qu’Il veut faire en nous, faisant cesser toutes nos opérations pour Le laisser agir et opérer. C’est là la cause de tous nos maux, et de ce que nous n’attribuons pas tout à Dieu, ne considérant pas toutes choses comme venant de Lui ; c’est pourquoi il détruit par la faim et la privation ce qu’il y avait de plus grand en nous, et par la sécheresse les choses menues et communes.

V.14. C’est pour cela que l’enfer a étendu ses entrailles et qu’il a ouvert sa gueule jusques à l’infini.

C’est à cause de ce que nous ne cessons pas toutes [14] actions, pour simples qu’elles soient, afin de laisser Dieu agir pleinement et que nous ne Lui rendons pas la gloire de toutes Ses œuvres que l’on entre dans l’état d’enfer et de purgation, [état] semblable à l’enfer et d’autant plus étrange et terrible qu’il est presque infini.

V.16. Le Seigneur des armées fera connaître Sa grandeur dans Son jugement, le Dieu saint signalera Sa sainteté en faisant éclater Sa justice.

C’est en réduisant des âmes à des peines et à des états si terribles que Dieu fait connaître Sa grandeur, en exerçant un jugement si rigoureux sur les âmes qui sont toutes à Lui. Le Dieu qui est seul saint signalera Sa sainteté, fera voir que c’est en Lui seul que la sainteté est renfermée, faisant éclater Sa justice sur les âmes qui lui sont dévouées parce qu’elles Lui ont dérobé cette sainteté.

V.21. Malheur à vous qui êtes sages à vos propres yeux et qui êtes prudents en vous-mêmes !

Tous ces malheurs n’arrivent que parce que l’on est sage à ses propres yeux  et que Dieu hait cette propre sagesse qui empêche la Sienne d’agir et d’opérer en nous ; Il ne peut souffrir cette prudence que l’on a  en soi-même parce qu’elle est entièrement contraire à l’abandon et à la simplicité.

V.26. Il élèvera Son étendard pour servir de signal à un peuple très éloigné,Il l’appellera d’un coup de sifflet des extrémités de la terre, et il accourra aussitôt avec une vitesse prodigieuse.

Ce Dieu infiniment bon qui ne demande qu’à communiquer Sa bonté, voyant que les [15] sages de leur propre sagesse, ces prudents en eux-mêmes, ne veulent pas écouter Sa voix, ni ôter leur prudence pour se laisser pénétrer de la grâce de la simplicité, Il élève Son étendard du côté des pécheurs, de ces âmes qui sont infiniment éloignées de Lui par leurs péchés. Chose étrange que ces pécheurs soient plus propres, plus dociles pour écouter la grâce que les plus grands, prudents et sages, qui ont une opposition directe à Dieu ! Ces âmes ne sont pas plutôt appelées qu’elles courent de toutes leurs forces pour se rendre à toutes les volontés de Dieu et profitent tout d’un coup des grâces que les autres ont négligées et refusées. On ne saurait croire la promptitude de ces conversions ; un petit signal les fait retourner à leur Dieu ; ils n’y sont pas plutôt retournés que, sans s’amuser à disputer et à combattre, ils courent d’une vitesse incroyable à Celui qui les appelle. Ces pauvres pécheurs ne disent pas qu’ils n’en sont pas dignes, ils ne s’excusent pas comme ces faux humbles, mais ils croient qu’il faut accepter promptement et de bon cœur les grâces dont on les honore.

V.27. Il ne sentira ni lassitude ni travail, il ne dormira ni ne sommeillera point, il ne quittera jamais le baudrier dont il est ceint, et un seul cordon de ses souliers ne se rompra  dans sa marche.

Ces âmes sont attirées si fortement et si suavement que, quoiqu’elles courent infatigablement, elles ne sentent point de travail ni de lassitude. La ferveur et l’amour les portent, elles ne se reposent pas un moment dans leur course, quoique la course soit toujours accompagnée de paix et de repos, elles ne quittent jamais le baudrier de la confiance en Dieu, de l’abandon et de [16] l’espérance ; elles ne font point de faux pas ni de fautes, rien ne les arrête. La vitesse avec laquelle ces personnes retournent à Dieu est incroyable, au lieu que ces suffisants, sages et prudents, passent toute leur vie à raisonner s’il n’y a point d’imprudence à se jeter ainsi à corps perdu entre les bras de Dieu. Ah, pauvres pécheurs, venez tous vous y abandonner : venez, tout sales que vous êtes, vous serez lavés, venez, boiteux et estropiés, vous serez admis au festin. Ah, pécheurs, ne vous écartez point de votre Dieu ! Venez avec confiance, vous ne serez point rebutés comme vous l’êtes de la plupart de ces hommes qui Lui déplaisent plus que vous. Venez à Lui, Il vous recevra après qu’Il vous aura lavés et purifiés dans Son sang. On ne saurait croire les démarches que font ces âmes et combien elles sont plus dociles et avancent plus que ces vierges folles et entêtées de leur sainteté, pureté et justice, qui n’est qu’en idée, lorsqu’elles sont toutes sales de leur propriété. O pécheurs, venez, je vous en conjure, accourez à votre Sauveur et vous serez reçus. […]

Chapitre XI

V.6. Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera avec le chevreau ; le veau, le lion et la brebis demeureront ensemble ; un petit enfant les conduira.

[35] C’est une épreuve que fait l’âme arrivée à l’état d’innocence et d’enfance spirituelle : tout est d’accord et en paix chez elle : les bêtes féroces et malignes ont perdu leur malignité, les bêtes douces et faibles ont contracté une force et un courage généreux, il n’y a plus dans cette âme de révolte et de tumulte des passions, tout y est en paix et en tranquillité, l’amour-propre n’incommode plus, ni la propriété ne fait plus de ravages. […]

Chapitre XXVIII

V.24. Le laboureur laboure-t-il toujours afin de semer ? Travaille-t-il sans cesse afin de fendre les mottes de la terre ?

V.25. Lorsqu’il l’a aplanie n’y sème-t-il pas ?

 [...] L’Ecriture nous fait connaître par ces figures que chaque chose a son temps. Il ne faut pas toujours agir, mais il faut se reposer lorsque l’action que nous devons faire est cessée. Si le [55] laboureur, après que le blé est semé, voulait labourer encore, il renverserait le grain et l’empêcherait de croître : quand il a labouré (qui est son travail), il se repose et Dieu fait croître et fructifier ce grain semé comme il Lui plaît. Cette conduite de la Sagesse  de Dieu dans les choses naturelles est la conduite qu’Il tient dans les âmes. Il faut labourer par la conversion, par le retour vers Dieu, par les premières démarches de la vie spirituelle. Sont-elles faites, Dieu sème en cette âme ; il faut que l’âme se repose et demeure en paix, et Dieu fera croître et fructifier cette semence jusqu’au jour de la moisson où Il fera Lui-même la récolte de ce qu’Il a semé dans notre terre. La terre ne doit rien retenir pour elle que la misère et la pourriture : tout le bon est à Dieu et pour Dieu même. […]

Chapitre XXXII

V.16. L’équité habitera dans le désert et la justice se reposera dans un champ fertile.

L’équité est l’ouvrage de la divine Justice ; lorsque cette divine Justice, cruelle et impitoyable, vient dans une âme, elle commence par troubler tout parce qu’elle ôte et rejette tous ces beaux meubles rangés qui étaient dans cette âme, toutes ces grâces, dons, richesses, vertus dont elle faisait son capital : elle enlève tout sans pitié, comme on voit la justice humaine enlever les meubles d’un homme qui doit et, ne voulant [67] pas payer, s’empare du bien d’autrui. La Justice divine fait tout de même, elle ôte sans pitié tous ces beaux meubles dont cette âme fait son principal ornement parce que tout cela appartient à Dieu et que cette âme s’en était rendu propriétaire ; lorsque la divine Justice a tout ravagé, troublé, et enfin tout ôté de l’âme, elle la met à nu. Oh, c’est alors qu’elle produit la paix, paix d’autant plus grande qu’elle ne subsiste en rien de créé, quelque grand et relevé qu’il puisse être. L’âme trouve sa paix dans son rien, mais une paix d’autant plus assurée que, n’ayant plus rien à perdre, rien ne la lui peut plus ravir, et c’est de cette sorte que la divine Justice opère la paix dans l’âme. Le silence intérieur, qui maintient l’âme dans son rien, cultive cette paix aussi bien que le silence extérieur. […]

Chapitre XXXV

V.8. Il y aura là un sentier et une voie qui sera appelée la voie sainte ; celui qui est impur n’y passera point et ce sera pour vous une voie droite, en sorte que les ignorants y marcheront sans s’y égarer.

Il y a en Dieu une voie et un sentier qui est la voie sainte parce que rien d’impur  ni de souillé n’y peut entrer, quand ce ne serait qu’un atome de propriété. Cette voie n’est pas une voie de [71] marche pour l’âme, car étant arrivée dans sa fin elle ne peut plus marcher vers la même fin, mais une voie d’enfoncement et de poids, mais voie si sainte qu’elle n’est autre que Dieu Lui-même. Il faut, avant que d’y passer, que l’âme ait été purifiée radicalement, mais pour les âmes abandonnées et anéanties, ce sera une voie droite en sorte que les âmes simples et ignorantes y marcheront sans s’égarer : et, sans savoir ce que c’est que cette voie, elles y marcheront très sûrement, comme une pauvre ignorante, sans savoir la définition de l’amour, peut aimer très purement. Mais pour les doctes, à moins que de captiver leurs lumières, ils n’y passeront que très difficilement : ils ne veulent point s’abandonner, mais au contraire ils veulent qu’on leur rende raison de tous les lieux où ils passent. […]

Chapitre LVIII

V.9. Me voici,  si vous ôtez la chaîne du milieu de vous.

[132] Si vous savez ôter cette chaîne qui vous tient liés à vous-mêmes et à votre propre volonté, alors vous serez agréables à Dieu et vous Le trouverez pour donner le prix et la valeur à toutes vos œuvres.

V.10. Si vous assistez le pauvre avec une effusion de cœur, et si vous remplissez l’âme affligée, votre lumière se lèvera dans les ténèbres et vos ténèbres deviendront comme le midi.

Il y a deux sortes d’aumônes, toutes deux très nécessaires, la temporelle et la spirituelle. Ceux qui ont de l’attache à ce qu’ils possèdent et le cœur dur pour les pauvres, ne seront jamais grands spirituels. L’aumône dont il est parlé ici est la spirituelle : il faut assister ces âmes qui sont dans la dernière pauvreté et le dépouillement. Elles sont plus à plaindre que celles qui demandent [133] l’aumône dans les rues ; cependant il ne se trouve que trop de personnes qui les rebutent parce que l’on ne fait cas que de ce qui paraît et éclate au dehors. D’autres, par une fausse humilité, ne veulent pas aider ces personnes.

Il faut aider ces pauvres âmes avec une entière effusion de cœur, leur faisant part, s’il est nécessaire, de ce que l’on a dans l’âme et le versant dans la leur, la remplissant d’onction et de force pour porter leur pauvreté. Si vous en usez de la sorte, votre lumière, la lumière qui est en vous, se lèvera en eux au milieu de leurs ténèbres, et par cette charité, ce qu’il y a encore en vous de ténèbres deviendra comme la lumière du midi.

V.12. Les lieux qui avaient été déserts depuis plusieurs siècles seront, dans vous, remplis d’édifices. vous relèverez les fondements abandonnés pendant une longue suite d’années, et on dira que vous faites une demeure paisible des chemins passants.

Dieu Se sert de Ses serviteurs choisis pour [134] faire ces choses lorsqu’ils sont bien abandonnés à Lui. Les âmes qui paraissent comme désertes, qui avaient abandonné l’ouvrage de leur intérieur, qui ne voulaient pas le laisser bâtir à Dieu, Dieu, en faveur de ces âmes choisies à qui Il unit les autres, retravaille de nouveau à leur édifice spirituel, mais Il ne le rebâtit que dans les âmes choisies : cela veut dire qu’il semble que toute la perfection de ces âmes-ci dépende de l’union qu’elles ont avec celles que Dieu leur a données pour les aider. Et cela se trouve si vrai qu’il semble que Dieu ne Se communique à elles que par le moyen de ces personnes [de choix]. Pour trouver Dieu, il faut qu’elles pensent à ces personnes choisies et d’abord, elles sont remises en Dieu : dans les tentations les plus fortes, elles se trouvent délivrées par leur secours ; enfin Dieu, qui est tout vivant et agissant en ces personnes Se fait sentir par elles en toutes manières, et Dieu Se sert d’elles pour Se faire une demeure tranquille et paisible de ces âmes volages qui étaient exposées à toutes les tentations et attaques de l’ennemi et dont l’esprit était si égaré qu’il était comme un chemin passant.



 

Jérémie

Chapitre XXXIII

V.6. Je couvrirai leurs blessures et Je les guérirai. Je leur révèlerai la prière de paix et de vérité.

Dieu ayant premièrement découvert les blessures de cette âme pour lui faire découvrir ce qu’il y a en elle de mauvais, guérit ensuite le mal qu’Il avait fait connaître. Lorsqu’une âme est avancée, ordinairement Dieu lui cache ses défauts afin de lui faire perdre tout souvenir d’elle : puis, quand il Lui plaît, Il lui fait voir mille plaies qu’elle ignorait, mais Il ne les lui montre que pour les lui ôter car il serait insupportable à cette âme de voir en elle quelque chose qui déplût à son Dieu : elle s’en occuperait et se détournerait par là de son occupation unique. Il lui apprend aussi la véritable oraison de paix et de vérité, qui consiste à traiter avec Dieu d’une manière conforme à ce qu’Il est : Il est paix et vérité, et il faut traiter avec Lui en paix et en vérité par la cessation de tout opérer [propre], et en demeurant dans la vérité de notre néant. Ah ! que l’âme à qui cette prière est révélée est savante !

Ezéchiel

Chapitre II

V.3. Et il me disait : Fils de l’homme, je vous envoie aux enfants d’Israël.

[234] On peut voir ici l’ordre de la mission apostolique. Après que l’état de lumière est passé, que l’âme est morte et anéantie, Dieu la ressuscite, Son Esprit s’emparant d’elle, puis Dieu parle Son langage profond, qui n’est pas une parole distincte mais une parole secrète qui s’imprime et fait effet en l’âme, puis Il lui donne la mission afin d’aller aider aux âmes intérieures.

V.8. Mais vous, fils de l’homme, écoutez tout ce que Je vous dis. Ne soyez pas rebelle comme l’est ce peuple : ouvrez la bouche et mangez ce que Je vous donne.

Dieu invite cet homme apostolique, qu’Il destine à porter Ses volontés, à les écouter. L’âme a plus de besoin d’attention et de souplesse en cet état qu’en tout autre ; la parole de Dieu est fort délicate et subtile, elle est si secrète et cachée qu’elle se fait plus sentir qu’entendre : c’est une douce et profonde invitation.

Chapitre III

V.17. Fils de l’homme, Je vous ai donné pour sentinelle à la maison d’Israël, vous écouterez la parole de Ma bouche et vous leur annoncerez ce que vous aurez appris de Moi.

[245] Dieu donne à l’homme apostolique de veiller sur le troupeau qu’Il a choisi, qui n’est autre que les âmes intérieures : Il y veille sans y être et les personnes qui lui sont commises en sentent les effets, même de loin éprouvant une protection singulière. De plus Dieu lui demande d’écouter la parole de Sa bouche : la parole de la bouche de Dieu est le Verbe. Il ne lui dit pas simplement d’écouter Sa parole, ce qui se pourrait entendre de toutes Ses paroles écrites, mais de la parole sortie de Sa bouche. Cela veut dire que l’âme de cet état doit être si anéantie et si accoutumée aux opérations de Jésus-Christ qu’elle ne fasse que L’écouter et recevoir ce qu’Il lui enseigne. Tout ce qu’Il fait par elle dans les autres est d’annoncer cette parole comme elle est sortie, c’est-à-dire aussi pure qu’elle est en elle-même et sans rien mélanger des propres pensées et des propres raisonnements de la créature, ni sans rien en cacher ; c’est là annoncer la parole de la bouche de Dieu, c’est engendrer Jésus-Christ dans les âmes.

Chapitre XLVII

V.5. Puis Il me fit passer l’eau jusqu’aux reins. Enfin Il mesura un autre espace de mille coudées, et je trouvai que c’était alors comme un torrent que je ne pus passer parce que les eaux étaient tellement enflées et le torrent était si profond qu’on ne pouvait le passer.

[298] Le Prophète décrit ici trois états ou purgations à passer avant que d’entrer dans la perte totale et dans le torrent de l’abandon à l’aveugle que l’âme ne doit pas passer d’elle-même mais se laisser entraîner.

La première purgation est très légère, et c’est celle que l’on nomme communément vie purgative. C’est une purgation active et qui introduit l’âme dans la vie illuminative.

La seconde purgation est plus forte et plus pénible, quoiqu’encore supportable, et c’est celle qui purifie l’âme et qui tient un peu de l’actif et du passif : c’est la purification qui se fait pour passer de l’illuminative à la passive, communément appelée unitive. L’âme y est unie passagèrement, et même quelquefois d’une manière permanente, néanmoins dans les puissances seulement.

La troisième purgation est toute passive quant à l’action aperçue, quoique non dans le néant des opérations : elle est plus forte et plus terrible que les autres, elle passe les reins pour marquer que l’âme y éprouve d’étranges révoltes des passions et de la chair ; les peines de cette nature sont les épreuves de cet état avec toutes celles qui ont été décrites et qui n’empêchent pas que l’âme ne les ait éprouvées plus [299] superficiellement dans les autres purgations. Celle-ci est celle qui fait passer l’âme de l’état passif dans l’état de foi pure et nue.

La quatrième purgation que l’âme ne peut point passer, parce qu’elle est dans le néant absolu de toutes opérations quelles qu’elles soient, est le torrent : il ne faut point que l’âme le passe, mais qu’elle s’y laisse emporter car ce torrent est l’abandon qui doit entraîner avec une rapidité inconcevable sans que rien [n’]arrête. Cette purgation est le véritable purgatoire : toutes les autres purgations ne sont que des ombres en comparaison de celle qui fait passer l’âme de la foi nue à l’état divin. Cette purgation ou ce purgatoire est terriblement grand et long : les sept, dix, vingt années souvent ne le terminent pas : c’est selon la fidélité de l’âme et le dessein de Dieu, qui avance certaines âmes très promptement lorsqu’Il veut les faire servir aux autres. Ce qui fait que ce purgatoire est si long et ennuyeux, c’est l’infidélité de la créature qui ne veut point se laisser détruire. Si l’âme était fidèle et souple dans la main de Dieu, le feu du purgatoire serait plus ardent et il aurait en peu de temps consumé son sujet. Dans cette purgation, la mort, la perte, l’anéantissement y est enfermé : l’âme ne la passe pas puisqu’elle y meurt et y expire.

V.6. Puis Il me fit sortir en me menant au bord du torrent.

V.7. M’étant ainsi tourné, j’aperçus une très grande quantité d’arbres des deux côtés, sur le bord de ce torrent.

V.8. Et Il me dit : Ces eaux qui sortent vers l’Orient et qui descendent dans la plaine du désert, [300] entreront dans la mer et en sortiront, et les eaux seront rendues saines.

V.9. Et toute âme vivante vivra partout où viendra le torrent.

Il y a au bord du torrent quantité d’arbres bien enracinés et verts qui représentent les âmes qui tiennent fortement à elles-mêmes, à leurs pratiques de choix ; elles sont et paraissent vertes, elles ne sont point néanmoins chargées de fruit. Mais ces eaux qui sortent d’Orient désignent les âmes abandonnées qui sortent d’elles-mêmes et courent avec vitesse à leur fin ; elles sont comme des torrents impétueux par la force et la générosité de leur abandon : elles  descendent dans la plaine ou vallée de leur anéantissement, elles passent par le désert de la foi nue, du dépouillement total ; et, de ce désert, de cet anéantissement, elles entreront dans la mer immense de la Divinité où elles se perdent et s’abîment pour n’en ressortir jamais. […]

 



 

Daniel

 Chapitre II

 V.19. Le mystère fut découvert à Daniel dans une vision pendant la nuit ; et il bénit le Dieu du ciel…

[Tome XI, 301]. C’est dans la nuit et l’obscurité de la foi que les misères sont révélées [...] Dieu assiste admirablement Ses serviteurs dans le besoin.

V.27-28. Daniel répondit au Roi : Il y a un Dieu au ciel qui révèle les mystères…

[302] Remarquez la fidélité de Daniel à référer tout à Dieu, et à ne se rien attribuer. Il ne parle que de Dieu, et ne se nomme pas même comme interprète de Sa parole.

V.31. Cette statue grande et haute [...]

Cette statue est la figure de ces grands hommes dont les pensées sont les plus belles du monde  [...] leurs inclinations sont nobles et généreuses  [...][303] elles tiennent quelque chose du principe dont elles partent : mais leurs pieds, ou leurs démarches sont très faibles [...]

Chapitre III

V.24. Et ils marchaient au milieu de la flamme, louant Dieu et bénissant le Seigneur.

Les âmes véritablement intérieures se tiennent [309] toujours debout, parce que toutes calomnies ne servent qu’à fortifier leur union à Dieu : elles n’entrent point en plainte, justification, excuse [...] La fournaise [...] rompit les liens qui les empêchaient de courir plus fortement dans la voie, qui les tenaient resserrées et empêchaient leur entière liberté [...] C’est le secret de la purgation, qui fait que l’âme [...] ne laisse pas de marcher à toutes les volontés de Dieu. [...]


V.48. Et la flamme s’étant élancée au-dehors brûla tous les Chaldéens qui étaient auprès de la fournaise.

V.49. Or l’Ange du Seigneur était descendu vers Azarie et ses compagnons dans la fournaise, et écartant les flammes,

V.50. Il avait formé au milieu de la fournaise un vent frais et une douce rosée [...]  

[314] Cette flamme ne brûle point les âmes abandonnées à Dieu, au contraire, elle brûle ceux qui l’allument pour les perdre [...]  Lorsque tout l’extérieur paraît le plus embrasé, il se fait au-dedans un vent du Saint-Esprit, qui rafraîchit et empêche que ce feu, qui paraît devoir tout consumer, n’endommage l’âme et ne la touche même pas. O Dieu  [...] Vous ne manquez point de secourir, mais il est vrai que Vous ne le faites qu’à l’extrémité, lorsque tout secours paraît désespéré [...] Ils conservèrent et leur intégrité et leur abandon au milieu de tant de maux : le centre de leurs âmes fut toujours arrosé des eaux célestes et l’Esprit Saint ne cessa jamais de souffler dans leur fonds : ils ne perdirent point la grâce.

[315] V. 92 Nabucodonosor leur dit: J’en vois quatre néanmoins qui marchent sans être liés au milieu du feu, qui sont incorruptibles dans les flammes [...]  

 [...] Lorsque l’on souffre l’on est jamais seul ; Dieu y est nécessairement [...] ce feu [316] sert à les mettre en liberté, à rompre tout ce qui les tenait encore resserrés…

Chapitre IV

 V.8 Je vis un arbre grand et fort, dont la hauteur allait jusqu’au ciel, et qui paraissait s’étendre jusqu’aux extrémités de la terre.

C’est la véritable description de ces personnes puissantes et fortes en elles-mêmes. Elles sont élevées jusqu’au ciel par leurs lumières et par leurs [318] dignités, aussi bien que par la grandeur extraordinaire de leur vertus et de leurs révélations [...]  

V.11  [...] Abattez l’arbre…

[319]  [...] Dieu  [...] ôte à cette âme en même temps et ses lumières et ses pratiques  [...]  Il ternit peu à peu sa réputation  [...]  Il arrache ses fruits, mettant l’âme hors d’état de pouvoir pratiquer ses premières vertus [...]

V.12 Laissez néanmoins en terre le germe de ses racines…

[320] Quoique Dieu détruise et anéantisse de la sorte ces âmes superbes et propriétaires, Son dessein n’est pas de les perdre, mais de les sauver.  [...]

V.13 Qu’on lui ôte son cœur d’homme et qu’on lui donne un cœur de bête et que sept années passent sur lui.

[321] Ce qui paraît de plus terrible et de plus effrayant, c’est que ce cœur qui était autrefois si doux, si humain et si charitable, paraît devenir plus dur, plus insensible et même plus cruel que celui des bêtes [...] Ceux qui auront éprouvé un si étrange état, verront qu’il est décrit au naturel. Encore si cet état ne durait que quelques jours! Mais sept ans souvent ne le finissent pas, si ce n’est des personnes que Dieu avance pour les autres [...] ou [...] qui se laissent entre les mains de Dieu sans réserve[184]. [...]

V.23 Quant à ce qui a été commandé, qu’on réservât la tige de l’arbre avec ses racines, cela vous marque que Votre royaume vous demeurera après que vous aurez reconnu que toute puissance vient du ciel.

L’âme, après avoir souffert toutes ces épreuves et avoir connu par expérience son rien et le pouvoir divin, est rétablie avec surcroît dans ses premières faveurs : et il ne faut pas croire  [...] que l’état de perte dure toujours. Ceux en qui il dure toute la vie, doivent conclure qu’il faut bien qu’il y ait en eux de l’infidélité [...]  

V.31  ...Moi, Nabocodonosor, j’élevai les yeux au ciel; le sens et l’esprit me furent rendus : je bénis le Très-Haut...

[324][...] Chose admirable que cet homme [...] ne lève pas plutôt les yeux au ciel pour rendre à Dieu la justice qui lui est dûe, qu’il est restitué dans son premier état. Jusqu’à présent il avait toujours été courbé vers lui-même ; s’il souhaitait sa délivrance, il ne la souhaitait que par rapport à lui : on la demande, on la souhaite, mais on ne l’obtient pas ; l’âme n’a pas plutôt levé les yeux au ciel [...]  [pour] reconnaître  [...] l’impuissance où l’on est  [...] de rien faire par soi-même, on ne lui rend pas plutôt des actions de grâce de ce que l’on souffre, qu’on est rétabli dans son premier état avec avantage. Il faut remarquer que l’Ecriture ne dit point que Nabucodonosor pleura et gémit ; mais seulement qu’il leva les yeux au ciel pour reconnaître [326] la souveraineté de Dieu, que le sens lui fut rendu, c’est-à-dire le discernement, par lequel il connut que loin de s’affliger dans ces peines, il fallait en bénir et louer Dieu [...]

Chapitre VII

 V.3 Je vis quatre bêtes. La première était comme une lionne et elle avait des ailes d’aigle : [...] ses ailes lui furent arrachées [...] elle se tint sur ses pieds comme un homme, et il lui fut donné un cœur d’homme.

[332][...] L’état d’une âme toute divine : c’est une lionne, pour le courage et la force ; [...] elle ne songe qu’à voler de plus en plus en son Dieu, lorsque tout à coup ses ailes lui sont arrachées, parce qu’elles ne lui sont plus nécessaires : elle se trouve reposée pour toujours dans Celui où elle tendait avec tant de force. Alors il lui est donné d’être comme un homme, Dieu lui donnant un extérieur tout commun [...] parce qu’Il veut la mettre [...] dans l’état apostolique. Elle ne laisse pas de conserver le courage du lion [...] mais il lui est donné un cœur d’homme, parce qu’elle a besoin de s’humaniser avec les hommes, un cœur de charité pour supporter leurs faiblesses [...]

V.7 …je vis paraître une quatrième bête, qui était terrible, merveilleuse, et extraordinairement forte. Elle avait de grandes dents de fer, elle dévorait [...] fort différente des autres bêtes [...] elle avait dix cornes.

[337] Cette quatrième bête est l’Amour pur. [...] Merveilleux dans ses effets [338][...] broie, met en poudre, et engloutit dans son vaste sein ce qui reste de cette âme : l’extérieur, qu’il ne peut dévorer de la sorte, il le foule aux pieds, le réduisant dans la dernière humiliation. [...] Les dix cornes [...] sont les dix commandements de Dieu  [...] les trois vertus théologales et les sept dons du Saint-Esprit, qui sont tous enfermés dans le pur amour [...]

V.8 …je vis une petite corne qui sortait du milieu des autres. Trois de ses premières cornes furent arrachées de devant elle. Cette corne avait des yeux  [...] une bouche [...]  

 [...][339][Elle] est la volonté de Dieu suprême, unique et cachée [...] Elle est prise aussi pour la pure charité, qui en se levant absorbe et arrache les autres vertus théologales, qui se trouvent réunies en elle, parce que, lorsque l’âme est dans la consommation de l’état en Dieu, la foi et l’espérance disparaissent, et sont comme absorbées dans la seule charité. [...] Tout le chemin n’est que foi et espérance, mais foi nue et dépouillée, espérance qui n’est point soutenue. L’âme dans tout ce chemin ignore qu’elle ait la charité, tant elle est cachée. Avant cela, le passif, où elle était, ne lui paraissait qu’amour et charité, sans penser à la foi ni à l’espérance.  [...] Mais lorsque cette foi pure et l’espérance ont conduit l’âme en Dieu, elle est mise en charité [185]. [...][340] La foi s’est changée en connaissance : c’est ce qui fait que cette corne a des yeux ;  l’espérance est changée en fécondité : c’est pourquoi elle est devenue bouche. La charité en Dieu devient toute lumière et toute parole pour connaître et instruire les âmes.  [...]

V.9  [...] Son trône était des flammes ardentes, et les roues de ce trône un feu brûlant.

 [...] Ardeurs pleines de [341] repos : c’est un feu qui est dans sa sphère, qui rafraîchit et ne brûle pas. Par ces roues s’entendent les motions qu’Il donne à l’âme, par lesquelles Il la fait agir selon toutes Ses volontés, dont elle ne s’écarte jamais non plus que la roue de ce qui la fait tourner. Tout cela est feu, à cause de sa pureté, netteté et simplicité. Le feu a cette qualité, de monter toujours en haut et ne se courber jamais en bas. De même toutes les actions de cette âme retournent à Dieu avec une entière pureté, ne se courbant jamais vers la terre pour pouvoir faire quelque chose pour la créature [186]. [...]

V.10 Un fleuve de feu rapide sortait de sa face, un million le servaient  [...] les livres furent ouverts.

Un fleuve de feu sort de Dieu même, et se répand dans une infinité de cœurs. [...] Il ouvre les livres, manifestant les secrets des consciences sans que l’âme à qui [187] ils sont manifestés y fasse attention. On parle à une personne des états où elle doit entrer sans faire attention qu’on lui parle, et elle entre souvent dans ces états presque aussitôt qu’on lui a parlé [...]

V.13 Je regardais ces choses dans une vision de nuit ; et je vis comme le Fils de l’homme, qui venait avec les nuées du ciel, qui s’avança jusqu’à l’Ancien des jours. Ils Le présentèrent devant Lui.

[343] Lorsque l’âme purifiée, dans laquelle le pur amour règne, et en qui tout amour distinct est consommé par Dieu même, est réduite dans l’unité de Dieu seul, Jésus-Christ paraît et opère seul.  [...] C’est Lui qui est  [...] le seul priant : l’âme n’a plus d’offrandes et de sacrifices propres à faire  [...] elle est morte et anéantie à tout : cela se fait en elle sans elle. Ceci est très réel et véritable.

V.14 Et Il lui donna la puissance…

Alors Jésus-Christ homme-Dieu agit en souverain : Il a une puissance absolue, non seulement sur cette âme, mais encore sur toutes celles qui lui sont unies en charité [...][344] Si par exemple Il dit à une âme troublée; soyez en paix, cette paix est opérée en même temps que la parole est sortie.  [...]

V.8   [...] Sa grande corne se rompit et quatre cornes crûrent sous elle…

[349][...] La crainte, ou plutôt l’assurance de sa perte ; la défiance, le doute, et la frayeur mortelle ; ou, si vous voulez, la perte, la mort, le désespoir, et la nudité totale. L’âme ne voit plus que sa perte inévitable, et c’est ce qui cause les frayeurs de mort : elle se voit nue de tout bien, et c’est ce qui fait sa crainte : la défiance cause son désespoir, parce que la perte qu’elle a faite de cette douce confiance qui la fortifiait, lui ôte tout espoir de salut ; enfin le doute la jette dans la mort [...]  


V.9-10 De l’une de ces cornes,  il en sortit une petite  [...] Elle fut élevée  [...] jeta en bas les plus fortes et les étoiles…

 [...] Une autre petite corne qui est l’anéantissement [...][350] En même temps que cet anéantissement détruit tout, il est élevé jusqu’à la force du ciel, il est fort comme Dieu, et Dieu ne lui peut résister : il faut que Dieu vienne nécessairement Lui-même dans ce lieu que la divine Justice Lui a préparé par l’anéantissement [188] ; il faut que la force de Dieu vienne remplir cette âme destituée de toute force propre, et qu’elle y renverse, pour ainsi dire, ce qui reste encore de force propre  [...][Dieu] anéantit tout ce qui reste de lumière [...]

V.11  [...] Il lui ravit son sacrifice perpétuel, et Il renversa le lieu de sa sanctification.

 [...][351] A mesure que Dieu immole, détruit, égorge, renverse, frappe, brise et anéantit, l’âme a une pente au sacrifice  [...] la vue de ce sacrifice continuel lui est un grand soutien  [...] Tout cela lui est ôté : il ne lui reste plus d’idée de sacrifice, et le lieu de la sanctification est renversé et détruit.  Dieu  [...] veut rester seul [189].

Chapitre X

V.2-4  [...] je fus dans les pleurs [...] Je ne mangeais d’aucun pain [...]

Les sens sont affligés et tourmentés [354] jusqu’à ce qu’ils deviennent morts. [...] Deux sortes de personnes s’arrêtent et demeurent toute leur vie dans la mort des sens ; les uns par défaut, manquant de courage ; [...] les autres [...] se renfermant dans cette vie austère [...][355][...] y demeurent attachées. [...] Les austérités excessives font vivre l’orgueil et l’amour-propre. [...] Visiter les pauvres, les soigner, les panser, les servir de ses mains est fort utile, surtout aux personnes délicates, et Dieu y donne bénédiction : mais celles qui ont famille doivent éviter d’approcher des maladies où il y aurait du danger. [...][357] On ne trouve que trop de prétextes spécieux pour contenter la curiosité ; cependant je dis que qui ne mortifiera pas ces deux sens [la vue, l’ouïe] dans toute leur étendue, ne sera jamais un grand spirituel. [...] Son esprit sera toujours rempli [...] il n’arrivera jamais à la nudité et au vide qui est nécessaire pour recevoir purement les motions et les impressions divines. [...]

V.9 J’entendis la voix de Ses paroles  [...] j’étais prosterné le visage contre terre.

[359] Lorsque Dieu parle de cette sorte à l’âme, elle doit l’écouter [...] dans un entier anéantissement, le visage contre terre. Cela marque que tout raisonnement, toute pensée et explication, doivent être bannis [...]

V.19 Ne craignez point [...] la paix soit avec vous ; reprenez vigueur…

[364][...] Dieu ne veut point que l’on craigne ; et pour peu qu’Il paraisse, Il bannit d’abord toute crainte [...] C’est encore une des marques de la présence de Dieu après qu’Il a chassé la crainte, que de donner la paix à l’âme. Elle ne peut alors ignorer que son Dieu ne l’ait touchée [...]

 


Jonas

Chapitre II

V.1 Dieu fit en même temps qu’un grand poisson se trouva là, qui engloutit Jonas. Il demeura trois jours et trois nuits dans le ventre de ce poisson,

V.2 où, adressant sa prière à Dieu, il Lui dit…

[428] L’âme qui s’abandonne, jetée qu’elle est par l’abandon dans la mer, croit périr sans ressource. C’est ici la véritable figure de la perte totale et de la mort mystique consommée. L’âme qui est jetée de la sorte paraît pour un temps submergée à tout le monde, elle se croit perdue elle-même, tient que sa mort est certaine et sa perte inévitable. Lorsqu’elle s’abandonne entre les mains de Dieu, elle s’y abandonne pour périr si telle est Sa volonté, et il semble qu’elle périt : elle sent vraiment qu’elle enfonce dans les ondes, que les flots ne l’épargnent pas, enfin elle descend même dans la mer, les vagues passent par-dessus sa tête, la raison en est offusquée, elle ne voit partout que des images des morts ; il lui semble même que le péché, figuré par le poisson, l’engloutit. Mais, ô merveille de la bonté de Dieu sur une âme qui s’abandonne à Lui ! Elle trouve la vie dans le sein de la mort, sa grâce dans le corps du péché, son salut dans sa perte. Elle reste comme morte trois jours et trois nuits, c’est-à-dire plusieurs alternatives de lumières et de ténèbres : elle y reste même sans assurance de n’y mourir pas et sans espérance (429) d’en sortir jamais, parce que Dieu ne retire l’âme de cet état que lorsqu’elle consent d’y mourir et d’y périr. Ce n’est pas un consentement forcé ou à demi, mais libre, volontaire, véritable, sans que l’âme pense à autre chose qu’au moment de sa mort : elle est là comme les morts éternels jusqu’à ce que Dieu la meuve à Le prier de nouveau et à Lui redemander une vie qu’Il a dessein de lui donner [190].

 


Sophonie

Chapitre III

V.14 Fille de Sion, chantez des cantiques de louange, Israël, poussez des cris d’allégresse, fille de Jérusalem, soyez transportée de joie et tressaillez de tout votre cœur.

[489] Le Prophète veut, avec raison, que les âmes de cet état soient transportées de joie dans la connaissance du bien qu’elles possèdent : cela paraît contrarier le sentiment de quelques personnes spirituelles qui ne veulent pas que les âmes connaissent leur état. Il y a un temps où elles le connaissent trop et c’est dans le temps des lumières, des ardeurs et des ferveurs ; lorsqu’elles sont dans la lumière passive, elles se croient au comble de la perfection. Il y a un temps où elles l’ignorent, c’est dans le temps de la peine, de l’obscurité et de l’affaiblissement : elles croient cet état bien inférieur à l’autre et elles se trompent extrêmement. Il y a un temps où elles le connaissent ni trop ni trop peu : c’est lorsque l’âme est absorbée en Dieu et perdue entièrement, non passagèrement mais par état[191]. Alors elle est dans un si grand oubli d’elle-même qu’elle ne peut penser ni à ce qu’elle est ni à ce qu’elle n’est pas. Dieu lui en donne de temps en temps la connaissance, ou, plutôt, Il réveille ce souvenir que l’anéantissement tient comme mort, et ce réveil met les âmes dans des ravissements de joie en Dieu [...].


 

I Maccabées

Chapitre IV

V.59 Et Judas, avec ses frères et toute l’assemblée d’Israël, ordonna que dans la suite des temps on célébrerait ce jour-là la dédicace de l’autel […]

 [588][...] Lorsque Dieu veut quelque sacrifice nouveau ou un changement d’état de l’âme, Il la met dans une nouvelle disposition de sacrifice jusqu’à ce que tous les sacrifices soient réunis dans l’unité de Dieu seul. C’est l’état où était Jésus-Christ sur terre : état de sacrifice continuel, non actif mais passif, et lorsqu’il fut question de faire le dernier sacrifice, Il S’immola et Se sacrifia au jardin [192], non avec joie, mais avec douleur et c’est la différence qu’il y a de ce dernier sacrifice aux autres : que tous les autres sacrifices volontaires que l’âme fait d’elle se font avec joie et facilité, quoique, lorsque Dieu vient à prendre Lui-même le couteau pour faire le sacrifice auquel on s’est offert, alors l’âme en souffre une terrible peine.

Pour comprendre ceci, il faut savoir que l’âme ne se sacrifie jamais elle-même, elle se sacrifie bien pour être sacrifiée, mais c’est Dieu qui la sacrifie, de sorte que, lorsqu’elle fait son sacrifice d’immolation, elle le fait avec joie. Il n’en est pas de même lorsque Dieu fait son sacrifice d’exécution : elle le souffre avec peine et répugnance. L’âme oublie entièrement l’immolation qu’elle a faite pour ne se souvenir que de sa douleur. Mais dans le dernier sacrifice il en est tout autrement : l’âme ne s’immole point avec plaisir, au contraire, elle ne veut point [589] s’immoler, elle y sent des répugnances inconcevables, le sang lui glace dans les veines et la nature qui frémit de sa destruction, ne veut point consentir à sa perte totale. Jésus-Christ, lorsqu’Il fit Son immolation dernière au jardin des olives, souffrit un si rude combat de la nature humaine, qui ne peut supporter sa destruction et qui, étant en Jésus-Christ infiniment plus parfaite qu’en nul autre, avait aussi plus d’opposition que nul autre à se laisser détruire, qu’il fallait la force d’un Dieu pour porter un état si douloureux. L’état de Jésus-Christ au jardin des olives fut le plus douloureux de Sa passion, avec celui du moment de sa consommation. Jésus-Christ vit et comprit en un moment l’extrême douleur de tout Son sacrifice, Il porta la répugnance naturelle de tous Ses saints dans un si effroyable sacrifice, Il porta la douleur du peu d’âmes qui auraient le courage de s’immoler de la sorte.

L’âme souffre donc extrêmement dans cette immolation, et la plupart s’en défendent tout à fait et ne passent point outre. Mais, lorsque l’immolation est faite, l’exécution que Dieu en fait cause moins de peine, si ce n’est vers la fin, où l’âme se voyant sur le point d’expirer et tout abandonnée, elle souffre un tourment inconcevable où elle fait un nouveau et dernier sacrifice sans peine qui consomme tous les autres. C’est une remise totale de son être et de son esprit entre les bras de Dieu : elle expire par la main de l’Amour, entre les bras de l’Amour même dans une mort d’autant plus délicieuse que la souffrance a été plus grande dans l’immolation, mort tout autre que la première mort : celle-ci est la mort à tout sacrifice et à tout être, non seulement à tout l’être corrompu d’Adam, [590] (qui a été évacué dans la première mort), mais à tout l’être spirituel subsistant, à toute fonction d’homme.

L’âme est alors séparée d’une autre manière de tout ce qui est créé, et elle n’a plus qu’une seule motion qui la meut tout naturellement pour les moindres choses. C’est un état dont il ne se peut rien dire, état de Jésus-Christ ressuscité, qui ne fait plus tant d’opérations par sa parole comme par les impressions du dedans. Cette âme a une communication de grâce tout intérieure pour les personnes qui en sont capables, et sans leur parler elle leur imprime dans le fond une grâce selon leur besoin et leur degré qu’elles ne peuvent comprendre.

Cet état est celui de Jésus-Christ depuis Sa mort, qui Se communique dans les âmes dans le fond d’une manière ineffable et tout incompréhensible. Il est d’une pureté inexplicable, et il faut en avoir l’expérience pour le comprendre. On y instruit les âmes d’une manière ineffable sans leur parler, et celles qui sont en pareil degré, quoiqu’éloignées ont une communication admirable ensemble, les âmes même inférieures avec celles qui leur sont supérieures ; mais ces communications des supérieures aux inférieures sont plus sensibles, plus palpables et moins spirituelles, moins pures et moins parfaites. Mais en celles que Dieu unit en pareil degré, c’est un mélange comme de deux eaux mêlées l’une dans l’autre et versées dans la mer, qui ne trouvent plus de distinction d’elles et de la même mer. O état ineffable, plus de l’éternité que du temps, qui vous comprendra que celui qui vous éprouve ? […]


Annexes

 L’Ancien Testament et le Nouveau Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure.

[L’ensemble regroupant les explications relatives aux deux Testaments comporte un total de  7713 pages, dont de nombreuses tables, errata, additions [...]  Chaque page comporte 36 lignes ou environ 270 mots environ, soit un total général proche de deux millions de mots.]

Ancien Testament ou Écriture :

Frontispice gravé

Les livres de l’Ancien Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, divisés en douze tomes comme il se voit à la fin de la Préface. Vincenti. A Cologne chez Jean de la Pierre, 1715[193] :

Avertissement p. 5, Préface générale p. 32, Division de l’ouvrage sur le vieux testament en douze tomes et le contenu de chacun d’entre eux p. 53, Indice des passages du V. et du N. Testament qui se trouvent expliqués hors de leurs propres lieux ou cités avec quelques remarques considérables pp. 55 à 63.

La Genèse et l’Exode avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, Tome I du Vieux Test. Vincenti. A Cologne chez Jean de la Pierre, 1714 : La Genèse pp. 1-225, L’Exode 226-356.

Le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome avec [...]  Tome II [...]  1714 : Levitique pp. 369-416, Nombres 417-498, Deutéronome 499-589, Table des matières principales du I et II Tome ou du Pentateuque 590-623, Errata 624.

Les livres de Josué, des Juges et de Ruth avec [...]  Tome III [...]  1714 : Josué pp.3-48, Juges 49-201, Ruth 202-248, Table des matières principales sur ce IIIe Tome 249-264, Errata 264.

Le premier livre des Rois avec [...]  Tome IV [...]  1714 : Premier livre des Rois pp. 3-306, Table [...]  307-326, Errata 327.

Les II. III. & IVme livres des Rois avec [...]  Tome V [...]  1714 : Second livre pp. 323-527, troisième livre 528-633, quatrième livre 634-745, Table [...]  746-769, Errata 770.

Les Paralipomènes, Esdras, Néhémie, Tobie, Judith & Esther avec [...]  Tome VI [...]  1714 : Premier livre des Paralipomènes pp.3-21, Esdras livre premier 22-37, Nehemie [le second livre d’Esdras] 38-68, Tobie 69-125, Judith 126-173, Esther 174-219, Table [...] 220-235, Errata 236.

Le livre de Job avec [...]  Tome VII [...]  1714 : Préface sur Job pp. 3-7, Job 8-288, Table [...]  289-307, Errata 308.

Première partie des Psaumes de David depuis le I jusqu’au LXXV avec [...]  Tome VIII [...]  1714 : Première partie des Psaumes [...]  pp. 3-384.

Seconde partie des Psaumes de David depuis le LXXVI jusqu’à la fin avec [...]  Tome IX [...]  1714 : Seconde partie des Psaumes [...]  pp. 387-678, Table [...]  679-705, Fautes à corriger au Tome VIII [...]  au Tome IX, 706.

Les proverbes, L’ecclésiaste, Le Cantique des cantiques, la Sagesse & l’ecclésiastique avec [...]  Tome X [...]  1714 : Les proverbes pp.3-87, L’ecclesiaste 88-113, Le Cantique des cantiques, Préface 114-126, Dédicace de l’Auteur [poème] 127-128, Extrait du Privilège du roi et approbations 127-128 [sic], Le Cantique 129-247, La Sagesse 248-296, L’ecclésiastique 297-344, Table [...] 345-359, Fautes [...] 360.

Les Prophètes Isaie, Jérémie & Baruc, Ezéchiel, & Daniel avec [...]  Tome XI [...]  1714 : Isaïe pp. 3-155, Jérémie 156-189, Lamentations de Jérémie 189-214, Baruc 215-221, Ezéchiel 222-300, Daniel 301-375, Errata 376.

Les petits prophètes Osée, Joel, Amos, Jonas, Michée, Nahum, Habacuc, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie, Le I. et II. Livres des Macchabées avec [...]  Tome XII [...]  1714 : Osée pp. 387-412, Joel 413-416, Amos 417-421, Jonas 422-440, Michée 441-459, Nahum 460-461, Habacuc 462-480, Sophonie 481-492, Aggée 493-496, Zacharie 497-547, Malachie 548-563, Macchabées I 564-608, Macchabées II 609-629, Table [...] 630-655, Errata 656.

Nouveau Testament :

Frontispice gravé ‘Je mettrai ma loi dans leur intérieur et l’écrirai sur leur cœur’.

Le Nouveau Testament de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure. Divisé en Huit Tomes. On expose dans la préface les conjectures que l’on a touchant l’auteur de cet ouvrage. Vincenti. A Cologne, chez Jean de la Pierre, 1713.

Préface générale pp. i-xxx, Courte préface de l’auteur pp. 1-10, Division de l’ouvrage en huit tomes 11-12.

Le Saint Evangile de Jésus-Christ selon Saint Matthieu avec [...]  Tome I du NouV. Testament [...]  1713 : Saint Matthieu Ch. 1 à 17 pp. 1-371.

Suite du saint Evangile de Jesus-Christ selon saint Matthieu avec [...]  Tome II du NouV. Testament [...]  1713 : Ch. 18 à 28 pp. 375-708, Table [...] 709-726, Errata 727.

Les ss. Evangiles de Jésus Christ selon S.Marc et S.Luc avec [...]  Tome III [...]  1713 : S. Marc pp. 3-124, S. Luc 125-456, Table [...] 457-478, Errata 479.

Le saint Evangile de Jésus Christ selon saint Jean avec [...]  Tome IV [...]  1713 : S. Jean pp. 3-539, Table 540-562, Errata 563.

Les Actes des Apôtres et les Epitres de saint Paul aux Romains aux Corinthiens & aux Galates avec [...]  Tome V [...]  1713 : Actes pp. 3-71, Romains 72-232, Corinthiens I 233-325, Corinthiens II 326-436, Galates 437-488.

Les Epitres de saint Paul aux Ephésiens, Philippiens, Colossiens, Thessaloniciens, à Timothée, à Tite, et aux Hébreux avec [...]  Tome VI [...]  1713 : Ephésiens pp. 489-580, Philippiens 581-631, Colossiens 632-662, Thessaloniciens I 663-675 T. II 675-676, à Timothée I 677-695 T. II 696-701, à Tite 702, et aux Hébreux 703-918, Table [...] 919-955, Fautes [...] 956.

Les Epitres canoniques de S. Jaques, S. Pierre, S. Jean et de S. Jude avec [...]  Tome VII [...]  1713 : Jaques [Jacques] pp. 3-91, Pierre I 92-179 II 179-228, Jean I 228-332 II 333-338 III 339-345, Jude 345-376, Table [...] 377-398, Errata 399 Avertissement [sur une faute] 400.

L’Apocalypse de S. Jean Apôtre avec [...]  Tome VIII [...]  1713 : Apocalypse pp. 3-409, Conclusion [générale] 409-412 ‘achevé le 23 de Septembre 1683’ [1682 corrigé à la main], Table [...] 413-442, Errata 443, Additions et redressemen[t]s  [...] 659-664.


 


 

Le lecteur désireux d’approfondir se reportera à

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La page « Lire Madame GUYON ! » du menu d’accueil livre un choix de ses textes et renvoie à la page « Téléchargements » (cette dernière est aussi accessible directement du menu d’accueil).

On y chargera les sources des Explications (Ancien & Nouveau Testaments), soit les 12 & 8 livres édités au début du XVIIIe siècle par Pierre Poiret rassemblés sous deux fichiers zip : « Le Nouveau Testament avec des explications… » & « L’Ancien Testament avec des explications… »

Nous avons distribué leurs contenus (photos double pages.jpeg) par titres de textes sacrés ce qui facilite beaucoup l’exploration thématique.

On trouvera sous Google books certains de ces volumes sous fichiers livre.pdf  (parfois en première édition Poiret mais souvent en seconde édition Dutoit).


Explications deMadame Guyon, bibliographie (2000-) :

[2000] Madame Guyon, De la Vie intérieure, Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, présentés et annotés par  Dominique Tronc, Paris, Phénix Éditions - La Procure Librairie, Collection « La Procure », 2000, réédition 2004, 482 pages [Tirages limités épuisés ; sur ce choix de 80 Discours (156 pièces furent éditées au XVIIIe siècle) 15 ont été repris en 2005 : Madame Guyon, Écrits sur la vie intérieure, pp. 23-193 ;  puis 50 en 2008 : Madame Guyon, Oeuvres mystiques, « Discours spirituels », pp. 531-762.]

[2001] Madame Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Édition critique avec introduction et notes par Dominique Tronc, Étude littéraire par Andrée Villard, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2001, 1163 pages. [Les 3 volumes de la Vie connus depuis leur publication au XVIIIe siècle et repris sous les titres « 1. Jeunesse, 2. Voyages, 3. Paris », sont suivis de : « 4. Prisons, 5. Compléments biographiques » ; l’édition rétablit l’ordre du ms. d’Oxford et inclut des additions provenant du ms. ‘de jeunesse’ de St-Brieuc.]

[2003] Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions spirituelles, Édition critique établie par  Dominique Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2003, 928 p. [Directions reçues de Maur de l’Enfant-Jésus et de monsieur Bertot, 1671-1681 ; lettres et témoignages, 1681-1688 ; direction de Fénelon, 1688-1689, complément édité pour la première fois de l’année 1690 ; directions du marquis de Fénelon et de disciples étrangers, après 1710]

[2004] Madame Guyon, Correspondance, Tome II Combats, Édition critique établie par Dominique Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2004, 952 p. [Les lettres de l’animatrice du cercle quiétiste couvrent surtout les années 1693-1698 ; elles sont augmentées de Témoignages ; l’ensemble constitue le « dossier »  utile pour étudier les aspects de la « querelle » relatifs au vécu intérieur].

[2005] Jeanne-Marie Guyon, Explications de la Bible, L’Ancien Testament et le Nouveau Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, introduites et annotées par Dominique Tronc, Paris, Phénix Éditions & hors commerce 2005, 441 p.  [tirages limités épuisés ; aperçu in Madame Guyon, Oeuvres mystiques, 355-382]

[2005] Madame Guyon, Correspondance, Tome III Chemins mystiques, Édition critique établie par Dominique Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2005, 934 p. [Ce volume qui achève l’édition de la Correspondance reprend l’ensemble de lettres de direction publié en 5 volumes au XVIIIe siècle].

[2005] Madame Guyon, Écrits sur la vie intérieure, présentation par Dominique et Murielle Tronc, Paris, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2005, 195 p. [15 Discours]

[2008] Madame Guyon, Oeuvres mystiques, éd. critique avec introductions par Dominique Tronc, Étude par le P. Max Huot de Longchamp, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2008, 796 p. [Un « compagnon » sous forme d’un volume maniable. Il reprend des œuvres brèves connues – Moyen Court, Torrents, Petit Abrégé, une partie du Cantique... Sa seconde moitié ouvre à la partie encore méconnue datant de la pleine maturité mystique : notes apportées aux Justifications, choix de Lettres et de Discours…]

 [2009] Les années d’épreuve de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Documents biographiques rassemblés et présentés chronologiquement par Dominique Tronc. Étude par Arlette Lebigre. Paris, Honoré Champion, coll. « Pièces d’Archives », 2009, 488 p. [mise en ordre chronologique de pièces de procès incluant les interrogatoires et des témoignages issus de la Vie et de la Correspondance ; ce dossier est précédé d’une synthèse et s’achève sur des témoignages concernant la ‘décennie silencieuse’ vécue à Blois après les prisons.]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

Collection « Chemins mystiques »

 

 

Séries d’auteurs

 

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Série « Constantin de Barbanson » :

Constantin de Barbanson, I, Les Secrets sentiers de l’Esprit divin, manuscrit précédant les Secrets sentier de l’Amour divin, Introduction et annotations par Dominique Tronc, 2014, 364 pages.

Constantin de Barbanson, II, Les Secrets sentiers de l’Amour divin, Ouvrage publié à Douai en 1629, Œuvres mystique annotée par Dominique Tronc, 2015, 350 pages.

Constantin de Barbanson, [III & IV] Anatomie de l’âme, Première partie comportant vingt-deux chapitres, Depuis le commencement de la vie spirituelle, jusqu'à l'état expérimental de la grâce supernaturelle. Deuxième partie, Il y a encore une seconde Anatomie à passer selon l'être de la déiformité, après la mort de la propriété. Oeuvres mystique annotée par Dominique Tronc, 2015, 407 pages.

Constantin de Barbanson, V, Anatomie de l’âme, Troisième partie comportant quatre Traités, Comment l’âme qui est parvenue à l’état de la perfection se doit comporter pour faire progrès, Présentation et notes par Dominique Tronc, 2014, 346 pages.

 

Série « Madame Guyon » :

Madame Guyon, Explications de l’Écriture sainte, un choix présenté et annoté par Dominique Tronc, 2014, 300 pages.

La Direction de Fénelon par Madame Guyon, Correspondance présentée et éditée par Murielle et Dominique Tronc, 2015, 504 pages.

Madame Guyon, De la vie intérieure, Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, présentés par Dominique et Murielle Tronc, 2014, 642 pages.

Madame Guyon, Explications du Nouveau Testament, choix présenté par Dominique Tronc, 2014, 392 pages.

Madame Guyon, [95] Lettres de direction publiées au Siècle des Lumières, un choix présenté et annoté par Dominique Tronc, 2015, 266 pages.

 

 

 

 

 

Série « Madame de Chantal » :

Jeanne de Chantal, Écrits mystiques relevés dans l’édition de 1875 par Dominique Tronc, 2015, 694 pages.

Jeanne de Chantal, Recueil des bonnes choses & Lettres, Les Entretiens du manuscrit de Turin-Verceil suivis d’extraits de correspondances, Recueil transcrit par Béatrice Bernard et extraits de la Correspondance choisis par Dominique Tronc, 2015, 236 pages.

 

 

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présente cette collection ainsi que des ouvrages publiés chez Honoré Champion, au Centre Jean-de-la-Croix, chez  Arfuyen, chez Parole et Silence.

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Imprimé en mars 2014 sous www.lulu.com



[1] Les rééditions que nous avons assurées sont explicitées en fin du présent volume, voir : « Madame Guyon, Bibliographie 2000-2009 ». Elles ont été précédées par certaines rééditions accompagnées d’études, œuvres  de Jean Bruno, Jean Orcibal, Marie-Louise Gondal, Claude Morali.

[2] « …Notre-Seigneur me fit expliquer toute la Sainte Ecriture. » (Vie par elle-même, Seconde partie, chapitre 21, paragraphe 2 = Vie 2.21.2).

[3] « …je n’avais pas le temps de manger, à cause de la grande quantité de monde qui venait… » (Vie, 2.20.8). 

[4] Vie, 2.20.8 - Ces visiteurs religieux provoquèrent en retour des visites, dont elle se défend, face à dom Le Masson, Général des chartreux. Ce dernier se sentit obligé de porter le contre-feu chez les chartreuses qu’elle attirait trop à son goût (premier autodafé d’exemplaires du Moyen court, le second aura lieu à Saint-Cyr). Madame Guyon précise : «…je n’allais point aux monastères que l’on ne m’envoyât quérir. » (Vie, 2.20.10).

[5] Vie, 2.21.1.

[6] Publié dès 1683.

[7] L’Apocalypse de S. Jean Apôtre... Tome VIII... 1713 : La Conclusion [générale] pp. 409-412  contient : « achevé le 23 de Septembre 1683” [1682 corrigé à la main sur l’exemplaire imprimé des A.S.S.].

[8] Vie 2.21.1.

[9] Vie 2.21.2.

[10] Vie 2.21.3.

[11] Vie 2.21.8

[12] Par ordre du P. Lacombe, son confesseur.

[13] Vie 2.21.3. -  On remarque que les commentaires bibliques qui constituent ou sont inclus dans certains des Discours chrétiens et spirituels ne font pas double emploi. En effet ces derniers commentaires ne sont pas repris des Explications, mais furent élaborés à un âge avancé où l’on devine une maturité achevée (madame Guyon vécut encore trente-trois années après l’achèvement des Explications).

[14] Tractatus theologico-politicus (1670).

[15] Avertissement en tête de l’Ancien Testament, p.49.

[16] Ce qui renvoie à de nombreux passages dont la TOB donne les traductions suivantes : « …le règne de Dieu s’est approché. » (TOB, Matthieu, 10, 7) ; « …le règne de Dieu est arrivé jusqu’à vous » (TOB, Luc 10, 9, accompagné toutefois de la note : « Litt. s’est approché jusqu’à vous. ») ; « …le Règne de Dieu est arrivé. » (TOB, Luc 17, 11) ; enfin Luc 17, 21, « …Le Règne de Dieu est parmi vous ».

[17] TOB, p. 2508, note j).

[18] Explication à la Genèse, ch. XXVI, v. 13, [Tome I, p. 162].

[19] M. Chevallier, Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium, vol. V, 1985 ; éditée par André Séguenny, Baden-Baden, Koerner [bibliographie commentée des nombreuses œuvres éditées par Pierre Poiret, dont celles de Madame Guyon, relevé des ouvrages présents dans diverses bibliothèques européennes].

[20] Des adaptations très partielles existent en anglo-américain, v. « Madame Guyon in America : an annotated bibliography” by P. A. Ward in Bull. of Bibliography, vol. 52, No. 2, June 1995, 107-111.

[21] Nous omettons les paginations quand il s’agit de versets qui peuvent précéder assez largement la partie reproduite de son commentaire. - Nous avons omis certaines précisions entre parenthèses jugées inutiles et très probablement ajoutées par Poiret.

[22] Exceptionnellement apparaissent en italique dans le commentaire des mots ou expressions absents des versets : il s’agit alors de mots soulignés en petites capitales par Poiret, propres au commentaire : « amour », « volonté », etc. (rappels en notes).

[23] Commentaire au Cantique, texte établi par C. Morali, Grenoble, Jérôme Millon, Coll. « Atopia », 1992, p. 191 sv.

[24] Nous omettons les paginations quand il s’agit des seuls versets, qui peuvent précéder assez largement la partie reproduite de son commentaire. - Nous avons omis certaines précisions entre parenthèses que nous avons jugées inutiles car très probablement ajoutées par Poiret.

[25] Exceptionnellement apparaissent en italique dans le commentaire des mots ou expressions absents des versets : il s’agit alors de mots soulignés en petites capitales par Poiret, propres au commentaire : « amour », « volonté », etc. (rappels en notes).

[26] Omission : […], suivie de la pagination de l’extrait relative au premier tome : [Tome I, 10].

[27] Ephésiens, 3, 20.

[28] Jean, 3,2, etc.

[29] Jean, 4.

[30] « Les degrés intérieurs représentés par les jours de la création », titre secondaire, est nôtre, comme les suivants qui ponctuent la Genèse dont nous donnons de larges extraits - dont le commentaire intégral de la plus grande partie du premier chapitre.

[31] Ou réforme ( ?) au sens beaucoup moins fort. L’idée de re-création est souvent reprise par Madame Guyon,  suivant le schéma d’une destruction préalable nécessaire qui touche non seulement aux imperfections ou péchés (par les purifications), mais à l’être naturel lui-même (accompagnée de tempêtes intérieures voire de nuit mystique).

[32] La conversion est la cause qui entraînera un changement de vie. Madame Guyon insiste - comme tous les mystiques - sur un ordre donnant primauté à la grâce divine. Il est contraire à celui accepté par une sagesse habituelle selon laquelle il faudrait d’abord mériter par l’ascèse pour être ensuite « reconnu » par cette grâce.

[33] Néant : en tant que nom a le sens figuré moral de « vanité, illusion », désigne tout ce qui n’est pas Dieu, en particulier l’homme dans son infime petitesse (1608, saint François de Sales). (Rey).

[34] Esprit et cœur ne sont pas dissociés en général chez Madame Guyon, ce qui peut justifier le singulier qui suit. Nous corrigerons par la suite les désaccords grammaticaux lorsque le sens profond n’en est pas affecté.

[35] Description qui paraît excessive si elle n’est pas perçue comme le témoignage d’un état vécu de purification mystique.

[36] Annotation entre crochets, très probablement de l’éditeur Poiret. Elle paraît être une précaution prise par l’éditeur Poiret. Nous omettrons le plus souvent de tels ajouts entre crochets (ou même entre des parenthèses, sachant que ces dernières se présentent très rarement dans les autographes guyonniens).

[37] « Une personne entre dans un lieu fort obscur avec un flambeau : ce flambeau a sa capacité d’éclairer et n’éclaire que ce qu’il peut. Si l’on ajoute encore un autre flambeau l’on découvre encore davantage; et ainsi de plus en plus en multipliant les flambeaux [...] Il en est de même de notre âme. Toutes les lumières quelque belles et grandes qu’elles soient, n’étant pas le Soleil éternel, ne peuvent éclairer toute l’âme : elle demeure obscure en un million de coins et recoins [...] Mais comme en cette vie ce Soleil éternel se lève peu à peu, aussi ne tire-t-Il pas [268] l’âme tout d’un coup de ses ténèbres ; de même plus Il s’avance et plus Il l’éclaire, plus elle découvre ce qu’elle est, savoir toute misère, impureté et défaut. » Le directeur Mistique ou les Œuvres spirituelles de M. Bertot…, 1726, vol. 4, opuscule 10 : Sur l’état du Centre.

[38] Mot en italique dans l’édition Poiret. Nous allégeons la lecture en supprimant souvent (mais pas toujours, tel pour mer qui suit) les italiques lorsqu’elles portent sur l’origine biblique d’un seul mot ou d’un très court segment.

[39] Ps. 32, 9 : « parce qu’Il a parlé, et toutes choses ont été faites ». (Sacy.)

[40] Nb 20, 8 : … parlez à la pierre devant eux [le peuple], et elle vous donnera des eaux … 11 : Moïse leva ensuite la main, et ayant frappé deux fois la pierre avec sa verge, il en sortit une grande abondance d’eau … 12 : … le Seigneur dit à Moïse et à Aaron : Parce que vous ne m’avez pas cru et que vous ne m’avez pas sanctifié devant les enfants d’Israël (Moïse frappant la pierre de sa verge comme lors de la première fois - voir Ex 17, 6 - au lieu de parler), vous ne ferez point entrer ces peuples dans la terre que je leur donnerai. 13 : C’est là l’eau de contradiction, où les enfants d’Israël murmurèrent contre le Seigneur, et où Il fit paraître Sa puissance et Sa sainteté au milieu d’eux. » (Sacy).

[41] « Qui transporte d’admiration… » (1627), précédant l’emploi moderne affaibli de « charmant, joli. » Madame Guyon reprend souvent des sens déjà caducs pour son époque.

[42] La verge de Moïse.

[43] Les comparaisons astronomiques sont recherchées après l’apparition de l’héliocentrisme qui eut lieu moins d’un siècle auparavant - au risque d’erreur, comme ici, puisque la faible variation de la distance à l’astre central joue peu sur le climat (les saisons sont liées à l’inclinaison de l’axe de rotation du globe terrestre par rapport au plan contenant la trajectoire quasi-circulaire autour du soleil). On a déjà rencontré une comparaison (elle, exacte) à la conjonction lune-soleil, au commentaire des v. 6-7, page référencée [6]. Madame Guyon fut initiée au cartésianisme dans sa jeunesse.

[44] Affirmation rare à l’époque. Le péché est le chaos dont il a été parlé auparavant.

[45] Allusion au mystère posé par la re-création nécessaire et accomplie dans la vie mystique, prenant le relais de la première création naturelle dont la Genèse présente le mythe.

[46] L’image du miroir introduit une similitude et un lien entre deux termes, dans un christianisme dont la mystique favorise souvent une représentation dualisante, malgré la médiation par Jésus Christ.  Le thème de l’image de Dieu dans le miroir de l’homme est un pont possible vers une identité vécue par le mystique (voir par ex. B.J. Duque, Teresa de Jesus y el siglo XVI, Catedral de Avila, 1995, art. Mistica). Toute image est limitée, trompeuse, sujette à caution, d’où le thème déjà rencontré de la lumière où elle se fond par incapacité de l’œil ébloui (commentaire du v. 23).

[47] Mathieu 28, 18.

[48] Jésus-Christ désigne tantôt sa face humaine, tantôt son caractère divin : « l’homme parfait », le Prototype.

[49] Rupture de sens qui nous fait omettre « mais ». Changement brusque de construction (anacoluthe).

[50] Fusion des deux volontés qui n’en faisant plus qu’une seule est vécue comme  liberté totale ; la volonté est le thème principal de la Règle de Perfection de Benoît de Canfield, co-réformateur de l’abbaye de Montmartre et influant sur Bertot qui en sera confesseur et sur Madame Guyon, laquelle se réfère souvent à Canfield (vingt-quatre fois dans ses Justifications).

[51] Jean 17, 22.

[52] Description d’un état expérimenté par Madame Guyon, bien au-delà d’une affirmation théorique ou d’une conclusion apportée après quelque sévère méditation sur notre nature : il s’agit de la joie à n’être rien, de la légèreté d’une danse, liberté à  rapprocher du trésor évangélique qui ne peut plus être dérobé. 

[53] Thème récurrent : « Le simple a une intention toujours pure et droite, il n’envisage que son divin Objet, sans se recourber sur soi-même », Discours 1.41. - « Je t’avais donné une âme capable de ne regarder que Moi, sans te distraire et recourber sur toi-même », Discours 1.46 ; etc.

[54] Psaume 8, 5.

[55] Colossiens 3, 3.

[56] I Corinthiens 12, 3.

[57] Nous mettons de fréquentes majuscules lorsque « Il », « Lui », des possessifs, etc., se réfèrent à Dieu ou à Jésus-Christ : cela facilite la lecture en levant toute ambiguité, lors des très nombreux dialogues entre la créature et son Dieu. Puis, pour respecter une cohérence d’ensemble, il a paru difficile de ne pas les étendre aux versets cités en italiques. Cependant nous devons rappeler que ces majuscules sont le plus souvent absentes dans l’édition Poiret, comme très probablement dans les manuscrits originaux disparus : madame Guyon n’en utilisait que très rarement, écrivant par ex. dans sa correspondance, « ns » pour Notre-Seigneur.

[58] I Pierre, 5, 6-7.

[59] Interprétation à rapprocher des images du gouvernail laissé au divin, passiveté qui n’interdit pas l’exercice des facultés ; l’appropriation par la volonté propre, condamnée à mourir, est le thème principal chez madame Guyon.

[60] Cf. Discours 2.19 : « …pur Amour qui veut des victimes éternelles … Ceci est le caractère divin et ineffable de l’Agneau occis, pur et sans mélange, où il n’y a plus de pleurs, de douleurs et de gémissements ». - Le « pauvre villageois » Jean Aumont dirigea « le bon franciscain » Enguerrand qui révéla l’intériorité à la jeune Madame Guyon, ce qu’elle décrit dans sa Vie. Aumont écrivit L’ouverture intérieure du royaume de l’Agneau occis dans nos cœurs, Paris, 1660, dont nous tirons : « l’âme …s’est perdue à elle-même …a quitté et dépouillé toute attache, tant d’elle-même que hors d’elle-même et jusqu’à la participation finie des dons de Dieu dans elle pour n’avoir plus en tout et partout que Dieu. » (p. 128).

[61] V.1 à 3 ignorés dans l’Explication.

[62] Versets 12 à 16 ignorés ; nous omettons les v. 17 à 19 ; v. 20 et 21 ignorés.

[63] Chapitre IV, v.13 et 14 très brièvement commentés, ici omis ; chap. V en entier, ainsi que  le premier verset du chap. VI, ignorés ; commentaire des versets 2 et 3 omis.

[64] Correction possible : « …qu’elles ont d’elles-mêmes. »

[65] Chap. VI, v. 5 à 9, 13, 22 commentés, ici omis.

[66] La re-création nécessaire est accomplie dans la vie mystique.

[67] Psaume 103, 30.

[68] Vie d’apostolat, celle des Apôtres envoyés par Jésus-Christ pour prêcher. Cet apostolat est pour madame Guyon tout intérieur et inclut la transmission de la grâce.

[69] Chap. VIII, v. 15 et 16, 20 et 21 commentés.

[70] V. 2 à 4, 9, 12 à 14, 20 commentés.

[71] Chap. IX, v.22 et 23 commentés. Chap. X omis. Chap. XI, v.1 commenté, v. 2 et 3 omis.

[72] Chap. XI,  v.5, 7 à 9, 29 et 30 commentés; choix de versets des chap. XII à XVI commentés. A partir du présent chap. XVII, nous n’indiquons plus la présence (ni la séquence) des versets commentés par Madame Guyon et situés entre ceux qui figurent dans cette anthologie.

[73] Tous ces passages font correspondre les événements rapportés par la Bible au vécu mystique. Le texte sacré devient ainsi une source d’inspiration pour les « chrétiens intérieurs » qui le réalisent.

[74] II Corinthiens, 4, 7.

[75] Le Seigneur et les deux anges qui iront à Sodome.

[76] V. 8 non commenté.

[77] Nous corrigerons désormais sans le signaler ces singuliers en désaccord grammatical, forme assez courante à l’époque.

[78] V. 14 à 22 absents.

[79] Jean, 1, 42.

[80] Exode, 14, 14.

[81] I Rois, 17, 45.

[82] Nou omettons la fin du commentaire de la Genèse (pages 185 à 225). De même nous omettons tout le reste du Pentateuque couvrant les tomes II et III des Explications de l’Ancien Testament.

[83] Elqana, un Ephraïmite. - Le premier livre des Rois, aujourd’hui premier livre de Samuel, commence par raconter la naissance et l’enfance de Samuel.

[84] Colossiens, 1, 14.

[85] Il s’agit d’une « Autre Paraphrase ou Explication du même Cantique d’Anne, mère de Samuel », qui commence p. [22] – le v.8 a été commenté une première fois p. [19].

[86] Genèse, 3, 19.

[87] Jean, 21, 15.

[88] Sur ce thème de la communication de la grâce, nombreux textes parallèles : Vie 2.11, 2.13, 2.17-20, 2.22, 3.8, 3.10. Lettre à Fénelon écrite entre le 1 et le 11 avril 1690, etc.

[89] I Jean, 2, 12-14.

[90] II Cor., 10, 10.

[91] Passionner : donner un caractère animé : « La voix de Mentor … passionnait jusqu’aux moindres choses », (Fénelon, Télémaque). (4° sens selon Littré).

[92] Le roi des Amalécites exterminés par Saül.

[93] Ville brûlée par les Amalécites.

[94] I Thessaloniciens, 5, 19.

[95] En son Traité du Purgatoire [édité par P. Debongnie, La grande dame du Pur Amour…, p. 201 sv.].

[96] Union de la divinité et de l’humanité en un seul et même sujet.

[97] Ecclésiastique [Qohéleth] 9, 1.

[98] Jean, 14, 23.

[99] Ephésiens, 3, 17 : « Que Jésus-Christ demeure par la foi dans vos cœurs ; qu’étant enracinés et fondés dans la charité, » (Amelote).

[100] Osée, 2, 19-20 : « Je vous rendrai mon épouse pour jamais … par une alliance de justice et de jugement, de compassion et de miséricorde … par une inviolable fidélité… » (Sacy).

[101] Grand prêtre. Le Chapitre XV traite de la révolte d’Absalon : David s’enfuit de Jérusalem.

[102] Jean, 2, 11.

[103] Luc, 22, 61.

[104] Jean, 11, 43.

[105] Sur la voie « passive de lumières » puis la « voie passive en foi », v. Torrents, ch. III puis IV-IX. Madame Guyon s’étend peu sur la voie de lumières.

[106] Sentiment d’identité, « d’ego » dirions-nous aujourd’hui : « Mot proposé par Voltaire en place du mot scientifique identité, mais qui n’a pu s’établir. » (Littré).

[107] Passiveté mystique, différente de la passivité. De même l’in-action divine diffère de l’inaction au sens habituel.

[108] Matthieu, 3,3.

[109] Cantique, 5, 4.

[110] Le mont Carmel étant la montagne où Elie triompha des prophètes de Baal, ce dernier a toujours été l’inspirateur de l’ordre du même nom.

[111] Jean, 2,7-9.

[112] Abcès. « Cet apostume, qui rendait un pus si effroyable, était, ce me semble, la figure que vous deviez, ô mon amour, faire sortir au-dehors la corruption qui est en moi et en exprimer toute la malignité. » (Vie, 1.2.4, éd. Champion : p. 112).

[113] Entendement souligné en petites capitales, de même ensuite que la mémoire, la volonté, passions, désir…

[114] En note : « qu’on appelle aussi déiformité ».

[115] [Comme de foi]  de Poiret, (pour ainsi dire) probablement de madame Guyon. Nous respectons ici crochets et parenthèses de l’édition originale. 

 

[116] L’original est particulièrement complexe : « Pour se retourner à Dieu DU FOND ET CENTRE, (aussi bien que [cela s’est vû] des puissances,) ce retour… » - Nous simplifions en enlevant le double soulignement ainsi que l’apport entre crochets du très fidèle Poiret, les parenthèses étant donc dans le manuscrit utilisé par ce dernier (peut-être dicté par madame Guyon).

[117] « fleuve du Tigre ».

[118] « le chien est l’emblème de la fidélité. » (note Poiret).

[119] Ce qui sauvera Mardochée qui, selon les annales des années précédentes, avait donné avis d’une conspiration contre le roi.

[120] Jean, 3, 7.

[121] Psaume 74, 2 : « Nous raconterons vos merveilles. Lorsque J’aurai pris mon temps, Je jugerai et rendrai justice ». (Sacy).

[122] Comme certains faux prophètes et illuminés (madame Guyon sera très réservée sur les jeunes Inspirés cévenols).

[123] Ce souhait sera exaucé par des épreuves multiples, dont huit années de prison.

[124] Induta. Vulgate. (Poiret).

[125] Cantique spirituel, XIe couplet : « Découvre-moi Ta présence. / Que la vision de Ta beauté me tue ! … » (trad. Cyprien de la Nativité).

[126] La nuit mystique, traversée de 1675 à 1680, permet les descriptions qui suivent. V. aussi Torrents, chap. VII & VIII.

[127] Rare cas d’une comparaison avec le monde de la Cour, sujet favori de nombreux auteurs spirituels du Grand Siècle.

[128] « Aigle, dans le Dictionnaire de l’Académie, n’est au sens propre, que du masculin ; mais les meilleurs auteurs l’ont fait aussi féminin… » (Littré).

[129] Repris dans le Discours 1.14 : « Il est dit dans l’Écriture trois choses qui sont excellentes au sujet de l’Intérieur. Il ne peut être mieux comparé qu’à la voie du serpent dans la pierre, à celle d’un vaisseau sur la mer, mais, comme dit Job un vaisseau chargé de pommes, et à la voie de l’aigle en l’air [...] Quel est l’œil assez perçant pour en découvrir les vestiges ? Qui peut discerner les voies d’une âme qui se perd dans les airs de la divinité ? »

[130] Infinitif ancien du verbe courir.

[131] Prov., 24, 16.

[132] Torrents, ch. VII, §30 : « Prenez une éponge qui est pleine de saletés, lavez-la tant qu'il vous plaira : vous nettoierez le dehors mais vous ne la rendrez pas nette dans le fond, à moins que vous ne pressiez l'éponge pour en exprimer toute l'ordure et alors vous la pourriez facilement nettoyer. C'est ainsi que Dieu fait. »

[133] « Saint Paul confirme ceci par ce passage : pour devenir une nouvelle créature en Jésus-Christ, il faut que tout ce qui est de l'ancien soit détruit, c'est alors que tout est rendu nouveau, II Corinthiens 5,17. » [note de madame Guyon.].

[134] Ceci doit s’entendre en supposant que l’âme ne veuille point user de sa liberté pour sortir de son néant, comme autrement elle pourrait le faire (absolument parlant) aussi longtemps que l’on vit sur la terre. [note sans indication d’auteur].

[135] Le chapitre commence par : « L’argent a un principe et une source de ses veines, et l’or a un lieu où il se forme… » (Sacy).

[136] Ici commence un « hymne à la Sagesse » qui couvre la fin du chapitre.

[137] « Ce n’est plus moi qui vis… » de l’apôtre Paul, est pour madame Guyon le sobre aboutissement se situant après des états mystiques - à ne pas confondre avec les représentations accompagnant des exercices spirituels discursifs ou même avec les saints exercices de la charité.

[138] « …le feu … en fait sortir … une certaine bave ou écume… »  [250]. 

[139] « Je n’ai pas mis le reste du chapitre, qui sont quarante versets, parce qu’ils signifient tous la même chose. » (note de madame Guyon).

[140] « En ses Dialogues, Liv. I Ch. XII & en sa Vie Ch. XXIX et XXVII. » (Poiret).

[141] Le caché.

[142] Au sens d’anéantissement devant la grandeur divine, v. son emploi chez le Père Chrysostome de Saint-Lô.

[143] Psaume 103, 30 : « Mais si Vous détournez d’eux Votre face, ils seront troublés ; Vous leur ôterez l’Esprit de vie ; ils tomberont dans la défaillance, et retourneront dans leur poussière. » (Sacy).

[144] Paroles attribuées à Dieu. - « …ce n’est point par un effet de cruauté qu’Il pousse notre ennemi contre nous, et qu’Il l’anime pour nous combattre. C’est plutôt par un excès de miséricorde, sans quoi nous resterions toute notre vie propriétaires. » [275].

[145] Description du vécu de la purification passive forte où tout repère est perdu, la propriété s’attachant à tout dont « Dieu ». Il n’y a que la terreur qui puisse venir à bout de la propriété - de l’être même et non plus seulement de ses attaches. 

[146] L’âme assiste en silence à la destruction de l’amour-propre dans la tempête.

[147] David parle.

[148] Le changement de temps - grammaticalement incorrect - rend compte d’une expérience présente semblable à celle qu’exprimait David.

[149] Ps 8, 5.

[150] Mt 11, 30.

[151] Rom., 8, 14 & 16 & 21.

[152] Verset 11 omis.

[153] Il est assez habituel à Madame Guyon d’opposer réflexion, et même raison, à la droiture : elle pense aux temps d’oraison où tout recourbement sur soi-même est néfaste (et souvent impossible sans faire un effort pour sortir de l’état en cours).

[154] Au sens du sentiment propre affectif.

[155] Psaume Vulg. 64, 10 : « Le fleuve de Dieu a été rempli d’eau, et vous avez par là préparé de quoi nourrir les habitants de la terre ; car c’est ainsi que vous préparez la terre pour leur nourriture. 11 : Enivrez d’eau ses sillons, multipliez ses productions… » [Sacy]. Madame Guyon résume en infléchissant dans un sens providentiel.

[156] Le contact est direct, sans intermédiaire : « Tu dois … mettre au-dessous de toi un nuage d'oubli entre toi et toutes les créatures jamais créées … c'est que tout ce à quoi tu penses, cela est au-dessus de toi pendant ce temps, et entre toi et ton Dieu. » (Le Nuage d’Inconnaissance).

[157] Luc 1, 44.

[158] Elan du cœur, souvent accompagné d’une sensation physique.

[159] Psaume 118, 32.

[160] Psaume 145, 7.

[161] La version catholique de Louvain revue par Amelote est utilisée par madame Guyon pour le Nouveau Testament ; nous n’avons pas retrouvé la version généralement utilisée pour l’Ancien Testament.

[162] Colossiens, 3, 3.

[163]  « Cf. sa Vie, ch. 41-42 (Edit. de Holl. 39-42). » (note de Poiret). – « Cet amour vainc, séduit, contraint, enchante et nourrit l’âme. Il produit tout cela pour la mener dans la liberté, hors de l’amour-propre. » (ch. 41, trad. Debongnie, La grande dame du pur amour…, Etudes carmélitaines).

[164] Action de rendre la pareille. (Littré).

[165] Romains, 8, 39.

[166] I Thessaloniciens, 5, 19 : “N’éteignez pas l’Esprit.” (Amelote).

[167] Genèse, 28, 12.

[168] Genèse, 32, 25-28.

[169] Galates 2, 20.

[170] Se baiser réciproquement. (Littré qui cite La Fontaine).

[171] Luc, 15, 4.

[172] Sensation de brûlure. Avoir un brûlement à l’estomac. (Littré).

[173] Fixé d’avance, déterminé :  « …voilà qu’au terme préfix il apprend à Echatane les faits héroïques de Juda », Bossuet cité par Littré.

[174] Mt 24, 42.

[175] Apoc., 5, 13 : “Et j’entendis toutes les créatures qui sont dans le ciel, sur la terre, sous la terre, sur la mer, et dans la mer, qui disaient toutes : A Celui qui est assis sur le trône, et à l’Agneau, bénédiction, honneur, gloire, et puissance dans les siècles des siècles’”.

[176] Madame Guyon n’explique pas sa nature !

[177] I Co 6, 17 et Ga 2, 20. « Voyez la Vie de sainte Catherine de Gênes, ch. 14. » (Poiret). – « Mon être est Dieu, non par simple participation, mais par vraie transformation et annihilation de l’être propre. » (ch. 14, trad. Debongnie).

[178] Qu’on ne peut distinguer. Littré cite Palissy.

[179] On opposerait le témoignage de Thérèse d'Avila : dans son Livre de la Vie,  au chap. 22, §4, elle désapprouve la « pensée que tu [« le tendre Maître »] pouvais m’être un obstacle à un plus grand bien » (trad. Marie du Saint-Sacrement, Cerf, 1995, p.160), pensée qui risque d’induire un acte volontaire de s’en détourner. Ceci est distinct de l’impossibilité de « penser à Jésus-Christ » dans le vécu d’un état mystique. Par ailleurs il ne faut pas opposer des textes qui décrivent des états différents.

[180] Galates, 2, 20.

[181] Résumé du Psaume 148, 10 : « Vous bêtes sauvages, avec tous les autres animaux ; vous serpents, et vous oiseaux qui avez des ailes. » [Sacy].

[182] Allusion à une expérience personnelle.

[183] Crochets et italiques de l’original.

[184] Madame Guyon vécut une nuit spirituelle entre 1673 env. et  juillet 1680 (Vie, 1.19.13 à 1.28).

[185] On a donc la charité ordinaire, puis elle est cachée lors de la désappropriation pour être rendue ensuite, sous forme active, lors de la vie apostolique où elle accompagne le passage de la grâce à travers le canal qu’est devenue l’âme charitable. 

[186] Dans l’état apostolique, le spirituel demeure sans intentionnalité et cependant il est un canal de la grâce pour ceux dont il a la charge.

[187] Il s’agit toujours de l’état apostolique sans intentionnalité ni même conscience précise du contenu de ce qui passe par le canal de l’âme.

[188] Précis au niveau du vécu. Le vrai mystique s’en tient à son propre domaine réduit à l’exigüité de l’expérience vécue avant que de se taire lorsqu’elle a disparu en tant qu’objet dans son champ de conscience. Ce qui le fait ignorer du métaphysicien qui ne peut y retrouver l’explicitation d’une expérience absente chez lui.

[189] « Détruire tout pour reconstruire divinement ».

[190] Discours 2.15, « Différence de la foi obscure à la Foi nue » : « … On se sert du débris du naufrage pour arriver au port. On commence tout de bon à s’abandonner sur une faible planche, on n’attend plus que la mort, tout manque, l’espérance est bien faible de se sauver sur une planche. Il vient un coup de vent qui nous sépare de la planche. On fait de nécessité vertu, on s’abandonne, on tâche de nager, les forces manquent, on est englouti dans les flots. On s’abandonne à une mort qu’on ne peut éviter, on enfonce dans la mer sans ressource, sans espoir de revivre jamais. Mais qu’on est surpris de trouver dans cette mer une vie infiniment plus heureuse qu’elle n’était dans le vaisseau, et d’autant plus heureuse qu’elle subsiste sans moyens ! O Dieu, éclairez les aveugles, et instruisez le cœur de l’homme !... »

[191] « Toutes les fois que je parle d'état permanent, je n'entends point parler d'état inamissible [terme de théologie : qui ne peut se perdre (Littré)] et dont, (en rigueur) on ne puisse déchoir, mais c'est pour le différencier des dispositions pleines de vicissitudes, qui ne sont plus ici, étant outrepassées il y a longtemps. Lorsque Jésus-Christ parle (a) d'unité, et saint Paul (b) d'être caché avec Jésus-Christ en Dieu, ils n'ont pas sans doute entendu parler d'un état vacillant où on ne fît qu'entrer et sortir comme d'une chambre. » (Note de Mme Guyon).

[192] Jardin des oliviers.

[193] Réédition par Dutoit, même nombre de tomes, format et fontes différents mais respect scrupuleux du texte au point de reprendre la même pagination [!] : La Sainte Bible avec des Explications et Réflexions qui regardent la vie intérieure, par Madame J.M.B. de la Mothe-Guyon. Nouvelle édition, exactement corrigée, A Paris, chez les Libraires Associés,  MDCCXC.